AU CŒUR D’UNE PRATIQUE ARCHITECTURALE Des perspectives face au réemploi et à l’évolutivité pour une architecture durable
Mémoire Master - Charline Trécul - 2019 / 2020 Ecole Nationale Supérieure d’Architecture De Bretagne
REMERCIEMENTS Je tiens à remercier mon professeur titulaire Johann Nicolas, pour m’avoir orientée et poussée à enrichir mes questionnements actuels sur le monde de l’architecture. À ma famille et mes amis.
SOMMAIRE
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LE REEMPLOI, UNE PERSPECTIVE CONSTRUCTIVE POUR UNE « ECONOMIE DURABLE » 6 8
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INTRODUCTION DEFINITION ET CONCEPT Une architecture durable Qu’est-ce que le réemploi ? HISTOIRE DU REEMPLOI Un savoir-faire perpétuel depuis l’Antiquité Le développement industriel du XIXe siècle Les prémices des préoccupations climatiques DE NOUVEAUX ENJEUX Les limites et freins du réemploi : de la conception à la construction Les solutions envisageables pour répondre à ces enjeux Des projets manifestes LA REHABILITATION L’héritage du XXe siècle Des projets construits Le réemploi comme matière à penser L’obsolescence dans la construction CONCLUSION
UNE NOUVELLE PRATIQUE DE L’ARCHITECTURE 72
UNE CRITIQUE PERSONNELLE
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VERS UNE ARCHITECTURE REVERSIBLE ET EVOLUTIVE 44 46
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INTRODUCTION UNE PRATIQUE CONNUE Notions historiques Une architecture flexible DEFINITION ET CONCEPT Architecture et réversibilité Des enjeux d’évolution et de modularité CONSTRUIRE REVERSIBLE Les principes constructifs théorisés Pour quelle architecture? ETUDE DE CAS « Carré Lumière », LAN architecture « Le Stream Building», PCA-STREAM CONCLUSION
ANNEXE 80
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ANNEXE Des chiffres-clés Interviews AMC Rapport Bruntland LEXIQUE BIBLIOGRAPHIE Livres Sources internet Etudes / Rapports Podcasts Conférences Colloque
LE REEMPLOI UNE PERSPECTIVE CONSTRUCTIVE POUR UNE « ECONOMIE DURABLE » DEFINITION ET CONCEPT HISTOIRE DU REEMPLOI LES NOUVEAUX ENJEUX DU REEMPLOI LE REEMPLOI VS LA REHABILITATION
INTRODUCTION Alors que le développement durable et les préoccupations environnementales éclatent au cœur des questionnements sociétaux et politiques, il est important de mettre en cause notre manière de construire et de concevoir. En effet, devenu un réel sujet de débat et de confrontation, la cause climatique se pose à travers tous les corps de métier et le rôle de l’architecte n’en est pas moins impacté. La raréfaction des ressources doit alarmer les consommateurs de matériaux afin d’en faire un meilleur usage tout en justifiant leur utilisation. Ainsi depuis quelques années, apparait une croissance des normes et législations qui sont imposées aux constructeurs et concepteurs mais leur efficacité reste à prouver. Certaines actions entreprises, généralement publicitaires, sont mises sous le signe du développement durable, pourtant d’importants questionnements et changements sont aujourd’hui nécessaires et urgents. Il ne suffit donc pas d’être idéaliste pour se rendre compte que l’architecture peut avoir un impact important sur l’environnement et qu’en modifiant les méthodes, qui sont aujourd’hui probablement révolues, il est possible de réduire ce désastre écologique. En effet, l’industrie du bâtiment représente plus de 394 000 entreprises d’après les chiffres de 2018 de la fédération française du bâtiment*1, ce qui est équivalent à la moitié de l’industrie. C’est l’un des secteurs les plus concernés par les enjeux du changement climatique. Les chiffres donnés par les différents organismes français spécifient que la construction compte aux alentours des 40% d’émission de gaz à effet de serre des pays développés, 37% d’énergie consommée et 40% de déchets produits*2. Cependant, de nos jours, l’écologie peut être considérée comme une réelle « tendance » relative aux différents milieux professionnels. Elle n’est
1 Cf. ANNEXE, Le bâtiment en chiffres de la Fédération Française du bâtiment
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2 Deshayes, P. (2012). Le secteur du bâtiment face aux enjeux du développement durable : logiques d’innovation et/ou problématiques du changement. Innovations, 37(1), 219-236. Doi :10.3917/inno.037.0219.
pas toujours prise au sérieux par les concepteurs, constructeurs, ou consommateurs. Elle a permis d’engendrer une remarquable croissance économique vis-à-vis des grandes entreprises de constructions, qui se prêtent à évoquer le phénomène écologique pour persuader les clients, grâce cette publicité attractive. Cependant, ce sujet controversé impacte sur la véracité des ambitions climatiques et la façon dont la population le trouve légitime. C’est pourquoi, un nouveau système composé de normes adaptées à la société contemporaine doit voir le jour pour les décennies à venir, afin de répondre concrètement à ces enjeux environnementaux. Ainsi, il est légitime d’énoncer le terme « d’économie durable » qui mêle deux propos : celui de la modération des ressources à travers leur production et leur consommation, et celui d’une nouvelle organisation frugale qui remet en question notre système économique actuel. Ainsi, la question du remploi et de la reconsidération de l’utilisation des matériaux s’impose pour l’architecte et ses opérateurs. Cependant, l’objectif de mon travail à travers ce mémoire n’est pas de plaidoyer en faveur du réemploi afin qu’il soit l’unique solution dans la création d’une architecture durable, mais c’est un moyen de mettre en valeur cette pratique, en prévention de l’accumulation des déchets et de l’épuisement de nos ressources. Comment le réemploi peut-il se développer au-delà des architectures manifestes ?
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DEFINITION ET CONCEPT 10
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DEFINITION ET CONCEPT Une architecture durable Une architecture durable c’est évidemment une architecture qui a le moindre impact sur son environnement. Cependant, le terme durable s’associe aussi à une architecture qui dure longtemps, de façon à ce qu’elle dépasse les modes et tendances au fil des années (pendant 50-100-150 ans). Ainsi, cela implique que cette forme d’architecture ne soit pas considérée comme « dépassée » mais continuellement actuelle. On ne parle donc pas d’un bâtiment qui se veut être indestructible mais d’une construction qui peut être acceptée telle qu’elle a été conçue pour une temporalité prolongée. Pour qu’elle obtienne cette pérennité, il s’agit alors que le bâtiment ait une certaine simplicité au travers de sa conception. C’est pourquoi le gros œuvre d’un bâtiment, qui est associé aux structures « lourdes », peut être durable. Et le second œuvre, les éléments dits plus « légers » tels que les faux plafonds, les cloisons ou le mobilier peut être plus modulable par rapport aux nouveaux usages qui sont de plus en plus éphémères. Cette architecture durable s’allie également aux termes de frugalité*1, de sobriété, et d’économie d’énergie. De plus, cela met en exergue les enjeux esthétiques de l’architecture qui vise à développer un attachement de par son visuel agréable, induisant aux acteurs des villes une certaine volonté de l’entretenir et de la faire durer dans le temps.
Qu’est-ce que le réemploi ? Le réemploi est donc un maillon essentiel dans la lutte pour la préservation des ressources afin d’empêcher l’accumulation des déchets du bâtiment. Cette notion a été développée il y a déjà quelques centaines d’années, c’est ce que nous verrons par la suite, mais cherchons tout d’abord à la définir précisément. Inévitablement, il serait évident mais réducteur de le percevoir comme « le
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1 FRUGAL : Qui se nourrit de peu, qui vit d’une manière simple (litt.) – LAROUSSE. En architecture, ce qui se dit frugal se rapporte à une consommation raisonnée en termes d’énergie, de matière, de technicité et d’emprise territoriale.
nouvel emploi d’une chose » comme le définit le CNRTL*2 , c’est pourquoi l’ADEME*3 en propose une synthèse précisant que c’est : « l’opération par laquelle un produit est donné ou vendu par son propriétaire initial à un tiers qui, a priori lui donnera une seconde vie. Le produit garde son statut de produit et ne devient à aucun moment un déchet. » Cela implique donc de donner une seconde vie à des matériaux issus de la construction, afin d’éviter un gaspillage certain et de minimiser la production industrielle qui engendre une importante consommation énergétique. Selon l’article L541-1-1 du Code de l’environnement*4, cela implique de redonner à des substances ou matières, une nouvelle vie pour le même usage que celui pour lequel il a été premièrement conçu. Ce propos va être également appuyé par Jean-Marc Huygen*5 qui explique que la matière et la forme d’un objet se rapportant à sa première trace historique, va être réemployé afin d’y trouver une nouvelle utilité. On donne ainsi, un nouvel « usage » à un élément déjà existant qui n’était plus utilisé comme son premier emploi.
« Le réemploi permet ce lien solidaire entre les hommes : car ce que nous réemployons est une matière ou un objet chargé de culture » *6 En parallèle, se distingue notamment les termes de réutilisation et de recyclage, qui sont une nuance distincte au sein de cette pratique de rationalisation de la matière. A la différence du réemploi qui vise à prévenir l’augmentation des déchets, la réutilisation concerne en particulier les opérations par lesquelles un produit qui était considéré comme un déchet est à nouveau utilisé.
2 RÉEMPLOI : Définition de RÉEMPLOI. (S. d.), à l’adresse https://www.cnrtl. fr/definition/r%C3%A9emploi 3 Le réemploi et la réutilisation – ADEME. (S. d.), à l’adresse https://www. ademe.fr/expertises/dechets/passer-a-laction/eviter-production-dechets/ reemploi-reutilisation 4 Code de l’environnement - Article L541-1-1 | Légifrance. (2010, à l’adresse https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000023248311&cidTexte=LEGITEXT000006074220&dateTexte=20200124 5 Huygen, J. (2008). La poubelle et l’architecte : Vers le réemploi des matériaux (ACTES SUD) 6 Citation de Patrick Bouchain fév. 2008
Le recyclage, quant à lui, introduit uniquement les matières premières d’un objet dans l’objectif de créer un nouveau produit.
pratique novatrice mais particulièrement technique, demandant une réelle recherche sur le potentiel de la matérialité. Effectivement, dans la maison de campagne (Brick Country Villa), Mies Van der Rohe utilise un matériau traditionnel ; celui de la brique. C’est cette première entité indivisible qui va définir la forme de la construction. Ainsi, la dimension fixe de ce module va influencer l’architecture même de la maison. Philippe Meier précisera que « Pour Mies van der Rohe […] l’important est la recherche de la forme essentielle, à l’intérieur de laquelle la technique tient un rôle primordial »*7 . Finalement, la notion d’assemblage se réfère à une technique de mise en œuvre permettant d’organiser les matériaux entre eux et de les lier par n’importe quelle façon. Par exemple, des pierres peuvent être soudées à l’aide d’un mortier (liquide) ou bien par un assemblage à sec, ce qui compte principalement c’est l’organisation du tout.
Selon Huygen, on distingue plusieurs termes qui composent ce principe de réemploi : glaner, accommoder et assembler. Le premier se rapporte à l’action de récupérer les déchets produits par la société et de les accumuler, en les classant, afin de réaliser un catalogue de ressources utilisables. Ces derniers sont vendus et remis en réseau dans un périmètre proche, à l’échelle locale, pour éviter des dépenses énergétiques inutiles. Deuxièmement, l’auteur précise que « accommoder c’est ajuster et disposer de manière à faire convenir, préparer pour la consommation ». Ainsi, Il s’agit de préserver une matière dans son entièreté et de l’adapter malgré sa nature diverse. Si l’on considère un lot de brique pour dessiner une nouvelle façade, l’intérêt est de ne va pas recouper la matière, cela produirait des chutes et donc des déchets. Cela nécessite donc de s’adapter aux matériaux et de s’en accommoder.
Ainsi, il est intéressant de se référer aux architectes tels que Louis Kahn, Mies Van der Rohe ou Frank Lloyd Wright qui selon certains matériaux bruts qu’ils utilisaient, s’adaptaient à la matière pour que cela convienne aux intentions d’usage pendant la phase de conception. Ce n’est donc pas une
Se distingue alors plusieurs procédés pratiques relatifs au réemploi, qui sont applicables au sein de la construction. Tout d’abord, cela peut se rapporter au démantèlement d’un bâtiment préexistant. A la place d’être réduit en matière inutilisable, il va être analysé en détail par des constructeurs ou des sociétés expertes afin de déceler les éléments récupérables et encore de qualité. Par la suite, il s’agit de récupérer ces matériaux exploitables, qui sont transportés et stockés dans un périmètre proche si la réutilisation ne se fait pas in situ. Ils peuvent être nettoyés et expertisés afin de pouvoir donner aux futurs acheteurs une fiche technique du produit, à propos de leurs possibilités de mise en œuvre ou leurs propriétés mécaniques. Il est finalement possible de recycler les matériaux quand ceux-ci sont transformés ou de les réemployer (matériaux transformés ou simplement « convertis ») dans une nouvelle construction.
7 P. Meier, (2002) « L’importance de la pensée modulaire dans les architectures de Ludwig Mies van der Rohe et Dominique Perrault », in Matières n°5, ITHA-PPUR, Lausanne. Ilustration : Bonnefrite, Matière grise (2014), ENCORE HEUREUX.
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HISTOIRE DU REEMPLOI 14
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HISTOIRE DU REEMPLOI Le réemploi n’est certainement pas une pratique nouvelle et révolutionnaire. En effet, il est déjà présent au cours de l’antiquité et s’est perpétué au fil de l’Histoire. Les pillages et les démolitions ont systématiquement impliqué une réutilisation des matériaux présents in situ, dans une optique pragmatique et économique.
Un savoir-faire perpétuel depuis l’Antiquité Dès l’arrivée des premières (re)constructions, le réemploi, la réutilisation et le recyclage ont été des procédés constructifs logiques et avantageux. Les travaux se faisant manuellement, la déconstruction et la réutilisation des matériaux des édifices existants, voués à l’abandon ou à la démolition, étaient des techniques plus faciles et efficaces que l’extraction même de la matière. Aujourd’hui on connait plus particulièrement le cas des grecs, des égyptiens et des romains qui ont développé ce savoir-faire, notamment en se servant des anciennes ruines afin de façonner de nouveaux édifices. C’est ainsi, qu’au cours de l’histoire s’est formée une superposition de couches, riches dans leurs diversités architecturales et esthétiques, s’adaptant à ses nombreuses époques et cultures. C’est le terme latin « spolia » qui désigne cette réutilisation de fragments de monuments antérieurs pour en construire de nouveaux, en particulier au cours de l’expansion de l’empire romain.
stratification de l’histoire » et développant « le réemploi des matériaux, l’aménagement d’édifices préexistants »*1. Ainsi on peut s’intéresser au cas de Rome qui est un des exemples les plus vraisemblables avec l’importance de ses ruines et sa nécessité à les requalifier. Pour cela, nous pouvons mettre en exergue le « Teatro di Marcello » qui a été modifié en 1535 afin de créer de nouveaux logements. Ce théâtre antique a été adapté en y superposant une nouvelle épaisseur architecturale face aux besoins et aux ambitions de palace de l’époque. C’est également le cas pour la basilique gothique de Vicence, que Palladio a choisi de moderniser, et le Palazzo della Ragione à Padoue qui se sont tous deux métamorphosés en laissant place à une toute nouvelle architecture qui contraste avec celle d’origine.
« Le passé, non comme souvenir ou idée, mais comme matière » *2 Ces modes constructifs composaient ainsi la norme architecturale, s’adaptant en fonction des divers pays, à leurs cultures et leurs traditions. L’architecture vernaculaire représentait alors cette pratique locale et contextuelle, faite avec les matériaux qui se trouvaient sur place.
Nos voisins italiens ont également construit de nombreux monuments, célèbres pour leur généreux potentiel à se réinventer. Notamment au Moyen-âge où la réhabilitation de par le réemploi et la réformation des édifices antiques composent l’urbanité des villes. La restructuration des monuments par les architectes de la Renaissance est générée par une réelle volonté politique et théorique.
Michèle Humbert appuie d’ailleurs cette théorie dans son essai sur l’architecture italienne, en citant Maurice Blanchot. Elle évoque le fait que cette architecture s’adapte déjà à l’héritage de l’histoire et au contexte actuel en ayant « conscience d’une
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1 Créer dans le créé, L’architecture contemporaine dans les bâtiments anciens. (1986) (Icomos-France). Milan-Paris : Electa Moniteur. Chap. aménagement et création : une constante dans l’histoire de l’architecture italienne, Michèle Humbert, p.12-13. 2 Citation de Francis Ponge, « La Terre », Pièces, Paris Gallimard, 1961, p.90
Giovanni Battista Piranesi, Veduta dell’Arco di Costantino (1771), gravure sur papier 470 mm x 705 mm Cet arc se distingue par les nombreuses spolia de monuments antérieurs qui l’ont constitués.
Luigi Rossini, Teatro di Marcello (1850)
Développement chronologique du Palais della Ragione de Padova. Dessin de Francesco Corni
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HISTOIRE DU REEMPLOI Le développement industriel du XIXe siècle Alors qu’au milieu du XIXe siècle, on préfère réutiliser les vieux matériaux ayant fait leur preuve, l’industrialisation a tiré un trait sur ce mode de réflexion. Dans les années 1800, c’est effectivement encore un acte commun de récupérer les matières ou produits qui se trouvent dans les rues, commerces, etc., afin de les réutiliser pour produire d’autres éléments. Comme le précise Sabine Barles*3, « les boues des rues sont vendues aux cultivateurs », « les chiffons servent à fabriquer du papier » qui sont ensuite transformés en carton et « les boites de conserves sont transformées en jouets ». Rien n’est jeté, tout est utilisé et transformé de nouveau jusqu’à ce que la matière soit totalement inutilisable. Cela implique évidemment un gage de salubrité qui, dans notre société actuelle, est un réel frein à la poursuite de ces procédés. Cependant, la ville était un véritable « gisement de ressources ». Néanmoins, pendant les prémices de l’industrialisation, certains sachants de cette nouvelle ère ont introduit la notion de patrimoine au cœur des préoccupations politico-économiques. Qu’ils soient philosophes ou historiens, ils ont cherché à protéger le patrimoine existant en fondant les premières législations et normes pour la conservation de ces bâtiments anciens. Si nous prenons le cas de la France, c’est l’Etat qui a donné ce premier exemple législatif alors qu’en Grande-Bretagne, ce sont William Morris et son prédécesseur John Ruskin qui ont en partie poussé les autorités à prendre des mesures concrètes afin de limiter l’impact des propriétaires privés sur cette richesse architecturale.
“La conservation des monuments du passé n’est pas une simple question de convenance ou de sentiment. Nous n’avons pas le droit d’y toucher. Ils ne nous appartiennent pas.” *4 3 Encore Heureux (2014). Matière grise, (PAVILLON DE L’ARSENAL) Chap. : Le métabolisme urbain, Sabine Barles, p.41-43
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4 John Ruskin, J. (1850). Les Sept Lampes de l’Architecture.
Puis, le concept de réutilisation et de réemploi commence à être mis entre parenthèse face au développement de ces nouveaux matériaux industrialisés. Selon Jean-Marc Huygen*5 ; c’est l’initiation de la consommation et de la production massive. En découle, au XXe siècle, la considération du réemploi comme une solution de pauvreté et s’oublie peu à peu son concept principal basé sur le bon sens. A partir de l’entre-deux-guerres, les matières alternatives sont donc priorisées. Les nouveaux procédés de fabrication industrielle génèrent une économie, faisant de plus en plus concurrence à la rationalisation des collectes et du tri, vouées à disparaitre.
Au cours des décennies suivantes, le théoricien Konrad Wachsmann sera un des premiers à définir les conditions premières de l’industrialisation du bâtiment*6. D’ailleurs, les premières oppositions à cette architecture répétitive et préfabriquée sont rapidement dispersées avec la génération de Meyer, Gropius et Le Corbusier. L’architecture induit un développement à grande échelle du béton, du verre et de l’acier, formant des leaders du BTP avec l’instauration de nouvelles traditions constructives qui sont encore actuelles de nos jours. Figure 1 : Vue Intérieure Du Crystal Palace, 1851. Victoria & Albert Museum Figure 2 : En 1946, Mies Van Der Rohe se lance dans le projet Lake Shore Drive. Les tours 860 et 800, doté d’un plan octogonal et d’une structure en acier, sont couvertes de mur-rideau, et ne présentent aucune ornementation.
5 Huygen, J. (2008). La poubelle et l’architecte : Vers le réemploi des matériaux (ACTES SUD) 6 Wachsmann, K. (1961). The Turning Point of Building : Structure and Design. Reinhold Publishing Corp.
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HISTOIRE DU REEMPLOI Les prémices des préoccupations climatiques C’est seulement un siècle plus tard, au cours des année 1980-90, que les premiers constats face aux problèmes environnementaux apparaissent. C’est à l’aide du rapport de Brundtland*1 en 1987, qu’apparait pour la première fois le terme de « sustainable development », aujourd’hui qualifié de « développement durable », lors de la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, présidée par la Norvégienne Gro Harlem Brundtland pour les Nations Unies. Au cours des nombreux débats, a été énoncée la préservation de la planète afin de lutter contre l’augmentation de la pauvreté, de l’inégalité des ressources et les méfaits de la globalisation. Dans ce texte, le réemploi est une solution déjà relevé : « En favorisant la récupération, le réemploi ou le recyclage de matériaux, on peut restreindre le problème des déchets solides, stimuler l’emploi et faire des économies de matières premières »*2. Ainsi naît cette réelle nécessité de réemploi face à la problématique de la sauvegarde environnementale, dans une optique de cohésion sociale à l’échelle territoriale et mondiale. Cependant, bien avant cet évènement, certains architectes étaient déjà dans cette optique de rationalisation des matériaux pour une raison évidente qui était budgétaire.
Prenons l’exemple de la maison de Jean Prouvé*3 construite pendant l’été 1954, sur les hauteurs de Nancy. La maison a été conçue avec une attention particulière au bon fonctionnement et à la logique structurelle, suivant les principes de simplicité, de légèreté et de rapidité de mise en œuvre. Cette petite maison surnommée « Le wagon » a été conçue « avec des restes » selon l’architecte*4. En effet, elle a été construite avec des éléments qu’il avait pu récupérer dans les stocks de son usine tels que des poutres, différents panneaux de bois ou des panneaux d’aluminium. Ces nombreux matériaux étaient à l’origine destinés à la construction de maisons préfabriquées pour des habitants tels que des réfugiés de guerre. Ce qu’on peut cependant lui reprocher aujourd’hui c’est son manque de confort, mais avec les innovations actuelles il serait probablement faisable d’obtenir un résultat tout aussi pragmatique que confortable. De ce fait, le cours de l’histoire nous rappelle que les bâtisseurs, constructeurs ou architectes ont su développer des modes constructifs adaptés aux chantiers de leur époque et leur faible moyen. Toutefois, les ambitions de chacun étaient continuellement tournées vers une idée de nouveauté, d’innovation pour répondre au mieux à ces enjeux.
Figure 1 : Portrait de Jean Prouvé. Figure 2 : Vue de la façade principale de la maison de Jean Prouvé à Nancy, composée de bardage de bois et de plques d’aluminium. Figure 3 : Vue intérieure de la maison, on peut observer sa structure apparente. La toiture légère en bois repose sur un système poteau poutre métallique.
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1 Brundtland, G. H. (1987). Rapport Brundtland. Consulté à l’adresse https:// www.diplomatie.gouv.fr/sites/odyssee-developpement-durable/files/5/ rapport_brundtland.pdf
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2 Brundtland, G. H. (1987). Rapport Brundtland. p. 208
3 Ville de Nancy, Maison Jean Prouvé, à l’adresse https://musee-desbeaux-arts.nancy.fr/le-musee/maison-jean-prouve-2597.html 4 Juza, C., & France Culture. (2016, juillet 10). La maison de Jean Prouvé, la machine dans la forêt. À l’adresse https://www.franceculture.fr/emissions/ le-genie-des-lieux/la-maison-de-jean-prouve-la-machine-dans-la-foret
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DE NOUVEAUX ENJEUX 22
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DE NOUVEAUX ENJEUX En architecture, le réemploi reste tout de même un concept qui semble loin de la réalité des chantiers. En effet, il est généralement visible dans les projets dits « manifestes », qui veulent apparaitre comme des modèles aux yeux de la construction mais qui semblent difficiles à mettre en œuvre pour des échelles plus importantes ou des budgets plus réduits. C’est donc un propos qui semble souvent logique et plein de bon sens mais qui décourage souvent les intéressés à cause des nombreuses difficultés auxquelles ils font face. Réduire la consommation des matériaux donc est un projet qui s’ancre dans l’actualité du concept d’économie circulaire. En France, les nombreuses réglementations européennes tentent d’accélérer sa diffusion au sein du monde du BTP. Ce modèle économique ne se base plus sur le fait d’extraire, produire, consommer et jeter. Il repose sur l’efficacité de l’utilisation de nos ressources et sur la diminution de l’impact sur l’environnement, tout en permettant le bien-être des individus. Il faut donc réinventer ce cercle vertueux qui pourrait être porteur de nouveaux métiers et générateur d’emplois, car c’est une nouvelle articulation entre l’offre, la demande, et la valorisation des déchets.
Dans le monde du bâtiment, cette conception peut s’associer à l’autoconstruction d’une maison tout autant qu’à la construction d’un édifice public, tant que les différents acteurs sont engagés dans la gestion de leurs déchets et de leur consommation d’énergie. En effet, ce système induit que tous les acteurs économiques d’un projet soient impliqués ; du concepteur, à l’entreprise de démolition ou celle de recyclage des débris après la phase de rénovation/déconstruction. Cela remet donc en question le mode de conception des architectes, anciennement fondé sur celui de l’industrialisation, qui semble aujourd’hui être révolu. Dans l’optique de ce renouveau, il est envisageable de penser le bâti comme un élément durable dans sa matérialité mais pas forcément dans sa totalité. Cela signifie que ce sont au travers des modèles de réversibilité et de déconstructionreconstruction qu’il y a réel un enjeu à développer les projets architecturaux.
Au cœur du secteur du bâtiment ce nouveau modèle apporte une réelle opportunité de se réinventer malgré les nombreux freins qui apparaissent dans l’organisation des diverses filières et dans l’implication des maitres d’œuvre.
Le collectif Encore Heureux nous éclaire en définissant la règle des « 3R » : recyclage, réemploi et réutilisation.
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1 Ilustration : Bonnefrite, Matière grise (2014), ENCORE HEUREUX.
Les limites et freins du réemploi : de la conception à la construction Même si le secteur du BTP est favorable au progrès et à l’innovation qui mène à une croissance économique et au développement de notre société, ce processus reste contraint à quelques projets manifestes, dépendant de certaines conventions, usages et modes de vie. Premièrement, il est probable que de nombreuses entreprises du secteur soient concernées par cette question. Pourtant les principales appréhensions se rapportent à la remise en question des pratiques professionnelles qu’ils ont établies ainsi qu’à leurs modes de gestion. Cela suppose donc un important investissement en temps, qu’elles n’ont en majeure partie pas les moyens d’accepter ou bien elles ne sont pas prêtes à faire le grand saut. Ainsi, il est difficile d’inciter les entreprises à changer leurs modes de fonctionnement qui sont bien définis, pour un nouveau modèle économique qui leur est inconnu ou peu développé, demandant sur le moment un d’investissement général plus conséquent. En effet, ces pratiques demandent un temps de conception et de mise en place plus important de par le fait que chaque matériau est unique, et qu’il y a donc un besoin d’analyser de manière plus poussée les propriétés de chacun. Cet investissement supplémentaire est donc coûteux pour les entreprises et un premier obstacle qui les dissuadent. De plus, dans le secteur du bâtiment et de la construction chaque projet est singulier ce qui induit un besoin d’un certain nombre d’acteurs avec des aptitudes diverses et variées. Leurs logiques, manières de faire, et intérêts sont souvent divergents ce qui provoque généralement des complications dans l’avancement des projets. Par la suite, il est certain que la compétitivité sur le marché des matériaux doit être à la hauteur des exigences de prix des clients. Effectivement, si le réemploi a besoin de se faire une place dans notre système économique, il faut lui trouver une réelle attractivité, qui va être plus dissuasive pour
l’acheteur. Actuellement, le marché des matériaux industrialisés est une filière très développée qu’il est compliqué de contrer avec ce marché encore trop minoritaire. La commande de matériaux de réemploi n’est pas encore autant développée que celle du neuf, c’est ce qui empêche sa diffusion sur les chantiers plus courants. La question de la démolition du bâti se pose alors. Il est évident que cela génère une quantité notable de matières qui peut probablement avoir une autre finalité qu’être un déchet. Pourtant trier les divers produits sur un chantier est parfois compliqué car il faut avoir la possibilité de stocker de nombreux conteneurs de tri qui ne sont pas toujours adaptés aux sites de démolition. Cela demanderait alors toute une nouvelle méthodologie et approche de la construction qui actuellement encore trop superficielle à l’échelle du territoire. Un autre frein majeur au développement de cette pratique se trouve être juridique. Outre le fait qu’elle demande un investissement financier et méthodologique, s’impose dans un environnement juridique encore non défini. Selon la législation européenne, un produit ou un matériau peut être réemployé sans passer par le statut de déchets, en étant en amont extrait du flux de débris de la construction. Cela implique alors une préparation au réemploi et donc un mode de traitement particulier de ces divers matériaux. Pourtant quand on arrive dans les faits concrets, les constructeurs se heurtent à un vide législatif. Aucun document ne précise si ces matériaux sont utilisables ou non. Un matériau neuf est délivré avec une documentation technique, ce n’est encore pas le cas pour un matériau réemployé. Le cahier des charges très précis demandé au constructeur n’est donc généralement pas adéquat, ce qui est problématique pour les conceptions plus courantes. De plus, d’après la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 qui se rapporte à la liberté créative pour l’architecture et le patrimoine, l’article 88 annonce qu’il est possible de « déroger à certaines règles en matière de construction dès lors que leur sont substitués des résultats à atteindre similaires aux objectifs sous-jacents auxdites règles.
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DE NOUVEAUX ENJEUX Un décret en conseil d’état fixe les règles qui peuvent faire l’objet de cette expérimentation, notamment en ce qui concerne le réemploi ». Ainsi, les règles de la construction sont plus souples pour laisser plus de place à la créativité de l’architecte par rapport au réemploi. Cependant, la notion de garantie et de responsabilité des matériaux utilisés restent un frein à part entière. En effet, en cas de défaillance technique, de problème sanitaire ou environnemental, aucune notion de responsabilité n’est encore définie. Cela entrave l’utilisation des matériaux car en cas de soucis, on ne sait pas qui endosse la responsabilité que ce soit le maître d’ouvrage, l’entreprise de démolition ou la plateforme de mise à disposition.
Résumé des 14 types de freins pour le secteur du bâtiment *1 :
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1 COPPENS, M, JAYR, E, BURRE-ESPAGNOU, M., & NEVEUX, G. (s. d.). Identification des freins et des leviers au réemploi de produits et matériaux de construction. Consulté à l’adresse https://www.ademe.fr/identification-freinsleviers-reemploi-produits-materiaux-construction, p. 7
Cela engendre donc des problématiques liées à la qualité et l’assurabilité de ces produits. C’est pourquoi certaines entreprises peuvent être réticentes à l’utilisation de ces matériaux car elles engagent leur propre responsabilité. Cela impose alors une adaptation des contrats de garantie. Pourtant, les matériaux issus du réemploi ne peuvent pas encore obtenir la même garantie qui s’applique aux matériaux neufs. Ainsi, se mettent en exergue d’importantes réticences socioculturelles et juridiques dans la maîtrise d’ouvrage mais les savoir-faire traditionnels d’une société locale ont pour autant de nombreux arguments convaincants
Les solutions envisageables pour répondre à ces enjeux Selon Patrick Deshayes*2, il y a « trois leviers liés au développement durable ». Le premier se rapporte à l’importance des normes qui contribuerait au développement d’une certaine « compétitivité » indispensable entre les entreprises. Un second s’affirme avec les « logiques locales de réseaux », ce qui se définit par le fait de trouver des entreprises ou acteurs locaux en partie grâce aux connaissances ou au bouche à oreille. Cela porte à développer des stratégies de communication via Internet afin d’étendre à échelle locale ces interactions. Le dernier levier proposé par l’auteur évoque « l’évolution des pratiques vers une coopération renforcée entre acteurs et parties prenantes » à partir de la phase de conception du projet. Cela signifie, selon lui, que le client doit être confronté rapidement aux entreprises et maître d’œuvre afin qu’il y ait un travail commun et en profondeur dès les prémices. On parle ici de coconception. C’est alors que des questions récurrentes se posent: ces matériaux sont-ils plus intéressants si l’on construit de manière « traditionnelle » ? Quels seraient les avantages des entreprises ? Comment trouver une esthétique plaisante avec des matérialités qui ne sont pas forcément choisies ?
quelques problématiques se posent du point de vue de la qualité et l’assurabilité des matériaux réemployés. De nos jours, il est difficile de définir la méthode idéale pour garantir et assurer ces « nouveaux » édifices qui vont être construits. Cela implique donc de nouvelles recherches et développements, pour catégoriser chaque matériau, en considérant un champ de possible assez conséquent. Et évidemment cela a un coût, qu’encore aujourd’hui, peu d’entreprises sont prêtes à investir. Pourtant, même si l’économie générée par le réemploi peut parfois sembler plus élevée, ce n’est pas le coût des matériaux qui va importer mais le nombre d’emplois qui sont créés par ce type de système. De cette façon, il y a moins de dépenses mises dans le processus de production. Cela apporte donc un nouveau système économique générateur d’emplois, ce qui est positif pour la société actuelle en mutation. Face au pépétuel manque de documentation sur des matériaux de réemploi, l’équipe de ROTOR*3 a commencé à mettre en place des fiches techniques afin de répondre à cette problématique. Ainsi, cela permet aux constructeurs, aux architectes et aux diverses entreprises de prescrire à plus grande échelle un matériau, obtenant ainsi le maillon manquant qui pourrait poser des difficultés à la clôture du cahier des charges.
• Les normes et la réglementation du réemploi Afin de pallier ce manque de cadre législatif, une toute nouvelle forme de réglementation doit alors être mise en place. Si le réemploi reste uniquement une possibilité constructive dans les nouveaux ouvrages, on peut supposer que ce ne serait pas réellement envisagé par les industries. Ainsi, il convient de commencer par définir de nouvelles normes constructives pour contrer ce flou général. Effectivement, comme énoncé précédemment 3 Rotor - Brussels | Rotor. (S. d.), à l’adresse http://rotordb.org/en 2 Deshayes, P. (2012). Le secteur du bâtiment face aux enjeux du développement durable : logiques d’innovation et/ou problématiques du changement. Innovations, 37(1), 226-228. Doi :10.3917/inno.037.0219.
4 Photographie de Hilda Weges, consulté à https://www.lemoniteur.fr/ mediatheque/9/4/8/001933849_620x393_c.jpeg
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DE NOUVEAUX ENJEUX • Le réemploi à l’échelle locale C’est en grande partie les clients qui ont la possibilité d’engager cette nouvelle démarche constructive, et les entreprises ou agences ne peuvent que les y inciter, et en promouvoir ses bienfaits et ses avantages. C’est pourquoi il y a un réel besoin de créer un marché de matériaux dits d’occasion, en s’appuyant sur les outils actuels numériques. Des sites dédiés et une visibilité sur les réseaux peuvent ainsi être développés. Ils sont actuellement émergents mais sont encore trop peu nombreux pour qu’il y ait un réel impact au sein du monde de la construction. Dans cette optique, de nouvelles coopératives, associations et même des entreprises naissent afin de créer cette nouvelle offre de services dédiée aux réemplois. Ils aident à accompagner les constructeurs dans leurs projets avec ces nouvelles problématiques environnementales. L’intérêt étant de les guider vers des marchands locaux, de les informer sur les législations et normes qui peuvent influencer les projets, ou alors les détourner. Face aux nouvelles politiques environnementales qui se développent, ces organismes mettent en place des outils afin de sensibiliser et d’aider la population à ce changement. Par exemple, le site de l’ADEME, déjà énoncé plusieurs fois, est un opérateur visant à accompagner l’état dans la transition écologique et énergétique. Toutefois, ce modèle économique doit s’adapter aux différents cas en fonction des conditions des chantiers, et de la proximité des lieux de transferts, qui ont plus d’intérêt s’ils sont situés à moins de 30 km de distance les uns des autres. Les sites « catalogues » de matériaux doivent pouvoir rendre visibles des petites entreprises locales afin de favoriser les circuits courts et promouvoir une économie de proximité. De cette manière, les magasins locaux sont présents lorsque les chantiers ne peuvent pas stocker les produits in situ et les revendre.
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Prenons de nouveau l’exemple des dirigeants de ROTOR qui ont aussi créé une plate-forme afin de pouvoir cataloguer des matériaux à réutiliser ou réemployer dans le secteur de l’architecture ou même du design. Leur site OPALIS, vient recenser diverses entreprises qui stockent des matériaux dans toute la Belgique. Ils ont également développé un outil informatique appelé « Vade mecum » qui permet d’aider les maîtres d’ouvrage publics à organiser méthodologiquement la récupération des éléments de construction issus de leurs chantiers. Ainsi, ils vont s’assurer que les matériaux de qualité identifiés sur le chantier trouvent un nouvel usage, en soutenant le développement du secteur du réemploi. Puis, en fonction de la particularité de chaque bâtiment, « le maître d’ouvrage public peut opter pour un marché public de services, une vente, une donation, ou une obligation de moyen à charge de l’entrepreneur général ou du démolisseur dans le cadre du marché public de travaux ». Dans ce mouvement, de nouvelles entreprises ou collectifs similaires apparaissent peu à peu en France. On peut citer l’exemple le plus connu de l’association Bellastock*4 originaire de la région parisienne ou l’entreprise Bâti Récup’*5 en Bretagne, créée par l’architecte Sarah Fruit. Ces
4 BELLASTOCK. (S. d.). L’architecture du réemploi de matériaux de construction, à l’adresse https://www.bellastock.com/reemploi/ 5 BATI RECUP’. (S. d.). Le réemploi des matériaux du bâtiment, à l’adresse https://www.batirecup.com/
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6 Figure 1: Réseau national des ressourceries de France, https://ressourcerie. fr/
deux organismes proposent en règle générale de nombreux services aux maîtrises d’ouvrages et aux maîtres d’œuvre afin de les accompagner dans leurs projets. Ils mettent en place divers diagnostics, des études de faisabilité pour la valorisation des matériaux, différents services techniques pour la conception en conformité avec les bureaux de contrôle, etc… Pour faciliter ce commerce de matériaux, l’ADEME préconise également «la mise en place d’une traçabilité robuste et de tests de compatibilité des matériaux entre le chantier émetteur et le chantier receveur » afin de « lutter contre la défiance et instaurer un climat de confiance permettant la collaboration entre acteurs ». De cette manière les maîtres d’ouvrages vont avoir la possibilité de s’impliquer davantage pour imposer l’utilisation de ce type de matériaux dans leurs cahiers des charges. • Le Low-tech : une innovation ? L’architecture durable ne se définit pas obligatoirement par une innovation, généralement basée sur la technologie et les avancées de l’industrie. Au cœur de ce sujet, se conjugue le concept d’innovation passive, qui s’allie à la notion de « Low-tech ». Cette dernière prend part au réemploi en le positionnant comme une solution alternative à la production de ressources et à l’enfouissement des déchets du bâtiment. Le terme « Low-tech » est cependant critiquable car il serait difficile de le définir lui-même comme une forme d’innovation, alors qu’il s’inspire de savoir-faire anciens provenant eux-mêmes du bon sens. En règles générales, les « Low-tech » sont des technologies, des services et un savoir-faire répondant à divers critères d’utilité, de durabilité et d’accessibilité. En effet, elles ont pour objectifs de répondre à une nécessité primaire dans les secteurs de l’énergie, de l’utilisation de ressources, de la consommation de matières et de la production de déchets, de l’architecture, des transports, de la santé, etc… Ces technologies sont conçues pour être durables, en étant pensées afin que leur impact écologique
soit optimisé tout au long de leurs fabrications et de leurs cycles de vie. Contrairement aux innovations « High-tech », le coût de production et la technicité sont beaucoup plus accessible à tous. Toutefois, il est devenu courant de développer des installations techniques pour permettre un confort dit « optimal » dans les constructions nouvelles. Quelques innovations méritent d’être réétudiées car elles semblent tout à fait contradictoires. En effet, prenons l’exemple d’un édifice doté d’une bonne isolation. Afin d’éviter la dépense énergétique, il serait intéressant pouvoir se passer de la climatisation en envisageant une ventilation naturelle (confort d’été). Pourtant, il y a toujours plus d’innovations telles que des systèmes double flux qui sont des systèmes très techniques alors qu’il en existe des plus passifs et naturels, ne nécessitant pas de maintenance et permettant ainsi une économie certaine. De manière raisonnée et pris au cas par cas, les systèmes passifs sont probablement les plus évidents ou les plus qualitatifs en termes d’apports et de consommation d’énergie.
Cependant, les capacités de l’architecture durable et Low-tech se heurtent à de nombreuses difficultés techniques, législatives et réglementaires comme vu précédemment avec le réemploi. Effectivement, le développement de ces techniques passives sont parfois trop peu convaincantes pour les constructeurs qui ont besoin de résultats rapidement, de manière la moins onéreuse possible et à peu près efficace. De plus, face aux nouvelles capacités des systèmes industriels qui peuvent se développer à grandes échelles et avec moins de main d’œuvre, donc à faible coût sur le moment, les techniques durables ont des difficultés à se faire une place.
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DE NOUVEAUX ENJEUX Il serait donc judicieux d’allier toutes ces innovations et ces techniques reconnues pour en tirer les meilleures capacités possibles. Pour cela, l’objectif serait de choisir des logiques durables en premier lieu et ensuite, seulement si cela n’est pas possible autrement, de considérer les nouveaux systèmes techniques.
dans une recherche d’alternatives de l’usage des énergies et de la croissance de la consommation, c’est le recyclage et le réemploi qui font partie des solutions. Les éléments les plus équivoques de cette architecture pionnière sont ses maisons construites à base de canettes en aluminium et de pneus récupérés.
• L’expérimentation face aux réels besoins de la construction
L’une d’entre elles, bâtie près de Taos dans le Nouveau-Mexique en 1973, est composée de 70 000 boîtes de conserve qui sont organisées par groupes de 6. Ces blocs légers font office de parpaings. Il en a également développé d’autres en réemployant des bouteilles en verre, les liants avec de la terre et d’autres matériaux récupérés. Ce type de construction est un dispositif expérimental qui va aussi jouer un rôle symbolique aux yeux de la population. De plus, même s’il a pu réaliser une école, qui est une construction plus réglementée et de plus grandes échelles, ce type d’architecture reste tout de même exceptionnelle et difficilement applicable pour une diffusion « type » dans le monde du BTP.
Les expositions universelles, les biennales en architecture et autres lieux culturels en tout genre mettent en évidence les innovations et les concepts précurseurs de nos époques. En effet, c’est généralement au gré de ces évènements que les expérimentations constructives des architectes et ingénieurs prennent de l’ampleur et sensibilisent les intéressés. De ce fait, il est évident de citer « le pavillon de Barcelone » de Mies Van der Rohe, ou bien un plus récent « le pavillon circulaire » de Encore Heureux qui ont eu une certaine notoriété de par leur aspect totalement novateur. Les projets manifestes permettent donc de promouvoir une certaine idéologie, en faisant appliquer à tout prix les concepts majeurs que l’on destine à une « bonne » architecture. Il est difficile d’en comprendre les limites pourtant, tous ces concepts logiques et inspirants se heurtent régulièrement aux normes imposées par la société et la politique. Nicolas Delon précise dans une de ces conférences*6 que les lois ont toujours été en retard par rapport à la société car elles s’adaptent à la demande de celle-ci. C’est pourquoi un bâtiment « novateur » va toujours être confronté à des vides juridiques puisqu’il faut tout d’abord développer des idées conceptuelles innovantes, avant qu’elles soient normalisées.
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De ce point de vue tout à fait marginal, Mike Reynolds a pris le parti très tôt que l’architecture devait tout d’abord être une pratique à la portée de tous. En effet, cet exemple anticapitaliste de la contre-culture américaine nous montre que
Ainsi, l’ADEME évoque dans un de ces rapports*7 qui recense des retours d’expériences dans le secteur du bâtiment, que le réemploi concerne généralement des pratiques expérimentales « visant à démontrer la faisabilité du réemploi ». Ce sont également des projets qui ont
6 ENCORE HEUREUX (2014). Conférence MATÉRIAUX, RÉEMPLOI & ARCHITECTURE, Pavillon de l’Arsenal, consulté à l’adresse https://www.dailymotion.com/video/x2b5674
7 COPPENS, M, JAYR, E, BURRE-ESPAGNOU, M., & NEVEUX, G. (s. d.). Identification des freins et des leviers au réemploi de produits et matériaux de construction. Consulté à l’adresse https://www.ademe.fr/identification-freinsleviers-reemploi-produits-materiaux-construction
globalement une faible technicité. De plus, les porteurs de projets sont en majeure partie dans une optique qui priorise leur conception théorique de l’architecture et donc ici la volonté de réemployer des matériaux même si le coût peut parfois être plus important. La croissance de cette pratique se heurte également à des complications face à la méconnaissance de la notion par les acteurs et maîtres d’œuvres, ainsi qu’à de conséquentes lacunes sur le manque d’information dû au statut des matériaux.
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Figure 1 : Michael Reynolds devant son 1er Earthship en canettes d’aluminium recycléesJean Prouvé à Nancy, composée de bardage de bois et de plques d’aluminium. Figure 2 : Earthship, Maison passive et autonome de Mike Reynolds
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DE NOUVEAUX ENJEUX Des projets manifestes • Aire de jeux Wikado de Superuse studios
• Rewind Willemsplein de Superuse st.
Ils ont créé des aires de jeux avec des éoliennes démantelées, et même des bancs publics. Pour cela, ils ont organisé un plan de récolte locale de matériaux qu’ils peuvent récupérer pour leurs constructions.*1 • La Villa Welpeloo de Superuse Studios au Pays -bas
• Le musée historique Ningbo de Wang Shu en Chine
Des rouleaux de câbles de chauffage en bois ont été démonté afin de réaliser le bardage de la façade. Le monte-charge de la maison a été un élément majeur à sa construction et il est utilisé aujourd’hui comme ascenseur.*2
Le prix Pritzker*3 à été attribué en 2008 pour cette architecture durable et humaniste. Il a été inspiré de la technique traditionelle du wa-pan, qui consiste à réparer un édifice en réalisant un empilement de briques et de tuiles. L’architecte a volontairement récupéré les matériaux issus des démolitions précédentes du site.
1 https://www.superuse-studios.com/projects/rewind-willemsplein/ et https:// www.superuse-studios.com/projects/wikado/
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2 https://www.superuse-studios.com/en/projects/villa-welpeloo-2/
3 https://www.archdaily.com/14623/NINGBO-HISTORIC-MUSEUM-WANGSHU-ARCHITECT
• La grande Halle de Encore Heureux à Colombelles
• Lucy Carpet House de Rural Studio à Masons Bend
Dans l’ancien bâtiment de la société métallurgique de Normandie, a été proposé un nouveau lieu de travail et de culture. L’enveloppe a été conservée et toute une structure en bois a été posée à l’intérieure afin d’accueilir un lieu de restauration et des espaces collaboratifs.*4
Ce projet est innovant car ses murs sont composés de 72 000 dalles de moquettes réemployées. Elles sont comprimées par d’imposantes poutres en bois. Le matériau est parfaitement porteur, résistant au feu et aux agressions biologiques.*6
• Le musée maritime de Mecanoo architecten à Oudeschild
• Le Lavezzorio Community Centre de Studio Gang Architects à Chicago
Au Pays-Bas en 2011, ce musée a été conçu avec des palplanches en bois qui ont été récupérées dans le canal à proximité. Ce matériau fait référence à une tradition des habitants qui réemployaient le bois restant des navires abandonnés.*5
Ce bâtiment a été imaginé pour SOS Children’s Village. Le centre associatif s’est formé au cours de dons de matétiaux, c’est pourquoi la façade est composée de strates provenant de divers bétons. Toutefois, cela valorise le matériau qui apporte un dessin aléatoire à cette façade.*7
4 http://encoreheureux.org/projets/grande-halle/
6 http://ruralstudio.org/project/lucy-carpet-house/
5 http://www.archiscene.net/museum/kaap-skil-maritime-beachcombersmuseum-mecanoo-architecten/
7 https://studiogang.com/project/sos-children-s-villages-lavezzoriocommunity-center
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LA REHABILIT ATION 34
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LA REHABILITATION Le réemploi est donc dédié à la réutilisation de matériaux pour la construction de nouveaux édifices mais il peut s’étendre au fait de redonner une seconde vie à ces derniers. Je me questionne alors sur le parallèle entre réemploi et réhabilitation.
« Le réemploi des bâtiments existants est avant tout question de bon sens économique et une constante de l’histoire »*1
L’héritage du XXe siècle Un édifice devient alors une matière à transformer ou à réemployer. Ainsi, c’est cette l’architecture durable et écologique qui cherche à y répondre, en redéfinissant de manière fonctionnelle les édifices que nous avons hérités du siècle précèdent. La ville actuelle est à la recherche de nouveaux modèles architecturaux limitant l’étalement urbain. Ainsi, il faut les réinventer, se les réapproprier et les réutiliser. Cela mène donc à envisager d’une nouvelle façon notre patrimoine actuel et à s’interroger sur celui que nous voulons laisser comme héritage aux futures générations. Construits en grande partie de manière monumentale, les édifices en béton, étaient optimisés dans une logique simplement structurelle et fonctionnelle pour leur époque. Aujourd’hui, ils ont besoin de se renouveler afin de pouvoir mettre en valeur leur capacité d’adaptation. De nouveaux programmes peuvent y être implantés ou c’est juste leurs façades qui vont se métamorphoser afin de leur offrir une nouvelle vie. Certains édifices sont si spécifiques dans leur typologie et leur programmatique qu’il semble difficile d’en faire une nouvelle architecture. Toutefois, le brutalisme de la base sous-marine de Saint-Nazaire a permis d’y développer un espace culturel unique. Cet édifice semblant irréversible et voué à une seule consécration, a intégré une intervention de l’agence LIN architectes, entre 2003 et 2007. L’alvéole 14 s’est alors convertie en un lieu culturel dédié aux expressions contemporaines d’art et de musique.
« Le meilleur moyen de conserver un édifice, c’est de lui trouver un emploi »*2 Comme énoncé plus tôt dans ce mémoire, le terme de « monument culturel » fait son apparition avec Malraux en France dès 1959, et se définit par une vision élitiste de la culture. Ainsi, c’est dans cet amalgame de l’idée appropriée au « monument » qu’arrive le terme de « patrimoine ». Selon Françoise Choay, c’est ainsi que naît une sorte de « fétichisation du patrimoine » qui aujourd’hui a été détournée de nouveau en une conception dite « commerciale ». Pourtant, cette marchandisation impliquerait une perte de l’identité des cultures façonnées au cours de l’histoire humaine. Dans son anthropologie, nous dévoile le contraste entre la préservation inexistante des édifices au moyen-âge et l’excès de « muséification » commerciale. Elle interroge de cette manière la notion de patrimoine qui serait à considérer de nouveau comme un bien universel que l’on peut s’approprier et réemployer comme le faisait les constructeurs des siècles précédents. Prenons pour imager ce propos un édifice notable japonais, le sanctuaire d’Ise. Ce sanctuaire est reconstruit tous les vingt ans dans un gage de pureté, il ne perd pas de sa valeur religieuse. L’édifice actuel date de 2013, et se trouve être la 62e reconstruction. La tradition constructive qu’on lui impose est très précise et développée dans un ensemble de textes datant du Xe siècle. Les éléments de bois récupérés lors de la déconstruction sont généralement utilisés pour renforcer d’autres monuments religieux. Au fur et à mesure des reconstructions, chaque constructeur a pu ajouter discrètement sa touche personnelle que ça soit par erreur ou simple volonté de laisser quelque chose de soi. Seulement aujourd’hui, on a imposé que le sanctuaire soit à chaque fois reconstruit à l’identique.
« L’architecture c’est ce qui fait les belles ruines » *3
2 Viollet-le-Duc, (1854-1868), Dictionnaire raisonné de l’architecture française.
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1 Powell, K. (1999). Architecture transformée (L’). Seuil.
3 Citation d’Auguste Perret
L’alvéole 14, Base sous-marine de Saint-Nazaire par LIN architectes.
Reconstruction du sanctuaire d’Ise.
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LA REHABILITATION Des projets construits • La chapelle Notre-Dame-du-Haut de Le Corbusier en France
Connue pour sa toiture légère en béton et sa géométrie étonnante, la chapelle Notre-Damedu-Haut, située à Ronchamp est un exemple architectural intéressant pour son adaptation à l’existant.
En effet l’architecte a su réutiliser les pierres de l’ancienne chapelle, laissée à l’abandon après la seconde guerre mondiale, pour bâtir ses imposants murs blancs.*4 4 https://www.sites-le-corbusier.org/fr/chapelle-notre-dame-du-haut
• La philharmonie de Herzog et De Meuron à Hambourg en Allemagne
Le « Kaispeicher A »*1, a été construit entre 1963 et 1966 et utilisé comme entrepôt jusqu’à la fin du siècle précédent. Premièrement, l’entrepôt était destiné à supporter le poids important des fèves de
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1 Herzog et de Meuron. (2016). ELBPHILHARMONIE HAMBURG, à l’adresse https://www.herzogdemeuron.com/index/projects/complete-works/226250/230-elbphilharmonie-hamburg.html (Concept 2001, phase de concept 2003, projet 2004-2014, réalisation 20062016)
cacao importée par voie maritime. C’est ce bâtiment lourd et massif en briques qui supporte aujourd’hui la nouvelle philharmonie de Hambourg. Ce socle représente symboliquement l’ancien contexte urbain de la ville portuaire et la nouvelle architecture qui s’élève au-dessus vient refléter son environnement actuel : le ciel, l’eau et la ville.
Cela remet donc en question le principe même de patrimoine qui évolue inévitablement au fil du temps. Le monument à un intérêt certain car nous lui apportons peu à peu un savoir supplémentaire, il s’adapte à un nouveau mode de vie et une culture.
Le réemploi comme matière à penser La notion de réemploi est propice à de nombreuses interprétations dans le monde de l’architecture. Elle peut faire allusion à cette notion très constructiviste dans le respect de l’environnement, comme vu précédemment. Pourtant, c’est également une pratique favorable à un nouveau mode de réflexion. En effet, composer une architecture en réemployant apporte une nouvelle considération de la matière et permet de s’ouvrir à de nouvelles idées et perspectives. En utilisant un matériau donné, avec ses caractéristiques propres, une contrainte certaine est certainement imposée mais elle peut être considérée comme une nouvelle « matière à penser ». Pour expliciter ce propos, prenons l’exemple du Lieu unique de Patrick Bouchain, situé dans le centre de Nantes. Cette ancienne usine désaffectée de la marque de biscuit LU, était à requalifier en espace culturel. Au XIXe siècle, la ville a été la capitale du commerce triangulaire, c’est pourquoi, afin de provoquer un réel débat le chantier avait pour objectif de mettre en scène le travail de l’immigration. 250 bogolans et d’importantes quantités de lambris de piroguiers de Bamako ont été achetés pour créer les fonds acoustiques de la salle de spectacle. Aujourd’hui, ces matériaux récupérés reflètent une critique de la société actuelle de consommation et ont vocation à sensibiliser le public à cette période marquante de l’histoire.
Par ailleurs, la façade opposée à l’entrée principale, a été réalisée en tôle et verre qui font transparaître une superposition de boîtes quelconques. C’est une collection appelée « Grenier du Siècle » qui compte de nombreux objets divers et variés. Elle a été composée par des milliers de personnes qui ont collecté ce qu’ils considéraient comme « digne à être découvert dans cent ans ». Ici, on peut également susciter l’intérêt du réemploi d’objets pour un contexte dit « culturel », qui vient apporter une valeur esthétique et visuelle à la façade.
L’obsolescence dans la construction Actuellement, il y a une forte croissance de la demande en logement mais également une importante part de bâtiments inhabités. En effet, prenons l’exemple de Paris : entre 2008 et 2013, le ratio de logements vacants dans les arrondissements principaux est passé de 0.6 à 1.3. Cela implique en moyenne 26% de logements inoccupés dans le centre de la capitale. La rénovation et la reprogrammation de ces édifices sont de réels sujets à approfondir afin de raisonner l’expansion de l’urbanisation des territoires.
« Ce théâtre fait de rebuts est donc l’expression du gâchis de la société actuelle, de la pollution et de la destruction »*5 5 Bouchain, P., Julienne, L., Tajchman, A., & de la Boulaye, P. (2012). Histoire de construire (Architecture) (French Edition) (ACTES SUD). France : ACTES SUD. p. 160
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LA REHABILITATION Ainsi, quand on énonce le concept d’obsolescence programmé, cela se réfère au fait de planifier volontairement une désuétude. Dans le cadre de la construction, le terme d’obsolescence est plutôt mis en perspective de façon involontaire. En effet, cela consiste à concevoir des édifices selon des critères donnés et une fois livrés, ils sont voués à être dépassés et donc obsolètes. Depuis 2012, le secteur du bâtiment est en pleine mutation. Deux tendances se font faces. Premièrement, la directive Européenne 2018-844UE*6 et le Plan Bâtiment Durable*7 ont mis en place une nouvelle approche énergétique pour la conception environnementale. Cela implique que d’ici fin 2020, tous les bâtiments neufs aient une consommation énergétique quasi nulle. D’autre part, ce projet est freiné par l’avancée même de la RT 2012. Il s’agit de l’ancienne réglementation thermique, née au cours du Grenelle de l’Environnement*8 en 2007. Elle visait à diminuer les émissions de CO2 au sein du secteur du bâtiment en imposant aux nouvelles constructions une consommation d’énergie primaire inférieure à 50 kWh/m2/an. La dérogation de la RT 2012, proposait aux logements collectifs une consommation maximale équivalente à 57,5kwh/m².an au lieu de 50 kwh/ m².an jusqu’au 1er janvier 2015. Cependant, sa prolongation jusqu’au 1er janvier 2018 est un exemple illustrant la rupture avec la nouvelle directive européenne. En effet, un bâtiment agréé RT 2012 conçu par exemple en 2017 et livré après 2020 sera désuet face aux nouvelles constructions contemporaines. Cela provoque donc une réelle problématique sur l’obsolescence des bâtiments, créée au cœur de ce contexte climatique en constante évolution.
Pourtant selon Pierre Frey*9, il y aurait un avantage à ce concept d’obsolescence. C’est « une grande alliée des opérations de réemploi […] l’obsolescence génère même un second marché ». C’est alors que les nombreux bâtiments qui ont été construits au cours des dernières décennies et qui sont pourtant déjà dépassés, apportent une quantité de matière sur le marché qui peut être utilisable. En effet, il est notable que ce sont les bâtiments les plus récents, à partir de la fin du XXe siècle, qui sont le plus touchés par la démolition. Cela montre qu’il y a de grands enjeux vis-à-vis de la conception des bâtiments à venir. C’est pourquoi, si ce besoin de renouvellement persévère, de nouveaux modes constructifs doivent s’y adapter. Ainsi, ce qui se transforme en construction obsolète se doit d’être démontable, puis réutilisable ou recyclable afin de poursuivre cet objectif de prévention des déchets.
Figure 1 : La salle de spectacle du Lieu Unique à Nantes. On peut observer les tissus (bogolans) qui recouvre les murs et le lambris placé au plafond. Figure 2 : Vue dela façade du Grenier du siècle.
6 Directive (UE) 2018/844 du Parlement européen et du conseil, (2018, mai 30) modifiant la directive 2010/31/UE sur la performance énergétique des bâtiments et la directive 2012/27/UE relative à l’efficacité énergétique, à l’adresse https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/ HTML/?uri=CELEX:32018L0844 7 Se référer à l’adresse php?page=sommaire
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http://www.planbatimentdurable.fr/spip.
8 Rencontres politiques qui a ont eu lieu en France fin 2007. A la suite de ces rencontres, diverses lois ont vu le jour : loi Grenelle 1 et 2
9 Historien de l’art et professeur à l’école de Lausanne. Encore Heureux (2014). Matière grise, (PAVILLON DE L’ARSENAL) Chap. : La bataille des chiffonniers, Pierre Frey, p.95
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CONCLUSION 42
Les enjeux énoncés aux cours de cette première parties demandent un réel besoin d’interaction entre les acteurs dans le monde de la construction. Effectivement, le lien entre les architectes, les ingénieurs, les clients, les constructeurs et les revendeurs doit être davantage solide et intelligent. La sensibilisation à une architecture plus adaptée et raisonnée peut se faire au gré d’une communication facilitée par les réseaux et les petites structures locales. Même l’industrie doit pouvoir s’adapter à cette nouvelle demande. De cette façon, les nouveaux objectifs des architectes et maîtres d’œuvres seraient de repenser les bâtiments existants afin de les requalifier en leur donnant une nouvelle vie mais pas uniquement de manière programmatique. En effet, le bâti est une enveloppe dotée d’une mémoire historique. Il est important de déceler ses capacités architecturales si elles sont présentes. Sinon ce bâti est une ressource matérielle qui peut être réutilisé ou réemployé afin de construire à nouveau.
Ensuite, il serait judicieux de développer une pensée éco-logique et durable au sein de cette (re)construction architecturale, en prenant en compte des matériaux biosourcés– et locaux. Tout une nouvelle stratégie doit alors se mettre en place. Toutefois, afin de renforcer cette initiative il est impératif de réfléchir à l’approche plus technique dans la conception du projet avec ce besoin concret d’évolutivité des constructions. Les édifices en question doivent être pensés de façon à ce qu’ils puissent réitérer un cycle constructif de réemploi. Enfin, je me questionne sur le fait qu’il faudrait probablement développer un réseau d’architecte qui soit présent sur chaque chantier de déconstruction, afin d’apporter un regard différent à ce qui peut être produit avec les éléments in situ
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ARCHITECTURE REVERSIBLE ET EVOLUTIVE
UNE PRATIQUE CONNUE
DEFINITION ET CONCEPT
COMMENT CONSTRUIRE REVERSIBLE ? ETUDE DE CAS
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INTRODUCTION Depuis plusieurs décennies la société se développe dans un besoin constant de sécurité et dans l’optique de se protéger d’autrui. En effet, l’architecture de béton qui était en partie dévouée à la reconstruction d’après-guerre, s’est vue métamorphosée en une architecture traditionnelle de la facilité et du soi-disant « confort » d’être chez soi. On a donc associé la matérialité et l’épaisseur de ce type de structure comme un gage de sécurité dont on ne peut plus se passer. Cette appropriation architecturale de la société est pourtant en totale contradiction avec les enjeux actuels de la construction. Aujourd’hui, cette culture du solide n’est pas forcément adaptée et est devenue en majorité une habitude à la place d’un réel besoin. Toutefois, cette exigence sécuritaire peut être confortée au sein de l’architecture par des structures légères. L’avantage de l’innovation constante et des progrès techniques porte à créer de nouvelles typologies structurelles qui sont suffisamment solides pour que les habitants soient rassurés chez eux. Cela met en exergue les savoir-faire constructifs actuels qui ont dans une grande majorité une nécessité de changement. En effet, face aux larges problématiques environnementales et sociétales, il faut que les métiers du bâtiment et ses pratiques évoluent dans la même optique. Cependant, au vu de l’état des constructions actuelles, il est quasiment impossible de modifier des bureaux en logements (ou inversement) car ils ne sont pas conçus sur les mêmes principes. Ainsi avec la croissance de la population, du besoin en logement, du développement des entreprises, c’est une architecture adaptée qui doit s’imposer. Son aspect modulable, démontable et déconstructible est probablement une thématique qui est intéressante à mettre en place pour éviter un gaspillage de matériaux, la croissance de l’étalement urbain et la vacance des bâtiments monofonctionnel.
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Il est donc légitime de se demander de quelle manière l’architecture traverse le temps et comment il est possible de définir cet aspect de permanence urbaine. En effet, en sachant que la structure des villes reste toujours adéquate afin d’héberger diverses formes d’activités et d’habitats, elle va tout de même évoluer et varier. Cela s’effectue en fonction des contraintes liées à la croissance de la population, des mutations économiques, sociales et politiques, ainsi que le renouveau continu des nécessités programmatiques. C’est pourquoi il est impératif de questionner les changements que l’architecture doit permettre afin de conditionner d’une certaine façon la permanence et la durabilité de celle-ci. Comment l’architecture peut-elle avoir la capacité d’héberger ce changement ? Effectivement, il ne s’agit plus d’héberger quelques personnes, l’objectif de l’architecte aujourd’hui est de construire en masse pour le collectif, afin qu’il se loge ou travaille dans un lieu du quotidien. C’est la notion générale de l’Habitat qui est en réflexion et donc cela implique la recherche d’une architecture qui s’adapte à ce lieu de tous les jours. Il faut qu’il puisse s’organiser et s’adapter en dépassant l’idée même de l’édifice au programme unique.
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UNE PRATIQUE CONNUE 48
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UNE PRATIQUE CONNUE Notions historiques L’intérêt de l’efficacité et de la sobriété de l’architecture a fait naître le rationalisme à la fin du XIXe siècle. La précision à laquelle le mouvement est voué, a seulement pu être égalé quelques décennies plus tard par Pier Luigi Nervi avec l’intelligence de ses dessins. Ainsi, le sujet du détail est l’une des préoccupations majeures dans le patrimoine rationaliste. En effet, le jeu sur la spatialité et la lumière sont indispensables à ce type de travail. Néanmoins, tout se joue dans le dessin et la logique de la structure ; « dans la méditation du rapport poteau-poutre, dans l’analyse des composants d’une arcade ou dans l’expression dialectique entre ossature et remplissage, entre parties vives et parties inertes » *1. Chaque élément a son importance et chaque matériau est analysé en détail, de sa capacité mécanique à sa forme et sa colorimétrie, afin de constituer l’architecture désirée. Au début du XXe siècle, cette approche architecturale du détail et de la logique constructive inspire les architectes surtout dans le domaine du logement. En effet, le rapport entre structure et revêtement est une problématique qui a beaucoup inspiré. De Prouvé à Le Corbusier en passant par l’architecture d’Oscar Niemeyer, d’Henri Sauvage ou d’Auguste Perret, la simplicité et la conception structurelle ont été des notions primordiales.
L’architecte Henri Sauvage a fait du logement la problématique principale dans son architecture, où il requestionnait déjà la plurifonctionnalité de l’immeuble social. Sa proposition la plus équivoque était basée sur un concept de gradinage*2, évitant la mise en place de couloirs et offrant l’ensoleillement de tous les logements. La logique constructive du système structurel en béton armé a permis un report des charges adapté à la forme architecturale. Dans l’optique de promouvoir cette architecture sans ornementations inutiles, les modernes composaient des espaces sans contraintes structurelles qui pouvaient s’apparenter au cloisonnement intérieur. D’ailleurs, Le Corbusier et Pierre Jeanneret l’ont totalement intégré à leurs idées architecturales au sein des « cinq points de l’architecture moderne » en 1927, qui englobent : les pilotis, le plan libre, la fenêtre en longueur, la façade libre et le toit-jardin. Selon eux, la liberté qu’offre la structure poteaudalle permet une organisation diverse et variée de l’espace. Afin d’élargir les champs de l’architecture non pas uniquement à un rôle esthétique mais aussi technique, Jean Prouvé a tenté d’industrialiser ses procédés de construction dotés de structures métalliques. Pourtant, il a fait face à quelques échecs dus au coût important de la matière qui ne semblait pas rentable pour l’industrie, malgré les ambitions économiques que promouvait l’ingénieur, parallèlement au développement de la filière béton. Toutefois, les composants intérieurs, les aménagements ont été rapidement développés en industrie.
Figure 1 : Maison Dom-Ino de Le Corbusier et Pierre Jeanneret (1914) Figure 2 : Paris ; maison à gradins Sportive. Henri Sauvage, 26, rue Vavin (1912-1913), détail de la façade. Figure 3 : PLan d’étage de la Douglas House de Richard Meier & Partners (1973).
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1 LOYER, F. (1983). Le siècle de l’industrie (De architectura), p. 204. Suisse : SKIRA
Figure 4 : Photographie de la Douglas House. https://www.archdaily.com/61276/ad-classicsdouglas-house-richard-meier?ad_source=search&ad_ medium=search_result_projects
2 LOYER, F. (1983). Le siècle de l’industrie, p. 290-291.
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UNE PRATIQUE CONNUE Une architecture flexible • Logements d’Auguste Perret au Havre
Précurseur dans son architecture, Perret participe à la reconstruction du Havre. Il met en valeur ses structures en les rationnalisant au maximum, tout en obtenant des plans flexibles. L’espace intérieur est moduble grâce à des cloisons coulissantes et pliantes qui permettent
d’isoler ou de fusionner les différentes pièces. Les parties nuits et jours sont orientées en fonction de la luminosité, tout comme les placards et espaces techniques.*1
1 http://unesco.lehavre.fr/fr/comprendre/les-appartements-types
• • Les Marelles de Bernard Kohn et Georges Maurios à Boussy-Saint-Antoine
Ces 116 appartements expérimentaux ont été conçus dans les années 1970 *2, ils sont composés de structures en béton préfabriqués. Les poutres creuses permettent le passage des gaines et réseaux techniques, rendant possible la flexibilité des blocs humides. L’intérieur des logements sont
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2 http://www.urbanisme-puca.gouv.fr/1973-les-marelles-a-boussy-saintantoine-a1292.html)
aménagés avec des éléments mobiles afin que les habitants puissent accomoder leurs espaces à leur guise. La conception même des logements est faite pour être évolutive.
La croissance de la recherche de tous les principes structurels de Perret, Hennebique, Eiffel, ou d’autres grands constructeurs français, a permis de développer une notion de « bâtiments génériques » qui ont été construit afin qu’ils puissent être reconvertis. L’intérêt du plan libre a donc rapidement fait apparaitre une diversité des champs de possible. Ce concept a donc été expérimenté à de nombreuses reprises et s’est particulièrement développé après les années 1960. En effet, au cours de l’année 1973, un groupe d’architectes participant au Plan Construction et Architecture (actuellement dénommé PUCA*3) a mis en avant le fait que l’évolutivité de l’architecture se fait grâce à sa capacité de « flexibilité » et d’« élasticité ». Ainsi, moduler un espace en l’aménageant à sa guise et l’augmenter ou le diminuer semblait être une solution idéale pour contrer l’obsolescence face aux changements perpétuels des envies et des besoins de notre société.
3 Cf. Lexique en ANNEXE
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DEFINITION ET CONCEPT 54
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DEFINITION ET CONCEPT Architecture et réversibilité Le terme « réversible » est décrit succinctement dans le Larousse : « Qui peut revenir en arrière, qui peut se produire en sens inverse ». Ainsi, je me suis questionnée sur cette aptitude et sur la manière dont une architecture pourrait elle aussi avoir cette capacité à se modifier. La réversibilité est souvent comparée avec la conversion d’un bâtiment déjà existant. Néanmoins, selon les écrits de l’agence CANAL architecture, il s’agit de la « capacité programmée d’un ouvrage neuf à changer facilement de destination grâce à une conception qui minimise, par anticipation, l’ampleur et le coût des adaptations. En phase d’études et une fois construit, un immeuble réversible se prête avec souplesse à la modification de son programme et aux transformations induites, ce qui peut favoriser la participation du maître d’ouvrage ou des futurs usagers à l’élaboration du projet »*1.
bien des espaces publics. Toutefois, il est indispensable de penser cette notion de réversibilité parallèlement à celle de durabilité. En effet, comment rendre durable un bâtiment ? Et, comment fabriquer un patrimoine architectural pour qu’il perdure au-delà de son usage premier ?
« Un bâtiment moche ; s’il est bien construit, il a de l’avenir » *2 La définition de ce premier terme induit un cycle évolutif où un concept architectural permute et laisse place à un autre. Pourtant, la réversibilité se veut être la réponse à ce phénomène d’obsolescence et de surproduction constructive. Il est donc intéressant de penser à la construction réversible si c’est dans l’optique de faire durer une architecture. Il n’y a plus d’intérêt à faire valoir une architecture réversible si c’est pour qu’elle soit modifiée dans sa totalité et qu’elle ne dure pas. Ainsi, cela porte à penser que pour qu’il y ait une quelconque forme d’évolution, il est indispensable qu’il y ait une forme de permanence. Il faut donc anticiper les ruines que l’on peut concevoir, pour qu’elles puissent avoir plusieurs vies. Et par la suite, c’est le potentiel de déconstruction, comme vu auparavant, qu’il est nécessaire de penser en amont du projet afin de déterminer ce qui est permanent, ce qui est démontable et donc ce qui peut être récupérable.
Cela signifie plus sommairement qu’une architecture réversible est une architecture qui a la possibilité d’être modifiée en fonction des programmes qu’elle peut héberger. Comme énoncé précédemment, cette architecture doit anticiper les changements et les futurs besoins de la société. Pour cela elle doit allier souplesse et adaptabilité ; ce qui induit probablement la minimisation des contraintes d’aménagements. Ainsi avec ces qualités, le dessin des espaces et des structures permet d’accueillir et d’alterner des programmes de logements, puis des bureaux ou
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1 CANAL Architecture (2017). Construire réversible. Consulté à l’adresse http://canal-architecture.com/sites/default/filesystem/files/publications/ construire-reversible-555/201704construirereversible.pdf
2 Citation de Francis Rambert, directeur de l’institut français d’architecture. CANAL Architecture (2017). Construire réversible.
Des enjeux d’évolution et de modularité Dans le but d’éviter cette forme d’obsolescence dont j’ai auparavant expliqué les enjeux, il est impératif de reconsidérer les qualités que l’architecte apporte à un édifice. De cette manière, en termes d’évolutivité ces qualités ne vont probablement plus dépendre de la destination programmatique de l’édifice. Louis Sullivan avait pris le parti d’énoncer que « la forme suit la fonction », en supposant que l’esthétique d’un espace résulte de la simplicité de sa fonctionnalité, de sa structure logique apparente induisant un minimalisme certain. Ainsi, l’aspect fonctionnel devrait être primordiale face aux considérations esthétiques. C’est pourquoi on peut considérer que cette citation peut également s’appliquer à l’architecture réversible. En effet, même si la rupture entre forme et fonction semble inévitable pour une architecture évolutive, il semble que c’est la forme structurelle de l’architecture qui doit suivre cette fonction de mutation des divers programmes. Ce qui est durable doit ainsi être lié à cet enjeu d’évolution, en passant premièrement par une structure singulière et pertinente. De cette façon, ce qui va rendre unique et utile un édifice, c’est la diversité qu’il offre dans son mode d’habiter. .
Dans Construire réversible, Claire Henneguez et Patrick Rubin précisent que l’évolutivité se définit par la « capacité d’évolution d’un ouvrage, anticipée dès sa conception ». La notion d’évolution est donc vraisemblablement comparée à celle d’extension, de transformation et de mutation. Jérôme Villemard a conforté ce propos en précisant dans un numéro du magazine AMC*3, que « ce qui conditionne la capacité d’une architecture à dépasser l’obsolescence de sa fonction initiale n’est pas la neutralisation totale des contraintes d’aménagement ou la répétitivité systématique afin de savoir « tout faire ». L’enjeu premier est d’offrir une singularité et une pertinence. C’est le caractère spécifique, voire unique d’une construction par le mode d’habiter qu’elle propose qui la rend utile, appropriable et d’actualité. Et permet à une société de s’en servir à sa guise plutôt que de la détruire ». De ce fait, on peut supposer que ce sont les qualités spatiales que l’on va donner à l’architecture, qui permet un champ de possible futur plus intéressant. Si l’on construit bien et intelligemment un édifice sera plus facilement adaptable et modifiable. Qu’elle forme architecturale peut évoluer ? Est-ce que cela correspond à ce qui est construit ou bien au contraire à ce qu’on laisse à construire ? En envisageant l’évolutivité constructive, il est évident que la question de l’évolution des résidents et donc du schéma familial est en jeu. Les changements sociaux actuels, impliquent de reconsidérer ce modèle d’un nouvel œil. Effectivement, il ne suffit plus de construire des logements statiques pour une typologie de famille particulière mais pour des familles qui elles-mêmes évoluent constamment ; elles se forment, se séparent et/ou s’additionnent. Ainsi, les logements sont voués à être en constante évolution au cours des vies de tous les résidents qui les habitent. De quelle manière peut-on jouer avec ces standards de typologies ? Comment passé d’un habitat individuel à un habitat plus collectif ou familiale ?
3 AMC numéro 262 - septembre 2017
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DEFINITION ET CONCEPT C’est une problématique qui a été abordée par de nombreux architectes et à laquelle les japonais ont une réponse spatiale intéressante. Ernest Neufert expliquera que « Le mode de construction [de la maison japonaise] et le dimensionnement de ses éléments sont coordonnés (...) avec une uniformité qui ne se rencontrent nulle part ailleurs dans le monde. Les dimensions des pièces d’habitation, l’exécution des fenêtres et des portes, la structure des fondations, la disposition de la poutraison, du plancher, de la charpente du toit, etc., tout cela est normalisé d’après un rythme unifié »*4. La maison japonaise impose donc une interchangeabilité des éléments constructifs pouvant être endommagé, dans un contexte où le rationalisme traditionnel est très présent et par le fait qu’elle soit particulièrement vulnérable face aux catastrophes naturelles. Ainsi, simplifier l’espace et conditionner son mode constructif, permet aux individus de construire plus vite dans une logique à portée de tous ; tel que pour l’auto-construction. L’organisation rigoureuse et l’assemblage des éléments au dimensionnement précis, considérés eux même comme des modules, font naître une trame, un quadrillage qui définit les limites dans la conception du dessin intérieur. Ce cadre modulaire a d’ailleurs inspiré des architectes reconnus tels que Frank Lloyd Wright ou Mies Van der Rohe. De nos jours, la recherche de cette modularité peut possiblement contrer l’obsolescence d’un édifice. S’il est auparavant construit de manière à ce que des éléments puissent être changé et modifié, cela va lui apporter des qualités spatiales plus facilement réversible et évolutive, qu’une construction figée. Une structure modulaire peut ainsi répondre aux changements systémiques des programmes d’un lieu ou de manière plus précise à la modification de l’espace intérieur en fonction des besoins des individus. C’est donc un jeu constant entre le statique et modulable, le plein et le vide, qui viennent offrir cette possibilité d’évolution.
4 NEUFERT, E. (1967) La coordination dimensionnelle dans la construction,
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Dunod, Paris, p.63.
Figure 1 : Vue intérieure de la villa Katsura de l’architecte Ishimoto Yasuhiro. Figure 2 et 3 : La Nakagin Capsule Tower à Tokyo (Kisho Kurokawa, 1972) représente ce type d’architecture modulaire. En effet, la tour a été construite à base de divers modules que l’on peut assembler et remplacer au besoin. Les unités d’habitation sont fabriquées de manière industrielle.
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CONSTRUIRE REVERSIBLE 60
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CONSTRUIRE REVERSIBLE C’est au cours du colloque sur l’architecture évolutive et réversible, qui s’est déroulé en Février 2020 à l’ENSAB, que l’architecte ingénieure Anna Maria Bordas a évoqué des propositions plus ou moins théoriques dans le but de pouvoir construire différemment. Pour cela, deux types de concepts ont été abordés au cours de son intervention : les mécanismes « directifs, déterminés » et ceux « ouverts, indéterminés ». Expliquons ces termes plus précisément afin d’en comprendre les enjeux. D’une part, le premier type de mécanisme permet une évolution linéaire de l’architecture. Cela signifie qu’il n’y a qu’une seule forme d’évolution proposée qui va être prédéterminée par l’architecte. Cette modularité est donc réfléchie et organisée en amont dans le projet, elle ne permet que certaines propositions spatiales bien définies. C’est le cas du concept de l’immeuble « La Herencia » de Coderch, où il propose des plans précis avec les possibilités évolutives des différents logements.
D’importantes réflexions commencent donc à émerger de manière assez pointue sur ce type de modèle réversible de l’architecture. Cela permet d’interroger les constructeurs sur la possibilité de proposer des principes constructifs pour bâtir consciencieusement pour aujourd’hui et demain.
Des principes constructifs théorisés L’agence d’architecture CANAL a dédié un document sur ce sujet, face aux interrogations que représentent l’architecture réversible et évolutive, pour tous les acteurs qui y sont sensibles. Cet ouvrage « Construire réversible » cherche donc à donner des clés aussi bien pratiques que théoriques, en déterminant les facteurs majeurs qui aident à développer ce type de bâtiment. De ce fait, il est noté que : « Il lui revient (à l’architecte), avec l’aide des ingénieurs, de concevoir et dessiner les dispositifs, systèmes et procédés qui rendront vraisemblable la succession des programmes, sans obérer la qualité spatiale, en restant au plus proche de sa mission fondamentale »*1. Je vais par la suite énoncer les 7 différents préceptes dénommés « CONJUGO », qui portent cette initiative :
Exemple de plan de l’immeuble « La Herencia » de Coderch
D’autre part, il s’agit d’un type de mécanisme ouvert, donc indéterminé. Il offre une conception plus hiérarchisée des éléments constructifs, une définition des spatialités minimales et des systèmes distributifs résilients et adéquats. Ce type de mécanisme est comparable d’une certaine manière à l’architecture Haussmannienne qui se trouve être plus facile à réhabiliter de nos jours que le type de construction que l’on produit quotidiennement. En effet, les cloisonnements non porteurs, la disposition des espaces en enfilade et les systèmes distributifs adaptables permettent une certaine modularité qui est encore très appréciée.
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• Premièrement, afin d’optimiser les circulations d’air et de privilégier des logements traversants, l’épaisseur d’un bâtiment doit correspondre à environ 13 m. • La hauteur d’étage peut être définie entre les standards de logements et de bureau et correspondrait à 2.7 m sous plafond. Il est signifié que les faux plafonds et les faux planchers sont à considérer comme superflu. • Le cas des circulations : il est important de créer des espaces communs, de rencontre qu’ils nomment « placettes ». Ces paliers rythment les circulations verticales qui sont elles-mêmes placées en extérieur.
1 CANAL Architecture (2017). Construire réversible. p. 35
• Le procédé constructif est simplifié en structure poteau-dalle, qui permet de développer un plan libre. • La distribution des réseaux est conçue indépendamment de la structure. En effet, les gaines techniques peuvent être couplées avec les circulations ou placées sur des axes prédéterminés, favorisant ainsi une mobilité d’usage. • Il faut pouvoir minimiser les modifications à apporter aux bâtiments au cours de leurs vies. C’est pourquoi moins de 30% des éléments de l’enveloppe devraient être à changer, en proposant des façades génériques, adaptables et pas spécifiques à un programme. • Il faut laisser la possibilité aux étages de se convertir en doubles niveaux, afin de pouvoir accueillir des commerces, des logements en duplex ou des espaces communs plus confortables.
Illustrations de Luc Guinguet document Construire Réversible, p. 38 _ Canal_architecture
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COMMENT CONSTRUIRE REVERSIBLE ? En s’inspirant de toutes ces notions pratiques, on peut aller plus loin dans la réflexion. Par exemple, dans un immeuble dédié à des résidents étudiants, il est certain qu’une distribution en miroir des chambres à la place d’une répétition stricte, va permettre la mutualisation des gaines et des éléments techniques. Si l’on ajoute une porte ou si l’on supprime un bloc humide entre deux logements accolés, cela offre une nouvelle possibilité d’évolution et donc d’agrandissement de l’espace. La hiérarchie entre la structure et le remplissage de l’immeuble en question peut préalablement simplifier une modification de façade, si elle devient défectueuse ou trop vieillissante, sans altérer le projet interne. Ainsi, ce manuel est un outil que l’architecte peut s’accaparer et s’approprier afin de prendre conscience de ce qui est faisable et d’en proposer une nouvelle traduction. Les auteurs précisent et préviennent que ce n’est pas un modèle architectural à impliquer à tous prix mais un gabarit à adapter au sein de suggestion qui peuvent être diverses et variées. Ces nombreuses propositions aspirent donc à rationaliser la méthode de construction actuelle afin de laisser une diversité de possible dans l’aménagement de l’espace et dans la modification future des édifices. En préparant en amont une réflexion concrète de ce qui pourrait être optimisé en cas de changement, il est envisageable de considérer le bâti comme une forme pérenne.
Effectivement, il est intéressant de questionner si ces dimensionnements précis peuvent s’adapter à l’urbanité de la ville. Si un édifice doit être contenu dans une épaisseur certaine ; quelle urbanité va t’on fournir à celle-ci ? Et comment est-ce applicable dans tous les contextes urbains ?
Pour quelle architecture ? Il est impensable d’omettre les qualités architecturales primaires que l’on donne à un espace tel que la lumière, la proportion des espaces, le rapport au contexte et à l’homme, ainsi que la partition urbaine. En effet, se pose alors une problématique sur le fait de créer une architecture avec des capacités et des qualités uniquement basées sur la réversibilité. Il me semble logique que le principe même de l’architecture est de créer des formes habitables avant de développer des théories constructives sur le devenir de cet habitat. En dessinant des espaces à usage permanent ou temporaire, il est nécessaire de mettre en évidence pour qui cette architecture est dédiée et souligner en quoi ces individus ont plaisir à habiter ces espaces. C’est pourquoi un lieu semblable ne doit pas être banalisé, toute forme devrait y être rendue possible et définie par l’intelligence et la réflexion de celui qui l’habite. Néanmoins, de nos jours il est habituel de définir des standards constructifs afin qu’ils soient produits à plus grande échelle. Il est donc possible que ces standards de réversibilité influent sur la forme architecturale et proposent une matière urbaine générique induisant une certaine monotonie. C’est donc probablement le rôle de l’architecte de pouvoir proposer une forme d’architecture novatrice et différente à travers ses nouvelles constructions, en restant fidèle au contexte environnant et aux différents usages auxquelles elle peut répondre.
Concours 2015 Réinventer Paris à Bessières, «Flux» la ville en mouvement. Evolutivité de 26 logements, © Jean-Paul Viguier et Associés, Bordas+Peiro.
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De plus, il est notable que ce type de constructions se heurtent à certaines difficultés par rapport aux nombreuses normes qui diffèrent en fonction d’un bâtiment public type ERP et d’un bâtiment de logement. Comme pour les freins qui font
barrière au réemploi, la réglementation en vigueur n’est pas encore adaptée à ces problématiques. Si l’on analyse aussi bien les normes incendies que les normes d’accessibilités pour les personnes à mobilités réduites, on y trouve que très rarement des similitudes pour les bâtiments publics et privés. Il semble donc indispensable de mettre en relation tous les acteurs financiers, techniques et politiques, en les mobilisant afin de favoriser la simplification • La Tour Bois le Prêtre à Druot, .......... Lacaton & Vassal.....................................
des conditions réglementaires de la construction. Pour finir, il est certain que l’architecture et le programme que l’on va créer dans un édifice quel qu’il soit ne doivent pas se fermer à une forme d’adaptabilité. Ainsi, le processus créatif génère des espaces qualitatifs et dessinés ainsi que des lieux ouverts aux changements.
• Îlot B2 à Lyon Confluence, Clément Vergély architectes
Cette tour fait partie d’un ensemble d’immeubles des années 1960. Un projet de modification a été envisagé à la place d’une démolition. Les nouveaux espaces qui ont été ajoutés à la façade apportent un nouveau confort thermique et un espace suplémentaire lumineux. Cette rénovation à été possible grâce à la régularité de la trame structurelle. *1
Cet îlot est composé de trois immeubles de logements sociaux. La façade assez monumentale est organisée par un système de « colonnes et de balcons » en doucle hauteur. Les matériaux structurelles de béton et de bois ont été choisis en portant une attention particulière à la notion de durabilité de l’édifice. *2
1 http://www.lacatonvassal.com/?idp=56#
2 http://www.vergelyarchitectes.com/ilot-b2-lyon-confluence/
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ETUDE DE CAS 66
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ETUDE DE CAS • « Carré Lumière », 79 unités de logements collectifs à Bègles, LAN architecture
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Suite à la démolition d’un de ses quartiers, la ville de Bègles située dans le sud-ouest de la France, à proximité de Bordeaux, a porté un nouveau projet urbain à propos du logement collectif.
continue. En effet, c’est ce contraste entre plein et vide qui vient déterminer la mutation possible de l’architecture. Le vide est adaptable alors que le plan est préalablement adapté. Chaque logement a la possibilité de s’étendre au travers du jardin d’hiver, en y proposant une nouvelle fonction.
Les objectifs principaux étaient de remettre au goût du jour le logement dans un cadre communautaire afin de recréer des habitats intermédiaires, d’imaginer un espace évolutif, de proposer une certaine sobriété économique et de développer un modèle architectural durable. En 2015, le bâtiment a donc été construit et c’est l’équipe d’Umberto Napolitano qui a fait le choix d’y projeter une architecture sobre et fonctionnelle tout en laissant la possibilité au vide d’être évolutif. La première réflexion s’est portée sur le défi de proposer des logements collectifs en mixant le concept de la maison familiale, avec celui de l’espace public commun. Pour cela, ils ont dû prendre le parti pris de séquencer les espaces publics, en développant des espaces extérieurs, et les espaces privés dotés de qualités plus intimistes. Les logements sont tous dotés d’une orientation multiple, et d’un couloir latéral qui mène un espace commun ouvert sur le cœur d’îlot. Par la suite, le bâtiment est venu se développer de façon à ce qu’il puisse être en « mouvement »
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Ce n’est pourtant pas une architecture totalement fonctionnaliste tel que le logement social est souvent déterminé. La construction se veut adaptable aux changements sociaux et économiques que peuvent vivre les habitants. C’est la notion de durabilité qui a été évoqué précédemment, en générant un champ de possibilité dans un espace non déterminé. De plus, le système constructif poteau-dalle a permis de développer une façade légère qui se module et qui est performante thermiquement. Les 6 modules préfabriqués qui habillent les façades offrent une économie certaine dans le projet, ainsi qu’une seconde peau qui protège de l’ensoleillement et du vis-à-vis extérieur. Ainsi, ce projet met en avant le potentiel qu’offre la réversibilité et l’évolutivité dans une enceinte dédiée au logement. Pourtant, il est évident que des édifices semblables sont encore les prémices de l’architecture évolutive. Construire un espace sans fonction précise porte à se demander économiquement :
Quel est son coût ? Sur quelle grille est-il défini ? Et qui paye ce vide ? Il s’agit donc de notions qui économiquement, politiquement et juridiquement sont encore peu banalisées et normées mais qui offrent néanmoins un champ de possible intéressant au cœur des questionnements sur la durabilité de l’architecture.*1 3
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Figure 1 : Plan masse de l’unité d’habitations Figure 2 : Vue de la façade principale Figure 3 : Vue intérieure de la terrasse d’un appartement. Cet espace est fait pour être évolutif et s’adapte aux besoins des habitants. Figure 4 : Possibilité d’évolutivion de la façade au cours du temps. Figure 5 : Schéma du concept bioclimatique de l’unité de logements collectifs.
5 1https://www.archdaily.com/777567/carre-lumiere-lan-architecture?ad_ source=search&ad_medium=search_result_all 2 https://www.lan-paris.com/fr/projects/begles
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ETUDE DE CAS • « Le Stream Building »
Une plateforme de vie 24h/24 à Clichy-Batignolles, PCA-STREAM
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Le Stream Building est le projet Lauréat de l’appel à Projets Urbains Innovants « Réinventer Paris », lancé en 2015 il verra le jour au cours de l’année 2021. Conçu par l’agence PCA-STREAM de Philippe Chiambaretta, il est diffusé comme un projet « manifeste » basé sur l’idée d’un bâtiment actif nuit et jour, cherchant à répondre aux nouvelles demandes et enjeux sociaux de la ville. Au cœur du quartier Clichy-Batignolles, où se trouvait anciennement des dizaines d’hectares de friches ferroviaires, le projet s’articule entre différents quartiers parisiens dynamiques et aisément accessibles. L’intérêt premier du concours était de recevoir des propositions innovantes et originales, qui ne sont pas conventionnelles. La réponse de l’agence a été de promouvoir un projet sur un plan économique, politique et programmatique. En effet, elle a voulu développer une typologie modèle d’un bâtiment comme « métabolisme » vivant. Ce lieu de vie accueille une multiplicité de programme, en voulant éviter le principe de l’édifice monofonctionnel. L’objectif a donc été de mixer les lieux où l’on vit quel qu’il soit : le logement, le lieu de travail et le lieu de loisir, en créant des espaces décloisonnés. Cette hybridation est justifiée selon eux par les nouveaux modes de vies et la disparition des limites entre chacun d’eux.
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Dans un idéal économique, l’architecture se fonde dans une économie circulaire. Les éléments produits sont consommés et revendus sur place. Le système est poussé jusqu’à la production d’une logique urbaine agricole avec un potager en toiture, conçu pour une société locale. Un mur végétal de houblon vient apporter une protection thermique estivale sur la façade sud. Afin de permettre cette mixité de programme, le bâtiment est constitué d’une structure en bois et de noyau en béton. La trame très régulière et sobre rationalise l’espace en offrant des possibilités d’évolution certaine. L’enveloppe qui la recouvre est en double-peau au sud-ouest et en simple au nord, afin de maximiser l’efficacité bioclimatique. Le dessin simplifié et uniforme des espaces intérieurs donne une possibilité de mutation et de changement de la programmation. Ce projet qui se veut être novateur et inspirant pour la société nouvelle qui émerge semble donc vouloir répondre à de nombreuses ambitions qu’elles soient écologiques, économiques ou sociales. On peut néanmoins se questionner sur la réalité post-concours, que va constituer ce bâtiment. N’étant pas encore achevé il est difficile d’avoir du recul sur ce qui est promis par l’agence et la concrétisation de leurs théories. Le concept d’économie circulaire est une idée remarquable
mais il est difficile de créer un objet modèle avec une anticipation systémique pour ce type de projet réversible. En effet, l’évolutivité est un concept qu’il est impossible de prévoir ; on ne peut que proposer des suppositions et des scénarios possibles. Par ailleurs, ce projet s’érige dans un contexte de concours, ce qui induit que la théorie est optimisée dans les moindres détails du projet. Pourtant, il est possible de s’interroger sur les avantages d’une structure en bois à cette échelle, sur la réalité que vient générer comme emplois l’agriculture urbaine et sur l’habitabilité des espaces.
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En effet, à vouloir toujours mixer les espaces de travail et de logement, ne créé-t-on pas des microcommunautés qui par la force des choses influent sur le mode de vie et les habitudes de la société? Cela signifie que les individus travailleraient, mangeraient et dormiraient toujours dans le même lieu provocant la diminution des interactions avec la ville. *1
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Figure 1 : Plan masse du bâtiment Figure 2 : Perspective de la façade bioclimatique Figure 3 : Concept d’économie circulaire créé avec la production agricole et la revente in situ. Figure 4 : Vue de la façde, soulignant la régularité de la structure. Figure 5 : Schémas explicatifs de l’évolutivité du bâtiment
1 https://www.pca-stream.com/fr/projets/stream-building-7
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CONCLUSION 72
L’architecture mutable est donc une pratique en devenir, qui veut tenter de répondre à des problématiques que suscite le monde du bâtiment. Comme énoncé à diverses reprises, le développement durable, la désuétude de l’architecture, l’étalement urbain et la croissance de la population en ville en sont les principales. Elle correspond donc à des enjeux sociaux, écologiques, urbains et économiques. L’architecture réversible et évolutive dans la théorie, aspire à un nouveau potentiel de l’échelle urbaine. La ville doit devenir plus souple afin d’offrir plus de compatibilité durable entre les programmes et les bâtiments. Pourtant, le développement de cette architecture est dépendant des changements politiques et juridiques qui régissent la réglementation des projets. Néanmoins des précautions semblent indispensables pour ne pas entretenir l’architecture dans une contrainte de « standardisation de la réversibilité ». L’industrialisation des procédés peut permettre une économie considérable et apporter cette pérennité et cette évolutivité désirée, pourtant l’architecture produite doit
garder ses qualités primaires pour ne pas devenir monotone ou sans caractère. Ainsi, la réglementation devrait imposer des objectifs et non pas des méthodes impératives pour y répondre, en donnant la possibilité de marier les standards et de mutualiser les normes pour tous les types de bâtiments. Aujourd’hui, encore trop d’acteurs voient l’aspect mutable comme une dépense non justifiable car sur le moment présent, fournir un espace plus spacieux pour qu’il soit évolutif, implique un investissement plus élevé. La réversibilité et l’évolutivité ne doivent pas se contraindre à des projets modèles et théoriques. L’objectif n’étant pas de créer un bâtiment type, qui va répondre à toutes les problématiques et qui va être en capacité de tout accueillir, mais un espace moins contraint et plus généreux, qui est capable de durer. C’est un travail encore très inabouti qui demande à être encore testé, expérimenté et construit afin de pouvoir parvenir à des résultats concrets sur l’évolutivité. Sans ce recul nécessaire, cette architecture mutable ne peut pas confirmer sa supposition théorique.
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NOUVELLE
PRATIQUE DE L’ARCHITECTURE
UNE CRITIQUE PERSONNELLE
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CRITIQUE PERSONNELLE Ce mémoire a été écrit dans un processus de recherche et de réflexion continue, des prémices de mes questionnements jusqu’à aujourd’hui. Sensible à l’actualité et aux enjeux climatiques, ma première interrogation s’est portée sur la notion de développement durable dans le domaine de l’architecture. En effet, mon peu de connaissance sur la faisabilité et la pratique de l’architecture dite écologique m’a interpellé et donné envie de l’approfondir. Au cours des discussions avec mon professeur titulaire, nous avons abordé le sujet de la construction en masse et de la désuétude dans le monde du bâtiment. J’ai fait le parallèle avec la visite de la Biennale de Venise, que j’ai eu l’opportunité de découvrir lors de mon Erasmus en Italie l’année dernière. Là-bas, j’ai assisté à l’exposition de Encore Heureux sur les Lieux Infinis et j’ai pu observer leurs travaux approfondis sur le sujet du réemploi. Comme une évidence, cette dernière notion m’a parue intéressante à développer. La compréhension des enjeux sur les ressources que nous utilisons et donc la matière qui est utile aux architectes, m’a ouvert les yeux sur l’ampleur de l’activité du bâtiment. J’ai eu l’occasion au cours de mes recherches de me questionner sur les failles de ce système, qui est actuellement tourné vers une pratique économique, et sur son impact environnemental. En construisant toujours plus vite et pour toujours plus d’individus, la réflexion sur la qualité, l’origine et la capacité des matériaux devient bien souvent obsolète ; ainsi c’est l’architecture de béton qui est généralement recommandée. Grâce à une technique de mise en œuvre parfaitement connue, expertisée et très développée dans le secteur du BTP, c’est la solution évidente et facile. Pourtant, les nombreuses références historiques auxquelles j’ai pris part m’ont démontrées que l’architecture a la faculté d’être innovante et engagée, en trouvant constamment des nouvelles techniques constructives pour y répondre. En effet, les architectes ont su encourager les interactions
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entre la recherche théorique et la pratique, qui doit toujours être raisonnée, afin d’atteindre une certaine justesse dans l’architecture créée. C’est pourquoi, le réemploi me semble être une stratégie intéressante pour répondre en partie aux problématiques induites par la construction. En effet, comme j’ai pu l’exprimer au cours de cette étude les techniques de réemploi pourraient permettre à terme de faire apparaitre une nouvelle économie, d’envisager de nouveaux métiers et de promouvoir un cycle vertueux des matériaux. De plus, il me semble que ce type de « contrainte » peut pousser les architectes à envisager des idées plus novatrices dans leur projet. Cela peut faire émerger des formes architecturales inhabituelles, dynamiser la pratique et l’enrichir, dans une réflexion encore peu commune de nos jours. Je pense en effet, que si un architecte se préoccupe de ce sujet, c’est à lui de déterminer quelle esthétique il veut apporter à son bâtiment avec les matériaux réemployés. Ainsi on ne peut pas considérer cette pratique comme inintéressante ou inaccessible, uniquement si l’esthétique brute mise généralement en avant ne semble pas toujours plaisante par rapport aux matérialités neuves qui sortent des usines. C’est donc également à l’architecte de justifier ses choix face aux opérateurs et clients, afin de sensibiliser à cette pratique et de mettre en valeur les avantages qu’elle offre. Les mentalités doivent changer, ce n’est évidemment pas parce qu’on va faire du réemploi que l’on va construire des « bidonvilles » dans l’architecture des villes. Cette façon de penser le réemploi comme une pratique ancienne dédiée à la pauvreté doit évoluer, et être reconsidérée comme une logique pleine de bon sens. Ainsi, je considère que c’est une possibilité qui a terme devrait être envisagée. L’économie circulaire dans laquelle s’ancre le réemploi est un processus
qui semble idéal, mais aujourd’hui il faut démontrer ce qu’elle peut apporter à notre société. Toutefois, d’importantes contraintes s’y opposent encore, et actuellement il n’est pas évident de mettre en place ce type de système tant que les structures juridiques et économiques ne sont pas renouvelées, particulièrement en France. Ces notions normatives ont été complexes à analyser mais j’ai pu en dénombrer quelques-unes me permettant de comprendre à quelles difficultés peuvent se heurter les architectes pour construire. Il s’agit donc d’une culture contraignante à diffuser si les mentalités et les façons de faire ne changent pas. Il ne faut pas cette architecture soit dédiée simplement à une architecture modèle ou alors qu’elle représente une volonté constructive anecdotique. En effet, le principe de dessiner une maison en bois dotée de fenêtres récupérées sans penser à son orientation, son rapport à l’environnement et sa spatialité n’apportera rien de cohérent à sa conception. J’ai compris que la réhabilitation et la rénovation semble correspondre aux pratiques les plus courantes dans le domaine du bâtiment. Elles s’apparentent néanmoins à des projets de grande envergure dans une demande technique souvent plus importante et économiquement plus élevée. Je retiens pourtant que si nous devons raisonner notre mode de bâtir, il s’agirait tout d’abord de contraindre l’expansion des villes en redonnant vie à des bâtiments qui peuvent être vétustes ou en utilisant leurs terrains après une déconstruction raisonnée. L’intérêt premier ne serait donc pas de penser seulement au travers de la notion de démolition mais de déceler un potentiel à construire dans chaque édifice quand cela est envisageable. A la suite de cette réflexion, je me suis rendue compte que ma problématique allait audelà du réemploi. En effet, cette conception de l’architecture dans sa forme et sa pratique m’a interrogée sur la faisabilité architecturale actuelle.
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CRITIQUE PERSONNELLE Je me suis longuement questionnée sur le fait que si l’architecture est théorisée, qu’est-elle en réalité une fois construite ? Et plus simplement, comment doit-on construire aujourd’hui face à tous ces impératifs? J’ai donc engagé une réflexion sur la notion d’architecture durable, qui ne se définit pas uniquement d’un point de vue écologique mais qui a la capacité de traverser le temps. Ainsi, toujours dans cette optique de rationalisation de la construction, j’ai engagé mes recherches sur la réversibilité et sur l’évolutivité de l’architecture. Cette conception m’a intriguée du fait qu’elle semblait répondre aux enjeux énoncés auparavant. Ce sujet m’a permis de porter une attention particulière à la véracité des matériaux et à leur mise en œuvre. J’ai ainsi constaté qu’il n’y a pas de bonne ou mauvaise façon de penser l’architecture tant qu’elle est optimisée pour durer. De plus, j’ai acquis que bannir à tout prix le béton ou promouvoir seulement le bois est irrationnel, tout est une question de logique. Une structure doit s’adapter aux nécessités de son contexte et à sa destination, tout en s’acclimatant à l’impact qu’elle a sur la planète. Construire à Haïti, à Soweto ou à Rennes n’impose pas la même pratique architecturale, pourtant dans son fondement je pense qu’elle devrait s’apparenter à ce même respect de l’environnement (dans toutes ses définitions). Par ailleurs, ces pratiques doivent être investies par tous les acteurs de la construction. Il y a un réel besoin d’approfondir la recherche de ces notions afin de pouvoir engendrer des réponses concrètes et faisables. En effet, le développement de ces alternatives requiert une véritable initiative de la part de chacun pour les diffuser à plus grande échelle. De plus, l’expérimentation permet de confronter les projets à la réalité afin d’en trouver les failles mais également les solutions qui pourront faire germer une nouvelle créativité architecturale.
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Cela a donc été très enrichissant de travailler sur ces sujets, c’est pourquoi je pense qu’il ne faut pas se contraindre à penser d’une seule manière, il est nécessaire de s’ouvrir à une multiplicité de pratiques qui peuvent enrichir la conception de l’architecture. J’envisage donc ma future pratique comme une recherche constante de ce qui est juste, en partant du matériau, puis au travers de la conception et de la théorisation. Un architecte se doit d’être engagé dans les enjeux actuels de la société. Ainsi, je suppose qu’il me faut être intimement impliquée au cœur de ces préoccupations pour pouvoir aller plus loin dans mes ambitions et porter un regard nouveau sur ce que pourrait être durablement l’architecture de demain.
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ANNEXE
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ANNEXE DÉCHETS CHIFFRES-CLÉS ADEME
PERCEPTIONS ET PRATIQUES DES FRANÇAIS EN MATIÈRE DE RÉEMPLOI DES PRODUITS (2014) ADEME par l’Ifop, Marie HERVIER-COLLAS
DÉCHETS DU BÂTIMENT ADEME
RESSOURCE : BAZED bâtiment zéro déchet
« Le centre de ressources d’aide à la conception d’un bâtiment zéro déchet www. bazed.fr donne les clés aux concepteurs, maîtres d’ouvrage et entreprises à travers 6 principes détaillés. »
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LE BÂTIMENT EN CHIFFRE (2018) Fédération Française du Bâtiment
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ANNEXE EXTRAIT AMC
numéro 262 - septembre 2017 Interviews JÉRÔME VILLEMARD, ARCHITECTE ET URBANISTE, VILLEMARD ASSOCIÉS Pourquoi une architecture traverse-t-elle le temps ? Quelles sont les caractéristiques qui en déterminent la longévité ? Comment une forme urbaine perdure ? Si la structure d’une ville reste opérante à accueillir hier aujourd’hui et demain des collectivités et des individus, qui eux, changent, d’envie, de nombre, de politique, de ressources, de programme, de système économique, alors notre questionnement est fondamental et commun. Quelle permanence l’architecture peut-elle édifier ? Quels changements doit-elle permettre ? La notion de mutation ou de réversibilité n’invoque pas un état programmatique passager à résorber, elle est la condition de la permanence d’une architecture. Aujourd’hui nous parlons de durabilité. Et la capacité d’un édifice à héberger le changement, permettre l’appropriation, voire le détournement, « contenir le passager avec le permanent » aurait dit Auguste Perret, est aussi remarquable dans l’histoire des théories architecturales et urbaines, que visible au cœur de nos villes. Qu’est-ce qu’un patrimoine sinon une architecture qui a dépassé son programme ? Les palais ne sont-ils pas devenus des musées ? Alors que rien ne les prédestinait à cet usage ? Les immeubles haussmanniens semblent accepter fréquemment la fonction bureau ? Et rien ne les rapproche du plan d’étage type des ensembles tertiaires contemporains ? L’architecture n’est plus une expression inféodée à un pouvoir politique ou religieux, dédiée à la construction ponctuelle de palais, pyramides, ou cathédrales. La mission de l’architecte évolue : elle se confronte de plus en plus à une demande collective, bâtir en grande quantité et non plus pour quelques-uns. Et c’est l’architecture en tant qu’Habitat au sens large, ordinaire, pour loger ou pour travailler, lieu du quotidien, espace domestique, qui concentre les efforts de chacun. A
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partir de l’idée qu’il ne s’agit plus tant de bâtir ce qui est unique, mais d’organiser, de partager et même d’économiser ce qui est commun. Construire une architecture de tous les jours qui puisse devenir un patrimoine pour demain. Si aujourd’hui les enjeux écologiques, les logiques de rentabilité du marché de la construction et les aspects les plus essentiels de la qualité de vie liée aux villes, à l’architecture et aux territoires convergent vers la thématique de la réversibilité, cela est une réelle opportunité pour faire évoluer collectivement nos pratiques. Ce qui dure dépasse sa fonction. Ce qui amène à considérer que les qualités d’un édifice ne dépendent que très peu d’une destination initiale. A une époque où le « programme » tient un rôle surdéterminant dans la conception des bâtiments, peut-être est-il temps d’annoncer une rupture souhaitable entre forme et fonction d’un édifice ? Afin de libérer nos énergies ? Et envisager que ce qui rend durable est peut-être bien plus déterminé par des qualités particulières sensibles matérielles et relationnelles d’un édifice, d’une rue, d’un quartier ou d’une ville, qu’elle qu’en soit la fonction ou le programme. Un grand nombre d’aspects sont évoqués à juste titre pour maitriser les paramètres de l’évolutivité des constructions : dimensions, règles, montages juridiques. Mais ce qui conditionne la capacité d’une architecture à dépasser l’obsolescence de sa fonction initiale n’est pas la neutralisation totale des contraintes d’aménagement ou la répétitivité systématique afin de savoir « tout faire ». L’enjeu premier est d’offrir une singularité et une pertinence. C’est le caractère spécifique, voire unique d’une construction par le mode d’habiter qu’elle propose qui la rend utile, appropriable et d’actualité. Et permet à une société de s’en servir à sa guise plutôt que de la détruire. Qualité de l’espace construis, de l’inscription dans le lieu, de l’expérience matérielle
produite, du système relationnel mis en place entre les personnes par l’organisation de l’espace. Car nous habitons et nous approprions ce que nous aimons et ce qui nous parle, de façon sensible et personnelle, autant qu’en tant que groupe. La réversibilité nous intéresse pour ce qu’elle peut apporter au présent et au futur. Pour ce que nous pouvons faire changer ensemble de nos modes de fabrication au prisme de cet enjeu.
l’apport qualitatif. Pour accueillir des programmes variés, il faut également disposer d’espaces traversants. Il faut donc remettre en question la forte épaisseur des bâtiments tertiaires, qui empêche de libérer de grands plateaux de façade à façade. Nous proposons de passer d’une épaisseur de 18 à 13 m sur deux travées et de sortir les circulations en coursives pour répondre aux contraintes de sécurité incendie des bureaux et des logements.
PATRICK RUBIN, ARCHITECTE, CANAL ARCHITECTURE
Comment comptez-vous porter ce projet encore théorique ?
AMC : Du siège de Libération installé dans les années 1980 dans un ancien garage à la toute récente médiathèque de Brest occupant les anciens ateliers de l’Arsenal, quel bilan tirez-vous des nombreux bâtiments que vous avez reconvertis ?
En 2016, nous avons complété et précisé les dispositifs de base. Dans le cas d’une mutabilité de bureaux en logements, la distribution des réseaux se fera sans reprise structurelle : on peut préparer des « fusibles » dans les planchers pour les futures canalisations d’évacuation gravitaire des eaux. Nous proposons de limiter à 30 % les composants à modifier sur les enveloppes et de favoriser les doubles niveaux en rez-de-chaussée et en toiture, au profit de l’ensemble des occupants. Nous présentons cette démarche dans un livret collégial, Construire réversible, en libre accès sur notre site internet.
Patrick Rubin : Il n’existe pas de bâtiments strictement identifiés pour leur fonction. Mais le coût de leur changement d’affectation a été renchéri, depuis une dizaine d’années, par l’accumulation des normes réglementaires. Militants de la réparation, nous anticipons les changements d’usages dès la conception. Avec Génie des lieux, nous avons travaillé en 2015 pour Vinci Construction qui souhaitait finaliser une démarche de réversibilité bureaux-logements à partir d’un système industrialisé poteaux-dalles. Nous avons remis en cause les standards qui ont cours dans les deux types de programmes – la hauteur d’étage, l’épaisseur du bâtiment, les circulations intérieures – pour créer le concept Conjugo. Quels sont les points clés du concept Conjugo ? Nous proposons de ramener à 2,70 m les hauteurs entre planchers, alors que celles pratiquées dans les bureaux sont de l’ordre de 3,30 m. Les progrès effectués dans la miniaturisation des réseaux techniques permettent la suppression des faux planchers et plafonds en offrant un bon niveau de confort. Quant aux logements, dont la hauteur standard est de 2,50 m, l’ajout de 20 cm est acceptable sur le plan financier au regard de
JEAN-MICHEL GAUDY, CONSULTANT EN SÉCURITÉ INCENDIE, CASSO ET ASSOCIÉS Les principes d’évacuation en cas d’incendie sont fondamentalement différents s’il s’agit de logements. Les occupants sont invités à attendre chez eux l’arrivée des secours, tandis que pour les autres programmes – activités, établissements recevant du public [ERP], ou même immeubles de grande hauteur [IGH] pour le niveau sinistré –, ils doivent immédiatement évacuer. Cela a des incidences sur les dégagements exigés. La prévention des incendies sur les lieux de travail impose ainsi que tout point soit situé à moins de 40 m d’un escalier ; et dans les logements, une distance inférieure à 15 m entre la porte d’entrée et celle d’accès à l’escalier le plus proche. La transformation de bureaux en logements nécessite donc des adaptations structurelles importantes avec la création d’escaliers supplémentaires. Pour
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ANNEXE diminuer le coût de cette transformation, il faudrait à mon sens assouplir les règles de distances minimales avec des mesures compensatoires qui restent à définir. Concernant les façades, pour les logements, une distance minimale est imposée entre les fenêtres d’un étage à l’autre. C’est la règle dite du C+D, qui permet de limiter une propagation rapide du feu par les façades. L’incendie de la tour d’habitation Grenfell à Londres en juin a montré la réalité de ce type de sinistre. La réversibilité de bureaux en logements suppose donc de construire des immeubles tertiaires avec des façades qui respectent d’emblée la règle du C+D. Ces deux sujets, importants puisqu’ils impactent le gros œuvre pour l’un et le clos pour l’autre, ne sont qu’une illustration des différences qui existent entre les exigences réglementaires pour ces deux usages. Pour faciliter la réversibilité, il faudrait que le législateur propose une règle de sécurité unique applicable quelle que soit la destination du bâtiment. Les règles applicables aux ERP seraient probablement les plus faciles à généraliser, à condition d’en gommer certaines contraintes qui m’apparaissent excessives EMMANUEL LAUNIAU, PRÉSIDENT DU DIRECTOIRE D’OGIC Pour l’îlot B2 de la ZAC Lyon Confluence 2, l’aménageur demandait un bâtiment tertiaire pouvant être transformé en logements, de manière à autoriser une éventuelle mutation urbaine du quartier. Nous avons décidé de travailler sur un concept d’évolutivité au sens large. Pour cela, nous avons interrogé l’ensemble des disciplines de l’acte de construire (architecturale, technique, financière et juridique), afin de nous assurer de la viabilité de la démarche et de sa possible duplication. Avec l’envie d’apporter la preuve que la démolition-reconstruction n’est pas la seule solution de mutation urbaine.
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L’architecture sobre et élégante de Diener & Diener se présente comme le fond de scène de la darse, en fermant une esplanade monumentale. La structure de l’édifice participe à son organisation spatiale et permet de ne pas sceller le bâtiment à sa vocation
initiale de bureaux. Sa trame est compatible avec la volonté d’obtenir partout un très bon facteur lumière jour, y compris dans les cages d’escalier. Le positionnement des gaines techniques en partie centrale est optimisé. Ainsi le plan «ruine» du bâtiment laisse toute latitude aux aménagements intérieurs. Les façades sont légères et peuvent se transformer au gré des besoins. La prise en compte de l’évolutivité est d’ailleurs retranscrite dans les documents juridiques arbitrant la vie future de la copropriété. Les villes connaissent une croissance forte : elles doivent pouvoir s’adapter pour faire face aux économies de ressources auxquelles nous sommes confrontés. Par exemple, les véhicules électriques en libre-service vont se généraliser ; dès lors, quel sera l’usage des nombreux parkings construit avec des hauteurs sous dalle très réduites ? Il faut concevoir des structures qui assurent une grande souplesse aux bâtiments, qui soient gages de convertibilité. Mais attention, l’hybridation peut créer aussi bien des monstres que des environnements agréables à habiter !
EXTRAIT DU RAPPORT BRUNTLAND (p. 208) Gro Harlem Brundtland Oslo, le 20 mars 1987
5. L’exploitation de ressources supplémentaires Les ressources dont on dispose dans les villes ou aux abords sont fréquemment sousutilisées. De nombreux propriétaires laissent à l’abandon des terrains bien situés en vue de profiter par la suite de leur plus-value lorsque la ville s’agrandira. Bon nombre de services de l’État possèdent des terres qui pourraient être mieux employées, par exemple les zones proches des gares et des ports qui sont sous l’emprise des autorités ferroviaires et portuaires. Plusieurs pays ont mis en place des programmes spéciaux tendant à encourager une coopération entre les secteurs privés et publics pour la mise en valeur de ces terres, tendance qui devrait être encouragée. Il existe un besoin général de solutions novatrices et efficaces pour la mise en commun des terres nécessaires au bien commun. La plupart des villes ont des systèmes d’acquisition des terres, soit au prix du marché (ce qui signifie que les systèmes ne sont jamais appliqués), soit à des taux arbitrairement bas équivalant à une confiscation (auquel cas, l’alliance des pouvoirs politiques et des propriétaires bloque de toute manière l’acquisition). Les gouvernements devraient aussi envisager de soutenir l’agriculture urbaine. Cette mesure peut avoir moins d’importance dans les villes où les marchés fonciers sont hautement commercialisés et là où il existe une pénurie de terrains à bâtir. Mais dans la plupart des villes, spécialement celles où les marchés fonciers sont moins commercialisés, il existe des possibilités considérables à cet égard. De nombreuses villes africaines l’ont déjà compris. L’agriculture urbaine, spécialement sur le pourtour des villes, est pratiquée par des gens en vue d’assurer leur propre nourriture. Dans d’autres cas, le processus est plus commercialisé et il existe des entreprises spécialisées dans la production de légumes en vue de les vendre en ville.
Une agriculture urbaine reconnue et favorisée par les pouvoirs publics pourrait devenir un élément important du développement de la ville et augmenter la quantité d’aliments dont disposent les citadins pauvres. Une telle initiative devrait avoir pour principaux objectifs d’améliorer la nutrition et la santé des pauvres, d’alléger leurs budgets familiaux (dont 50 à 70 pour cent sont en général absorbés par l’alimentation), leur permettre de se faire des revenus supplémentaires et de trouver des emplois. L’agriculture urbaine peut aussi contribuer à fournir des produits plus frais et meilleur marché, à augmenter les superficies d’espaces verts, à faire disparaître les dépotoirs et à recycler les ordures ménagères. Autre ressource médiocrement utilisée : les déchets solides, dont l’évacuation est devenue un problème important dans de nombreuses villes, une bonne partie étant entassée et non collectée. En favorisant la récupération, le réemploi ou le recyclage de matériaux, on peut restreindre le problème des déchets solides, stimuler l’emploi et faire des économies de matières premières. Le compostage peut servir à l’agriculture urbaine. Si une municipalité n’a pas les moyens nécessaires pour enlever régulièrement les ordures ménagères, elle peut apporter son appui à des systèmes mis en place par les communautés. Dans de nombreuses villes, ce sont véritablement des milliers de personnes qui gagnent déjà leur vie en triant à la main les déchets sur les décharges municipales. Investir dans une usine de recyclage automatique exigeant des capitaux plus importants pourrait aller doublement à l’encontre de l’effet recherché si une telle usine absorbe inutilement des capitaux rares et si elle supprime les moyens de vivre de nombreuses personnes. Mais, à ce sujet, un besoin auquel il faut répondre dans l’immédiat, c’est de donner des conseils dans le domaine de la santé et de fournir des services de soins de santé à toutes les personnes qui vivent des décharges municipales.
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LEXIQUE • ADEME : L’Agence De l’Environnement et de la Maitrise de l’Energie est un établissement public sous la triple tutelle du ministère de l’Ecologie, du Développement durable, des Transports et du Logement, du ministère de l’Enseignement Supérieur de la Recherche et du ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie. Elle participe à la mise en œuvre des politiques publiques dans les domaines de l’environnement, de l’énergie et du développement durable. • RT 2012 : Chaque construction neuve doit respecter un certain niveau de performance énergétique. Ces performances sont inscrites dans la RT2012 qui fixe des exigences de résultats en matière de conception du bâtiment, de confort et de consommation d’énergie ainsi que des exigences de moyens. • Grenelle de l’environnement : Rencontres politiques qui a ont eu lieu en France fin 2007. A la suite de ces rencontres, diverses lois ont vu le jour : loi Grenelle 1 et 2. • Plan bâtiment durable : Lancé en janvier 2009, le Plan Bâtiment Durable fédère un large réseau d’acteurs du bâtiment et de l’immobilier autour d’une mission commune : favoriser la mise en œuvre des objectifs d’efficacité énergétique et environnementale. • PUCA : Le Plan Urbanisme Construction Architecture est une agence interministérielle créée en 1998 afin de faire progresser les connaissances sur les territoires et les villes et éclairer l’action publique. • Frugal : Qui se nourrit de peu, qui vit d’une manière simple (litt.) – LAROUSSE. En architecture, ce qui se dit frugal se rapporte à une consommation raisonnée en termes d’énergie, de matière, de technicité et d’emprise territoriale.
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Architecture écologique _ Cayetano Cardelùs
Construire autrement, comment faire ? _ Patrick Bouchain
L’architecture de demain en 100 défis _ Marc Kushner
Resource Stadt, City as a Resource _ Folke Köbberling & Martin Kaltwasser
Grenn architecture now ! (1et2) _ Philip Jodidio
Rural Studio, Samuel Mockbee and an architecture of decency _ Andrea Oppenhaimer Dean and Timothy Hursley Proceed and be bold, Rural Studio after Samuel Mockbee _ Andrea Oppenhaimer Dean and Timothy Hursley Déconstruction et réemploi, comment faire circuler les éléments de construction _ Michaël Ghyoot, Lionnel Devlieget, Lionel Billiet, André Warnier. Matère grise, Matériaux/ réemploi/architecture _ Encore heureux, Julien Choppin et Nicola Delon Réhab, l’art de refaire _ Bénédicte Ramade Le passé dans la ville _ Dany Sandron L’enseignement de Soweto, construire librement _ Christophe Hutin, Patricce Goulet 20 projets de rénovations écologiques _ Yves Connan Matériaux et architecture durable, fabrication et transformation, propositions physiques et architecturales, approche environnementale _ Nadia Hoyet Rénovation _ Fabrice d’Orso
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Architecture et économie, ce que l’économie circulaire fait à l’architecture _ Grégoire Bignier
Un bâtiment, combien de vies? _ Francis Lambert, Martine Colombet, Christine Carboni L’architecture transformée, Kenneth Powell Histoire de construire (Architecture) _ Bouchain, P., Julienne, L., Tajchman, A., & de la Boulaye, P. (2012). Le siècle de l’industrie (1983), De architectura _ Loyer, F.
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Construire réversible (2017) _ CANAL Architecture
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construction, renforcer le tri, le réemploi et la valorisation des déchets du bâtiment _ ADEME Perceptions et pratiques des français en matière de réemploi des produits (édition 2014) _ ADEME _ Marie Hervier-Collas
COLLOQUE « Architecture évolutive/réversible » à l’ENSAB (06-02-20)
Rénover, réutiliser, reconvertir le patrimoine _ actes du colloque régional 15-16 septembre 2014 Réemploi et réutilisation, plans et programmes de prévention des déchets (2010-2016) _ ADEME
PODCASTS https://www.franceculture.fr/ emissions/metropolitains-11-12/ larchitecture-du-reemploi-et-dudetournement https://www.franceculture.fr/ emissions/le-genie-des-lieux/ la-maison-de-jean-prouve-lamachine-dans-la-foret
CONFERENCES Deuxième rencontre de la Frugalité heureuse et créative (30-10-2019) « Le XXIe siècle sera biosourcé ! » à l’ENSAB Encore Heureux (2014). Conférence MATÉRIAUX, RÉEMPLOI & ARCHITECTURE, Pavillon de l’Arsenal, à l’adresse https://www.dailymotion.com/ video/x2b5674 « Architecture temporaire / contemporaine : stratégies adaptatives et spontanées, vers un avenir imprévisible », Conférence Italo-japonaise de l’UNICAM, Amandola (23-032019)
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Fait par Charline Trécul, Mémoire Master, Ecole Nationale Supérieure d’Architecture _ le 5 Mars 2020
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ans l’antiquité le concept du réemploi est un questionnement déjà d’actualité, qui s’est diffusé à travers les époques jusqu’au milieu du XXe siècle. C’est une pratique courante et même commode qui s’entremêle à l’acte de bâtir. La récupération de matériaux se fait à travers des édifices monumentaux ou des petites constructions. Si l’on parle d’archéologie le terme de « réemploi » se réfère au pillage ou à la récupération d’éléments donnant lieu à une nouvelle appropriation ou un devoir de mémoire, en particulier pour les édifices religieux. C’est également une pratique courante qui s’est développée avec l’installation des bidonvilles et l’auto-construction dans les pays en difficulté. Face au développement des industries et à l’émergence des nouveaux matériaux au XIXe siècle, le réemploi s’amenuit, étant considéré comme pratique pauvre, et est remplacé par le neuf. Cet accès sans limites à toutes les ressources a seulement été remis en question dans les années 80/90, avec les premiers constats environnementaux et la publication du rapport de Brundtland par l’ONU, définissant pour la première fois le terme de développement durable. Le réemploi est donc remis discrètement en valeur pour sa rationalité mais a encore des difficultés pour se positionner comme pratique courante dans le monde du BTP. Il faut requalifier la définition du matériau non plus comme un déchet mais une nouvelle matière à travailler. Le réemploi tient à conserver la forme principale du matériau tout en modifiant sa fonction à la différence de la réutilisation ou du recyclage. Dans une société toujours en expansion avec des ressources qui disparaissent, les enjeux sont de taille. Une nouvelle démarche se profile avec ce besoin constant de logements et cette conscience de l’environnement que l’on doit renforcer. Il est en effet impératif que nous changions nos modes de constructions, afin de limiter les quelques 227.5 Mt de gisement de déchets produits (dont 42.2 Mt par le bâtiment) par an. Quelques agences et entreprises ont commencé à émerger avec ces nouvelles ambitions constructives. Il serait donc intéressant d’observer quelles sont les entreprises qui ont cette démarche afin de la comprendre et d’analyser les difficultés principales auxquelles elles se heurtent. L’objectif pour ce futur durable serait alors de favoriser le réemploi, et l’utilisation de matériaux biosourcés avec une proportion minimale de matériaux issus des ressources fossiles. De plus, les constructions seraient logiquement produites dans une optique de réversibilité, en étant démontables et réutilisables. En 2014, la France a adapté la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte qui a pour objectif de « lutter contre les gaspillages et promouvoir l’économie circulaire ». C’est donc une nouvelle économie qui entre en jeu. Aujourd’hui, cette économie dite « circulaire » serait donc envisagée à grande échelle sur le modèle d’autres pays qui se sont engagés tels que les Pays-Bas ou l’Allemagne. Quelles en sont les possibilités et les utopies ?