Propositions de l'UGICT

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PENSIONS

Propositions Retraites : 2010 Une année décisive

Pour les retraites, l’année qui s’ouvre est celle de tous les dangers. L’Assemblée nationale a dessiné les contours d’un projet de réforme ; le Medef a posé ses propres exigences pour aller à une « articulation entre l’âge de la retraite, la durée d’activité et de cotisation, le montant des cotisations et le niveau des pensions ». Enfin, le président de la République et le ministre du Travail ont promis un rendez-vous présenté comme la tentative de « pérenniser les régimes de retraite par répartition ». En fait, on en est loin… La situation impose donc une double urgence : comprendre ce que l’on s’apprête à nous « proposer », populariser largement les propositions crédibles que porte la Cgt.

Des affairistes très affairés

Les salariés sont priés d’applaudir aux généreuses offres de leurs employeurs en matière de retraite par capitalisation, censées améliorer leur pension de retraite. Ces produits – Pere, Perco, Perp, plans de retraite supplémentaire, à cotisation variable ou fixe, obligatoire ou facultative – sont pour la plupart nés de la loi Fillon de 2003, qui instaure des exonérations de charges sociales et des allégements fiscaux pour inciter les entreprises comme les salariés à recourir à des alternatives au principe de répartition. Ainsi, les grandes manœuvres font rage depuis un moment, et le marché se développe, les entreprises se montrant toujours intéressées par un effet d’aubaine. Pour les salariés, il y a lieu de se montrer très circonspects…

Un autre financement est possible

Depuis près de vingt ans, les gouvernements et le patronat invoquent la démographie, la crise économique, pour mettre en cause le système de retraite, en modifier profondément la nature. Si la question n’est pas démographique, il existe bel et bien un problème de financement. La Cgt propose en conséquence une réforme en profondeur du financement de la retraite, réforme qui permettrait de garantir celle-ci, d’abord de 2010 à 2050, et au-delà ensuite.

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SOMMAIRE ÉPARGNE RETRAITE EN ENTREPRISE : LE BAL DES REQUINS PAGES 13-15 ENTRETIEN AVEC SYLVIE DURAND : RÉFORME(S), QUEL AVENIR POUR L’AGIRC ? PAGES 16-17 REPÈRES PAGE 18 RÉFORME : 2010, RENDEZVOUS À HAUTS RISQUES PAGES 19-22 “CARRIÈRE COMPLÈTE” : À REDÉFINIR D'URGENCE PAGE 23 RÉPARTITION : COUP DE JEUNES ! PAGE 24 FEMMES : L’ÉGALITÉ À LA TRAPPE ? PAGE 25 PSYCHISME : RETRAITE, LES PROMESSES DU TEMPS PAGES 26-28 CRISE : FONDS DE PENSION, LA CHUTE PAGE 29 FINANCEMENT : TOUT RESTE POSSIBLE… PAGES 30-36 MAISON COMMUNE : UNE MAISON QUI GAGNE À ÊTRE CONNUE ! PAGE 37

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Epargne retraite en entreprise : le bal des requins Les salariés sont priés de ne plus croire au Père Noël quand ils demandent de meilleures conditions de travail ou des augmentations de salaires. Mais ils ont le droit d’applaudir aux généreuses offres de leurs employeurs en matière de retraites par capitalisation, censées améliorer leur pension de retraite. Ces produits – Pere, Perco, Perp, plans de retraite supplémentaire, à cotisation variable ou fixe, obligatoire ou facultative – sont pour la plupart nés de la loi Fillon de 2003, qui instaure des exonérations de charges sociales et des allégements fiscaux pour inciter les entreprises comme les salariés à recourir à des alternatives au principe de répartition. Car si notre système de retraite reste incontournable et même envié par de nombreux pays depuis la crise financière, il n’en est pas moins décrété à l’agonie par certains acteurs politiques et économiques, mis en appétit par une telle manne OPTIONS N° 553 / JANVIER 2010

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financière, qui pensent avoir tout intérêt à organiser sa faillite. Ainsi, les grandes manœuvres font rage depuis un moment. Et les institutions de prévoyance et les mutuelles, fortes d’une culture de gestion paritaire et solidaire, d’une bonne image, mais aussi d’un « portefeuille de clients », estiment légitime de se lancer sur ce marché des retraites… au risque d’y perdre leur âme : elles s’allient entre elles mais, plus risqué, misent sur le partage des savoir-faire et cherchent à s’associer à des compagnies d’assurances qui ne demandent que cela. Le phénomène se traduit par des stratégies parfois caricaturales, voire grossières. Un épisode remontant à la fin de 2008 mérite tout particulièrement mention, et ce grâce à la vigilance de deux jeunes élues Cgt qui ont alerté l’Ugict : faute d’avoir les éléments pour se prononcer, les élus au comité d’entreprise, en votant contre

Les grandes manœuvres font rage depuis un moment. Les institutions de prévoyance et les mutuelles, fortes d’une culture de gestion paritaire et solidaire, d’une bonne image, mais aussi d’un « portefeuille de clients », estiment légitime de se lancer sur ce marché des retraites…

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ou en s’abstenant, ont fait échouer un projet du laboratoire pharmaceutique Famar. A l’époque, une fusion avec une autre société rendait nécessaire d’uniformiser les régimes complémentaires en affiliant à l’Agirc les nouveaux salariés qui pouvaient relever de son avenant ingénieurs et cadres. Mais la Famar voulait substituer au régime Agirc une épargne retraite Perco. Elle a donc chargé AG2R-La Mondiale de convaincre les représentants syndicaux de la supériorité des retraites par capitalisation, lors d’une présentation « PowerPoint » où furent clamées, en quelques formules lapidaires, un certain nombre de contrevérités… Elles seront, quelque temps après, démontées point par point par Vlady Ferrier, spécialiste de la question à l’Ugict et à la Cgt, venu lui aussi rencontrer à leur demande les élus – tous syndicats confondus – et les salariés. « Les cotisations du système par répartition étaient présentées comme un investissement à perte et qui ne serait redistribué qu’en partie, et le système était présenté comme totalement figé, raconte-t-il, tandis que, de l’autre côté, les salariés bénéficiaient d’une “épargne individuelle et certaine”. Il n’était fait mention nulle part de la crise des fonds de pension, du fait que seule la cotisation à un grand nombre d’options rendait le produit intéressant dans certains cas, ou que pour les salariés non cadres qui pouvaient prétendre être affiliés à l’Agirc, et notamment bénéficier d’une garantie minimale de points, le système par répartition s’avérait nettement plus avantageux et beaucoup moins hasardeux. » Tout le monde a donc été affilié à l’Agirc, et le document

d’AG2R-La Mondiale, qui avait même choqué des représentants patronaux, a été communiqué au Comité des directeurs des caisses de retraite Agirc et Arrco, aux présidents et vice-présidents des caisses de retraite, à la suite de quoi la « compagnie d’assurances à but non lucratif » a été sévèrement interpellée pour de tels propos. Les offensives des vendeurs d’épargne retraite ne sont pas toujours aussi agressives ou, disons-le, idéologiques. Mais le marché se développe, les entreprises se montrant toujours intéressées par une exonération de charges sociales ou un allégement fiscal. En 2006, par exemple, comme la privatisation d’Air France alourdissait ses charges et celles des salariés en matière de cotisations Assedic, l’entreprise a proposé aux salariés de compenser leur perte de salaire par des produits retraite plutôt que par une prime. L’accord comprend un plan de retraite supplémentaire à cotisation définie par adhésion collective obligatoire – du seul employeur en l’occurrence – et un plan épargne retraite d’entreprise (Pere) à participation individuelle variable (tous deux inscrits à l’article 83 du Code général des impôts). « Il s’agit d’une opération portant sur une part infime des cotisations sociales et des futures pensions, dont l’objectif premier est d’alléger la trésorerie de l’entreprise tout en lui permettant d’afficher une image positive, explique Yvon Touil, représentant syndical Cgt au comité central d’entreprise. Reste que c’est un premier pas vers l’affaiblissement du système de répartition auquel nous sommes attachés, en premier lieu parce qu’il est plus solidaire et moins opaque. » La Cgt, FO et Sud Aérien ont fait valoir leur droit d’opposition pour le personnel au sol et les non-cadres, mais l’accord a été voté chez les cadres et les personnels navigants. La commission centrale économique du comité central d’entreprise avait également motivé son refus par le fait que « tous les salariés n’ont pas les mêmes intérêts à ce dispositif », l’avantage fiscal pour les plus hauts salaires offrant « la possibilité de soustraire 10 % de sa rémunération annuelle à son imposition » mais, en rente additionnelle, les meilleures estimations, pour trente-sept années de cotisation, montrent que le dispositif n’engendrerait au moment de la retraite pas plus de 2 200 euros par an. Par ailleurs, les élus ne disposaient d’aucune information sur l’organisme choisi pour gérer ces fonds, sur les types de placement envisagés et les garanties de rendement. Et Air France s’en sort d’autant mieux que, pour ceux restés sous le régime de la prime évolutive compensatoire, celle-ci n’est désormais plus réévaluée…

Les groupes de prévoyance bousculés dans leur culture Pour les groupes qui vendent de la retraite par capitalisation, l’essentiel c’est de mettre un pied dans l’entreprise car, même si le marché est encore modeste, il est prometteur, et c’est le pied qui tient la porte ouverte ! Alors la tentation est OPTIONS N° 553 / JANVIER 2010

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forte de miser sur le manque de connaissances des représentants du personnel sur des sujets aussi techniques, sur le fait qu’ils ont bien souvent d’autres dossiers plus urgents à gérer, ou d’exagérer les divergences d’intérêts entre catégories de salariés, entre générations de salariés. Les cadres, les jeunes sont les cibles privilégiées de ces stratégies de prédateurs développées par les assureurs : les jeunes sont censés avoir intégré le fait qu’ils paient pour les autres, qu’ils ne bénéficieront pas du système en proportion de leur contribution et qu’ils doivent donc recourir

LES JEUNES SONT CENSÉS AVOIR INTÉGRÉ LE FAIT QU’ILS PAIENT POUR LES AUTRES, QU’ILS NE BÉNÉFICIERONT PAS DU SYSTÈME EN PROPORTION DE LEUR CONTRIBUTION ET QU’ILS DOIVENT DONC RECOURIR À UN SYSTÈME INDIVIDUEL.

à un système individuel. Mais ces techniques de marketing posent problème dans les entreprises de prévoyance, qui conservent une culture historique tournée vers l’intérêt général et la solidarité. Comme en témoigne Bruno Chamboncel, délégué syndical Cgt à la Cnp, entreprise en pointe sur ces produits, qui envisage de plus de s’associer à MalakoffMédéric, premier groupe paritaire de protection sociale, dans un esprit qui relève avant tout de la conquête de marchés financiers : « La culture et les pratiques d’un groupe de protection sociale et de prévoyance, c’est de favoriser la protection collective, rien à voir avec une société anonyme, qui vise avant tout à rémunérer au mieux son capital. De nombreux salariés porteurs de cette histoire vivent mal les recompositions actuelles et les revirements de stratégies, sous le masque rassurant du groupe de prévoyance et de protection sociale. Nos métiers et notre éthique s’en trouvent bouleversés. Nous souhaitons que les syndicats, qui participent à la gestion de ces groupes, prennent la mesure des enjeux et aient une position commune sur ces questions, ce qui n’est pas le cas, et qu’ils puissent ainsi mieux peser sur les décisions qui y sont prises. Car l’introduction du risque assuranciel met en péril le fonctionnement des instituts de prévoyance. » Les syndicats des deux groupes mènent une démarche commune, tant pour dénoncer les risques de dérives dans les pratiques que ceux pour les salariés, pour leur statut ou le contenu de leur travail. Comment faire face aux « dérives opportunistes de tout bord » ? Comment participer à ces regroupements et recompositions en préservant l’essentiel ? Comment ne pas se faire vampiriser par les assureurs, ne pas contribuer à affaiblir les retraites par répartition tout en restant ouvert à des accords collectifs, pourvu qu’ils soient négociés en toute transparence et ne se substituent à aucune autre solution envisageable – augmentation salariale, intéressement, participation ? Une chose est sûre : de leur côté, les assureurs, très actifs, y compris comme représentants du patronat au sein des organismes de protection sociale, parient sur le démantèlement du système de retraite par répartition et sur le principe du « à chacun selon ce qu’il nous donne ». Face à ces gens qui nous veulent tant de bien, assuronsnous… d’avoir des arguments ! Valérie GÉRAUD

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RÉFORME(S) : QUEL AVENIR PO

ENTRETIEN AVEC SYLVIE DURAND

RESPONSABLE DU SECTEUR DES RETRAITES À L’UGICT-CGT

L’Agirc doit et peut s’autofinancer pour garantir aux cadres la continuité de leur niveau de vie, d’abord lors du départ en retraite, pendant toute sa durée ensuite.

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En 2010 aussi, les partenaires sociaux doivent négocier sur les retraites complémentaires. Au cœur de la négociation: le dispositif Agff (Association pour la gestion du fonds de financement) qui permet de financer la retraite à soixante ans à taux plein, à l’Agirc et à l’Arrco. Explications.

– Options : Quelle est aujourd’hui la santé financière de l’Agirc ? – Sylvie Durand : Depuis 2003, l’Agirc connaît ce que l’on appelle un « déficit technique », c’est-à-dire que les cotisations ne couvrent pas les allocations versées. Jusqu’à la fin de l’année 2008, les transferts provenant à la fois de l’Arrco et de l’Agff (Association pour la gestion du fonds de financement de l’Agirc et de l’Arrco) permettaient d’équilibrer le régime complémentaire des cadres. Cela a changé sous l’effet de la crise économique. La montée du chômage et la pression sur les salaires ont pesé sur les ressources, aggravant le déficit de l’Agirc. Du coup, les transferts évoqués ne suffisent plus, et l’Agirc est aujourd’hui obligée de puiser dans ses réserves financières. – Dans ce contexte, quel impact les réformes en discussion en 2010 peuventelles avoir ? – Le projet du gouvernement et du Medef est de parvenir à la fusion de tous les régimes de base des secteurs privés et publics pour constituer un régime unique fonctionnant à cotisations définies. Cela donne un argument supplémentaire à ceux qui ont toujours souhaité une intégration de l’Agirc au sein de l’Arrco en vue de créer un pôle unique de retraite complémentaire. Or l’Agirc a été créée pour permettre aux cadres de se constituer une retraite tout entière en répartition. Sa suppression risque purement et simplement de les détourner de notre système de retraite solidaire. En effet, la fusion de l’Agirc et de l’Arrco, voulue par la Medef mais aussi portée par la Cfdt, viserait à faire financer les dépenses retraites en mettant en commun les ressources des deux régimes. Dans la mesure où, aujourd’hui, les comptes

de l’Agirc sont plus déséquilibrés que ceux de l’Arrco, cela affaiblirait l’Arrco, elle-même entrée dans une phase de déficit technique avec la crise économique. Nous aboutirions alors au scénario suivant : dans un premier temps, une baisse drastique des retraites versées aux cadres, car il serait inacceptable de les maintenir en sacrifiant le niveau des retraites des non-cadres ; dans un second temps, une baisse des retraites complémentaires non cadres pour ajuster les pensions aux ressources du nouveau régime. Celui-ci abandonnerait ainsi l’objectif de maintenir un taux de remplacement du salaire par la retraite. C’est-à-dire de fonctionner à « prestations définies », pour fonctionner à ressources constantes, à « cotisations définies ». C’est exactement le changement de système voulu par le gouvernement et le Medef, changement que nous récusons. L’Agirc doit et peut s’autofinancer pour garantir aux cadres la continuité de leur niveau de vie, d’abord lors du départ en retraite, pendant toute sa durée ensuite. Si elle ne le fait pas, les cadres se tourneront vers les dispositifs de capitalisation à la française dans l’espoir de limiter le décrochage de leur niveau de vie. Sauf que les produits en question ne sont pas des dispositifs de protection sociale : l’épargne est investie sur les marchés financiers et en subit tous les aléas. Nul n’a la garantie de récupérer son épargne, ne fût-ce qu’en partie. – Quels seraient les effets de cette fusion sur le statut de l’encadrement ? – Un coup sérieux lui serait porté. Aujourd’hui, l’affiliation à l’Agirc s’opère exclusivement sur des critères de qualification professionnelle et de classement dans les grilles conventionnelles, OPTIONS N° 553 / JANVIER 2010

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R POUR L’AGIRC ? un système qui disparaîtrait en cas de fusion des régimes. Ce qui correspond à un des objectifs du Medef : ne plus rémunérer les qualifications mais les compétences, et de préférence les seules compétences utilisées. C’est pourquoi un régime de retraite complémentaire unique est demandé par le Medef depuis le début des années 2000. Mais d’autres effets pour les cadres seraient à prévoir. Parmi eux : la suppression de la garantie minimale de points (Gmp), un système qui n’existe pas à l’Arrco et qui permet d’acquérir chaque année, moyennant une cotisation forfaitaire, un minimum de 120 points par an. Il s’adresse pour l’essentiel aux cadres dont le salaire est inférieur au plafond de la Sécurité sociale : 2 859 euros brut par mois aujourd’hui. Ils étaient moins de 1 % dans ce cas en 1947, 3 % en 1973, 14 % en 1988, 20 % de nos jours. Sans ce dispositif, ces cadres ne pourraient pas se constituer des droits à retraite à l’Agirc, car on n’y cotiserait qu’au-dessus du plafond. Voilà qui leur serait très préjudiciable : pour une carrière complémentaire à la Gmp, le droit à retraite est de 2 000 euros par an, ce qui est loin d’être négligeable. – En mars 2009, les partenaires sociaux parvenaient à un accord sur les retraites complémentaires, signé par toutes les organisations syndicales, à l’exception de la Cgt. Que dit cet accord sur ces questions ? Quelle est la position de l’Ugict-Cgt ? – Dans son article 5, cet accord prévoit notamment d’engager « une réflexion

sur l’adaptation des régimes Agirc et Arrco propre à l’encadrement ». C’est la première fois que ce projet est formalisé par écrit. Mais, derrière cette idée, il y a des conceptions totalement différentes selon les organisations. Pour la Cgt, l’Agirc s’étant toujours développée solidairement avec l’Arrco, il est hors de question que le problème de la retraite des cadres soit à l’avenir réglé au détriment des autres salariés. L’Ugict revendique donc le maintien du régime de retraite des cadres Agirc dans sa forme actuelle, c’est-à-dire celle d’un régime auquel les salariés sont affiliés selon leur niveau de qualification et non selon leur salaire, ce qui exige le maintien, également, de la garantie minimale de points. Nous proposons des mesures de financement immédiates de ce régime, permettant d’assurer, hors transfert de l’Arrco mais avec celui de l’Agff, son équilibre financier à l’horizon 2015. Parmi elles : un élargissement de l’assiette des cotisations aux primes d’intéressement et de participation et plus généralement à tous les éléments de rémunération des cadres non soumis aujourd’hui à des cotisations sociales. Nous demandons enfin l’arrêt immédiat de toute baisse du rendement Agirc, comme évidemment du rendement Arrco, par l’indexation de la valeur du point de retraite dans chacun des deux régimes sur les salaires et non plus sur les prix, comme c’est le cas à l’heure actuelle. – La fusion des régimes sur la base d’un système fonctionnant à cotisations défi-

fusions

La fusion de tous les régimes de retraite, privés comme publics, voulue par le gouvernement, donnerait un argument supplémentaire à ceux qui prônent depuis plusieurs années une intégration de l’Agirc dans l’Arrco, pour créer un pôle unique de retraite complémentaire. Un coup sérieux serait alors porté au statut même de l’encadrement. L’intégration de l’Agirc à l’Arrco aurait pour effet de précipiter les cadres vers les dispositifs de capitalisation à la française (Perp, Perco). L’Ugict propose des mesures de financement immédiates permettant l’équilibre financier de l’Agirc à l’horizon 2015.

nies n’est qu’une partie du projet. La volonté du gouvernement et du Medef est aussi de parvenir à un recul de l’âge de départ à la retraite. Est-ce inéluctable pour des raisons démographiques ? – Les organisations syndicales refusent toute nouvelle baisse du niveau des droits à retraite. Le Medef refuse d’apporter de nouvelles ressources financières. Il ne resterait plus alors qu’un seul levier à faire jouer : l’âge de départ à la retraite. Le Medef veut ainsi le porter à 63,5 années dès le 1 er janvier 2012. Mais il faut revenir sur l’idée qu’on ne peut pas financer les retraites par répartition en raison des évolutions démographiques. Des mesures de financement existent, comme nous l’avons évoqué plus haut pour l’Agirc. A plus long terme, le Conseil d’orientation des retraites (Cor) a lui-même démontré qu’il est possible de financer, à l’horizon 2040, des retraites au même niveau que celles de 2000, sans pour autant empêcher le pouvoir d’achat des populations actives de progresser. Par ailleurs, l’Ugict-Cgt propose de raisonner en termes de carrière complète pour ouvrir le droit à la retraite dès soixante ans. Serait « complète » une carrière qui ne comporte, entre la fin du secondaire et soixante ans, que des périodes de travail, d’inactivité subie ou des temps de formation, initiale et continue. D’où notre revendication de « validation des années d’études », également portée par des organisations étudiantes comme l’Unef. Enfin, du point de vue de l’âge de départ à la retraite, les régimes de retraite complémentaire présentent aussi une situation particulière. Ils fonctionnement avec l’Agff, un dispositif qui permet de financer les départs à taux plein entre soixante et soixante-cinq ans dans ces deux régimes. Ce dispositif est en permanence menacé. L’accord conclu en mars 2009 entre les partenaires sociaux a certes reconduit l’Agff, sous la pression des fortes mobilisations sociales du premier trimestre, mais jusqu’au 31 décembre de cette année seulement. Les négociations Agirc-Arrco de 2010 seront donc déterminantes, tant pour l’âge de départ à la retraite que pour le niveau des futurs droits, mais aussi pour la confiance de l’encadrement dans le système par répartition. Propos recueillis par Christine LABBE

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spécial retraite REPÈRES

RETRAITE ET EUROPE

Le rôle de la protection sociale

biblio DROIT DE LA PROTECTION SOCIALE, FRANCK PETIT,

GUALINO LEXTENSO ÉDITIONS, NOVEMBRE 2009.

OÙ VA LA PROTECTION SOCIALE, SOUS LA

DIRECTION D’ANNEMARIE GUILLEMARD, PUF, COLLECTION “LE LIEN SOCIAL”, OCTOBRE 2008.

LES RETRAITES, QUELLE JUSTICE ? ROBERT

Quels sont les comportements de passage à la retraite des seniors européens ? Dans un récent numéro de Questions d’économie de la santé, l’Irdes (Institut de recherche et de documentation en économie de la santé) met l’accent, pour répondre à cette question, sur le rôle joué par les différents systèmes de protection sociale. L’étude montre ainsi que les trois volets de la protection sociale – l’emploi, la retraire et la maladie – expliquent pour une grande part l’extrême hétérogénéité du taux d’emploi des seniors dans les pays

Questions d’économie de la santé, n° 148, novembre 2009. En savoir plus sur <www.irdes.fr>.

ROCHEFORT, JEANCHRISTOPHE LE DUIGOU, PATRICK ARTUS, ÉDITIONS DE L’ATELIER.

RETRAITE ET NIVEAU DE VIE

LE VIEILLISSEMENT EN EUROPE, SOUS

Réforme Balladur de 1993, projet du gouvernement Juppé en 1995, loi Fillon de 2003… L’ouvrage que les chercheurs de l’Ires (Institut de recherches économiques et sociales) viennent de consacrer à La France du travail offre l’occasion de revenir sur plusieurs décennies de réformes des retraites et de leurs conséquences, notamment sur le niveau de vie des retraités. Dans un article intitulé Des retraites moins généreuses pour davantage de retraités, ses auteurs montrent comment ces réformes, d’ailleurs, n’ont pas encore produit tous leurs effets, s’agissant notamment de la baisse des taux de remplacement. Mais, d’ores et déjà,

LA DIRECTION DE CATHERINE SERMET ET THOMAS BARNAY, LA DOCUMENTATION FRANÇAISE, 2007.

web • Le site de l’Ugict-Cgt : <www.ugict.cgt.fr>, rubrique « Social » puis « Retraite ». • Le site de la Cgt : <www.cgt.fr>, rubrique « Société » puis « Retraite ». • Le site du Conseil d’orientation des retraites : <www.cor-retraites.fr>. • Le site de la Caisse nationale d’assurance vieillesse : <www.cnav.fr>. A consulter en particulier la revue scientifique de la Cnav, Retraite et Société. • Le site de l’Observatoire des retraites, créé par les régimes de retraite complémentaire Arrco et Agirc, pour étudier notamment les systèmes de retraite en France comme à l’étranger : <www.observatoireretraites.org>.

européens. Un taux qui atteint par exemple 70 % en Suède mais à peine 34 % en Italie. Conclusion des auteurs de l’étude : « Toute politique publique visant à favoriser l’activité des seniors devrait tenir compte non seulement de la complexité des déterminants des décisions individuelles, mais aussi de l’ensemble des systèmes de protection sociale. » Une manière de dire que, considérée de manière isolée, l’analyse des systèmes de retraite ne suffit pas pour expliquer les comportements de passage à la retraite.

Après plusieurs décennies de réformes… expliquent-ils, « en dépit du renouvellement des anciennes générations à plus faibles retraites, le montant moyen de la retraite de droit direct servi en France a interrompu la forte croissance qu’elle connaissait encore jusqu’au début des années 2000 ». En 2004, dernière année connue, le montant moyen brut mensuel de la retraite, tous droits inclus, est de 1 636 euros pour les hommes et tombe à 1 020 euros pour les femmes. Pour les chercheurs de l’Ires, les questions d’inégalités, au détriment des personnes qui n’ont pas eu une carrière complète, voire de pauvreté dans la vieillesse, « pourraient se poser de façon accrue dans l’avenir ».

La France du travail, données, analyses, débats, Ires, Editions de l’Atelier, septembre 2009.

RETRAITE ET SANTÉ

Comment rajeunir de dix ans… un mauvais état de santé ne cesse de progresser pour atteindre 20 %. Mais, au moment du passage à la retraite, cette tendance s’inverse : à peine douze mois après, elles ne sont plus que 14 % dans ce cas. En moyenne, montre l’étude, les personnes de l’enquête parties à la retraite retrouvent l’état de santé qu’elles déclaraient… huit à dix ans plus tôt. Cette amélioration de l’état de santé perçue s’observe aussi bien chez les hommes que chez les femmes et, sans surprise, est particulièrement ressentie par les personnes soumises, durant leur vie active, à des conditions de travail difficiles.

C’est une vaste étude, menée auprès de quatorze mille personnes d’Edf-Gdf par des chercheurs de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) avec des scientifiques suédois, finlandais et anglais, et dont les résultats viennent d’être publiés dans la revue britannique The Lancet. Son objet : analyser la perception de l’état de santé de ces salariés, avant et après leur sortie de la vie active. Et l’étude montre une nette amélioration de la santé perçue une fois à la retraite. Ainsi, au cours des années qui précèdent le moment du départ à la retraite, la proportion de salariés qui déclarent

En savoir plus sur le site de la revue : <www.thelancet.com>, rubrique « All Lancet on line ». 18

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RÉFORME

2010, RENDEZ-VOUS À HAUTS RISQUES L’ANNÉE NOUVELLE VA VOIR REMIS EN CAUSE NOTRE SYSTÈME DE RETRAITE ; DES PROJETS SONT À L’ÉTUDE, DES AMBITIONS S’AFFICHENT, ET LE DÉBAT QUI S’ORGANISE AUTOUR SE TISSE DE FAUSSES ÉVIDENCES. EN UN MOT : DANGER. IL Y A DONC UNE DOUBLE URGENCE : COMPRENDRE CE QUE L’ON S’APPRÊTE À NOUS “PROPOSER”, POPULARISER LARGEMENT LES PROPOSITIONS CRÉDIBLES DE LA CGT. Sylvie DURAND (*)

L

’Assemblée nationale a dessiné les contours, dès le 17 décembre 2008 (1), de sa volonté de réforme : il s’agit d’inviter l’ensemble des régimes de base des secteurs privés et publics à fusionner en un régime unique. Une opération dont le Conseil d’orientation des retraites (Cor) s’est vu confier l’examen des modalités techniques. Un rapport devrait suivre, avant le 1er février 2010. De son côté, le Medef a posé ses propres exigences dans l’article 5 de l’accord du 23 mars 2009 relatif aux régimes de retraites complémentaires Agirc et Arrco, accord que seule la Cgt n’a pas signé. Le texte précise : un « rendez-vous que les pouvoirs

publics devront fixer en 2010 permettra le réexamen de l’ensemble des paramètres qui visent à pérenniser les régimes de retraite par répartition : il s’agit principalement de l’articulation entre l’âge de la retraite, la durée d’activité et de cotisation, le montant des cotisations et le niveau des pensions ».

Un double postulat partagé par le gouvernement et le patronat Le président de la République et le ministre du Travail ont donc promis un rendezvous sans tabous. Mais tant le calendrier électoral que la recherche d’alliances sociales possibles sur ce terrain le conduisent, contrairement à cette promesse, à

réformes

Quel est l’effet des réformes Balladur, Fillon et des accords Agirc et Arrco signés depuis 1993 sur une carrière type de cadre ? Prenons l’exemple d’un cadre (3), entré dans la vie active en 2006 à vingt-deux ans et demi, avec un salaire annuel brut de 36 000 euros qui évolue ensuite comme le salaire moyen de l’ensemble des salariés du secteur privé. Avant réformes, ce cadre pouvait prétendre, dès soixante ans à une retraite complète représentant 74,9 % de son salaire brut. Après réformes, il lui faudra travailler jusqu’à soixante-quatre ans et trois mois pour percevoir une pension complète qui ne représentera plus que 50,9 % de ce salaire. S’il opte cependant pour un départ à soixante ans, le taux de remplacement chutera à 37,2 %. OPTIONS N° 553 / JANVIER 2010

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avancer masqué et à dissimuler la nature des réformes qu’il entend promouvoir. D’où l’insistance à apparaître comme voulant « pérenniser les régimes de retraite par répartition ». En fait, on en est loin… Le discours proposé par les experts tant gouvernementaux que patronaux repose sur deux postulats : il faut, d’une part, pérenniser le système de retraite par répartition et, d’autre part, il est impossible de lui consacrer de nouvelles ressources financières. Ce qui revient évidemment à imposer une solution : celle qui est déjà à l’œuvre depuis la réforme Balladur de 1993, qui a été réaffirmée par François Fillon en 2003 et 2008 et reproduite dans les régimes de retraite complémentaire Agirc, Arrco et Ircantec (2). Autrement dit : la restriction continue des droits à retraite jusqu’à obtenir l’équilibre financier des régimes.

(*) Responsable du secteur des retraites à l’Ugict-Cgt. (1) Art. 75 de la loi n° 2008-1330 de financement de la Sécurité sociale pour 2009. (2) La Cgt n’a signé aucun de ces accords contraires aux intérêts matériels et moraux des salariés et des retraités. (3) Vlady Ferrier, « Effets des lois Balladur et Fillon et des accords Agirc et Arrco », in Pour un socle commun de droits à la retraite, supplément au n° 105 de juin 2007 d’Analyses et Documents économiques. 19

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Mais, si amère soit-elle, la potion ne produit ses effets que progressivement dans le temps : or la montée du chômage due à la crise financière et la pression à la baisse qu’il exerce sur le salaire moyen des Français précipitent les déficits des régimes de retraite. D’où des mesures complémentaires encore plus « radicales ».

Toujours moins, toujours plus tard Le premier volet de la proposition gouvernementale et patronale repose sur un recul sans précédent de l’âge d’ouverture du droit à retraite. Aujourd’hui fixé à 60 ans, il serait relevé d’ici à 2012 à 63 ans et demi puis à 67 ans, voire à 70 ans. La proposition laisse perplexe si l’on considère que l’âge moyen de cessation définitive d’activité est inférieur de près de trois années à l’âge moyen de départ en retraite et que seul un salarié sur trois est en activité lorsqu’il liquide sa retraite. De surcroît, le taux d’emploi des seniors n’est élevé que dans les pays dont le taux d’emploi général est lui-même élevé (4). Si l’opération consiste à renvoyer à un chômage de fin de carrière accru ceux à qui l’on refuserait le droit de liquider leur retraite, on en voit mal l’intérêt, même économique, sauf à n’accorder qu’une indemnisation réduite et partielle pour ces périodes. Dès lors, le chômeur n’aurait d’autre choix que d’accepter n’importe quel emploi dans n’importe quelles conditions et à n’importe quel salaire ou de basculer dans l’indigence. Cette précarisation de la fin de carrière, loin de régler le financement des retraites, ne fera qu’exacerber les problèmes.

L’abandon de la solidarité comme principe de base Le second volet du projet gouvernemental tend précisément à supprimer toute dimension de négociation et de débat public autour des paramètres des régimes (durée de cotisation, âge de départ, revalorisation des pensions liquidées), en abandonnant purement et simplement les fondements de la Sécurité sociale. Les motifs de l’ordonnance du 4 octobre 1945 indiquent que « la sécurité sociale est la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes. Trouvant sa justification dans un souci élémentaire de justice sociale, elle (4) Etude comparative sur les pays européens ayant un taux d’emploi des seniors élevé, Observatoire français des conjonctures économiques (Ofce), septembre 2007. (5) Source Insee Première, n° 761, mars 2001. 20

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répond à la préoccupation de débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain, de cette incertitude constante qui crée chez eux un sentiment d’infériorité et qui est la base réelle et profonde de la distinction des classes entre les possédants sûrs d’eux-mêmes et de leur avenir et les travailleurs sur qui pèse, à tout moment, la menace de la misère ». L’article premier de l’ordonnance précise : « Il est institué une organisation de la sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportent. » L’idée fondamentale est bien de « garantir » les salariés contre les aléas de l’existence. Le niveau de la garantie est également posé : elle doit permettre de vivre dans des conditions décentes. Le préambule de la Constitution de 1946 précise encore mieux l’ambition en introduisant la notion de droit aux loisirs : la nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». D’emblée, la Sécurité sociale a donc eu pour objectif de garantir en matière de retraite une prestation dont le niveau a été fixé en proportion du salaire d’activité, et ce quelles que soient les évolutions de la démographie, des salaires et de l’emploi. Entre 1945 et 1993, le taux de remplacement du salaire par la retraite n’a jamais cessé d’augmenter pour atteindre en moyenne, dans le secteur privé comme dans le secteur public, 75 % du meilleur niveau de vie obtenu au cours de la carrière.

Les régimes à “cotisations définies” : des niveaux de pension aléatoires En ajustant en permanence le montant de ses ressources au montant des droits à honorer, ce système, dit à prestations définies, s’est avéré particulièrement efficace puisqu’il a permis de ramener, entre 1970 et 1997, c’est-à-dire pendant une période aiguë de crise économique, le taux de pauvreté des ménages retraités de 28 % à 4,7 % (5). La proposition gouvernementale et patronale est de substituer à ce système de retraite dit « à prestations définies » un régime unique fonctionnant « en cotisations définies » inspiré des « comptes notionnels » suédois et qui remplacerait l’ensemble des régimes de base des secteurs privés et publics. Il s’agirait toujours d’un régime par répartition, puisque les cotisations seraient immédiatement employées au paiement des pensions de retraite sans être investies sur les marchés financiers. Le taux de cotisation sur la masse salariale nationale serait fixé une fois pour toutes et, par principe, ne pourrait en aucun cas être augmenté. Les montants des cotisations versées par le salarié seraient enregistrés sur un compte individuel. Au moment du départ en retraite, tous les montants seraient alors revalorisés selon l’évolution des prix ou du salaire moyen de la population entre le moment où les cotisations ont été versées et la date de liquidation de la retraite. Le montant de la pension serait obtenu en divisant la somme des montants revalorisés par l’espérance de vie à la retraite de la génération ou de la catégorie socioprofessionnelle de l’intéressé. Le résultat obtenu serait donc une rente viagère dont le montant serait d’autant plus élevé que le salarié partirait plus tard en retraite : en dépit d’un droit à retraite ouvert dès 61 ans, les Suédois partent en moyenne à 65 ans, c’est-à-dire lorsqu’ils estiment avoir une rente suffisante pour subvenir à leurs besoins. Attention : le montant ainsi calculé est un maximum. En effet, une hausse du chômage réduisant les ressources du régime, l’allongement de l’espérance de vie et l’augmentation du nombre de retraités augmentant ses charges, l’équilibre du système est obtenu grâce à un coefficient de conversion dont la fonction est d’ajuster en permanence les dépenses du régime à ses ressources. Ainsi, lorsque le régime ne dispose que de 70 euros pour payer une rente de 100 euros, on multiplie cette dernière par… un coefficient de 0,70 ! En application de ce mécanisme d’équilibrage automatique, les retraites des OPTIONS N° 553 / JANVIER 2010

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le gouvernement et le Medef aboutirait à terme à un développement massif de la capitalisation (épargne retraite). Mais peu nombreux seront les citoyens qui auront une capacité d’épargne suffisante : selon la Fédération française des sociétés d’assurances ou l’Observatoire de l’épargne européenne, pour espérer compenser une baisse de dix points du niveau des retraites, il faudrait épargner chaque année pendant trente ans un mois de salaire ! Or la baisse induite par un système à cotisations définies s’élèverait à trente points ! Avec des petites retraites péniblement complétées par de « petits jobs », des parents à la charge de leurs enfants, des grands-parents à la charge de leurs petitsenfants, c’est une frange importante de la population qui basculerait durablement en dessous du seuil de pauvreté.

Un grand débat public est nécessaire Suédois devraient diminuer de 4,5 % en 2010, de 8 % en 2011 et en tout, sur cinq ans, de… 40 %. L’Etat suédois envisage de puiser dans son budget pour limiter à 3 % la baisse de 2010. Ainsi les systèmes de comptes notionnels pérennisent-ils la répartition en sacrifiant les droits à retraite des salariés : ceux-ci n’ont plus aucune visibilité et aucune garantie quant au niveau de leurs futures ressources. Le gouvernement, avec l’article 75 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009, a créé les conditions d’un faux débat en proposant comme alternative aux comptes notionnels à la suédoise un régime par points. Blanc bonnet et bonnet blanc, car ce régime fonctionnerait également à cotisations définies.

Une fausse alternative : le régime par points La différence n’est donc que technique : dans ce régime, en effet, les montants des cotisations versées chaque année seraient divisés par le prix annuel d’acquisition du point de retraite. La pension s’obtiendrait alors en multipliant le nombre total de points acquis par la valeur en euros de service du point de retraite au moment de la liquidation. L’équilibre du régime serait assuré à tout instant en ajustant la valeur de service du point aux ressources du régime. Par ailleurs, le niveau des droits en cours d’acquisition serait lui-même ajusté aux perspectives financières du régime en jouant sur le prix d’acquisition du point de retraite : en effet, plus ce prix est élevé, moins nombreux sont les points accordés pour un même montant de cotisation. Ces systèmes fonctionnant à ressources OPTIONS N° 553 / JANVIER 2010

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constantes, on peut apprécier tendanciellement les effets de leur mise en œuvre en France sur le niveau des futurs droits à retraite en se référant aux premiers travaux du Conseil d’orientation des retraites : « Si, entre 2000 et 2040, on assurait l’équilibre du système par le seul ajustement des pensions, le ratio entre pension moyenne et revenu moyen d’activité, nets de cotisations sociales, devrait passer entre ces deux dates de 78 % à 42 % (6). » En d’autres termes, à âge de départ en retraite inchangé, là où un salarié pouvait espérer 780 euros de retraite nette pour 1 000 euros de salaire net, il ne pourra plus espérer que 420 euros de pension nette. Les droits à retraite étant strictement proportionnels au montant des cotisations, les systèmes à cotisation définie, au lieu de les corriger, reproduisent au moment de la retraite les inégalités de la période d’activité : les femmes, discriminées sur leur rémunération et leur développement de carrière, plus exposées au temps partiel subi et parce qu’elles interrompent plus volontiers leur carrière pour élever les enfants que les hommes, sont ainsi appelées à se constituer moins de droits. Ne délivrant qu’une pension insuffisante pour subvenir à leurs besoins, le système contraindrait alors les individus qui en auraient les moyens à rechercher une solution au demeurant aléatoire du côté de ces fonds de pension à la française que sont les dispositifs d’épargne retraite : on y cotise « à l’aveugle » sans jamais savoir ce que l’on aura à la sortie, l’épargne étant soumise aux aléas des marchés financiers et au risque d’inflation. C’est ainsi que l’objectif de pérennisation de la répartition affiché par

Pour autant, ce scénario n’a rien de fatal. La suite des événements dépend pour une large part de la capacité des salariés à organiser le débat public autour des objectifs qu’ils souhaitent assigner à leur système de retraite et à ne pas s’inscrire dans une discussion sur une fausse alternative. Car, d’une part, l’enjeu concerne toutes les générations : les jeunes, les actifs et ceux qui ont d’ores et déjà liquidé leur retraite. La transition entre les deux systèmes ne nécessitant qu’une dizaine d’années, ces derniers se verront appliquer le mécanisme d’ajustement de leurs pensions de retraite aux ressources du régime. En clair, toutes les pensions de retraite à ce jour liquidées sont appelées à voir leur montant diminuer. D’autre part, sitôt adoptée, cette réforme engagera durablement le pays : 10 ans pour la mettre en place, 5 à 10 ans pour mesurer l’ampleur des dégâts et 10 à 15 ans ensuite pour redresser éventuellement la situation. La Cgt, pour sa part, avance un projet fondé sur les réflexions suivantes : un régime de retraite par répartition « à prestations définies » repose sur un double système de solidarité entre générations et au sein d’une même génération. Ces solidarités ne peuvent être consenties que si chacun a la garantie d’acquérir pour une même carrière des droits de même nature et de même niveau que son voisin. A défaut de transparence, de visibilité et de lisibilité, l’ensemble du dispositif est menacé. Cela implique de fonder le système sur un taux minimum de remplacement du salaire net par la

(6) Fiches pour l’information et le débat du Conseil d’orientation des retraites, fiche n° 13, <www.cor-retraites.fr/article247.html>. 21

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Prise en compte dans tous les régimes des spécificités liées au travail, notamment en matière de pénibilité : en particulier, aujourd’hui, le droit à retraite à taux plein doit être ouvert avant soixante ans pour tous les salariés dont l’espérance de vie à soixante ans est d’ores et déjà réduite du fait des conditions de travail qui ont été les leurs durant tout ou partie de leur carrière. Une telle proposition n’implique bien évidemment pas renoncement à améliorer les conditions de travail pour réduire toutes les pénibilités. Pour développer et donner corps à ce socle commun de droits à retraite et afin de sortir des oppositions cultivées par le gouvernement et le Medef entre salariés du public et salariés du privé, la Cgt propose la mise en place d’une « maison commune des régimes de retraite ». Il s’agit d’une structure de coordination de l’ensemble des régimes de retraite des salariés des secteurs publics

et privés, pilotée par une représentation élue des assurés qui aura notamment à étudier les modalités pratiques de mise en œuvre de la carrière complète, de la validation des années d’études et autres propositions pour garantir à tous un haut niveau de droits à retraite. Enfin, pour mettre en œuvre l’ensemble de ce programme, la Cgt propose de dégager les ressources financières nécessaires. Contrairement à ce que soutient la vulgate gouvernementale et patronale, le Conseil d’orientation des retraites a démontré, dans son premier rapport, que « le besoin de financement est important mais peut être couvert », ajoutant que « le Conseil ne partage pas l’idée parfois exprimée qu’il sera impossible de financer les retraites », pour conclure que « des points essentiels relèvent de négociations et de décisions politiques de l’Etat et des partenaires sociaux » (8). C’est dire qu’il n’y a en la matière aucune fatalité (lire notre article page 30). La prise en compte de ces propositions dépendra évidemment de la capacité de la Cgt à engager un débat public, avec les salariés, pour les faire connaître et partager largement. C’est d’autant plus urgent et décisif que la possibilité d’un « consensus mou », rassemblant indifféremment diverses sensibilités politiques pour faire accepter un régime à cotisations définies, n’est pas exclue. Les conditions d’une unité syndicale seront difficiles à créer alors que François Chérèque a d’ores et déjà pris position en faveur d’un régime par points… à cotisations définies. Toutes choses qui rendent le Medef assez confiant dans sa capacité à gagner la bataille médiatique du référendum que Laurence Parisot appelle de ses vœux. Reste que les salariés, s’ils disposent sur ce dossier d’une information sérieuse, ne s’y tromperont pas et sauront faire, soyons-en persuadés, les bons choix. Chaque syndicat, chaque syndiqué peut y contribuer.

retraite nette permettant de garantir à chacun la continuité de son niveau de vie au moment de la liquidation de la retraite et pendant toute sa durée ensuite. A cet effet, la Cgt propose un taux de remplacement minimum de 75 % garanti par une revalorisation des droits en cours d’acquisition sur l’évolution du salaire moyen de l’ensemble des salariés. Ce même type d’indexation, toujours plus favorable qu’une indexation sur les prix (cf. graphique), sera également appliqué aux pensions liquidées afin d’assurer aux retraités les mêmes gains de pouvoir d’achat qu’aux actifs, et en particulier de les prémunir contre le risque de passer en dessous du seuil de pauvreté pendant la période de retraite (7). Ce droit à retraite sera ouvert dès l’âge de soixante ans, sans autre condition que d’avoir une « carrière complète ». Une carrière sera reconnue « complète » si elle ne comporte avant soixante ans que des périodes d’études ou de formation, des périodes d’activité ou d’inactivité forcée (lire notre article page 23). En cas de carrière incomplète, c’est-à-dire si le salarié a choisi délibérément pour convenance personnelle de ne pas exercer d’activité professionnelle, c’est-à-dire de ne pas occuper un emploi ou de ne pas en rechercher un, il aura le choix entre prolonger son activité pour compléter sa carrière ou percevoir une retraite minorée à due proportion. En dehors de tout rachat, nous proposons, pour l’ensemble des salariés déjà en activité et pour les générations à venir, la validation des années d’études : dès lors que les employeurs et le développement économique du pays exigent un haut niveau de formation initiale, les études supérieures deviennent un préalable nécessaire à toute insertion professionnelle. Bien que non rémunérées à quelques exceptions près (Polytechnique, par exemple), elles constituent un réel travail, indispensable au développement du pays, qui doit être reconnu comme tel pour la constitution des droits à retraite. Il s’agit donc d’une mesure de justice sociale mais aussi d’efficacité économique en ce qu’elle empêche le parcours de formation initiale de réduire l’espérance de vie à la retraite, ce qui serait proprement dissuasif. Pour une carrière « complète », pas de retraite inférieure au montant du smic net, puisque l’on admet que c’est le minimum nécessaire pour vivre.

Evolution en moyenne annuelle des prix et du salaire moyen brut des salariés du privé (base 100 : 1980) 350

Prix (évolution en moyenne annuelle)

300

Salaire moyen brut Enfna (évolution en moyenne annuelle)

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(7) Le seuil de pauvreté est fixé en France à 50 % du salaire médian. L’Europe, plus exigeante, l’établit à 60 %. Le salaire médian est celui qui partage la population en deux moitiés, celle qui perçoit plus et celle qui perçoit moins que ce salaire. (8) Extraits des conclusions du rapport du 6 décembre 2001, Retraites : renouveler le contrat social entre les générations. 22

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1980

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2000

2005

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Source Cnav – Direction Statistiques et Prospective – 14 octobre 2008 OPTIONS N° 553 / JANVIER 2010

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“CARRIÈRE COMPLÈTE” À REDÉFINIR D’URGENCE LA LÉGISLATION VA RENDRE INACCESSIBLE POUR LA TRÈS GRANDE MAJORITÉ DES SALARIÉS L’ACCÈS DÈS L’ÂGE DE 60 ANS AU DROIT À UNE RETRAITE PLEINE ET ENTIÈRE. D’OÙ L’INTÉRÊT DE REDÉFINIR D’URGENCE LA NOTION DE CARRIÈRE COMPLÈTE.

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tous les salariés, quel que soit par ailleurs leur parcours entre dix-huit ans (âge souhaitable, possible et nécessaire de fin de scolarité obligatoire) et soixante ans. Au demeurant, l’âge moyen d’accès à un premier emploi – le plus souvent avec un contrat à durée déterminée (Cdd) et donc, par définition, précaire – est aujourd’hui de vingt-trois ans dans le secteur privé et de vingt-cinq ans dans la fonction publique. Quant à l’âge moyen d’accès à un emploi stable permettant d’espérer valider l’intégralité de la carrière restant à effectuer, il se situe autour de la trentaine… Comment, dans ces conditions, un salarié peut-il espérer valider, au cours de sa carrière, ne serait-ce que 37,5 années d’assurance à 60 ans ? C’est pourquoi la Cgt et l’Ugict demandent aujourd’hui une redéfinition claire de cette notion sous la forme suivante :

epuis la création de la Sécurité sociale, en 1945, jamais l’accès au droit à retraite dès l’âge de soixante ans sans abattement sur le montant maximum de la pension n’a été possible pour tous les salariés. En effet, cet accès était conditionné par la nécessité d’avoir une carrière validée, dans le ou les régimes de base dont dépendaient les salariés, d’au moins 37,5 annuités. Il fallait donc être entré dans la vie dite « active », c’est-àdire avoir occupé un emploi rémunéré, dès l’âge de vingtdeux ans et demi. Aujourd’hui une carrière est dite « complète » si elle comporte au moins 40,5 annuités validées par un ou plusieurs régimes de base de Sécurité sociale. Cela vaut pour les salariés des trois fonctions publiques comme pour les salariés du secteur privé. A législation inchangée, elle devra comporter 41 annuités dès le 1er janvier 2012 et probablement 42 annuités à compter de 2020. Autrement dit, la législation actuelle va rendre rapidement inaccessible pour la très grande majorité des salariés l’accès au droit à une retraite pleine et entière dès l’âge de soixante ans. La définition en vigueur de cette notion est donc devenue totalement incompatible avec la situation actuelle et avec les évolutions en cours du monde du travail et de la société elle-même. Elle fait obstacle à l’aspiration de l’immense majorité des salariés à pouvoir partir en retraite dès l’âge de soixante ans (à partir de cinquante-cinq ans ou même plus tôt pour certaines professions) avec un montant de pension assurant la continuité de leur niveau de vie au moment de la cessation d’activité. Il faut donc s’atteler à un travail de redéfinition pour permettre cet accès à

« Une carrière de salarié sera considérée comme complète dès lors qu’elle ne comportera, à compter de l’âge de dix-huit ans et jusqu’à l’âge de soixante ans, que des périodes de formation – validées par un diplôme ou une attestation en bonne et due forme – des périodes d’activité, c’està-dire d’exercice d’un travail salarié ou des périodes d’inactivité forcée : maladie, inaptitude temporaire au travail, invalidité, recherche d’un premier emploi, chômage indemnisé ou non, de courte ou de longue durée. » Seules les périodes d’« inactivité » choisies pour convenance personnelle par le salarié ne seront pas alors validées au titre de la retraite. Le droit à une retraite pleine et entière dès l’âge de soixante ans deviendra alors accessible à tous les salariés sans exception, sous la seule condition d’être restés « actifs », au sens ainsi défini, dès leur sortie du cycle d’études secondaires jusqu’à l’âge de soixante ans. Le montant de la pension sera alors calculé sans décote ni proratisation autre que celle résultant de l’appartenance successive à différents régimes de base. Si le salarié a interrompu ses « activités » au sens défini plus haut durant par exemple deux ans, il aura le choix entre faire liquider sa retraite à soixante-deux ans ou à partir de l’âge de soixante ans, mais alors avec un abattement sur le montant de celle-ci calculé de telle sorte que la neutralité financière de l’opération soit assurée pour le ou les régimes de retraite dont il dépend et qui, en conséquence, lui verseront sa pension. Complétée par une réforme du mode de calcul des pensions permettant de prendre en compte, pour les carrières dites « mixtes » (en partie dans le secteur public et en partie dans le secteur privé), la totalité de la carrière pour la détermination du salaire de référence servant de base au calcul de la pension dans chaque régime (et non pas, comme aujourd’hui, la seule partie de carrière relevant de ce régime), elle permettrait en outre de mettre fin aux inégalités de traitement dont sont victimes aujourd’hui de nombreux polypensionnés, inégalités qu’ils découvrent le plus souvent avec stupeur et indignation mais dont ils sont condamnés à subir les conséquences durant toute la durée de leur retraite. Cette redéfinition de la carrière dite « complète » est en parfaite cohérence avec le concept défendu par la Cgt de sécurité sociale professionnelle pour l’ensemble des salariés, tous secteurs d’activité confondus. Sylvie DURAND 23

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RÉPARTITION COUP DE JEUNES ! VALIDER LES ANNÉES D’ÉTUDES ET TOUTES LES PÉRIODES D’INACTIVITÉ FORCÉE PERMETTRAIT DE RENDRE JUSTICE AUX SALARIÉS D’AUJOURD’HUI. CETTE MESURE AURAIT UN AUTRE AVANTAGE : REDONNER CONFIANCE AUX JEUNES DANS L’AVENIR DU SYSTÈME DE RETRAITE.

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Qu’une génération se détourne de ce projet, et c’est tout l’édifice qui s’effondre. Le patronat ne s’y trompe pas, lui qui tente aujourd’hui de convaincre les jeunes de miser sur les produits de retraite que propose le marché plutôt que sur les pensions versées par le système de retraite par répartition. Jamais les employeurs n’ont caché leur aversion pour le système de protection sociale mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Un modèle qui leur impose de rémunérer bien plus que la force de travail proprement dite en couvrant une partie des risques auxquels peuvent être confrontés les salariés qu’ils emploient. A la faveur de la crise économique et des évolutions démographiques, ils veulent croire que leur heure est venue.

Reconnaître la réalité dans laquelle évolue aujourd’hui le salariat Regagner la confiance des jeunes dans le système de retraite par répartition est l’un des principaux enjeux des mois à venir. Pour cela, l’obtention d’une réforme du mode de financement pour en finir avec la spirale régressive est une nécessité. Mais

es jeunes doutent de la pérennité du système actuel de retraite ? Depuis près de vingt ans, les conditions de liquidation des droits ne cessent de se durcir et les taux de remplacement de diminuer ; ce dans un contexte où leur insertion sur le marché du travail se fait de plus en plus dure. On estime aujourd’hui à vingt-sept ans l’âge moyen auquel ils peuvent espérer accéder à un premier emploi stable… Quoi de plus normal, donc, qu’ils aient du mal à se projeter dans des régimes qui augmentent sans cesse le nombre de trimestres nécessaires pour pouvoir faire valoir ses droits à une retraite pleine et entière ? Seule question qui vaille : de quelle manière leur redonner confiance ? La pérennité du versement des pensions à des millions de retraités en dépend, bien sûr. Mais aussi le système de protection sociale dans son ensemble sur lequel repose la société française. Ce modèle a fait de la solidarité entre les générations son fondement. En matière d’assurance vieillesse, d’assurance chômage ou maladie, une seule et même logique domine : la mutualisation des risques.

une autre mesure s’impose : la validation dans le calcul des droits à retraite de toutes les années d’études effectuées et, avec elles, de toutes les périodes de stage, de recherche d’un premier emploi et d’inactivité forcée que les salariés, jeunes et moins jeunes, peuvent rencontrer au cours de leur carrière. L’Ugict en défend l’idée depuis des années. Il y a deux ans, la Cgt Jeunes, l’Unef, l’Unsa Jeunes, FO Jeunes, la Fsu, Solidaires, Génération-Précaire et la Fidl ont, dans une déclaration commune, repris cette revendication. Si elle était acceptée, une telle disposition à laquelle FO vient de se rallier ne ferait que reconnaître la réalité dans laquelle évolue désormais le salariat. Au lendemain de la guerre, les périodes d’inactivité forcée étaient rarissimes, et l’on entrait très jeune sur le marché du travail. Moins de la moitié des plus de quatorze ans étaient alors scolarisés. Aujourd’hui, six millions d’adultes en âge de travailler sont privés d’emploi ou vivent dans une situation de grande précarité. Et, à trente ans, minoritaires sont les salariés qui peuvent faire valoir l’équivalent de quarante trimestres cotisés. L’histoire du système de retraite par répartition a longtemps été celle de réformes qui, sans cesse, ont cherché à améliorer les régimes existants pour mieux répondre aux besoins sociaux qui se faisaient jour dans la société. « Ainsi, au tournant des années 1970, rappelle Sylvie Durand, responsable du secteur retraite de l’Ugict, la décision prise de créer la majoration de durée d’assurance, dispositif visant à compenser au moment de la retraite les inégalités de rémunération ou de carrière résultant, pour les femmes, de la maternité. Ou encore, en 1988, la mise en place d’une garantie minimale de points par l’Agirc, une mesure destinée à assurer une cotisation minimale aux cadres affiliés dont le niveau de salaire ne dépasse pas le plafond de la Sécurité sociale. » Le coût du nouvel objectif gouvernemental, celui de mener « 50 % d’une classe d’âge à la licence », ne peut reposer sur les jeunes. Lorsque les employeurs ont voulu développer la formation de leurs salariés, ils ont accepté d’en prendre en charge tous les coûts, dont celui de la cotisation pendant les stages à tous les régimes de la Sécurité sociale. Les périodes d’études, de stages et d’insertion ne doivent pas faire exception. En Allemagne et en Finlande, les années d’études sont reconnues comme des périodes de travail. En France, certaines écoles, comme Polytechnique ou l’Ecole normale supérieure, valident déjà les années d’études. C’est donc possible. Martine HASSOUN OPTIONS N° 553 / JANVIER 2010

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FEMMES L’ÉGALITÉ À LA TRAPPE ? MALMENÉES SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL, LES FEMMES RISQUENT D’ÊTRE LES GRANDES PERDANTES DES RÉFORMES EN COURS.

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plus reconnue qu’une compensation spécifique : la reconnaissance d’une année au titre de la grossesse et de l’accouchement. Dans un monde idéal, une telle réforme aurait sans doute mérité d’être saluée.

Sans s’attaquer aux conditions d’emploi des femmes… Dans le monde réel qui est le nôtre, elle laisse pantois : tous les indicateurs relatifs au marché du travail soulignent l’ampleur des inégalités qui le caractérisent. « Faute de s’être attaquées à ce qui discrimine les femmes, pour commencer le chômage et la précarité, aucune des lois votées depuis 1972 pour l’égalité professionnelle n’a réussi à réduire de manière significative les disparités de situation entre les sexes », explique Margaret Maruani, directrice de recherche au Cnrs. Jamais les femmes ne se sont autant formées ; jamais elles n’ont autant assumé toute leur place sur le marché du travail, ajoute-t-elle. « Et pourtant, elles représentent 80 % des salariés à temps partiel, 80 % des salariés payés au smic et 80 % des travailleurs rémunérés en dessous

epuis près de vingt ans, les réformes successives entreprises pour modifier le système des retraites paraissent superbement ignorer la situation particulière à laquelle les femmes se confrontent sur le marché du travail. Ainsi l’allongement de la durée de cotisation exigée pour l’âge de départ à la retraite ou le passage progressif des dix aux vingt-cinq meilleures années pour l’établissement du salaire moyen servant au calcul de la retraite ; l’une et l’autre de ces dispositions instituant exactement le contraire de ce qui aurait dû être fait pour aider les femmes à faire valoir leurs droits. L’histoire semble se répéter. En proposant de fonder le nouveau système de retraite non plus sur un principe de « prestations » mais de « cotisations » définies, le gouvernement, en effet, fragilise un peu plus les salariés au féminin. Plus précarisées, moins bien payées, les femmes peinent plus que leurs confrères à faire valoir une capacité individuelle à cotiser, à cotiser beaucoup et longtemps. Devront-elles, demain, plus nombreuses encore, recourir au minimum vieillesse pour assurer leurs vieux jours ? Le partage de la majoration de durée d’assurance pour enfant qui vient d’être voté au Parlement alimente un peu plus encore l’inquiétude. Désormais, en effet, c’est dans le huis clos familial que se décidera qui, de la femme ou de l’homme, mérite quatre trimestres de compensation au titre des handicaps dans une trajectoire professionnelle que représente l’arrivée d’un enfant. Sur requête de la Halde et après jugement de la Cour de cassation, les députés ont voté, à la fin décembre, une révision des dispositions concernant les droits à la retraite des mères de famille. De sexe masculin ou féminin, les salariés pourront à l’avenir se prévaloir des majorations pour durée d’assurance jusque-là exclusivement reconnues aux femmes. Aux salariées du deuxième sexe ne sera

de ce seuil. » Même lorsqu’elles parviennent à être cadres, leurs salaires moyens restent nettement inférieurs à ceux de leurs collègues masculins, insistait il y a peu une étude de l’Insee sur la parité (1). Et il serait urgent d’imposer le partage des majorations reconnues au titre d’une égalité supposée entre les salariés des deux sexes ? Créée en 1972, la majoration pour durée d’assurance avait pour fonction de compenser les difficultés auxquelles les femmes faisaient face ; autrement dit, de considérer le réel tel qu’il était alors. Tant bien que mal, le dispositif a rempli pendant des années la fonction qui lui était dévolue, atténuant les inégalités de revenu entre les retraités de sexe masculin ou de sexe féminin. Aujourd’hui encore, il permet de réduire les effets des inégalités dont les femmes sont victimes sur le marché du travail. En 2001, les femmes retraitées âgées de soixante-cinq ans et plus percevaient une pension mensuelle moyenne de 606 euros au titre des droits acquis en contrepartie de leur activité ; les hommes 1 372 euros. Tous additionnés, les droits familiaux leur permettaient d’arrondir leurs fins de mois de tout juste 216 euros, contre 83 euros pour les hommes. Qu’en sera-t-il demain alors que, aux dires même du service statistique du ministère du Travail, 70 % des employeurs préfèrent toujours recruter un homme plutôt qu’une femme (2) ? Le gouvernement va devoir préciser ses intentions. A côté de celui des retraites, un autre dossier est inscrit en ce début d’année à l’agenda du ministre du Travail : le vote annoncé d’une nouvelle loi sur l’égalité professionnelle. Gadget ou volonté réelle d’améliorer la situation faite aux femmes ? Il va falloir choisir. Les réformes en cours, en tout cas, se conjuguent mal avec quelque avancée que ce soit en faveur de l’égalité hommes-femmes. Martine HASSOUN

(1) <www.insee.fr/fr/ffc/docs–ffc/ref/fhparit08b.pdf>. (2) « Hommes et femmes recrutés en 2005 : les préférences des employeurs », Premières Synthèses Informations, juillet 2009, n° 31-3, voir <www.travail-solidarite.gouv.fr/IMG/ pdf/2009.07-31.3.pdf>. OPTIONS N° 553 / JANVIER 2010

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spécial retraite

PSYCHISME

Retraite : les promesses du temps LA RETRAITE, QUI SIGNIFIE RETRAIT, NE CLÔT PAS LE COURS DE L’EXISTENCE… AU CONTRAIRE, ELLE INAUGURE UNE NOUVELLE PÉRIODE DE LA VIE, COMPOSÉE DE CYCLES, JALONNÉE DE CRISES, CE QUI SUPPOSE DE PROFONDS REMANIEMENTS DANS LA VIE PSYCHIQUE DE L’INDIVIDU. Odette WAKS*

La rupture que constitue la retraite n’est en rien une rupture négative ; le temps se présente alors comme une nouvelle chance, et une chance c’est toujours une promesse. Ce temps de latence, si la santé physique le permet, offre l’occasion de continuer à se sentir utile, à s’insérer dans des activités dont l’effet est de l’ordre du plaisir ; tant que celui-ci est sauvegardé, la vie garde ses couleurs… Il faut y insister : c’est le cas tant que la santé physique le permet. C’est justement à ce propos qu’il faut rappeler combien les agressions physiques et psychiques durant la vie au travail peuvent avoir détruit irrémédiablement la personne qui aborde ce nouveau temps de la vie, lui interdisant de jouir de cette nouvelle période. Alors que le vieillissement est un processus inhérent à toute existence, l’entrée dans la vieillesse est un moment spécifique souvent difficile à repérer. Les phénomènes de vieillissement nous confrontent à une double problématique biologique et subjective. Or la subjectivité implique une activité symbolique. Le vieillissement qui nous * Médecin psychiatre 26

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travaille a pour effet une augmentation de l’aspiration à la paix, à la réduction des tensions, au calme, même parfois au grand calme ! Ces aspirations se conjuguent et entrent en conflit avec l’envie d’entreprendre qui subsiste. Ce sont les premières défaillances physiologiques qui imposent à la conscience du sujet le sentiment de ses limites. La première rencontre que chacun fait avec la défaillance de ses forces est cruciale ; si elle apporte le repli sur soi et l’éloignement du monde extérieur, elle peut marquer l’heure de la vieillesse. Mais comme l’être humain est avant tout un être désirant et que son rapport au monde s’inscrit dans les effets du désir qui l’habite, on a le droit de dire et de redire que « l’âge du sujet c’est l’âge de son désir ». La vieillesse est jalonnée de crises comme tous les âges de l’existence. Ces crises sont déclenchées à chaque fois par des pertes, qu’elles soient physiques, psychiques ou affectives ; cela va du deuil d’un proche, d’une intervention chirurgicale au vol du sac à main… Ces crises, chacun devra les résoudre pour continuer à exister. Ce sont des moments où le désir s’affronte aux

insuffisances ; leur résolution implique un dépassement des contradictions vécues : moments complexes où chacun vit l’affrontement du désir et de la réalité, moments d’intense travail psychique où le sujet combat pour exister : ce que l’on perd, on le connaît ; ce que l’on gagne, c’est une autre question ! L’heure étant plutôt à la dépossession, où trouver ce qui pourrait être prometteur de satisfaction ? A première vue, le gain ne compense guère le déficit ; il s’agit de faire le deuil de ce que l’on était et de savoir comment devenir un autre… Beaucoup, pourtant, font quelque chose de leur vieillesse… Chaque étape du vieillissement réactive la problématique fondamentale qui est « d’aimer et d’être aimé ». C’est pourquoi OPTIONS N° 553 / JANVIER 2010

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Chaque étape du vieillissement réactive la problématique fondamentale qui est « d’aimer et d’être aimé ». C’est pourquoi nous ne vieillissons pas tous de la même façon : d’abord à cause de notre propre histoire (réactivée à chaque étape), ensuite à cause de l’environnement social et affectif.

nous ne vieillissons pas tous de la même façon : d’abord à cause de notre propre histoire (réactivée à chaque étape), ensuite à cause de l’environnement social et affectif. Le sentiment d’exclusion peut être déterminant : ce sont les autres qui nous renvoient l’image de la vieillesse ; cette exclusion sociale est comme une élimination ; la peur d’être abandonné, c’est le retour des peurs infantiles, et c’est cette peur qui étreint nombre de personnes âgées isolées ou pas. Il y a aussi l’impérieuse nécessité de se sentir à l’origine d’une transmission d’ordre symbolique : soit sous la forme d’une descendance, soit sous celle d’une œuvre, même la plus modeste ; c’est une OPTIONS N° 553 / JANVIER 2010

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façon de soutenir son désir. Ce qui reste étant le fruit de ce que l’on n’est plus et ne sera jamais plus. Dans ce cadre, les échanges avec autrui s’avèrent essentiels dans la mesure où ils maintiennent la personne dans l’univers humain ; en revanche, si le sujet en vient à éprouver le sentiment que l’échange ne vaut plus la peine, la demande chute et le désir avec elle ; la mort psychique n’est pas loin… Or un entourage maladroit peut, malgré sa bonne volonté, apparaître à la personne âgée comme abandonnant et même menaçant. La relation aide à vivre ; le soutien d’autrui s’avère une des choses les plus nécessaires : le sujet appelle à l’aide, mais cet appel est souvent muet, et l’entourage

doit savoir le décrypter. « Il fait plus clair quand quelqu’un parle » : c’est Freud qui cite cette phrase d’un enfant qui avait peur du noir, et c’est encore plus vrai pour la personne âgée en attente d’une parole qui s’adresse enfin à elle. A cette période de la vie, les solutions médicales et scientifiques n’apportent pas toujours ce que l’on en attend ; le problème est d’ordre éthique. L équilibre est à trouver entre la peur de l’épuisement et le désir toujours impérieux d’entreprendre. Faire le deuil de ce que l’on a été peut permettre de retrouver d’autres relations pour d’autre objectifs. Si, à l’orée de la vieillesse, on peut assister à une réactivation des processus créatifs et vivre cette période comme une nouvelle chance, il faut toutefois rappeler que, tout au long de cette période de vieillissement, travail de deuil et sublimation sont les seuls modes permettant aux gens âgés de ne pas perdre leurs capacités et de maintenir leur aptitude au plaisir de créer et d’entreprendre sous d’autre formes. C’est, par exemple, la transmission de l’expérience et l’utilisation de celle-ci pour maintenir l’estime de soi face à une société qui tend

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spécial retraite PSYCHISME

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Deux approches des enjeux de la retraite… VÉRITABLE PRISME SOCIÉTAL, LA RETRAITE EST L’OBJET DE MULTIPLES OUVRAGES AUX APPROCHES DIVERSIFIÉES. Deux d’entre eux offrent une vision à la fois technique, économique et sociale. Certes, ni l’un, ni l’autre ne sont à prendre comme des vérités révélées ; on partagera ici tel développement et l’on se montrera plus réservé sur telle conclusion. Mais il n’y a de bon débat que bien documenté… Avec Les Retraites en question (La Documentation française), Antoine Rémond passe littéralement en revue les différents constituants du système. Partant du constat que baisse des pensions et recul de l’âge de la retraite constituent les deux principaux motifs d’inquiétude des cotisants sur l’avenir, il offre un aperçu historique et une présentation du système de retraite français en revenant sur les termes du débat actuel. Il souligne l’influence de l’échelon européen et présente les réformes menées en France depuis les années 1990, puis leurs effets. Il ouvre ensuite des perspectives en proposant de nouveaux éléments de réflexion. L’ouvrage est complet, pédagogique et donne accès à des données actualisées, accessibles à un large public. La Retraite des syndicats (La Dispute), de Nicolas Castel, s’intéresse plus spécifiquement aux modifications survenues dans le système depuis la fin des années 1980. Surtout, il s’interroge sur le décalage existant entre l’ampleur de l’émotion que ces réformes soulèvent et les réactions effectives du mouvement syndical. Nicolas Castel, chercheur à l’Idheuniversité Paris-Ouest et à l’Institut européen du salariat, estime que les grandes confédérations syndicales, prisonnières d’une approche économique inadaptée, ont été dans l’incapacité de défendre le système de retraite. Si la réforme a en partie échoué, c’est, estime-t-il, du fait du peu de succès des produits en capitalisation, mais elle est en passe de réussir son objectif premier : transformer la répartition. En mettant cette dernière au service de la prévoyance et de l’assistance, elle rabat la figure du retraité sur l’image de l’inactif pesant sur les actifs. En déplaçant l’enjeu du débat, ce livre a le mérite de montrer en quoi la conception de la retraite peut bouleverser notre rapport au temps et au travail. En engageant l’ensemble des rapports sociaux de classe, de sexe et jusqu’au sein même de la famille, cette autre vision de la retraite peut contribuer à une salutaire réévaluation sociale et politique du salariat. Reste que le point de doctrine sur lequel il construit cette démonstration fait justement lui-même l’objet de débats controversés.

à rejeter et à infantiliser les personnes âgées. Bien sûr, tout cela ne vaut qu’à condition que la vie au travail ne se soit pas soldée par une destruction partielle ou totale de la personne retraitée, ce que l’actualité sociale nous rappelle cruellement. Sans doute vaut-il alors la peine de garder à l’esprit quelques mises en garde, notamment autour d’un sujet qui défraie trop souvent la chronique, à savoir la maltraitance du grand âge. Celle-ci ne se limite pas à la maltraitance physique : il en est d’autres plus subtiles, comme faire à la place de… décider à la place de… Car même la perte d’autonomie n’autorise pas à passer outre l’essence même de ce qui constitue l’être humain. La retraite marque l’avènement d’un autre âge de la vie. Cette cessation de l’activité professionnelle est souvent vécue comme une perte, un deuil : certes, d’importance variable selon le degré d’investissement dont le travail a été l’objet. Elle peut entraîner soit une maladie somatique (le cancer du début de la retraite est bien connu des médecins), soit une dépression marquée par le repli sur soi, le désintérêt par rapport au monde extérieur et l’absence de projet. Cette dépression de la vieillesse n’est pas le vieillissement qui, lui, est un processus inéluctable, inhérent à la vie : il est marqué par une suite de pertes et d’acquisitions dont le sujet triomphe quand il a les ressources intérieures suffisantes et un environnement qui lui apporte stimulations, soutien et amour. L’âge n’intervient pas dans les processus psychiques inconscients, car l’inconscient est hors du temps. La gérontologie actuelle n’a pas d’avenir si elle n’intègre pas l’individu âgé dans sa propre histoire (consciente et inconsciente). Dans la circulation de l’énergie psychique, il n’y a ni jeune ni vieux, le désir n’a pas d’âge. Cette période entre le départ à la retraite et la vieillesse reste d’ailleurs à penser par le syndicalisme, qui souvent balance entre une « relégation symbolique » et une coupure, alors que les relations entre les générations demeurent un facteur d’enrichissement pour tous et luttent contre l’entrée dans la vieillesse. L’un des défis qui lui est posé – notamment au vu de l’évolution démographique – est de savoir comment ne pas s’inscrire dans les courants structurants de l’organisation sociale, mais favoriser une authentique mixité générationnelle, tissée d’allers et retours d’expériences, de savoirs, riche de promesses partagées.

Louis SALLAY OPTIONS N° 553 / JANVIER 2010

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CRISE FONDS DE PENSION : LA CHUTE COMMENT SE SONT COMPORTÉS LES SYSTÈMES DE RETRAITE FRANÇAIS ET ÉTRANGERS FACE À LA CRISE ? PREMIERS ENSEIGNEMENTS D’UN COLLOQUE DU CONSEIL D’ORIENTATION DES RETRAITES.

A

lors qu’en France le système de retraite par répartition continue de protéger les retraités, la crise a, au cours de l’année 2008, durement touché les régimes par capitalisation. C’est en substance l’un des enseignements tirés lors du colloque annuel que le Cor (Conseil d’orientation des retraites) a organisé, au début décembre, sur « Les systèmes de retraite face à la crise, en France et à l’étranger ». Les chiffres proviennent de l’Ocde (Organisation de coopération et de développement économiques), analysés par Martine Durand, directrice adjointe des Affaires sociales et de l’Emploi. En 2008, du fait de l’effondrement des Bourses mondiales, les fonds de pension ont vu, en moyenne, la valeur de leur investissement baisser de 23 % dans les pays de la zone Ocde, soient environ 5 400 milliards de dollars. Si les pays anglo-saxons, où les actions représentent la majorité des actifs détenus par ces fonds, sont les plus touchés (– 37,5 % en Irlande, – 26,2 % aux Etats-Unis, – 17,4 % au RoyaumeUni), d’autres pays, comme l’Espagne (– 11 %), n’échappent pas à la chute : une année qualifiée de « catastrophique » (voir tableau). Certes, les experts de l’Ocde constatent un rebond récent, dû à la reprise des marchés boursiers. Il n’empêche : en dépit de cette légère reprise, les fonds de pension restent en retrait de 14 % par rapport à décembre 2007. C’est

d’une tout autre manière que l’équilibre budgétaire des systèmes de retraite publics sont mis à l’épreuve par la crise économique et sociale, via essentiellement la hausse du nombre de demandeurs d’emploi mais aussi la pression sur les salaires. En France, a expliqué le directeur de la Sécurité sociale, Dominique Libault, la crise a privé le régime général de 5 milliards d’euros de recettes. Globalement, les systèmes publics sont d’autant plus en difficulté que leur équilibre financier est précaire. Ainsi, pour Martine Durand, qui a dressé une typologie des systèmes de retraite plus ou moins affectés par la crise, « aucun n’est véritablement épargné ». Mais les plus lourdement pénalisés sont bien ceux où la part des pensions privées est importante, investies sur des produits à risques et où les filets de protection sont faibles. Citant notamment le Canada, le Royaume-Uni ou l’Australie. Dans ce contexte, quelles sont les personnes – et non plus les régimes – les plus touchées ? Sans surprise, ce sont celles qui ont cotisé de nombreuses années à des régimes à cotisations définies privés, en particulier si ces régimes étaient exposés à des actifs à risques. Dans ces régimes, les taux de cotisation sont fixés une fois pour toutes, le niveau des droits devant s’ajuster en permanence au niveau des ressources. Dans ce groupe, on

Rendement réel des fonds de pension en 2008

Source Ocde. OPTIONS N° 553 / JANVIER 2010

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– 37,5 – 26,7 – 26,2 – 22,9 – 21,4 – 20,1 – 19,0 – 17,4

Pays-Bas : Suède : Portugal : Norvège : Espagne : Allemagne : République tchèque : Mexique :

– 16,9 – 16,9 – 13,8 – 11,8 – 11,0 – 8,5 – 7,2 – 5,2

Irlande : Australie : Etats-Unis : Islande : Canada : Japon : Finlande : Royaume-Uni :

retrouve les Britanniques, les Australiens et les Américains. Là, près de 45 % des personnes âgées de 55 à 65 ans détiennent plus de 70 % de leurs actifs dans le cadre de régimes de retraite privés sous forme d’actions. Egalement affectées, mais de manière plus modérée, les personnes qui ont cotisé à des régimes privés mais à prestations définies. Là, les régimes s’engagent à financer des droits préalablement définis. C’est le cas, par exemple, aux Pays-Bas. Conclusion tirée par Martine Durand : « La crise a démontré la vulnérabilité à la fois des fonds de pension et des régimes privés à cotisations définies. » Du coup, de nombreux pays ont dû mettre en place une série de mesures pour tenter de limiter les dégâts : accès anticipé à l’épargne retraite (Danemark, Islande), prestations exceptionnelles dans le cadre des plans de relance, changement du cadre réglementaire (Irlande, Finlande…), renforcement des filets de sécurité pour les personnes âgées, incitations à investir dans des plans moins risqués à l’approche de l’âge de la retraite, etc. Mais, de là à tirer enseignement de la crise et émettre une condamnation des systèmes par capitalisation, il y a un pas… que l’Ocde ne franchit pas. En préférant promouvoir l’idée d’« une gestion prudente de l’épargne des salariés » et d’un nécessaire « panachage des différents systèmes » pour tenter d’amortir les chocs et limiter les risques. Sans non plus revenir sur ce qu’elle considère comme une « question essentielle » : le report de l’âge effectif de départ à la retraite… Christine LABBE En savoir plus sur le site du Conseil d’orientation des retraites, à l’adresse suivante : <www.cor-retraites.fr>. Les actes du colloque seront publiés par La Documentation française. 29

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spécial retraite

FINANCEMENT DES RETRAITES

TOUT RESTE POSSIBLE…

DEPUIS PRÈS DE VINGT ANS MAINTENANT, LES GOUVERNEMENTS ET LE PATRONAT PRÉSENTENT LE PROBLÈME DU FINANCEMENT DES RETRAITES POUR LES QUATRE À CINQ PREMIÈRES DÉCENNIES DU XXIe SIÈCLE COMME SANS AUTRE SOLUTION QUE DE RÉFORMER EN PROFONDEUR LE SYSTÈME DE RETRAITE MIS EN PLACE À PARTIR DE 1945, AU LENDEMAIN DE LA LIBÉRATION. Vlady FERRIER (*)

P

arvenu à maturité une quarantaine d’années plus tard, ce système fonctionnant en répartition garantissait en moyenne, et pour une carrière complète, à tous les salariés – ceux du secteur privé comme ceux du secteur public – un droit à retraite ouvert dès l’âge de soixante ans avec un montant de pension assurant à peu de chose près la continuité de leur niveau de vie au moment du passage de l’activité à la retraite ; le système garantissait en outre une évolution du niveau de vie tout au long de celle-ci comparable à celle du niveau de vie des salariés en activité. Pour atteindre ce résultat, il avait fallu augmenter, au fur et à mesure des besoins, la part des richesses produites par le travail dans notre pays, autrement dit du « produit intérieur brut » (Pib), et consacrée au financement des retraites : celle-ci était ainsi passée de 5,4 % en 1959 à 11,2 % en 1990 : elle avait donc plus que doublé en une trentaine d’années (tableau 1). Cette part des richesses créée chaque année par le travail et consacrée au financement des retraites a atteint son apogée au début des années 2000 (12,6 % en 2000) et est restée en deçà de ce chiffre depuis. Elle était, en 2008, de 12,2 %.

Les évolutions de la démographie Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la France a connu, durant trois décennies, soit de 1945 à 1975, un fort regain de natalité (« baby boom »). Le taux (*) Conseiller technique de l’Ugict-Cgt. 30

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(ou « indice conjoncturel ») de fécondité des femmes, égal au nombre moyen d’enfants par femme en âge de procréer au sein d’une population donnée, a atteint 2,8 en 1965. Ce taux a chuté ensuite assez brutalement, passant en dessous du seuil de renouvellement des générations (2,1 enfants par femme), pour atteindre 1,9 en 1975 et descendre jusqu’à 1,7 en 1995. Il n’a cessé de remonter ensuite et se situe aujourd’hui à 2, soit très près du seuil de 2,1 enfants par femme assurant le renouvellement des générations. Ces variations de l’indice conjoncturel de fécondité des femmes françaises s’expliquent principalement par l’entrée de plus en plus massive des femmes sur le marché du travail à partir de 1975, entrée qui s’est traduite par un recul progressif de l’âge moyen de naissance du premier enfant. A compter de 2008, ces générations nombreuses nées à partir de 1945 atteignent les unes après les autres l’âge de soixante ans et font en conséquence valoir leurs droits à retraite. Elles sont remplacées sur le marché du travail par les générations nées à partir de 1985 qui, elles, sont beaucoup moins nombreuses. L’accroissement des personnes âgées de soixante ans ou plus lié au « papy boom »,

Dans tout ce qui suit, lorsque nous parlerons d’un droit à retraite ouvert dès l’âge de soixante ans à tous les salariés, nous n’exclurons évidemment pas le droit de pouvoir partir avant cet âge pour les salariés dont les conditions particulières de travail justifient aujourd’hui et/ ou justifieraient demain le droit de cesser leur activité avant cet âge. lequel va s’étendre jusqu’en 2035 maintenant, n’est donc pas compensé par un accroissement équivalent du nombre de personnes âgées de vingt à cinquanteneuf ans au sein de la population totale. Ces variations de la natalité se traduisent

Tableau 1 La part des dépenses de retraite dans le produit intérieur brut 1959

1970

1975

1980

1990

2000

5,4 %

7,3 %

9,1 %

10,3 %

11,2 %

12,6 %

Source : Conseil d’orientation des retraites, premier rapport 2001. OPTIONS N° 553 / JANVIER 2010

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donc mécaniquement par un accroissement du poids des personnes âgées de soixante ans ou plus au sein de la population française. Si l’on considère que la population des 20-59 ans est en âge d’exercer une activité et que la population des 60 ans ou plus est en âge d’être à la retraite, les variations de la natalité ci-dessus se traduisent par un accroissement relatif de la population potentiellement retraitée par rapport à la population potentiellement « active » Ce phénomène d’accroissement du nombre des personnes âgées au sein de la population totale est par ailleurs amplifié par le fait que l’espérance de vie à soixante ans ne cesse de s’allonger en moyenne au fil des générations. Cette espérance de vie à soixante ans progresse en moyenne aujourd’hui de 1,6 mois par an. En résumé, on peut dire que, de 2005 à 2035 ou 2040, on assistera à un « vieillissement » progressif de la population française résultant à la fois des évolutions passées de la natalité et des gains constatés de l’espérance de vie moyenne à soixante ans. L’importance de ce phénomène de vieillissement de la population dépendra évidemment des évolutions à venir de la natalité et de l’espérance de vie moyenne à soixante ans. En supposant que le taux de la natalité se maintienne au niveau qui est le sien aujourd’hui et que l’espérance de vie OPTIONS N° 553 / JANVIER 2010

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continue de s’accroître en moyenne au même rythme qu’aujourd’hui, et dans l’hypothèse d’un solde migratoire annuel moyen constant au fil des ans du même ordre de grandeur que le solde actuel, la population de la France devait comprendre en 2050 à peu près le même nombre de personnes dites « jeunes » (les moins de 20 ans) et de personnes dites « actives » (les 20-59 ans) qu’aujourd’hui. En revanche, le nombre de personnes dites « âgées » (les 60 ans ou plus) devrait s’accroître très sensiblement, passant de plus de 15 millions aujourd’hui à près de 22 millions à terme (tableau 2).

Conséquences des évolutions démographiques sur le financement des retraites Dans un système de retraite, quel que soit son mode de fonctionnement – répartition ou capitalisation –, le financement des pensions repose toujours sur la richesse créée par le travail chaque année et donc sur l’activité. Lorsque le système de retraite fonctionne en répartition, le

prélèvement sur cette richesse s’opère au moyen de cotisations obligatoires sur la rémunération du travail et donc, pour l’essentiel, sur la rémunération du travail salarié. Les sommes ainsi collectées sont immédiatement reversées sous forme de pensions aux retraités. L’avantage considérable de la répartition sur la capitalisation repose sur ce mode de financement des pensions qui élimine tout transit des cotisations par les marchés financiers et donc tout risque de déperdition financière de ces cotisations au fil des décennies. En conséquence, dès lors que le nombre des personnes âgées de plus de soixante ans – et donc susceptibles d’être en retraite – croit plus vite au fil des ans que le nombre des personnes âgées de vingt à cinquanteneuf ans – et donc susceptibles d’exercer une activité professionnelle engendrant par-là même de la richesse permettant le financement des retraites –, un besoin de financement croissant, « toutes choses égales par ailleurs », apparaît. Ce besoin de financement a été évalué

Tableau 2 Moins de 20 ans

2010

2050

Environ 15 millions

Environ 15 millions

20 ans à 59 ans

Environ 32 millions

Environ 33 millions

60 ans ou plus

Environ 15 millions

Environ 22 millions 31

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spécial retraite …

de manière précise par le Conseil d’orientation des retraites (Cor) dans son premier rapport publié en 2001. Moyennant un certain nombre d’hypothèses – au demeurant parfaitement plausibles – sur les évolutions possibles de la croissance économique, de l’emploi et des salaires durant les quatre premières décennies du XXIe siècle (période 2000-2040), le Cor a évalué, en 2001, le montant du besoin de financement supplémentaire des retraites à l’horizon 2040, à taux de remplacement du salaire moyen par la pension moyenne inchangé par rapport à ce qu’il était en 2000, d’abord à âge moyen de départ en retraite inchangé par rapport à ce qu’il était en 2000 puis en retardant cet âge moyen de départ jusqu’à annuler, à l’horizon 2040 toujours, tout financement supplémentaire. A âge moyen de départ en retraite inchangé durant toute la période qui s’étend de 2000 à 2040, il faudrait consacrer, en 2040, 6 points de Pib, soit l’équivalent de 15 points de cotisation sur les salaires bruts (voir encadré), de plus qu’en 2000 pour financer les retraites en maintenant jusqu’à cette date le même taux de remplacement moyen du salaire par la pension que celui existant en 2000 (évalué en rapport pension nette/ salaire net, ce taux de remplacement était en 2000 de 78 %). L’espérance de vie moyenne potentielle à la retraite serait alors supérieure de 5,5 années à ce qu’elle était en 2000. A contrario, pour supprimer tout besoin de financement supplémentaire des retraites sur l’ensemble de la période 2000-2040 en maintenant le même niveau de pension par rapport au salaire sur la totalité des années 2000-2040, il faudrait reculer progressivement l’âge moyen de départ en retraite jusqu’à neuf années de plus en 2040. Cet âge moyen de départ en retraite était en 2000 de soixante et un ans. Il est à peine supérieur aujourd’hui.

Tableau 3 Besoin de financement Recul de l’âge de départ en retraite

Variation de l’espérance de vie potentielle + 5,5 années

6

15

+ 4,5 années

5,33

13,33

2 ans

+ 3,5 années

4,67

11,67

4 ans

+ 1,5 année

3,33

8,33

6 ans

– 0,5 année

2

5

9 ans

– 3,5 années

0

0

Source : Cor, premier rapport, 2001.

Il faudrait donc, si l’on renonce à financer nos régimes de retraite à hauteur des besoins d’ici à 2040, reculer l’âge de la retraite jusqu’à soixante-dix ans d’ici là pour conserver le même niveau de remplacement du salaire par la pension. Entre ces deux solutions, existent évidemment des solutions intermédiaires (cf. tableau 3). Le Cor a aussi estimé le niveau des pensions par rapport aux salaires qui résulterait d’un équilibre financier des régimes de retraite obtenu exclusivement en abaissant progressivement le niveau de celles-ci par rapport aux salaires, à âge de départ inchangé, donc. A âge de départ inchangé et sans financements supplémentaires par rapport à 2000, le taux de remplacement moyen du salaire net par la pension nette passerait de 78 % en 2000 à 42 % en 2040, une perspective bien évidemment totalement inacceptable. A âge moyen de départ inchangé sur toute la période 2000-2040, l’espérance de vie potentielle à la retraite sera, en 2040, supérieure de 5,5 années à ce qu’elle était en 2000. Le besoin de financement supplémentaire permettant de garantir sur ces quarante années le même niveau de pension par rapport au salaire atteindrait

6 points de Pib = 15 points de cotisation sur les salaires bruts. La part de la richesse produite chaque année par le travail (autrement dit « la valeur ajoutée ») et consacrée à la rémunération de celui-ci représente, bon an mal an, 60 % de cette richesse. Cette part, qui n’est autre que la masse « salariale totale », incluant donc toutes les formes de rémunération, y compris les cotisations salariales sur salaires versées directement par les entreprises pour le compte des salariés (cotisations sociales dites « patronales »), représente à peu de chose près une fois et demie la masse des salaires bruts. Un besoin de financement évalué à 6 points de Pib représente donc le dixième de cette masse salariale totale égale à 150 % de la masse des salaires bruts. Evalués en équivalent de points de cotisation sur les salaires bruts, 6 points de Pib représentent donc 15 points de cotisation sur ces salaires bruts.

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En points de cotisation sur les salaires bruts

1 an

équivalence

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En points de Pib

alors, en 2040, 6 points de Pib, soit l’équivalent de 15 points de cotisation sur les salaires bruts. Si on recule l’âge moyen de départ de neuf années, aucun besoin de financement n’est plus nécessaire pour garantir sur l’ensemble de la période le même niveau de pension par rapport au salaire. Dans ce cas, l’espérance de vie potentielle à la retraite serait réduite de 3,5 années en 2040 par rapport à ce qu’elle était en 2000. La retraite à soixante ans pour tous avec au moins 75 % du revenu d’activité pour vivre, est-ce alors économiquement et socialement possible à l’horizon 2040-2050 ? Pour financer les retraites jusqu’en 2040 (voire 2050) en maintenant l’âge moyen actuel de départ en retraite à soixante et un ans et en conservant le même niveau de pension par rapport au salaire que celui constaté en 2000, il faudrait, selon le Cor, accroître la part du Pib consacrée au financement des retraites de 6 points à terme. Or l’âge moyen de départ en retraite est aujourd’hui légèrement supérieur à soixante et un ans. Si l’on veut permettre à tous les salariés de partir en retraite dès l’âge de soixante ans avec au moins 75 % de taux de remplacement de leur salaire par la pension et avec au moins le smic pour vivre, leur pension évoluant ensuite comme le salaire moyen des salariés en activité, on peut estimer le besoin de financement supplémentaire des retraites à l’horizon 2040-2050 à 8 points de Pib, soit l’équivalent de 20 points de cotisation sur les salaires bruts. Supposons donc d’abord que l’on se borne à financer les retraites à cet âge et à ce niveau exclusivement en augmentant progressivement les cotisations sur les salaires au fur et à mesure des besoins. Cela reviendrait à augmenter de 20 points au total, en trente ou quarante ans, les OPTIONS N° 553 / JANVIER 2010

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cotisations sur le salaire brut destinées à financer les retraites. Celles-ci représentent aujourd’hui 25 % du salaire brut. Elles en représenteraient donc à terme 45 %. Augmenter de 20 points ces cotisations en quarante ans peut s’obtenir en augmentant chaque année celles-ci de 20 points : 40 ans = 0,5 point. La part dite « patronale » de ces cotisations représentant 60 % de la cotisation totale, le salarié verrait alors la cotisation prélevée sur son salaire augmenter de 0,50 point x 40 % = 0,20 point de cotisation chaque année entre 2010 et 2050. S’il s’avérait nécessaire d’augmenter les cotisations destinées au financement des retraites de 20 % en 30 ans seulement, l’objectif serait atteint en augmentant progressivement ces cotisations de 20 points : 30 ans = 0,66 point par an. Le salarié verrait alors la cotisation prélevée sur son salaire brut augmenter de 0,66 point x 40 % = 0,27 point par an. En d’autres termes, pour financer un droit à retraite à soixante ans avec au moins 75 % de taux de remplacement de leur salaire par leur pension, les salariés devraient consentir une augmentation moyenne de leurs cotisations retraite comprise entre 0,20 et 0,27 point de cotisation par an jusqu’en 2050 dans le premier cas, jusqu’en 2040 dans le second. A terme, les salariés entrant dans la vie active à l’issue de cette période devraient alors, durant toute leur carrière, consentir un prélèvement sur leur salaire brut de OPTIONS N° 553 / JANVIER 2010

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18 % (au lieu de 10 % aujourd’hui) pour financer ce droit à retraite. En contrepartie de cet effort de financement, les salariés pourraient alors bénéficier en moyenne d’une espérance de vie à la retraite d’au moins 26 ans pour les hommes et d’au moins 31 ans pour les femmes, toujours selon le Cor. Serait-il inenvisageable de consacrer, à l’horizon 2040-2050, 18 % de son revenu d’activité durant sa vie active pour pouvoir bénéficier, dès l’âge de 60 ans et pour une durée de l’ordre de 25 à 30 ans au moins (plus longue, donc, d’au moins 5 années), d’une retraite avec un revenu assurant un niveau de vie comparable à celui dont on bénéficiait durant sa vie active ? Cela apparaît d’autant moins inenvisageable que, pour que cet effort supplémentaire pèse durablement sur le pouvoir d’achat des salariés, il faudrait que la progression en moyenne annuelle du pouvoir d’achat des salaires sur la période considérée soit inférieure au taux moyen d’augmentation annuelle des cotisations, soit donc inférieure en tout état de cause à 0,27 % d’ici 2040 (ou 0,20 % d’ici 2050). Or les hypothèses de croissance annuelle du pouvoir d’achat des salaires (il faut rappeler ici que l’évolution annuelle du pouvoir d’achat des salaires s’apprécie en comparant les évolutions du salaire moyen de l’ensemble des salariés à celles d’un indice des prix calculé par l’Insee et qui ne mesure certainement pas l’évolution réelle du coût de la vie pour chaque

salarié) servant de base aux travaux du Cor se situent à 1,8 % en moyenne par an pour les trois à quatre décennies à venir, soit donc de l’ordre de plus de six fois le montant des augmentations annuelles de cotisation nécessaires au financement de la retraite ! Peut-on alors valablement, comme le font le gouvernement et le Medef, d’une part ne pas contester les travaux du Cor ni les hypothèses à la base de ces travaux, et d’autre part prétendre qu’il serait (cf. Nicolas Sarkozy) impossible d’augmenter les cotisations au titre que ces augmentations feraient baisser le pouvoir d’achat des salariés ? La réponse à cette question est clairement non ! Et cela d’autant plus que, en même temps, le gouvernement et le Medef, avec les encouragements enthousiastes du monde de la finance, c’est-à-dire de la Bourse, des banques et des assurances, affirment que, s’il est impossible désormais de financer les retraites par répartition au même âge et au même niveau de droits qu’aujourd’hui, les salariés auraient en revanche toute latitude d’épargner pour leurs vieux jours, autrement dit de faire de la capitalisation, en lieu et place de cotiser en répartition. Ainsi, cotiser davantage en répartition ferait désormais baisser le pouvoir d’achat des salariés mais ce ne serait pas le cas en cotisant (beaucoup plus, par ailleurs, pour un même droit à retraite, ce droit étant au demeurant soumis aux aléas de la Bourse et des marchés financiers) dans un système par capitalisation ? On peut certes disserter à perte de vue sur les taux de croissance de l’économie qui seront possibles et/ ou souhaitables pour les trente ou quarante prochaines années. Les experts toutefois situent en majorité ces taux entre 1,5 et 1,8 %. Même en abaissant à 1 % le taux moyen annuel de cette croissance, à part constante des salaires dans la valeur ajoutée, il est à l’évidence socialement parfaitement possible, y compris à l’horizon 2040-2050, de financer un droit à retraite ouvert pour tous à soixante ans avec un taux de remplacement du revenu d’activité d’au moins 75 %, aucune pension de retraite ne pouvant par ailleurs être inférieure au smic et la pension une fois liquidée évoluant au fil des ans comme le salaire moyen des salariés en activité. Est-ce, cependant, économiquement possible ? Si l’on suppose que l’on finance les retraites au niveau permettant l’accès de tous les salariés à ce droit (un droit mais non une obligation !) à retraite ouvert dès l’âge de soixante ans, avec un revenu de remplacement du revenu d’activité par la pension d’au moins 75 % et sans que

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spécial retraite

ce revenu puisse être inférieur au smic – exclusivement par des augmentations de cotisations –, alors il faudrait augmenter, comme nous l’avons vu, de 0,50 point par an le taux de cotisation sur les salaires bruts, et cela pendant quarante ans. S’il s’avérait nécessaire d’obtenir le même résultat en 30 ans au lieu de 40, il faudrait augmenter de 0,66 point par an ce même taux de cotisation. La part dite « patronale » de ces cotisations représentant 60 % de la cotisation totale, l’entreprise verrait alors cette part augmenter de 0,50 x 60 % = 0,30 point de cotisation chaque année, entre 2010 et 2050 dans le premier cas, et de 0,66 x 60 % = 0,40 point de cotisation chaque année entre 2010 et 2040 dans le second cas. A terme, dans les deux cas, cette part dite « patronale » passerait de 15 % de la masse des salaires bruts à 27 % de cette même masse. Augmenter la part dite « patronale des cotisations » revient à augmenter la masse salariale totale et donc « la part des 34

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salaires dans la valeur ajoutée ». Cette « part des salaires dans la valeur ajoutée » passerait donc, à terme, de 60 % aujourd’hui à 64,8 % soit en 2040, soit en 2030. Quand on sait que cette part des salaires dans la valeur ajoutée atteignait 70 % (67,5 % corrigée de la non-salarisation – voir graphique p. 36 – en 1982), on ne voit pas où se situerait l’impossibilité de la porter à 65 % d’ici à… 2040 ou 2050, c’est-à-dire près de… 60 à 70 ans plus tard ! Il est donc à l’évidence économiquement parfaitement possible de financer un droit à retraite ouvert pour tous à soixante ans avec un taux de remplacement du revenu d’activité par celui de la pension de retraite d’au moins 75 %, aucune pension de retraite ne pouvant par ailleurs être inférieure au smic. En conclusion, on peut déduire des travaux du Conseil d’orientation des retraites (premier rapport publié en 2001, sous le titre « Retraites : renouveler le contrat social entre les générations », à

la Documentation française) qu’il n’y a pas, ni socialement ni économiquement, d’impossibilité à financer pour tous les salariés, qu’ils soient du secteur public ou du secteur privé, un droit à retraite ouvert dès l’âge de soixante ans avec un montant de pension au moins égal à 75 % du salaire et en tout état de cause au moins égal au smic, la pension une fois liquidée évoluant au fil des ans comme le salaire moyen des salariés en activité.

Les propositions de l’Ugict et de la Cgt pour garantir le financement des retraites de 2010 à 2040-2050 De tout ce qui précède, il ressort à l’évidence que le problème à résoudre concernant l’avenir de nos retraites n’est pas un problème démographique mais un problème de financement. La Cgt propose en conséquence une réforme en profondeur du financement de la retraite qui permettrait de garantir celle-ci d’abord de 2010 à 2050, au-delà ensuite. La situation OPTIONS N° 553 / JANVIER 2010

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qui est la nôtre aujourd’hui en matière d’emploi et de salaire rend impérative plus que jamais la mise en œuvre de cette réforme en profondeur du financement de la retraite, bien sûr, mais aussi plus généralement de l’ensemble de la protection sociale. Cette réforme que la Cgt ne cesse de réclamer depuis plus de vingt ans permettrait de dégager des ressources nouvelles et très substantielles pour financer les besoins sociaux et, en tout cas dans l’immédiat, de la retraite, telle que l’immense majorité des salariés la revendique, c’est-à-dire un droit à retraite ouvert pour tous dès l’âge de soixante ans (avant cet âge lorsque les conditions particulières d’exercice de l’activité professionnelle le justifient) avec un niveau de pension permettant le maintien du niveau de vie lors du passage de l’activité à la retraite et une évolution de ce niveau de vie une fois la pension liquidée comparable à celle de la population des salariés en activité. Cette réforme comporterait les mesures suivantes : 1) Abandon de la politique d’exonération de cotisations patronales dites « en faveur de l’emploi » et remplacement de celle-ci par une extension de « l’assiette » de la seule contribution patronale au financement de la retraite à l’ensemble de la valeur ajoutée, c’est-à-dire de la richesse créée chaque année par le travail dans les entreprises, accompagnée d’une modulation du taux de la cotisation patronale en fonction notamment de la part plus ou moins importante des salaires dans cette valeur ajoutée. Il s’agit de prélever directement à la source, donc, une part plus grande au total de la richesse créée chaque année par le travail pour financer les retraites. Les entreprises contribuent en effet inégalement au financement de la protection sociale, et donc de la retraite, dès lors que les cotisations patronales ne sont prélevées que sur les seuls salaires. Ceux-ci ne constituent, comme on l’a vu, qu’une part de la richesse créée par le travail, c’està-dire de la « valeur ajoutée » dans les entreprises. Et cette part varie beaucoup d’une branche d’activité à l’autre et même d’une entreprise à l’autre. Il existe en effet des secteurs d’activité à fort taux de maind’œuvre (caoutchouc, textiles, habillements, par exemple) et d’autres à faible taux de main-d’œuvre (pétrole, par exemple). D’autre part, au sein d’un même secteur d’activité, certaines entreprises utilisent systématiquement aujourd’hui l’emploi et les salaires comme variable d’ajustement de leur rentabilité financière en comprimant la masse salariale pour accroître toujours plus cette rentaOPTIONS N° 553 / JANVIER 2010

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bilité financière, même lorsque celle-ci est déjà relativement élevée. La réforme que préconise la Cgt vise à encourager les politiques favorables à l’emploi, à la recherche et au développement sur le sol français, à la formation et à la rémunération en conséquence du travail, notamment du travail qualifié, et à dissuader a contrario les entreprises de recourir aux licenciements, au blocage des salaires et aux délocalisations pour accroître toujours plus leur rentabilité financière. Cette réforme viendrait donc en substitution à la politique poursuivie depuis plus de vingt ans maintenant, ruineuse pour les finances publiques et dommageable pour la Sécurité sociale, d’exonération de cotisations sociales patronales, politique poursuivie et aggravée systématiquement depuis près de deux décennies et dont l’efficacité en termes de création et même de sauvegarde de l’emploi reste à ce jour à démontrer. Un des enjeux financiers de

cette réforme est la récupération à terme de ces 30 milliards d’euros d’exonérations pour financer la protection sociale, et notamment les retraites. 2) L’extension de « l’assiette » des cotisations pour la retraite à tous les éléments de rémunération, primes d’intéressement et de participation notamment, le salaire pris en compte pour le calcul du montant de la pension comprenant dès lors ces éléments de rémunération à partir de la date de mise en application de cette extension. Cette mesure, qui permettrait à terme de garantir réellement pour tous la continuité du niveau de vie lors du passage de l’activité à la retraite, apporterait des ressources immédiates substantielles aux régimes de retraite. 3) Mise à contribution pour le financement des retraites des revenus financiers des entreprises au moins à hauteur de la contribution des salariés (part salariale des cotisations). Il s’agit de faire contribuer au financement de la retraite les

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spécial retraite …

seuls revenus qui échappent aujourd’hui à tout prélèvement pour le financement de la protection sociale. Seuls, en effet, les revenus tirés des placements financiers par les personnes physiques sont soumis à prélèvements sociaux (Csg, Crds). Les entreprises n’étant pas considérées comme des personnes physiques, le revenu de leurs placements financiers n’est soumis à aucun prélèvement social. Le montant de ces revenus financiers est estimé à près de 255 milliards d’euros (source : Comptes de la nation) pour la seule année 2008. Soumis à prélèvement pour le financement des retraites au moins à hauteur de la contribution directe des salariés à ce financement (cotisation dite « salariale »), qui est d’un peu plus de 10 %, ces revenus financiers contribueraient donc pour au moins 25 milliards d’euros chaque année au financement des retraites, et cela dès 2010. Cet apport supplémentaire de ressources est à comparer au montant prévu du déficit de l’assurance vieillesse pour cette même année 2010, soit de plus de 10 milliards d’euros. 4) Augmentation des cotisations pour la retraite, celles dites « patronales » comme celles dites « salariales », au fur et à mesure des besoins de financement supplémentaires qui, le cas échéant, se révèleront d’ici à 2040-2050 et qui dépendront de la croissance économique, de l’emploi, des conditions de travail et des salaires. Nul ne peut aujourd’hui prévoir ces évolutions à l’horizon 2040-2050. La sagesse exige donc de gérer le financement des retraites au fil des ans en fonction des besoins de financement qui se manifesteront progressivement et dépendront évidemment de multiples facteurs dont

un, en particulier, concerne les conditions de travail. La Cgt et son Ugict n’ont jamais considéré l’âge d’ouverture du droit à retraite comme un âge couperet. La retraite reste un droit, ce n’est pas une obligation. Rien n’interdit de penser qu’une amélioration conséquente de la situation des salariés dans leur entreprise, notamment en fin de carrière, n’incite un nombre croissant

Part des salaires dans la valeur ajoutée corrigée de la non-salarisation (en %) 70

Part des salaires dans la valeur ajoutée corrigé de la non-salarisation

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Source : Ocde de 1965 à 1995, comptes nationaux base 1995 de 1980 à 2000, prévision Ofce de 2001 à 2010

d’entre eux à différer au-delà de soixante ans leur départ en retraite. Une politique de formation adaptée à tous les âges de la vie, des conditions de vie au travail débarrassées de la fatigue physique et nerveuse engendrée par la fixation d’objectifs souvent mal définis et/ ou hors de portée et qui, lorsqu’ils ne sont pas réalisés, se traduisent par un véritable harcèlement moral de la part de l’entreprise pour contraindre les salariés concernés à quitter celle-ci ou à accepter n’importe quel travail, y compris avec déclassement, favoriseraient sans nul doute, à l’avenir, le maintien en activité au-delà de soixante ans d’un nombre croissant de salariés, notamment au sein de l’encadrement. Les besoins de financement des retraites s’en trouveraient alors du même coup atténués. L’amélioration des conditions de travail constitue en tout état de cause un des grands défis posés au syndicalisme pour les deux ou trois décennies à venir. La création proposée par la Cgt d’une « maison commune des régimes de retraite » constituée de représentants élus des salariés et dont la mission serait de gérer le dossier des retraites durant les trois ou quatre prochaines décennies contribuerait sans nul doute à accroître les possibilités de relever ce défi. OPTIONS N° 553 / JANVIER 2010

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MAISON COMMUNE UNE MAISON QUI GAGNE À ÊTRE CONNUE ! PARMI LES PROPOSITIONS SOUMISES AU 49e CONGRÈS CONFÉDÉRAL, LA MAISON COMMUNE DES RÉGIMES DE RETRAITE FAIT PARTIE DE CELLES QUI ONT ÉTÉ LE PLUS DISCUTÉES. ÉCLAIRAGES.

Gérard RODRIGUEZ (*)

S

i les débats ont manifestement permis d’y voir plus clair – cette proposition a d’ailleurs été validée par le vote du congrès –, il reste utile de revenir sur son contenu et sa pertinence, afin qu’elle puisse être débattue largement et s’inscrire dans la préparation du rendez-vous retraite 2010.

Une situation dégradée, un salariat divisé

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tesque, particulièrement « coûteuse » et n’apporterait pas de solution aux problèmes de financement. Le propos de la Cgt est bien de solidariser les régimes tels qu’ils sont, avec leurs spécificités, leurs histoires respectives…

Une solidarité au service du progrès social… La maison commune des régimes de retraite permettrait de promouvoir un socle commun de droits et de garanties de haut niveau. Il y a bien des domaines dans lesquels des progrès pourraient être réalisés. Citons, par exemple, la validation des années d’études ainsi que des périodes de précarité, qui participe d’une autre approche de la notion de carrière complète et qui pourrait se traduire par une constitution de droits dès l’âge de dix-huit ans pour tous, y compris les étudiants ou les primo-demandeurs d’emploi… La conséquence, et c’est bien l’objectif visé, serait l’accès du plus grand nombre, dès

Une maison qui redonne confiance… Cette nouvelle définition de la carrière complète, pour n’en rester qu’à cet aspect, serait de nature à redonner confiance aux plus jeunes d’entre nous. Au train où vont les choses, ils sont de plus en plus nombreux à considérer qu’ils n’auront pas de retraite, ou si peu… Cette absence de confiance, qui doit être prise au sérieux parce que susceptible de conduire à une implosion du système, est liée à plusieurs facteurs. Allongement de la durée de formation initiale, discriminations à l’emploi à l’égard des plus jeunes, le tout combiné à l’allongement continu de la durée d’activité exigée pour le taux plein, constituent une première explication. Le mode de gouvernance des régimes de retraite en constitue une seconde. En effet, qui pilote les différents régimes ? Pour simplifier, le gouvernement et/ ou le patronat (en fait le Medef ) n’en font qu’à leur tête. Or on connaît la volonté politique du gouvernement en matière de retraite, qui se traduit par des rendezvous incessants remettant à chaque fois en cause les règles que d’aucuns pensaient gravées dans le marbre. Le patronat, quant à lui, défend de manière quasi obsessionnelle la réduction du « coût du travail » et donc la baisse des ressources affectées à la protection sociale.

Une maison sous la responsabilité de représentants des salariés Pour sortir de cette logique régressive, la maison commune des régimes de retraite serait pilotée par des représentants des salariés élus par ces derniers. Ce ne serait que revenir à un principe originel de la Sécurité sociale, combattu d’ailleurs dès la première heure par le patronat de l’époque. Car les cotisations sociales (parts salariée et patronale) – n’en déplaise au Medef et consorts – sont constitutives du salaire.

Les réformes passées (1993, 2003, 2007…) produisent des effets dévastateurs, tant pour les retraités actuels que pour les retraités futurs. La mise en œuvre de ces réformes résulte de la volonté et de la détermination des gouvernements qui les ont décidées, mais également du fait que les mobilisations pour les combattre ont été portées par un salariat divisé. D’abord les salariés du privé en 1993, ensuite les fonctionnaires en 2003, puis les salariés des régimes spéciaux (Sncf, Ratp, industries électrique et gazière) en 2007. Un des premiers enseignements est sans aucun doute que la Cgt doit s’employer à solidariser les salariés. Solidariser les régimes de retraite participe de cet objectif. Car il faut bien convenir que si l’on excepte les mécanismes de compensation, d’ailleurs inconnus des salariés comme des retraités, il existe peu de liens de solidarité entre les différents régimes. Faut-il en conclure que cela conduit immanquablement à promouvoir un régime unique ? Même les tenants les plus farouches de la mise en place d’un régime unique par points ou par comptes notionnels n’y songent plus. La tâche – les travaux du Conseil d’orientation des retraites le confirment – serait gigan-

soixante ans, à un taux de remplacement d’au moins 75 % du salaire de référence (dernier salaire dans le public et salaire annuel moyen des dix meilleures années dans le privé).

(*) Conseiller confédéral de la Cgt – Activité retraite. 37

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