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LA GRÈCE A DONNÉ SON NOM À L’EUROPE AUJOURD’HUI, ELLE EN RÉVÈLE LA NATURE
 Par Daniel RICHARD, SecrĂ©taire Interprofessionnel de la F.G.T.B. Verviers

sociale et de pauvreté, tandis que les droits humains, en particulier les droits économiques et sociaux, ont été foulés au pied. »1

« Depuis mai 2010, la GrĂšce applique un programme d’ajustement macroĂ©conomique qui est la condition Ă  laquelle elle reçoit une « aide financiĂšre » du Fonds MonĂ©taire International, de quatorze Etats membres de la zone euro, reprĂ©sentĂ©s par la Commission europĂ©enne, le Fonds europĂ©en de stabilitĂ© financiĂšre et la Banque Centrale EuropĂ©enne. Ce programme consiste en des mesures nĂ©olibĂ©rales telles que la diminution des dĂ©penses, des licenciements massifs dans le secteur public, la dĂ©rĂ©gulation systĂ©matique du secteur privĂ©, des augmentations d’impĂŽts, des privatisations et des changements structurels (
). Ces mesures imposĂ©es au niveau international, censĂ©es ramener le dĂ©ficit budgĂ©taire et la dette publique du pays Ă  un niveau soutenable, ont prĂ©cipitĂ© l’économie dans une profonde rĂ©cession – la plus longue qu’ait connue l’Europe en temps de paix. Des millions de personnes se sont retrouvĂ©es sans emploi et dans une situation d’exclusion

Et cette « potion magique » ne marche pas ! Plus personne ne peut l’ignorer. Il suffit d’observer. Pourtant, « on » persĂ©vĂšre avec une pharmacopĂ©e qui menace la survie mĂȘme du patient. Sauf Ă  opter pour une dimension « religieuse », mystique ou eschatologique dans l’analyse des forces en prĂ©sence, la rĂ©alitĂ© impose donc un constat : l’enjeu vĂ©ritable n’est pas santĂ© du « malade », en l’occurrence celle du pays. Il faut chercher ailleurs le sens des logiques Ă  l’Ɠuvre
 L’analyse Ă©conomique conduit rapidement au bout d’une impasse. L’approche politique semble plus fĂ©conde mais elle est vertigineuse : elle met Ă  jour une volontĂ© forte d’institutions dites « apolitiques » d’humilier un gouvernement et, par-delĂ  lui, un peuple tout entier. Dans cette confrontation, existe-t-il un vainqueur ?

L’élection de janvier 2015 a portĂ© au pouvoir Ă  AthĂšnes une coalition formĂ©e par Syrisa (cartel de gauche « radicale ») et l’ANEL, parti des Grecs indĂ©pendants (formation de tendance souverainiste issue de

la « Nouvelle dĂ©mocratie »). Sa constitution a d’emblĂ©e marquĂ© une rupture avec l’alternance gauche/droite au pouvoir entre la social-dĂ©mocratie (PASOK) et les nĂ©o-libĂ©raux (« Nouvelle dĂ©mocratie »), deux formations qui, Ă  des moments divers, avaient prĂ©cĂ©demment choisi de se soumettre aux « volontĂ©s » des crĂ©anciers de la GrĂšce. Elles ont aussi pour caractĂ©ristique commune un certain degrĂ© de
 corruption. Rupture surtout au niveau du programme politique avec l’idĂ©ologie nĂ©olibĂ©rale, celle du « TINA » (« There is no alternativ ») : schĂ©matiquement, il s’agissait, en politique intĂ©rieure, d’en finir avec une oligarchie corrompue comme avec une politique « austĂ©ritaire » aveugle et, en politique extĂ©rieure, de nĂ©gocier un assouplissement des contraintes de la « TroĂŻka »2 pour s’extraire des dynamiques rĂ©cessives et donner de l’air Ă  la sociĂ©tĂ© grecque. Ce gouvernement s’est rapidement heurtĂ© Ă  un mur : la lĂ©gitimĂ© des « choix » contre la logique des « rĂšgles »3
 Le PrĂ©sident de la Commission a d’emblĂ©e posĂ© un cadre

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pour la suite des discussions : « Il ne peut y avoir de choix dĂ©mocratiques contre les TraitĂ©s »4. Restait ainsi comme prioritĂ© d’action et hypothĂšse de travail à
 gagner du temps. Six mois. Se battant contre la montre et des Ă©chĂ©ances importantes pour le remboursement de dettes qu’il ne pouvait plus assumer, le gouvernement Tsipras a Ă©tĂ© poussĂ© par ses crĂ©anciers, au dĂ©but de l’étĂ©, Ă  un retour aux politiques d’adversaires politiques qu’il avait dĂ©faits dans les urnes. Le gouvernement grec a alors annoncĂ©, comme on brandit un joker au milieu d’une partie mal engagĂ©e, qu’il voulait solliciter l’avis de ses concitoyens Ă  l’occasion d’un rĂ©fĂ©rendum. Il s’agissait d’avaliser ou de refuser un nouveau « mĂ©morandum », un tour de garrot supplĂ©mentaire en Ă©change d’une bouffĂ©e d’oxygĂšne financiĂšre pour pourvoir honorer des crĂ©ances Ă©chues.

LA GRÈCE N’A RIEN GAGNÉ De maniĂšre stupĂ©fiante, la BCE a alors choisi de rĂ©duire le flux des liquiditĂ©s vers les banques grecques, leur imposant la fermeture des guichets et une limitation des prĂ©lĂšvements numĂ©raires (un maximum de 60 euros par personne et par jour). La classe politique europĂ©enne toute entiĂšre, de la droite Ă  la social-dĂ©mocratie, l’oligarchie locale, la presse nationale comme internationale, ont, dans la foulĂ©e du banquier central, menĂ© campagne contre le gouvernement de janvier, en allant jusqu’à instiller le doute sur la question mĂȘme posĂ©e par le rĂ©fĂ©rendum. En laissant entendre qu’il s’agissait, en rĂ©alitĂ©, de se prononcer sur le maintien ou non du pays dans la zone « euro ».

La rĂ©ponse de la population a pris tout le monde de court. Son ampleur surtout a dĂ©sarçonnĂ© : le 5 juillet, la participation a Ă©tĂ© massive (62,5%) et une large majoritĂ© (61,35%) a dit « OXI ». Non ! Comme lors des prĂ©cĂ©dents rĂ©fĂ©rendums europĂ©ens, sur le TraitĂ© constitutionnel en 2005 notamment, les « responsables » europĂ©ens n’ont Ă©videmment rien entendu et n’en ont nullement tenu compte. Les « oligarques europĂ©ens » ont fini, en une nuit, par forcer la main de Tsipras et par lui imposer un plan d’austĂ©ritĂ© refusĂ© par ses Ă©lecteurs. Les tensions au sein du parti liĂ©es Ă  cette trahison ont conduit Ă  une crise gouvernementale, Ă  plusieurs dĂ©missions puis Ă  la convocation de nouvelles Ă©lections et, enfin, Ă  une nouvelle victoire de la mĂȘme coalition. En chemin, Syrisa a perdu son aile la plus radicale qui, de son cĂŽtĂ©, n’a pu dĂ©passer la barre Ă©lectorale pour encore ĂȘtre reprĂ©sentĂ©e Ă  la Vouli, le Parlement grec. Le 16 septembre 2015, quelques jours avant les Ă©lections, le ViceprĂ©sident de la Banque centrale europĂ©enne (BCE), Vitor Constanacio, faisait une dĂ©claration Ă©tonnante Ă  l’agence de presse Reuters : le « Grexit », la menace d’expulsion de la GrĂšce de la zone euro, « n’a jamais Ă©tĂ© lancĂ©e pour de vrai parce que ce ne serait pas lĂ©gal. » Du coup, il s’agirait aujourd’hui de lever toute Ă©quivoque et « les doutes qui demeurent sur la viabilitĂ© du bloc monĂ©taire »5. Ces propos ont Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©s comme une incroyable intervention politique de la part d’une institution construite sur le principe de l’indĂ©pendance Ă  l’égard des Etats. Cet « aveu » dĂ©truisait surtout le rĂ©cit politique du Premier ministre en campagne

selon lequel « il n’avait pas eu le choix ». A l’évidence, les institutions europĂ©ennes se permettent donc d’intervenir directement dans le dĂ©bat politique (et mĂȘme Ă©lectoral !) au contraire de ce qui est communĂ©ment admis. « L’Europe ne dit pas ce qu’elle fait, tonnait le sociologue français Pierre Bourdieu6 . Elle ne fait pas ce qu’elle dit. Elle dit ce qu’elle ne fait pas ; elle fait ce qu’elle ne dit pas. Cette Europe qu’on nous construit, c’est une Europe en trompe-l’Ɠil. »

La crise grecque nous a rĂ©vĂ©lĂ© qu’elle est moins composĂ©e d’experts taxĂ©s d’ « eurocrates » que de politiques.

Sans doute que le recul manque encore pour faire une Ă©tude approfondie et rigoureuse des dĂ©clarations qui ont entourĂ© les nĂ©gociations du « troisiĂšme mĂ©morandum » imposĂ© Ă  la GrĂšce. Elles ont Ă©tĂ©, du fait mĂȘme de la conflictualitĂ© nouvelle du dossier de la dette grecque, plus « transparentes ». Ainsi ont-elles permis de dĂ©couvrir que les institutions, qui dirigent l’Euro zone, n’ont pas de lĂ©gitimité  institutionnelle. Il s’agit, dans l’architecture europĂ©enne, d’une « association de fait » qui tire son pouvoir du rapport de force qu’elle peut crĂ©er. Pire : elle ne rĂ©dige rĂ©ellement ni rapport de ses activitĂ©s ni procĂšs-verbal de ses dĂ©bats. La crise grecque nous a rĂ©vĂ©lĂ© qu’elle est moins composĂ©e d’experts taxĂ©s d’ « eurocrates » que de politiques. Yanis Varoufakis7, ministre grec de l’Economie, avoue n’y avoir pas parlĂ© la mĂȘme langue que ses collĂšgues. Il n’a pas Ă©tĂ© compris. Sa logique Ă©tait celle d’un Ă©conomiste brillant...

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Pire : peu de gens soutiennent finalement que les mesures supplĂ©mentaires d’austĂ©ritĂ© qui ont Ă©tĂ© dictĂ©es autour de cette table ont la moindre chance d’amĂ©liorer la situation de l’économie grecque dans les prochaines annĂ©es. Pas mĂȘme le FMI, crĂ©ancier et membre de la « TroĂŻka ». Pas mĂȘme, semble-t-il le ministre allemand Wolfgang SchĂ€uble, qui s’est illustrĂ© notamment par la proposition d’un « Grexit » temporaire de cinq annĂ©es
 Le peuple grec est donc mis Ă  genou, politiquement, symboliquement et littĂ©ralement
 pour rien. La question de l’allĂšgement de sa dette est reportĂ©e sine die. Son poids va croĂźtre. C’est pourtant au nom d’un allĂšgement de cette dette publique majoritairement transfĂ©rĂ©e d’organismes privĂ©s Ă  des institutions publiques que des saignĂ©es supplĂ©mentaires sont exigĂ©es. Une Commission internationale « pour la vĂ©ritĂ© sur la dette publique grecque » avait Ă©tĂ© mise en place par le Parlement grec. Son rapport prĂ©liminaire fait Ă©tat de « violations juridiques majeures en ce qui touche aux contrats d’emprunt ; il pose Ă©galement les bases juridiques sur lesquelles une suspension unilatĂ©rale des paiements de la dette peut ĂȘtre invoquĂ©e »8. L’incapacitĂ© du systĂšme politique grec de transformer cette analyse juridique en rapport de force politique sur la scĂšne europĂ©enne donne une idĂ©e de la puissance de la « violence symbolique »9 qui peut ĂȘtre exercĂ©e dans un « champ », l’Union europĂ©enne en l’occurrence, qui nous est pourtant prĂ©sentĂ© comme relevant de logiques plus « dĂ©mocratiques » que « totalitaires ». Depuis les travaux du sociologue Max Weber, il est entendu que seul un Etat peut ĂȘtre le dĂ©tenteur de la lĂ©gitimitĂ© de l’exercice de la violence

(physique ou symbolique). De quels attributs d’un Etat, l’Union peut-elle rĂ©ellement se prĂ©valoir dĂšs lors qu’elle nie absolument toute expression des souverainetĂ©s populaires ?

Le peuple grec est donc mis à genou, politiquement, symboliquement et littéralement
 pour rien.

L’HONNEUR PERDU DES INSTITUTIONS DE L’UNION Son image est aujourd’hui tordue, durablement altĂ©rĂ©e. Si bien que, s’il faut tirer des conclusions provisoires Ă  l’automne de cette crise estivale, nous pourrions ĂȘtre amenĂ©s Ă  dresser un double constat. Certes, le Gouvernement Tsipras n’a obtenu aucun soulagement pour les souffrances de son peuple. A peine un peu de rĂ©pit au prix de nouveaux abandons de sa propre souverainetĂ©. Il a nĂ©anmoins bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une expression de la confiance populaire Ă  trois reprises en un an. L’homme Ă  abattre est non seulement toujours debout mais peut-ĂȘtre encore un peu plus lĂ©gitime. Par contre, les institutions europĂ©ennes semblent sortir de l’étĂ© passablement essorĂ©es, dĂ©lavĂ©es et plus trĂšs brillantes. « VoilĂ  une banque centrale, une des trois ou quatre plus puissantes au monde, qui s’amuse Ă  lancer des menaces sur l’avenir et la structure de sa propre monnaie « pour de faux » !, s’étrangle le journaliste Romaric Godin10. Son ViceprĂ©sident peut, sans rire, affirmer tranquillement qu’il a menti en pleine crise. Il y a lĂ  de quoi s’interroger sur la gestion de l’euro et sur l’indĂ©pendance de la BCE (
) La BCE a pratiquĂ© une forme de « chantage » sur un pouvoir dĂ©mocratiquement Ă©lu

d’un pays membre. Ce chantage devient presque un mode de gestion de l’euro. Il a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© pratiquĂ© sur l’Irlande en 2010 et sur Chypre en 2013. Mais ce qui est frappant, c’est qu’à chaque fois, les dirigeants de la BCE ne sont aucunement rendus responsables de ces actes. Aucune poursuite, aucune enquĂȘte sur ces mĂ©thodes n’est possible ». Cette irresponsabilitĂ© du banquier central constitue une faille dĂ©mocratique bĂ©ante de la construction de la zone euro et aucune rĂ©forme ne prĂ©voit de rĂ©viser ce fonctionnement. « Tant qu’il en sera ainsi, le dĂ©saveu populaire vis-Ă -vis de l’euro ne pourra que croĂźtre ». Nous y sommes hĂ©las et il est tard pour pleurer sur le lait rĂ©pandu. La « sortie de l’euro », jusqu’alors hypothĂšse thĂ©orique disputĂ©e par une poignĂ©e d’économistes Ă©clairĂ©s Ă  une extrĂȘme-droite soucieuse de surfer sur une vague nationaliste sans rapport avec les analyses desdits Ă©conomistes11, Ă©tait balayĂ©e d’un revers de main dans les dĂ©bats contre l’austĂ©ritĂ© : une lubie digne de la controverse sur le sexe des anges... Aujourd’hui, ce scĂ©nario a acquis une crĂ©dibilitĂ© qui ne peut plus ĂȘtre effacĂ©e comme si rien ne s’était passĂ©. La fragmentation de la zone est possible. Plus fondamentalement encore, surgissent au grand jour des dĂ©bats jusque-lĂ  refoulĂ©s sur les liens en souverainetĂ© et monnaie. FrĂ©dĂ©ric Lordon y consacre l’amorce d’une Ɠuvre12. « L’urgence, politique et Ă©conomique, commande de rĂ©examiner de prĂšs l’option de la sortie de l’euro, explique-t-il. Sous deux codicilles cependant : 1) reconstruire les concepts de souverainetĂ© et de nation de

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maniĂšre qui les rendent irrĂ©cupĂ©rables par l’extrĂȘmedroite ; 2) rĂ©affirmer que dĂ©faire l’euro n’exclut nullement de continuer Ă  Ɠuvrer pour l’approfondissement rĂ©solu de tous les autres liens extra-Ă©conomiques !- entre les peuples europĂ©ens, ni mĂȘme de penser Ă  refaire un commun monĂ©taire europĂ©en sous la forme, non plus d’une monnaie unique, mais d’une monnaie commune. » Le dĂ©bat est bel et bien lancĂ©. Il est balisĂ©. Il a dĂ©jĂ  son lot de maladresses et de polĂ©miques13. Il ne va pas se tarir rapidement. Au contraire, il risque rapidement d’interpeller la gauche en profondeur. Il pourrait progressivement dĂ©finir une nouvelle ligne de partage au sein de celle-ci. Quelques tĂ©nors de la socialdĂ©mocratie europĂ©enne se sont singuliĂšrement fourvoyĂ©s au moment du rĂ©fĂ©rendum grec (le prĂ©sident du Parlement europĂ©en14, notamment). La totale vacuitĂ© de perspectives et de marges de manƓuvres qu’elle se crĂ©e quand elle occupe le pouvoir, comme en France, dans ce contexte d’austĂ©ritĂ© dictĂ© depuis l’échelon europĂ©en, crĂ©e littĂ©ralement un appel d’air et les conditions de nouveaux dĂ©bouchĂ©s politiques. Ce fut Syrisa en GrĂšce. Ce sera peutĂȘtre Podemos en Espagne. A terme, le destin de ces nouvelles formations pourrait dĂ©pendre de leur propre capacitĂ© Ă  rĂ©sister aux « logiques europĂ©ennes » dans la mesure oĂč aucune des deux formations ne semble avoir, pour l’heure, fait un choix de rupture par rapport Ă  celles-ci.

Ainsi pourrions-nous constater que le vide creusĂ© par le mouvement d’une gauche molle vers un social-libĂ©ralisme assumĂ© (aussi rebaptisĂ© « droite complexĂ©e ») ne peut ĂȘtre comblĂ© qu’à la condition de rompre avec le cadre qui s’est progressivement imposĂ© Ă  nous au fil de la construction europĂ©enne.

Le destin de ces nouvelles formations pourrait dépendre de leur propre capacité à résister aux « logiques européennes ».

En effet, quelle politique inspirĂ©e par les valeurs de la gauche (Ă©galitĂ©, libertĂ©s collectives, solidaritĂ© internationale
) est encore possible sans remise en question du principe de libertĂ© de circulation des capitaux ? De celui de la primautĂ©, dans la gestion des entreprises, des intĂ©rĂȘts des propriĂ©taires sur ceux des producteurs de la richesse ? De celui d’une rĂ©gulation de l’économie par les marchĂ©s au dĂ©triment de l’action des pouvoirs publics agissant dans l’intĂ©rĂȘt commun ? Quelle politique de coopĂ©ration est encore envisageable dans un espace qui fait de la « concurrence libre et non faussĂ©e » l’alpha et l’omĂ©ga de ses interventions ?

TchĂ©coslovaquie, par un matin d’aoĂ»t 1968, pour Ă©craser le Printemps de Prague sous les chenilles des blindĂ©s. Vingt et une annĂ©es plus tard tombait le mur de Berlin. Aujourd’hui, dans l’espace europĂ©en, les armes se taisent et la gestion des dettes publiques (et corrĂ©lativement celle des budgets publics) est devenue un instrument efficace de la domination des peuples. L’agression militaire s’est effacĂ©e au profit d’une violence symbolique. Sans attĂ©nuation cependant des effets dĂ©vastateurs directs ou collatĂ©raux sur les populations concernĂ©es.

Finalement, l’enseignement majeur de la crise grecque des derniers mois se trouve ainsi illustrĂ© : si rien n’a malheureusement fondamentalement changĂ© pour la population de la GrĂšce, l’image de l’Union europĂ©enne se trouve aujourd’hui dĂ©vastĂ©e. Et le champ de ruine ressemble plus Ă  Palmyre qu’au ParthĂ©non
 Le « raid politique » sur AthĂšnes de cet Ă©tĂ© 2015 aura, dans l’Histoire, un goĂ»t de « normalisation » et la mĂȘme dimension que l’arrivĂ©e du Pacte de Varsovie en

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1

« La vĂ©ritĂ© sur la dette grecque. Rapport de la Commission pour la vĂ©ritĂ© sur la dette publique grecque », Ă©d. LLL Les liens qui libĂšrent, 2015. 2 Consortium reprĂ©sentant les intĂ©rĂȘts des crĂ©anciers publics de la GrĂšce (les premiĂšres opĂ©rations de « sauvetage du pays » ayant consistĂ©s, pour l’essentiel, Ă  sauver les actifs dĂ©tenus par des banques privĂ©es europĂ©ennes, allemandes, françaises et nĂ©erlandaises surtout, pour les transfĂ©rer vers des institutions publiques). Il est composĂ© du Fonds monĂ©taire international, de la Banque centrale europĂ©enne et de la Commission europĂ©enne. 3 En 2002 dĂ©jĂ , l’économiste français Jean-Paul Fitoussi avait formulĂ© ce paradoxe de l’Union europĂ©enne : « Elle exige de notables abandons de souverainetĂ© de la part des Etats qui la composent, mais n’y substitue aucun Ă©quivalent Ă  l’échelle communautaire. PrivilĂ©giant l’intĂ©gration par des normes toujours plus contraignantes, elle vide peu Ă  peu le siĂšge de la souverainetĂ© nationale sans pour autant investir celui de la souverainetĂ© europĂ©enne. Ainsi en chacun de nos pays apparaĂźt un dĂ©ficit dĂ©mocratique, car le gouvernement des membres de l’Union devient davantage un gouvernement par des rĂšgles, sur lesquelles les Ă©lecteurs n’ont pas de prise, qu’un gouvernement par des choix. » Jean-Paul Fitoussi, « La rĂšgle et le choix. De la souverainetĂ© Ă©conomique en Europe », Ă©d. La rĂ©publique des idĂ©es, Seuil, 2002. 4http://www.lefigaro.fr/vox/politique/2015/02/02/31001-20150202ARTFIG00405-du-traite-constitutionnel-a-syriza-l-

europe-contre-les-peuples.php 5

A ce sujet, lire Romaric Godin, journaliste de La Tribune : http://www.latribune.fr/economie/unioneuropeenne/grece-le-stupefiant-aveu-de-la-bce-505811.html 6

Cité par Raoul Marc Jennar in « Europe, la trahison des élites », Fayard, 2004.

7

Yanis Varoufakis, ministre grec de l’Economie sous le premier Gouvernement Tsipras. Il dĂ©missionne au lendemain du troisiĂšme mĂ©morandum. Il est docteur en Ă©conomie, professeur de l’UniversitĂ© du Texas, consultant et auteur, notamment, de « Le minotaure planĂ©taire. L’ogre amĂ©ricain, la dĂ©sunion europĂ©enne et le chaos mondial », Ă©d. EnquĂȘtes et perspectives, 2014.

8

« La vĂ©ritĂ© sur la dette grecque
 » Op. citĂ©.

9

Ce concept a Ă©tĂ© thĂ©orisĂ© par Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron (Pierre Bourdieu, Jean-Claude Passeron, « La reproduction. ElĂ©ments pour une thĂ©orie du systĂšme d’enseignement », Les Ă©ditions de Minuit, 1970) comme un rapport de forces entre groupes sociaux qui est converti en rapport de sens (une justification consentie) avec la complicitĂ© active des dominĂ©s qui le reconnaissent comme lĂ©gitime.

10

Journaliste de La Tribune, http://www.latribune.fr/economie/union-europeenne/grece-le-stupefiant-aveu-de-labce-505811.html. 11

Dans un petit ouvrage roboratif, Jacques Nikonoff, ancien porte-parole d’Attac-France distingue de maniĂšre trĂšs pĂ©dagogique les diffĂ©rences d’approches : Jacques Nikonoff, « La confrontation. Argumentaire anti-FN », Ă©d. Le temps des Cerises, 2012. 12

Lire notamment : Frédéric Lordon « La Malfaçon. Monnaie européenne et souveraineté démocratique », éd. LLL Les liens qui libÚrent, 2014.

13

Citons Ă  titre d’exemple, l’expression pour le moins maladroite de Jacques Sapir, Ă©conomiste militant de la sortie de l’euro ( « Faut-il sortir de l'euro ? », Jacques Sapir, Le Seuil, 2012), qui n’a pas Ă©cartĂ© cet Ă©tĂ© la perspective, dĂ©noncĂ©e entre autres par FrĂ©dĂ©ric Lordon, d’une forme de convergence avec l’extrĂȘme droite sur ce sujet. 14

Martin Schulz avait Ă©voquĂ© la perspective en cas de victoire du « oui » au rĂ©fĂ©rendum la mise sur pied
 d’un gouvernement d’experts ! http://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/grece-martin-schulz-veut-ungouvernement-de-technocrates-pour-remplacer-syriza_1695818.html

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