Forum Social Mondial de Tunis – 24 – 28 mars 2015 Jour 1. Le Forum Social Mondial a ouvert ses portes ce mercredi matin à quelque 30 000 participants des quatre coins du globe, venus porter la voix d’une grande majorité d’habitants de cette Terre bien décidés à ne pas laisser guider leur monde et leur vie par les intérêts de quelques-uns, intérêts égoïstes et destructeurs de toute condition de possibilité de paix, de solidarité, d’égalité, de cohésion sociale. Ce rendez-vous devenu incontournable pour un grand nombre d’organisations de la société civile de tous pays (4000 organisations inscrites, parmi lesquelles des ONG, des syndicats, des mouvements sociaux, et associations de tout type, …) s’est ouvert ce mardi 23 par une grande manifestation dont le mot d’ordre appelait à la paix, à la démocratie et à la solidarité de tous les peuples en vue de combattre le racisme, les inégalités et le terrorisme, dont le fléau a encore terriblement frappé la capitale tunisienne ce 18 mars. Le parcours de la marche a d’ailleurs été modifié afin de se terminer à hauteur du musée du Bardo (lieu des attentats terroristes de ce 18 mars où 21 personnes ont perdu la vie), où plusieurs dizaines de milliers de personnes ont pu clamer une nouvelle fois haut et fort, sous pluie battante et vent d’orage, l’unité pour la paix et la démocratie.
Une rencontre avec le syndicat UGTT était également prévue dans les jours précédant l’ouverture du Forum, dans le but de comprendre la situation économique, politique et sociale du pays. Nous vous en livrons le compte-rendu ci-dessous.
Ce mercredi, les ateliers ont débuté sur le site du Campus Al Manar. Au total, 1200 activités ont été enregistrées par les organisations participantes, couvrant une palette de thématiques allant de la défense des droits des travailleurs à la protection de l’environnement, passant par la défense des peuples opprimés, la lutte contre les inégalités et pour la protection sociale, la justice fiscale, les droits des femmes et des jeunes, etc. Un large ensemble de réflexions et de débats destiné tant à nous instruire qu’à nous rencontrer autour d’échanges et de partages d’expériences, et bien sûr, à nous mobiliser !
Il va sans dire que La défense des services publics, ainsi que les enjeux connexes de la taxation des transactions financières, de l’audit citoyen de la dette et de la dénonciation des accords de libreéchange et des politiques d’ajustement prônées par les institutions financières, seront également parmi les axes centraux de nombreux débats.
Rencontre avec Sadok Kacem, UGTT - Tunisie SITUATION ECONOMIQUE en Tunisie Situation explosive : pression des chômeurs qui demandent des emplois, des pauvres qui demandent des indemnités. Travailleurs qui demandent plus de stabilité et une amélioration du système de soustraitance et enfin un Dialogue Social. Le gouvernement s’est attaqué à ce problème en créant des emplois dans le secteur public. Mais le capital a peur… 1000 hommes d’affaires ont déjà quitté le pays. Le gouvernement a engagé quelque 45000 personnes dans la fonction publique ! -> engagements sur une base sociale et politique, PAS économique. Les familles nécessiteuses indemnisées sont passées de 70 à 120.000 (indemnités minimales vitales de 120 Dinars). La situation économique reste très difficile, surtout dans les régions rurales, largement défavorisées. Déficit budgétaire annuel : 6,7% Taux d’inflation : 5,% Taux de pauvreté était de 7% selon l’ancien régime. Selon les études il serait en réalité de 24% Le taux de chômage frôle les 25 %, atteignant 40 % chez les jeunes diplômés. L’économie informelle, elle, représente environ 30 % du PIB et 35 % de l’emploi. La protection sociale ne couvre que 45 % de la population. Par ailleurs, le déficit de la balance commerciale est important, entraînant des taux d’intérêt pour l’emprunt sur les marchés de 6 % ! La dette publique s’élève, elle, à 48% du PIB, ce qui est déjà énorme pour une économie faible qui ne gère pas de croissance par elle-même, et qui, pire encore, est actuellement obligée d’emprunter uniquement pour rembourser ses créanciers, le service de la dette passant ainsi avant les plus que nécessaires investissements. Le système bancaire a été miné par l’ancien régime, confrontant l’actuel gouvernement à garantir un système de recapitalisation des 3 principales banques publiques à raison de 1,5 milliard de dollars, avec ce que ça entraîne comme dangers de privatisation. Le système de protection sociale accuse un déficit de 3 milliards de dollars, faisant peser une menace sur la retraite et sur l’assurance maladie. Le 20 mars, le Président de la République a appelé à un partage des sacrifices pour faire face à cette situation difficile. Mais les entreprises ne sont pas appelées à partager les sacrifices, bénéficiant de cadeaux fiscaux phénoménaux et d’exonérations de cotisations de tout type. Résultat : la colère des travailleurs ne fait qu’augmenter. Lorsque que le parti Ennahda était au pouvoir, un contrat social avec été signé entre le gouvernement et les syndicats, comprenant plusieurs parties : 1. Construction d’un nouveau modèle de développement dans le cadre o Privé,
o Public o Mixte o Economie sociale 2. Politique de l’emploi et de la formation professionnelle en vue d’une approche de travail décent pour tous 3. Protection sociale basé sur le socle développé par l’OIT 4. Nouveau modèle de relations professionnelles 5. Institutionnalisation du Dialogue Social (DS) par un Conseil national du DS (projet financé par la Belgique) o Des groupes de travail ont démarré, mais sont à présent bloqués. o Les 17 accords pour le réajustement de salaires signés n’ont toujours pas été honorés. o Les patrons arrivent parfois à un accord avec les syndicats mais le gouvernement bloque cet accord et empêche son application. o Une circulaire a été envoyée par le gouvernement à tous les chefs d’entreprise demandant de ne plus signer de conventions collectives avec les syndicats. C’est clairement une entrave à la liberté de négocier et aux conventions N° 180 et 84 de l’OIT. o Le gouvernement attise les médias et l’opinion publique contre les syndicats et le droits de grève, tandis que les employeurs ont tenté d’inscrire en regard du droit de grève dans la Constitution le Droit au travail, rendant également légal le lockout. o Le gouvernement instrumentalise la situation économique et politique pour contraindre les actions de l’UGTT. Au niveau du terrain, il y a beaucoup d’implication des patrons pour interdire l’organisation syndicale. Dans le secteur textile, cette situation est flagrante. o
Certains de ces employeurs ne paient pas de contribution au système de sécurité sociale.
La garantie des investissements étrangers permet aux entreprises de venir s’installer en Tunisie sans aucune contrainte sociale ni financière, ce qui a pour conséquence un appauvrissement de l’Etat et une précarisation grandissante des travailleurs. Le pays subit également beaucoup de pression pour signer des accords de libre-échange avec l’Union européenne, ce qui aura également pour conséquence d’accroître les inégalités et de diminuer la capacité d’autonomie politique du pays. La Tunisie est à un stade critique : la situation économique et sociale est difficile ; La situation sécuritaire est grave. Le bateau pourrait chavirer si on ne trouve pas de solution urgemment !