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ACTES e

8 Rencontres AGRO X ENA en partenariat avec l’Association des Anciens élèves et amis de l’Ecole vétérinaire d’Alfort – 12 novembre 2012


Accueil

Ouverture

Anne-Laure Noat, présidente de l’Association des anciens élèves d’AgroParisTech

Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt

Monsieur le ministre, Monsieur le président du Conseil de la FAO, Monsieur le président Larcher, Messieurs le directeur de cabinet et conseillers, Mesdames et messieurs les présidents des divers organismes ici représentés, Mesdames et messieurs les directeurs, Chers intervenants et diplômés, Mesdames messieurs, Chers amis,

Bonjour à tous, merci de votre accueil. C’est aussi pour moi une fierté d’être ici.

Scandale de la vache folle, grippe aviaire, grippe porcine … Autant d’événements récents qui interrogent nos modes d’alimentation, d’élevage, d’échange, mais aussi de gouvernance sanitaire. Autant de sujets qui méritent ème d’être traités aujourd’hui, à l’occasion de nos 8 Rencontres Agro-X-ENA, auxquelles est naturellement associée cette année l’association des anciens élèves de l’Ecole vétérinaire de Maisons-Alfort. Je suis donc très heureuse de vous accueillir aujourd’hui au sein de la Fédération Nationale du Crédit Agricole que je remercie tout spécialement pour son accueil et son appui logistique à cet événement. Je tiens à préciser par ailleurs que ces Rencontres ont bénéficié du soutien de Pfizer et de CEVA. Je leur adresse au nom des organisateurs un immense merci pour leur intérêt et leur accompagnement ! Comme vous pouvez le voir sur le programme, nous avons une nouvelle fois visé l’excellence en ce qui concerne les débats et les intervenants, jusqu’à avoir le privilège d’accueillir Monsieur Stéphane le Foll, ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt qui va ouvrir ces Rencontres. Monsieur le Ministre, je me permets de vous présenter : Vous êtes titulaire d’un diplôme agricole et d’un DEA d’économie, vous avez été conseiller technique auprès de Louis le Pensec, ministre de l’Agriculture de 1997 à 1998 et enseignant en lycée agricole, vous êtes un élu de la Sarthe où vous avez occupé plusieurs mandats depuis 1983 à savoir : conseiller municipal de Lognes de 1983 à 1995, conseiller municipal du Mans depuis mars 2001, vice-président de la Communauté Urbaine du ème Mans depuis 2001, élu député de la 4 circonscription de la Sarthe le 17 juin 2012. Vous avez également été député européen de 2004 à 2012, vous avez occupé différentes fonctions au sein du Parti Socialiste. Vous êtes également le co-fondateur en 2006 du groupe Saint Germain, groupe de réflexion sur les questions alimentaires et agricoles, et membre de la Commission de l’environnement de la santé publique et de la sécurité alimentaire. Monsieur le Ministre, votre parcours témoigne de votre sensibilité au thème que nous traitons aujourd’hui. Au nom des organisateurs de ces Rencontres, je vous dis toute notre fierté à vous compter parmi nous ce matin.

Un lien étroit avec l’histoire de l’agriculture Premièrement, ces questions sont liées à l’agriculture et à son histoire. Au commencement de l’agriculture, la population s’est sédentarisée. C’est parce qu’il y a eu l’agriculture qu’il y a eu des villes. Deuxième élément très intéressant, au début de l’agriculture, la taille des hommes et des femmes a baissé, , puisque le travail agricole était moins favorable à la taille des individus chasseurs et cueilleurs. Enfin, dernier point intéressant : il s’agit du développement des lieux d’habitations comme étant beaucoup plus confortables. Après de nombreuses recherches, on s’est aperçu que si l’espérance de vie était plus courte c’est parce que des maladies étaient apparues. La concentration des hommes et des animaux a créé des transferts. La question sanitaire ne date donc pas d’aujourd’hui, avec la mondialisation, comme certains le laisseraient croire, mais de l’origine de l’agriculture, et en particulier, du lien entre agriculture et production animale. Je dis cela en introduction car j’ai eu l’occasion de le faire à plusieurs reprises dans des colloques, mais d’après ce que l’on me dit, 60% des maladies humaines sont issues de maladies animales à l’échelle mondiale. Donc la question sanitaire et beaucoup de maladies comme la vache folle, les fièvres catarrhales, etc, sont des liens directs entre l’agriculture, la production animale et la santé des hommes. On l’a même vu revenir en France, avec des sujets extrêmement lourds à traiter et sur lesquels il faut être d’une grande vigilance : je pense en particulier à la tuberculose bovine qui, aujourd’hui, dans deux départements français, pose de vraies questions. Parce que ce sont à la fois les mesures à prendre pour éviter de perdre le fameux label ADEME, et en même temps, on connait le traumatisme occasionné à chaque fois qu’il faut abattre la totalité d’un troupeau pour un ou deux animaux malades. Mais la tuberculose bovine revient aussi. L’agriculture dans le monde actuel : contexte, conséquences et perspectives Il semble donc nécessaire de replacer cela dans une perspective historique. La mondialisation ne fait que reposer, à une échelle beaucoup plus grande, le risque des liens entre le nécessaire contrôle sanitaire sur l’ensemble des productions animales et végétales, et la santé des hommes. C’est le concept d’ « une seule santé » : cette idée qu’en traitant des questions sanitaires pour les animaux, comme pour les végétaux, nous avons aussi de bonnes chances de traiter les questions portant sur la santé des hommes. L’agriculture est consubstantielle de la construction du monde. 80% des habitants de cette planète vont habiter dans le monde urbain.


Il y a donc une concentration. De la même manière, cela veut dire que l’agriculture va être, comme toujours historiquement, le fournisseur de cette alimentation. Entre l’agriculture et le monde urbain, il y a la transformation, sous toutes ses formes et il faut que le contrôle sanitaire soit assuré de la production agricole, avec la transformation, jusqu’à la distribution, pour éviter les risques d’épidémies toujours présents, et qui sont des risques majeurs. Je pense que c’est la question qui nous est ici posée, et la responsabilité qui est la nôtre. C’est pourquoi, dans les débats qui ont lieu aujourd’hui au Ministère de l’agriculture, au-delà des grands sujets de la réforme de la politique agricole, des grandes questions budgétaires, et des grands choix que nous avons à faire, Il faut garder le cap et préserver ces missions. Pour ce qui est du rôle de l’Etat, je pense que le contrôle sanitaire est un axe essentiel. Et dans un budget qui reste modeste, mais important, j’ai cherché, dans les lignes consacrées au contrôle sanitaire, à préserver les capacités de ce ministère. Notamment parce que je crois beaucoup à l’idée que la puissance publique, non directement concernée par les résultats de l’activité économique, est la seule qui soit capable de garantir la sécurité pour l’ensemble de nos concitoyens. Je souhaitais également saluer l’initiative des associations des anciens élèves. On peut souhaiter qu’il y aura finalement des résultats importants à la hauteur de cette journée. Au-delà de cette question de sécurité alimentaire, végétale, et animale, il est important de comprendre que l’agriculture de demain, comme la société, et nos modèles de développement, vont devoir changer. Le monde est à un moment charnière lié à la fois à la mondialisation, à la production agricole, à sa transformation, à sa consommation, à l’urbanisation et aux différents défis environnementaux qui nous sont posés. A l’échelle du monde, le défi environnemental n’est pas simplement de réfléchir à la lutte contre le réchauffement climatique, sur le rejet des gaz, la sécheresse, les intempéries mais cela consiste également à mener une vraie réflexion de fond sur la manière dont on doit envisager notre propre développement. C’est souvent par des contraintes exogènes aux sociétés humaines que celles-ci ont évolué. De même, l’apparition de l’agriculture est liée à la glaciation et au regroupement des hommes : nous aurions pu rester des milliers d’années sur des structures de cueilleurs-chasseurs. On en a d’ailleurs retrouvés, au XXIème siècle, qui continuent la cueillette et la chasse, et qui avaient trouvé des équilibres environnementaux parfaits. C’est parce qu’il y a eu de grands bouleversements environnementaux qu’il y a eu de grands changements. Et je crois que l’on est arrivé à un moment où il faut se poser ces questions-là, et arriver à réfléchir à un changement dans notre manière de développer nos économies, et de développer de manière plus globale, notre humanité. Nous devons désormais concevoir cette agriculture de demain, agro-écologie, agriculture performante économiquement et écologiquement, et à y mettre toute notre conviction, et toutes nos compétences. Elle doit nous permettre, et c’est le principal enjeu, de

combiner la condition économique de la viabilité des exploitations avec la condition écologique de la viabilité et de la durabilité de l’exploitation. Les débats actuels sont tous liés à des formes ou à des modèles de production qui peuvent être améliorés, et qui ont des conséquences sur les questions sanitaires. Au-delà de la question de l’agriculture biologique, apparaissent de nouveaux modèles de production, qui combinent effectivement performance économique et environnementale, pour des systèmes agro-écologiques qui reviennent aussi à redéfinir des conditions agronomiques de la production agricole, et à utiliser des mécanismes naturels pour assurer la résistance aux maladies. Il est un axe essentiel qu’il faut construire pour faire de la France, un pays leader sur cette évolution du développement dans l’agriculture et l’agro-alimentaire. Economie et environnement sont intimement liés et offrent un potentiel énorme en termes de diversité de ses agricultures, de ses situations géographiques et climatiques, dans la durée, et dans sa capacité annuelle de production. Par ailleurs, nous avons des agriculteurs à la fois compétents et capables de s’adapter en construisant ces nouveaux modèles. La recherche, que vous représentez ici, doit se mettre en mouvement. Ce colloque s’inscrit parfaitement dans l’histoire de ce qu’a été l’agriculture, des grandes questions de santé posées à l’humanité dans son lien entre production agricole et santé.. Nous y sommes encore aujourd’hui avec la mondialisation. Nous y sommes encore car l’agriculture et l’urbain sont toujours liés, car agriculture et alimentation sont un lien majeur, car les virus sont là, les épizooties sont là, tout comme les risques sanitaires. Mais, nous sommes aussi dans cette réflexion car on doit construire de nouveaux modèles, et penser, non pas uniquement à corriger les risques, mais à essayer de faire évoluer les choses afin de minimiser les risques. Je vous souhaite un excellent travail pour toute la journée. Et j’attendrai les fruits de vos réflexions avec beaucoup d’impatience. Merci. Julien Damon, professeur associé à Sciences Po Je remercie les organisateurs de me faire à nouveau confiance pour animer les travaux de ces trois associations, auxquelles s’associe aussi l’association des anciens élève de l’Ecole vétérinaire de MaisonsAlfort. La demi-journée qui va être dense. Elle est organisée en trois temps, après cette introduction générale : d’abord un débat sur les besoins, ensuite une intervention sur les questions du principe constitutionnel du principe de précaution, et un débat sur la question de la gouvernance.


Etat des lieux économique, social, sanitaire et environnemental des échanges mondiaux : quelles évolutions ? Quels enjeux ? Introduction Bernard Vallat, directeur général de l’OIE Mesdames et messieurs les directeurs, présidents, conseillers, Mesdames et messieurs les participants, Je voudrais remercier, d’abord, les organisateurs pour le choix de ce sujet, porteur d’enjeux considérables pour notre société, et puis pour l’honneur d’introduire ce séminaire, fait à l’organisation que je représente. Evolution de la population mondiale parallèlement à la mondialisation Voici les principales évolutions à prendre en compte dans notre réflexion : l’évolution numérique de la population mondiale et le fait qu’il se passe le plus de choses dans la zone rouge (pays en développement). C’est donc dans cette zone que l’action de la communauté internationale devra être la plus fournie. Les conséquences sanitaires de la globalisation, mouvement sans précédent de marchandises, de personnes, utilisé par les pathogènes pour coloniser toute la planète : c’est d’ailleurs déjà fait, et les supports en sont le commerce des marchandises, les voyages de personnes : plus d’un milliard de personnes prennent l’avion chaque année, et tous les phénomènes de transports, le tourisme et le bioterrorisme représentent un potentiel d’introduction de pathogènes indésirables sur l’ensemble des territoires de la planète. Les pathogènes sont maintenant transportés plus vite que la période moyenne d’incubation de la plupart des épizooties, et tous les systèmes d’alertes et de prévention doivent être pensés en fonction de cette capacité de transports ; et les changements climatiques liés au comportement humain ont évidemment aussi des conséquences qu’il convient d’analyser afin de définir les politiques de prévention. Il faut rappeler que 60% des agents pathogènes humains, 75% des maladies émergentes (il en apparaît à peu près une par an) et 80% des agents qui pourront avoir une utilisation bioterroriste potentielle sont d’origine animale. Explosion de la demande en protéines animales La demande mondiale de protéines animales est en pleine explosion notamment le lait, les œufs, un peu moins la viande, et avec pour conséquences des politiques d’intensification de la production, qui aurontelles-mêmes un impact sanitaire, qui nécessitera la définition de nouvelles politiques de prévention. Cette demande croissante en protéines est liée au passage de la pauvreté à la classe moyenne qui concernera plus d’un milliard de personnes dans les années à venir. Ceci a pour conséquence une augmentation globale du nombre de repas quotidiens ainsi que l’incorporation de plus en plus abondante de lait, d’œufs et de viande à chacun des repas. Différents points d’observation Comment se préparer ? Je propose d’utiliser les trois concepts suivants pendant nos discussions : le concept

de « bien public mondial », parce qu’il permet l’incorporation de financements publics dans les politiques à définir, le concept « un monde, une seule santé », « one health », le développement de la coopération entre le secteur vétérinaire et médical, et enfin le concept de « bonne gouvernance » : quelle gouvernance face à ces enjeux ? Les biens publics mondiaux sont des biens susceptibles de bénéficier à tous les pays, à tous les peuples et à toutes les générations. Cette définition doit être mise à profit pour attirer des financements publics et pour préparer et appliquer les politiques de prévention. Dans le cas de la prévention des pandémies humaines d’origine animale, il est évidemment aisé de démontrer l’appartenance des investissements au concept de « bien public », d’autant plus que, dans ce domaine, tous les pays sont mutuellement dépendants, et que la défaillance d’un seul d’entre eux, dans le cadre globalisé, peut mette en danger toute une région, ou même toute la planète. Le concept de « one health » : la coopération entre les secteurs vétérinaires et médicaux, a été définie, grâce à la mise en place d’une stratégie mondiale de gestion des risques aux interfaces animal-être/humainenvironnement, par une négociation entre les trois principales organisations internationales qui s’en occupent : l’Organisation Mondiale de la Santé, l’OIE Santé Animale et la FAO. Les trois priorités retenues pour appliquer des politiques communes sont : l’influenza zoonotique, c’est-à-dire les grippes d’origine animale auxquelles l’homme est sensible, la rage, qui tue près de 70 000 personnes par an, et qui est le thème où la coopération semble la plus simple en matière pilote, et l’antibio-résistance, car l’apparition d’antibio-résistance chez les bactéries se produit aussi bien chez l’animal que chez l’homme, avec des transferts possibles d’un genre à l’autre. La sécurité sanitaire et l’environnement sont au cœur des discussions puisque les carences alimentaires sont également un problème de santé publique, tout comme l’innocuité des aliments, car les maladies animales produisent plus de 20% de perte de production à l’échelle mondiale, l’intensification est inévitable, avec toutes les conséquences qu’elle aura, et enfin les études coût-bénéfice environnemental relatives au lien homme-animal sont encore embryonnaires. Le lien homme-animal est un sujet qu’il convient de creuser, et notamment quels sont les bénéfices et les inconvénients de l’élevage pour l’environnement, notamment des sujets comme le fait que le lait est un sous produit de la viande, le travail animal, qui concerne encore 250 millions d’animaux dans le monde, le lien entre production de fertilisants par l’animal et production végétale, et le poids des ressources pastorales naturelles dans l’environnement mondial. Et enfin : comment le principe de précaution, qui a été créé pour des questions environnementales, peut-il s’appliquer aux questions sanitaires ? C’est un sujet qui fera également partie de nos discussions aujourd’hui. Le comportement humain : je vous ai présenté cette image de pneus dans la nature pour illustrer le lien entre environnement et maladies animales, puisque ce genre de comportements constitue un élevage de vecteurs


arthropodes très efficaces pour la transmission de maladies dans certaines régions. Le concept de « bonne gouvernance des services vétérinaires » a été défini par l’OIE : il s’applique à la surveillance appropriée, permettant la détection précoce des événements sanitaires, la réaction rapide et la prise de mesures de biosécurité qui portent notamment sur l’élimination des animaux ne pouvant pas être traités ou les phénomènes de relations avec les éleveurs, en termes de compensation financière lorsqu’il y a saisie et élimination de leurs animaux pour des raisons sanitaires. Cela permet aussi l’établissement de politiques de vaccination. Dans tous les pays du monde ayant dérégulé la gestion sanitaire, la prévention des désastres biologiques est beaucoup plus compliquée. La gouvernance mondiale est gérée par plusieurs organisations mondiales. L’Organisation Mondiale de la Santé cherche à faire appliquer par ses pays membres le Règlement Sanitaire International voté en 2007 ; et plus de 100 pays ne l’ont pas encore respecté alors qu’il aurait dû l’être. Ce Règlement Sanitaire International est de nature à prévenir le plus efficacement les pandémies, et s’effectue en collaboration avec l’Organisation Mondiale de la Santé Animale et l’OIE, qui a également mis au point des normes de qualité des services vétérinaires afin de garantir une prévention plus efficace. Nous avons de plus des échanges croisés de fonctionnaires pour mettre en œuvre ces systèmes de gouvernance d’une manière coordonnée. La FAO dispose de son mandat de lutte contre la faim dans le monde, et s’intéresse particulièrement aux facteurs de maladies animales ayant tendance à menacer la production, et donc la sécurité alimentaire. A travers l’accord SPS, l’OMC pour sa part cherche à garantir la sécurité mondiale du commerce des animaux et de leurs produits, ce qui rentre tout à fait dans le cadre de ce colloque. Elle reconnait en outre les normes de l’OIE pour garantir cela, et l’OIE intervient lors de contentieux officiels à l’OMC, en fournissant des données concernant les normes internationales. Enfin, le G8 s’intéresse particulièrement à la prévention du bioterrorisme, et accorde beaucoup d’intérêt à la détection précoce à l’échelle de la ferme de toute attaque bio-terroriste qui utiliserait des pathogènes animaux ; à ceci s’ajoute bien sûr un volet humain et un volet laboratoire en collaboration avec l’OMS. La gouvernance régionale doit être prise en compte dans nos discussions, et notamment le cas de l’Union Européenne : c’est la seule organisation régionale mondiale ayant complètement harmonisé la législation vétérinaire portant sur la prévention et le contrôle des maladies, et s’appliquant à 27 pays. Ceci est unique au monde, et mérite d’être souligné. Un nouvel outil d’aide en vue d’une efficacité maximale Je terminerai sur les vocations d’un outil mis en place et défini avec les pays membres de l’OIE, permettant aux pays de recevoir des évaluations de leur conformité, de leur système de gouvernance nationale, de prévention et de contrôle des maladies animales, avec les normes internationales de qualité adoptées par les pays ; ceci correspond à la phase d’évaluation. Notre Organisation propose ensuite aux pays des méthodes de chiffrage du

coût de la mise en conformité par rapport aux normes internationales de leur gouvernance vétérinaire. Elle propose également ce que l’on appelle des traitements, dans les différents domaines qui nécessitent des améliorations, comme la législation, les partenariats public-privé, et notamment le lien entre l’Etat et les éleveurs situés en première ligne, l’enseignement, et les laboratoires. Plus de 120 pays ont fait appel à ce dispositif qui a un impact considérable sur l’amélioration de la gouvernance mondiale dans le domaine de la prévention des maladies animales : des pays comme la Chine, le Brésil, le Mexique, l’Indonésie, ont eu recours à ces prestations. L’impact mondial est déjà visible et considérable. En conclusion, je crois que les thèmes ci-après pourraient faire partie des discussions : évoquer les dangers de la dérégulation ; les alliances entre les systèmes publics et les organisations privées ; les questions de maillage territorial pour garantir la détection précoce et la réponse rapide aux événements biologiques ; la notion de chaîne de commande pour gérer les crises sanitaires ; l’importance de la formation initiale et continue des acteurs ; l’importance de la recherche et les perspectives du modèle français, avec notamment les conséquences de la RGPP sur les systèmes de détection précoce en France, qui pourraient être analysés, car les enjeux sont considérables.

Table ronde n°1 : Comment satisfaire les besoins croissants en protéines animales ? Julien Damon Merci pour ce panorama des tendances, des perspectives, et de la situation actuelle des organisations. La parole est à Luc Guyau, ancien président de la FNSEA, actuel président indépendant du Conseil de la FAO pour un premier propos qui consiste à tenter de répondre ensemble à la question « Va-t-on pouvoir continuer à manger de la viande ? », pour ceux qui en mangent déjà, et « Ceux qui n’en mangent pas actuellement vont-ils pouvoir accéder à cette consommation et à ce plaisir ? ». On pourra aussi se poser d’autres questions telles que « Est-il éthique ou non de manger de la viande ? », mais ce sera dans le débat avec vous. Luc Guyau, ancien président de la FNSEA, président du Conseil indépendant de la FAO Merci et bonjour à tous. D’abord merci de m’avoir invité à participer à ce colloque. Je ne sais pas très bien si j’interviens en tant qu’ancien agriculteur, en tant qu’ancien de la FNSEA, ou comme président indépendant du Conseil de la FAO. Donc j’ai décidé d’intervenir au niveau des trois puisque c’est ma vie, en commençant par dire que nous avons vécu un moment extraordinaire dans la vie du monde. Un contexte historique agricole, alimentaire et sanitaire dynamique En 1953 il y avait en effet encore des tickets de rationnement dans notre pays, ce qui n’est plus le cas


aujourd’hui en matière de production agricole et alimentaire. En 1950, nous étions 2,4 milliards d’habitants sur cette planète, nous sommes un peu plus de 7 milliards aujourd’hui, nous en avons donc nourri 4 milliards de plus, puisque le nombre de mal-nourris ou affamés, était d’d’environ 800 millions de personnes sur les 2,5 milliards au total ; il est d’à peu près 900 millions aujourd’hui. Malheureusement, c’est trop : le pourcentage a beaucoup diminué, mais le type d’agriculture, avec le développement cohérent entre la profession, les organisations, les services vétérinaires, pour prendre cet exemple, ou les services de développement, ont été des facteurs essentiels pour le développement d’une alimentation saine et en quantité suffisante, du moins pour nos régions. Alors ceci ne peut se faire que par la cohésion de tous, et j’en profite pour dire qu’avec l’ensemble des services vétérinaires de la planète, l’OIE, la FAO et d’autres, nous avons réussi à éradiquer une maladie animale de la planète. J’ai beaucoup de respect pour les organisations qui l’ont fait, mais surtout pour tous les intervenants, vétérinaires ou autres, qui sont allés jusqu’à vacciner des animaux sauvages dans la brousse ou ailleurs durant de longues années. On ne décide donc pas aujourd’hui d’éradiquer une maladie, en disant que « dans 3 ans on verra si c’est fait ». C’est un travail de longue haleine. Tout ce qui entoure l’amélioration sanitaire et de la qualité des produits, la durabilité, etc, est un long travail. Dans la perspective d’une augmentation de la population mondiale à nourrir – signification de la viande dans les sociétés La question aujourd’hui est alors : « Quand nous serons à peu près 9 milliards de personnes en 2050, pourra-t-on nourrir les 2 milliards de personnes supplémentaires de la même façon qu’on l’a fait par le passé ? » Selon moi, la réponse est non. On peut citer les problèmes de l’eau, de l’environnement, de la qualité sanitaire des produits devant être maintenue, parce que nous sommes aujourd’hui dans un monde où tout le monde circule. Même si Stéphane Le Foll a dit que ce n’était pas un phénomène nouveau, il y avait tout de même moins de maladies mondiales se développant depuis les aéroports il y a 50 ans. Après des maladies comme celle de la vache folle, ou le virus H5N1, et d’autres, on est quand même sur le qui-vive. D’où la nécessité d’avoir cette complémentarité. Nous devons donc nourrir le Monde ; et quand nous disons que nous devons passer de 7 milliards à 9 milliards, nous disons à la FAO qu’il nous faut augmenter la production agricole de 70% pour les 30 ans qui viennent. Il y a donc un problème : pourquoi 70% ? En grande partie d’abord, parce que l’on espère que tous ceux qui ont faim mangeront assez, et puis parce que, contrairement à ce que l’on peut penser, surtout après avoir mangé un steak le midi, il ne faut pas arrêter de manger de la viande. C’est dans la nature de l’homme et dans la progression et l’évolution sociale. La nécessité alimentaire fait que les protéines animales, sont indispensables à l’homme sous toutes leurs formes. Je me souviens de la première fois où je suis allée en Afrique, dans un village de la Haute-Volta à l’époque, Burkina Faso aujourd’hui. Le village n’était pas très bien nourri, mais la première chose qu’ils ont fait, c’est de

nous mettre un morceau de poulet dans le bol de riz, parce qu’ils nous accueillaient Et puis, quand Henri IV a apporté la poule-au-pot, il y avait, quelque part aussi, la reconnaissance de la promotion sociale et alimentaire dans le même temps. Un partenariat évident entre santé animale-santé humaine Je ne suis ni scientifique, ni vétérinaire pour me permettre de vous dire tout ce qu’il faut faire, mais je crois que, si nous voulons pouvoir répondre à la demande d’approvisionnement de l’ensemble de l’humanité, il faut jouer sur tous les tableaux. Bien sûr au travers du partenariat entre les différents aspects, comme cela a déjà été dit, car il n’y a pas deux santés : si les animaux sont sains, et les exploitants sont en bonne santé, dans leur tête et dans leur corps, nous avons des chances d’avoir des aliments sains. Je dis bien des chances, car nous pouvons aussi détruire la sécurité au-fur-et-à-mesure ; mais l’essentiel est de travailler dans ce sens-là. Si nous voulons faire en sorte de pouvoir nourrir tout le monde, il faut aussi que ce ne soit pas uniquement l’affaire des producteurs, ou des transformateurs, d’arriver à nourrir le monde, mais aussi celui des consommateurs. Les consommateurs repus sont aujourd’hui devenus tellement exigeants, et l’administration réglementaire ayant évolué dans le même sens, nous sommes dans une situation où 30% de la production agricole et alimentaire produite dans les pays de l’OCDE ne vont pas dans la bouche des consommateurs. On peut alors aussi réduire cela, afin de mieux s’en sortir. La place de l’agriculture dans la société aujourd’hui Enfin, concernant le rapport agriculteur-consommateur : en ne considérant pas mieux les paysans du monde, d’un point de vue de leurs revenus, il ne faudra pas être surpris de n’avoir demain que des produits peut-être davantage standardisés sanitairement, mais qui n’auront plus ce que demandent les consommateurs, à savoir ce lien avec le terroir et la qualité. Il faut de plus aujourd’hui produire toujours moins cher. Et le plus grave est que, dans les pays en développement, la perception des populations vis-à-vis de ces agriculteurs devient approximativement la même aussitôt que le niveau de vie augmente. C’est donc considéré comme un service naturel, que l’on devrait pouvoir fournir de façon satisfaisante. Un lien indispensable entre l’agriculture et la recherche Beaucoup de recherches ont été effectuées sur le dossier des protéines, animales, en particulier. Le premier rapport sur l’élevage produit par la FA0 il y a maintenant 6 ou 8 ans n’a pas facilité le dialogue à ce sujet. Surtout que tous nos techniciens avaient complètement minimisé, voire oublié, les parties lait et œufs. Il y a donc eu des réactions très fortes, ce qui a eu cet avantage : le rapport suivant, actuellement en train d’être rédigé, l’est avec les personnes du secteur, c’est-à-dire les producteurs, les transformateurs, mais aussi les vétérinaires. Et je crois que c’est indispensable. Ainsi, le dossier des protéines est un dossier protéines animales et végétales, aussi. Puisque n’oublions pas que l’Europe a connu un désengagement de sa production


de protéines végétales, compte-tenu des échéances mondiales d’il y a maintenant 50 ans. Celles-ci permettent de faire des protéines animales, et j’en tire la conclusion suivante : en dehors des aspects économiques et de dépendance, le jour où un pays ne s’engage dans aucune direction sur les productions animales, ou sur les productions végétales, ce sont les secteurs de la recherche, des semences et de la génétique qui en subissent les conséquences. Et je crois qu’il est important de bien lier tout l’aspect de recherche, ainsi que l’aspect génétique, de cette démarche avec des protéines végétales et animales. La recherche doit accompagner les pays en développement, sur la base de la biodiversité présente dans ces pays. Je ne veux pas croire que si des animaux ou des végétaux de certains pays du monde ont survécu, c’est qu’ils avaient quelque part une faculté d’adaptation à leur climat ou à leur situation. Donc, il ne faut surtout pas croire que l’’on va régler le problème des protéines animales et végétales par un produit standardisé au niveau mondial, mais plutôt en tenant compte des différentes situations. Julien Damon Merci pour cette contribution, à triple casquette. Donc, vous l’avez évoqué, sur trois dimensions : les producteurs, dont au premier rang les agriculteurs, les transformateurs, les consommateurs ; et puis vous avez également ajouté la question des chercheurs. Je pense que l’on pourra en débattre entre nous. Je me tourne donc vers Madame Frédérique Clusel qui est férue d’innovation, et sur cette question capitale qui est de savoir si l’on peut répondre à ce défi extraordinaire qui consiste à nourrir 2 milliards d’êtres humains en plus ? Quelle peut être, d’une part la participation du privé, et, deuxième chose, quel rôle et quelle liberté donner aux innovations ? Docteur Frédérique Clusel, Group Director Swine Business Unit EuAfMe, Pfizer Animal Health L’innovation intimement liée à un souci de respect de l’éthique dans le privé Je vais commencer par une anecdote : je suis vétérinaire, et lorsque je dis à mes confrères vétérinaires qui travaillent en libéral que je travaille dans l’industrie pharmaceutique, on me dit que « j’ai vendu mon âme au diable ». Or, je n’aime pas trop cela, pour la simple et bonne raison que je ne travaillerais pas dans l’industrie pharmaceutique si je ne croyais pas qu’il y a de l’éthique dans l’entreprise. On parle de production animale, de production de protéines ; je fais moi-même partie de la chaîne de consommation, j’achète moi-même du cochon, par exemple, parce que je suis plus spécialisée dans le cochon et dans la volaille. J’achète de la viande pour nourrir mes enfants, et j’ai par conséquent un souci de qualité, sanitaire notamment. Donc non, je n’ai pas « vendu mon âme au diable ». Je voudrais commencer par une première demande, en m’adressant à vous tous : celle d’oublier cette perception du privé de recherche absolue du profit au détriment de la qualité sanitaire. Je pense que nous avons tous un souci de respect de l’éthique. Je sais que le débat a commencé en parlant des grandes crises polémiques, comme la vache folle, qui est, effectivement plus un problème de nutrition que

de maladie infectieuse. C’est une polémique, et je sais qu’il y a des polémiques autour de la pharmacie. En tout cas, en ce qui me concerne, et en ce qui concerne les équipes, ce que nous essayons de faire est de fournir de l’innovation, afin de produire mieux. Un contexte de tradition et de peur des changements apporté par l’innovation Et le problème de cette innovation est le fait de travailler dans le milieu agricole, particulièrement traditionnel et qui a besoin d’une grande stabilité. Et lorsque l’on apporte une innovation qui change fondamentalement la production en question, il y a tout d’abord une peur du changement. Cette peur du changement freine finalement souvent, une amélioration de la production. Cette peur du changement apparaît cependant surtout dans notre pays, dans notre vieille Europe. Mais finalement, à regarder ce que font les pays émergents quand ils essayent de produire, il apparaît qu’ils produisent directement avec des outils extrêmement évolués, et innovants ; innovations que nous n’acceptons pas. J’entendais Monsieur Le Foll parler ce matin de la compétitivité de notre production et de notre outil de production ; nous ferions finalement bien de regarder parfois, dans ces mêmes pays émergents, ce qu’ils font, car ce sont eux qui nous apportent l’innovation. Je vais reprendre une autre anecdote : celle du Minitel. Vous vous souvenez tous qu’en France, nous pianotions sur notre Minitel, en trouvant que c’était l’innovation, l’innovation de rupture, la chose la plus fantastique. Mais c’est aussi pour cela que nous avons été parmi les derniers à avoir internet, et que nous avons malheureusement perdu beaucoup de compétitivité entre temps. L’innovation, un véritable moteur dans les pays émergents versus des outils performants, fruits de l’innovation, perçus comme un danger dans les pays développés J’ai fait la majeure partie de mon parcours en Asie et en Europe pour ces productions porcine et aviaire, et je pense à un produit qui me tient à cœur, un produit qui permet d’éviter la castration. Vous savez qu’en Europe, on impose des réglementations de plus en plus fortes pour le bien-être animal ; celles-ci ont souvent un impact sur notre compétitivité. Or, on prend souvent toutes ces demandes réglementaires comme des obligations et comme un frein alors que, cela peut parfois conduire à la mise en place d’innovation et une meilleure production. Si on regarde les courbes import-export, en prenant l’exemple du Chili ou de l’Amérique du Sud, en ce qui concerne la production porcine vers le Japon, très gros importateur de viande porcine, on constate que leurs exportations augmentent significativement. Parallèlement, ces pays ont accepté certaines innovations et possèdent des élevages extrêmement développés que l’on peut leurs envier. C’est un outil de production phénoménal, qui leur permet d’être extrêmement compétitifs. Et en même temps ils mettent en place des innovations que l’industrie pharmaceutique a fournies comme le produit Improvac. Je me place ici vraiment en tant que vétérinaire plus que représentant de l’industrie pharmaceutique. Ils mettent en place des innovations, dont Improvac, qui leur permettent d’être


extrêmement compétitifs et d’améliorer leurs coûts de production. Je suis allée au SPACE, salon où la production animale se réunit. J’entends un éleveur me dire qu’il économise, par an en coûts de production, et en coûts d’aliments, 150 mille euros en utilisant le vaccin Improvac, ce qui le rend éminemment plus compétitif, mais qu’il ne trouve, pour l’instant que peu de débouchés pour les cochons produits. Pourquoi cela ? Que se passe-t-il entre la production, avec des éleveurs qui ont envie d’utiliser des innovations, malgré leur traditionalisme, par ce qu’ils voient l’intérêt économique d’utiliser ces produits innovants fournis, par exemple, par l’industrie pharmaceutique, et puis la fin de la chaîne, que sont les consommateurs, nous-mêmes, avec nos peurs, nos propres émotions.

Oui, tout à fait. Et je pense que nous sommes allés un peu trop loin en ce qui concerne le principe de précaution. Je ne sais d’ailleurs pas comment, à 12 mois, les enfants prennent le risque de mettre un pied devant l’autre ils ont toutes les chances de tomber. Alors cela ne veut pas dire pour autant, qu’il ne faille pas être précautionneux à propos de tout ce qui est mis en place. Mais aujourd’hui, cela devient un principe qui freine l’évolution. Il est sûr que les pays émergents se posent actuellement moins de questions, mais il n’est pas dit qu’ils ne seront pas très vite rattrapés par la réglementation, par la demande des consommateurs et de leurs citoyens. Mais aujourd’hui, ceci leur donne un avantage comparatif assez fort.

Finalement, je dirais que fournir des protéines au monde, correspond à deux entités : les pays émergents qui ont un besoin nutritionnel et qui ne se posent pas la question de savoir quel est le bien-être animal. Oui, c’est important, mais ils doivent d’abord manger, et qui, finalement, acceptent toutes les innovations. Et nos pays bien nourris où nous avons plus de peurs et remplaçons toutes nos décisions par de l’émotionnel, ce qui n’est pas correct non plus ; bien qu’il faille reconnaître l’intérêt du respect des normes de bien-être animal. Donc, quand on a un produit comme Improvac, qui a une empreinte carbone positive, qui permet de consommer moins d’aliments, et donc de produire moins de déchets, qui nous permet de répondre à cette demande de bien-être animal, et qui permet d’économiser un coût d’aliments, pourquoi ne le donne-t-on pas comme outil beaucoup plus largement à tout le monde ?

C’est bien parce que nous aurons tout à l’heure un moment sur le principe de précaution, dont on voit qu’il peut en effet être considéré comme un frein à l’innovation. Mais il peut aussi être vu comme quelque chose d’absolument nécessaire sur la sphère sanitaire. Et tout de suite, je cède la parole à Fabrice Dreyfus qui, entre autre, est membre du comité directeur de la chaire UNESCO- alimentation du monde, et se situe donc en plein dans notre sujet, avec en plus une illustration concrète avec le cas de l’élevage en Chine.

Julien Damon

Des chiffres pour quantifier les besoins actuels et futurs en protéines 80% de l’augmentation de la consommation d’ici 2050 se déroulera dans ces pays-là. On estime que l’on passera globalement de 30 à 44 kg par habitant et par an. C’est là où les facteurs démographiques quantitatifs sont à l’œuvre de la manière la plus dynamique ; c’est également là où l’urbanisation avance le plus rapidement ; c’est là où les revenus vont augmenter le plus rapidement avec une moyenne de 5,2% par an d’après les prévisions. A contrario, dans les pays développés, la progression numérique est plus faible : le vieillissement des populations pèse et du point de vue économique, les progressions partent d’un niveau de consommation déjà très élevé puisqu’on est à une moyenne de 83kg de viande par habitant et par an. La progression du revenu elle, n’est envisagée qu’autour d’1,6 à 2% par an.

Merci, donc, pour cette évocation de notre passé mais j’ai surtout trouvé dans votre exposé ce point capital qui est que les pays émergents ont des besoins, mais aussi des idées et des innovations. Et vous, de votre point de vue, qu’est-ce qui freine le plus l’innovation dans les pays repus ? Dr Frédérique Clusel La peur : effectivement, il y a eu de grandes polémiques. Je ne veux pas reprendre l’affaire du Médiator que vous avez tous en tête. C’est vraiment pour cela que je parle de « l’âme au diable ». Dans les entreprises, il y a de l’éthique, des personnes qui font partie du monde de la consommation, et nous avons tous envie de manger des produits de qualité. Il vient donc un moment où je pense que le frein majeur est cette peur du consommateur, cette peur de la réaction, simplement parce que nous sommes repus. Julien Damon Êtes-vous d’accord, Monsieur Guyau ? Luc Guyau

Julien Damon

Fabrice Dreyfus, ingénieur général des Eaux, Ponts et Forêts, membre du CGAAER, ancien directeur de l’Institut des Régions Chaudes – Montpellier SupAgro La question sur la satisfaction des besoins croissants en protéines animales est une interrogation qui se pose essentiellement dans les pays en développement.

L’exemple de la Chine, un exemple révélateur Pour illustrer cette question, j’ai choisi le cas de la Chine, car les dynamiques y sont très importantes, et les chiffres en jeu pèsent lourdement sur l’ensemble des évolutions du monde. J’ai choisi d’illustrer cela avec la question du porc, viande la plus consommée en Chine puisqu’elle représente à peu près 65% de la consommation chinoise de viande. Bien sûr, selon les régions, on trouvera du mouton, du bœuf. Lla consommation de volaille est aussi très forte en Chine,


c’est d’ailleurs elle qui progresse le plus vite. Pour le porc, l’ évolutionde la consommation est pourtant elle aussi très rapide : en 1996, 26 kilos par an, et 37 à 38 kilos aujourd’hui. On estime qu’en 2015, elle sera peutêtre autour de 60 kilos ; vous avez donc une idée de l’ordre des progressions. Cependant, bien que la Chine produise aujourd’hui à peu près la moitié de la production mondiale de porc, elle reste très déficitaire par rapport à ses besoins. Comment cherche-t-elle donc à répondre à ses besoins ? Restructuration et concentration du secteur de la production La première stratégie est celle de l’augmentation de la production domestique, très importante mais déficitaire. Dans ce cadre-là, la Chine investit énormément. Elle cherche à restructurer le secteur, en visant à l’aménagement de nouvelles structures, beaucoup plus importantes, plus ouvertes à l’innovation, plus facilement contrôlables en termes de pratiques sanitaires et environnementales. Avec un objectif de croissance d’à peu près 2 à 3 % par an, une des grandes stratégies chinoises est la restructuration et la concentration du secteur agricole et agroalimentaire autour des grandes productions de protéines animales, et en particulier autour du porc . L’alimentation animale, goulot d’étranglement Toutefois, même si les structures de production s’améliorent depuis une dizaine d’années, la question de l’approvisionnement en provende, en aliments du bétail, reste extrêmement problématique. Pourquoi ? Parce que la Chine fait face à de nombreuses contraintes : au niveau des terres d’abord, la réduction régulière des surfaces de terres agricoles est continue et inquiétante. On descend aujourd’hui à 120 millions d’hectares de terres, alors qu’on était à 130 millions il y a 10 ans. Et même si ces terres sont irriguées à 50%, ce qui est considérable, cela pose de nombreux problèmes. Le fleuve Jaune n’arrive plus à la mer au moins 6 mois par an depuis déjà une dizaine d’années. Les problèmes rencontrés dans la production végétale sont donc croissants et les perspectives ne sont pas bonnes. De fait, les agriculteurs s’orientent de plus en plus vers des productions plus rémunératrices que la production de grains pour l’alimentation animale, ce qui fait de la Chine un des premiers producteurs et exportateurs mondiaux de pastèques (60% de la production mondiale de pastèques), le premier producteur de pommes, … Ce sont donc les fruits, les légumes, et l’aquaculture, qui sont au top de l’agriculture chinoise, et non la production d’aliments du bétail. Face à cela, si l’on veut augmenter la production d’animaux dans le pays, la Chine est obligée de passer par une stratégie d’importation d’aliments du bétail, stratégie qui porte en particulier sur les protéines végétales. On estime qu’en 2030, la Chine consommera plus d’un quart de la production mondiale de soja, avec 72 millions de tonnes ; cela représente déjà aujourd’hui une bonne moitié des importations sur le commerce international, en particulier en provenance des USA, du Brésil et de l’Argentine. On pense que les importations de maïs vont, à terme, devoir suivre la même voie. Et pourtant, ces records d’importations ne suffiront pas ; et à coté de l’importation d’aliments du bétail, et malgré le fait que la stratégie est de produire

des animaux dans l’espace domestique, la Chine continuera, et encore pour longtemps, à importer des animaux, des porcs, malgré ses 470 millions de têtes qui resteront très insuffisants. Ils ont importé à peu près 1,2 millions de tonnes en 2011, encore une fois essentiellement en provenance des USA et du Brésil. Des controverses sur l’élevage, la consommation de viande, les questions sanitaires et écologiques Ce développement continu de la consommation chinoise de viande et les stratégies engagées pour y répondre posent évidemment un certain nombre de questions et soulèvent des controverses qui, même si elles ne sont pas spécifiques à la Chine, ont un retentissement particulier du fait de l’ampleur des phénomènes. Une controverse sociale, tout d’abord : il n’y a pas de hiérarchie, mais puisque j’ai commencépar la restructuration des secteurs agricole et alimentaire, j’aborde d’abord cet aspect avec la question : Que va-ton faire des agriculteurs qui seront sortis du secteur de la production, du fait de la concentration des élevages ? Aujourd’hui le statut des travailleurs migrants en Chine est une question sociale extrêmement délicate et porteuse de troubles. Pour autant, elle n’est pas réglée, et donc de nombreuses voix s’élèvent et se demandent s’il n’y a pas une alternative à la concentration exagérée du secteur agricole. La disparité interrégionale soulève aussi des problèmes de localisation des activités car celles-ci se font en priorité là où l’approvisionnement en aliment est facile, près des ports, au détriment de la Chine de l’intérieur encore très pauvre. Des controverses géopolitiques : importer du soja ou des porcs, dans de telles quantités, cela revient aussi à externaliser l’empreinte écologique du pays. De fait, en Chine même, mais surtout au Brésil et aux Etats-Unis, le développement de la production animale chinoise pose de brûlantes questions autour de la transformation du patrimoine naturel de ces pays fournisseurs. Des questions sanitaires posées par la convergence des modèles alimentaires occidentaux et chinois. Ainsi, aujourd’hui, en Chine, on compte à peu près 30% de la population concernée par des problèmes de surpoids, au même titre que dans d’autres pays déjà développés. Bien sûr, l’ensemble des controverses écologiques liées aux gaz à effets de serre, liées à la qualité de l’eau existent en Chine comme ailleurs ; elles sont portées par une société civile encore en développement et se traduit par une demande de produits certifiés « verts » en croissance. Une grosse différence entre la Chine et l’Europe est que la question du bien-être animal est moins présente ; il n’y a par exemple pas de loi de protection des animaux en Chine. Elle est en préparation, mais n’est pas encore sortie. La question éthique ne se pose donc peut-être pas de la même manière en Chine qu’ici. Quelles perspectives peut-on raisonnablement envisager ? Enfin, et pour terminer, je pense que l’exemple chinois, par sa masse, par son impact mondial, par la rapidité de sa dynamique, nous amène à relire cette question initiale : « Comment satisfaire les besoins croissants en protéines animales ? », en se demandant « Jusqu’où les besoins peuvent-ils être croissants ? ».


Julien Damon Est-ce que, sur le plan de l’alimentation et de la production animale, je caricature à l’extrême avec une phrase simple, nous pouvons dire que : « l’avenir est au cochon et à la volaille » ? Fabrice Dreyfus Oui, je pense que les tendances sont claires, et de nombreuses raisons laissent penser que cela va continuer, que ce soit des questions de coûts, de modalités techniques d’alimentation… Je pense que cela ne veut pas dire que les autres types d’élevages vont disparaitre, mais ils seront vraisemblablement progressivement réservés à des conditions agroécologiques et à des écosystèmes particuliers. Julien Damon Une petite question à nos trois panélistes, question redoutable, parce que l’un des sujets est d’être un consommateur dans les pays riches ; chacun d’entre nous est concerné, plus responsable. Avez-vous avez une idée à proposer, pour que nous soyons plus frugaux ?

Il est de plus évident que c’est sur la base « porc et volaille » que l’on pourra produire le plus de protéines animales disponibles à un prix raisonnable dans le monde. Puisque pour la viande bovine, vous l’avez dit, c’est évident : si l’on transforme des céréales en viande bovine de façon industrielle, il en faut presque le double par rapport au porc et la volaille. Mais il ne faut pas oublier que dans le monde, une grande majorité du bœuf est élevée sur herbe, et que si l’on ne devait plus faire de viande bovine dans le cas du Massif Central comme dans beaucoup de régions, on ne ferait pas de céréales. Des prix volatiles et des échelles de populations très différentes Il faut donc relativiser les choses, mais il reste tout de même un élément préoccupant pour la viande bovine : on sait qu’alors qu’aujourd’hui on ne mange que peu de viande bovine sur le marché intérieur, lorsque le prix augmente un peu trop, la consommation diminue très rapidement car il s’agit d’un rapport prix-consommateur. Et, vous n’êtes pas obligés de manger de la viande de bœuf tout le temps, comme les Argentins (82 ou 83kilos par an, femmes, enfants, bébés et personnes âgées), mais, dans le cas où les Argentins diminuent de moitié leur consommation de viande bovine, cela ne fait pas beaucoup de 100 grammes de plus pour chacun des Chinois ; c’est le problème de la disproportion entre les pays de l’OCDE et les pays en développement.

Des éléments de solutions possibles Fabrice Dreyfus Dr Frédérique Clusel Personnellement, je ne mange pas ou très peu de bœuf: j’aime ça, mais je sais également que c’est une production qui pollue énormément, beaucoup plus que la production de volaille et de porc. Et pour répondre à votre question sur la croissance de la consommation de volaille et de porc, c’est effectivement une des productions qui consomme le moins d’eau, et de céréales. Et, rien que par cela, comme il y a toujours un conflit entre la consommation de céréales par les humains et par la production animale elle-même, il vaut mieux, pour fournir des protéines, aller d’abord vers la volaille, ensuite vers le porc, si l’on prend en compte la consommation de céréales et d’eau nécessaires pour ces productions.

Des proportions raisonnables Oui, je pense que vous posez déjà la question de la frugalité. Se poser la question est très important. Il est nécessaire de se rendre compte que ces besoins ne peuvent pas être croissants indéfiniment : le monde étant fini, la planète étant finie, on sait que l’équation ne peut pas se résoudre avec des croissances indéterminées. De nombreuses personnes s’en sont emparées : Paul McCartney, le président du GIEC qui, à Copenhague, demandait à ce que l’on fasse une journée sans viande avec une périodicité mensuelle ou hebdomadaire. Il est en tout cas évident que la frugalité est un des mots-clés de notre futur, que ce soit dans la consommation de viande, dans l’utilisation des bio-fuels ou des déplacements automobiles.

Julien Damon Il faut rappeler qu’en 1995, une élection présidentielle a été gagnée avec le slogan « Mangez des pommes ». Donc la prochaine fois, ce sera « Mangez de la volaille », et nous aurons gagné.

Débat avec la salle

Bernard Vallat Luc Guyau Lorsqu’on parle de porc et de volaille ; mais, avec une proportion moindre, il ne faut pas oublier l’aquaculture, aussi. Car lorsque l’on parle de protéines animales, l’aquaculture sera sans doute un élément important pour certaines régions du monde. Des méthodes d’élevage exploitant raisonnablement les ressources

Les ressources utilisées pour la production de viande de bœuf en question Je voudrais relativiser le procès qui est fait à la viande de bœuf. D’abord, la viande de bœuf est un sous-produit du lait, et en agissant sur la production de viande de bœuf, on agit sur le lait. Donc ce lien est à garder en mémoire. Comme l’a dit Monsieur Guyau, 30% des espaces ruraux disponibles dans le monde sont des espaces uniquement pastoraux : dans les montagnes, dans le Sahel, il n’y a pas d’alternative pour la production végétale. Cette herbe


qui pousse est donc valorisée par des ruminants, que ce soit des bœufs, des moutons ou des chèvres. En l’absence de valorisation, ces espaces brûleraient, et les effets environnementaux seraient probablement équivalents. Donc je voudrais relativiser ce lynchage injustifié.

donc savoir comment concilier ce que j’appelle la rentabilité économique des entreprises innovantes en matière de médecine vétérinaire et la nécessité absolue pour les pays, dits du tiers-monde, de bénéficier d’une médecine vétérinaire performante et accessible économiquement.

Dr Frédérique Clusel

Luc Guyau

Ce n’est absolument pas un procès : c’est un choix personnel que je mets à disposition du public ; et vous avez de plus entièrement raison, il y a deux catégories de bovins : les laitiers d’un côté, et les races à viande de l’autre. Et je préfère favoriser la production laitière à la production porcine viande. Cependant, pour en revenir à l’alimentation des populations, pourquoi la volaille et le porcin, et pourquoi principalement la volaille ? La volaille est la seule viande qui est mangée par toutes les religions du monde, ce qu’il est très important de considérer : ni la viande porcine ni la viande bovine (les Indiens représentent une grande partie de la population mondiale) ne peuvent être mangées par tous. Ce n’est donc pas ici une question de procès.

Sans répondre précisément à cette question, et en ce qui concerne le développement des pays en développement, je pense qu’il faut continuer à « renverser la vapeur », orientée pendant les 30 ou 40 dernières années. On a dit à ces pays-là « produisez des biens industriels, vous achèterez à bas prix votre alimentation au niveau mondial ». Et, derrière cela, il faut simplement regarder l’Afrique : tous les aspects de recherches de semences, et même de sécurité sanitaire, n’ont pas été suivis, puisqu’ils n’étaient pas productifs. Il faut donc, en remettant en place la production de proximité, remettre dans le même temps, dans ce cadre, l’accompagnement de recherche génétique. Il faudra du temps, mais si on ne le fait pas, ces pays seront, à mon sens, toujours dépendants des autres.

Question de Jean-françois Molle, consultant

L’externalisation des ressources exploitées et la responsabilité de chaque pays Dans le cas de la Chine qui investissait dans des terres, afin de se sécuriser pour demain. Une première chose, dont il faut bien se souvenir, est que la Chine n’a pas commencé tout récemment à s’occuper des terres ; il y a plus de 30 ans, ce n’était pas de la même façon, mais l’investissement de la Chine au Brésil, afin de favoriser les ports et les transports, pour permettre de transporter les protéines futures du centre du pays vers les littoraux, était déjà une démarche dans ce cadre-là. Je termine enfin sur deux derniers points, car en lisant récemment sur l’énergie pétrolière dans le monde, j’ai appris que les Etats-Unis seront le plus grand pays producteur de pétrole dans 20 ans. Ceci met donc en cause des recherches actuellement bloquées chez nous, mais pose aussi le problème suivant : les pays riches ont toujours la possibilité de stocker chez eux ce qu’ils ont pour demain, en consommant la production des autres. Et je dis cela car une grande proportion des terres aujourd’hui accaparées n’est pas mise en culture. Ce sont donc des débats non pour la production mondiale, mais pour l’équilibre de cette production : comment faire en sorte qu’il y ait encore du commerce ? Car nous n’aurons pas dès demain la souveraineté alimentaire pour tous les pays.Ce n’est pas possible, mais un minimum de souveraineté est indispensable si l’on veut que la recherche, l’accompagnement, et le développement suivent.

La nécessité de règles et de responsabilité dans le débat public J’ai bien aimé le coup de cœur du Docteur Clusel, qui me semble soulever un point essentiel au fonctionnement de nos sociétés modernes, qu’est la qualité du débat public démocratique. Certains des acteurs n’ont pas, aujourd’hui, de contre-pouvoir. Dans l’industrie, de manière générale, il y a des contre-pouvoirs tels que la réglementation, l’Etat, la réputation que ces entreprises veulent défendre, et la Science. Mais on a vu récemment lors d’un débat sur les OGM que d’autres acteurs, et notamment les acteurs scientifiques, peuvent prendre la parole, relayée de façon très orchestrée par les médias, sans qu’il n’y ait de contre-pouvoir. Et pourtant, cela me semble être un point essentiel pour la création de cette défiance du consommateur qui, in fine, crée les phénomènes que vous avez indiqués. Je pense donc que cette question du fonctionnement du débat public est, une fois de plus, absolument essentielle. Il y a aujourd’hui des scandales qui éclatent, qui n’auraient jamais éclaté il y a 50 ans. Pour la qualité du débat, il doit y avoir des règles, et de la responsabilité. Je pense finalement que ces questions du contre-pouvoir des acteurs dans le débat public, ou de la qualité de ce débat public, feraient sans doute un excellent sujet pour nos rencontres.

Question de la salle

Dr Frédérique Clusel

Le lien « médecine vétérinaire – coûts engendrés » en question Comment faire pour nourrir le monde ? Le président Guyau a insisté, à juste titre, sur la nécessité absolue du développement de la médecine vétérinaire dans les pays actuellement en voie de développement. Je voudrais

J’apprécie énormément votre propos qui me permet de replacer l’innovation dans le débat : vous parlez de fournir des protéines pour les pays émergents, principalement.


Des règles et pratiques différentes pour l’innovation, selon le pays Il faut cependant savoir qu’il y a, dans ces mêmes pays émergents deux dynamiques vraiment très différentes : il y a ce que l’on appelle communément la « base de la pyramide », devant avoir une production locale de proximité, avec des médicaments adaptés à ses besoins.

Mais il y a également de gros élevages qui se mettent en place pour fournir, à moindre prix, et avec des coûts de production tout à fait avantageux, des protéines aux populations locales et vers l’export. Et c’est là que l’innovation intervient. Ceci a un lien avec notre propre compétitivité, car les grosses entreprises de ces pays émergents, qui produisent des protéines à un prix très attractif, sont attractives pour leur propre consommation, mais aussi attractive pour nous-mêmes ! Notre propre compétitivité diminue car nous n’acceptons pas un certain niveau d’innovation. C’est le lien, et on parle ici de globalisation, parce que dans le cas où ils produisent à moindre coût, cela devient aussi très important pour nous. On importe alors en provenance de pays qui n’ont pas les mêmes réglementations. Notre propre outil de production devient alors non-compétitif. Et lorsque l’on répond aux besoins protéiques pour des pays émergents, on répond finalement aussi aux nôtres. Tout est lié. Fabrice Dreyfus Oui, pour moi la question de la médecine et du contrôle vétérinaires se pose dans les termes suivants « Quelle médecine, quels contrôles pour une agriculture de proximité ? ». Le mot a été prononcé tout à l’heure par Monsieur Guyau, il me paraît fondamental de se rendre compte que la proximité entre les lieux de production et les lieux de consommation, ainsi que le maintien du lien entre la terre et les élevages, sont des moyens, de garantir une empreinte écologique plus faible, et de maintenir un emploi rural, élément cléde la lutte contre la pauvreté, objectif incontournable de notre futur. On le voit alors, ce n’est pas facile ; le cas de la Chine est encore là pour illustrer le fait que des élevages éclatés et peu contrôlés, un peu partout en Chine, ont donné lieu à d’énormes scandales sanitaires, au sujet de la viande de porc en particulier. L’absence de contrôle, la gabegie, la corruption, sont bien sûr à l’origine de ces scandales et de ces morts. Il reste malgré tout cette question : est-ce que pour autant la seule solution, celle que les chinois ont choisie, qui progresse lentement mais sûrement, celle de l’hyperconcentration dans des conglomérats agro-industriels, est la seule solution qui nous permettrait de résoudre en Chine, au Burkina Faso, ou ailleurs, la question de la sécurité sanitaire de la production animale ? Voilà, je me pose la question, et j’aimerais savoir si le monde vétérinaire, celui de la médecine et du contrôle se posent cette question : « Comment travailler, aider, mais aussi contrôler, accompagner une production animale de proximité ? »

Question de Jean-Claude Devaize, directeur de la publication « Grain de sel »

Ma question était donc dans le prolongement du propos de Bernard Vallat. J’étais en effet un peu choqué sur le pastoralisme, or il est raisonné. Il y a en fait tradition et modernité. On ne fera du pastoralisme qu’en essayant de coupler tous les équilibres entre tradition et modernité. Je trouve donc que dire que vous voulez rejeter tous les traditionnels risques de nous emmener dans un monde où la diversité des approches et des équilibres n’est pas présente. Mais, en rapport avec votre propos, je préfère quand on raisonne tradition et modernité de manière plus complexe. Dr Frédérique Clusel Je pense que nous sommes d’accord. Série de questions de la salle Qu’en est-il des nouveaux régimes alimentaires parfois cités ? Ayant beaucoup apprécié l’ensemble, il y manquait cependant la mention des autres sources d’alimentation, et notamment les insectes, autre source de protéines animales, ou d’autres changements comportementaux, technologiques, d’éventuelles manipulations génétiques sur les futures productions animales, même si celles-ci ne sont envisageables qu’à long terme. Question de Christine Demesse, présidente des Anciens élèves de l’Ecole Nationale d’Administration Quelle est la part que vous pouvez estimer dans la production de protéines, que vous envisagez qui puisse être assez raisonnable, dans les années qui viennent, pour servir justement ces besoins croissants en protéines ? Et une deuxième question, peut-être politique ou provocatrice : le principe de précaution est beaucoup discuté, comme déresponsabilisant, comme un frein à l’innovation, et je partage entièrement ce qui a été dit là dessus. Mais est-ce que vous ne croyez pas qu’en matière agricole, n’a-t-il pas pris autant d’importance dans le débat public concernant l’agriculture car les agriculteurs n’ont pas pris la mesure de ce qu’était l’environnement et n’ont pas été les premiers acteurs responsables de cette politique d’écologie dès le départ ?

Les transports en question Monsieur Guyau a parlé des transports (un des cinq « T ») en Amérique du Sud : il est reconnu que 30% de la production est plus ou moins perdu pour cause de rupture de la chaîne du froid, malgré de gros progrès. Cette question s’adresse donc préférentiellement à Monsieur Guyau : compte-tenu de cette importance, y at-il à la FAO un département « transports », par exemple ? Qu’en est-il de l’indépendance alimentaire ? Un autre sujet n’a pas été évoqué : celui de l’indépendance alimentaire. Voici un exemple : beaucoup de viandes ont été précédemment mentionnées, en omettant les ovins, secteur important, malgré la chute de


la production (la France était en effet un pays de forte production il y a quelques années). La France était le premier producteur européen, et importe aujourd’hui 40% de sa consommation, à cause de la faiblesse de notre compétitivité. Le premier producteur est actuellement le Brésil, pays ayant des contraintes sanitaires, environnementales, et bien-être animal différentes des nôtres. Ne sont-ce donc pas des préoccupations de riches, que de se dire et se donner les moyens de produire, en important par ailleurs des produits ayant des caractéristiques sanitaires différentes des nôtres ? Et ne risque-t-on pas de perdre toute notre production et de se retrouver dépendants de pays qui pouvant refuser ou être dans l’incapacité d’exporter, de le faire ? Julien Damon Les panélistes choisissent entre les 6 points suivants : le pastoralisme, les résistances paradigmatiques, ce sont les deux termes compliqués, les sources d’alimentation, le poisson et les insectes, la question de la place des agriculteurs en développement durable, le sujet des transports à la FAO, et enfin la question de la dépendance alimentaire. Luc Guyau Des solutions envisagées pour permettre de pallier à l’augmentation de la demande En ce qui concerne l’évolution des consommations d’insectes, algues, et poissons, aucune raison ne s’oppose à une augmentation d’insectes dans le panel alimentaire mondial. La consommation de ces derniers choque les pays occidentaux, mais des pratiques locales européennes telles que les modes de consommation de certains coquillages pourraient également choquer encore aujourd’hui. Cela fait donc partie du panel global, mais les insectes ne résoudront pas le problème à eux seuls : ils seront seulement un élément parmi d’autres. Au sujet du poisson et de l’aquaculture, ceux-ci concernent environ 18% de l’alimentation mondiale, et peut se maintenir au même niveau. Et puis, il y a aussi une autre façon de diversifier les productions. La culture des algues serait également un autre moyen de diversifier les productions : elle est mentionnée pour l’énergie, mais aussi pour l’agriculture. Une seule condition s’impose cependant : la presse doit rester impartiale et ne pas déplacer les éléments hors de leur contexte. Cela fait aussi partie du principe de précaution Il s’agit bien sûr d’une allusion aux OGM… La question des transports à la FAO : lien avec le gaspillage et les préjugés envers l’agriculture – des progrès évidents Il n’y a pas de département « Transport » à la FAO, mais, dans le cadre de la section investissements, infrastructures et transports sont pour nous un élément essentiel dans les pays en développement ; puisque les 30% de la nourriture qui se perdent dans nos pays le sont par du gaspillage ou des réglementations ; mais dans les pays en développement, il y a jusqu’à 30 à 50% de pertes dans certains pays. Elles sont dues à un manque d’infrastructures de transports notamment.. Monsieur Stéphane Le Foll a précédemment parlé de l’urbanisation qui se faisait suivant l’agriculture, mais

aujourd’hui, il faut faire extrêmement attention au lien évoqué par un tel discours : les jardins familiaux, les fermes et les élevages des les villes seront remis d’actualité. Chacun doit reprendre conscience qu’il peut faire des choses. Mais également attention à la santé sanitaire et humaine, car dans beaucoup de pays où les poules et les humains se côtoient, des maladies apparaissent. On règle donc un problème en l’aggravant. Quant à la dernière question posée, au sujet des agriculteurs, et de leur environnement qu’ils n’auraient pas suffisamment aménagé: il est important de souligner que dans les années 1950, dans le contexte des tickets de rationnement, les agriculteurs devaient d’abord produire en quantité. Ce sont les crises, les unes après les autres, qui ont amené au changement : le veau aux hormones, la vache folle, et puis la politique de qualité s’est mise en place. Il faut cependant arrêter des discours parlant des agriculteurs en tant que « pollueurs ». On ne parle plus de 1980. Entre 1980 et aujourd’hui, la situation a énormément évolué et des efforts colossaux ont été faits sur les comportements, et les raisonnements intellectuels. Mais tout est dans la dose : une règle environnementale est à peine mise en œuvre que plusieurs autres sont en prévision. Les agriculteurs sont aujourd’hui en mouvement, sur la bonne voie. Fabrice Dreyfus L’exploitation des ressources en question En revenant sur la question du pastoralisme, il s’agit d’une question importante, malheureusement tragique, car il est menacé un peu partout dans le monde. Les zones pastorales se dégradent à une vitesse impressionnante, depuis la Mongolie et le Tibet d’un côté, jusqu’au massif de l’Aïr au Niger, en passant par le Moyen-Orient. Il y a de nombreuses raisons à cela : politiques car les gouvernements se méfient des nomades et les sédentarisent de force ou y incitent fortement. C’est le cas chinois où malgré ou à cause de cette sédentarisation généralisée, la dégradation des pâturages sur les hautes steppes est terrible et touche plus de 80% des surfaces, c’est le cas en Syrie où la croissance du désert réduit inéxorablement l’espace traditionnelement exploités par les pasteurs, C’est aussi vrai en Afrique de l’Ouest où la question est aussi géopolitique : l’activité pastorale à du mal à se maintenir dans les zones qui sont contrôlées aujourd’hui par divers trafiquants comme dans la zone Soudano-sahélienne, par exemple. A contrario, il faut aussi savoir que le pâturage se développe parfois au détriment de la forêt, et se déploie comme moyen de nettoyer durablement la forêt, et ce sont les bovins pâturant qui « mangent » l’Amazone, préparant alors la voie pour le grain et le soja. Sur le plan culturel, les statistiques économiques ne peuvent pas traduire la complexité des situations, ni même s’ériger en lois universelles. Quand on lie, de manière étroite, le niveau de revenu au niveau de consommation alimentaire, c’est évidemment en s’appuyant sur des séries statistiques incontestables. On s’aperçoit cependant de l’existence de contre-exemples, dont l’un me tient beaucoup à cœur : il s’agit du Japon, un des seuls pays de l’OCDE avec un niveau de revenus important, et se situant à une moyenne de 2800 à 2900


kcal par jour et par habitant. Comparé à l’Europe ou aux Etats-Unis, où, l’on dépasse les 4000 kcal par habitant et par jour. Il s’agit donc d’un facteur culturel difficile à apprécier, spécifique et idiosyncrasique. Mais c’est sur ce genre de facteurs locaux ou régionaux qu’une adaptation aux grands défis pourra s’appuyer. En ce qui concerne les autres sources d’alimentation, de nombreux endroits en Europe travaillent aujourd’hui sur les protéines animales provenant des insectes. Wageningen, en particulier, est très avancé sur ce sujet, et en Angleterre, quelques laboratoires travaillent également dessus, et en Asie, en Thaïlande, au Viêtnam. Dans la péninsule indochinoise où existe une culture de consommation de criquets, de sauterelles et même de vers à soie, des travaux sont engagés, surtout en Thaïlande, et sont relativement prometteurs. En Europe, où cette culture n’existe pas, on s’attache, à Wageningen en particulier, à couper tout lien possible de reconnaissance entre l’aliment et l’origine animale de cet aliment.

Dr Frédérique Clusel L’innovation est peut-être l’avenir de l’indépendance alimentaire A propos de l’indépendance de la production ou de l’indépendance alimentaire, le point mentionné rejoint celui de la globalisation. Les autres pays produisent effectivement avec des règles et des réglementations sanitaires différentes des nôtres, et acceptent donc certaines innovations beaucoup plus facilement que nous ne pouvons le faire. Il y a toutefois certaines innovations qui arrivent par chez nous ; il y a l’exemple d’Improvac, et également beaucoup d’autres, qu’on pourrait mettre en place, qui respectent l’environnement, la qualité sanitaire des produits, la qualité de production… mais qui ne sont pas mis en place, pour cause de phénomènes émotionnels, et notamment de la peur. Et, si l’on veut garder notre indépendance alimentaire, il va peut-être falloir accepter, d’évoluer vers des modes de production beaucoup plus économiques, et qui permettent d’être compétitifs, tout en conservant nos traditions parce que c’est effectivement très important. Julien Damon Cette table ronde a donc permis d’aborder un nombre de sujets considérable, en regardant les différences entre le monde riche et le monde pauvre, avec des exemples incarnés un peu partout. Nous pouvons donc saluer nos intervenants et passer un court moment sur cette question du principe de précaution, qui généralement conduit à des discussions urbaines ou des bagarres générales. Le président de l’association des anciens élèves de l’Ecole Polytechnique va nous introduire ce thème, qui sera développé par Bernard Chevassus-au-Louis sur cette question complexe inscrite vous le savez dans notre constitution.

Échanges mondiaux, santé animale et principe de précaution

Laurent Billès-Garabédian, président de l’Association des anciens élèves de Polytechnique Comment nourrir neuf milliards de personnes ? Quelles sont les maladies qui passent de l’homme à l’animal et de l’animal à l’homme ? …autant de sujets qui viennent d’être abordés. Il est clair que les X ne sont pas forcément les meilleurs experts sur tous ces sujets ; en revanche je pense que nous pouvons apporter notre contribution sur tout ce qui est innovation, recherche et développement. Et pour reprendre une analogie qui n’est pas tout à fait liée à l’agriculture ou à la santé humaine et animale, c’est ce qui s’est dit dans le rapport Gallois, sorti récemment sur l’industrie : la France risque d’être coincée entre des pays qui montent en gamme et qui arrivent à « pricer » leurs innovations (typiquement l'Allemagne) et des pays à bas coût (typiquement les pays émergents). La solution, parmi les nombreuses proposées, c’est clairement l’innovation. Le Docteur Clusel a largement insisté sur l’aspect innovation : innovation dans l’absolu, innovation recherche publique, privée, mais également dans tous les centres de R&D de la planète. Il est clair qu’à la fois les grands centres des pays industriels sont très forts que ce soit en Europe ou aux Etats-Unis, mais il est évident aujourd’hui que tout ce qui est Amérique Latine, Chine, et demain peut-être Afrique connaissent des développement importants et, comme cela a été souligné, avec des idées totalement novatrices, avec des short-cut où on lève un certain nombre de contraintes. Jusqu’où peut-on aller et quels sont les risques inhérents lorsque on pousse au maximum la science ? La peur peut malheureusement être un frein extrêmement important mais, est-il possible d’anticiper ce problème ? Pour répondre à ces interrogations, Bernard Chevassusau-Louis président de l’Observatoire de la qualité de l’alimentation. Comment ne pas instrumentaliser ce principe de précaution, mais inversement ne pas faire d'obscurantisme en empêchant le progrès par peur des catastrophes ? Quels sont les différents acteurs ? Comment peut-on tenir compte à la fois du principe de précaution, sans l’instrumentaliser, tout en poursuivant les travaux pour prévoir et étudier les risques potentiels ? Bernard Chevassus-au-Louis, docteur en sciences à l’Université Paris 11, inspecteur général de l’agriculture, ancien directeur général de l’INRA, membre du CGAAER Je souhaite évoquer trois points : tout d’abord, sommesnous, sur ces questions santé animale et humaine, dans le champ d’application du principe de précaution tel qu’il est mentionné ? D’autre part, si nous sommes dans ce champ, quelles sont les mesures qu’il convient de prendre et quelles actions faut-il entreprendre ? Enfin,


troisième point, le principe de précaution est-il obstacle à l'innovation ?

un

Je rappelle tout d’abord que lorsqu’on parle des risques liés aux aspects santé, on parle de risques microbiologiques (bactéries, virus aussi), mais également des risques nutritionnels. Ce matin, ont été évoquées les questions de consommation de protéines animales mais également de surconsommation énergétique et donc d’obésité. Le sujet des risques toxicologiques liés à la présence dans les produits animaux de résidus, de contaminants divers et variés que ce soit des produits sanitaires, des produits de traitement des aliments, ou éventuellement des résidus de métaux lourds et autres toxiques, a été peu abordé mais il faut l’inclure dans cette problématique. Sommes-nous tout d’abord dans le d’application du principe de précaution ?

champ

La constitution française dit deux choses pour définir le champ d’application : tout d’abord on doit être en présence d’un dommage, dont la réalisation, en l'état des connaissances scientifiques, est incertaine, et d’autre part en présence d’un risque considéré comme grave et irréversible. Sommes-nous dans une situation d’incertitude ? J’aurais tendance à dire que dans de nombreux cas, le niveau de démonstration, d’administration de la preuve, quelle que soit la science qui est mobilisée, est effectivement à un niveau relativement faible. Si on prend l’épisode de l’ESB : on avait des données de type corrélation épidémiologique, sur des modèles animaux, des données de type expériences in-vitro mais jamais on a enfermé 1 million d'humains pour leur faire manger pendant 10 ans de la viande contaminée ans pour voir si effectivement cette maladie se transmettait. Vous savez peut-être que ce débat sur l’existence d’un troisième facteur sous-jacent qui aurait déclenché à la fois la maladie bovine et la maladie humaine continue à être alimenté par certains scientifiques ce qui veut dire que nous étions bien dans une situation où les connaissances scientifiques étaient incertaines. Vous savez aussi que sur toute une série de maladies à vecteurs, nos connaissances sur les insectes et les modes de transmission augmentent notablement le niveau des incertitudes dans ce domaine. Et puis, on l’a mentionné récemment, il y a également le débat sur l’effet des contaminants, par exemple les résidus des pesticides. Dès lors que l’on pose les questions des effets des très faibles doses, des effets sur le long terme ou des effets des mélanges, de nouvelles incertitudes apparaissent. Nous sommes donc tout à fait dans un domaine où l'incertitude est présente et, contrairement à ce qu’on peut penser, elle ne va faire que grandir. Il y a en effet un

fossé croissant entre les progrès de la science dans le domaine de la détection de la présence de facteurs de risques éventuels, et les progrès de la science sur l'évaluation des risques liés à ces produits. Avec les méthodes de dosage aussi bien chimiques que microbiologiques, on est capable de détecter la présence de tout partout. Pour prendre un ordre de grandeur, vous mettez une goutte de n’importe quel produit dans une piscine olympique vous mélangez bien. Aujourd’hui, la chimie est capable de détecter la présence de ce produit. Mais le gap entre la détection de présence, l'effet biologique éventuel et l’évaluation des risques qu’on pourra avoir, va plutôt avoir tendance à augmenter. Le champ de l’incertitude va augmenter avec les progrès de la science et non pas contrairement à ce qu’on pourrait penser se réduire. Sommes-nous en présence de risques graves et irréversibles ? Il est évident que les risques auxquels on pense et en particulier les risques liés aux zoonoses sont effectivement des risques graves. Sont-ils irréversibles ? Pas tout à fait mais ils entrent dans la catégorie de ce qu’on appelle les risques qui s’aggravent avec le temps. Autrement dit dans lequel le retard dans la prise de décision conduit à une augmentation de plus en plus forte des dommages potentiels. Ce qui veut dire que la question de prendre la décision aussi tôt que possible est tout à fait caractéristique de ces risques. Par contre, l’objection qui est souvent faite consiste à dire que nous ne sommes pas dans le champ car il ne s’agit pas de dommages pour l'environnement, mais pour la santé. Assez fréquemment, le monde médical dit « le principe de précaution ne s’applique pas à la santé ». Le concept One health réunit l’ensemble des états sanitaires de l’homme, des animaux, des végétaux et des espèces sauvages animales ou végétales, et donc que cette distinction des dommages pour l’environnement et des dommages pour la santé est à réviser dès lors qu’on introduit la notion de santé unique. Nous sommes en plein dans le domaine d’application de ce principe de précaution et pour longtemps. Les anglosaxons n’aiment pas les formulations longues, un principe doit se dire en une seule phrase. Je vous propose donc une formulation raccourcie du principe de précaution qui pourrait être « L'incertitude ne justifie pas l'inaction. » Quelles actions faut-il entreprendre ? Les autorités publiques veillent à deux choses : d’une part à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et d’autre part, à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées. Sur le premier point, il y a une bifurcation entre la recherche et l’action. Ce que dit le principe de précaution c’est qu’il faut faire les deux, c’est-à-dire qu’il faut faire


évoluer l'incertitude et donc développer des recherches pour mieux caractériser et mesurer les risques. Cette idée de faire avancer les deux de front me semble une intuition assez bonne. Là où cela se corse, c’est sur la notion de mesures provisoires et proportionnées. Dès lors que l’on est en situation d’incertitude, il faut avoir des mesures que l’on pourra réviser. Cela veut dire par exemple que si l’on déclenche un moratoire, il faudra indiquer sur quelles bases on en sortira. Et proportionnées c’est peut-être là toute la difficulté puisqu’on se demande à quoi ? Proportionnées à l'évaluation que l’on a du dommage potentiel ? Alors que l’on est en situation d’incertitude ? Il y a donc effectivement tout un débat sur le risque de disproportions dans un certain nombre d’actions. Il est possible d’affirmer aujourd’hui, compte tenu de ce qu’on sait de l’épidémie liée à l’ESB, que les mesures qui ont été prises étaient disproportionnées mais c’est toujours facile de le dire a posteriori. On l’a dit également à un certain moment concernant la vaccination vis-à-vis des problèmes de SRAS. Donc effectivement la question de la proportionnalité des mesures est centrale mais je dirais qu’elle n’est pas spécifique du principe de précaution. Si on est dans la situation où le risque est avéré, et donc dans une situation de principe de prévention, l’adage classique en France est de dire « Mieux vaut prévenir que guérir ». Autrement dit, il vaut mieux utiliser le principe de précaution, mettre en place toute une série de choses qui vont éviter le dommage plutôt que de le corriger a posteriori. Or, assez souvent il y a des gens qui disent qu’il y a un excès de prévention, notamment en terme de risques sanitaires pour l’alimentation scolaire ou aux risques que l’on prend lorsqu’on installe des installations sportives dans les cours d’école. Autrement dit on sur-dimensionne la prévention par rapport au risque réel. La question de la proportionnalité de la décision est une vraie question mais elle n’est pas spécifique au principe de précaution, ni à aucun principe d’ailleurs. Assez souvent, on entend des décideurs publics qui disent « j’ai pris cette décision, au nom du principe de précaution » ; parfois on entend « en vertu du principe de précaution ». J’en viens au troisième point : innovation, risque et précaution. Tout d’abord ca a été dit par rapport à l’alimentation, et j’en suis heureux, c’est vrai qu’il faut quand même relire les grands anthropologues Marcel Moss, Claude Lévi-Strauss, rappelant que l’alimentation est un fait culturel total. Avoir des comportements alimentaires est une vision non zootechnicienne. Les comportements alimentaires humains sont des faits culturels complexes ce n’est pas une simple transposition des savoir-faire de la nutrition animale. On a beaucoup parlé de la peur, c’est peut-être une vision partielle car on sait que les théories des aversions, les

théories du dégoût, les théories du scandale enfin toute une série d’autres théories d’interprétation ne passent pas forcément par l’euristique de la peur et peuvent passer par une toute autre nature de registre. Il faut bien revoir la distinction entre innovation et invention. Une innovation, c’est une invention qui s'est révélée appropriée, dans les deux sens du terme, c’està-dire qu’elle s’est révélée utile à des gens qui l’utilisent de fait et les gens la considèrent comme souhaitable. Ce matin, on a parlé des difficultés d’appropriation des inventions, et que si on veut des vraies innovations, il faut que la société telle qu’elle est les adopte. On peut dire que la société n’est pas comme elle devrait être, les gens n’ont pas les comportements qu’ils devraient avoir, mais là on s’attaque, je dirais, à un assez sérieux problème. Deuxième point qui est parfois avancé, et en particulier dans les débats qui ont lieu de part et d’autre de l’Atlantique, c’est de présenter le principe de précaution comme le principe d’inversion de recherche de la preuve, c’est-à-dire qu’avec le principe de précaution, tant que vous n’êtes pas sûrs, vous interdisez l’innovation. Autrement dit, en rupture avec le principe du droit qui dirait que l'innovation est présumée innocente, c’est à ceux qui l’accusent de faire la preuve de son effet néfaste et on inverse le principe pour dire « tant que l’innovation n'a pas prouvé l'absence de risque on doit l’interdire ». Je dirais que d’une part c’est une ineptie intellectuelle, si on croit à la science, et si on la pratique, on reconnaît humblement que la science ne prouvera jamais l'absence de quelque chose. Le deuxième point c’est que le principe de précaution ne dit pas « si vous n’êtes pas sûrs, vous devez tout interdire » il dit « vous devez prendre des mesures ». Cela peut être des mesures d’information, des mesures de vigilance, des tas de mesures qui ne créent pas l’inversion de la charge de la preuve. Par contre ce que cela introduit, et je terminerai par ce point, c’est la notion de ce que j’appelle « l’innovation précautionneuse ». Si on a une invention et que l’on veut qu’elle aille jusqu’à l’innovation, il faut peut-être la conduire d’une manière un peu différente. Par exemple, cela veut dire se poser la question du changement d'échelle, et que entre le fait d’avoir vérifié l'innocuité d’une innovation sur un petit nombre de modèles animaux ou éventuellement sur une petite surface agricole ou que sais-je, il faut rompre avec le fait que si on donne son accord, c’est valable sur l’ensemble du territoire national, voire sur l’ensemble du territoire européen. Il faut se poser la question : n’y a-t-il pas des phénomènes qui vont survenir en situation de changement d'échelle progressifs ? Il faut donc avoir des possibilités de passer de l’évaluation a priori dans des situations classiques d’évaluation des risques, à une


montée en puissance progressive dans la diffusion des innovations. Ceci suppose de réfléchir à tous les dispositifs de vigilance qui vont permettre de détecter l’existence ou non de problèmes auxquels on n’avait pas pensé, qui est le deuxième volet de l’innovation précautionneuse. Il faut la sortir d’un dispositif de vigilance conçu a priori et conçu en partenariat avec tous les gens qui souhaiteraient pouvoir faire ce monitoring de l'innovation. Le dernier point, c’est le caractère provisoire, c’est-àdire avoir une réévaluation périodique en fonction des résultats qu’on aura obtenus sur la vigilance, sur l’apparition éventuelle de faits inadéquats. Et là je dirais je n’invente rien car d’une certaine manière dans le domaine du médicament humain toutes ces questions de retour sur expérience, de pharmacovigilance et de détection des faits que l’on n’avait pas prévu cela fait maintenant partie du savoir-faire des experts qui travaillent dans le domaine du médicament. Jusqu’à maintenant, et je terminerai sur ce point, j’avais tendance à dire pourquoi avez-vous peur ou pourquoi êtes-vous réticents à certaines innovations ? Parlons des OGM en quelques mots : finalement, ils sont évalués aussi bien que le sont les médicaments humains. Aujourd’hui, je n’ose plus dire cela. Il faut mettre honnêtement en avant ce que la science peut apporter, car il faut être conscient du fait que parmi les principaux défenseurs du principe de précaution, il y a toute une série de gens qui sont, non pas en rupture avec le positivisme, mais qui se rendent compte que la science d’aujourd’hui a perçu un certain nombre des limites de ce qu’elle pouvait apporter ou pas par rapport à ces questions d'évaluation des risques. Cela veut dire qu’effectivement, promouvoir la précaution ce n’est pas un discours anti-scientifique mais au contraire reconnaître ce qu’est la science d’aujourd’hui dans les sociétés et lui faire jouer un rôle qui n’est pas celui qu’elle avait essayé de prendre au XIXème c’est-à-dire remplacer la religion et les curés. Julien Damon Merci beaucoup pour cette très brillante intervention, en témoigne la chaleur des applaudissements, en illustration et en défense du principe de précaution, ainsi que sur les limites et l’utilité de la science, nous avons du temps pour juste une ou deux remarques du côté de l’accusation ou de la défense. Intervenant de la salle Après cet exposé, il est difficile d’attaquer le principe de précaution mais on peu s’interroger sur son application parce que le titre de l’intervention était quand même « Echanges mondiaux, santé animale et principe de précaution ». Dans la mesure où on applique le principe

de précaution sur notre production européenne, dont on a dit tout à l’heure qu’au niveau vétérinaire, on avait quelque chose d’assez harmonisé et uniforme, mais qui n’est pas le cas d’autres modes de production et de contraintes sanitaires, dans des pays émergents, voire aux Etats-Unis, puisqu’il n’y a pas les mêmes règles sanitaires, comment peut-on rendre compatible le libreéchange et ce principe de précaution en Europe ? Bernard Chevassus-au-Louis, docteur en sciences à l’Université Paris 11, inspecteur général de l’agriculture, ancien directeur général de l’INRA, membre du CGAAER Je souhaite évoquer trois points : tout d’abord, sommesnous, sur ces questions santé animale et humaine, dans le champ d’application du principe de précaution tel qu’il est mentionné ? D’autre part, si nous sommes dans ce champ, quelles sont les mesures qu’il convient de prendre et quelles actions faut-il entreprendre ? Enfin, troisième point, le principe de précaution est-il un obstacle à l'innovation ? Je rappelle tout d’abord que lorsqu’on parle des risques liés aux aspects santé, on parle de risques microbiologiques (bactéries, virus aussi), mais également des risques nutritionnels. Ce matin, ont été évoquées les questions de consommation de protéines animales mais également de surconsommation énergétique et donc d’obésité. Le sujet des risques toxicologiques liés à la présence dans les produits animaux de résidus, de contaminants divers et variés que ce soit des produits sanitaires, des produits de traitement des aliments, ou éventuellement des résidus de métaux lourds et autres toxiques, a été peu abordé mais il faut l’inclure dans cette problématique. Sommes-nous tout d’abord dans le d’application du principe de précaution ?

champ

La constitution française dit deux choses pour définir le champ d’application : tout d’abord on doit être en présence d’un dommage, dont la réalisation, en l'état des connaissances scientifiques, est incertaine, et d’autre part en présence d’un risque considéré comme grave et irréversible. Sommes-nous dans une situation d’incertitude ? J’aurais tendance à dire que dans de nombreux cas, le niveau de démonstration, d’administration de la preuve, quelle que soit la science qui est mobilisée, est effectivement à un niveau relativement faible. Si on prend l’épisode de l’ESB : on avait des données de type corrélation épidémiologique, sur des modèles animaux, des données de type expériences in-vitro mais jamais on a enfermé 1 million d'humains pour leur faire manger pendant 10 ans de la viande contaminée pour voir si effectivement cette maladie se transmettait. Vous savez peut-être que ce débat sur l’existence d’un troisième


facteur sous-jacent qui aurait déclenché à la fois la maladie bovine et la maladie humaine continue à être alimenté par certains scientifiques, ce qui veut dire que nous étions bien dans une situation où les connaissances scientifiques étaient incertaines. Vous savez aussi que sur toute une série de maladies à vecteurs, nos connaissances sur les insectes et les modes de transmission sont très imparfaites. Et puis, on l’a mentionné récemment, il y a également le débat sur l’effet des contaminants, par exemple les résidus des pesticides. Dès lors que l’on pose les questions de l’effet des très faibles doses, des effets sur le long terme ou des effets des mélanges, de nouvelles incertitudes apparaissent. Nous sommes donc tout à fait dans un domaine où l'incertitude est présente et, contrairement à ce qu’on peut penser, elle ne va faire que grandir. Il y a en effet un fossé croissant entre les progrès de la science dans le domaine de la détection de la présence de facteurs de risques éventuels, et les progrès de la science sur l'évaluation des risques liés à ces produits. Avec les méthodes de dosage aussi bien chimiques que microbiologiques, on est capable de détecter la présence de tout partout. Pour prendre un ordre de grandeur, vous mettez une goutte de n’importe quel produit dans une piscine olympique, vous mélangez bien et la chimie est aujourd’hui capable de détecter la présence de ce produit. Mais le gap entre la détection de présence, l'effet biologique éventuel et l’évaluation des risques qu’on pourra avoir, va plutôt avoir tendance à augmenter. Le champ de l’incertitude va augmenter avec les progrès de la science et non pas, contrairement à ce qu’on pourrait penser, se réduire. Sommes-nous en présence de risques graves et irréversibles ? Il est évident que les risques auxquels on pense et, en particulier, les risques liés aux zoonoses sont effectivement des risques graves. Sont-ils irréversibles ? Pas tout à fait mais ils entrent dans la catégorie de ce qu’on appelle les risques qui s’aggravent avec le temps. Autrement dit dans lequel le retard dans la prise de décision conduit à une augmentation de plus en plus forte des dommages potentiels. Ce qui veut dire que la question de prendre la décision aussi tôt que possible est tout à fait caractéristique de ces risques. Par contre, l’objection qui est souvent faite consiste à dire que nous ne sommes pas dans le champ du principe de précaution car il ne s’agit pas de dommages pour l'environnement, mais pour la santé. Assez fréquemment, le monde médical dit « le principe de précaution ne s’applique pas à la santé ». Le concept One health réunit l’ensemble des états sanitaires de l’homme, des animaux, des végétaux et des espèces sauvages animales ou végétales, et donc que cette distinction des dommages pour l’environnement et des

dommages pour la santé est à réviser dès lors qu’on introduit la notion de santé unique. Nous sommes en plein dans le domaine d’application de ce principe de précaution et pour longtemps. Les anglosaxons n’aiment pas les formulations longues, un principe doit se dire en une seule phrase. Je vous propose donc une formulation raccourcie du principe de précaution qui pourrait être « L'incertitude ne justifie pas l'inaction. » Quelles actions faut-il entreprendre ? En application du principe de précaution, les autorités publiques doivent veiller à deux choses : d’une part, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et, d’autre part, à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées. Sur le premier point, il n’y a donc pas une alternative entre la recherche et l’action. Ce que dit le principe de précaution, c’est qu’il faut faire les deux, c’est-à-dire qu’il faut faire évoluer l'incertitude et donc développer des recherches pour mieux caractériser et mesurer les risques. Cette idée de faire avancer les deux de front me semble une intuition assez bonne. Là où cela se corse, c’est sur la notion de mesures provisoires et proportionnées. Dès lors que l’on est en situation d’incertitude, il faut avoir des mesures que l’on pourra réviser. Cela veut dire par exemple que si l’on déclenche un moratoire, il faudra indiquer sur quelles bases on en sortira. Et proportionnées, c’est peut-être là toute la difficulté puisqu’on se demande à quoi ? Proportionnées à l'évaluation que l’on a du dommage potentiel ? au niveau d’incertitude ? Il y a donc effectivement tout un débat sur le risque de disproportions dans un certain nombre d’actions. Il est possible d’affirmer aujourd’hui, compte tenu de ce qu’on sait de l’épidémie liée à l’ESB, que les mesures qui ont été prises étaient disproportionnées, mais c’est toujours facile de le dire a posteriori. On l’a dit également à un certain moment concernant la vaccination vis-à-vis des problèmes de SRAS. Donc, effectivement, la question de la proportionnalité des mesures est centrale mais je dirais qu’elle n’est pas spécifique du principe de précaution. Si on est dans la situation où le risque est avéré, et donc dans une situation de principe de prévention, l’adage classique en France est de dire « Mieux vaut prévenir que guérir ». Autrement dit, il vaut mieux utiliser le principe de prévention, c’est à dire mettre en place toute une série de choses qui vont éviter le dommage plutôt que de le corriger a posteriori. Or, assez souvent il y a des gens qui disent qu’il y a un excès de prévention, notamment en terme de risques sanitaires pour l’alimentation scolaire ou aux risques que


l’on prend lorsqu’on installe des installations sportives dans les cours d’école. Autrement dit on surdimensionne la prévention par rapport au risque réel. La question de la proportionnalité de la décision est une vraie question mais elle n’est donc pas spécifique au principe de précaution, ni à aucun principe d’ailleurs. Assez souvent, on entend des décideurs publics qui disent « j’ai pris cette décision, au nom du principe de précaution » ; parfois on entend « en vertu du principe de précaution ». La vie simple si la seule évocation d’un principe suffisait à dicter la bonne décision à prendre ! J’en viens au troisième point : innovation, risque et précaution. Tout d’abord cela a été dit par rapport à l’alimentation, et j’en suis heureux, c’est vrai qu’il faut quand même relire les grands anthropologues Marcel Mauss, Claude Lévi-Strauss, rappelant que l’alimentation est un fait culturel total. Il faut donc éviter d’avoir vis-à-vis des comportements alimentairesune vision exclusivement « zootechnicienne » cherchant à « rationaliser » ou à « optimiser » l’alimentation. Les comportements alimentaires humains sont des faits culturels complexes et ce n’est pas une simple transposition des savoir-faire de la nutrition animale qui apporteront des solutions aux problèmes actuels. Par ailleurs, on a beaucoup parlé de la peur, du refus des risques mais c’est peut-être une vision partielle : les théories des aversions, les théories du dégoût, les théories du scandale sont d’autres cadres interprétatifs qu’il faudrait mobiliser pour ne pas se limiter à cette heuristique de la peur. Venons-en à la relation entre précaution et innovation. Il faut tout d’abord bien souligner la distinction entre innovation et invention. Une innovation, c’est une invention qui s'est révélée appropriée, dans les deux sens du terme, c’est-à-dire qu’elle s’est révélée utile à des gens qui l’utilisent de fait et que ces gens considèrent comme souhaitable. Ce matin, on a parlé des difficultés d’appropriation des inventions, alors que, si on veut des vraies innovations, il faut que la société, telle qu’elle est, les adopte. On peut dire que la société n’est pas comme elle devrait être, les gens n’ont pas les comportements qu’ils devraient avoir, mais là on s’attaque, je dirais, à un assez sérieux problème. Deuxième point qui est parfois avancé, et en particulier dans les débats qui ont lieu de part et d’autre de l’Atlantique, c’est de présenter le principe de précaution comme le principe d’inversion de la charge de la preuve, c’est-à-dire qu’avec le principe de précaution, tant que vous n’êtes pas sûrs, vous interdisez l’innovation. Autrement dit, en rupture avec un principe classique du droit qui poserait que l'innovation est « présumée innocente » et que c’est à ceux qui l’accusent de faire la preuve de son effet néfaste, on inverserait ce principe pour dire « tant que l’innovation n'a pas prouvé l'absence

de risque, on doit l’interdire ». Je dirais que, d’abord, c’est une ineptie intellectuelle : si on croit à la science, et si on la pratique, on reconnaît humblement que la science ne prouvera jamais l'absence de quelque chose. Le deuxième point c’est que le principe de précaution ne dit pas « si vous n’êtes pas sûrs, vous devez tout interdire » il dit « vous devez prendre des mesures ». Cela peut être des mesures d’information, des mesures de vigilance, des tas de mesures qui ne créent pas l’inversion de la charge de la preuve. Par contre, ce que cela introduit, et je terminerai par ce point, c’est la notion de ce que j’appelle « l’innovation précautionneuse ». Si on a une invention et que l’on veut qu’elle aille jusqu’à l’innovation, il faut peut-être la conduire d’une manière un peu différente. Par exemple, cela veut dire se poser la question du changement d'échelle :entre le fait d’avoir vérifié l'innocuité d’une innovation sur un petit nombre de modèles animaux ou éventuellement sur une petite surface agricole et le fait de donner une autorisation définitive et pour l’ensemble du territoire national, voire sur l’ensemble du territoire européen, il faut sans doute introduire un gradiant. Il faut se poser la question : n’y a-t-il pas des phénomènes qui vont survenir en situation de changement d'échelle progressifs ? Il faut donc avoir des possibilités de passer de l’évaluation a priori dans des situations classiques d’évaluation des risques, à une montée en puissance progressive dans la diffusion des innovations. Ceci suppose de réfléchir à tous les dispositifs de vigilance qui vont permettre de détecter l’existence ou non de problèmes auxquels on n’avait pas pensé, qui est le deuxième volet de l’innovation précautionneuse. Il faut donc l’assortir d’un dispositif de vigilance conçu a priori et en partenariat, avec tous les gens qui souhaiteraient pouvoir faire ce monitoring de l'innovation. Le dernier point, c’est le caractère provisoire, c’est-à-dire avoir une réévaluation périodique en fonction des résultats qu’on aura obtenus sur la vigilance, sur l’apparition éventuelle de faits inadéquats. Et là je dirais que je n’invente rien car d’une certaine manière, dans le domaine du médicament humain, toutes ces questions de retour sur expérience, de pharmacovigilance et de détection des faits que l’on n’avait pas prévu font maintenant partie du savoir-faire des experts. Je terminerai sur la question du rôle de la science, car on dit parfois que le principe de précaution traduit une critique, une défiance par rapport à la science. Pour moi, Il faut mettre honnêtement en avant ce que la science peut apporter, car il faut être conscient du fait que, parmi les principaux défenseurs du principe de précaution, il y a toute une série de gens qui sont, non pas en rupture avec le positivisme, mais qui se rendent compte que la science d’aujourd’hui a perçu un certain nombre de limites à ce qu’elle pouvait apporter par rapport à ces


questions d'évaluation des risques. Cela veut dire qu’effectivement, promouvoir la précaution ce n’est pas un discours anti-scientifique mais, au contraire, reconnaître ce qu’est la science d’aujourd’hui dans nos sociétés et lui faire jouer un rôle qui n’est pas celui qu’elle avait essayé de prendre au XIXème, c’est-à-dire remplacer la religion et les curés. Julien Damon Merci beaucoup pour cette très brillante intervention, en témoigne la chaleur des applaudissements, en illustration et en défense du principe de précaution, ainsi que sur les limites et l’utilité de la science, nous avons du temps pour juste une ou deux remarques du côté de l’accusation ou de la défense. Intervenant de la salle Après cet exposé, il est difficile d’attaquer le principe de précaution mais on peut s’interroger sur son application parce que le titre de l’intervention était quand même « Echanges mondiaux, santé animale et principe de précaution ». Dans la mesure où on applique le principe de précaution sur notre production européenne, dont on a dit tout à l’heure qu’au niveau vétérinaire, on avait quelque chose d’assez harmonisé et uniforme, mais qui n’est pas le cas d’autres modes de production et de contraintes sanitaires, dans des pays émergents, voire aux Etats-Unis, puisqu’il n’y a pas les mêmes règles sanitaires, comment peut-on rendre compatible le libreéchange et ce principe de précaution en Europe ?

appliqués pour le marché intérieur. La difficulté, c’est quand l’Europe dit vouloir déclencher le principe de précaution parce que nous estimons que tel produit pose un risque dans le domaine sanitaire. Nous avons signé aussi un accord qui dit que lorsque nous faisons cela, nous devons déposer un dossier, en tous cas montrer quels étaient les arguments que nous mettions en avant, et le faire en situation contradictoire, c’est-à-dire face à des pays qui disent que l’Europe a un recours injustifié à ces clauses de sauvegarde. On l’a vu par exemple pour les viandes aux anabolisants issues des Etats-Unis, pour lequel le panel des scientifiques qui a regardé les arguments Européens a dit vous n’avez pas le droit de dire que vous avez détecté des risques qui sont légitimes. Donc effectivement, on est dans une logique dans laquelle on a accepté un libre échange sur lequel, et je continue sur cet exemple, on peut avoir des tas de raisons de ne pas vouloir manger de viande aux anabolisants, qui peuvent ne pas être sanitaires mais qui peuvent être des raisons d’image du produit…Il n’empêche que, comme je le disais tout à l’heure, si on faisait un référendum en France, je suis à peu près persuadé que si on demandait aux gens s’ils étaient d’accord pour que l’on n’utilise pas d’anabolisants pour la production bovine, une grande majorité dirait qu’elle est d’accord. Mais ce résultat ne permettrait pas à la France de refuser l’importation de ces produits. On instrumentalise donc parfois ce principe de précaution pour tenter de justifier quelque chose qui a bien d’autres racines. Julien Damon

Bernard Chevassus-au-Louis Ce qui complique le débat, c’est que les capacités de recours au protectionnisme se sont beaucoup restreintes avec les accords de l’OMC, les accords de Marrakech. En effet, on y a dit que les seules raisons valables devant l’OMC d’interdire sur un territoire la rentrée d’un produit donné, c’est de lui trouver soit un risque sanitaire éventuel, soit un risque pour l’environnement du pays récipiendaire. Tous les autres recours du protectionnisme ne sont plus recevables. Cette focalisation sur les risques sanitaires est donc un peu liée à cela. Est-ce que des pays qui pratiquent le libreéchange ensemble ont le droit de revendiquer un niveau différent de maîtrise des risques sanitaires et environnementaux ? L'Europe l’a fait, puisqu’elle a dit que l’UE se porte garante d'un niveau élevé de sécurité sanitaire pour l'ensemble des produits et des citoyens européens. Elle s'y engage à travers ses dispositifs de contrôle, non seulement à assurer ce niveau élevé de sécurité sanitaire pour les produits fabriqués en Europe, mais aussi pour l’ensemble des produits qui vont pénétrer sur le territoire européen. Prenons l’exemple de l’agriculture biologique dont on dit que les standards appliqués pour l’importation seront les mêmes que ceux

On peut retenir deux formules, l’une pour la compétition des mots qui est « heuristique de la peur » et une autre plus originale et plus fondamentale, qui est véritablement je trouve une innovation, c’est cette idée d’une « innovation précautionneuse » qui est probablement, au-delà du futur du terme, quelque chose qui décrit bien l’équilibre. Bernard Chevassus-au-Louis Comme vous êtes de Sciences-Po, je rends hommage à l’inventeur de la formule : c’est Bruno Latour. Julien Damon En tout état de cause, vous avez même fait la transition avec la prochaine table ronde qui va porter sur la gouvernance. Vous avez fait la transition en insistant sur les questions de vigilance et pour le dire à la Sartre, on a « l’existence précède l’essence » mais vous c’est « la vigilance tient dans la gouvernance », je vous propose la conclusion de la table ronde avant qu’elle ait commencée.


Cette deuxième table ronde va porter sur l’organisation, les régulations pour l’organisation des politiques sanitaires, prévention de la guérison aussi, notamment parce que les questions des crises à l’échelle mondiale nous préoccupent. Pour commencer nous avons le grand plaisir d’accueillir le président de l’Académie de médecine Monsieur AndréLaurent Parodi pour nous proposer une toile de fond de ce dossier majeur. Table-ronde n°2 : La santé animale et humaine : quelle gouvernance et quelles perspectives ? André-Laurent Parodi, président de l’Académie de médecine, président honoraire de l’Académie vétérinaire, Directeur honoraire de l’Ecole vétérinaire d’Alfort. Nous sommes arrivés à un moment de cette réunion où beaucoup de choses ont été dites qu’il convient de valoriser pour entrer davantage dans le sujet que vous nous proposez. On a beaucoup parlé de maladies transmissibles de l’animal à l’homme, on a très naturellement évoqué tout au long de la matinée l’importance des animaux de production, ceux que nous élevons pour notre alimentation , mais on n’a pas parlé d’autres espèces animales qui interviennent cependant régulièrement, quelquefois gravement, dans la transmission de maladies de l’animal à homme. Je pense en particulier à celles que l’on appelle les espèces de compagnie, les animaux familiers, pour souligner le fait que le commerce illicite de ces espèces y compris des espèces sauvages, les « nouveaux animaux de compagnie » (singes, oiseaux, reptiles,…) est évalué à 50 milliards de dollars annuellement ce qui en fait le marché noir le plus important après le trafic des armes et celui de la drogue. Chacun sait que ces animaux sont souvent des animaux de capture, conservés et transportés illégalement et tout à fait aptes à transporter des agents pathogènes pour l’Homme. Dans le contrôle de ce risque sanitaire, les perspectives évoquées ce matin, d’une alliance entre le public et le privé. , la profession vétérinaire libérale se trouve au premier plan, directement aux côtés des services vétérinaiires, notamment aux frontières. Au nombre des espèces animales dont nous n’avons pas encore parlé il faut aussi compter avec la faune sauvage. C’est un ensemble potentiellement riche en 'agents pathogènes pour l'homme. On en connaît de nombreux exemples, qui illustrent tout particulièrement les liens existant entre les trois bases du trépied dont il a été question ce matin, dans l’analyse du concept « une seule santé », ces trois domaines qui se recouvrent largement : santé de l’homme, santé de l’animal et environnement.

Je ne citerai qu’un exemple qui me paraît particulièrement illustrant : c’est celui d’e la maladie causée par le virus Nipah. Ce virus de chauve-souris est apparu d’abord dans des élevages de porcs puis chez l’Homme, en Malaisie. Comment s’est-il propagé de son espèce hôte naturelle aux animaux domestiques puis à l’Homme ? Les épidémiologistes ont retracé son parcours qui s’inscrit dans les effets collatéraux d’une déforestation extrêmement brutale en vue de développer la culture du palmiste pour l’extraction de l'huile de palme. Cette déforestation a réduit fortement les territoires fréquentés par les chauves-souris. Celles-ci sont allées chercher ailleurs ce qu’on leur avait retiré et se sont rapprochées des villages attirées par les vergers. Porteuses du virus Nipah, elles ont contaminé les porcs d’élevages villageois et ceux-ci à leur tour, ont contaminé l'Homme, avec l’apparition d’encéphalites. Cette illustration, et il y en a bien d’autres encore, jette un éclairage particulier sur le rôle de la faune sauvage. En ce qui concerne la gouvernance, le directeur général de l’OIE, Bernard Vallat, a clairement situé ce matin les différents protagonistes. Ce sont les grands organismes institutionnels en charge de la santé, humaine, l’OMS, de la santé animale, l’OIE, Organisation mondiale de la santé animale, ainsi que la FAO, et la Banque mondiale ; c’est aussi l’UNICEF :. Parce que c’est me semble-t-il la toile de fond du débat que nous allons avoir, je vais simplement rappeler les points essentiels qui ont été évoqués ce matin. De manière à conduire une gouvernance qui soit à la fois éclairée, et efficace, il faut d’abord renforcer les systèmes d'alerte ; ceux-ci doivent constituer, un maillage à travers le monde qui soit compétent, capable à chaque instant de percevoir les prémisses essentielles des maladies. C’est aussi, dans le prolongement des moyens de surveillance, le renforcement des procédures de réaction. Il faut répondre rapidement à l'émergence d'un foyer infectieux potentiellement zoonotique pour le réduire. Les procédures d’éradication doivent prendre en compte leurs impacts sociaux, et économiques. Tout système de surveillance, tout système de contrôle, tout système de lutte contre les maladies dont nous parlons ce matin impliquent la mise à disposition de moyens.. La lutte contre les maladies animales a un coût. Elle passe très régulièrement par l'abattage des animaux : 25 millions de volailles ont été abattues en Extrême-Orient avec l’émergence de la grippe H1N1. Ces 25 millions de volailles détruites auraient dû conduire à l’indemnisation de leurs propriétaires ; la plupart des pays ne disposent pas de systèmes d’indemnisation. La conséquence, en est la dissimulation : on cache la maladie de manière à ne pas subir les foudres des services vétérinaires et donc l’abattage des animaux. Il faut renforcer la collaboration entre, services sanitaires publics et instances privées. Ces dernières recouvrent l’ensemble des professions qui gravitent autour des productions


animales et de la santé animale. Ce sont bien sûr les Ordres des vétérinaires, ces corps statutaires qui régissent la profession vétérinaire libérale ; ce sont aussi les éleveurs, et.leurs groupements. Bien évidemment, et j’en terminerai par là parce que c’est pour moi l’un des points les plus négligés et les moins bien connus, il faut que s’édifie véritablement un partenariat, un compagnonnage entre ceux qui ont pour mission l’innovation en matière de santé des différents secteurs concernés. Il faut favoriser davantage d’interpénétration entre la recherche vétérinaire et la recherche médicale. Force est de constater de grandes insuffisance dans cette alliance ; L’Europe a été un pionnier dans cette affaire avec le réseau MedVetNet laboratoire sans murs réunissant des centres de recherche humaine et des centres de recherche animale. Son action a été tout à fait remarquable mais n’a pas été poursuivie. Ce matin, il a été question, d’un autre point important, je veux parler du rôle de la culture. Je crois que la démarche dont il est question aujourd’hui ne sera pleinement efficace que lorsqu’une culture commune de la santé animale et de la santé de l’homme et de l’environnement sera réellement introduite et ce, le plus tôt possible, je veux dire dès la formation. Il est fort regrettable de constater le cloisonnement terriblement étanche qui persiste entre la formation des futurs vétérinaires et celle des futurs médecins, chacun évoluant dans son coin. J’allais presque dire, au risque d’apparaître comme quelque peu prétentieux pour ma profession, que nos jeunes vétérinaires sont mieux formés que ne le sont les futurs médecins à la notion de transmissibilité d’agents pathogènes de l’animal à l’Homme et du danger qui en résulte. Je suis très préoccupé, et mes collègues enseignants des facultés de médecine le sont aussi, de constater le peu de place qui est donné à ces enseignements, à celui des zoonoses en particulier,, dans la formation des jeunes médecins. Je reste convaincu qu’il s'agit là d'un obstacle sérieux à la bonne gouvernance dans ce domaine. Il existe cependant quelques innovations. J’ai lu récemment que le CIRALE a mis en place en Thaïlande un master sur l’enseignement des risques communs à l’Homme et à l’animal auxquels sont admis des vétérinaires, des médecins, ainsi tous les agents de la santé. Des actions de ce type doivent être favorisées. Etre sur les mêmes bancs, au moment où l’on est le plus réceptif à l’apport de connaissances et à la manière d’y répondre, est certainement un bon moyen de mieux se connaître et de prendre conscience des complémentarités entre les deux médecines et leurs acteurs. Julien Damon Monsieur Vallat qui va prendre la parole avait 5T mais si je peux me permettre de résumer votre propos et de tenter de le synthétiser ça tient en 5R. Il y a le R de

Réponse, il faut réagir, le R de Renforcement, notamment des systèmes d’alerte, le R de Ressources, il faut des moyens pour indemniser, le R de Réseau, réseaux de recherche, réseaux de formation, et il y a le R de Reconnaissance, reconnaissance des différences culturelles pour que l’on puisse avoir une voie sur laquelle travailler sur les mêmes bandes. 5R après 5T, il me semble que vous avez également ajouté le T de Trafic tout à l’heure. Monsieur Vallat, vous êtes également à la tête d’une organisation qui a des choses à dire sur la gouvernance. Bernard Vallat Santé animale et humaine, quelles gouvernances et quelles perspectives ? Je vais redétailler très rapidement le paysage mondial, régional, et national en matière de gouvernance autour de ce sujet, partant dans l’hypothèse que notre rencontre a pour objectif de faire émerger des recommandations pour améliorer les choses. Au niveau mondial, le message principal que je voudrais apporter c’est l’importance cruciale des organisations mondiales qui traitent de ces sujets et les rôles extrêmement importants qu'elles ont à jouer pour protéger la planète. Je commencerai par l’Organisation Mondiale de la Santé, et le règlement sanitaire international qui s’applique à tous ses membres et qui consiste à leur donner des obligations en matière de prévention et de surveillance de toutes les maladies auxquelles l’homme est sensible. Et comme je l’ai dit en introduction, plus de 100 pays encore ne se sont pas conformés aux obligations qu'ils ont pourtant votées, ceci est une urgence mondiale. L’Organisation Mondiale de la Santé Animale l’OIE, que je dirige a un objectif tout à fait équivalent dans le règne animal, et une obligation de coopérer avec l'OMS pour que les obligations qui s’appliquent au règne animal et à l’homme soient effectuées de la manière la mieux coordonnée possible et avec le rapport qualité-prix des investissements le plus favorable possible. Notre organisation dispose maintenant de normes de qualité pour les services vétérinaires que les pays membres se sont engagés à appliquer et bien entendu, des termes de solidarité internationale à l’égard des pays qui n'arrivent pas à se conformer pour des raisons économiques sont essentiels. La protection de la planète passe par la compréhension par les riches de l’utilité d'appuyer les pays pauvres dans la mise en œuvre des normes de qualité de leur système de prévention des risques sanitaires. Ceci est un message clé et le message que l’on cherche à véhiculer, c’est de faire figurer dans les priorités des organisations financières internationales et des donateurs bilatéraux les notions de réduction de la pauvreté, puisqu’elles ont un lien aussi sur la production agricole et sur la


production animale : on ne fait pas une bonne production animale sans des services vétérinaires efficaces. C’est aussi un sous-produit de cette politique de prévention des maladies. La FAO accompagne ces programmes du fait de son mandat pour la sécurité alimentaire et donc a un réseau mondial avec des bureaux nationaux qui sont capables en principe de mettre en œuvre des programmes d’appui, régionaux ou nationaux donc la FAO figure dans le tour de table. L’OMC a pour mission essentielle de protéger la sécurité sanitaire du commerce mondial des animaux, des produits ainsi que des végétaux. On parle de santé animale donc je me concentrerai dessus, la mission de l’OMC doit être confortée, il existe un accord spécifique dit SPS qui donne aussi aux membres de l’OMC des obligations en matière de sécurité sanitaire de leurs importations et bien entendu c’est aussi essentiel pour maintenir des flux de commerce mondiaux sécurisés indispensables aux plus de cent pays dans le monde qui n’ont pas de souveraineté alimentaire. Ceci est important pour la gouvernance mondiale, et doit se gérer en coordination avec les autres organisations internationales concernées. Cet aspect de gouvernance mondiale est essentiel. L’accord SPS est un des huit accords qui constituent le socle juridique des prérogatives de l’Organisation Mondiale du Commerce, il y en a sur la propriété intellectuelle etc... mais l’accord SPS traite des questions sanitaires. Il couvre la prévention des risques sanitaires liés aux échanges d’animaux et de leurs produits, et de végétaux. Cet accord a donné à trois organisations internationales la responsabilité de publier des normes afférentes à la sécurité du commerce pour l’OMC, à l’OIE pour les risques liées aux maladies animales, y compris celles transmissibles à l’homme, la convention internationale pour la protection des végétaux pour les risques sanitaires liés aux échanges de végétaux, et le Codex Alimentarius qui est cogéré par la FAO et l’OMS s’occupe quant à lui des risques liés aux aliments transformés. Cet accord permet à un pays membre de l’OMC qui n’est pas satisfait du comportement d’un de ses partenaires commerciaux de déclencher un contentieux au niveau de l’OMC qui peut conduire à des sanctions financières, notamment sur l’application des droits de douane. Lorsqu’il y a ce type de contentieux, dans le domaine des maladies animales et de la santé ce sont nos organisations qui sont appelées à fournir le contenu technique du contentieux et donc ont une influence déterminante sur le résultat. Ce mécanisme est essentiel pour perpétuer un commerce mondial à la fois fluide, qui permet de nourrir l’humanité, mais aussi avec une sécurité sanitaire appropriée lorsque les pays sont loyaux vis-à-vis de leurs engagements ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas. Puisqu’on parlait du principe de précaution tout à l’heure, c’est une vraie question à l’OMC parce que c’est un mot qui est honni

par un certain nombre de pays membres notamment de l’autre côté de l’Atlantique, et pour cela il existe des normes sur l’analyse de risques avec la partie évaluation de risques, la partie gestion de risques et la partie communication sur le risque qui ont fait l’objet également de textes normatifs qui sont utiles dans ce débat. En terme de gouvernance régionale, j’ai évoqué rapidement ce qu’a réussi à accomplir l’Union Européenne dans le domaine vétérinaire. Je dirai néanmoins que dans le domaine humain et médical, il ne s’est rien passé du tout, et que ce sont les politiques nationales qui continuent à s’appliquer. Il n’y a pas eu d'harmonisation européenne dans le domaine de la santé publique et il faudrait souhaiter qu'elle s’accélère pour le bénéfice de tous les pays membres. Il y a d’autres organisations régionales dans le monde mais compte tenu du temps imparti, je terminerai par la gouvernance nationale. Dans le domaine du contrôle et de la prévention des risques d’origine animale, et de la gestion de l’interface entre le risque animal, l’homme et l’environnement, il existe des normes relatives aux systèmes nationaux qui assurent la détection précoce et la réponse rapide face à un phénomène qui porte en lui le germe d’un désastre biologique qu’il soit d’origine naturelle ou intentionnelle. Le dispositif a fait l’objet de normes que tous les pays doivent appliquer et repose sur un maillage territorial vétérinaire dense et efficace, sur des partenariats bien clairs entre le monde de la production et les responsables de la prévention et de la réponse aux phénomènes sanitaires non désirables, sur l’existence d'une chaîne de commandement : la prévention et la lutte contre les épizooties peut s’apparenter au système de prévention des feux. Ainsi, il faut des casernes de pompiers et il faut les maintenir même quand il n’y a pas eu d’incendie récemment, on ne licencie pas les pompiers parce qu’il n’y a pas eu le feu. Il faut aussi des dispositifs de coordination entre les différents acteurs. C’est essentiel et ça relève de la responsabilité publique. Et je terminerai sur une remarque sur la construction communautaire. On disait qu’en Europe toute la législation vétérinaire a été harmonisée, c’est exact sauf un point : la législation communautaire ne donne pas aux états membres des obligations en matière de détails sur la surveillance des événements biologiques, sur le maintien des réseaux de surveillance et de leurs modalités de fonctionnement alors qu’ils existent au niveau mondial. Le vœu serait que Bruxelles travaille sur ces dispositifs, mais comme vous le savez en matière de gouvernance, il y a des visions extrêmement différentes entre les pays membres, il y en a qui ont gardé une culture de dispositifs publics, et d’autres qui ont une vision ultra-libérale, ils sont peu nombreux mais jusqu’à présent ils ont réussi à bloquer le dispositif. Mon


message est qu’il serait bien que l’Europe adopte les normes internationales en matière de surveillance. Julien Damon Monsieur Boireau, lorsque l’on dirige un laboratoire de santé animale, est-ce que l’on pense que la gouvernance du système est bonne et qu’est-ce que serait une bonne gouvernance, une gouvernance parfaite ? Pascal Boireau, directeur du laboratoire de Santé Animale de l’ANSES Merci beaucoup de me poser cette question, et de me permettre également d’introduire la recherche en santé animale dans cette évaluation de la gouvernance bien sûr puisque le produit de cette recherche appliquée aura des conséquences directes sur la gouvernance. Je vais essayer d’illustrer mon propos par un exemple par une maladie animale qui a touché notre secteur d’animaux domestiques. La domestication a été limitée à quelques espèces animales, ce qui est une sage décision si l’on suit le principe de précaution. Pourtant, force est de constater que les maladies infectieuses animales sont toujours le lourd fardeau pour la production animale au niveau global et sont une source problématique qui entrave la lutte contre le développement des maladies, contre le commerce et entraîne également des problèmes de santé publique récurrents. Il y a eu une période d’euphorie en santé animale et en recherche au niveau de la gouvernance dans la période des années 90. Le terme Santé animale n’existait plus en recherche parce qu’on considérait qu’en Europe, on avait soldé les grandes maladies animales. On l’a payé en 2001, le Royaume-Uni a payé le prix fort, 5 milliards pour la fièvre aphteuse. Ce qui a permis de remettre les pendules à l'heure : les maladies infectieuses animales sont toujours une charge pour le troupeau. En France, si nous prenons l’exemple de la fièvre catarrhale ovine qu’a soulevé le Ministre dans son propos introductif, cette dernière montre comment l’intégration de la recherche et de la gouvernance est fondamentale pour lutter contre une maladie animale qui touche notre troupeau. Je prends cette maladie car elle n’est pas zoonotique, elle rentre dans les 30% qui ne concernent pas l’homme directement et souvent on l’ignore. Pourtant, l’Etat a payé 1 million d’euros par semaine pendant trois ans pour cette maladie. Elle est apparue dans l’épicentre de Maastricht, révélateur pour l’Europe, elle a disséminé en 2006 pendant une période de six mois jusqu’au début de l’hiver, et elle a touché 5 ou 6 élevages dans l'Est de la France. C'était le début de la vague et vous voyez à partir de Maastricht le point qui s’agrandit progressivement. Et l’hiver, c’est une maladie tropicale qui n’a jamais existé en Europe, et qui est tombée sur des troupeaux naïfs. Alors effectivement au départ ça marche bien la fièvre catarrhale ovine, mais

elle s’arrête dans l'hiver. Et là, il y a eu une latence, une latence conduit à une absence de décision, on l’a vu avec le principe de précaution, mais une absence de décision est une décision. Et là, on a perdu beaucoup de temps en recherche parce qu’effectivement nous n’avons pas développé, en lien avec les partenaires publics privés les moyens de lutte. On a préparé un diagnostic d’identification, on a rationnalisé cette partie-là et on s’est dit c’est une maladie tropicale qui va être tuée naturellement par l’hiver, et effectivement en 2007 l’hiver est passé, mais au début de l’été, la maladie a pris toute son ampleur et a déferlé comme un tsunami en France. Et là, la sidération était totale parce qu’il fallait des moyens de lutte et que nous n’avions plus le temps de développer des vaccins avec les industriels, parce qu’il fallait avoir la bonne souche, la transmettre à l’industriel qui, lui allait faire le changement d’échelle d’où l’intérêt de travailler en coopération avec le gestionnaire qui va développer ce point-là tout à l’heure, et de permettre de mettre un barreau sanitaire d’animaux protégés. Malheureusement nous n’en avons pas eu le temps suite à la déferlante d’une troisième vague qui remontait du Sud, qui était elle liée à un problème de changement climatique et du vecteur qui s'était adapté à notre zone méditerranéenne et qui remontait naturellement d'Espagne. Vous voyez qu’ici à travers cette maladie, on a eu une période de latence, qui était très préjudiciable et pour laquelle on n’a pu développer que les méthodes d'identification. Pourtant, je conclurai mon propos en cinq temps : L'identification de l’agent pathogène est fondamentale et reste toujours en recherche une des parties les plus prégnantes et nécessaires pour transmettre une donnée fiable au gestionnaire, et c’est à partir de cette donnée fiable qu’il pourra travailler. On a beaucoup parlé de la Chine, je discutais avec le professeur Tsaï qui dirige le centre de contrôle des maladies animales en Chine il y a quelques semaines, et il me disait : ma principale mission est de collecter les informations. Mon problème en fait c’est d’avoir de bonnes informations du terrain venant de toute la Chine. D’où la nécessité d'avoir un niveau de laboratoire de très bonne qualité, des laboratoires de référence en première ligne pour identifier le pathogène. Ensuite, vous avez également la question de la recherche, qui se pose dans un contexte d’émergence de nouvelle maladie, mais qui ne pourra se concrétiser que dans un second temps : la réponse prendra quelques mois voire quelques années. La question de la recherche doit être posée très tôt dans l’émergence d’un agent pathogène mais il faut également anticiper sur le nécessaire délai qu'elle va mettre pour répondre à la question. Et on doit concevoir dès ce niveau les moyens de lutte et les moyens d'éradication.


Recherche et développement doivent être intimement liés. Il y a une nécessité d’isoler la souche, de la transmettre pour faire un changement d’échelle pour faire un bon vaccin à l'industriel. D’où la nécessité de travailler en réseau, en partenariat public-privé mais également de travailler en réseau avec les pays émergents qui ont affaire à un double défi. Ils ont le fardeau des anciennes maladies, celles du troupeau classique, ils doivent lutter contre mais ils ont également le fardeau des nouvelles maladies. La nécessité de travailler en réseau est fondamentale ; on a parlé du lait tout à l’heure qui était si important pour les bovins. Aujourd’hui en Chine, il y a eu une émergence dramatique de brucellose humaine - 150 000 cas l’an passé - ce qui a permis au ministre de la santé chinois de mettre en priorité numéro un la lutte contre la brucellose. La France, en tant que premier pays à avoir pu éradiquer la brucellose de son territoire, a été sollicitée pour faire un jumelage sur une aide structurelle pour lutter contre la brucellose en Chine. Il y a donc une réelle nécessité de travailler en réseau à différents niveaux, tant au niveau des pays bien sûr qu’à celui des structures ou du partenariat. Julien Damon Après les 5T et les 5R j’ai l’impression qu’il y a 5 I chez vous, c’est Identifier l’agent pathogène, Isoler la souche, Implémenter les solutions, Innover mais innover en terme d’organisation ceci afin de travailler en réseau, et le cinquième I c’est Internationaliser toujours davantage en la matière. Et je passe la parole, après la recherche publique, au secteur privé en vous demandant Pierre-Marie Borne ce que peut attendre le privé d’une bonne gouvernance et deuxième chose ce que peut apporter le privé à une bonne gouvernance. Pierre-Marie Borne, directeur zoonoses de CEVA Les questions posées ne sont pas des plus faciles. Il faut tout d’abord expliquer l’organisation et la structure du monde vétérinaire. Les différents laboratoires sont à la fois collègues et concurrents dans notre secteur d’activité. C’est un monde qui est très concentré, aujourd'hui les dix premiers laboratoires mondiaux représentent 80% de l'activité, ce taux est certainement surestimé car il sous- estime les grands acteurs nationaux en Inde et en Chine par exemple. Disons donc 10 laboratoires mondiaux et 75% de l’activité. Il y a 4 laboratoires français parmi le top 10, ce qui me permet de revenir à ce qui a été mentionné auparavant. A savoir, l’opportunité et la capacité que cela représente pour la France, grâce à la qualité de ces acteurs que sont les laboratoires privés pharmaceutiques ainsi que toutes les institutions de recherche, les agences et le réseau des écoles vétérinaires. Nous sommes donc dans

un monde très concentré qui génère de la valeur économique. La santé animale mondiale pèse environ 20 milliards de dollars. La santé mondiale humaine pèse 750 milliards de dollars. La santé animale représente donc d'un point de vue quantitatif environ 3 % de la valeur de l’activité de la santé humaine sans comptabiliser la partie publique de cette activité. Même, si ces 3% paraissent bien faibles, ils jouent un rôle qualitatif très important. Fort heureusement, notre secteur d’activité est soumis à une réglementation stricte et la gouvernance de ce secteur revêt un rôle primordial. Les acteurs privés agissent dans un cadre bien défini, que ce soit au niveau de la production des vaccins et des médicaments, de la production animale ainsi que de la mise en œuvre des traitements préventifs et curatifs. Traiter des maladies existantes ou émergentes nécessite des actions cohérentes, bien articulées entre les différents acteurs, et nous renvoie aussi au nécessaire principe de partenariat public/privé. Qu’est-ce que peut apporter le secteur privé ? Le secteur privé au sens large inclut tous les acteurs, vétérinaires, techniciens, industrie pharmaceutique notamment. Il est en fait nécessaire et certainement pas suffisant de développer un savoir–faire avec une approche cohérente, car ce sont bien souvent les compétences qui font défaut et non la capacité d’investissement. En effet, le contrôle des pathologies a un coût qui exprimé en pourcentage de valeur de la production varie assez peu de 0.5% à 3%, en fonction du secteur d’activité. Le ratio reste assez constant en rapport avec la valorisation de la production ; C’est le principe de l’indice Big Mac : le prix du vaccin change, mais le coût du vaccin ou du contrôle sanitaire est toujours à peu près en proportion avec la valeur de la production animale. La différence s’exprime donc par la capacité de mise en œuvre de cette vaccination, ce qui nécessite la mise place d’une chaîne de compétences faisant intervenir les différents acteurs du secteur privé et du secteur public. Ainsi une bonne gouvernance doit permettre la mise en œuvre de ces interactions. L’apport des différents acteurs doit s’inscrire dans leur domaine propre de légitimité par une contribution de leurs savoir-faire respectifs qu’ils soient industriels, producteurs, vétérinaires, techniciens, instituts et agences publiques, centre de recherches, nationaux et internationaux. L’émergence du virus Schmallenberg est un très bon exemple de bonne gouvernance pour l’évaluation, la compréhension du problème. Sous l’impulsion des acteurs publics et grâce à l’interactivité des différents pays touchés, (Allemagne , Benelux, Grande Bretagne, France) tous les acteurs, éleveurs, vétérinaires , agences publiques, centres de recherche, laboratoires de diagnostic, producteurs de vaccins et de diagnostics ont pu et su réagir rapidement profitant notamment de la précédente expérience de la


« Blue Tongue » de façon à identifier le risque, son évolution potentielle, son impact et envisager les mesures de contrôle afin que la question ne reste pas sans réponse ce qui peut être défini comme l’existence d’un problème. Pour les acteurs du secteur privé, notamment l’industrie pharmaceutique, la gouvernance doit permettre de connaitre et de réduire le niveau d’incertitude. Certes « L’incertitude ne justifie pas l’inaction » mais dans notre domaine d’activité commercial, le développement d’un vaccin par exemple nécessite des investissements conséquents en ressources et en temps, L’incertitude représente un point de contrainte majeur pour les acteurs privés alors qu’ils ont développé les compétences nécessaires à l’identification et optimisation du risque notamment dans les programmes de R&D.. La gouvernance permet justement de lever un certain nombre d’incertitudes tels que l'intérêt de contrôler telle pathologie, en France, mais aussi hors de France afin de limiter la diffusion, Je prendrai comme autre exemple la brucellose, une des principales pathologies zoonotiques mondiales avec la tuberculose bovine. Les vaccins efficaces existent depuis de nombreuses années mais il existe peu ou pas assez de producteurs dans les pays atteints. A l’heure actuelle, le nombre de cas humains en Chine est estimé à 170 000, le Moyen orient et l’Asie centrale sont aussi des régions à risque et la prévalence en Afrique intertropicale n’est même pas précisément définie Le coût d'une vaccination a été mesuré par l’Institut Tropical et de Santé Publique Suisse lors d’un programme en république de Mongolie, soit 0,5 euro cent intégrant le vaccin, l’acte vétérinaire, les tests etc. Ce coût est à mettre en rapport avec l’impact d'un cas humain de brucellose estimé à 6500 dollars dans les pays en voie de développement suivant différentes sources. La gouvernance sert donc à répondre à ces problématiques : Comment fait-on ? Comment mettre en œuvre l’effet de levier ? Les laboratoires privés sont peu nombreux, notamment ceux impliqués dans le développement et la production de vaccins. Pour supporter une intervention active et efficace, il serait opportun de développer le partenariat public-privé qui fonctionne très bien dans le domaine de la recherche et développement vers le domaine du développement des compétences en définissant une stratégie d’intervention. Julien Damon Vous savez que dans la salle, il y a à la fois des experts issus de l’Agro et des Véto mais vous avez également des gens qui sont un peu plus néophytes. Dans la petite note préparatoire que vous m’avez fait passer, il y a une phrase, qui est peut-être célèbre dans votre milieu, mais qui moi m’épate c’est « vacciner c’est abdiquer ». Pierre-Marie Borne

C’était une des phrases que citait mon professeur, le professeur Joubert à l’école vétérinaire de Lyon. Elle signifie juste que la vaccination doit être considérée comme un des outils de contrôle, que l’analyse en amont est primordiale, définissant le risque, les facteurs influençant, les différentes méthodes de contrôle avec leurs avantages et leurs limites. Julien Damon Très bien, merci à vous. Monsieur Boireau va faire un appel à une campagne de vaccination. Pascal Boireau, directeur du Laboratoire de Santé Animale de l’ANSES Je souhaite revenir sur vacciner et abdiquer. La vaccination est un objectif très important au niveau de la R&D pour développer de nouvelles mesures vaccinales. Il y en a de très belles qui sont développées à l’heure actuelle pour une maladie qui est classée en 1 sur le site de la FAO depuis des semaines, qui est la Cysticercose puisque c’est la cause principale d’épilepsie au niveau mondial liée à un parasite transmis par le cochon et également par les mains sales, malheureusement. La vaccination permet aujourd’hui de donner un outil fondamental pour éradiquer cette maladie, et la fondation Bill Gates à l’heure actuelle a investi quelques millions de dollars au niveau du Pérou pour éradiquer cette maladie dans la partie Nord. On espère qu’il y aura d’autres actions, EuropAid en particulier au niveau de Madagascar en recherche et application sur le terrain pour cette éradication par exemple. Julien Damon Votre exemple citant la fondation Bill Gates est aussi une illustration des coopérations entre le public et le privé. Après avoir évoqué les institutions internationales, la recherche, le privé, on va passer la parole à l’Etat. Nous avons le plaisir d’accueillir un sous-directeur à la direction générale de l’alimentation pour recevoir ses observations et ses présentations sur ce que sont aujourd’hui les contenus de la gouvernance nationale et européenne sur les affaires qui nous occupent. Loïc Evain, sous-directeur en charge des affaires sanitaires européennes et internationales à la direction générale de l’alimentation La Direction générale de l’Alimentation est, comme certains le savent, chargée de la réglementation et du contrôle de la chaîne alimentaire. Réglementation à Paris et contrôles sur le terrain à travers les directions départementales de la protection des populations et les directions régionales de l’agriculture. On a, en France, un système organisé de sécurité sanitaire qui fait d’ailleurs


beaucoup d’envieux. On nous demande beaucoup notre expérience et notre coopération. . Je voudrais intervenir en trois points : parler de notre organisation au niveau national, de notre rôle, parler aussi d’Europe bien sûr puisque la réglementation sanitaire est quasiment intégralement harmonisée au niveau européen et puis parler d’international parce que il y a des conséquences importantes notamment en terme de commerce international. Notre organisation a beaucoup évolué à la suite des crises ; la crise de la vache folle qui a déjà été évoquée, le Big Bang de 96 et les décisions qui en ont découlé, notamment une décision importante qui a été prise en France, et la France a fait école auprès de ses partenaires européens, et de certains pays tiers : c’est la séparation entre l’évaluation du risque sanitaire, confiée à des agences ; Pascal Boireau représente ici l’Anses, et la gestion du risque qui est l’affaire du politique et de l’administration. On a en France des atouts que l’on fait valoir dans nos relations avec les pays tiers en particulier. L’organisation centralisée et une approche intégrée de la sécurité sanitaire sont les atouts majeurs. Centralisée parce qu’on a une chaîne de commande unique entre une administration à Paris et des services sur le terrain. Les réformes qui sont en cours ou annoncées par le gouvernement sur la décentralisation ne toucheront pas la sécurité sanitaire. Le ministre a rappelé tout à l’heure que c’est une mission régalienne et qu’il n’est pas question de modifier cette organisation centralisée. Le deuxième point important c’est l’approche intégrée. Vous savez, le principe « de la fourche à la fourchette » ou « de l’étable à la table » qui est particulièrement judicieux pour maîtriser des risques sanitaires qui peuvent naître en production primaire et se révéler à la consommation. On le voit pour les salmonelles, les listeria, bien sûr pour la vache folle, qui a trouvé son origine dans l’alimentation animale. Il y a aussi un rapprochement qu’on est en train d’opérer, entre monde végétal et monde animal. La crise des graines germées qu’on a eue à gérer en Allemagne et aussi un peu en France en 2011, qui étaient liées à des graines de fenugrec importées d’Egypte, n’était pas très différente des crises liées à des steaks hachés contaminés eux aussi par Escherichia Coli. D’où l’importance de cette approche globale de la sécurité sanitaire. L’actualité de la DGAL c’est la refonte de notre organisation dans le sens de l’intégration animal-végétal, avec une gouvernance sanitaire qui est en train d’évoluer. Des textes qui ont été publiés en juillet 2012 qui auront notamment pour intérêt de fixer des priorités de lutte contre les maladies, en relation avec les organisations professionnelles : les éleveurs,

agriculteurs, les vétérinaires. Nous allons hiérarchiser les pathogènes avec l’aide de l’Anses. Nous allons également déléguer certaines missions dans le cadre de responsabilités bien réparties entre l’Etat et les vétérinaires du terrain par exemple et aussi les éleveurs, l'Etat devant assurer la supervision de l’exécution de ces tâches de façon très sérieuse. Il y a également la surveillance, on en a beaucoup parlé tout à l’heure, on a mis en place il y a un an avec l’Anses et les autres partenaires, les éleveurs, les vétérinaires, une plateforme d'épidémiosurveillance, qui doit nous permettre de détecter les signaux faibles et d’avoir les réactions appropriées pour maîtriser des risques sanitaires que l’on a pas forcément prévus. Je parlais des graines germées tout à l’heure, il y a aussi les virus de Schmallenberg fin 2011 ou de la FCO en 2007, il faut s'attendre avec la mondialisation des échanges, avec le réchauffement climatique, à l'émergence de nouvelles maladies et il faut absolument s'y préparer. L’Europe aussi est en train d’évoluer, puisque la Commission européenne prépare une réforme en profondeur de la législation de la santé animale, ce qu’on appelle la future loi de santé animale, on attend des propositions pour le début de l’année prochaine. On va également au niveau européen réformer la législation sur les médicaments vétérinaires. On parle beaucoup de l’approche raisonnée de l’utilisation des antibiotiques, c’est un sujet important de santé publique. Il y a également une refonte à Bruxelles de la réglementation sur les contrôles officiels, et je pense qu’on aura, comme Bernard Vallat l’a souhaité tout à l’heure, une évolution de la réglementation en matière de surveillance. On aura des obligations de surveillance des maladies, des obligations relatives à la biosécurité des élevages qui manque un peu aujourd’hui. Parce qu’on ne peut pas mettre le même niveau d’argent public, qu’il soit national ou européen, dans la lutte contre tous les pathogènes, la future législation européenne priorisera et hiérarchisera les dangers de façon à adapter l’action publique en conséquence. Un petit point de vigilance néanmoins pour l’Europe, c’est que cette nouvelle législation sera faite en application du traité de Lisbonne, qui donne beaucoup de pouvoir à la Commission. On craint que pour adopter les mesures d’application de cette loi de santé animale, les Etats membres aient moins voix au chapitre donc il faudra qu’on soit vigilants. Enfin, au niveau international, je vais simplement citer trois points : la coopération, la normalisation et un dernier point qui est extrêmement important c’est la réciprocité. Coopération à plusieurs étages et là évidemment on soutient les initiatives des trois organisations internationales dans l’approche Une seule santé qui a été évoquée par Bernard Vallat tout à l’heure. On fait également de la coopération bilatérale, Pascal Boireau a évoqué la coopération avec la Chine sur la brucellose.


On a une demande vraiment très forte de la part des pays en développement à laquelle il faut pouvoir répondre. Aider les pays moins avancés à se protéger, c’est nous aider à mieux nous protéger puisque avec la mondialisation, il y a partout des risques accrus d’introduction de pathogènes indésirables. On s’appuie pour ces programmes de coopération bilatérale sur FVI France Vétérinaire International, qui est un GIP que certains connaissent peut-être. On travaille aussi sur une coopération en réseau avec les pays de la Méditerranée dans le cadre du REMESA Deuxième point, la normalisation. On a parlé tout à l’heure de l’OMC, de l’accord SPS et du commerce mondial. Il est évidemment très important pour faciliter le commerce, tout en garantissant la sécurité sanitaire des produits échangés, de rapprocher les réglementations, et c’est le rôle des instances internationales l’OIE, le codex alimentarius, la convention pour la protection des végétaux qui ont été évoquées précédemment. Une des conditions pour que ça marche, c’est la transparence. Il faut notifier les cas de maladies qui émergent comme Schmallenberg, la fièvre catarrhale, Newcastle, l’influenza aviaire faiblement pathogène…On a parlé de grippe aviaire tout à l’heure. J’insiste là-dessus parce que pour l’influenza aviaire faiblement pathogène, on notifie de bonne foi et malheureusement on offre à certains pays qui sont parfois un peu protectionnistes, des prétextes pour la fermeture de leurs frontières. Il faut quand même savoir qu’on a eu quelques foyers, un, deux élevages touchés par l’influenza aviaire faiblement pathogène il y a deux ou trois ans, résolus très rapidement, et les exportations françaises sont encore restreintes pour Taïwan ou la Chine par exemple. Il faudrait éviter de se pénaliser en notifiant mais d’un autre côté, il y a une obligation de transparence qu’on doit absolument respecter. Peut-être faudrait-il revoir les règles et les adapter pour l’influenza faiblement pathogène ? Bien entendu, il faut être présent à l’international à travers l’Union Européenne puisqu’on a des compétences harmonisées. La troisième idée est celle de la réciprocité. La difficulté, c’est qu’on voit que certains représentants participent et votent les normes internationales pour les oublier dès qu’ils rentrent chez eux. Il faut savoir qu’on a toujours aujourd’hui en 2012, alors que l’OIE a reconnu à la France et à la plupart des pays membres de l’Union Européenne le statut de pays à risque maitrisé au regard de la vache folle, on a toujours des embargos sur la Chine, le Japon, la Corée, les EtatsUnis même qui ferment leur porte à la viande et aux bovins vivants. Ce n’est pas acceptable donc il faut qu’on ne se laisse pas marcher sur les pieds et que l’Union Européenne soit peut-être plus forte à Genève, à l’OMC, pour défendre les intérêts exportateurs de l’Union. On parlait du Brésil et des importations de volaille qui ne respectent sans doute pas les mêmes règles sanitaires que l’Union Européenne et qui ne respecte pas non plus

notre réglementation sur le bien-être des animaux. On en arrive parfois à la double peine, c’est-à-dire laisser rentrer en France des produits moins exigeants venant de pays qui ne nous ouvrent même pas leur marché ! On a vraiment une attention très forte à avoir à Bruxelles et à Genève et surtout oublier d'être naïf, parce que malheureusement on constate que la Commission quand d’une part elle discute d’importations avec les pays fournisseurs et quand d’autre part elle défend les intérêts exportateurs de l’Union Européenne auprès des mêmes pays-tiers, elle ne fait pas toujours le rapprochement entre les deux ce qui est quand même un peu gênant. Pierre-Henri Multon, de la salle Je me pose une petite question à l’issue de tous ces débats. On a parlé du rôle de l’Etat, de la réglementation, des laboratoires de recherche, des industriels, des médecins, des vétérinaires, est-ce qu’il ne manque pas un acteur essentiel quand on parle de gouvernance qui serait le consommateur ? Moi j’ai tendance à penser que l’individu reste le premier responsable de sa propre santé en faisant un minimum d’activité physique, en fumant moins, en évitant les drogues etc… mais également en faisant attention à ce qu’il mange, et donc quelle place donne-t-on à l’éducation du consommateur, et est-ce que l’éducation justement ne serait pas un moyen de vaincre cette peur dont on a parlé. Mme Clusel a beaucoup parlé de peur tout à l’heure, et également de bien informer le consommateur sur les différentes qualités entre les produits qui viendraient par exemple du Brésil et ceux qui respectent les normes réglementaires européennes ? Intervenant de la salle Oui, lorsque j’ai été à la FAO et à l’OMS, le grand problème était les moyens financiers. Lorsque j’ai été à la Banque Mondiale, j’ai eu un problème de coordination avec des organisations internationales techniques. Fort heureusement, de plus en plus, la coordination s’est faite au niveau international, et cela a eu des conséquences remarquables. Par contre, nous avons constaté qu’au niveau national, des problèmes de coordination, notamment interministériels étaient beaucoup plus difficiles, et j’en ai pour preuve la difficulté de maîtriser la chaîne alimentaire lorsqu’il y a à peu près une dizaine de ministères. Le problème avec la plupart des pays en voie de développement c’est la priorité dans les priorités c’est-à-dire qu’il est fort difficile d’arriver à satisfaire toutes les priorités. Fort heureusement il y a le privé qui vient en appui du secteur public et il y a également l’importance de plus en plus grande de la société civile qui est représentée par les Universités, les Académies, les ONG, et je pense que ceci est extrêmement important, car il faut beaucoup d’acteurs pour arriver à une solution de gouvernance. Intervenant de la salle


Simplement une remarque sur les difficultés actuelles de la recherche. Au niveau du groupe international de la recherche agronomique qui est multi-donateurs, on reconnaît qu’il y a à peu près 40% de la valeur ajoutée du secteur agricole qui provient de l’élevage. D’autre part, on constate que 10 à 15% des investissements en matière de recherche sont consacrées à l’élevage, cherchez l’erreur.

d’expertise qui sont mis à la disponibilité du grand public. Notamment, pour les voyageurs qui veulent goûter des mets différents dans certains pays, il y a un certain nombre de fiches techniques qui leur sont proposées, les mettant en garde des risques pour lesquels ils sont invités à prendre le principe de précaution avant de consommer et de goûter. Sont également disponibles un certain nombre d'informations sur les maladies nouvelles qui touchent le secteur animal.

Julien Damon Pierre-Marie Borne On va commencer par une réponse, et chacun avec sa réponse aura une conclusion à cette table ronde sur la recherche. Pascal Boireau Le coût de la maladie animale était de un milliard d’euros pour la France, multiplié par le nombre d’Etats-membres, et le coût je dirais de retours de la recherche est d’environ deux millions, pour permettre le diagnostic, l’identification, la bonne souche pour le vaccin et la lutte contre la maladie. On voit les deux poids deux mesures, entre gérer, dédommager l'éleveur parce qu’il n’y a pas de produit disponible pour lutter contre la maladie, et l'investissement qui est fait. L'investissement également en structures fortes de sécurité est heureusement à l’ordre du jour en Europe, y compris en France puisqu’on a la chance de pouvoir construire sur le campus de Maisons-Alfort pour la santé animale une nouvelle plateforme d’infectiologie de haute sécurité, pour les grandes maladies animales touchant l’homme. Il en existe en Allemagne, il en existe au Royaume-Uni à l’heure actuelle en construction. C’est une grande chance pour la recherche et il faut à tout pris espérer que les réductions annoncées ne pénalisent pas ce secteur compte tenu du coût à gagner, à lutter, à anticiper contre les maladies animales. Il y a des outils qui permettent d’anticiper aujourd’hui, ils ont besoin d’investissement. C’est bien beau de voir passer le train, d’identifier que le train est en train de passer, c’est bien mieux d’identifier avant que le train n'arrive avec sa déferlante de catastrophes qu’on a eue. On a parlé du Schmallenberg, il a défilé en six mois, il a traversé Maastricht à Madrid en six mois. Ca ne nous laisse pas beaucoup le temps de réagir dans ces conditions, donc il est fondamental pour des maladies exotiques, qui circulent du nord vers le sud en utilisant tous nos transports. J’en reviens « aux T », il est indispensable d’investir pour éviter que le train de ces maladies ne défile trop vite et ne pèse trop lourd sur l’économie agricole. Je souhaite également juste revenir très brièvement sur l’aspect information du grand public. L'ANSES édite des fiches techniques pour le consommateur qui viennent à la fois de ses laboratoires de référence et de ses comités

Aujourd’hui, le top 10 des l’industrie pharmaceutique vétérinaire mondiale investit un en moyenne 9 % du chiffre d’affaire en R&D, ce qui est un très bon ratio, légèrement inferieur à celui du secteur de la santé humaine, mais largement supérieur à la moyenne.. Il est important d’élargir les domaines de recherche et d'application de cette recherche. On a parlé de l’impact des maladies, que ce soit la fièvre aphteuse ou d’autres pathologies, SRAS ou grippe aviaire, leurs impacts se comptent en milliards d’euros. D’autre part, comme j’en discutais un professeur de pharmaco-économie les compétences et méthodologies développée dans ce domaine en santé humaine pourrait être appliquées en santé animale et plus spécifiquement pour les zoonoses. Le transfert de compétence interdisciplinaire s’inscrit pleinement dans l’approche « Une Santé ». Julien Damon Sur la question de la coordination internationale et les problématiques de coordination nationale ? Loïc Evain On est entre les mains de l’Europe, s’agissant des barrières au commerce, c’est parfaitement clair. Les embargos dont je vous parlais tout à l’heure qui sont parfaitement injustifiés, et qui ne peuvent être véritablement combattus que si la Commission défère le pays en question à l’OMC. Après, on rejoint la convergence des intérêts commerciaux des 27 Etats membres qui composent l’Union Européenne : des services à l’agriculture, vous voyez c’est jamais très simple. Quoi qu’il en soit, l’expérience me fait dire quand même que la Commission est assez peu réactive, et assez peu offensive. Je voulais faire un commentaire sur l’information. Effectivement, l’information du consommateur sur l’origine des produits qui sont importés ; sachant qu’après il y a une question d’arbitrage aussi : est-ce que la viande brésilienne, susceptible de provenir des vaches qui ne respectent pas les normes de bien-être, utilisent peut-être des substances interdites dans l’Union


Européenne, si au final au supermarché elle est beaucoup moins chère que la viande qui a la même dénomination « viande de poulet, viande de dinde » française, ou européenne, quel sera l’arbitrage du consommateur ? Souvent, on connaît la réponse et on la connaît d’autant plus en situation de crise. Moi je voulais plutôt parler de l’information du consommateur mais aussi plus difficilement sur une information à vocation sanitaire : par exemple, je me souviens on a eu à gérer une crise assez grave à la fin de l’année 2005, d’enfants qui avaient été atteints d’Escherichia Coli O26. Cette fois, ce n’est pas le O157/H7, lié à la consommation de camembert au lait cru. Il s’était avéré que ces très jeunes enfants (3 ou 4 ans), avaient mangé du fromage au lait cru. Est-ce qu’il est bien raisonnable de donner ce type de fromages à des enfants aussi jeunes ? Et là, on retombe sur les difficultés du message sanitaire. Evidemment quand on a fait des réunions de crise après avec des professionnels, ils nous disent qu’il faut communiquer sur les risques pour le jeune enfant. Mais cela veut dire également détourner les parents, la famille etc. des produits donc c’est quelque chose qui est très difficile. C’est souvent tabou et on a du mal à utiliser la communication comme véritable vecteur de l’information sanitaire. Bernard Vallat Dans mes fonctions je suis un témoin privilégié de la défense des intérêts des pays membres de l’Union Européenne face aux embargos injustifiés dont ils font l’objet. Ce qu’on peut dire c’est que l’Union Européenne, qui a le monopole de la défense de ces intérêts, est inefficace puisque face à tous ces embargos injustifiés, il n’y a jamais eu un seul contentieux dans ce domaine qui a été provoqué par les services de la Commission. Je voudrais aussi en tant que témoin privilégié dire que, en ce qui concerne les appuis de la France en matière de coopération sanitaire aux pays en développement, la France est très loin derrière ses principaux partenaires européens en terme de volume des actions de coopération consentis. Je pense à des pays comme l’Allemagne, le Royaume-Uni, et même l’Italie. Je crois que les intérêts de la France voudraient qu’un effort plus important soit fait dans ce domaine. Je voudrais dire la même chose en matière de recherche Il y a un décalage important en matière de crédits de recherche attribués à la santé animale en France par rapport à presque tous les pays de l'OCDE. Et là, il y a un déficit très inquiétant, en matière de contributions publiques à la recherche en santé animale. Le même problème a trait au partenariat public-privé dans le domaine de la recherche. Les multinationales ont des réticences à investir pour mettre au point certains vaccins dont ils n'ont pas la sécurité en terme de rentabilité par rapport à l'investissement, et on sait que la

solution c’est qu’il y ait une contribution publique aux efforts de recherche dans le concept de bien public, ceci n’est pas mis en œuvre, non seulement en France mais également en Europe. Il y aurait je crois une recommandation à faire dans ce sens. Enfin, l’information du consommateur, qui a été évoquée, il existe un programme national qui est actuellement mis en œuvre par 13 ministères, programme national alimentaire qui est coordonné par la DGAL. Je crois que c’est un cadre très intéressant pour traiter de ce sujet puisque la relation avec le consommateur est évidemment au cœur de ce programme. Julien Damon Monsieur Parodi, vous avez brossé le tableau, et maintenant vous avez droit au dernier mot. André-Laurent Parodi Merci. C’est beaucoup d’honneur. Je pense effectivement que cette dernière table ronde a fourni un bon éclairage de ce que sont les différentes instances de gouvernance pour le sujet qui nous intéresse aujourd’hui. Je n’y reviendrai pas ; nous avons bénéficié d’exposés parfaitement clairs sur les différents acteurs de cette gouvernance, qu’ils soient nationaux, communautaires, ou internationaux. A travers ce qui a été dit, il m’est apparu que, finalement, dans ce concept qui nous a réuni aujourd’hui, « Un seul monde, une seule santé », au cours des 20 dernières années nous avons assisté à une prise de conscience sur la réalité du risque sanitaire d’origine animale, d’origine alimentaire, sur ce qu’était le caractère quasiment inéluctable de sa globalisation, c’est-à-dire son extension rapidement, inexorablement, à l’ensemble de la planète, et donc de la nécessité absolue de la mise en place d'un maillage, d’un réseau de vigilance et d'action. Comme dans beaucoup de systèmes en réseau, c’est le maillon faible qui porte la responsabilité essentielle de l'échec. En la matière, le maillon faible ce sont, bien sûr, les conditions économiques et financières indispensables. Mais je reviens aussi, et vous me le pardonnerez, c’est un peu ma culture, sur le facteur humain. Il est certain que quelque soit la performance, quelques soient les moyens mis en œuvre pour assurer sa pertinence et son efficacité, ce réseau est animé par des hommes et des femmes, qui en sont les acteurs. Et qu’en définitive, il me semble que son efficacité, dans le futur immédiat, repose sur la formation. Nous avons entendu tout à l’heure, Bernard Vallat dans la présentation initiale qu’il a faite, nous dire combien l’organisme qu’il dirige a bien perçu cette notion, et comment se met en œuvre tout un système qui va dans le sens de l'amélioration de la performance des acteurs et en particulier des services vétérinaires. Ceci se fait à


travers des mesures d’accompagnement et également de contrôle et de surveillance. Ce sont les actions lancées à travers des réunions de doyens qui ont lieu chaque année sous l'égide de l'Organisation Mondiale de la Santé Animale, de manière à promouvoir une élévation commune du niveau de performance des professionnels. Il demeure encore des lacunes à combler mais, à titre personnel, j’accorderais une importance toute particulière à la formation. Et bien sûr, immédiatement en parallèle, à la communication entre les grands acteurs de la santé, santé publique humaine, santé publique animale,. Elle reste à améliorer.. Tout à l’heure, quelqu’un a rappelé la réflexion d’un représentant de l’Institut de Veille Sanitaire, qui se posait la question de savoir ce qu’étaient les zoonoses ; ça nous paraît impensable mais ce n’est qu’une expression de l’insuffisance de communication entre les médecines y compris à ce niveau..C’est la démonstration de l'importance stratégique que revêt cette communication en terme de santé publique. C’est dans ce sens que cette table ronde a œuvré. Je suis assuré que ce message a été entendu et que chacun, à son niveau social et professionnel, contribuera à le diffuser. A ce titre je remercie et j’adresse mes vifs compliments aux organisateurs et à chacun des intervenants. Julien Damon Merci à vous pour cette excellente table ronde, nous avons maintenant un moment de synthèse par Jacques Brulhet avant l’intervention du président Larcher. Je note tout de même que votre invitation à la communication des médecines, c’est aussi le rôle de ce type de journées que de voir les gens de culture différente discuter de sujets sur lesquels ils ne sont pas immédiatement appelés à travailler ensemble a priori mais on voit combien c’est important. Synthèse Jacques Brulhet, vice-président de l’Association des anciens élèves et amis de l’Ecole vétérinaire d’Alfort et du Réseau santé vétérinaire publique Je suis bien sûr très heureux d’essayer de faire une synthèse de cette matinée ; ce n’est pas le travail le plus facile. D’abord peut-être un mot de remerciement aux intervenants des tables rondes et de ceux qui ont participé à ce colloque et puis à tous les organisateurs. Ce fut un travail de longue haleine, de plusieurs mois et donc je tiens à saluer ici ce travail d’équipe, car j’en ai été l’un des instigateurs.

Comme beaucoup d’entre vous, je pense que vous participez à beaucoup de colloques, de réunions comme cela et ce que j’aime bien c’est qu’à la fin de ces colloques on se sent un peu plus plus intelligent. C’est l’impression que j’ai ressentie aujourd’hui. J’ai vu que beaucoup de notes étaient prises, j’ai vu beaucoup d’interpellations sur des sujets compliqués. L’intérêt majeur que nous avons eu en organisant ce colloque c’était d’essayer de jouer sur les deux tableaux : la dimension sanitaire, plus classiquement vétérinaire fut l’objet de la deuxième table ronde, très technique, et puis la dimension des protéines animales, de la consommation de viande, qui est un sujet très compliqué objet de la première partie de matinée. Je pense que c’est tout l’intérêt de ce colloque que de mettre ces deux problèmes face à face. La première table ronde, c’était toute la difficulté de l’équation entre la demande croissante en protéines animales, la difficulté des productions, ses limites techniques, les équilibres environnementaux, et puis l’impact des questions sanitaires. Ce que j’ai noté en plus par rapport à ce que je savais de ces questions, c’est d’abord l’importance des dimensions culturelles, anthropologiques et historiques, qui ont été soulignées dans de nombreuses présentations. On aurait presque pu mettre en plus à la table ronde un expert anthropologue parce que je crois que cela doit être un volet extrêmement important de la réflexion à venir.. J’ai bien aimé aussi le collègue qui a parlé de frugalité. Voilà un terme que l’on n’utilise pas beaucoup en Europe, et il a souligné en particulier la frugalité des Japonais, qui est un exemple extrêmement intéressant à étudier. Il a même demandé « Jusqu’où iront nos besoins, jusqu’où peuvent-ils être en croissance ? ». C’est donc vraiment un questionnement fondamental de savoir quelle part de frugalité allons-nous mettre dans notre développement ? Troisième chose que j’ai notée et que j’ai beaucoup appréciée, c’est l’importance accordée par tous à l’innovation mais surtout l’innovation pouvant venir des pays en voie de développement. A été citée une initiative thaïlandaise de la recherche. Moi qui ai eu la chance de commencer ma carrière au Cambodge, j’étais tout jeune et j’étais très impressionné par la façon dont nos amis cambodgiens ou vietnamiens réussissaient ce qu’on appelle l’élevage associé. Il s’agit d’une utilisation particulière de certaines rizières où lorsqu’elles sont en eau, les paysans y alevine des tilapias, puis pour nourrir les tilapias on installe un élevage de des cochons sur caillebotis et pilotis, et enfin les paysans y élèvent des canards pour manger les escargots qui vivent dans les rizières... Voilà un élevage associé absolument parfait dans lequel depuis des générations les populations d’Asie du Sud-est se nourrissent à bon compte et sur des surfaces extrêmement réduites.


Le principe de précaution a été magnifiquement décortiqué par mon collègue Bernard Chevassus-auLouis tout à l’heure. Sa démonstration a séduit absolument tout le monde, et toute la salle a pris bonne note de cette notion de « l’innovation précautionneuse ». Je pense que cette notion est vraiment à méditer, c’est à ressortir dans vos prochains discours messieurs-dames parce que je crois que vous allez faire recette. La seconde table ronde était plus technique et c’est normal et je crois que là toutes les facettes de la gouvernance sanitaire ont été reprises avec les différents intervenants ; nous en avons reçu un tableau très complet. Je rappelle quand même ce qu’a dit le ministre Le Foll en arrivant, pour lui le régalien c’est le sanitaire, on ne touche pas à ça, et dans un moment où l’Etat se pose des questions sur ses missions, je pense qu’en aucun cas cette mission sanitaire ne peut être retirée à l’Etat ; lorsqu’on parle de la santé du consommateur, de la santé de nos citoyens il n’y a pas de discussion possible. En revanche j’ai trouvé quelques notions nouvelles, celles qu’ont rappelées tout à l’heure nos amis à la tribune : le rôle des animaux domestiques, le rôle de la faune sauvage a été peut-être sous-estimé en tous cas on ne l’a pas tellement expliqué ce matin ; la collaboration difficile mais indispensable entre privé et public, j’ai moi-même été dans les deux situations je sais de quoi je parle ; l’éducation du consommateur a été rappelée je pense que c’est une notion très importante, et puis je terminerai par une expression mot que j’ai rarement entendu, celle de « sidération scientifique » utilisé par Pascal Boireau ; c’est une expression que je vais le reprendre car elle illustre parfaitement cette situation particulière. Plusieurs fois a été développé à la tribune les modèles français, modèles des agriculteurs et de l’agriculture française, modèle de la la gestion sanitaire. Je crois qu’il nous manque un modèle c’est celui du débat public. Dans le questionnement tout à l’heure on a parlé de ça, je pense que le débat public en France est loin d’être un modèle et je pense que nous avons là un très large champ d’investigation et de réflexions. Enfin pour ne pas prendre trop de temps et pour laisser le temps des conclusions à Gérard Larcher, je voudrai laisser un message d’encouragement. Je trouve extrêmement intéressant et fécond d’avoir sur ces problèmes complexes le regard croisé de nos quatre écoles. Pourquoi je dis cela, parce que je suis en retraite administrative depuis trois mois et que j’ai animé pendant plusieurs années le Conseil Général du ministère de l’agriculture, dont Stéphane Le Foll est président et j’y ai eu la chance de bénéficier de la présence de 150 ingénieurs et inspecteurs généraux qui venaient principalement de ces quatre écoles, de ces quatre cursus. Et c’est une richesse incroyable que de

bénéficier dans une structure unique d’experts de ces quatre formations parce qu’ils apportent sur tous les sujets leur approche, leur méthode, leur sensibilité, leur éclairage contrasté qui facilitent grandement le diagnostic et la recherche de solution. Je crois que ces spécialistes de grandes écoles représentent une richesse typiquement française, et c’est pourquoi je souhaite que ces colloques puissent se poursuivre, c’est tous les encouragements que je fais aux organisateurs. Clôture Francis Desbrosse, ancien ministre, ancien président du Sénat, maire de Rambouillet, docteur vétérinaire J’ai le plaisir d’accueillir Gérard Larcher qui nous fait l’honneur d’être là aujourd’hui. Nous connaissons tous l’homme d’état et votre prestigieuse carrière. Nous sommes probablement moins nombreux à connaître votre passé tout aussi brillant de vétérinaire. Cette profession d’ailleurs vous la revendiquez avec fierté, comme le mentionne si bien le slogan de notre ordre professionnel : lorsqu’on est vétérinaire, c’est pour la vie. Vous m’avez d’ailleurs confié, il n’y a pas si longtemps, que votre formation à l’école vétérinaire de Lyon et votre expérience de médecin et chirurgien équin à Rambouillet vous ont largement servi dans la gestion de l’Etat. Là où certains gouvernants pourraient agir superficiellement et avec condescendance, vous, vétérinaire, vous comportez en homme de l’art comme devant le cheval précieux pour la famille ou le sportif qui le détient. « Un vétérinaire ça apprend à gérer des situations complexes et prendre des décisions » me disiez-vous. Votre démarche d’homme d’Etat est en fait comparable à celle du clinicien vétérinaire. Il s’agit de recueillir avec précision et objectivité des informations pour cerner au mieux le problème ; c’est l’étape médicale de l’anamnèse. Ensuite, il est important d’observer et d’inspecter avec attention : c’est l’étape de l’examen clinique. Les symptômes sont ensuite analysés avec critique et mènent au diagnostic, ainsi qu’au pronostic de santé et au pronostic économique. Enfin, il s’agit de prendre les meilleures décisions pour un traitement adapté. Bref, votre profession de vétérinaire vous a fourni les outils qui vous forcent à éviter l’à peu près et le manque de rigueur. Dès lors, armé de ces compétences multiples, nul autre que vous ne pouvait mieux conclure ce colloque qui questionne santé animale et santé humaine dans le contexte des marchés mondiaux. Et d’ailleurs, à propos de question, je me permets, cher Gérard, de vous adresser cette dernière : pensez-vous que nous pourrons réellement satisfaire un jour les besoins croissants en protéines animales ?


Gérard Larcher, ancien ministre, sénateur des Yvelines Mesdames et Messieurs les présidents des associations d’anciens élèves, d’AgroParistech, de Polytechnique, de l’Ecole Nationale d’Administration et de l’Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort, j’observe que la parité est parfaitement équilibrée, ce qui démontre une vertu d’anticipation dans les grandes écoles françaises. Monsieur le président de l’Académie Vétérinaire, monsieur le directeur général de l’Organisation Mondiale de la Santé Animale, mesdames et messieurs les intervenants, cher Jacques Brulhet, cher Julien Damon, mesdames et messieurs. C’est avec plaisir que j’ai accepté de participer ce matin e à ces 8 Rencontres, Agro-X-ENA organisées pour la première fois, et ça me semble important, avec l’association des anciens élèves de l’Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort. Cela n’était pas pour moi une invitation évidente, parce qu’une intervention de clôture après tant de spécialistes est toujours délicate à prononcer. J’ai souhaité répondre à votre invitation parce que je suis moi-même un ancien des écoles nationales vétérinaires mais de l’école de Lyon, nul n’est parfait ! mais la formation, comme le disait Francis Desbrosse, m’a beaucoup construit. C’est vrai que pour moi, ma formation dans les écoles vétérinaires, ça n’est pas qu’un agrégat de connaissances biologiques, techniques, agronomiques, économiques, c’est bien plus que tout cela. Les sujets que vous avez abordés ce matin sont pour moi des sujets politiques de première importance. Vous l’avez évoqué, ayant pu écouter pendant quelques temps les débats, les crises de la vache folle, de la fièvre catarrhale ovine, de la grippe aviaire, ou encore les débats passionnés sur le principe de précaution ; Oui quand une crise sanitaire éclate, les concitoyens se retournent vers l’Etat, d’où la notion régalienne, et l’affaire a alors un impact politique. J’étais président de la commission des affaires économiques quand nous avons eu à traiter la montagne de farines animales, et la question de l'équarrissage, et croyez-moi c’était du concret : où les met-on, comment les abrite-t-on, comment les élimine-t-on ? C’était aussi des travaux du Sénat sur l’ESB, la fièvre catarrhale ovine. C’est donc, si vous le voulez bien en quelques minutes, avec ce double regard à la fois de vétérinaire et de parlementaire que je vais vous parler. Trois éléments me semblent essentiels pour aborder ces questions : Tout d’abord, reprenant les axes de votre rencontre, la croissance de la population mondiale. 2050, 9 milliards d'êtres humains, voilà une donnée structurante qui s’impose à chacun et qu’on le veuille ou non, les besoins

iront en s’accroissant. Malgré la frugalité, certains acteurs proposeront des innovations destinées à répondre à ce défi et c’est même nécessaire, avec des risques, mais également des perspectives de débouchés commerciaux que cela peut entraîner. Avec aussi des conséquences pour des pays qui ont du mal à émerger, Quels élevages, quelles filières, quel rôle aussi des productions animales sauvages ? Dans le bassin du Congo, on en consomme deux fois la production totale bovine française. Et donc ne pas se poser la question des protéines animales d’origine sauvage c’est ne pas se poser une question à la fois anthropologique, culturelle et de société. Cette question doit donc aussi être présente. Je sais que la croissance de la demande en protéines animales a fait l’objet de débats. J’ai notamment en tête un rapport de la FAO qui soulignait que la consommation de viande devrait croître de plus de 70 % et celle des produits laitiers de 60 %. Beaucoup s’interrogent sur les conséquences environnementales et sociales de cette croissance de demande en protéines animales. Même Arte, dans les deux langues, intitulait une de ses émissions, je cite « L’adieu au steak, doit-on encore manger des animaux?! ». Je ne crois pas qu’il faille céder au discours végétaliste, ni se montrer exagérément peureux. La croissance de la population mondiale est une donnée, elle a un impact sur notre système de production et d’échange, sur l’environnement, sur l’organisation même de notre société. Bien sûr, nous devons être vigilants aux conséquences de ces changements, aux risques qu’ils induisent pour mettre en place les solutions adaptées. Ce même rapport préconisait notamment une amélioration des systèmes d’élevage pour maîtriser, limiter la pression exercée sur les ressources naturelles. Je pense que c’est possible, avec de la recherche, de l’innovation, de la conviction, du partage d'informations et d'expériences. Revenant aux protéines animales sauvages, je voudrais dire puisque vous parliez d’anthropologie et que peutêtre il n’y avait pas d’anthropologue, que sans un quintal de viande ou de protéines d’origine animale par an, ni les Pygmées ni les Bochimans ne survivent. Un quintal par an ! Et dans la ville de Bangui, on consomme quatorze kilos de protéines animales d’origine sauvage alors que dans nos pays développés c’est moins de 300g par an. Il y a donc là une réflexion dont on voit bien qu’elle ne peut demeurer simplement une réflexion à l’intérieur de l’Union européenne, mais que dans la dimension de la mondialisation nous ne devons pas être uniquement sur des systèmes complexes. Troisième point, les mouvements des biens. Les mouvements de biens et de marchandises ont crû fortement et il n’y a pas de raison pour que ce mouvement s’inverse ; c’est d’ailleurs une chance pour l'Europe et pour la France car nous sommes bien placés


dans le secteur agro-alimentaire. Je voudrais rappeler le poids de notre industrie agro-alimentaire. Lorsque j’étais ministre du travail, quand on voyait la réalité de la sécurité alimentaire, je rappelais que près de 15 % des emplois dans notre pays, et des emplois d’ailleurs qui se maintenaient, qui se développaient malgré le phénomène de désindustrialisation, étaient issus de la filière agroalimentaire et agricole. Cette réalité là, Agros, Vétos, Polytechniciens et Enarques, on ne peut pas considérer que ce serait la survivance d’une société rurale, mais une place extrêmement importante dans la société de demain qui a besoin de cette dimension de la production animale pour répondre aux besoins du territoire mais aussi aux besoins mondiaux. Je rappelle que notre industrie agro-alimentaire représente près de 160 milliards d'euros en 2011. C’est 10 000 entreprises, et une contribution positive à la balance de notre commerce extérieur dont je rappelle qu’il a 70 milliards de déficit quand l’Allemagne a 170 milliards d’excédents. Naturellement, cet accroissement des échanges va de pair avec un accroissement des risques de contaminations liées à ces mouvements. Je ne reviendrai pas sur ce que vous avez cité, vous êtes bien plus techniciens que moi, il y a bien vingt ans que je ne pratique guère la profession vétérinaire, mais en même temps je suis resté profondément marqué par ma formation et par mon mode de réflexion. Cher Bernard Vallat vous évoquiez l’attitude de la Commission Européenne. Est-il normal qu’à la suite de l’ESB, la Turquie jusqu'en 2010, ait fait obstacle à nos viandes ? Quatrième point : les populations, notamment dans les pays occidentaux. J’entendais une question tout à l’heure sur les consommateurs. Rappelons-nous Escherichia Coli et le concombre, une nouvelle : alors chute immédiate ! Il nous faut avec les médias dans ce temps de réseaux sociaux, engager un véritable dialogue et faire un certain nombre de propositions. Nous ne pouvons pas continuer à voir des messages scientifiques nécessairement objectifs être incompris, mal transmis, ou transformés en angoisse. Il conviendrait d’avoir avec les médias un débat méthodologique et éthique. La France me semble avoir pris la mesure de ces enjeux, en bâtissant un cadre d’agence de sécurité sanitaire qui s'est adapté au fil du temps, en veillant à la coopération entre les administrations centrales. L’interministérialité il y aurait de quoi écrire! mais ça peut finalement fonctionner, on le voit dans un certain nombre de cas. Bien sûr, on la brocarde souvent, mais pour avoir vécu pendant trois ans la nécessité d’interministérialité, J’en retiens qu’il ne faut pas abuser du principe de précaution, ne pas céder à la peur et admettre les arbitrages et le courage.

Enfin, le rôle des vétérinaires dans tout cela. Je crois que les plus belles structures administratives ou agences sont vouées à l’échec si on ne parvient pas à identifier à temps les risques sur le terrain. Et c’est là notamment l’un des rôles des vétérinaires qui forment un maillon important de la chaîne de sécurité. C’est une question à laquelle j’avais souhaité que le Sénat s’intéresse. Si on veut compter sur un dispositif de réaction rapide aux risques en matière de santé animale et humaine, il nous faut un maillage fort dans le milieu rural et dans les industries agro-alimentaires. C’est une réalité que l’on a parfois oubliée, qui est peut-être en train de s’inverser mais sur lequel il faut continuer à travailler : la formation vétérinaire, de même que la coopération entre les instances vétérinaires des différents Etats. Nous devons faire des efforts de traçabilité, nous devons aussi être en capacité de réagir. Je rappelle cette « histoire de moutons », avant une grande fête religieuse, venant d’Angleterre en 2011, il y a eu une réaction rapide et finalement, des conséquences qui ont été maîtrisées et limitées. Cet épisode a d’ailleurs montré la performance de notre système de veille et de sécurité sanitaire. Enfin, je voudrais conclure par le principe de précaution qui est depuis 2005 inscrit dans la charte constitutionnelle. Je l’ai vécu d’assez près puisque j’étais au gouvernement à ce moment-là et j’ai entendu les débats, et sans pouvoir encore révéler tous les débats internes, nous n’étions pas tous sur la même position. Ce principe, je le sais ce matin a encore fait l’objet de débats et je veux vous dire une chose : il ne faut pas se laisser guider par la peur. Oui, à l'innovation précautionneuse ! Non, à l'innovation peureuse ! Et cette problématique s’est reposée avec la question des protéines animales transformées : est-ce qu’on peut continuer à penser qu’il faut cinq kilos de poissons sauvages pour faire un kilo de poisson d'élevage ? C’est un vrai sujet, une vraie interrogation, et dans laquelle entre les débats sur les réserves halieutiques, et sur la production de protéines nécessaires à l’alimentation, nous voyons bien là qu’à un moment, il faudra choisir. L’Anses avait estimé que des progrès avaient été accomplis mais que la spécialisation des filières par espèce était toujours insuffisante pour permettre l’utilisation sécurisée des protéines animales transformées. Je voudrais souligner l’importance de la démarche scientifique d'évaluation des risques. Cela semble évident quand tout va bien, cela peut être rapidement battu en brèche lorsqu’une crise éclate. C’est tout l’enjeu du principe de précaution et des recherches qui peuvent être menées par des organismes publics dans un certain nombre de domaines. Je pense aux débats qui ont cours depuis des années sur les OGM, sur lesquels notre attitude relève parfois plus de l’a priori politique que


d’une analyse scientifique totalement objective. Une polémique récente sur des études scientifiques le démontre, et puis il y a aussi ce que j’appelle le « syndrome gaz de schiste », et je vous renvoie à l’interview d’un ancien premier ministre, Michel Rocard hier. Ce syndrome mérite d’être exposé : est-ce que nous sommes les tétanisés du gaz de schiste, ou est-ce que nous acceptons l'approche scientifique objective ? Cette approche dans laquelle il y a débat contradictoire sur des réalités objectives et puis à la fin une décision. Finalement je vois ici Agro-X-ENA, et c’est la première fois que vous avez des Vétos, vous savez, ce sont des cousins très acceptables, qui au bout du compte, vous amènent aussi une expérience, une approche, une capacité, comme l’ont les Agros d’ailleurs, de avec objectivité. Dans l'univers mondialisé, face aux réalités que nous avons à relever, nous ne sommes pas trop, ensemble, pour essayer de répondre aux défis du siècle qui s'est ouvert il y a maintenant 12 ans.


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