Idverre info cerfav numéro 42 - décembre 2011

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ID VERRE INFOS Id verre infos - Numéro 42, décembre 2011

sommaire

Art : interview

PNI : Silinnov

• Judith Schaetcher • Joseph Cavalieri • Emmanuel Barrois

Programme de sensibilisation au design industriel.

Edito

Culture : vitrail

Agenda

Les acteurs du vitrail contemporain…

Débats et réflexions sur le vitrail à l'international.

Catalogue des formations du Cerfav en ligne.


ÉDITO + INTERVIEW

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Édito Le projet Silinnov (qui peut vous concerner) est conduit conjointement par le Lieu Du Design, le Cerfav et la Société Française de Céramique : 2 journées de formation gratuites sont proposées aux artisans, PME et industriels, suivies d'un accompagnement de projet et de la conception de nouveaux produits jusqu'à leur commercialisation. Silinnov procède d’une démarche volontariste qui invitera à la double signature concepteur/réalisateur. Ceci apparaît de plus en plus comme une nécessité et une reconnaissance mutuelle de professions indissociables. À ce propos les gens du vitrail ont souvent eu à collaborer avec des artistes peintres, mettant tantôt au service leurs savoir-faire et développant tantôt leur propre expression. Nous avons interrogé plusieurs d’entre eux et croisé leurs remarques. Cet Idverre Infos se nourrit de ces interviews, nous sommes certains que ces articles occasionneront avis et contradictions que vous pourrez partager sur le forum www.idverre.net/forum/. Après une chute singulière du nombre d’apprentis en 2010/2011, les contrats sont arrivés plus nombreux cette année, signe d’une volonté d’aller de l’avant dans les ateliers. À présent nous disposons d’un cycle de formation par apprentissage de 4 ans (2 ans CAP et 2 ans BMA) où le BMA pour les jeunes disposant d’un BAC n’occasionne pas plus de semaines hors l’atelier qu’un CAP. Nous nous efforçons de notre côté, malgré les « coups de rabot » qui tendent de plus en plus notre activité, de maintenir une qualité de formation ( situations pédagogiques individualisées, visites d'entreprises, espace de suivi à distance, conditions matérielles des cours etc. ) au meilleur niveau, celui qui sert les jeunes, les étudiants, les professionnels, qu’ils soient artistes, artisans, designers ou industriels. Dernier point, la taxe d’apprentissage : n’oubliez pas de la verser à vos serviteurs, de nous le faire savoir si c’est le cas et de l’indiquer précisément à votre collecteur. Merci à vous, bonne lecture, bon forum pour poursuivre les discussions et tous nos vœux pour 2012. Pour toute l’équipe du Cerfav Denis Garcia - Directeur

↑ « The Cold Genius » vitrail 2004-2010

JUDITH SCHAECHTER

I

ssue de l'école de design de Rhode Island, Judith Schaetcher conçoit un travail principalement basé

sur les thèmes du sexe et de la mort. Elle a accepté de nous apporter quelques éclaircissements sur son processus créatif et sa vision du métier de vitrailliste aux États-unis. Philippe Garenc : comment définissez-vous le vitrail ? Judith Schaetcher : je le définirais comme une forme artistique qui se sert du verre plat et de la couleur pour moduler la lumière. Qu’il en contienne ou pas, c’est une sorte de peinture. À votre avis, pourquoi cette forme d'expression du passé continue-t-elle jusqu' à aujourd'hui, même avec des techniques de verre bien développées ? Le vitrail était au sommet pendant la période gothique. Il a souffert depuis la Réforme Protestante. La demande pour ce type de travail est alors devenue très faible. La construction de cathédrales a ralenti considérablement. Le protestantisme et son dédain pour l'ornement ont été dévastateurs, et le vitrail a beaucoup souffert à cause de la séparation de l'Église et de l'État dans les siècles suivants. Je ne suis pas pratiquante, mais plutôt ferme partisane de la séparation de l'Église et de l'État ! Quelqu'un qui a contemplé une verrière, connaît ces sensations glorieuses qui sont spirituelles sinon complètement religieuses. Comme l'Abbé Suger a dit : « le vitrail est l'éclaircissement incarné ». Ainsi, cette illumination opère mieux dans un lieu favorable à ce type d'expérience, autrement dit une église ou un temple. Maintenant que la culture occidentale est fracturée en termes de croyances, il est dur d'apprécier quelque chose qui soit si étroitement liée à une tradition religieuse seule.


ART : INTERVIEW judith schaechter

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↑ « Widow » vitrail 2004-2010

La directive moderniste contre l'embellissement et la décoration a encore plus compliqué le problème, bien que la période Victorienne l'ait utilisée. Il est triste de dire que le vitrail semble reprendre légèrement chaque fois qu’il y a une destruction massive. Enfin d'autres formes de verre, le verre chaud et le moulage, ont été adoptés dans le lexique de la sculpture au xxe siècle. Probablement en partie grâce à la révolution industrielle et à la collaboration entre les artistes designers et l'industrie aux U.S.A. Vos illustrations nous rappellent la tradition historique du vitrail. Où avez-vous acquis ces compétences ? Mon professeur était Ursula Huth — diplômée de l'école de design de Rhode Island — J'étais là comme étudiante au début des années 80. C’était une élève de Hans Gottfried Von Stockhausen, un professeur de vitrail à Stuttgart. J'ai suivi les cours d'Ursula pendant un semestre et j'ai ensuite été son assistante pendant encore un semestre. J'ai appris le reste seule, en faisant des tonnes d'erreurs ! Je n'ai vraiment rien appris de l'histoire des techniques. Ce n'est que depuis très récemment que je m'y intéresse. Voulez-vous délibérément vous référer à cette tradition ? Oui et non. J'ai grandi sans religion, j’ai très peu fréquenté d'églises ! Quelques-unes, mais je dirais que je n’en ai pas connu beaucoup sauf à travers les images dans des livres. Ceci peut sembler extrêmement arrogant, mais malgré mon athéisme et mon ignorance, je suis, de façon indépendante, arrivée aux mêmes conclusions que les artisans de vitrail traditionnel. Le vitrail est un mode d'expression idéal pour dépeindre les âmes dérangées. Il doit inévitablement (et toujours) se référer à l'illumination. Et les mosaïques de couleurs des vitraux anciens sont les plus belles et les plus appropriées !

Historiquement, le vitrail racontait une histoire. De quelle histoire s’agit-il aujourd'hui ? Les histoires d'aujourd'hui ne sont pas très différentes de celles des autres siècles. Nous sommes nés, nous luttons avec l'amour, nous luttons avec le travail, nous luttons avec nos morales, nos sens et nos désirs et nous mourons. Le monde d'aujourd'hui semble horriblement fragmenté et aliénant. La culture globale, internet, la fragilité de l'économie mondiale et l'allure intensifiée, activée par la technologie. Je pense que les théories post-modernistes l'ont bien exprimé, même si c'est d’une façon irritante et nihiliste. Tout semble mener à une réponse d'autisme ou d’autoritarisme. Espérons que nous pouvons éviter cela et unifier nos esprits avec nos corps d'une façon productive et créative. L'art peut aider ! (Mais pas de n'importe quelle façon. Faire de l'art avec des messages politiques positifs est par exemple injustifié et insultant). Je m'inquiète pour le monde. Même une athée peut voir que nous souffrons d’une maladie spirituelle massive ! Y a t-il des sujets spéciaux ou des tabous pour le vitrail ? NON ! Quant aux sujets spéciaux, tant que l'expérience est transformable : tout roule. Qu'est-ce qui détermine le succès d'un vitrail ? Quand pourrions-nous dire que c'est suffisamment bon ? Le vitrail promet beaucoup. Une personne regardant une fenêtre, consciemment ou pas, s'attend à la transformation spirituelle et à l'intensité lumineuse. Ainsi qu'est-ce qui détermine son succès ? Je ne suis pas sûre que l'on puisse le mesurer ou le prévoir avec une simple formule. Il semble certainement raisonnable de le quantifier partiellement


ART : INTERVIEW judith schaechter

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↑ « The Minotaur » vitrail 2004-2010

en disant que c’est « un bon design », « une bonne technique » et « une bonne expression » et espérer que cela s'élève au moment magique. Mais une œuvre d'art vraiment réussie est une voie audelà de l’ensemble de ses parties. Comment voyez-vous le vitrail européen aux États-Unis ? Je n'en vois pas assez souvent. J’aimerais mieux le connaître. J'ai un ami en Angleterre chez qui je me rends régulièrement, et je trouve passionnant le vitrail anglais d’après la seconde Guerre Mondiale. N’exposez-vous jamais en France ou en Europe ? J'ai exposé dans une galerie appelée galerie Agni-Fine Art, à La Haye en 1999. Cette année j'ai participé à une exposition collective intitulée « The Glass Canvas » ( la Toile de Verre ), à Het Glazen Huis en Belgique. J'ai aussi eu l'occasion de donner des cours d'atelier à la BildWerk de Frauenau et à Northlands en Ecosse. J'aime l'Europe et je souhaiterais y avoir plus d'invitations.

Qui sont les sponsors des projets de vitrail aujourd'hui aux États-unis ? Travaillez-vous autant avec le secteur public et le privé ? Je vends mon travail à la Galerie Claire Oliver à New York. Le travail lui est fourni fini en consignation et elle trouve un acheteur. Je ne fais pas de travail de commission. Incorporez-vous le processus d’image avec ordinateur ou l'impression numérique dans vos projets de verre plat ? Oui. J'utilise l'infographie pour concevoir mon travail. Ça commence par les dessins que je numérise pour en arranger la composition. J'ai aussi appris la modélisation 3-D, bien que je ne l'utilise pas particulièrement pour le vitrail.

Pour plus d’informations concernant Judith Schaechter, consultez son site Internet : www.judithschaechter.com


ART : INTERVIEW JOSEPH CAVALIERI

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↑ « Gymnasium of Drama (détail) » - 3,5 x 63,5 x 5 cm - impression, verre, plomb, cadre métal - 2011

JOSEPH CAVALIERI

N

é à Pleasantville ( New York ), Joseph Cavalieri a débuté ses

études en 1997 à l'UrbanGlass de Brooklyn où il enseigne actuellement. Il est principalement connu pour sa collaboration avec Robert Crumb et ses représentations des Simpsons. Philippe Garenc : comment définissez-vous le vitrail ? Joseph Cavalieri : toute composition en verre, qu'elle soit transparente ou opaque.

À votre avis, pourquoi cette forme d'expression du passé continue-t-elle aujourd'hui malgré le développement des techniques ?  Le défi de mon enseignement et de mon travail est de déconnecter l'art du vitrail ( dans sa définition actuelle ) du passé. Les possibilités de travailler le verre avec d'autres matériaux sont infinies, bien que l'histoire de la technique ait limité le type d'ouvrages produits. J'enseigne de nouvelles techniques de peinture sur verre, telles que l'aérographie et la sérigraphie. Vos œuvres d’art nous rappellent la tradition historique du vitrail, où avez-vous acquis ces compétences ? J'espère justement que mon art ne rappelle pas le vitrail traditionnel ! Je suis en quelque sorte un missionnaire du verre, qui souhaite prendre les vitraux des églises pour les rendre au peuple. J'ai des compétences en design, que j'ai acquises lors de ma formation à l'École d'Arts Visuels de New York et au cours de ma carrière en tant que directeur artistique de magazines, mais aussi des compétences techniques grâce aux workshops que j'ai suivis à l' UrbanGlass de Brooklyn à New York.


ART : INTERVIEW JOSEPH CAVALIERI

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↑ « D&G (détail) » - 48,2 x 86,5 x 5 cm - verre, émail, plomb - 2010

Voulez-vous délibérément vous référer à cette tradition ? Pensez-vous contraster avec des sujets très personnels ? J'expérimente actuellement l'inclusion de plaques de cuivre gravées à l'acide dans mes pièces en verre. Je trouve l'art plus intéressant quand on mélange différents média. Mes travaux sont aussi bien basés sur des sujets personnels que sur des sujets généraux. Historiquement, les vitraux racontaient une histoire. Qu’en est-il aujourd’hui ? Certains de mes travaux se basent sur des fables et des images, avec l'autorisation des Simpsons et de R. Crumb. Ce qui m'attire le plus, ce sont les travaux artistiques et pas seulement les œuvres en verre qui racontent un histoire.

Qu'est-ce qui détermine le succès d'un vitrail ? C'est le regard de l'observateur qui fait la beauté de l'œuvre. Je suis vraiment heureux quand un collectionneur achète l'une de mes créations, l'accroche dans sa maison et la regarde tous les jours. Quand pourrions-nous dire que c'est assez bon ? Pour moi, et c'est ce que j'enseigne à mes élèves, chaque œuvre représente un défi. Je demande aux étudiants de choisir un ou deux défis dans chacun de leurs travaux ; celà peut être de peindre de la manière la plus détaillée possible, ou encore d'augmenter le nombre de couches de verre superposées sur une pièce. Comment voyez-vous le vitrail des États-Unis en Europe ?

Y a-t-il des thèmes spéciaux ou des tabous pour le vitrail ? Aucun tabou n'existe dans l'art. Si vous en trouvez un faites-le moi savoir et je m’en servirai ! Je pense que certains travaux, comme ceux qui sont axés sur la pornographie, s'adressent à un marché particulier.

Certains de mes artistes préférés sont européens, d'autres sont australiens. Les travaux qui m'intéressent sont ceux qui mêlent le verre à d'autres média, peu importe où vit l'artiste. Exposez-vous votre travail en France, en Europe ?


ART : INTERVIEW JOSEPH CAVALIERI

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Cette activité vous permet-elle de gagner votre vie ? J'enseigne et je mène une activité artistique. Ce travail me permet de gagner ma vie. Qui sont les sponsors des projets de vitrail aujourd'hui aux États-Unis ? Travaillez-vous autant avec le secteur public que le privé ? L'art en Amérique est soutenu par toute une gamme de sponsors privés et publics. J'ai travaillé avec les deux. Mon projet public le plus réussi, que j'ai réalisé pour la commission MTA Arts for Transit, se trouve à la gare Philipse Manor, à New York. Comment vont vos affaires ces dernières années, autant économiquement qu'artistiquement? Ca va plutôt très bien. J'ai vendu des œuvres à l'international et j’ai eu des excellents workshops, commandes et résidences en Australie, en Inde, au Brésil et en Italie. Dans le domaine de la création et de la restauration, quels sont les besoins du client ? La restauration et la création sont deux mondes complètement différents. D'excellents artistes de l'American Glass Guild travaillent sur des projets de restauration. Pensez-vous que les architectes intègrent suffisamment de verre dans leurs projets ? Oui, il y a de magnifiques ouvrages architecturaux qui incluent le verre. Incorporez-vous le processus d'image avec ordinateur ou l'impression numérique dans vos projets de verre plat ?

Mon travail fait partie de collections permanentes et d'installations, il a été exposé à travers toute l'Europe. Ce sont les allemands qui apprécient le plus mon travail. Êtes-vous en contact avec des verriers contemporains français ? Je serais heureux d'être en relation avec n'importe quel artiste français, qu’il travaille dans le verre ou pas.

J'ai eu recours à l'impression numérique. L'ordinateur intervient dans tous mes travaux, et principalement pour les cartoons. Comment voyez-vous l'avenir de cette forme d'expression ? Pendant les cours de peinture sur verre que je dispense, j'enseigne les possibilités de l’art, et pas seulement l'art du verre. C'est aussi vaste que votre imagination.

Le public américain aime-t-il cette forme d'expression ? Le champ de l'art verrier américain est très large. Il faudrait que les gens qui regardent une œuvre ne tiennent pas compte du matériau, mais se demandent s'ils sont sensibles à son message. Je propose d'ailleurs un « test du plastique » à mes élèves : je leur demande d'imaginer que la pièce en verre qu'ils regardent est en plastique, et de se demander s'ils l'aiment toujours. Si la réponse est non, c'est qu'ils sont impressionnés par la technique, mais pas par le message que porte la pièce.

Plus d’informations sur le travail de Joseph Cavalieri, consultez son site Internet : www.cavaglass.com Joseph Cavalieri CAVAglass@gmail.com. CAVAglass Studio 216 East 7th Street, no 10 New York, NY 10009 212.925.2377


CULTURE : débats & reflexions

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↑ « Jackson, père et fils (détail) » Yves Mendes Da Sylva (apprenti Cerfav 2009)

Une lanterne magique ?

C

om me à not re h a bitude da n s Idverre infos, nous nous efforçons

de provoquer débats et réflexions. Pour cela nous avons interrogé plusieurs professionnels travaillant le vitrail, en France mais aussi en Belgique et aux États-Unis.

Nous savons bien que généralement, l’activité du vitrailliste évolue entre restauration du patrimoine et réalisation de panneaux. Les regards sont le plus souvent portés sur la technique et la qualité du travail, le respect des règles de l’art et l’import-export de panneaux préfabriqués venant de Chine ou d’ailleurs. Moins souvent, et chacun le constatera dans les ouvrages qu’il tient dans sa bibliothèque, la problématique du vitrail est posée au-delà des problèmes ordinaires d’étanchéité et de résistance mécanique en cas de choc ou d’intrusion dans un bâtiment. Autrefois, l’histoire se transmettait grâce à lui. Mais aujourd’hui ? La clef de la connaissance ne passe-t-elle pas davantage par la souris de l’ordinateur et Google plutôt que par un sujet traité dans la fenêtre d’un bâtiment ? Mais voici déjà questions et avis avant même que ne soient portées à la connaissance du lecteur les analyses des entretiens. Oublions alors l’objectivité, il serait malhonnête de la laisser croire. Notre


CULTURE : débats & reflexions

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« échantillon » comme disent les instituts de sondage, ne prétend pas à une représentativité mais à une disponibilité : il ne reporte que le vécu de ceux qui ont pris le temps de répondre, des situations, des sujets et des réflexions. Cette précision est utile avant d’aller vers la subjectivité immanquablement présente dans ces lignes.

Le vitrail tient une place importante dans l’imaginaire collectif. Souvent associé historiquement au fait religieux, il est avant tout un moyen de monter ou montrer des parois transparentes dans les ouvertures d’un bâti. Avec le soleil, sortait le génie de cette espèce de lanterne ou tableau magique dans laquelle très tôt les puissants ont su projeter leurs images télé. Avec l’avènement de l’ère moderne, le profane s’est affranchi, dans la création d’ornements vitrés. De la fenêtre du bourgeois du Moyen-âge aux portes d’entrée fleuries de verre des nouveaux lotissements, le vitrailliste (maître verrier) a su s’adapter à l’expression de son temps en gardant des gestes ancestraux. En ce moment se tient à Nancy une grande exposition retrospective de Jacques Gruber, un des vitraillistes emblématiques de l’Art Nouveau. Ce qui frappe dans la visite de l’exposition, c’est de constater que les chefs-d’œuvre reconnus à titre posthume sont contemporains des Demoiselles d’Avignon de Picasso.

Dans les questions posées apparaissaient celle des tabous. Le lien entre vitrail et fait religieux présuppose-t-il des tabous ? On a vu récemment un artiste chassé du marché de Noël de Nancy pour avoir proposé à la vente des œuvres d’art faisant référence à des « sex-toys ». Le vitrail s’interdirait-il de telles thématiques ? Les avis recueillis sont unanimes : pas de tabou dans le vitrail. Donc on peut parler de tout. Discours convenu ? En tout cas, de chaque côté de l’Atlantique, la réponse reste la même. Les vitraux conçus par Wim Delvoye sacralisant des fellations avaient fait débat. Le travail de Pierre Soulages à Conques aussi, pourtant il n'offrait aucune figuration. Mais dans ces cas, est-ce le concept qui a interpellé ou est-ce le recours au vitrail qui n’était pas adapté aux yeux des professionnels ? Peut-on encore parler de vitrail ? ↑ Aquarium de la maison de campagne de Eugène Corbin, musée de l'École de Nancy

La définition du vitrail est légèrement différente d’une personne interrogée à l’autre. Les uns parlent de techniques verrières : assemblage de verres et même plus restrictif, assemblage de verres avec du plomb. Les autres complètent la définition par la référence à l’art et au traitement de la lumière. La plupart fait référence à la spiritualité, mais pas nécessairement à une spiritualité religieuse. Judith Schaechter, américaine, affirmant son attachement à la laïcité, insinue d’ailleurs que le religieux s’est saisi de la sérénité produite « naturellement » par la lumière des vitraux là où nous aurions pu imaginer l’inverse. La dimension technique revient dans tous les dialogues, parfois pour la nier, parfois pour dire la nécessité de son excellence, mais la plupart du temps pour signifier qu’elle doit être parfaite. Soit elle respecte les procédés de l’œuvre originale (cas de la restauration bien sûr) soit elle doit être oubliée pour mieux servir l’expression. Judith Shaetchter est explicite sur ce point en associant « bon design », « technique assez bonne » et « bonne expression ».

L’harmonie de l’ensemble peut conduire, selon elle, à faire vivre un « instant magique ». Ce type d’émotion est attendu chez plusieurs qui parlent alors même de « grâce ». Dans le même ordre d’idées, Joseph Cavalieri ne sépare pas le vitrail du regardeur. « C’est le regardeur qui fait le tableau » écrivait Marcel Duchamp. « La beauté est dans l’œil du spectateur » confirme-t-il. Remarquons que tous attendent le jugement d’un tiers qui est le regardeur ou le commanditaire. Tous, à travers cette sensibilité exprimée, nous font part dans leur métier de préoccupations artistiques, mais pour autant tous ne s’inscrivent pas dans une démarche de ce type. Il y a ceux qui nient tout lien avec la tradition du vitrail ou alors pour nous dire qu’ils y sont attachés parce qu’il est un repère dans notre monde « fragmenté ». Il y a ceux qui tiennent à la technique pour elle-même. Leurs propos y font le plus souvent référence. Parmi ceux-ci, on ne trouve que les


CULTURE : débats & rÉflexions

Français. Sans vouloir conclure hâtivement et générer des clichés et des raccourcis, le fait est qu’ils ont un marché lié au patrimoine, non extensible évidemment, qui structure leur activité et la profession d’une manière probablement différente des autres professionnels étrangers consultés ici. Leur activité a des hauts et des bas et la tendance annoncée est plutôt aux petits chantiers. Leur organisation, leurs intentions, leurs compétences correspondent naturellement à ce marché.

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Le plus souvent l’artiste relativise le sujet ou le motif du vitrail pour raisonner architecture, lumière, atmosphère etc. Le « signifié » et son véhicule (l’impression) sont centraux. De ces entretiens se dessine le fait que le vitrailliste ne peut s’affranchir aisément du signe que constitue déjà le vitrail en lui-même. Dès qu’un vitrail est présenté, l’œuvre est regardée par le prisme de la tradition. Le sens est impacté et l’intention cannibalisée. L’une des personnes nous dira « si je peins un sujet très complexe, difficile, représentatif d’un style d’époque ou plus contemporain, cela sera regardé comme un travail banal. Si je casse cette pièce délibérément pour la présenter reconstruite ensuite — ou non d’ailleurs —, ce sera regardé différemment. Comme une œuvre. » De toute évidence, ce positionnement, voulu ou subi, ne favorise pas le développement. Chacun s’accorde à dire que l’incompréhension est parfaite : les vitraillistes ne se sentent pas entendus ou alors, « les vitraillistes et verriers n’ont pas intégré les besoins de l’architecture et par ailleurs ne savent pas comment faire économiquement et techniquement. » Il semble que les protagonistes repartent dos à dos sur ce point et cela nous interpelle au titre de centre de formation : comment favoriser une meilleure compréhension de cet art visuel dans notre époque, au même titre que la photographie ou les dispositifs interactifs ? Quels services de formation déployer pour faire évoluer cela, pour les professionnels bien sûr, mais aussi pour les nouvelles générations ? Le recours aux nouvelles technologies de l’imagerie numérique, sans en faire une nécessité absolue, reste pour l’instant marginal dans les pratiques. L’outil permet outre de préparer des calibres, de simuler aisément, de rendre compte, d’aider à la décision etc.

Et en effet, peut-être est-ce trivial une fois énoncé mais encore faut-il se le rappeler : l’artisan est d’abord formé en France pour restaurer les vitraux du patrimoine, et les commanditaires sont en droit d’attendre de lui un travail respectueux des règles de l’art. En aparté, certains nous diront que malheureusement, la politique généralisée des appels d’offres ouvre les portes du mieux disant sans que personne a priori ne puisse s’assurer de la qualité d’exécution à venir. Du côté de la création, des nuances sont apportées par plusieurs. Certains font la différence entre travail d’artiste, collaboration avec un artiste et travail de création. L’acceptation de « création » est le plus souvent à prendre au sens de « proposition à un client » par opposition à une restauration de vitraux existants. La terminologie employée est la même, mais il ne faut pas s’y tromper, la nature de l’intention est bien différente. En effet, lorsque les artistes se tournent vers la technique du vitrail, c’est pour en exploiter la charge historique et/ou religieuse, l’exemple de Joseph Cavalieri avec les Simpsons en personnages centraux de ses vitraux en sont une bonne illustration.

À l’évidence, la conception et le dessin assistés par ordinateur sont nécessaires mais ne franchissent pas la porte des ateliers des personnes interrogées ou très peu. Seul un atelier nous signale développer sa démarche en s’appuyant sur ces outils. Ce type de technologie ne pourrait-il pas être un moyen offert au vitrailliste pour s’affranchir de son métier et pour mieux y revenir ensuite ? Mais ici, nous dépassons largement l’analyse des entretiens pour engager des solutions. C’est ainsi que le Cerfav a depuis plusieurs années choisi d’associer l’apprentissage du vitrail à plusieurs autres techniques et comme autant de moyens permettant de développer l’expression personnelle et contribuer à ce que les limites des réalisations ne puissent être que celles des idées. À l’heure actuelle des programmes collectifs aidés par l’État permettent de développer l’exploitation du design chez les industriels. Pourquoi ne pas développer un programme équivalent permettant de développer la créativité chez les artisans d’art et renforcer leurs moyens et leurs solutions d’évolutions ?

Nous remercions particulièrement les vitraillistes ( maîtres verriers ) qui ont accepté de répondre à notre questionnaire afin de réaliser cet article : Loire Hervé, Trublard Josette, Fleury Jean-Dominique, Bourget Ghislain, Tisserand Philippe, Lecointe Mélanie. L'intégralité des interviews est disponible sur www.cerfav.fr


art : INTERVIEW EMMANUEL BARROIS

EMMANUEL BARROIS

L'

atelier d'Emmanuel Barrois situé à Brioude mène une activité de

création, d'étude et de réalisation d'éléments verriers et lumineux. Sa démarche s'inscrit dans les champs de l'architecture, du design et des arts plastiques. Denis Garcia : Quelle définition donnez-vous du vitrail ? Selon vous, d’autres définitions peuvent-elles être données ? Emmanuel Barrois : Une définition parmi d'autres : composition plastique en verre, constituée de panneaux plats destinés à être mis en valeur par la lumière. Qu’est-ce qui fait à votre avis que cette forme d’expression du passé perdure encore aujourd’hui alors que les moyens techniques ont grandement évolué ? Ce sont essentiellement les besoins en entretien et restauration du patrimoine de vitraux existants qui expliquent que cette technique perdure. Cela représente 90% du marché actuel. Si la baisse des budgets de restauration du patrimoine continue, ce métier sera de moins en moins pratiqué. Historiquement le vitrail racontait une histoire. Que dire du vitrail aujourd hui ? Le vitrail n'a pas changé de vocation. Même si des créations contemporaines voient le jour de temps à autre, elles restent inféodées à des codes et des traditions anciens. Ces créations prennent d'ailleurs place en général dans le patrimoine historique et religieux. La seule mutation qui soit advenue est que depuis 100 ans, le travail du vitrailliste a changé. Il est passé de la réalisation de vitraux, à la restauration de vitraux. De la création de nouvelles architectures à la préservation d'anciens bâtiments. Être globalement tourné vers le passé et non vers l'avenir est une mutation culturelle profonde. Y a-t-il des sujets de prédilection ou tabous pour le vitrailliste ? Les sujets de prédilection tout le monde les connait. Des sujets tabous, il y en a bien sûr. Un mode d'expression qui regarde plus derrière lui que devant n'est plus en phase avec la manière dont le monde évolue. De fait, il ne peut et ne veut pas en traduire et interpréter la nature.

De quoi dépend la réussite d’un vitrail ? Quand peut-on dire qu’il est satisfaisant ?

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Il faut faire naître une parcelle de grâce, même infime. Par « la grâce » je n'évoque pas une notion religieuse, mais plutôt spirituelle (l'une n'étant pas incompatible avec l'autre…). Le spirituel au sens littéral et premier, « spiritus » : souffler, le souffle. Comment a évolué votre activité ces dernières années, économiquement et artistiquement ? À l'origine, ce métier consistait à créer des architectures et des espaces signifiants en travaillant la lumière par le truchement du verre. Je suis resté fidèle à cela. Et pour y rester fidèle, paradoxalement, il a fallu que je m'éloigne du monde du vitrail tel qu'il existe aujourd'hui. Aujourd'hui mon travail touche l'architecture contemporaine. Une architecture innovante et prospective. Artistiquement, c'est infiniment plus satisfaisant. Économiquement c'est également mieux. Comment se partage votre clientèle ? La clientèle : privée, publique, export, architectes, designers, industriels, artistes, bureaux d'étude, concours artistiques, concours d'architecture. Dans le domaine de la création et de la restauration, comment évolue la demande de la clientèle ? Mon travail s'est trop éloigné du secteur classique du vitrail pour que ces questions, posées de cette manière, soient pertinentes dans ma situation. Quoi qu'il en soit je ne fais plus de restauration. Les architectes ont-ils suffisamment intégré, à votre avis, les possibilités du vitrage d’art dans leurs projets ? Les architectes, oui, mais ils ne savent pas comment faire. Les vitraillistes et verriers, n'ont pas intégré les besoins de l'architecture et par ailleurs ne savent pas comment faire économiquement et techniquement. Mais le plus gros handicap qui pénalise les verriers vis à vis de l'architecture contemporaine est lié à un déficit culturel. Intégrez-vous les nouveaux procédés de conception d'image assistée par ordinateur ou des procédés d’impression numérique sur verre plat ? Oui Comment voyez-vous l’avenir de cette forme d’expression ? Compte tenu du contexte économique difficile dans lequel nous évoluons, je ne sais pas si une révolution culturelle du vitrail est encore possible. Si elle a lieu, le champ des possibles est largement ouvert. Sinon, les choses vont continuer à se détériorer.

www.atelieremmanuelbarrois.com contact@atelierbarrois.com


Agenda

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Catalogue complet des stages Sur www.Cerfav.fr Recherche par profil, date et niveau. Vannes-le-Châtel

Renseignements 12/03 au 16/03 2012

Stages pour les professionnels

→ Optimiser les process pour améliorer la production en fusing (35h) Appréhender les possibilités du fusing et du thermoformage.

Stages débutant → Modéliser un vitrage et le mettre en lumière (28h) 31/01 au 03/02 2012

Formaliser, concevoir et communiquer votre idée, ou projet à l'aide des outils informatiques associés aux techniques traditionnelles de la représentation.

10/04 au 27/04 2012

Cycle perles au chalumeau (98h)

Stages niveau avancé 14/02 au 17/02

Cerfav|Vannes-le-Châtel : Pour tout renseignement pédagogique, contactez Annabelle Babel, tél.03 83 25 49 90 ou annabelle.babel@cerfav.fr Pour tout renseignement administratif, contactez notre secrétariat : info@cerfav.fr Cerfav|Pantin : Vous pouvez vous inscrire sur le site internet www.cerfav.fr rubrique formation ou en nous demandant la fiche d’inscription par téléphone au 01 57 42 12 57 ou info-pantin@cerfav.fr

Maîtriser les peintures sur verre adaptées au fusing (28h)

2012

07/02 au 08/02 2012

09/02 au 10/02 2012

→ Réaliser un moule en céramique pour le thermoformage (14h) Vous pourrez réaliser un maître modèle original propre à la fabrication d'un moule céramique pour le thermoformage.

→ Sécuriser les verres avec inclusion de motifs décoratifs (14h) Fusionner des verres de différentes épaisseurs en y intégrant un décor.

→ Polir et graver à l'acide (14h) 21/02 au 22/02 2012

07/03 au 09/03 2012

Découvrir les techniques du polissage et de dépolissage à l'acide sulfurique et fluorhydrique.

→ Métalliser par dépôt d'argenture (21h) Apprendre les procédés pour argenter une pièce en verre. Vous aurez l'occasion de travailler sur vos propres pièces.

20/03 au 23/03 2012 10/04 au 27/04 2012

Transposer le tissage en verre (28h)

Ours •R evue éditée par le Cerfav rue de la liberté | 54112 Vannes-le-Châtel Tél. 03 83 25 49 90 - contact@cerfav.fr •D irecteur de la publication

Sculpter par sablage (28h)

Gérard Lotzer •R édacteur en chef Denis Garcia

Vannes-le-Châtel

•R evue trimestrielle no42, Issn 1630-9081,

Nos offres de formation

•D enis Garcia, Philippe Garenc, Fanny Guenzi,

→ En alternance Cerfav/entreprise sur 2 ans pour préparer un CAP ou un BMA soufflage, décoration et vitrail. → En 2 ans, à temps plein, pour développer des projets artistiques personnels et maîtriser les bases techniques. « Compagnon Verrier Européen » → Stages de découverte et de perfectionnement aux techniques du verre, de 28h à plusieurs semaines. → Stages concrets et directement exploitables réservés aux professionnels. → Formation industrielle Prover en intra ou inter-entreprise. → Formation en 1 an pour savoir créer son activité et développer sa démarche artistique appliquée « Concepteur Créateur » - pour tous métiers d'art Pour toutes, financements possibles. en savoir plus sur : www.cerfav.fr/formation Vannes-le-Châtel

tiré à 800 ex.+ encart programme Silinnov Maryline Didier, Selda Tankisi, Eléonore Durand, "Marvin" Arnaud, Marie Claire Léonard et Michèle Henry ont contribué à ce numéro . •A bonnement : Eléonore Durand, Tél. 03 83 25 49 93, eleonore.durand@cerfav.fr •C ouverture : fabrication du vitrail au xiie.siècle •C rédits photographiques : Pages 3 & 4 : Judith Schaechter Pages 5,6 & 7 : Joseph Cavalieri, CAVAglass.com Page 9 : Liné1 Pages 8 & 10 : Cerfav | Vannes-le-châtel •N os remerciements particuliers au Fonds social européen, à la région Lorraine, au Conseil Général de Meurthe & Moselle, au ministère de l’économie de l’industrie et de l’emploi, à Villes et métiers d’art, à la Dgcis, à l’Ism, et l’ Inma.


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