le défilé de mode, une scénographie de la séduction Charlotte SAMPSON Sous la direction d’Yves Kneusé Mémoire de Master 2, ENSAPLV, 01/2020 Séminaire Architecture et Scénographie J.Gautel, Y.Kneusé, M.Mazlouman
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REMERCIEMENTS Je tiens à exprimer toute ma reconnaissance à mon directeur de mémoire, Monsieur Yves Kneusé. Je le remercie de m’avoir encadré, orienté, aidé et conseillé pendant plus de deux ans et de m’avoir accompagné pendant tout le cursus de Master, autant sur le plan pédagogique que professionnel. J’adresse mes sincères remerciements à Monsieur Jakob Gautel, Madame Mahtab Mazlouman et Monsieur Thierry Dreyfus, ainsi que tous les professeurs, intervenants et toutes les personnes qui par leurs paroles, leurs écrits, leurs conseils et leurs critiques ont guidé mes réflexions et ont accepté de m’accompagner dans cette recherche qui me tenait à cœur. Enfin, je remercie ma mère, mon frère et mes grands parents, Marie Claude, Sébastien, Pierrette et Claude qui ont toujours été là pour moi. Ainsi que mes proches Gabriel, Arthur, et Clara pour leur soutien inconditionnel, leurs encouragements et leur joie sans faille. À tous ces intervenants, je présente mes remerciements, mon respect et ma gratitude.
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SOMMAIRE Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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I - Une forme de séduction �������������������������������������������������������������������� 10 à 49 A - L’histoire du défilé de mode, vers un évènement théâtral �������������������������������������������������������������������������������������������������������������� 10 à 23 a - La naissance du défilé de mode au début du XXème siècle dans un contexte industriel et moderniste b - Le style « Minaret » de Paul Poiret : vers une diffusion de la forme théâtrale par sa vulgarisation
c - Les années 1960, une nouvelle vision du défilé de mode
B - Le défilé, un changement de dimension, un changement de genre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24 à 41 C - L’éblouissement de la mode
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 à 49
II - Présentation du corpus : le défilé de mode . . . . . . . . . . . . . . .
50 à 167
A - Alexander McQueen, Printemps/Eté 2001, Prêt-à-porter, Londres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52 à 91 B - Chanel, Automne/Hiver 2014/2015, Prêt-à-porter, . . . . . . Paris . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92 à 129 C - Gucci, Printemps/Eté 2019, Paris 4
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130 à 167
III - Une scénographie de la séduction ��������������������������������� 168 à 209 A - Un message, un récit
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171 à 187
a - Un dialogue mutable b - Mise en avant et retrait
B - L’espace et le temps
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 188 à 203
a - Dimension et structure du système signifiant b - L’espace par la représentation c - L’espace de la narration par le temps
C - Une scénographie de la nouveauté
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 204 à 209
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
210 à 213
Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 214 à 217 Glossaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217 à 221
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INTRODUCTION Dès 1979, Jean Baudrillard évoque la notion de séduction par le rituel sacralisé : là où le défilé se positionne comme règle mystifiée à suivre, c’est sa scénographie qui lui fait prendre toute sa puissance et le positionne comme seul révélateur de ses secrets dissimulés. « En faisant de la règle quelque chose de sacré et d’obscène, en la visant comme fin, c’est-à-dire comme loi, le pervers trace une défense absolue : c’est le théâtre de la règle qui prend le dessus, comme dans l’hystérie le théâtre du corps. Plus généralement toutes les formes perverses de la séduction ont ceci de commun qu’elles en trahissent le secret, et la règle fondamentale qui est qu’elle ne doit jamais être dite »1. Le défilé, aujourd’hui considéré comme la règle commune dans le milieu de la mode, est instauré à travers le monde comme un rituel désiré par tous. Evénement sacralisé par son contenu dissimulé et inaccessible mais étrangement adulé et convoité par un grand nombre. Avec un rythme soutenu de 2 à 5 défilés par an pour les marques les plus reconnues, le défilé de mode parvient à charmer et séduire un public privilégié, ainsi qu’un public plus large qui n’y aura jamais accès. L’artifice, le signe, le secret, la production et le rite font partie de ses composantes fondamentales, dans le but de créer un moment presque insaisissable alliant une scénographie toujours plus étonnante. Dans une logique de surenchère constante et de présence stroboscopique, les philosophes comme Jean Baudrillard, Gilles Lipovetsky ou encore le poète Charles Baudelaire théoriseront la notion de séduction et de beauté au sein de notre société. Bien que cette séduction néolibérale catalyse nos sociétés, nous n’enlevons pas bien entendu le caractère commercial et marketing des défilés dont la visée première reste de séduire pour vendre. Sa stratégie de séduction principale étant d’être présent à un endroit, sans jamais y être. C’est créer un désir pour le spectateur, le rendre attentif par une « esthétique de la disparition »2 où chaque show nécessite d’être là où on ne l’attend pas : « où on la croit, jamais là où on la désire »3. Dans Plaire et toucher4, Gilles Lipovetsky écrit en 2017 un essai sur la société de séduction, tant dans son « capitalisme artiste » que dans son esthétisation, son luxe et son éphémère. A son origine, le défilé de mode est né de l’enjeu commercial qu’il représentait. Il n’était en aucun cas le fruit d’une démarche purement artistique. Aujourd’hui, l’hypermodernité libérale marque une rupture historique et sociale 1 BAUDRILLARD, Jean, De la séduction, Paris, Éditions Galilée, 1979,248 pages, page 174 2 VIRILIO, Paul, Esthétique de la disparition, Paris, Éditions Galilée, 1989,126 pages 3 Ibid, page 118 4 LIPOVETSKY, Gilles, Plaire et toucher, Gallimard, 2017, 467 pages
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majeure venue modeler nos modes de vie et nos modes de fonctionnement. La séduction et le désir, phénomènes vieux comme l’humanité, deviennent aujourd’hui une puissance structurante des sphères actuelles de l’économie, de la politique, de l’éducation et de la culture. Le capitalisme se remodèle face à une société d’hyperconsommation pour devenir un « capitalisme esthétique ou artiste ». La séduction est très souvent un aspect dénoncé comme générateur d’un monde standardisé et destructeur, dans une logique de tout montrer, tout avoir. Pourtant, elle se révèle être un grand moteur créateur de notre quotidien, non plus dans un jeu d’ornement, d’apparence et d’illusions, mais comme une vraie force poussant chacun à agir, penser, réfléchir, innover malgré l’aspect pervers qui l’accompagne car « rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion »5. Dans sa définition première, séduire est souvent associé à un jeu théâtralisé entre deux sujets ou plus, dans un désir d’apparaître à son avantage afin d’attirer l’attention d’autrui. La mise en scène du corps a toujours fait partie intégrante du domaine de la séduction, tant dans son histoire que dans ses champs d’action. En effet, elle atteint très rapidement différentes sphères artistiques comme l’événement du théâtre par exemple. Dans un spectacle d’artifices et de paraître, chaque acteur de l’événement théâtral participe à une séduction généralisée voir même idolâtrée. Dès le MoyenÂge, l’avènement de la mode a permis une évolution des formes esthétiques. Mais c’est à la Renaissance qu’elle atteint socialement son apogée, par la naissance d’une chorégraphie séductrice au travers du système des apparences de la mode. Cette chorégraphie s’installe essentiellement au niveau des styles de vie, dans un désir d’ascension social, d’appartenance, toujours dans une logique du paraître. Elle trouve toutefois son évolution dès le XXème siècle par des dispositifs de séduction complexe, où s’éloigner d’un mode de vie convoité nous fait contradictoirement appartenir. On ne veut plus se placer comme élément constitutif d’une classe sociale ou d’un groupe, mais chacun veut exister par son apparence propre. La mode devient le langage corporel de notre identité au sein du monde. Ainsi, les défilés évoluent à leur tour, dans un désir non plus de montrer une simple collection, mais de raconter une histoire qui leur est propre face à un public sélectionné. Un désir qui en deviendra la règle entraînant un culte de l’originalité et de la nouveauté. Grâce à des dispositifs de séduction complexes, la mode devient un des milieux de séduction de prédilection par un de ses traits fondamentaux : la nouveauté. Depuis la théorisation de Freud, le nouveau est célèbre pour sa caractéristique séductrice. A ce jour, le nouveauté est omniprésente et se place au cœur de toute démarche de vente ou d’achat. Si la mode était à l’origine dite première et coutumière, elle est aujourd’hui beaucoup plus complexe et la scénographie de ses défilés se montre structurellement moderne. Que ce soit dans l’objet du défilé ou dans son écrin, la règle est au changement et l’exception à la constance. Parfois perçu comme des évènements pervers et consommateurs de par les masses d’argent brassées par la mode, et parfois perçu comme un évènement fantasmagorique hors du temps, 5 HEGEL, Georg Wilhelm Friedrich, Leçons sur la philosophie de l’histoire, Éditions Vrin, 1988, 349 pages
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le défilé de mode reste un évènement observé et désiré par une élite comme par un public plus populaire. Il se positionne comme un évènement médiatique répété à travers le monde entier, suivi physiquement ou virtuellement.
En 2006, la première exposition entièrement consacrée aux défilés à Paris ouvre ses portes au Palais Galliera. Elle retrace l’histoire et l’évolution du défilé dans le temps bien qu’il soit un évènement encore très récent. Au-delà de l’intérêt intellectuel qu’elle offre, cette exposition révèle également la puissance croissante de ces spectacles qui présentent bel et bien une évolution de son caractère économique. Elle met en exergue les sphères participant à la production du défilé, tout comme les disciplines dont la scénographie saura s’emparer comme le cinéma, la danse, l’art ou la photographie. En effet, certaines chorégraphes tel que Pina Bausch, Régine Chopinot s’inspireront de l’image du défilé dans leur création ou plus récemment Sharon Eyal participant à l’élaboration de nombreuses chorégraphies au sein même de défilés. Le défilé se retrouvera également dans le travail d’arstistes contemporains comme Majida Khattari mêlant performance et défilé dans un lieu emblématique de Paris : l’Ecole Nationale des Beaux-Arts. Bien que surreprésenté dans le milieu journalistique, le discours du défilé a su s’inscrire dans une démarche moderniste propre au 20ème siècle. Ce mémoire se propose alors de comprendre le fonctionnement, les mécaniques et les enjeux du défilé de mode par l’analyse de sa scénographie. Nous étudierons alors les processus de séduction mis en action (séduction étant entendue au sens de moyen d’attirer de façon puissante et irrésistible). Une scénographie comme le moyen de gagner une personne ou un groupe de personne en persuadant, en touchant, en employant tous les moyens de plaire. Dans son rapport à la mode, la scénographie est dans de nombreux cas le moyen d’illustrer la vision d’un couturier, l’inverse n’étant pas pour autant antinomique. Par la mise en lumière et l’analyse d’une scénographie comme porteuse d’une vision, d’une histoire, d’une émotion, nous tenterons de comprendre en quoi le défilé de mode peut se présenter comme une scénographie de la séduction. Ainsi, nous envisagerons diverses problématiques, à savoir : Est ce que le défilé tente réellement de passer un message ? Dans quoi la scénographie du défilé puise-t-elle ses bases ? Le défilé provient-il d’une vulgarisation de la forme théâtrale où la vision d’un couturier et sa collection constituent les éléments générateurs de la scénographie, comme le texte d’un auteur au théâtre ? Pour se faire, nous passerons par une démarche de démystification par la rationalisation, alimentant notre réflexion par les écrits et les théories de grands penseurs, sociologues et sémiologues. Nous partirons de la décomposition analytique par la théorisation pour mieux en comprendre les mécanismes scénographiques ainsi que les profondeurs esthétiques constitutifs de sa puissante séduction mise en scène. Nous nous appuierons essentiellement sur les écrits d’Anne Ubersfeld
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et Patrice Pavis qui constitueront notre base analytique. Au-delà de cet ensemble de questionnements qui résonnent entre eux, l’objectif de ce mémoire sera éventuellement d’observer si le défilé a su lui-même inventer ses propres codes en investissant sa propre sémiotique de la scénographie du défilé : langage de signes qu’il serait à établir et à délimiter, lui permettant éventuellement de se marginaliser, d’inverser ses propres codes et ainsi d’évoluer artistiquement. Nous débuterons notre analyse par l’étude du défilé au travers de son histoire révélant une forme de la séduction théâtrale. Nous traiterons alors de la naissance du défilé de mode au XXème siècle dans un contexte industriel et moderniste puis de la diffusion de la forme théâtrale par sa vulgarisation via le style Minaret de Paul Poiret. Cette trajectoire nous permettra d’observer un changement de dimension et de genre du défilé pour aboutir sur un éblouissement de la mode. En seconde partie, sera présenté le corpus soigneusement sélectionné composé du défilé d’Alexander McQueen Printemps/Eté 2001, du défilé Chanel Automne/Hiver 2014 Prêt à Porter et enfin du défilé Gucci Printemps/Eté 2019. Finalement, c’est dans cette troisième et dernière partie que nous confronterons ces trois études de cas par l’analyse sémiologique de Patrice Pavis en étudiant leur message, leur récit par le dialogue mutable puis par la mise en avant et le retrait. Cette partie sera suivie d’une analyse de l’espace et le temps par la structure et la dimension du système signifiant, la représentation et sa temporalité. Pour finir, nous étudieront le caractère séducteur de ces défilés par leur caractère essentiel énoncé plus haut : la nouveauté.
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UNE FORME DE SÉDUCTION
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« Il importe fort peu que la ruse et l’artifice soient connus de tous, si le succès en est certain et l’effet toujours irrésistible », Baudelaire, Eloge du Maquillage
Afin de comprendre la structure, le fonctionnement et la systématique du défilé, il est important de connaître son histoire et son évolution au fil des décennies. Bien que très récent, le défilé de mode s’inscrit aujourd’hui comme un évènement, lui-même inscrit dans un évènement à plus grande échelle dans la ville. Que ce soit dans un but commercial, patrimonial, frivole, artistique ou politique, le créateur doit prendre position par le biais de sa scénographie pour présenter une nouvelle collection. Si la naissance du défilé est apparue pour des raisons pragmatiques et commerciales, leurs scénographies sont réinvesties par le designer et par le scénographe qui proposent de conter une histoire à son spectateur que ce soit dans la prolongation de ses traditions et coutumes ou en rejet de celles-ci. C’est donc au travers de son histoire que nous allons aujourd’hui tenter d’appréhender l’évolution de la scénographie des défilés de modes dans les quelques villes qui ont su la réinvestir. Nous débuterons cette partie par la naissance du défilé dans un contexte industriel et moderniste, puis par le changement de dimension et de genre de la scénographie du défilé pour finir sur l’éblouissement de la mode.
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A - L’histoire du défilé de mode, vers un évènement théâtral a - La naissance du défilé de mode au début du XXème siècle dans un contexte industriel et moderniste En 1870 naît le terme de « défilé » dans la revue La Vie Parisienne1 , au sein de la maison Worth de Charles Frederick Worth qui fut le premier créateur à présenter ses pièces sur des mannequins vivants. Toutefois, le terme reste alors encore très large car utilisé en réalité pour décrire les nombreuses représentations coutures de l’époque. D’autres créateurs, tel que Lucile (designer londonienne), prétendent avoir « inventé » le défilé de mode dans les années 18902. Bien que la date et le lieu d’origine entre Londres et Paris reste encore à prouver, certains écrits désigneraient plutôt Paris comme ayant accueilli les premiers défilés. Si l’Europe se montrait alors pionnière en 1890 dans la présentation de leurs créations, les premiers défilés américains apparaîtront peu de temps après, vers 19033. Tout laisse à penser que c’est Paris qui a proposé les premiers défilés, par commodité des acheteurs de grands magasins étrangers (notamment américains) plutôt que par commodité des particuliers (bien que faisaient appel à des modèles vivants bien avant). Cela expliquerait par ailleurs la rapide diffusion de ce procédé, qui permit le non monopole français. Dès le début du XXème siècle, les maisons françaises programmaient deux défilés par an : un en février pour la collection Printemps/Eté et un autre en août pour la collection Automne/Hiver. Mais ce sera après la Première Guerre mondiale que ces évènements deviendront réellement fixes pour des raisons commerciales. A partir de 1920, les défilés deviennent alors de réels évènements sociaux dans la ville et sont de plus en plus illustrés. Durant l’avant-guerre, si le continent américain tentait de reproduire le souffle de la couture française, la France tentera quant-à-elle à symboliser une certaine esthétique industrielle moderniste alors en plein essor dans le domaine de l’art et de l’architecture. Si le défilé est présent pour afficher et vendre les nouvelles créations, c’est également l’une des rares fois où l’on représente l’industrie de la mode lors d’un évènement à part entière. C’est alors que les défilés portent la révélation des nouvelles pièces de couture et offrent à ses spectateursles liens souvent tenus secrets entre mode et industrie.. Dès 1895, les premiers défilés de mode sont liés au théâtre et avancent en même temps que le cinéma, raison pour laquelle on trouvera 1 TETART-VITTU, Françoise, « Naissance du couturier et du modéliste », Au Paradis des Dames, Paris-Musées, 1993, p.36 2 GORDON, Lucy Christina Duff, Discretions and Indiscretions, Londres, Jarrolds, 1932 3 LEACH, William, Land of Desire, New York, PANTHEON Books, 1993
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de nombreux liens entre ces trois domaines. Le cinéma et la photographie sont des univers qui ont notamment permis à la mode de se diffuser à travers le monde, ce en partie pourquoi même le grand public en sera touché. Le défilé est un évènement où mouvement, temps et espaces travaillent ensemble, liés à l’art et au commerce. Dès le début du XXème siècle, on observe de nombreux artistes contemporains qui travaillent directement avec les notions d’industrie, de mouvements à travers le temps ou l’instant, la lumière, l’optique etc. Il est ainsi primordial d’insérer la naissance des défilés dans ce contexte moderniste du XXème siècle, où l’on trouve une « volonté de matérialiser le mouvement plutôt que de le représenter »4 , comme pouvait le montrer Marcel Duchamp à la même époque avec son Nu descendant l’escalier en 1912. Cependant, il faudra attendre les années 20 pour que les défilés prennent l’apparence de véritable spectacles publics. Ayant alors intégré une forme de modernité esthétiques, ils questionnent l’apparence de la Nouvelle Femme, où « la femme de l’industriel respectable ne pouvait plus se distinguer de la femme active»5 . Paradoxalement, les maisons de Haute couture voudront se détacher de l’image et de la représentation de la production industrielle moderne alors qu’elles y avaient totalement recours puisqu’elles ne proposaient pas uniquement des ventes de produits à destination unique mais également à destination sériel. C’est alors qu’on verra une opposition de représentation avec la Haute couture et le prêt à porter, dans une hypocrisie totale qui requestionnera la production en série. Le couturier Jean Patou viendra justement interroger cette opposition, en réalisant un défilé en 1925 où toutes les mannequins défileront à la suite avec la même tenue. Défilé qu’il répétera à l’identique à plusieurs reprises. Peu de couturiers sauront s’emparer de cette image industrielle, tout en tirant les mérites de la production en série, étant donné le peu se revendiquant comme des méthodiques industriels. Pourtant, la mode se montre comme un rare domaine où les centimètres se quantifient en centimes, où la beauté et la grâce deviennent quantifiables. Certains couturiers revendiqueront même les bons couturiers comme de bons banquiers et de bons patrons d’usine, où des valeurs esthétiques de grâce et de charmes sont quantifiables dans des tableaux de statistiques. « La métaphore de la banque et de l’usine hante la maison de couture, tout comme le mannequin en osier hantait la silhouette bien réelle du mannequin vivant, comme un double troublant qui révèle le cœur mécanique du processus capitaliste »6. A l’image des Temps Modernes 7 de Charlie Chaplin, c’est alors que la mode montre ce lien tangible avec le système fordiste et tayloriste, composé de rouages vivants.
4 BEAUJARD, Gilles, Showtime : le défilé de mode, Paris, Association Paris – Musées, 2006, 300 pages, p.72 5 Ibid, p. 80 6 Ibid, p.83 7 Les Temps Modernes, réalisé par Charlie Chaplin (1936, Etats Unis : Chaplin – United Artists, 87 minutes)
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Selon Kracauer, se dessinent au travers du défilé les « composants significatifs de la réalité devenus invisibles dans notre monde »8 , comme pouvait le démontrer le concept psychanalytique du retour du refoulé. Si l’on s’en tient aux récits de Freud, le défilé pourrait se définir comme un révélateur des secrets refoulés étranges et terrifiants de la Haute couture. Pour le psychanalyste, l’étrange est lié au terrifiant qui serait connecté à quelque chose de familier mais oublié car refoulé par notre subconscient9. Au contraire, l’étrange serait du domaine de l’inconnu qui nous a été révélé, mais qui serait resté dissimulé. Il s’agirait alors de comprendre vers quoi tend le défilé de mode et sa scénographie, tout en pensant qu’il révèlerait probablement les secrets de la maison qu’il porte. Car en effet, s’il se veut dans la démonstration choc, marquante et exubérante, ces présentations pourraient finalement révéler rouages et signes cachés que tentent d’ignorer ou de dissimuler les couturiers. Finalement, le défilé de mode pourrait révéler deux formes d’aliénation : « celle de l’ouvrier sur la chaîne de production et celle de la Nouvelle Femme, aliénée et aliénante »10. Ainsi, les maisons de couture montrent au public un intérieur éclatant, luxueux et confortable, mais dissimulent des coulisses fonctionnant comme une véritable usine de production. C’est alors que le lien avec le théâtre peut s’effectuer. Le théâtre à l’italienne se constitue d’une scène accompagnée de son cadre de scène la délimitant offrant un monde parallèle à ses spectateurs. Dissimulées autour de ce monde se présenteront les coulisses et un une cage de scène accueillant tous les regards machiniques et donc tous les secrets de production (parfois intentionnellement révélés). Ici, le lien de la scénographie du défilé de mode et de la scénographie théâtrale pourrait se faire, dans leur visée, leur sémiotique et leurs intentions. Si une intuition se crée autour du lien que puise le défilé sur le théâtre, il s’agira de s’interroger sur le place du couturier, de la scénographie ainsi que sur celle de la couture. Comment s’organisent aujourd’hui ces systèmes et quelles en sont leurs origines.
Mannequins de Jean Patou, 1925 © Getty Images 8 KRACAUER, Siegfried, L’ornement de la masse. Essai sur la modernité Weimarienne, trad. de l’allemand par Sabine Cornille, Paris, Ed. La Découverte, Coll. Théorie Critique, 2008, 305 pages 9 FREUD, Sigmund, « The Uncanny », 1919, dans Works: The Standard Edition of the Complete Psychological Works of Sigmund Freud, sous la direction de James Strachey, vol. XVII, Hogarth Press, Londres, 1955, p.220 10 BEAUJARD, Gilles, Showtime : le défilé de mode, Paris, Association Paris – Musées, 2006, 300 pages, p.86
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DUCHAMP, Marcel, Nu Descendant l’escalier 2, huile sur toile, 1912, © Phidelphia Museum of Art
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b - Le style « Minaret » de Paul Poiret : vers une diffusion de la forme théâtrale par sa vulgarisation Au travers du costume, Paul Poiret a su se saisir du théâtre comme d’une expression de l’extravagance par le biais de l’habit, comme d’un outil de marketing des maisons de couture dans le monde entier, notamment grâce à la pièce Le Minaret de Jacques Richepin, joué à Paris en mars 1913, dont il a réalisé l’intégralité des costumes. Pièce qu’il réinvestira six mois plus tard, lors d’un défilé de mode présenté dans multiples magasins américains. Bien que la pièce évoque un certain exotisme et une fantaisie orientale, Jacques Richepin ne s’intéressait pas au réalisme et désirait simplement offrir des tableaux dits « harmonieux ». L’ensemble de la pièce se rapprochait davantage d’une vision véritablement française que d’une vision orientale. Le couturier Paul Poiret s’inspire du théâtre pour la création de ces costumes. C’est suite au succès fulgurant du spectacle ainsi que des tenues qu’il proposait, qu’il a su se ressaisir de cette image orientale pour l’adapter au style français. Ainsi naîtra le style « Minaret ». Ce geste, qui peut paraître commercial et anodin est en réalité symboliquement très chargé. En réinvestissant ces images-là, liées au domaine du spectacle et du théâtre, Paul Poiret vient mettre en scène la femme en imitant le théâtre contemporain. Depuis la Renaissance, la population se rendait au théâtre pour voir mais aussi pour être vus, expliquant la forme du théâtre en fer à cheval, limitant la vue sur la scène mais permettant d’obtenir un vis-à-vis sur tous les spectateurs. C’est alors que dès le XXème siècle, les femmes vont aller au théâtre pour voir la pièce, observer les dernières tendances et pour être vues elles-mêmes. Au travers du Minaret, les femmes ont développé un imaginaire où elles participaient elles-même à la pièce, par le port d’un style lié directement à celle-ci. Ainsi se crée une barrière floue et perméable entre le théâtre, la vie quotidienne et une production esthétique liée à la mode. Dans une démarche de mimétisme de la sémiotique du costume théâtral, Poiret a permis d’une part une aspiration à la culture et d’autre part la création d’un marketing de mode1. En liant le théâtre à la vie quotidienne, où les femmes peuvent voir tout en étant vues, les retombées commerciales furent grandissantes. Elles s’accompagneront toutefois de nombreuses critiques, bien que le couturier ait toujours voulu se montrer sans intérêt relatif aux activités commerciales de ce marketing. Propre à son caractère et à sa personnalité artiste, il s’est toujours justifié sur ses actions qui étaient alors très souvent perçues comme publicitaires et commerciales. Il a ainsi souvent rejeté la mode en ce qu’elle impliquait la production en série. A la suite de la réussite du style Minaret, le couturier retournera vers un style minimaliste, simple et individuel afin de gommer les extravagances que lui valurent son succès afin de finalement atteindre
1 BEAUJARD, Gilles, Showtime : le défilé de mode, Paris, Association Paris – Musées, 2006, 300 pages, p.88
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Le Minaret Acte II, Théâtre de la Renaissance, © Revue Le Théâtre, Mai 1913
Le Minaret Acte II, Théâtre de la Renaissance, © Revue Le Théâtre, Mai 1913
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Cora Lapercerie dans le rôle de Myriem, dans la pièce Le Minaret au théâtre de la Renaissance, revue Le Théâtre, n°345, mai 1913, p.13, bibliohtèque Farney, Paris
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une « rhétorique d’originalité qui caractérise le discours esthétique moderne »2. De par ses diverses créations et sa personnalité forte, Paul Poiret s’ouvrit à une clientèle intégrant les classes moyennes, mais aussi une nouvelle génération de clientèle et de consommation engendrée par le théâtre. C’est alors que naît les prémices du lien entre mode et théâtralité comme mode de représentation et de communication, qui ne cessera de prendre de l’ampleur au fil des décennies. Toutefois, le style Minaret amena à la réussite de son entreprise comme à son échec. En effet, une distanciation des différents marchés internationaux se marqua, : sa clientèle française représentait une certaine élite tandis que sa clientèle américaine touchait également les classes moyennes. Pour le marché américain, en se tournant vers le défilé de mode, Poiret s’était tourné vers une vulgarisation du théâtre, son but étant de préserver une certaine culture du luxe tout en préservant la Haute couture d’un commerce incontrôlé3. C’est cette forme de théâtralisation qui a permis très rapidement à sa ligne de s’ouvrir sur un marché plus large et de séduire un plus grand public, nuisant alors au statut élitiste de la Haute couture. Très rapidement, ce système de théâtralisation de la présentation des nouvelles créations commencera à se généraliser car amènera une diffusion bien plus large, dans un but principalement commercial et marketing, toujours dans une vulgarisation du théâtre. Toutefois, cette théâtralisation sera réinvestie au cours des décennies suivantes comme moyens de séductions s’écartant légèrement de la visée marketing initiale, vers une provocation et la transmission d’un message et d’une histoire forte.
2 Ibid, p. 93 3 BEAUJARD, Gilles, Showtime : le défilé de mode, Paris, Association Paris – Musées, 2006, 300 pages, p.96
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c - Les années 1960, une nouvelle vision du défilé de mode
Dans l’histoire du défilé de mode, les années 60 représentent un tournant majeur. C’est une époque où va naître une nouvelle génération de couturiers résolument tournés vers le futur en se défaisant des coutumes et en ne référençant plus le passé. Une nouvelle manière de mettre en scène leur collection accompagne cette bascule. La mode devient un moyen d’expression personnel et individuel. Le couturier devient un créateur démiurge qui, par une collection, tente de communiquer son esprit, son univers. Les défilés se débarrassent dorénavant des canons qui les conditionnaient jusqu’alors. Contrairement aux couturiers de Haute couture, les stylistes de prêt-à-porter ne disposent pas de salons pouvant accueillir des présentations. Ces stylistes avaient à cette époque un rapport fort avec le milieu de l’art et donc des courants idéologiques de l’époque. C’est alors que va arriver l’apparition de nouveaux lieux pour les défilés, avec des lieux incongrus, innovants et inédits jusqu’alors (théâtres, lieux publics, ateliers d’artistes etc.)1. Désormais, les défilés ne sont plus seulement destinés à une visée commerciale et marketing, mais comme une parade, un véritable spectacle ou bien même un happening artistique. Cette décennie marque un moment privilégié pour la production, la mise en place et la visée des défilés. Le défilé ne doit plus seulement présenter les nouveaux modèles et une nouvelle collection, mais véhiculer un message, un état d’esprit et un concept fort. Au-delà du strict vêtement, la présentation doit devenir un moment poignant et chargé de signification. C’est donc avec très peu d’effets que les années 60 se composent de défilés jusqu’alors jamais vus, où les couturiers proposent des pièces de plus en plus fortes, au point de devenir des pièces de collection et non plus de simples pièces portables. Si on trouve aujourd’hui des défilés qui béénficient de budgets astronomiques pour toujours aller plus loin, cette envie relaterait d’un désir de retour à ces années 60 dont le but serait de provoquer et de casser la monotonie des grandes maisons de luxe. L’essentiel des scénographies majeures du XXIème siècle tentent d’aller toujours plus loin dans l’exubérance, révélant finalement un manque d’originalité et de provocation, puisque la plupart se dirigent dorénavant vers cette veine. Durant les années 60, nous penserons notamment aux défilés de créateurs aujourd’hui mondialement reconnus tel que Paco Rabanne ou Jacques Esterel qui ont su se détacher des défilés qui se produisaient dans les années 50, pour se tourner vers des présentations résolument nouvelles. Paco Rabanne sera un des premiers créateurs à concevoir une pièce importable sans visée économique, présenté dans une mise en scène particulière dans les salons Georges V (lieu toutefois habituel pour ce type d’événement), sur le son du Marteau sans maître de Pierre Boulez s’accompagnant de l’écho de la salle. En 1966, il réitère lorsqu’il choisit de présenter sa nouvelle collection dans un lieu alors encore inédit dans le monde des défilés, qui 1 BEAUJARD, Gilles, Showtime : le défilé de mode, Paris, Association Paris – Musées, 2006, 300 pages, p.116
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«Douze robes importables en matériaux contemporains», première collection de Paco Rabanne, présentée à l’hôtel George V, Paris, 1er Février 1996, © Archives France-soir
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n’est autre que le Crazy Horse Saloon. C’est dans ce lieu sulfureux avec la présence de ses artistes que Paco Rabanne présente au public ses nouvelles, où les mannequins conserveront bien évidemment leur déhanchés ainsi que leur art de divertir. D’autres couturiers, tel que Jacques Esterel proposera dans les années 60 des défilés presque anticonformistes pour l’époque. Notamment, en 1964 lorsqu’il présente sa nouvelle collection aux studios de Cinéma de Saint-Maurice, avec des décors invitant au voyage et en reprenant la technicité cinématographique. C’est alors que le défilé rentre petit à petit dans le domaine du spectacle, du divertissement et du show : la mode veut dorénavant éblouir dans sa représentation. Ainsi, de nombreux acteurs nouveaux vont prendre place dans ces évènements, que ce soit sous les projecteurs ou dans l’ombre. Désormais, chaque élément constitutif du défilé est pensé et réalisé par le corps de métier lui correspondant et le podium n’est plus seulement foulé par des mannequins, mais aussi des acteurs, des danseurs, des jongleurs etc. Les marques veulent maintenant s’approprier les lieux accueillant les défilés, mais également les décors, les lumières, les jeux et le son. Ces éléments seront notamment très marqués dans les années 80, et annoncent les prémices d’une porosité entre les différents domaines. Le cinéaste et artiste peintre William Klein désignera même le défilé comme une œuvre d’art cinétique dans son film Qui êtes-vous Polly Maggoo ? et qui annoncera même avant l’heure, l’arrivée du couturier démiurge.
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Donyale Luna dans Qui êtes-vous Polly Maggoo ?, William Klein, 1966
Défilé Christian Dior Haute Couture Printemps Eté 2014, inspiration du film de William Klein : Qui êtes vous Polly Maggoo ?, collection dessinée par Raf Simons, conception scénographique par Bureau Betak, Janvier 2014
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Défilé Kenzo, 1er Janvier 1976 © Pierre Vauthey
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B - Le défilé, un changement de genre, un changement de dimension Bien que les défilés des années 60 et 70 ont vu naître de nouveaux corps de métiers et seront systématiquement accompagnés de musique voire de danse, ils ne disposaient toutefois pas de mise en scène. Ce sera le couturier Kenzo Takada qui lancera les premiers défilés à mise en scène dans les années 70, premier créateur à concevoir véritablement le défilé comme un évènement festif. Il faudra toutefois attendre les années 80 pour qu’une confirmation de l’identité et la personnalité démiurge des créateurs de mode apparaisse. Cette décennie se marque alors par des présentations comme éléments élaborateurs de l’image singulière des couturiers, qui existent au sein d’une marque mais aussi en tant qu’être individuel qui doit avoir sa propre patte. Le défilé dévoile maintenant la personnalité, l’imaginaire et la singularité du couturier, comme l’esprit et le message de la collection qu’il tente de transmettre. Les présentations vont alors perdre leur image de « séance de travail »1 pour se tourner vers le domaine du spectacle des arts vivants. C’est donc durant cette décennie que les défilés vont prendre de plus en plus d’ampleur de par leur succès, phénomène qui amènera une multiplication des présentations. En effet, en 1989, on trouve déjà une présence de 239 défilés inscrits à Paris pour une seule session. Les défilés veulent dorénavant se montrer, être originaux, être spectaculaire afin d’impressionner le spectateur et de développer un imaginaire. Dans le domaine de la scénographie, c’est les années 80 qui désignent bien sa décennie charnière, où choix du lieu, décors, chorégraphies, déambulation, son et mise en lumière sont tous conçus, imaginés et réfléchis de manière à transmettre un message au spectateur. Que cette communication soit commerciale, artistique, historique, philosophique ou politique, le défilé a dorénavant pour but de conter une histoire précise. Chaque élément constitutif de la scénographie d’un défilé, devient alors une réflexion presque aussi importante que celle de la collection en elle-même, on ne va plus seulement à un défilé pour voir une nouvelle collection, mais pour voir le défilé en lui-même. D’ailleurs, lors des différentes interviews suivant ces présentations dans les années 80, le public évoquera davantage l’atmosphère et l’ambiance générale avec tous les éléments qui la constitue que la collection ellemême. La mode va donc très rapidement prendre une nouvelle dimension. Toutefois, cette nouvelle dimension va faire naître un paradoxe. Si l’on affirme très souvent que la mode est à la mode et que le défilé représente la consécration ultime de l’expression de la collection et de son créateur, où toutes ses créations prennent sens par sa présence, son public destinataire en est presque totalement exclu. En effet, si l’on regarde la liste d’invités à ces évènements, on y 1 BEAUJARD, Gilles, Showtime : le défilé de mode, Paris, Association Paris – Musées, 2006, 300 pages, p.168
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trouvera essentiellement des professionnels (acheteurs, presse, célébrités…). C’est alors que le reste du public n’a accès à ces présentations que par des comptes rendus, des photos ou des vidéos. Certains créateurs vont donc tenter de se détacher de ces formes de représentations, pour les ouvrir à un maximum de public. Le couturier Thierry Mugler sera notamment un des premiers à pleinement assumer le statut du défilé comme réel spectacle en réalisant des super productions. En 1986, il proposera des défilés à plus de 6000 spectateurs au Zénith de Paris, avec des billets achetables chez la Fnac, au même titre que n’importe quel concert, show ou représentation. En 1988 et en 1998, Yves Saint Laurent l’accompagnera en présentant une de ses collections d’abord au parc de la couronne avec une présence de 40 000 militants communistes, puis au stade de France pour la finale de coupe du monde, avec pas moins de 80 000 spectateurs. C’est toutefois le scénographe Olivier Massart (président de l’agence La Mode en Image) qui détiendra le record place du Trocadéro, avec un défilé rassemblant une quarantaine de couturiers et près de 300 000 spectateurs. Tous ces évènements marquent réellement l’effervescence et l’engouement qui existait dès les années 80 des défilés qui présentaient alors une « capacité à se muer en spectacle populaire »2.
Défilé Public Thierry Mugler, Automne-Hiver 1984/1985 au Zénith de Paris © Daniel Simon
2 BEAUJARD, Gilles, Showtime : le défilé de mode, Paris, Association Paris – Musées, 2006, 300 pages, p.169
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Défilé Yves Saint Laurent au Stade de France lors du mondial de football de1998, © Olivier Massart / La Mode en image
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Collection Yves Saint Laurent aux inspirations franches du style durant les années d’occupation ©Archives Musée Saint Laurent
Défilé Jean-Paul Gauthier, Octobre 1989, Nonnes apparaissent sur le podium par des plateaux tournants © Iconographie Showtime : le défilé de la mode
Défilé Dries Van Noten, Printemps-Eté 2005 © Marcio Madeira
Défilé Walter Van Beirgendonck, Printemps-Eté 1997 © Archives W.&.L.T.
Bien qu’ils se montrent rares, naît en parallèle les défilés à visée politique dès les années 70, notamment lors du défilé d’Yves Saint Laurent en 1971 qui reprit la silhouette durant le temps d’occupation. Défilé qui fut réellement scandale à l’époque, il marque un réel tournant dans la conception de ces derniers, qui démontrèrent qu’avec un vêtement, pouvait s’écrire un roman, un opéra, une histoire comme un pamphlet. Avec l’arrivée de couturiers tel que Jean Paul Gauthier, le défilé est conçu comme une performance artistique. Cette relation à l’art a notamment été extrêmement développée par des couturiers Belges comme Martin Margiela, Dries Van Noten ou encore Van Beirendonck3 . Créateurs qui ont sû développer l’image de l’inattendu dans les présentations par la sélection de leur lieux incongrus qui s’accompagnaient de scénarios innovants. On pense notamment au défilé de Dries Van Noten qui portera une grande attention à l’arrivée et à l’accueil du spectateur. Il tente de troubler la limite entre l’espace prédestiné au spectacle, à l’attente et au public afin de créer un seuil perméable, où chaque espace habituellement réservé à des usages précis est réinventé. Dès l’arrivée du spectateur, lui est offert une soupe, un fruit, des frites en cornet, des pommes d’amour et une barba papa afin de lui souhaiter la bienvenue. C’est alors que chaque invité n’est plus seulement convié à observer le spectacle mais aussi à apprécier un grand repas festif tous ensemble autour d’une grande table. Après quelques instants, celle-ci se transforme finalement en podium de la présentation du 50ème défilé du couturier. Ici, le rapport entre mannequins/collection et spectateur est mouvant. Le défilé ne se veut plus dans un rapport binaire entre le regardant et le regardé mais où la convivialité est mise à l’honneur, comme une grande représentation presque familiale. Le défilé de Walter Van Beirendonck pour sa marque W. & L.T. vise en 1996 quant à lui non pas la convivialité et l’hospitalité mais plutôt à l’abondance, l’extravagance et le monumental. En effet, pour sa collection Printemps-Eté 1997, il utilisera comme espace scénique non pas une scène, mais bien deux, avec l’emploi de deux salles de théâtre différentes (Le Trianon et l’Elysée Montmartre). Ces deux théâtres se juxtaposent et caractériseront drastiquement le défilé du créateur. L’évènement habituellement exclu du public vient brouiller ses barrières et ses limites avec le privé. Lorsque le mannequin passe de la scène du Trianon à la scène de l’Elysée Montmartre, il vient grignoter l’espace public en foulant les trottoirs remplis de photographes et d’un public initialement non convié à pénétrer les lieux. C’est ainsi qu’un évènement normalement réservé exclusivement aux personnes munis d’une invitation est offert au quartier et à ses habitants.
3 BEAUJARD, Gilles, Showtime : le défilé de mode, Paris, Association Paris – Musées, 2006, 300 pages, p.169
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Martin Margiela, Défilé Happening S/S 89, Octobre 1989, Squat du XXème arrondissement de Paris © Jean-Claude Couteausse
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Défilé Viktor & Rolf, Automne-Hiver 2002 © Pierre Vardy
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Le couple néerlandais Viktor & Rolf a quant à lui introduit l’émergence du défilé performance comme une fin en soi, avec des présentations en lien direct avec les arts contemporains. Ils se préoccupaient plus du message qu’allait véhiculer leurs pièces mises en scène par le défilé, avant même la commercialisation de leurs modèles. Le défilé devient alors une image conceptuelle avec une stratégie de communication propre à son domaine. En Automne 2002, ils feront notamment un défilé présentant des pièces essentiellement bleues, qui leur permettront de jouer avec cette monochromie afin de réaliser une mise en scène innovante, créant une atmosphère entre l’irréel et le virtuel. En même temps que se déroule le défilé, chaque mannequin est projeté sur trois écrans différents, où la couleur bleue va en réalité servir à projeter des images ajoutées via des effets spéciaux. L’habit est ici conçu non plus seulement pour vêtir le corps mais comme support d’une image qui la transcende. Viktor & Rolf tentent de montrer que la couture peut dépasser son entendement commercial et pragmatique pour véhiculer un message artistique et politique. John Galliano, image caricaturale du créateur démiurge après ses défilés éponymes, va réinterpréter ces évènements parmi les nombreuses maisons avec qui il collaborera et ainsi transformera considérablement l’image et la structure-même des défilés de Haute Couture. En effet, si le prêt-à-porter est parvenu très rapidement à se détacher des coutumes et des traditions, la Haute couture appartenant à un savoir-faire et une classe particulière présentait alors des défilés assez similaires de ceux des années 50. C’est au sein de la maison Dior qu’il mettra en place des shows intégrant de grandes dramaturgies élaborées dont la production se rapprochera très fortement de ceux utilisés dans le milieu cinématographique. Dans le défilé 1998 Haute couture, il transformera les quais de la Gare d’Austerlitz en souk en y ajoutant un décor de sable sur les bords du quai, proposant un voyage à ses spectateurs au bord du « Diorient Express ». De manière sous-jacente, qu’il soit publicitaire ou artistique, John Galliano montre que le défilé transmet un message et conte un récit à son spectateur. Il n’est ici plus question de seulement présenter une collection mais d’offrir une émotion, un enthousiasme à son spectateur.
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Défilé Hussein Chalayan Intitulé «Echoform», Automne-Hiver 1999-2000 © Archives Conde Nast
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HAUT - Défilé Comme des Garçons (Rei Kawakubo), Printemps-Eté 1997 © Archives Condé Nast
HAUT - Défilé Comme des Garçons (Rei Kawakubo), Printemps-Eté 1997 © Archives Condé Nast
BAS - Défilé Martin Margiela, Printemps-Eté 1989 © Raf Coolen
BAS - Défilé Martin Margiela, Printemps-Eté 1989 © Marina Faust
C’est ainsi que les années 90 s’empareront de l’image du défilé comme moyen de communication artistique, afin de transmettre des messages forts et provocateurs, propre aux aspirations et aux désirs des couturiers, que ce soit par la mise en avant de la couture comme de la scénographie. Le créateur japonais Rei Kawakubo lors de son défilé en octobre 1996 proposera un message comme contestation politique, contre le recours à la chirurgie esthétique et l’uniformité des corps. Hussein Chalayan remettra en question quant à lui la place du Tchador lors du défilé Spring Summer 1998 à l’aide de mannequins nus aux visages voilés. En terme de provocation, on pensera également au premier défilé de Martin Margiela en 1984 qui, pour lancer sa marque réalisera une scénographie sanglante où sera lancée sa chaussure « Tabi » fendue en deux sur le devant rappelant le sabot animal, qui deviendra aussitôt une de ses signatures. Alors que la salle est baignée d’une lumière rouge intense, les mannequins pénètrent les lieux en défilant sur un draps blanc immaculé alors que leurs semelles sont imprégnées de peinture rouge. Le sol montre alors le passage sanglant d’empreintes dont on ne saurait reconnaître l’origine. Défilé remettant en cause le naturalia et l’identité, mais pouvant tout aussi être interprétée comme une dénonciation de la maltraitance animale. Finalement, des créateurs atypiques aux personnalités complexes tel que le designer Alexander McQueen, proposeront des défilés qui soulèveront de nombreux scandales par leur interprétations très personnelles du couturier à la vision particulièrement sombre. Par exemple, le défile intitulé The Highland Rape en 1995 sera énormément dénoncé comme une glamourisation de la violence et du viol car présentait des pièces complètements déchirées au niveau de la poitrine et de l’entrejambe, tout en étant tâchées de sang, sur des mannequins semblant à la fois épuisés, terrorisés, conquérants et effrayants. Alors que le créateur annoncera par la suite qu’il avait pour but de dénoncer le « viol de l’Écosse à l’Angleterre ». Une des forces de la narration qu’il offre est qu’il propose une lecture de ce show par l’imbrication de sa couture avec une scénographie et une gestuelle forte qui mène à différentes interprétations selon le code que nous décidons d’établir. Il présente à ses spectateurs un défilé signifiant la domination politique de l’Angleterre non pas par le conte littéral de son histoire mais par la narration d’une autre. C’est alors que la dramaturgie va prendre une grand part dans ses défilés, notamment dans celui de Printemps 2004 inspiré du film de 1969 They Shoot Horses Don’t They de Sydney Pollack . Au sein du salon Wagram, il se propose ici de conter l’histoire d’une trentaine de couple en compétition dans un marathon de danse durant la Grande Dépression. La salle Wagram, un espace caractéristique du Style Empire français et représentatif de l’opulence du pays avec ses planchers de bois, devient le berceau d’une critique sociale où sont présentés des acteurs/mannequins dansant jusqu’à l’épuisement afin de pouvoir remporter un prix qui leur permettrait de sortir de leur situation économique critique. Entre mode, danse, cinéma et théâtre, au travers de toutes ses scénographie, McQueen dénonce, choque, critique et scandalise les foules avec des visuels provocateurs et des messages toujours doubles, cachés l’un dans l’autre. 37
Défilé Alexander McQueen, Printemps-Eté 2004 © Marcio Madeira
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Défilé Hussein Chalayan, Automne-Hiver 2000/2001 où le mobilier est transformé en vêtement © JB Villareal / Shoot Digital
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A l’origine, le défilé a une visée purement commerciale, se montrant comme le moyen de représentation principale de l’image de la marque. Toutefois, c’est au travers des décennies que nous pouvons observer une réelle évolution de celle-ci. En effet, on trouve une mise en scène de plus en plus travaillée, s’accompagnant de budget de plus en plus conséquents, dans une forme toujours plus spectaculaire. Chaque collection dispose d’un esprit et d’une histoire que conte le couturier, retranscrit par le scénographe qui le met en scène. Aujourd’hui, un défilé haut de gamme coûte en moyenne entre ½ et 1 million d’euros (pouvant aller jusqu’à 3 ou 4 millions selon son ampleur). De plus, les défilés d’aujourd’hui sont considérablement raccourcis. En effet, au début du XXème siècle, la durée d’un défilé pouvait aller jusqu’à 3 heures : durée qui fut réduite à 1 heure dans les années 50, contre une quinzaine de minutes à ce jour. Si autrefois le défilé se contentait d’une certaine mise en valeur du produit, cette mise en valeur a évolué en même temps que sa mise en scène. On trouve dorénavant une mise en valeur d’un ensemble d’éléments (lieu, musique, éclairage, casting, scénographie, coiffure, produits etc.), considérés comme un tout afin de produire une atmosphère particulière et de raconter une histoire dont la visée est de renforcer l’image d’une collection et de la marque, libre d’interprétation par chacun. En affirmant un parti pris et une singularité, le défilé véhicule une atmosphère unique et éphémère dont le but est de transmettre un message. Qu’il soit commercial, identitaire, étrange, futuriste, ou artistique, le défilé se présente comme un lien entre le couturier, ses créations et ses clients, permettant de conter et de montrer une histoire particulière et propre à la marque lors d’un spectacle aux allures théâtrales. En vue de l’évolution qu’a présenté la scénographie des défilés de mode, on peut apercevoir un vrillement dans la perception et la vision de la mode qui fera émerger deux écoles : celle d’un défilé intimiste comme transmission simple, commerciale et publicitaire de sa collection, et celle d’un défilé fort et spectaculaire aux messages plus complexes. On pourra alors se demander si les signes employés par le défilé peuvent s’assimiler à ceux présents au théâtre. Bien qu’il n’est aucune base dramaturgique, la scénographie ne se base non pas sur un texte, mais sur une collection et une histoire contée par le couturier. Le scénographe, en tentant de retranscrire une émotion ou une intention, passe par des sous-systèmes similaires du théâtre à savoir le décor, le geste, la musique, l’éclairage etc. Il semblerait toutefois que l’imbrication et le dialogue de ces systèmes ne s’opère pas de la même manière au défilé qu’au théâtre. Pour autant, le défilé passe-t-il par l’investissement du signe théâtral pour véhiculer une narration ? Est-il parvenu à créer au travers des décennies une sémiologie qui lui serait propre ? Comment cette interdépendance de ces sous-systèmes s’opère dans le défilé, en comparaison à l’interconnexion de ces signes qui s’opère au théâtre ? Est-ce cette transposition de la forme théâtrale qui permet en partie cette séduction massive ? Il s’agirait alors dans un premier temps d’établir les rapports de séduction que la mode opère dans notre rapport au corps, à la société et au monde, pour ensuite basculer vers une analyse des signes de défilés sélectionnés afin d’appuyer cette intuition ou de la défaire. 40
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C - L’éblouissement de la mode Depuis la nuit des temps, l’art de séduire peut être assimilé à un jeu théâtralisé dans lequel chacun tente d’apparaître à son avantage afin d’attirer autrui. La mise en scène du corps a toujours fait partie intégrante du domaine de la séduction, que ce soit à travers l’histoire, mais aussi au travers des arts, que le théâtre saura notamment réinvestir. Dans un spectacle d’artifices et de paraître (sur scène comme dans le public), chaque acteur du théâtre participe à une séduction généralisée et parfois même idolâtrée. En parallèle, depuis le Moyen-Age, l’avènement de la mode a permis une évolution dans le domaine des formes esthétiques. Mais c’est bel est bien à la Renaissance que va naître une chorégraphie de la séduction au travers de ce système des apparences de la mode, notamment présent au théâtre. Si cette chorégraphie s’installait principalement dans ce domaine au niveau des styles de vie et de la politique dans une logique du paraître, elle se montre aujourd’hui sous un nouveau regard innovant qui constitue un véritable renouvellement dans l’histoire de la séduction. La mode peut se décrire comme un moment phare dans la déconstruction de la séduction première qui se montrait alors coutumière. A l’aide d’une séduction individualiste, elle a historiquement permis à la « scénographie de la séduction [de devenir] structurellement moderne »1. Au travers de la sociologie, de la communication et du marketing, la mode est un des milieux utilisant comme caractéristique essentielle de séduction : la nouveauté. Depuis Freud, le nouveau est connu comme un élément de séduction majeur de notre société. A l’heure du défilé qui se doit d’imposer une tendance qui sera aussitôt remplacée par une autre, c’est bien la nouveauté qui donne le rythme aux marques. Au XXIème siècle, le nouveau est devenu omniprésent. Que ce soit dans l’objet d’un défilé ou dans son écrin, la règle est au changement et l’exception, la constance. De saison en saison, de pays en pays, au creux d’une seule et même année, la mode est changeante, versatile, capricieuse. Dans notre société d’hyperconsommation où la mode est un des plus gros marchés de la planète, c’est bien les défilés de mode (présageant les tendances un an à l’avance) qui annoncent le pas. Ils se positionnent comme un refus de l’héritage ou dans une réinvention de celui-ci, afin de montrer un présent glorieux et magnifié. Le charme de ces défilés réside dans leur nouveauté, dans leur spectaculaire et dans leur luxe. Le défi séduisant des pièces et de leur scénographie n’est autre que son imprévisibilité qui coïncide avec l’invention de la séduction mouvement2 (instantanée comme au fil des mois). Le mouvement ne concerne pas seulement les vêtements présentés, mais également le changement du rapport à soi, la mode permettant de jouer avec ses apparences dans une logique de plaisir individualiste de renouvellement. 1 LIPOVETSKY, Gilles, Plaire et toucher, Chapitre 1, L’enchantement de la mode, Paris, 2017, p.193 2 Ibid, p. 195
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Défilé Comme des Garçons (Rei Kawakubo), Printemps-Eté 1997 © Archives Condé Nast
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Défilé Alexander McQueen, Automne-Hiver 2009 © La Mode en Image
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En effet, la mode peut être considérée comme un «remodelage hypotrophique»3 du corps humain. Pour tout un chacun, la mode montre un corps vêtu d’artifice et de faste, qu’on le veuille ou non. Elle se concentre sur le remodelage d’une silhouette pour la magnifier, ou en faire un acte nouveau et libérateur. « Le corps de mode apparaît comme une sorte de fiction : sa séduction repose sur la magie de l’irréel que dégage son spectacle »4, à la différence du vêtement de tradition et de coutume qui lui repose sur une norme, des nécessités symboliques ou utilitaires et des formes décoratives. C’est alors que la mode se détache de tout sens : elle est arbitraire, dans un pur jeu esthétique de séduction et de plaisir. C’est pourquoi la mode est un domaine trop souvent perçu seulement par ses ouvrages journalistiques et est intellectuellement dénoncé comme un vil démon, car est fondamentalement frivole et superficielle. Mais ce sont bien ces traits qui la rendent attrayante et qui font qu’elle est adulée et pratiquée par un grand nombre : nous sommes dans « l’abolition du sens s’effectuant dans un excès de gratuité esthétique »5. C’est alors ici que se pose la question du rapport à la scénographie, qui elle n’existe fondamentalement que pour donner du sens. Dans un monde aujourd’hui où tout se doit de se justifier pour se donner valeur, est ce que la mode investit dans ces grandes représentations pour se donner une forme de légitimité ? Ou va-t-elle au-delà, dans l’hypothèse où la couture pourrait potentiellement avoir du sens en elle-même ? Ou serait-ce la scénographie seule qui met ce sens en éveil ? Les défilés montrent-ils seulement une mode gratuite ayant pour but principal son rapport au plaisir (outre le fait pragmatique de se vêtir) ? Ou offre-t-il également pour un nombre restreint de couturiers, une mode qui se veut comme dénonciatrice, dramatique et éloquente ? Si ceci est le cas, la mode à elle seule pourrait-elle raconter une histoire à un si grand nombre de spectateurs si le défilé n’avait pas lieu ? L’un des attraits premiers de la mode est le travail sur les apparences qu’elle apporte. Où le corps est lui-même scénographié pour conter une histoire, que ce soit la nôtre ou non. Ici la mode donne le plaisir à l’homme d’offrir manifestement un spectacle de son être unique. C’est alors que la culture de l’originalité est née, où l’on tente de se différencier de l’autre pour exister singulièrement au monde, dans une mise en scène de soi : établissant alors la séduction individualiste qu’existe aujourd’hui dans nos sociétés contemporaines occidentales.
3 LIPOVETSKY, Gilles, Plaire et toucher, Chapitre 1, L’enchantement de la mode, Paris, 2017, p.197 4 Ibid, p.197 5 Ibid, p.198
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Dès la fin du Moyen Âge, la mode rentre dans une logique d’individualisation et de démonstration de classe. On ne veut pas seulement plaire mais se différencier socialement et afficher un statut social et économique. Aujourd’hui, ce modèle n’en est plus la raison centrale car l’homme tente dorénavant de montrer sa personnalité et son identité individuelle plutôt que d’exposer ses richesses. Nous ne sommes plus dans une culture économique hiérarchique mais plutôt dans une culture de la personnalisation, ayant pour conséquence une intensification du rapport individuel entre mode et séduction. Désormais, on achète une pièce parce qu’elle nous va et qu’elle nous met en valeur, plutôt que parce que c’est simplement à la mode. Nous sommes plus majoritairement dans un rapport de distinction sociale mais de séduction de l’autre et de séduction de soi : « Les gens n’ont plus envie d’être élégants, ils veulent séduire »6 (Yves Saint Laurent). A l’inverse, on trouve depuis quelques décennies une tendance inverse où certaines modes s’inscrivent délibérément dans une logique d’anti-séduction. C’est alors que l’on trouve des créateurs comme Rei Kawabuko, Alexander McQueen ou encore Martin Margiela, pour qui la mode ne devait pas signifier la sexualisation du paraître, ni représenter quelconque élégance ou séduction. Ce sont des courants qui tendent plutôt vers un anticonformisme dans le but de choquer, provoquer, dans une époque marquée par l’émancipation des signes sexuels et le corps libéré. En ce sens, ce refus de la séduction montre réellement à quel point cette systémique de séduction s’est étendue et banalisée dans tout le corps social. On trouvera parallèlement un engouement certain pour les mannequins, entre ce qu’elles représenteront et le désir qu’elles susciteront. Désormais, on ne désire plus seulement voir un vêtement, mais nous voulons le voir en mouvement. Symboliquement, l’image du mannequin est très forte, ancrée dans une esthétique moderniste : « à la fois identiques et multiples »7. Bien que le mannequin a su évolué au cours des décennies, à l’origine, les mannequins portaient tous la même gaine noire sous leurs vêtements afin de différencier clientèle et mannequins, pratique conservée jusqu’en 1907. En effet, il s’agissait pour les créateurs de créer des doubles esthétiques de leur clientèle, tout en les distinguant. La clientèle devait se reconnaître dans le mannequin tout en sachant la place de chacun. Effet miroir de l’uniformité et de la multiplicité, identique en terme d’esthétique, opposés en terme de condition sociale. Cette distanciation tendra à disparaître avec le temps, dans une démarche naturaliste, où le créateur ne voudra plus différencier le mannequin de sa clientèle. On le trouvera notamment dans le défilé Printemps/Eté 2002 d’Imitation of Christ, où les mannequins jouaient le rôle du public. De ce fait, pendant très longtemps, il sera d’avantage question d’uniformité presque militaire des mannequins plus que d’une représentation. L’origine du terme mannequin provient du mannequin en osier employé au XIXème siècle, alors utilisé pour présenter les créations du designer. On 6 SAINT LAURENT, Yves, Cité par Claude Cézan, La mode, phénomène urbain. Entretien avec Annie Baumel, Marc Bohan, Primerose Bordier, André Bourin…, Toulouse, Privat, 1967, p. 130 7 BEAUJARD, Gilles, Showtime : le défilé de mode, Paris, Association Paris – Musées, 2006, 300 pages, p.72
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Défilé Chanel 1960, Paris © Getty Image
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trouve alors une symbolique forte où le mannequin remplace un objet pour finalement presque devenir un objet vivant mouvant. De ce fait, très rapidement dès 1902, la place du mannequin fut questionné, dans sa logique de robotisation, de « sourire industriel »8 et de simple rouage d’une machine consommatrice. Au fil des années, ce sera la présence des mannequins qui suscitera l’écriture de nombreux écrivains, poètes ou philosophes et pas forcément le défilé en lui-même. C’est alors que la place du mannequin sera requestionnée à de nombreuses reprises, où certains créateurs tenteront alors de se détacher de cette vision du mannequinat, qui persiste encore en 2019. Avec la naissance des classes sociales au sein d’une même société, a vu s’établir une séduction hyperbolique. Une forme de haute galanterie est née, avec une intellectualisation de la pratique de plaire, notamment en direction des hommes les plus fortunés et haut placés dans la société. Un art particulier, déterminé pour attirer une élite précise, raffiné pour la haute société et stylisé jusqu’au moindre geste et parole. C’est pourquoi on trouve dans les sociétés humaines des sortes de déesses vivantes de l’amour et de la beauté, tellement séduisantes qu’elles ont su dominé l’homme par leur seul paraître. Cette forme de séduction a su alors permettre aux femmes, d’être socialement célébrées et adulées. On trouve notamment les Hétaïres, les courtisanes, les Geïshas, et dans les sociétés occidentales modernes, les stars, représentant la forme la plus adulée et idolâtrée. Accompagnées d’une équipe professionnelle de la beauté, la naissance des stars a démarré dans les années 19109 avec le cinéma, où se présente une séduction réalisée à partir d’une beauté «sur-naturalisée»10. Ainsi, rien n’est laissé au hasard : maquilleurs, photographes, coiffeurs, chirurgiens plastiques, nutritionnistes etc. ont pour tâche de séduire les masses au moyens « d’artialisation totale de l’être humain »11 . C’est alors que des centaines de millions de personnes sont fascinés par une même figure, celle « d’image-personne »12 possédant un pouvoir appuyé par une diffusion de masse, de même qu’un moyen de distribution passant par l’image, permettant d’intensifier son pouvoir d’attrait. La société ne se trouve donc plus séduite par la rencontre physique mais par l’image mass-médiatisée, travaillée et sublimée. Cette forme de séduction se montre alors d’autant plus puissante que les admirateurs ne connaissent pas la star en question : tout n’est que représentation et image. C’est alors que sont collectionnées ces images-là, afin de les imiter. Cependant, ce mimétisme s’accompagne également par la copie des valeurs et de la philosophie de vie des idoles. Ainsi, ce sont des personnes au pouvoir de séduction tel qu’ils ont su faire rêver aussi bien femme qu’homme. Ici, peu importe l’attrait physique érotique 8 ROGER MILES, Léon, Les Créateurs de la mode, Paris, 1910, p.60 9 LIPOVETSKY, Gilles, Plaire et toucher, Chapitre 1, La Star et le glamour, Paris, 2017, p.49 10 BAUDELAIRE, Charles, Curiosités esthétiques, l’art romantique et autres œuvres critiques, Paris, Éditions Garnier Frères, 1962,956 pages 11 LIPOVETSKY, Gilles, Plaire et toucher, Chapitre 1, La Star et le glamour, Paris, 2017, p.49 12 LENAIN, Thierry, L’idole dans l’imaginaire occidental, Paris, Budapest, Turin, L’Harmattan, 2005
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pour un genre particulier : la société imite, fantasme, se rend hystérique par le pouvoir de ces « images-personnes ». Si l’éclat et la beauté prennent une part prépondérante au succès séducteur de ces stars, leur personnalité médiatique rentre également dans la partie. Le « capital de visibilité »13 de ces personnes est donc aussi dû à leur capital économique et sexuel : on désir leur vie luxueuse, leur vie professionnelle, leur vie amoureuse. Nous envions également leur statut de célébrité qui prend part dans leur capital de séduction : la star nous séduit nous car séduit la société dans laquelle nous vivons. C’est alors qu’un parallèle avec l’univers des défilés de mode peut être réalisé. En effet, ces évènements regardé par tous, mais célébré qu’entre élites, se composent visuellement presqu’entièrement de stars. En effet, les défilés, bien que composés d’équipes très diversifiées, sont relayés en masse par l’image qu’elles offrent à leurs spectateurs. Si nous avons bien plus souvent l’occasion d’apercevoir les derrières de la scène au théâtre, le domaine de la mode n’en est pas (encore ?) arrivé à ce point. Le défilé de mode, représentant un évènement dans l’événement, est un spectacle exclusif dont seule une élite sélectionnée avec soin et attention, à l’opportunité de pouvoir y assister. De par cette exclusivité, il devient ainsi par son existence seule, un lieu envié et fantasmé. Historiquement, ces défilés étaient encore plus fermés qu’aujourd’hui, et se composaient seulement de mannequins et des tenues qui se présentaient uniquement à la presse et à la clientèle. Aujourd’hui, la présentation d’une collection devient un réel spectacle où l’enjeu est d’impressionner pour faire fantasmer. Si l’enjeu premier pour une grande majorité des défilés est de vendre, cette assimilation se réalise réellement par l’adulation liée à la séduction du nouveau, de l’ascension social mais aussi aux buzzs et aux tendances. Le but étant de créer des images travaillée, sublimée et partagée. Ici, c’est le défilé qui devient star dans un système de mise en abyme perpétuelle : un évènement dans un évènement, une star (le show) dans une star (le créateur) dans des stars (les mannequins).
13 HEINICH, Nathalie, De la visibilité. Excellence et singularité en régime médiatique, op. cit. p.369-373
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« Le beau est toujours bizarre. Je ne veux pas dire qu’il soit volontairement, froidement bizarre, car dans ce cas il serait un monstre sorti des rails de la vie. Je dis qu’il contient toujours un peu de bizarrerie, de bizarrerie naïve. » Charles Baudelaire, Les Curiosités Esthétiques
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PRÉSENTATION DU CORPUS
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ALEXANDER MCQUEEN, P
26 SEPTEMBRE 2000 52
PRINTEMPS/ETÉ 2001, RTW
GATLIFF ROAD WAREHOUSE, LONDRES 53
GRILLE Etrange Etrange
Maladie// Folie Folie Maladie
D ’ A N A LY S E Oppression / Destruction Oppression / Destruction
Peur Peur / Désir / Désir
Folie / Folie Raison/ Raison
Mort / VieMort / Vie
VOSS, Alexander McQueen, S/S 2001 RTW
VOSS, Alexander McQueen, S/S 2001 RTW
Signifiant s
Signifiant s
Signifiés
Signifiés
Boîte opaque et salie
BoîteMurs opaque et salie matelassés Carrelage blanc
Murs matelassés Miroirs /Carrelage Vitres (refletblanc et non reflet) Vitre/pour les (reflet spectateurs Miroirs Vitres et nondevant reflet) miroir et inversement (système auto-
Décor
Décor
Vitre pour les spectateurs réflexif) devant miroir et inversement (système autoFemme (Michelle Olley) portant un masque dôtéréflexif) d'ailes suréalistes, Femme (Michelle Olley) portant un Méridienne à base de cornes masque dôté d'ailes suréalistes, Vieux draps/tissus Méridienne à base deusés cornes Miroir pour spectateur à la fin
Vieux draps/tissus usés
Retour de la vitre Noir complet dans laàboîte Miroir pour spectateur la fin Noir complet dans la salle
Retour de la vitre Noir complet dans la boîte Lumière bleue Noir complet dans la salle
Lumière LED blanche apparente
complet Lumière LED Noir blanche apparente Eclairage
Eclairage à l'intérieur de la boîte Lumière bleue opaque
Noir complet Respiration de la lumière
Eclairage
Eclairage à l'intérieur de la boîte opaque Eclairage blanc complet (intérieur des deux boîtes) Mise au noir dede la boîte intérieure Respiration la lumière Mise au noir progressive de la grande boîte(intérieur Eclairage blanc complet Pleine pour final deslumière deux boîtes) Bandages autour du crâne
Mise au noir de la boîte intérieure Accumlation et insectes Mise au noir Papillons progressive de la (dans un intérieur) grande boîte Pleine lumière pour final Bandages autour du crâne Accessoire Tubes médicaux relié à un masque
Accumlation Papillons et insectes (dans un intérieur) Masque à gaz disposant d'ailes
Accessoire
Gestualité
Tubes médicaux à un masque Marcherelié déterminée Marche abbatue Marche hasardeuse Marche langoureuse MasqueMarche à gaz disposant d'ailes déboussolée Destruction du vêtement (robe Marche déterminée couteaux de mer) Destruction de la jupe moule Marche abbatue Femme met dans sa bouche le Marche hasardeuse collier perlé tranchant Marche langoureuse FemmeMarche allongéedéboussolée sur une méridienne
Gestualité
Mimique
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Destruction du vêtement (robe Observation prolongée du public couteaux de mer) Destruction de/laHystérie jupe moule Folie Femme met dans sa Enjoleurbouche le collier perlé Joie /tranchant Rire Indifférence Femme allongée sur une méridienne Etrange
Observation prolongée du public
Salle d'hopital psychiatrique Salle d'hopital
Connot at ion
Connot at ion
Forme non lisible et mystérieuse Forme non lisible et L a f o l i emystérieuse i n ter n é e
Voyeurisme L a f oli e i n ter n é e Reflet des mannequis psychiatrique observés par les spectateurs Voyeurisme Système auto-réflexif autour Reflet des mannequis à l'aide d'une vitre sans de son image, son identité et observés par tainles spectateurs Système autour de la auto-réflexif mode à l'aide d'une vitre sans
de son image, son identité et
Représention de l'être sans de pensant) . la mode ego (comme sujet Photographie de Joel Peter Interrogations sur l'identités . Représention de l'être sans Witkin Corps devient décor ego (comme sujetetpensant) . Photographie de Joel Peter source de réflexions . Interrogations sur l'identités .
tain
Witkin
Les spectateurs ne voient Mise en Corps relationdevient entre la décor folie et plus les mannequins qui d'autrui source et celle de queréflexions . nous percevaient leur reflet, mais portons tous en nous spectateurs Mise en relation entre la folie La Les lumière est éteinteneetvoient où plus les nous mannequins d'autrui et celle que nous la vision est ôtée qui percevaient reflet, tousetendenous L'action se leur passe en mais Imagerieportons de l'hopital La lumière est éteinte et où intérieur l'espace asceptisé
la vision nous est ôtée La lumière est éteinte et où L'action se passe en la vision nous est ôtée intérieur
La lumière est éteinte et où En relation avec le bruit, la la vision estavec ôtée lumière semblenous opérer un être vivant
Imagerie de l'hopital et de l'espace asceptisé Caractère lugubre . Horreur .
Caractère lugubre . Horreur .
En relation avec le bruit, la lumière semble opérer avec un être vivant Les actants sont malades
Folie . Psychiatrie .
Le contenant de ces insectes semble lui-même vivant
Moisissure, vieillissement, contamination
Les actants sont malades
L'actant est malade
Le contenant de ces insectes semble lui-même Masque à gaz inconnuvivant qui présuppose une maladie inconnue
L'actant est malade
Les actants semblent avoir chacun une personnalité/folie propre, qui Masque à gaz inconnu ilsprésuppose semblent déboussolés . une maladie
inconnue
A la limite de la mort . Folie . Psychiatrie . Question de l'identité humaine . Relation à Moisissure, vieillissement, l'inexpliqué . contamination Mystère, rapport à la maladie,Aàlal'étrange limite deetlaaumort . mal êtrede l'identité Question
humaine . Relation à Folie . Neurasthésie . Perte . l'inexpliqué . Hystérie .rapport à la Mystère,
maladie, à l'étrange et au mal être
Rapport physique à Les actants semblent avoir l'apparat du corps . Hystérie chacun une de l'actant .
Destruction de la nature . Destruction de l'apparat . Folie . Neurasthésie . Perte . Destruction de son identité .
de nue Inversion de Rapport physique à l'observant/observateur
Similaires aux travaux de Maillol ou Lachaise Inversion des rôles - folie Destruction de la nature . regarde dorénavant le juge
personnalité/folie propre, ils semblent Position classiquedéboussolés . du dessin
l'apparat du corps . Hystérie de l'actant . Les actants semblent
Position classique du dessin déboussolés . de nue Inversion de l'observant/observateur
Hystérie .
Destruction de l'apparat . Destruction de son identité .
Folie . Neurasthésie . Perte . Similaires aux travaux de Hystérie .
Maillol ou Lachaise Inversion des rôles - folie regarde dorénavant le juge
Relation de Opposition Relation convergence des de Opposition des signifiés convergence des signifiés
signifiés
des signifiés
ACCÈS À LA VIDÉO
Mouvement
Perdue Sadomaso La boîte opaque s'ouvre pour se briser contre le sol Les mannequins arrivent par alternance par deux entrées différentes Les mannequins ressortent par la bouche opposée à leur entrée Première série très florale
Vêtement
Bandages autour du crâne Camisole blazer Beaucoup d'ensembles de costumes en dichotomie complète avec le décor Robe nature morte avec oiseaux / mousse Robe couteaux de mer Haut + jupe moules Vêtements plumés Jupe coquillages Collier corail perlé (tranchant) Robe rouge à écailles et à plumes Plastron en plexi rouge, sculpture du corps Série beaucoup plus architecturale Bruits de chaînes
L'intérieur de la boîte opaque nous est finalement
Révélation violente par le choc visuel et auditif .
Arrivée / Sortie L'apparat du corps par l'emploi d'une nature morte .
Environnement détourné . Utilisation du vivant mort .
Les actants sont malades
Folie . Psychiatrie .
Aliénation de la société par le travail
Une société qui va mal . Une vie dans le labeur .
L'apparat du corps par l'emploi d'une nature morte .
Apparat du corps par l'emploi du corps . Apparat du corps par l'emploi de notre nature environnante Aliénation
Environnement détourné . Utilisation du vivant mort . Dichotomie entre mort et vie . Aliénation de la vie par la mort .
Aliénation . Esclavagisme . Opression . Assujetissement .
Bruit du bip médical intégré directement dans la musique Bruit du bip médical sans musique Bruit
Bruit d'une respiration entubée Bruit de la mort (bip médical prolongé)
Mort
Bruit d'une respiration entubée
Maladie
Silence / Fond d'une respiration mystérieuse Musique
Maladie
Renaissance en un être second .
Entité vivante inconnue
Musique techno dynamique Mélange musique / Bruit
Texte Ton / Ambiance
Froide Malaisante (présence de miroirs qui n'en sont pas) Voyeurisme
L'action se situe dans un lieu amer non accueillant
Peur . Angoisse . Etrange . Curiosité malsaine .
Public sélectionné Spectateur Photographes
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ALEXANDER MCQUEEN
Alexander McQueen © Ann Ray
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Alexander McQueen, de son vrai nom Lee Alexander McQueen, souvent surnommé comme le « hooligan de la mode » est un couturier britannique originaire de Londres. Il se positionne comme un créateur futuriste et avantgardiste dans sa démarche comme dans ses collections. Dès ses premiers dessins en tant que créateur à la sortie de l’école, on y voit une patte déjà très provocatrice et tiraillée, qui ne cessera de le suivre. C’est cette agitation psychologique qui le mènera au succès mais aussi à sa perte. Ayant eu une enfance heureuse dans une famille modeste de 6 enfants, le créateur a dû apprendre à avancer avec son origine sociale, son homosexualité, le rejet de ses pairs dès l’enfance et un viol . A l’âge de 16 ans, il décide de devenir couturier et commencera alors à travailler auprès d’Anderson & Sheppard : l’un des tailleurs pour homme les plus réputé de Savile Row (rue célèbre de Londres réputée pour ses tailleurs traditionnels). C’est ici que lui sera enseigné les bases et la rigueur de la couture et qu’il aura notamment l’honneur d’habiller le Prince Charles. Il partira ensuite travailler chez d’autres tailleurs et ira même jusqu’à Milan en Italie. C’est grâce à cette expérience qu’il parviendra à intégrer la prestigieuse école de Saint Martins College of Art and Design directement au troisième cycle. Très rapidement perçu comme un prodige, il sera vite approché dans sa carrière par les plus grands. C’est notamment la journaliste Isabelle Blow qui lui achètera et publiera en 1992 sa toute première collection dans le Vogue britannique. C’est d’ailleurs elle qui lui conseillera de changer son prénom « Lee »pour « Alexander », prénom le lancera dans le milieu obscur de la mode et le suivra jusqu’au bout de sa malheureusement courte carrière.
Trois ans plus tard, Lee Alexander McQueen réalise son tout premier scandale avec son défilé intitulé « The Highland rape ». Cet évènement fut très certainement l’une des collections les plus controversées de sa carrière. En effet, s’il voulait illustrer le viol de l’Écosse par l’Angleterre, nombreuses furent les critiques estimant qu’il ne désirait que romantiser le viol de la femme. Foulant le pas d’une scène recouverte d’une nature partielle et arrachée, les mannequins sont vêtues de d’habits déchirés, transparents et équivoques, laissant distinctement apparaître les zones considérées comme sexuelles de la femme. Pour chaque mannequin a préalablement été désigné un rôle, qui leur permettra d’agir de manière désinvolte, apeurée, vide ou dans l’effroi. Malgré les critiques flamboyantes, le designer ne changera pas d’avis et évoquera un manque de culture historique du pays. Dans un temps où les marques n’ont de cesse de devoir s’excuser pour répondre à des polémiques pour ne pas faire faner son image, Lee Alexander McQueen ne fera pas taire ses visions en 1995 pour un profit économique. 1996 marque un tournant dans la carrière du couturier, année au cours de laquelle il rentrera pour la première fois dans une grande maison de renom française : Givenchy. Il sera récompensé l’année d’après du prix de styliste britannique de l’année (bien qu’il soit largement descendu par les critiques cette année-là), reconnaissance qui lui sera décernée 4 fois en seulement 7 ans. En 2001, racheté par le groupe PPR (actuel Kering), il quitte la maison Givenchy et lance sa première collection masculine. Que ce soit dans ses passages dans les maisons à l’histoire très marquée ou dans les collections de sa propre marque dès 1992, McQueen se démarquera
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du milieu par sa vision théâtrale et dramaturgique de la mode. En effet, au-delà de ses scandales artistiques et de ses déclarations controversées, au travers de ses défilés, le couturier s’inspirera très souvent de films comme par exemple Vertigo d’Alfred Hitchcock avec Kim Novak ou encore They shoot horses don’t they de Sydney Pollack, mais aussi de pièces musicales (ex : Le Cygne de Camille Saint-Saëns) et d’artistes (ex : Peter Joel Witkin). C’est dans cette démarche artistique qu’il se démarquera dans le milieu de la mode et poursuivra la lignée de Martin Margiela, Hussein Chalayan, Vivienne Westwood ou encore Walter Van Beirendonck. Dans son anticonformisme, McQueen brisera les codes et révolutionnera le milieu de la couture à travers le monde. Pendant près de 20 ans, Lee Alexander McQueen fera face à une ascension fulgurante qui le mettra au centre de nombreux médias, ce qui lui permettra de nombreuses collaborations avec des artistes de renoms. Malheureusement, tout au long de sa carrière, le génie du créateur s’accompagnera d’une grande part d’ombre. Cette part de mélancolie participera à son grand succès car chacune de ses collections revêtiront ses angoisses présentes, passées et futures, et endosseront alors un caractère très politique (réchauffement climatique, crise économique, névrose consumériste, assujettissement de la société etc…). Assez rapidement, une fois son nom encré dans le domaine du luxe qui devient de plus en plus tranchant, le designer se fera emporté par l’alcool, la cocaïne et la méthamphétamine. Naîtra également en parallèle une obsession sur son physique et son poids, ce pourquoi il aura recours
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à la liposuccion et à l’anneau gastrique. Le 7 Mai 2007, sa plus chère amie Isabelle Blow qui l’aura accompagnée et soutenue dès leur rencontre, malgré leur quelques différents, se donnera la mort. Femme restée toujours dans l’ombre des personnes qu’elle portait, qui aimait la mode plus que la mode ne l’aimait et qui restera constamment qualifiée comme «the life of the party». Trois ans plus tard, c’est alors la mère de Lee Alexander McQueen, Joyce qui meurt, le couturier ayant toujours été particulièrement proche de celle-ci, l’idolâtrant depuis son plus jeune âge pour son caractère franc et décidé. En 2009, il décide de partir quelque temps à Majorque avec son ami Sébastien Pons et lui communique son souhait d’en finir avec la vie. Il lui confie alors sa mise en scène élaborée autour de son suicide, qu’il souhaitait réaliser lors de son prochain défilé. Son désir était d’apparaître au centre d’une boîte transparente pour finalement se tirer une balle dans la tête afin que sa cervelle se répande et coule le long des parois . Sébastien Pons alertera tous les proches du designer et Lee Alexander McQueen se fera suivre par un psychiatre qui décrira par la suite la relation du couturier à son travail qui se présentait comme sa seule source de fierté. Sans relâche, c’est dans son travail qu’il tentera de combattre ses démons qui ne cesseront de refaire face. C’est à la veille des obsèques de sa mère le 11 Février 2010, qu’il se donnera la mort par pendaison dans le placard de son appartement à Mayfair, juste après avoir tenté une overdose.
Alexander McQueen, backstage du défilé Printemps Eté 2010 © Ann Ray
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SAM GAINSBURY & ANNA WHITING
Aimee Mullins, Défilé Alexander McQueen S/S 1999 © Catwalking
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Sam Gainsbury & Anna Whiting se rencontrent autour d’une production d’un clip musical pour le groupe britannique Tricky. Cette même année, elles rencontrent le couturier grâce à des amis et finissent par collaborer ensemble l’année suivante, pour le show Printemps / Eté 96 intitulé Hunger. En 2000, elles décident de lancer leur entreprise et travailleront auprès de nombreux designer tel que Christopher Kane, Marios Schwab ou encore Stella McCartney. C’est 11 ans plus tard qu’elles sont récompensées par l’Isabella Blow Award for Fashion Creators, à l’occasion du Fashion British Awards. Elles décideront ensuite de se diversifier en travaillant pour différents magasines tel que Vogue ou Harper’s Bazaar et se tourneront vers de la scénographie muséale (Exposition ‘Savage Beauty’ au MET ou encore l’exposition Louis Vuitton par Marc Jacobs). Elles s’orienteront également vers la photographie et le court métrage en créant en 2011 une division vidéo, qui collaborera notamment avec Steven Klein, Lady Gaga, Nick Knight ou encore Ruth Hogben.
De haut en bas : Défilé Alexander McQueen, F/W 2003 Défilé Alexander McQueen, S/S 1999 Défilé Alexander McQueen, S/S 2010, Plato’s Atlantis © Joseph Benett Sam Gainsbury et Anna Whiting © Show Studio
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P L A N C H E C O N TAC T
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Scénographie depuis la place du spectateur, Défilé Alexander McQueen S/S 2001 © Rex Features
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C’est dans le sombre contexte de la vie du couturier qu’en l’an 2000, Alexander McQueen décide de réaliser une collection autour de la folie. Etant alors lui-même en pleine ascension, commençant à être reconnu par ses pairs malgré ses commentaires fulgurants, le questionnement de l’identité, du genre et de l’étrange sera constamment de mise dans ses créations comme dans ses choix de scénographie. Accompagné des équipes de production de Sam Gainsbury et Anna Whiting, sera pensé une sorte de cellule de détention psychiatrique, autour d’une des créations de l’artiste Joel Peter Witkin intitulée Sanitarium. En effet, Alexander McQueen s’inspirera nettement du travail de l’artiste, célèbre photographe plasticien américain connu pour ses œuvres sur le hors norme. Très similairement à la vie du couturier, l’artiste sera lui aussi marqué par un évènement qui le suivra toute sa vie et influencera majoritairement son travail. A l’âge de 6 ans, il est témoin d’un accident de voiture particulièrement violent, dont la tête d’une petite fille coupée roulera jusqu’à ses pieds. Cette image ne le quittera jamais et fera naître chez l’artiste un intérêt pour les êtres vivants disposant de corps étranges, inhabituels et difforme. Par le biais de la photographie de personnes anti-conformes, Joel Peter Wiktin tente de dépeindre la société sombre et grotesque dans laquelle nous vivons. Lui-même inspiré par les travaux d’Henry Peach Robinson et d’Oscar Gustave Rejlander, l’artiste jouera avec ses modèles pour reconstruire des univers chargées d’allusions historiques, littéraires et religieuses. Se positionnant en marge de la position de ses contemporains, il requestionne à travers le corps la norme, l’identité, le tabou et le beau. Dans la première partie du défilé, un public sélectionné est invité à pénétrer une salle sombre dans laquelle est positionnée une boite miroitante. Chaque personne est alors conviée à s’installer devant trois côtés de ce cube, un pan entier étant réservé pour les caméras et les photographes. Ainsi, chaque individu débute l’événement par son propre reflet, comme ceux de ses camarades. Après quelques instants, la salle entière est plongée dans l’obscurité totale, pour finalement venir légèrement éclairer l’intérieur de ce cube miroitant. Le spectateur comprend que le miroir est en réalité une vitre sans teint, dont sa transparence est contrôlée instantanément. C’est alors qu’une lumière s’allume derrière une sortie à l’intérieur de la boîte, laissant apparaître une sombre silhouette pénétrant le cube miroitant. Une fois l’entrée passée, l’entièreté du cube s’éclaire : le public fait face à une femme (Kate Moss) dont le visage est entouré de sparadrap chirurgical, à la démarche langoureuse et s’arrêtant à de multiples reprises afin d’observer son reflet.
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Photo du montage, Archives du scénographe Joseph Benett, Londres © Joseph Benett
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Plan, Défilé Alexander McQueen, S/S2001 © Charlotte Sampson
Parcours mannequins, Défilé Alexander McQueen, S/S2001 © Charlotte Sampson
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Le visiteur peut dorénavant voir ce que contient cette boîte. Y est visible deux entrées, donnant sur des couloirs, ainsi qu’une seconde boîte opaque érigée en son centre, posée sur un socle de carrelage blanc dont les parois sont sombres et crasseuses. Le sol est quant à lui recouvert d’un carrelage blanc de 30x30cm, les parois de grands miroirs et d’un revêtement matelassé blanc. Cette blancheur chirurgicale contraste avec le lieu dans lequel se situe le visiteur, qui se positionne comme observateur d’un être en cage se faisant inspecter à son insu. Enfin, l’éclairage blanc et froid est quant à lui essentiellement visible, bien que séparé d’un grillage. Plusieurs mannequins pénètrent alors la salle qui se remplit de femmes aux humeurs bien distinctes (perdue, distraite, amusée, séductrice etc.), chacune jouant avec son reflet. La musique intitulée Dooms Night composée par Azzido Da Bass et remixé par Tino Mass se constitue de bruits de chaines et d’éléments non identifiés à répétition, ainsi que d’un rythme réglant le pas des mannequins. Chaque actant est habillé de vêtements structurés auquel sont ajoutés des éléments floraux dans une forme pouvant être jugée « d’organique », dont certains laisseront apparaître clairement leur poitrine. La forme du blazer et du tailleur est également retravaillée, notamment dans sa transformation en camisole. Parmi cette première partie, nous trouverons plusieurs figures majeures qui feront toute référence à une nature sauvage à l’aide d’une camisole brodée de fleurs et de véritable mousse comme si le mannequin revêtait l’écorce d’un arbre. Ou encore par des oiseaux empaillés virevoltant autour du visage du mannequin (Jade Parfitt) portant une jupe emplie de plumes. Mais aussi lorsqu’un autre mannequin porte une robe courte au volume très particulier, se rapprochant de la forme d’un caillou qui serait recouvert de mousse. La musique, toujours dans la même veine que le premier titre, passera à Hack 1 composé par Information Society et remixé par Propellerheads. Certains mannequins, qui rappelons-le ont chacun leur trait de personnalité, s’arrêteront de manière insistante devant les miroirs. Le visiteur est ainsi invité à se questionner si le mannequin voit réellement son reflet ou s’ils sont en train de les observer eux. Dans un sentiment étrange de voyeurisme malsain et de la peur du différent, ces échanges entraînent un caractère pervers à cette scénographie.
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Karen Elson, Robe inspirée des pièces traditionnelles japonaises © Victor Virgile
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Erin O’Connor dans une robe entièrement composée de couteaux de mer © JB Villareal pour Style.com
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Le deuxième temps du défilé est marqué par un changement d’éclairage combiné avec l’apparition d’une silhouette. A la 4ème minute et 45ème seconde, les lumières du cube s’éteignent pour laisser réapparaître l’éclairage intense des entrées ainsi qu’un spot lumineux bleuté produisant une douche marquée sur le mannequin. Il est vêtu des mêmes sparadraps chirurgicaux que le reste des modèles ainsi que d’une robe longue entièrement composée de coquilles de couteaux de mer. Une fois cette douche posée sur sa silhouette, le mannequin se met à détruire sa robe en cassant à pleines mains les couteaux qui viendront tomber anarchiquement au sol. Malgré cet acte relevant de la destruction, le mannequin semble en extase, comme transporté hors de soi et du monde sensible. Ce sera une des rares fois où un mannequin se positionne seul dans le cube miroitant. Après quelques instants, une fois le sol jonché de débris de coquillage, la pièce sa rallume pour laisser place à de nouveaux mannequins en pleines lubies. Quant au public, il est toujours plongé dans le noir, seulement éclairé par le cube qui lui fait face ainsi que par les flashs des photographes. C’est durant ce passage que des bruits supplémentaires seront ajoutés à la bande sonore initiale d’Azzido Da Bass. Est greffé au son le bruit du «bip» médical, sonnant au rythme des battements du cœur. C’est ce bruit, symbole d’une vie sur lit médical qui laisse d’ores et déjà présager la présence d’un être branché à l’outil clinique. A l’instar de la femme entièrement recouverte de couteaux de mer, deux mannequins seront également vêtus de coquilles de moules, qui à leur tour, les détruiront à mains nus pour finalement les jeter en l’air ou sur le sol, laissant alors la trace de leur passage. A ce stade-là du défilé, le sol est souillé et rempli de débris de nature morte, entre la mousse, les plumes, les couteaux de mer et les moules. Le son intitulé Sincere de MJ Cole laisse dorénavant place au chant, répétant à de multiples reprises « Don’t do it, be sincere, I’m crazy ». En plus du «bip» médical, sont ajoutés des bruitages similaires au passage d’un camion en mouvement et de bourdons à la source indéterminée. La fin du deuxième temps sera alors quant à lui marqué par l’extinction de toutes les lumières et du noir total réalisé. Pour ce dernier temps fort du défilé, le public est donc plongé dans l’obscurité et les vitres sans teint vont basculer à multiples reprises entre transparence et miroir. Le public fait donc face par intermittence à son propre reflet de lui et ses caméras ou à un noir complet, le seul bruit restant étant le «bip» médical. Après quelques secondes, le bruit d’une respiration sourde apparaît, accompagné de l’éclairage progressif des entrées et de l’extinction tout aussi progressive de celui-ci. La lumière semble respirer et vivre au rythme du «bip» médical. Le public, qui alors face à lui-même ou à l’obscurité, est positionné dans la situation ambiguë de l’observateur protégé qui va toutefois faire face à un être vivant encore non déterminé. Un suspens étrange s’installe, avec un «bip» médical s’accélérant et une lueur se manifestant petit à petit dans cette seconde boîte opaque jusqu’alors restée immuable. Cette lueur laisse alors deviner des insectes volants à l’intérieur de celle-ci. Toujours accompagné du bruit de respiration à la limite de l’humanoïde et du «bip» médical, la lumière rejaillit 74
Haut entièrement composé de coquilles de moules © Victoria & Albert Museum
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Jade Parfitt, Robe inspirée par le film « Les oiseaux » d’Alfred Hitchock © Rex Features
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Erin O’Connor, Robe composée de plumes d’autruches, “There’s blood beneath every layer of skin”, Alexander McQueen © Rex Features
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Coupe perspective, Défilé Alexander McQueen, S/S2001 © Charlotte Sampson
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dans le cube miroitant pour finalement laisser place à un «bip» continu synonyme de mort médicale. C’est ainsi que chacune des parois de verre translucide se laisse lentement tombée pour venir s’exploser violemment contre le sol. En même temps que les mites s’envolent et se libèrent de cette seconde boîte, les visiteurs font alors face à une silhouette de femme nue vêtue d’un masque à gaz aux traits étranges, disposant de deux grandes branchies. Le bruit de la mort médicale restant constant, un long moment est installé entre la vision de cette femme humanoïde reliée par des tubes et le public. L’intérieur de cette seconde boîte n’est autre que la reproduction de la photogaphie de Peter Joel Witkin intitulée Sanitarium. Il s’agit toutefois d’une version légèrement moins violente, car la femme est originellement reliée non pas à une vente d’aération mais au postérieur d’un singe. Cette femme n’est ici autre que l’amie d’Alexander McQueen Michelle Olley, auteur célèbre pour ses soirées fétichistes. Le «bip» médical fini par se taire, pour laisser n’entendre que le bruit d’une respiration sourde. Les mannequins pénètrent alors le cube, pendant que les lumières s’éteignent progressivement. Une fois le noir complet installé, quelques secondes s’écoulent. L’éclairage resurgit alors immédiatement, laissant voir aux visiteurs l’ensemble des mannequins les mains collées au parois vitrées semblant elles-mêmes observer le public. Alexander McQueen apparaît, les mannequins applaudissent tout en restant dans leur personnage et chaque actant et acteur est invité à quitter les lieux. Sam Gainsbury et Anna Whiting décident alors de mettre en place une scénographie riche, mettant le décor au premier plan avec cette évocation directe de l’asile et de l’œuvre de Peter Joel Witkin. L’éclairage et le son prendra également une place prépondérante, notamment dans l’installation de l’atmosphère et de la tension constante entre le regardant et le regardé. Par la combinaison de ces systèmes, une atmosphère conséquente est mise en place permettant une compréhension d’un message multiple bien que le lieu scénique soit immédiatement compris. En effet, nous pouvons estimer que l’ensemble du public aura compris que le défilé se situe dans une cellule psychiatrique. Toutefois, par le système scénographique de la vitre sans tain, d’un éclairage riche ainsi que d’une gestuelle décisive, chacun pourra en faire sa propre interprétation sociale, philosophique et artistique. Nous verrons alors dans la prochaine partie en quoi ces systèmes nous sont révélateurs, à l’aide de l’analyse sémiologique de Patrice Pavis.
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Photo du montage, Archives du scénographe Joseph Benett, Londres © Joseph Benett
Photo du montage, Archives du scénographe Joseph Benett, Londres © Joseph Benett
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Michelle Olley, Reproduction de Sanitarium de Peter Joel Witkin © Joseph Benett
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Sanitarium, Peter Joel Witkin, 36.8 x 37.5 cm, 1983 © Feldschuh Gallery
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LES OISEAUX, Alfred Hitchock
Image d’une scène tirée du filme «Les Oiseaux» d’Alfred Hitchcock en 1963 © John Springer Collection / Corbis via Getty Images
R éférences 84
BIG AND SMALL, Benedict Andrews
Cate Blanchett, Big and Small (Gross und klein) écrit par Boho Strauss et mis en scène par Benedict Andrews (1978) © Martin Crimp
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ALEXANDER MCQUEEN, Défilé F/W 1999
Système de boîte de verre, Défilé Alexander McQueen F/W 99 © Pinterest
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LA LIGNE VERTE, Franck Darabont
De gauche à droite, Doug Hutchison, Tom Hanks et David Morse, Image tirée d’une scène de la Ligne Verte (1999) de Frank Darabont © Universal Studios
secneréféR 87
Scène finale, les mannequins observent le public au lieu de défiler en file © Rex Features
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Scène finale, les mannequins observent le public au lieu de défiler en file © Rex Features
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CHANEL, AUTOMNE / HIVE
4 MARS 2014 92
ER 2014, PRÊT A PORTER
Point de vue central, Défilé Chanel F/W 14/15 RTW © Via les Editions Steidl Verlag
GRAND PALAIS, PARIS 93
G R I L L E Consommation Consommation
Ludique Ludique
D ’ A N A LY S E
Elémentaire Elémentaire
Abondance / Pénurie Abondance / Pénurie
Jouabilité / Dérision Jouabilité / Dérision
CHANEL, FW14/15, Ready To Wear CHANEL, FW14/15, Ready To Wear
Décor Décor
Eclairage Eclairage
Accessoire Accessoire
Gestualité Gestualité
Mimique Mimique
Mouvement Mouvement
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Signifiants Signifiants Etagères de produits Etagères produits Publicitésde réductions Publicités réductions Ballon signalétique Ballon signalétique Montagne de produits Montagne de produits Affiches publicitaires derrière Affiches publicitaires le public derrière le public Couleurs pop Couleurs pop Signalétique caisses Signalétiqueaucaisses Signalétique sol de Signalétique au trajectoiressol de trajectoires Comptoirs Comptoirs Palettes Palettes Signalétique "Chanel Signalétique "Chanel Shopping Center" Shopping Center"fine" Signalétique "Epicerie Signalétique "Epicerie fine" Caddies emboités au niveau Caddies emboités au niveau des entrées des entrées Sièges consitué de cartons de Sièges consitué de cartons de stockage "Chanel Shopping stockage "Chanel Center"Shopping Center"le public Etagères derrière Etagères derrière le public Eclairage apparant LED blanc Eclairage apparant froid LED blanc froid Produits de consommation Produits de consommation élémentaires CHANEL élémentaires CHANEL Produits de consommation Produits de consommation personnalisés comme personnalisés comme remplissage remplissage Caddies (Carrefour) rangés Caddiesaléatoirement (Carrefour) rangés aléatoirement Homme portant des poches Homme poches Chanelportant suivantdes l'actant . Chanel suivant l'actant . Une fois leur trajet finis, les Une fois leur trajet finis, les mannequins se mettent à mannequins se mettent à déambuler aléatoirement dans déambuler aléatoirement dans Les mannequins intéragissent Les mannequins intéragissent alors entre elles alors entre elles Les mannequins finissent par Les mannequins finissent paren réellement faire leur courses réellement faire leur courses en Déterminée Déterminée A la recherche de produits A la recherche de produits Détendue Détendue Joyeuse Joyeuse Les mannequins suivent un Les mannequins suivent un parcours délimité au sol délimité au sol et Les parcours mannequins se croisent Les mannequins se croisent et se recroisent se recroisent Les mannequins arrivent un par Les un mannequins arrivent un par mais ne sortent jamais un mais ne sortent jamais Plus le temps passe, plus Plus le tempsdepasse, l'accumulation corpsplus se fait l'accumulation de corps se fait dans l'espace scénique dans l'espace scénique A la fin, plus personne ne suit A la la fin,signalétique plus personne au ne sol,suit la signalétique au sol,réel produisant un tableau de produisantsupermarché un tableau de réel supermarché Final avec Karl Lagerfeld Final avec Karl Lagerfeld accompagnée de Cara accompagnée de Cara Delavingne Delavingne
Signifiés Signifiés
Connotation Connotation
Un supermarché Unde supermarché biens de de biens de consommations consommations
Mimétisme de la réalité . Hyper Mimétisme de la réalité . Hyper consommation . consommation .
Réserves du Réservescenter du shopping shopping center
Le bien par-dessus le bien . La Le bien par-dessus le bien . La consommation en abondance . consommation en abondance .
L'action se situe en L'action se situe en intérieur intérieur
Espace hygyénique et Espaceasceptisé . hygyénique et asceptisé .
Détournement du Détournement produit de du produit de première nécessité première nécessité en produit Chanel en produit Chanel
Achat quotidien et vital . Achat financière quotidien et vital . Situation ambigue Situation financière ambigue
L'homme non pas L'homme non pas comme personne comme personne mais comme objet . mais comme objet .
Une société où tout est objet, Une société où bien tout est tout est de objet, tout est bien de consommation . consommation .
Mimétisme du supermarché Mimétisme du supermarché
Chaque actant a Chaque actant un trait de a un trait personnalité de qui lui personnalité qui lui est propre est propre
Mimétisme du passage Mimétisme du passage quotidien quotidien
Réalisme / Fantasme Réalisme / Fantasme
Relation de convergence des Relation designifiés convergence des signifiés
Symbole = La réserve du bien Symbole = La réserverestera du bien de consommation de consommation restera toujours le consommateur luitoujours le consommateur luimême même
Message : Chanel = produit Message : Chanel = produit élémentaire de première élémentaire de première nécessité nécessité
Luxe / Nécessaire Luxe / Nécessaire
Opposition des Opposition signifiés des signifiés
ACCÈS À LA VIDÉO
Tous les mannequins finissent par partir par deux sorties, toutes deux situées du même côté Vêtement majoritairement en Tweed, version Street Wear Sacs "paniers shopping" Cabas de courses en cuir chanel Sac en cuir "pack 6 œufs" Vêtement
Casque audio chanel Esthétique du sac congélo à emporter Chanel Sac bouteille de lait Chanel Sacs "paniers shopping" qui contiennent eux même des sacs iconiques Chanel Pas véritablement de look final spectaculaire (comme à son habitude)
Bruit
Annonces commerciales énoncées par Loïc Prigent et ?
Transposition du produit de première consommation au produit de luxe .
Jouabilité . Décalage . Ironie . Achat .
Le contenant devient contenu .
Mise en abîme . Jouabilité . Achat .
Supermarché . Consommation
Musique funk pop
Musique
Azari & III, Reckless with your love (Tensnake remix) Lauer, Delta NRG Midnight Magic, Beam Me Up Un petite Creu ? Profitez de notre promotion … (1'25min) Quand le Jambon est bon, c'est Cambon (2'45min)
Une petite faim ? Un trou de mémoire ? Vite! Une madeleine de Chanel que l'on tempera dans le thé Grand Duc de la collection Westminster Tea (4'20min) Madame Martine est demandée au Rayon fraîcheur (5'00min) Texte Madame Martine est demandée au Rayon fraîcheur Madame Martine est demandée au Rayon fraîcheur . (5'23min) La vitre s'est fermée ? Vous dormez mal ? Vite un matelat Cococoon ! Cococoon, faites de beaux rêves… (7'40min) La ptite Marine attends ses parents à la caisse, la petite Marine ! (10'35min) Gabrielle était tendre et dure, au rayon fromage, le Brie Gabriel, tendre et dur à la fois (12'43min) Commerciale Ton / Ambiance Ludique Pop Spectateur
Très large public (extrêmement présent, contrairement à d'autres défilés)
Jouabilité . Mimétisme du supermarché . Référence au 21 rue Cambon, première boutique de Gabrielle Chanel . S'entendra par la suite au 31 de cette même rue . En référence à son ancien amant le Grand Duc de Westminster
Jouabilité . Mimétisme du supermarché . En référence à Madame Martine, Première d'atelier flou
En référence au Sac Chanel Cocoon Matelassé En référence à la montre J12 Marine (?) Jouabilité . Mimétisme du supermarché . Vie quotidienne du supermarché .
Masse
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GABRIELLE CHANEL
Gabrielle Chanel (ou Coco Chanel) dans son appartement Parisie © Cecile Beaton via Condé nast
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La maison Chanel, symbole de l’élégance et de la réinvention de la ligne féminine, représente à ce jour une des marques de luxe les plus prisées en France comme à l’international. Depuis sa création en 1910 par Gabrielle Chanel lors de l’ouverture d’un atelier de confection de chapeaux, cette femme haute en couleur a su réinventer les codes de la mode en France, en prônant l’usage d’une couture ergonomique dans le temps de l’émancipation de la femme. Si une part de son succès est dû aux investissements faits d’Arthur Capel plus célèbre sous le nom de «Boy», Gabrielle Chanel va toujours tenter de s’en émanciper, dans son désir et caractère constant d’indépendance et d’émancipation de l’homme par le travail. La couturière perd sa mère à l’âge de 12 ans et est alors placée par son père durant toute son enfance dans l’orphelinat de l’Abbaye cistercienne d’Aubazine en Corrèze . Issue d’une famille modeste de marchands forains, elle percevra cet acte comme un réel abandon et ne parlera presque jamais de cette enfance dont elle avait honte, et qui fera naître chez elle une véritable mythomanie autour d’un père fantasmé négociant en vin, parti faire fortune à New York. C’est dans cet orphelinat qu’elle apprendra tous les rudiments de la couture ainsi que chez les Dames Chanoinesses à 18 ans lorsqu’elle partira vivre chez sa tante, par désir d’indépendance. Toutefois, elle ne voudra pas devenir couturière dans un premier temps car elle rêvera de jouer dans des music-hall. Alors très courtisée et fréquentant le Grand Café à Moulin, c’est ici que naîtra le surnom de Coco Chanel, car elle avait pour habitude de
chanter Qui qu’a vu Coco dans l’Trocadéro ? devant les officiers. Si sa vie sera ponctuée par de nombreux amants et qu’elle côtoiera de nombreux artistes peintres, compositeurs, écrivains ou poètes français, elle restera toujours silencieuse quant à son enfance et plusieurs de ses biographies sont même jugées erronées. C’est donc accompagnée de fidèles amis qu’elle lance un premier commerce de chapeaux rue Cambon à Paris qui marquera un succès très rapidement. Elle ouvre alors par la suite un second magasin près de la place Vendôme puis un troisième à Biarritz . Elle décide donc de diversifier ses produits, à la requête de la clientèle qui désire avoir les mêmes tenues qu’elle. Des personnes de plus en plus fortunées viennent ainsi sonner à sa porte et Coco Chanel commence à insuffler un vent de modernité participant à la révolution féminine des années 10 et 20. En effet, pendant la Première Guerre mondiale les femmes sont mises en avant car se mettent massivement à travailler pour fournir la guerre et faire perdurer l’économie. Les femmes qui s’habillaient jusqu’alors toujours à base de corset, se doivent de trouver un vêtement adapté au mouvement, au travail et au déplacement. C’est ainsi que la couturière pénètre le cercle de la mode, en remplaçant le contraignant corset en une simple robe en jersey, tissu populaire permettant la souplesse du geste comme une robustesse dans le temps.
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Gabrielle Chanel démarre alors son empire à travers la France en comptant pas moins de 400 ouvrières à la veille de la Seconde Guerre mondiale et lance même sa ligne de parfums. A la fin d’un exil en Suisse après la fin de la guerre, Chanel revient en France et se met en opposition ferme avec le créateur Christian Dior qui fait réapparaître le corset et la robe de bal dans le pays. Réelle femme audacieuse, avant-gardiste et indépendante, elle meurt en 1971 et sa marque reste en suspens pendant une dizaine d’année. C’est alors qu’elle retrouve un nouveau souffle lors de l’arrivée du designer allemand Karl Lagerfeld en 1983 qui viendra imposer son style tout en conservant l’esprit de la créatrice. L’élégance et la simplicité, dans la conservation de l’artisanat et des métiers français sera alors poursuivi pendant tout le règne du « Kaiser de la mode » tout en y ajoutant sa sensibilité et sa modernité jusqu’à sa mort le 19 février 2019. Le flambeau a aujourd’hui été remis à Virginie Viard, ancien bras droit de Karl Lagerfeld. Une des nouveautés qu’insufflera largement le créateur allemand, sera ses mises en scène grandiloquentes et spectaculaires au sein du célèbre Grand Palais. Deux fois par an, la marque dépense des millions d’euros dans l’élaboration de ces défilés dont le créateur prend une part majeure. En collaboration avec la Villa Eugénie pour la conception et la production de ces évènements, le couturier propose toujours un thème et une ambiance, que les scénographes tel que Stefan Lubrina rendront réel. Constamment perçu par la marque comme des microcosmes ou comme des incrustations d’une partie
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du monde sous la coupole parisienne, la maison tient énormément aux détails de ces évènements, révélant alors un consumérisme monstre dans ce désir de mimétisme d’une réalité pensée. A quelques occasions, la marque fera aussi appel à des comédiens pour intégrer ses scénographies, en supplément des mannequins, comme background d’une vie Chanel fantasmée. Parmi ces nombreux évènements seront représentés les toits de paris, une fusée en plein décollage, une station de ski des alpes, une gare ferroviaire, une forêt d’automne, un casino ou encore un aéroport, toujours dans la forme du mimétisme direct.
KARL LAGERFELD Karl Lagerfeld aux ateliers Chanel, Paris, 1983 © Getty Images
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VILLA EUGENIE
Kaïa Gerber, défilé Chanel Printemps / Été 2018, Conception par Stefan Lubrina © Villa Eugénie
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Au milieu des années 90, Etienne Russo décide de fonder l’entreprise de conception et de production d’évènementiel qu’il nommera Villa Eugénie. Originaire de Belgique, il commence ses études dans une école hôtelière mais bascule très rapidement dans le domaine de la mode après une rencontre des 6 d’Anvers. Autrement appelé The Antwerp 6, il s’agit d’un collectif de designers belges du début des années 80 composé de 6 stylistes dont certains deviendront à leur tour très célèbres : Walter Van Beirendonck, Ann Demeulemeester, Dries Van Noten, Dirk Van Saene, Dirk Bikkembergs et enfin Marina Yee (qui sera associé à Martin Margiela). Après avoir posé pour un défilé de Dries Van Noten, Etienne Russo va se découvrir un goût certain pour la production, qui fera naître une longue série de collaborations entre le producteur et les créateurs. C’est donc en 1995 qu’il décide de lancer la Villa Eugénie, aujourd’hui implantée à Bruxelles, Paris et New York. Il donnera par la suite la conception entière des défilés Chanel à Stefan Lubrina qui assurera le dessin ainsi que le suivi et la production des deux défilés annuels de la maison. Diplomé de l’ENSAD, il débutera dans le théâtre puis vers le cinéma pour ensuite se diriger vers la mode, incité par le couturier Karl Lagerfeld. Toujours accompagné de son chien, c’est alors qu’il créera de nouveau microcosme chaque année sous le dôme du Grand Palais.
Défilés Chanel, Conception Stephan Lubrina © Villa Eugénie
Stephan Lubrina © IDMb
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P L A N C H E CO N TAC T
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Entrée et sortie des spectateurs Défilé Chanel F/W 14/15 RTW © Via les Editions Steidl Verlag
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Photographie avant le show, Défilé Chanel F/W 14/15 RTW © Via les Editions Steidl Verlag
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Comme on le comprendra, Chanel et Lagerfeld se montrent comme deux noms indissociables. Après avoir travaillé auprès de Pierre Balmain, Jean Patou, Chloé et Fendi, est offert à Karl Lagerfeld le poste de directeur artistique de la maison Chanel, qu’il acceptera instantanément. Il saura alors insuffler une nouvelle ère commerciale à la marque avec des chiffres qui exploseront, tout comme implanter de nouvelles stratégies qui seront reprises à travers le monde. En effet, s’il n’a pas inventé la notion d’égérie d’une marque, il saura toutefois en faire un atout marchand majeur lors des défilés, qui sera alors réemployé par bien d’autres maisons de luxe. Ainsi, Karl Lagerfeld fera en premier lieu appel à la célèbre mannequin Inès de la Fressange, très appréciée à l’époque, qui sera succédée par Diane Kruger, Alice Dellal, Cara Delevingne ou encore Baptiste Giabiconi. Bien avant l’arrivée du couturier à la maison Chanel, la marque a su faire appel à de nombreuses célébrités devenues égéries tel que Marilyn Monroe ou encore Catherine Deneuve. Toutefois, c’est le rapport de l’égérie liée au défilé et au couturier directement que va introduire Karl Lagerfeld. Il prendra sous son aile de nombreux jeunes mannequins pour les mener au rang de star et par la même occasion, mettre la marque sous le feu des projecteurs et ainsi faire exploser les ventes. En plus de cet aspect commercial, il aura également une grande palette de talents qu’il saura mettre au service de nombreuses marques (Chloé, Fendi, Karl Lagerfeld, H&M), d’opéras, de ballets et de films (Brahms-Schönberg Quartet de George Balanchine pour Benjamin Millepied ou encore Talons Aiguille de Pedro Almodovar). Réel couturier populaire à tout niveau, il habillera des poupées Barbie (dont une sera créée à son effigie), restylisera le design des bouteilles Coca Cola et dessinera même le maillot de foot de l’équipe de France en 2011. Entre couturier talentueux et réel business man, Karl Lagerfeld a su séduire en masse et envahir nos quotidiens. C’est dans ce contexte qu’en 2014, Karl Lagerfeld imagine une collection Prêt à Porter pour la saison Automne / Hiver autour de l’hyper-consommation : le supermarché. Si la collection Printemps / Eté mettait plutôt en scène le marché de l’art, le couturier accompagné de Stefan Lubrina et l’équipe de la Village Eugénie décide de mettre cette ancienne collection en opposition (ou en parallèle) à la nouvelle qui propose une vision du monde comme un méga store sous le sigle du double C. On ne comptera pas moins de 100 000 articles, dont pas moins de 500 produits seront détournés avec des références historiques de la maison française1. On trouvera par exemple des coton-tiges noirs vendus comme des bâtonnets élégants, des boîtes de mouchoirs comme Les Chagrins de Gabrielle, des pots de peinture Gris Jersey, du Jambon Cambon ou bien même des scies électriques composées des chaînes Chanel iconiques. De plus, on trouvera les traceurs du super marché revisités. Les affiches n’indiquant des réductions n’annoncent pas des réductions mais 1 BLANKS, Tim, “Chanel Fall 2014 Ready-To-Wear”, Vogue, 4 mars 2014, accede le 08 Novembre 2020 sur https://www.vogue.com/fashion-shows/fall-2014-ready-to-wear/chanel#review
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Balcon
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Balcon
Balcon
Balcon
Balcon
Balcon
Balcon
H 1
: 2.0 m
5
: 2.0 m H : 2.07 m
Béton
Marbre
Marbre
H : 2.45 m
Sas
H : 2.43 m
H : 2.10 m H : 2.44 m
H : 2.42 m
H : 2.46 m
H : 2.46 m
Sas
H : 2.42 m
H : 2.05 m
H : 2.43 m
H : 2.45 m
H : 2.46 m
H : 2.45 m
Sas
H : 2.42 m
Marbre
Marbre
Béton
H : 2.05 m
m H : 1.97
Balcon
H
H: m
Trajet n°1 des mannequins
Trajet n°2 des mannequins
Parcours d’entrée et de sortie du public
Plan des différents parcours, Défilé Chanel F/W 2014/2015, Prêt-à-porter, , 1/1000ème © Charlotte Sampson
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m 3
H
2 : 2.1
m
6 : 2.0
m
m 7
: 2.0 H H
: 2.0 H
H : 2.12 m
H : 2.06 m H : 2.11 m
Balcon
Balcon
Balcon
Balcon
Balcon
Balcon
Balcon
Balcon
Balcon
Balcon
Z : 36.40
HAUT - Allée d’entrée des mannequins © Stephane Mahe BAS - Allée d’entrée des mannequins, point de vue des caméras et photographes © Villa Eugénie
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des 20% supplémentaire au prix affiché et les posters commerciaux (tout comme le font de nombreuses marques de grande consommation) affichent des jeux de mots : « Epicerie fine sur place et prête à porter ». Une référence évidente au travail d’Andreas Gurky dans ses photographies de la série 99 cent s’observe dans cette scénographie grandiloquente, ainsi qu’à celui du photographe Martin Parr dans ses couleurs pop, son ridicule, sa consommation et au grotesque de la situation. Comme l’opère le photographe documentaire britannique Martin Parr qui travaille le populaire sous un angle ludique et joyeux, Karl Lagerfeld place le sigle Chanel sous la coupole de l’hyper consommation dénotant toutefois une forme de risibilité. Ainsi, chaque système scénographique du défilé est transposé à partir du supermarché, notamment son univers sonore, avec des annonces énoncées par des voies célèbres (notamment Loïc Prigent).
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ANDREAS GURKY, 99 Cents II Diptychon
99 Cents II Diptychon, Andreas Gurky, , 207x307cm, 2001 © Andreas Gurky
R éférences 114
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MARTIN PARR, The Artificial Beach inside the ocean dome
The Artificial Beach inside the ocean dome, Martin Parr, Série ‘‘Small World ! ’’, Japon - Miyazaki, 1996 © Martin Parr
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The Artificial Beach inside the ocean dome, Martin Parr, Série ‘‘Small World ! ’’, Japon - Miyazaki, 1996 © Martin Parr
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ANDY WHAROL, Campbell’s Soup
Andy Wharol, Cambell’s Soup (CMOA), Lithographie en couleurs, 50x42 cm, 1986
secneréféR 118
Étalage ‘‘Coco Flakes’’ et ‘‘Coco Rico’’, Défilé Chanel F/W 14/15 RTW © Via les Editions Steidl Verlag
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Coupe Perspective, Défilé Chanel F/W 14/15 RTW, 1/1000ème © Charlotte Sampson
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HERE AND TODAY
ÉPICERIE FINE SUR PLACE ET PRÊTE À PORTER 4 MARS 2014 PARIS
Affiches du défilé Chanel F/W 14/15 RTW © Charlotte Sampson
Fidèle aux habitudes de la marque, un grand nombre d’invité est présent au Grand Palais (contrairement à d’autres marques qui réalisent des défilés en plus petit comité), en prenant soin d’inviter de grands clients, de la presse mais aussi un grand panel de célébrités tel que Rihanna, Caroline de Maigret, Keira Knightley, Gaspard Ulliel (tous deux égéries de la marque) ainsi que des mannequins et acteurs japonais tel que Kiko Mizuhara ou encore Tao Okamoto. La marque s’assure que son spectacle sera diffusé à travers le monde et représenté par les bonnes personnes. Le public pénètre alors le Grand Palais par la grande entrée, en passant par la devanture «Chanel Shopping Center», au milieu des comptoirs de caisse. Eclairé naturellement par la grande voute ainsi que par des tubes LED froid (toujours dans le rapport hygiénique du supermarché), chaque invité va alors s’installer dans les gradins au pourtour des étagères et étalages de produits. Nous remarquerons que l’entièreté de la grande salle sera employée, marquant d’autant plus l’emphase de la situation.
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Le défilé débute sur la musique d’Azari & III intitulée Reckless with your love, remixé par Tensnake. L’espace scénique se compose de grandes étagères remplies de produits du quotidien, ainsi que des comptoirs ou des montagnes entièrement composés de biens, le tout posé sur des palettes. Une signalétique est également très présente au cœur du défilé, avec de nombreux posters, affiches, indications de rayons, PLV mais aussi dans le tracé du passage des mannequins. En effet, se trouve au sol de longues lignes colorées s’évitant et se croisant, qui correspondront au cheminement des mannequins selon la localisation de leur entrée. Se différencieront alors deux trajets différents (caractérisés par le trait jaune et le trait rouge), correspondant aux deux entrées situées face aux caisses (au rayon épicerie fine). Finalement, en pleine immersion mimétique du supermarché, se placera au dos des invités de grandes étagères bleues, contenant des colis Chanel, à l’image de la réserve commerciale. Ce geste pourra aussi se lire de façon ironique, le public se trouvant à l’avant de ces stocks, comme si chaque invité faisait lui aussi parti de la réserve du marché Chanel. En terme d’accessoires, outre la quantité excessive de produits, nous trouverons aussi des caddies (employé chez le distributeur Carrefour) éparpillé dans toute la salle. C’est dans ces conditions que le premier mannequin Cara Delevingne entre dans l’espace scénique habillé d’un jogging troué et de baskets, qui annoncera l’entièreté de la collection Automne/Hiver chez Chanel. Cinq secondes plus tard, en léger décalage, c’est le second mannequin Charlotte Free qui entre en scène aussi vêtue de legging à paillettes et de baskets. L’ensemble des photographes et cadreurs se positionneront au même endroit que leur entrée, en face des caisses. Les deux mannequins entrés à quelques secondes de décalage, passent alors dans une grande allée face aux caméras, leur permettant de capturer deux looks simultanément, ainsi que de photographier des détails. Les mannequins continuent alors leur chemin dans toute la salle et marchent au centre de toutes les allées afin d’être visibles par tous (bien que les deux trajets diffèrent). Cette différenciation peu commune du trajet scénique permet de nouveau un mimétisme de l’achat au supermarché, notamment dans les personnes qu’on y croise (les chemins s’entremêlant ou se juxtaposant), bien qu’ici ce chemin est dicté par la signalétique. De plus une nouvelle particularité encore plus rare dans le domaine du défilé sera employée : une fois son trajet fini, le mannequin ne quitte pas les lieux. En effet, il quittera bel et bien sa ligne directionnelle rouge ou jaune mais débutera une réelle déambulation dans les allées, prenant en main des produits et les utilisant tel un enfant qui jouerait à la caissière, grandeur réelle. Le temps représentera dans ce spectacle un enjeu primordial. Ce choix de ne pas faire quitter le mannequin de l’espace scénique est majeur dans la retranscription du défilé. Comme nous le comprendrons, plus le temps passe, plus l’espace devient rempli d’actants Chanel faisant leurs courses. Les interactions entre ces mannequins seront aussi nombreuses, en pleine discussion, montrant leur achat, parlant de leurs produits sélectionnés etc., bien qu’aucun de ces échanges ne
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soit audible. On remarquera également l’attention portée dans la maroquinerie de la collection. Nombreuses seront les mannequins portant des paniers métalliques ornés de cuir, de caddies matelassés entièrement composé de cuir, mais aussi des éléments plus ludiques tel que des sacs à main bouteille de lait, ou des sacs boîte d’œufs. Nous porterons également attention à l’étonnante présence d’un homme dans ce défilé de couture Femme Prêt-à-porter. Toutefois, ce ne sera pas dans son sens conventionnel. En effet, il sera plutôt employé comme accessoire du mannequin plutôt que comme cintre de démonstration d’un vêtement. L’homme suit une femme entièrement vêtue d’un tailleur et d’un chapeau rose et semble lui tenir ses poches d’achat de produits de la marque. Tout du long, l’éclairage ne bougera pas, mais de nombreuses interventions sonores se produiront. Ils demanderont notamment au célèbre journaliste Loïc Prigent de faire des petites annonces aux références historiques à Chanel. Le public pourra par exemple entendre à la 5ème minute du spectacle « Madame Martine est attendue au rayon fraîcheur, Madame Martine », faisant directement référence à la 1ère d’atelier. Enfin, l’achèvement du spectacle se montrera historique dans l’histoire du défilé Chanel. A son habitude, le show se clôture par l’apparition du couturier Karl Lagerfeld accompagné de sa mannequin « chouchou », en l’occurrence Cara Delevingne. A ce stade du spectacle, l’entièreté des mannequins est en train de simuler l’achat des courses. Une fois le trajet du designer terminé, l’ensemble des mannequins se dirige vers la sortie du Chanel Shopping Center, c’est-à-dire par les caisses. Mais chose inhabituelle, une fois le défilé clôturé, l’entièreté du public s’est jeté sur les étagères afin d’avoir chacun sa bouteille de lait, sa boîte d’œuf ou ses tartines Chanel. Prêts à déjouer la sécurité, certains risqueront même de se procurer les paillassons Mademoiselle Privé aujourd’hui très prisés. De plus, certaines célébrités et mannequins du show se sont retrouvées pour jouer avec les caddies, réelle cour de récré et moment régressif pour chacun des invités et des actants. Contrairement au reste des objets contrôlés par une sécurité, les seuls goodies autorisés à prendre étaient les produits frais (fruits, légumes, saumon etc.) ainsi que les bonbons2. Les invités auront alors le choix soit de quitter les lieux par les caisses (symbolique évidente dérisoire) soit par les vomitoires prévus entre certains gradins. A travers cette scénographie riche en éléments, le décor sera clairement mis au premier plan, dans une logique de mimétisme direct avec la réalité du supermarché. C’est à partir de ce constat-là que découlera le son, l’éclairage et la gestuelle des mannequins. Cette richesse d’éléments, n’admet toutefois pas nécessairement une complexité intellectuelle. En effet, de par cette prolifération de signes, le scénographe désire transmettre un message doté d’un code lisible par tous. Ainsi, chaque spectateur est en position de comprendre le lieu où se situe les actants ainsi que l’action mise en place. Une seconde lecture pourrait également prendre place, quant à l’ironie et le grotesque de la situation dont la marque joue clairement et participera 2 BLANKS, Tim, “Chanel Fall 2014 Ready-To-Wear”, Vogue, 4 mars 2014, accédé le 08 Novembre 2020 sur https://www.vogue.com/fashion-shows/fall-2014-ready-to-wear/chanel#review
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Paillasson Chanel © Luc Castel via Getty Images
Jambon Cambon © Susie Bubble
Eau de Chanel © Luc Castel via Getty Images
Sac à main de la collection © Susie Bubble
Rihanna, Cara Delevigne et Joan Smalls à la fin du défilé © Getty Image
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HAUT - Vue de l’entrée des mannequins, Défilé Chanel F/W 14/15 RTW © VIlla Eugénie BAS - Nadja Bender et Jarrod Scott, Défilé Chanel F/W 14/15 RTW © Tamu McPherson via AllThePrettyBirds
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essentiellement au succès commercial de la collection. Toutefois, cette profusion de signes ne soulève que peu de signifiants et révèle un désir esthétique plutôt que métaphysique. Le défilé montre à des acheteurs Chanel, des actants en train d’acheter du Chanel de grande consommation. Entre mise en abyme comme forme de stratégie commerciale et critique sociale et environnementale du luxe, il semblerait que seule le premier message n’est atteint son public, considérant les retombées économiques du show. De plus, ce mimétisme de la représentation induit au spectateur un message presque univoque qui révèle une forme de banalité et de prosaïsme malheureux. Malgré la grand nombre d’invités, les messages compris seront essentiellement similaires et les retombés intellectuelles modestes, si ce n’est que sur le plan économique et d’image de la marque. Car après 6 ans, il reste toujours à ce jour l’un des défilés les plus populaires et connus au monde.
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Vue entre les allées, Ashleigh Good, Kremi Otashliyska, Zuzu Tadeushuk (de gauche à droite), Défilé Chanel F/W 14/15 RTW © Jays Rut via Strut
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G U CC I , P R I N T E M
24 SEPTEMBRE 2018, 21:00 130
MPS / ÉTÉ 2019
Point de vue central, Défilé Chanel F/W 14/15 RTW © Via les Editions Steidl Verlag
PALACE CLUB, PARIS 131
G R I L L E Liberté
Liberté
D ’ A N A LY S E Oppression
Oppression
Mélancolie
Mélancolie
Liberté / Oppression
Liberté / Oppression
GUCCI, SS19
GUCCI, SS19 Signifiant s
Signifiant s
Signifiés
Signifiés
Scène
Scène
Décor
Salle
Décor
Salle
Rideaux
Salle sombre avec Projecteurs Rideaux apparents Salle sombre Projecteurs Eclairageavec des allées de la salle Douche apparents très prononcée qui suit les mannequins jusqu'à scène Eclairage des allées de lalasalle blanc trèsqui marqué sur la DoucheEclairage très prononcée suit les scène provoquant des jets de lumières mannequins jusqu'à la scène dans l'air Eclairage blanc très marqué sur la Le public est lui-même légèrement scène provoquant des jets de lumières éclairé
Théâtre comme lieu de défilé
Théâtre comme lieu de défilé
Mise en avant des actants
Mise en avant des actants
Connot at ion
Connot at ion Lieu de la dramaturgie riche ende histoire . Lieu de la riche Lieu la dramaturgie catharsis, de la tragédie, du en histoire . Lieu de la désordre et de la liberté catharsis, de la tragédie, du d'expression .
désordre et de la liberté d'expression .
Lumière très marquée par comparaison au sombre de la salle .Lumière Violencetrès et évidence marquéede par l'éclairage . comparaison au sombre de la
salle . Violence et évidence de l'éclairage .
dans l'air
Dès est l'arrivée des manenneqiuns Le public lui-même légèrement sur scène, la douche s'éteint et les actants éclairé pénètrent l'espace scénique seulement Dès l'arrivéeéclairé des manenneqiuns sur par les spot dirigés Eclairage scène, laPersonnes douche s'éteint lesscène, actants alignéesetsur à la pénètrent fois l'espace scénique seulement dans la pénombre et dans la éclairé par les spot dirigés lumière .
Eclairage
Jane birkin éclairée deuxàdouches Personnes alignées surpar scène, la fois dans la pénombre et dans la Scène légèrement plus éclairée pour lumière . mieux voir les silhouettes stoïques
Jane birkinL'éclairage éclairée par deux est douches sur scène en plein mouvement, comme des spots venant
Scène légèrement plusà éclairée pourde d'hélicoptère la recherche mieux voir les silhouettes stoïques fugitifs
Tous les sur spots initiallement L'éclairage scène est en dirigés plein sur scènecomme se tournent l'avant de la mouvement, desvers spots venant scène d'hélicoptère à la recherche de l'épaule d'un mannequin Accessoire Perruche sur fugitifs
Tous les spots initiallement dirigés sur scène se tournent vers l'avant de la Jane birkinscène au milieu du public,
Gestualité
Accessoire
Perruche sur l'épaule d'un mannequin
Mimique
Gestualité
regardant la scène, se met à chanter
Spectacle dans le spectacle
L'actant dispose d'un oiseau pour l'accompagner dans
Stoïque
JaneLesbirkin au milieu du public, mannequins passent au milieu du regardant la scène, se public met à chanter
Deux mannequins arrivent simultanément des deux côtés de la salle et arrivent au même moment sur Stoïque Mimique Mouvement scène pour s'installer Les mannequins s'alignent ensuite sur Les mannequins passent au milieu du la scène . public Accumulation de personnes sur la Deux mannequins arrivent scène, toujours alignées simultanément des deuxsecôtés de la Rideaux ferment salle et arrivent au même moment sur Assortiments étranges, presque Mouvement scène pour s'installer costumes
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L'actant dispose d'un oiseau pour l'accompagner dans
Les mannequins s'alignent ensuite sur Slips en cuir / Cagoules / Chapeaux la scène . démesurés / pantalons slips VêtementAccumulation de personnes sur la 70's,toujours paillettes,alignées couleurs vives scène, Lunettes "Masque pour dormir" Rideaux se ferment Sac à dos avec tenues de soirées Assortiments étranges, presque costumes Slips en cuir / Cagoules / Chapeaux
Passagedans des regardés au Spectacle le spectacle milieu des regardants juges Entrée des actants par les entrées du spectateur
Passage des regardés au milieu des regardants juges Entrée des actants par les Fin du spectacle entrées du spectateur Chaque actant dispose d'un look incohérent, relevant presque de la faute de goût .
Fin du spectacle
Chaque actant dispose d'un
L'animal comme objet d'accessorisation . Etre vivant En référence avec Gainsbourg, tant dans la relation entretenue avec le PalaceL'animal Club, avec les années comme objet 70, qu'entre les deux exd'accessorisation . Etre vivant amants avec En référence Uniformisation .tant Militaire Gainsbourg, dans la relation entretenue avec le Palace Club, avec les années 70, qu'entre les deux examants
Uniformisation . Militaire Disposition en quinconce . Rangement militaire . Théâtre .
Années 70 . Emancipation des Disposition en quinconce . codes vestimentaires . Etrange . Rangement militaire .
Théâtre .
Relation de Opposition des Relation convergence des de signifiés Opposition des signifiés convergence des
signifiés
signifiés
ACCÈS À LA VIDÉO
Robe sur des hommes Tenues très masculines chez des femmes Vêtement
Inversion du style vestimentaire .
Inversion des styles, des sexes, du rapport à l'identité .
Juxtaposition des codes vestimentaires du travail au code vestimentaire ludique de l'enfance .
Dichotomie vie d'adulte / Vie d'enfant . Aliénation de l'adulte par le travail . Désir de l'adulte de retrouver un passé perdu .
Situation auditive du conflit, de la haine et de la représsion .
Passage violent de la jeunesse à la vie d'adulte . Confrontation de l'assujetissement de l'autorité sur les foules réprimées et des bruits de l'enfance éloignée .
Lecture simultanée du poème de Jean Cocteau et des bruits du conflit et de la répression et de l'oppression .
Perception de la représsion comme mort de l'enfance .
Chant de la recherche d'une chose perdue ou jamais trouvée, confrontée aux bruits de la punition .
Recherche d'une vie fantasmée castrée par les liens de la société .
Il Trovatore, D'amour Sull'alli Rosee
Traduction : "Va, soupir douloureux, porté sur les ailes roses de l'amour : Console l'âme affligée du malheureux prisonnier . . . Flotte, tel une brise ; va jusqu'à lui, pour lui redonner espoir et apaiser sa souffrance . Réveille en lui les souvenirs et les rêves de notre amour ! "
Romantisme . Souffrance . Prisonnier . Amour . Souvenirs .
Brahms Symphony No .3 in F Major, Op . 90 : 3 . Poco allegretto
Musique romantique et mélancolique .
Mélancolie . Musique de la période Romantique . Thème majeur de Brahms qui sera énormément repris par la suite
Musique mélancolique et fragile .
Reprise de Brahms Symphony No .3, Poco allegretto (cidessus) . Premier single de Jane Birkin après la rupture avec Serge Gainsbourg . Séparation sentimentale . Désespoir .
Sac tête de Mickey Mouse Chemise dans slip en cuir rouge Justocorps très échancré dans un pantalon tailleurs Bruit de foules en colère Sirènes de voitures de police Bruits d'hélicoptère et d'embouteillage [changement de musique] La musique est légèrement distordue, comme des beugs Klaxon corne de brume à gaz (Klaxon de stades de foot) Bruits d'enfants (lointain) Sirènes de voitures de police + bruits d'hélicoptaire + informations [changement de musique]
Bruit
Poème récité par-dessus la musique, effet vieillissant Bruit de casiers métalliques et de basket contre le sol [arrêt de la musique] Accumulation de tous les bruits cidessus [Jane Birkin se met à chanter puis s'arrête] Sirènes de voitures de police [Poème + Violon] Sirènes de voitures de police Bruits de chaînes (ou débris de verre ?) [début d'un chant lyrique] Bruit de foules en colère + de chaînes (ou débris de verre ?)
Musique
Palace variation #1 & Palace Variation #2 de Ben Lee
Baby Alone in babylone, Jane Birkin de Serge Gainsbourg [In Situ]
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Ecriture qui évoquera notamment Raymond Radiguet, ancien amant de Jean Cocteau mort prématurément . Conté par Raymond Rouleau en 1997
La Difficulté d'Etre (sélections), Jean Cocteau & Raymond Rouleau Poèmes (Selected from "Plain Chant"), Jean Cocteau De quels corridors, De quels corridors pousses-tu la porte, Dès que tu t’endors ?
Texte
Ton / Ambiance Spectateur
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Mais tu sors de toi, Sans faire de bruit, comme d’une chambre, On sort par le toit Et tu prends le cheval aux crins, Le cheval du sommeil, qui, d’un sabot rapide, Te dépose aux bords que je crains . Lorsque nous serons tous deux sous la terre, Plus ou moins dessous, Noyée sous les flots, de Pontiacs De Cadillacs, de Bentely à L .A . Tu recherches les studios, et les traces de Monroe Les strass et le stress Dieu et Déesses, de Los Angeles Mes pires défauts m’arrivent de l’enfance, comme presque tout ce que j’ai . Car je reste la victime de ces rites maladifs qui font des enfants des maniaques disposant leur assiette d’une certaine manière à table, n’enjambant que certaines rainures du trottoir . C’est pourquoi mon style prend souvent une allure volontaire qui m’est odieuse ou se relâche subitement . Etrange Années 70 Spectateur placé dans la salle sur les gradins, comme habituellement au Palace Club
Mort . Difficulté existentielle
Mort identitaire . Echappatoire .
Mort . Peur de la perte
Mort romantique Désespoir Perte . Désirs inaccessibles et fantasmés .
L'enfance comme support d'un tout . L'enfance comme causes d'obsessions . Critique d'une société qui rend ses enfants malades .
Haîne de soi
Rapport habituel du spectateur .
Théâtre . Lien entre scène et salle
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GUCCIO GUCCI
Guccio Gucci © Erin Combs via Getty Images
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Fondée à Florence en 1921 par Guccio Gucci, la maison de luxe Gucci fait ses débuts dans la maroquinerie. Ce sera un succès immédiat et l’entreprise se développera alors autour du domaine équestre. Le fondateur mourra 30 ans plus tard en 1953 et laissera place à ses quatre fils qui reprendront les rênes. C’est toutefois à partir des années 80 et 90 avec l’arrivée du créateur américain Tom Ford que va naître un véritable tournant dans la stratégie commerciale de la marque, qui remodèlera drastiquement la direction artistique jusqu’ici mise en place. En effet, Gucci s’oriente dorénavant vers le sexy et le bling bling à l’instar de sa marque voisine Versace, en opposition avec la vision minimaliste du couturier belge Martin Margiela ou encore Michel Goma à la tête de la direction artistique de Balenciaga. C’est alors que Tom Ford va introduire une forme de « Porno Chic » à la marque, alors en vogue. Gucci prend une ampleur mondiale majeure et commence à intéresser de nombreux fonds, la marque se situant constamment autour du glamour, de la folie et du drame . En effet, un an après le rachat de la marque par un fond d’investissement pour 100 millions d’euros, Maurizio Gucci alors directeur général se fera assassiner par un tueur à gage, à la demande de son exfemme. Gucci étant alors essentiellement soudée par le lien familial italien du fondateur Guccio Gucci, elle verra naître en son sein un certain nombre de drame que saura réinvestir la direction artistique, comme partie intégrante de l’histoire de l’entreprise.
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En 1999 démarre la bataille pour Gucci entre Bernard Arnault et François Pinault dont chacun dispose d’un certain pourcentage du capital. C’est finalement F. Pinault qui devient majoritaire, permettant à la marque de se rattacher directement au groupe Kering. Après une direction artistique menée par Frida Giannini pendant près de 42 ans, Alessandro Michele lui succède, avec pour responsabilité l’entièreté des collections féminines et masculines, tout comme l’image de la marque. Dès son arrivée en 2015, il saura très rapidement révolutionner l’identité de la marque. Passionné d’art, de cinéma et de sculpture hérité de ses parents, le créateur réinvente l’imaginaire porté par la marque autour du sexy, en y ajoutant des références de la renaissance italienne et en y mêlant simultanément l’androgynie et le curieux. Accompagnée de l’agence Without Production qui réalisera la majorité de ses défilés, la marque offre depuis 2015 des moments toujours aussi étranges et curieux, où la question de l’identité est toujours de mise ainsi que le rapport à soi et le rapport à l’autre par le vêtement, dans un mélange d’anticonformisme et de flegme provocateur.
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ALESSANDRO MICHELE Alessandro Michele, Milan Fashion Week, Gucci F/W16 © Pietro D’Aprano via Getty Image
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WITHOUT PRODUCTION
Défilé Gucci, F/W 2019, Milan © WIthout Production
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Le studio italien Without Production fut fondé en 1999 par Gabriella Mazzei et Andrea Leonardi (Directeur Artistique et Architecte). Après avoir travaillé près de 6 ans auprès d’Aldo Rossi, A. Leonardi et G. Mazzei décident de s’embarquer dans une nouvelle aventure autour de la production et la conception de défilés de mode ainsi que d’évènements et d’élaboration de stratégies commerciales. Ils collaboreront énormément avec la marque Gucci pour l’élaboration de leurs défilés comme de leurs évènements ou de leurs expositions, mais également avec bien d’autres marques principalement italiennes tel que Giambattista Valli, Boglioli ou encore Pal Zileri. Ils travailleront donc essentiellement en Italie mais feront quelques exceptions, notamment pour la collection Printemps/Eté 2019 de Gucci à Paris.
De haut en bas : Défilé Benetton, S/S 2021, Milan Défilé Birkenstock, S/S 2019, Florence Défilé Gucci, F/W 2020, Milan Défilé Gucci, Homme F/W 2020, Milan Défilé Gucci, F/W 2019, Milan © Without Production
Andrea Leonardi et Gabriella Mazzei © Without Production
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P L A N C H E CO N TAC T
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Entrée Palace Club © Christian Rausch, Gamma Rapho
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Entre stratégie commerciale et résurrection d’un passé perdu, lors du défilé Printemps/Eté de Gucci à Paris, Alessandro Michele a su somptueusement convaincre son audience. Comme le créateur en a pour habitude, le public est transporté dans un lieu fantasmagorique, entre l’étrange et le bizarrement beau. A travers ce show accueilli au sein de la salle de théâtre du Palace Club, le couturier réanime des âmes perdues, mêlant passé et présent pour offrir à ses invités une promenade parmi les esprits révolus. Ce choix de lieu n’est pas anodin pour le créateur, il sélectionne le lieu phare des années 70 et 80 de la fête, de la culture et du plaisir. Ancien music-hall, le lieu est transformé en 1978 par Fabrice Emaer à l’aide de Patrick Berger (architecte parisien de renom) en boîte de nuit et en lieu de spectacle, le désir étant d’en faire le lieu incontournable de la fête parisienne. Très rapidement, le lieu deviendra à la mode et fera venir toute la célébrité parisienne, le Palace Club comptant pas moins de 700 concerts par an. C’est alors que le milieu de la mode s’emparera du lieu pour en faire un espace du défilé. En effet, le Palace Club recevant du beau monde parisien (Serge Gainsbourg, Catherine Deneuve, Grace Jones, Roland Barthes, Caroline Loeb, Andrée Putman etc.), comme une population beaucoup plus populaire, il devint naturellement un lieu où la mode est omniprésente. On trouvera ainsi des couturiers tels que Kenzo Takada, Karl Lagerfeld, Jean Paul Gauthier, Claude Montana ou encore Jean-Claude de Castelbajac réinvestir les lieux sous l’emblème de leur maison respective. Ce n’est que 5 ans plus tard, que le lieu va tomber en déclin, notamment en lien avec une maladie qui rongera le propriétaire Fabrice Emaer. C’est toutefois cette fulgurance du succès et de la fête qui participera au mythe et à l’atmosphère que génère ce lieu hors du temps, dans lequel résonne ses fantômes du passé. Au travers de sa précédente collection quatre mois auparavant, le couturier décide d’offrir à ses invités une ballade parmi les morts de l’empire romain au sein de la nécropole des Alyscamps à Arles. Comme nous le comprendrons, Alessandro Michele prend souvent grand soin de la sélection du lieu du spectacle, vecteur qui serait primordial dans la transmission de l’atmosphère que ses shows génèrent. De plus, comme toujours, une part essentielle sera donnée à la musique et au bruitage. C’est ainsi que le créateur insert sa nouvelle collection dans un lieu dépourvu de décor, si ce n’est que son lieu emblématique du Palace Club. Pour sa collection Printemps / Eté 2019, le créateur décide donc de faire revivre cette terre sacrée des années 70/80, et ainsi ressusciter les nuits interminables du passé où amis et amants venaient se rejoindre, tout en y ajoutant une certaine touche hollywoodienne propre au designer. Il en dira « Everything is a bit dusty here, a bit abandoned, but beautiful. But this place is full of life. The models could have been coming to the nightclub »1.
1 MOWER, Sarah, “Gucci Spring 2019 Ready To Wear”, Vogue, 25 Septembre 2018, accede le 08 Novembre 2020 sur https://www.vogue.com/fashion-shows/spring-2019-ready-to-wear/gucci#review
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HAUT - Archives du Palace Club, Loulou de la Falaise, Caroline loeab, Thadée Klossowski de Rola et Mounia (de gauche à droite), 1979 © Philippe Morillon BAS - Archives du Palace Club, Serge Gainsbourg et Catherine Deneuve, 1980 © Philippe Morillon
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Backstage devant le Palace Club, Laura Roth, ?, ?, ?, Gret, Eun Sang (de gauche à droite) © Christina Fragkou
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Pour se faire, les équipes de Without Production accompagnées du couturier puiseront dans les nombreuses références évoquées par la couture d’Alessandro Michele mais également par la résonnance artistique du lieu choisi ainsi que des traceurs des années 70 et 80, alliant l’avant gardisme de l’époque ainsi le pop culture dans une logique de surenchère constante. La force de ce défilé réside tout d’abord dans ce suspens, où personne ne sait vraiment où la collection va nous mener et quelle en sera sa finalité. C’est ainsi que l’esprit du « non finito » du théâtre italien avant-garde est évoqué, avec ses acteurs pionniers comme Leo de Barardinis et de Perla Peragollo. C’est en remaniant les grandes pièces shakespeariennes que le duo a su défier les conventions du théâtre italien, en les fragmentant et en rentrant dans une logique de « théâtre de contradiction »2. Cette référence s’établie très explicitement par la projection d’un extrait d’une pièce du duo. Connotation qui résonnera autant dans la déconstruction auditive et visuelle que dans l’éclairage de projecteurs sur scène. Outre par le stylisme et la couture d’Alessandro Michele, la référence aux années 70 et 80 s’établira par le lieu mythique de l’hédonisme parisien, le Palace Club ainsi que par l’intervention de Jane Birkin et la représentation de Dolly Parton. Si nous étudions de plus près les 84 looks, est ici vendu une garde-robe des années 70 qui auraient été glamorisé dans les années 80, créant un anachronisme pauvre habillé d’accessoires de luxe. Par cette surenchère évidente, l’ensemble de la collection reste adulé par son audience, par son incongruité, son mélange de genre et son caractère instagrammable. Dans chaque show Gucci, chaque détail est soigneusement pensé, dessiné et sélectionné sans pour autant offrir des pièces véritablement avant gardistes. Alessandro Michele prouve de nouveau en 2018 qu’il n’est même pas nécessaire de créer des pièces nouvelles pour faire tourner une maison, mais de les assembler avec attention, les rendant désirables. Mais si une collection n’est plus question de pure création et d’excentricité mais seulement d’assemblage, nous sommes amenés à nous demander si ce «non finito» restera en suspens jusqu’à la fin de la direction du couturier ou si elle arrivera finalement à sa conclusion. C’est ainsi que dans l’histoire que nous conte ce spectacle vêtu de strass, le «non finito» se fait omniprésent et crée une bulle temporelle incohérente permettant à chacun d’en faire son univers.
2 BEW, Sophie, HUTTO, Belle, MOSS, Jack, SKIDMORE, Maisie, « Seven key influences behind Gucci’s Parisian Spring/Summer 2019 show », AnOther, 25 Septembre 2018, accede le 30 Décembre 2020 sur https://www.anothermag.com/fashion-beauty/11192/seven-key-influences-behind-guccis-parisian-springsummer-2019-show
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Jane Birkin chantant Baby alone in Babylone, Défilé Gucci S/S 19 © Getty Image
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LÉO DE BERARDINIS & PERLA PERAGOLLO
Totò principe di Danimarca, Leo de Berardinis,1990. P. Vandelli, M. Sgrosso, M. Manchisi, Leo, A. Neiwiller, E. Bucci, F. Mazza, S. Levesque (de gauche à droite) © Piero Casadei
R éférences 154
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HAUT - Janis Joplin © Legacy Recordings France BAS - David Bowie, Veste tailleur rayée noir et blanche dessinée par Freddie Burretti, 1975 © The David Bowie Archive
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HAUT - Dolly Parton photographiée par Andy Wharol, Polaroïd © Andy Wharol BAS - Robe fontaine de Paul Poiret © Getty Image
HAUT - Freya Lawrence © Yannis Vlamos
HAUT - Laura Hagested © Yannis Vlamos
BAS - Reilly Patton © Yannis Vlamos
BAS - Inspiration de la robe Fontaine de Paul Poiret © Yannis Vlamos
secneréféR 157
Le public invité assez restreint dû à la capacité de la salle, en sera d’autant plus sélectif et significatif : sera invité du monde en lien direct avec la collection d’Alessandro Michele. On y trouvera alors des actrices hollywoodiennes telle que Faye Dunaway (actrice de Bonnie and Clyde), Amanda Lear (ayant produit plusieurs concerts au Palace), Michael Clark (Danseur et chorégraphe britannique), la jeune photographe Petra Collins, Adam Eli (activiste LGBTQ) et bien d’autres. A leur arrivée, après les photos réalisées, le public est invité à s’installer sur les fauteuils du théâtre. Le défilé démarre alors sur la musique Il Trovatore, D’amour Sull’alli Rosee de Verdi, son romantique dont les paroles évoquent un amour prisonnier et une souffrance dans les souvenirs et la nostalgie d’un amour perdu. La salle étant plongée dans le noir, les couloirs séparant les gradins s’éclairent par des spots fixes, ainsi que par des douches qui suivront constamment le trajet des mannequins. Le premier mannequin (Freya Lawrence) à l’attitude complètement neutre apparaît, vêtue de plumes rose, d’une longue robe à paillette rouge ainsi que d’un grand chapeau à fleurs bleu en velours. Le ton est posé : une extravagance affriolante dans une atmosphère mélancolique romantisée nous gagne, les fantômes du passé nous reviennent. Soudain, des premiers bruits de foule en colère font écho, suivi de sirènes de police, avec toujours en fond, les paroles douloureuses des Ailes Roses de l’amour. Les mannequins entrent simultanément par deux, de chaque entrée de la salle au fond. Une fois après s’être croisés dans l’allée centrale, ils rejoignent le centre de la scène théâtrale du Palace, la douche s’éclipsant dès le pied posé sur les planches. Une nouvelle attention est portée à l’éclairage sur la scène, toujours composé de douches, cette fois ci plus petites, dont leur trajet dessine des lignes directrices sur les rideaux de velours noir au fond. A l’image des gigantesques spots hollywoodiens virevoltant dans les airs, les spots du palace regardent quant à eux vers le sol. De nouveaux mannequins aux aires stoïques apparaissent : tous disposent de looks marginaux, toujours en référence aux années 70 et 80 avec une touche de fête (paillette, strass, boa, lunettes, chapeaux etc.). Des bruits d’hélicoptères et d’embouteillage désormais retentissent par-dessus l’opéra de Verdi, passant presque au premier plan sonore. A l’arrivée du 17ème look porté par Angus Van Pelt, la musique bascule sur la 3ème Symphonie en Fa majeur de Brahms. L’embouteillage et l’hélicoptère retentissent de nouveau, semblant signaler un barrage infranchissable télévisé par les médias. L’air mélodieux du Poco Allegretto de Brahms se distord à l’aide de différents effets sonores. Un bruit de klaxon corne de brume à gaz éclate, accompagné quelques secondes plus tard de bruits d’enfants. Une forme d’oppression auditive s’installe, entre l’agréable de la célèbre mélodie de Brahms et le conflit appuyé par les effets sonores et les sons ajoutés. C’est dorénavant l’entièreté des bruits auparavant ajoutés qui survient, laissant l’opus de Brahms inaudible. Par une association avec la collection présentée, l’attitude des mannequins et l’univers sonore, nous semblons être confronté à l’assujettissement de l’autorité sur les foules réprimées et des bruits de l’enfance éloignée, dans un passage violent de la jeunesse idéalisée à la vie d’adulte opprimée. La scène se remplit alors petit à petit de mannequins, s’étant positionnés en ligne puis en quinconce, telle une formation militaire. 158
Trajet n°1 des mannequins
Trajet n°2 des mannequins
Plan du Palace Club, Parcours des mannequins avant de monter sur scène © Charlotte Sampson
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Coupe du Palace Club © Charlotte Sampson
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Sur un morceau de violon composé par Ben Lee, des poèmes de Jean Cocteau nous sont lus par Raymond Bouleau (Difficultés d’être et Plain Chant). Ces poésies résonnent et nous parlent de désespoir, de mort et de perte identitaire dans une forme de romantisme mélancolique. De nouveaux sons sourds à la provenance inconnue et des sirènes de police retentissent de nouveau, pendant que l’armée sur scène, entre ombre et lumière, se forme. A la fin du 42ème look porté par Cheikh Kebe, l’apparition répétitive des mannequins et le violon cessent pour ne laisser entendre que les bruits de foules et les sirènes de police au loin, face à ces silhouettes stoïques. Nous arrivons au second temps du défilé. Soudainement, Jane Birkin jusqu’alors assise au centre de la salle se lève et nous chante son célèbre titre Baby alone in Babylone, simplement accompagnée d’un piano et de cordes. Ce morceau reprend la mélodie précédemment entendue de la 3ème symphonie de Brahms mais comporte des connotations différentes car représente le premier single apparu de Jane Birkin après sa rupture avec Serge Gainsbourg. Éclairée de deux douches de part et d’autre de la salle, la chanteuse est vêtue d’un simple costume noir. La mélodie finit par s’éteindre pour laisser retentir les sirènes de police, un tremolo de violon ainsi que les poèmes de Jean Cocteau : la composition de Ben Lee au violon comme fond musical de la poésie redémarre. « Mes pires défauts m’arrivent de l’enfance, comme presque tout ce que j’ai. Car je reste la victime de ces rites maladifs qui font des enfants des maniaques disposant leur assiette d’une certaine manière à table, n’enjambant que certaines rainures du trottoir. […] C’est pourquoi mon style prend souvent une allure volontaire qui m’est odieuse ou se relâche subitement ». Cette fois ci, le texte évoque plutôt une haine de soi et une critique de la société qui rendrait ses enfants malades, en opposition à la liberté qui ne peut nous être admise. Troisième et dernier temps du spectacle : les rangées sur scène s’accumulent, pendant que résonne de nouveau Les Ailes Roses de l’amour d’Il Trovatore, mis en transition par le son de la répression policière. Alors que les bruits de la répression apparaissent de façon stroboscopique, toujours de plus en plus fort, le chant est à son point culminant, chantant « El pene, el pene de mio cor » : Les douleurs, les douleurs de mon cœur. Pour finir, la mélodie de la 3ème symphonie de Brahms reprend alors que les derniers mannequins vêtus de paillettes pénètrent la scène. Le tremolo de violon retentissant de nouveau, le dernier mannequin est accompagné des paroles de Jean Cocteau, énoncées par le réalisateur metteur en scène Raymond Rouleau. Chaque mannequin, situé à une position bien précise, tous rangés les uns par rapport aux autres, observent fermement le public et le public les observe. Les mots du poète « Car je reste la victime de ces rites maladifs... » résonnent, alors que ce moment tensif est palpable. Les petites douches éclairant zénithalement quelques parties des mannequins qui se dirigent vers le devant de la scène vide, pour finalement voir les lourds rideaux de velours rouge se fermer.
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Contrairement aux deux défilés précédents, Without Production mettra quant à lui bien plus l’accent sur la musique et le son que sur le décor. En effet, celui-ci se montre presque inexistant, si ce n’est que le lieu réel dans lequel il se situe (bien que cela constitue un élément d’autant plus fort). Un choix minutieux de la musique de Verdi ou encore de Brahms, directement associée aux textes existentiels de Jean Cocteau offrent alors à son public une expérience unique, hors du temps, bien loin du mimétisme. La collection d’Alessandro Michele sera également primordiale dans la compréhension du message et son décodage1 puisque sera en résonnance directe avec le lieu et la mimique de chaque mannequin. C’est cette combinaison subtile de tous ces éléments, mis en lumière par un éclairage type du théâtre, qui permet une réelle interprétation du spectateur qui lui sera propre. En effet, par le caractère équivoque du son mélodieux et mélancolique associé à des bruits d’émeute, lui-même associé à des silhouettes mouvantes sans vie, le code ne sera pas nécessairement le même à chacun car nombreuses seront les connotations.
1 BARTHES, Rolland, « Introduction à l’analyse structurale des récits », dans Communications, n°8, 1966
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Scène finale, Défilé Gucci S/S19 © Dan Lecca
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Clôture du Défilé Gucci S/S19 © Daniele Venturelli
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UNE SCÉNOGRAPHIE DE LA SÉDUCTION
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« Seul le rite abolit le sens » Jean Baudrillard, De la Séduction
Pour appuyer l’analyse du corpus, nous travaillerons à partir des travaux de Patrice Pavis, sémiologue travaillant notamment sur l’interculturalité au théâtre. Nous nous baserons alors essentiellement sur son ouvrage Problèmes de sémiologie théâtrale paru par les Presses de l’Université du Québec en 1976. Notre analyse reposera sur une étude sémiologique théâtrale que nous transposerons afin de comprendre s’il serait cohérent de l’adapter à la scénographie du défilé. Si oui, il restera toutefois à élucider comment la réadapter et quelles révélations elle mets en exergue sur ce champ d’action. Nous soulèverons d’ores et déjà les limites de cette transposition : le texte étant la base première de la scénographie théâtrale alors qu’est inexistante dans le défilé. Nous prendrons alors le texte pour sa valeur, comme élément référentiel, ce pourquoi le texte sera transposé par l’habit, la collection d’un couturier représentant l’origine d’un défilé. Il s’agira au travers de cette étude d’analyser la scénographie du corpus sélectionné, de les croiser, de comprendre quels sont les messages transmis (s’il y en a un) et quelles sont les mécaniques et les réflexions philosophiques induites, tout en prenant en compte l’origine même de ces représentations : la vente. Nous débuterons par l’étude du message et du récit, puis par l’analyse de l’espace et de son rapport au temps. Enfin, nous finirons par le croisement de notre corpus par une de ses composantes fondamentales : la nouveauté.
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Pour offrir une analyse, Patrice Pavis propose donc de décomposer chaque élément constitutif de la scénographie en des traceurs bien précis, permettant de les lier comme de les opposer pour établir la lecture d’un code aboutissant au décryptage d’un message (en supposant que le défilé tente d’en établir un). A travers un lexique bien précis (cf. Annexes), il met en avant trois fonctions différentes constitutives de la scénographie théâtrale : la fonction iconique, la fonction indicielle et la fonction symbolique. Il s’agit alors dans un premier temps d’établir quelques définitions afin de placer la base et les limites de chaque signe, auquel sera ajouté d’autres notions (dénotation, connotation, signifiant, signifié etc.). La fonction iconique représente la base fondamentale du théâtre. Elle ne nécessite aucun médium de compréhension car il s’agit d’un signifiant limpide, qui se renvoi à lui-même comme son propre référent. Sur scène existe alors des icônes verbales comme visuelles. On y distinguera toutefois l’icône littérale de l’icône mimétique (ex : marcher sur scène est littéral car est fondamentalement ce qui est produit, alors que nager sur scène sera de l’ordre du mimétique). Sur le plan du défilé, l’icône visuelle sera fondamentalement employée puisqu’elle ne repose pas sur une œuvre dramaturgique mais sur un ensemble visuel de l’habit et la vision intangible d’un couturier. La fonction indicielle représente l’emboitement de l’icône car elle ne se constitue pas du contenu du signe mais plutôt de son utilisation sur scène. C’est le signifiant d’énonciation ou de désignation. Au théâtre, il peut être verbal comme visuel, par le biais du pronom personnel (je/tu), des adverbes de lieu et de temps (les shifters). Le défilé n’établissant presque jamais de dialogue verbal, l’index se fera plus discret et se situera plutôt dans le regard d’un mannequin, dans un geste, un thème musical ou bien même dans le costume d’un actant indiquant un trait de caractère par exemple. La fonction symbolique, représente finalement la relation entre code et message. C’est l’association illogique et arbitraire de l’auteur entre signifiant/signifié ou entre icône/index permettant l’interprétation du symbole, une fois le code théâtral établi. L’icône étant forcément présente, il sera primordial de nous appuyer sur les index du défilé pour comprendre si un message est bel et bien établi.
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A - Un message, un récit a - Un dialogue mutable
A la suite de cette traduction de l’histoire du défilé de mode s’étant imprégnée du milieu du spectacle, nous pourrions nous demander si ses fondements sémiologiques ne découlent pas d’une forme de vulgarisation de la forme théâtrale pour une accessibilité séduisante et attrayante par tous. En effet, l’objectif majeur du défilé est de séduire en masse le public de professionnels présent mais aussi le public n’y ayant pas accès. Contrairement à la représentation théâtrale, le défilé est relayé en live massivement sur les réseaux sociaux et est alors visionné par des milliers de personnes pour qui l’accès est impossible. C’est notamment cette inaccessibilité qui séduit et qui pousse tant de monde à vouloir s’infiltrer dans un show en attendant de nombreuses heures devant les lieux de représentation. C’est ainsi que ces représentations doivent toucher un public spécialiste physiquement présent et un public non expert virtuellement actif. Serait-ce pourquoi les défilés les plus ludiques ou grandiloquents sont les plus relayés ? Cette présentation pensée aussi virtuellement pour un fondement économique n’amènerait-il pas un appauvrissement de la visée artistique autour d’un défilé ? La lecture du code et la transmission du message peut-il et doit-il être comprit par tous ? Si nous retournons à la contiguïté du défilé de mode avec le théâtre, contrairement à l’analyse de la communication ou de la signification, on comprend facilement que le but du théâtre n’est pas de se rendre le plus clairement lisible par un ensemble de signaux, tout comme le but du défilé n’est pas dans la transmission d’un message mais dans la présentation d’une collection dans l’objectif de vendre. Elles offrent toutefois des signes comme ensemble de signifiants à interpréter. Afin de déchiffrer ce système, va se mettre en place un code dont la clé, propre à chaque texte ou à chaque collection, reste à élucider. Plus précisément, le système contient dans ces domaines une multitude de sous-systèmes signifiants : musicaux, gestuels, visuels ou éventuellement linguistique etc. Ce sont donc ces diverses couches que nous allons éplucher étapes par étapes afin d’en comprendre leur source, leur fonctionnement et leur aboutissement par le biais de la théorisation. Toutefois, nous comprendrons que c’est en parti ici que se situera une des limites entre cette analogie. En effet, ces sous-systèmes signifiants du théâtre et du défilé ne seront pas les mêmes et n’auront pas la même place. Le texte et la langue est un des systèmes signifiants souvent majeur au théâtre, bien qu’il puisse se faire dominer par un autre, alors que celui-ci sera très généralement inexistant dans le défilé. A l’inverse, le costume pouvant être apparenté à la collection d’une marque
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sera quant à lui souvent placé au premier plan lors de shows. Néanmoins, c’est les nuances et connexions entre la cohabitation de l’ensemble des systèmes qui nous intéressera et qui permettra cette lecture plus ou moins riche d’un spectateur. Il reste primordial de ne pas séquencer texte / décor / musique / costume comme des principes indépendants car c’est bel et bien leur couplage qui permettra de distinguer les éléments du code nécessaires à la lecture du message. C’est alors que le signe apparaît dans notre analyse scénographique, qui renverra soit à la réalité, soit à sa signification. Il peut être mis en relation directement avec les autres signes car il doit faire partie intégrante d’un tout. Il pourra ainsi appartenir au message comme au code, qu’il fasse partie de la continuité logique et temporelle de son tout ou d’un élément extérieur du fonctionnement du code. Si le théâtre n’est plus à penser comme une parole illustrée par une gestualité mais qui considérerait « le théâtre non seulement comme la mise en scène (représentation) du verbe mais encore comme la verbalisation de la scène »1, nous pouvons interroger ce rapport avec la couture et son défilé. Bien que la collection se place en amont de la conception scénographique (là où le texte représente l’origine même de la conception), le défilé pourrait se présenter comme une mise en scène de la couture mais aussi comme l’iconisation costumière de la scène. P. Pavis appliquera alors les définitions fondamentales admises par Pierce2 d’icône, index et symbole, afin d’en analyser la partition. Si toutefois, cet inversement de la conception scénographie est bel est bien mis en place (ou reste à mettre en place). Le code théâtral correspond à un code imaginaire rassemblant différents systèmes (idéologique, esthétique, psychologique (d’une période donnée par exemple), reconstitué à partir d’un texte et permettant de traduire la forme du message en vue de sa transmission. Plus concrètement, nous commençons sur scène par la lecture d’un message par le biais d’un signifiant iconique qui terminera sa course en tant que symbole, ayant été digéré par son code théâtral en passant par l’iconisation et l’indexisation. On trouve alors un écart qui se forme entre le pur signifiant original et le signifié de la scène. Cette mutation de l’icône théâtrale d’un signifiant scénique à un signifié symbolique représente un des systèmes majeurs de la communication théâtrale. Ce dernier symbole pourra lui-même être reconsidéré à partir de nouveaux signifiants au cours de la pièce qui viendront le préciser ou le contredire. Selon Jakobson, la progression théâtrale se ferait donc premièrement par métaphorisation des signifiants au niveau du code, puis par métonymie des symboles au niveau du message. Le circuit de symbolisation donne donc le schéma ci-dessous impliquant la formule suivante : Symbolisation = circuit x’ x’’ y 1 PAVIS, Patrice, Problèmes de sémiologie théâtrale, Presses de l’université du Québec, 1976, 167 pages, page 12 2 PEIRCE, Charles Sanders, Collected Papers of Ch. S. Peirce, Cambridge (Mass.), Harvard University Press, 19311958
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LA SYMBOLISATION
CODE
MESSAGE ICÔNE
SYMBOLE
Schéma de symbolisation, l’espace significatif, Patrice Pavis
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ALEXANDER MCQUEEN, S/S 2001
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Tenues composées de fruits de mer
Les mannequins détruisent leur tenue à mains nues
CODE
Nature morte
Destruction de la nature Destruction de l’identité (par l’habit)
MESSAGE
ICÔNE
SYMBOLE
Backstage défilé Alexander McQueen S/S 2001, Voss © Ann Ray
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CHANEL, F/W 2014
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Hypermarché Chanel
Les mannequins passent dans les rayons et prennent des produits
CODE
Tenues streetwear du quotidien Chanel
Achat / Consommation
MESSAGE
ICÔNE
SYMBOLE
Zlata Mangafic, Kremi Otashliyska, Josephine van Delden (de gauche à droite) © Getty Images
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GUCCI, S/S 19
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Théâtre dans la pénombre, scène vide
Les mannequins passent entre les rangées pour aller se placer sur scène
CODE
« De quels coridors, De quels corridors pousses-tu la porte, Dès que tu t’endors ? »
Spectacle des âmes passées
MESSAGE
ICÔNE
SYMBOLE
Scène finale © Gucci
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Au travers de cette démarche analytique, nous comprenons bien que décor, couture, gestuelle, texte, lumière et son dialoguent entre eux de diverses manières et sous diverses formes. Le message initial passant d’abord par l’iconisation peut se traduire par la couture, comme par le texte, le décor, la musique etc. : chaque représentation d’une collection décide de mettre un ou plusieurs sous-systèmes en avant qui permettra une seconde lecture de la collection en tant que telle. En effet, au travers d’un seul défilé, nous pourrions établir des dizaines de ces schémas, nous permettant de mieux comprendre les relations entre chaque signe ainsi que la relation générale aux symboles. C’est également ces schémas qui nous indiquent le degré de symbolisation de la représentation, ainsi que les possibles inspirations. Si nous prenons l’exemple de Chanel F/W 14 RTW, nous pouvons observer le caractère littéral du message par sa forme. Karl Lagerfeld crée une collection autour du quotidien et de la nonchalance et décide d’employer le lieu le plus quotidien et populaire qui soit : le supermarché (tout en soulignant le caractère ironique de cet acte). Alors que l’exemple de Gucci S/S19, Alessandro Michele dessine une collection autour de la nostalgie hollywoodienne, forme d’émulation et d’une esthétique perdue, qu’il placera dans le théâtre du Palace (dont l’apogée est complètement achevé) dans lequel les textes existentiels de Jean Cocteau et la musique douloureuse de Brahms résonnent. Le couturier emploie alors le symbole de la mort comme spectacle d’un temps révolu. Quant au défilé de Voss, Alexander McQueen emploiera un décor et une gestuelle tous deux renvoyant constamment à la folie, dans une forme de redondance. Toutefois, comme le fait subtilement Alessandro Michele, au-delà du message, l’intention se situe dans l’émotion et l’atmosphère procurée au visiteur qui nécessite alors une présence physique. C’est par cette combinaison de la couture, du geste et du lieu avec le son, le texte et le décor que se crée un moment hors du temps dans lequel le spectateur s’évade. Les deux scénographies se concordent dans leur intentionnalité ambiguë, entre l’étrange et la mélancolie pour Gucci ; le pervers et le malsain pour Alexander McQueen.
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b - Mise en avant et retrait
Dans sa collection Automne Hiver de 2014/2015, la Villa Eugénie accompagnée de Karl Lagerfeld décide de mettre largement en avant le décor sur l’éclairage, le son, la gestuelle ou bien même la couture. Mettant en abyme les spectateurs qu’elle accueille, la scénographie se montre essentiellement dans la représentation (tant dans le décor que dans le geste) que nous étudierons plus précisément dans la partie suivante. De manière similaire, le défilé de 2001 d’Alexander McQueen pour la collection Printemps/Eté mettra lui aussi en avant la représentation comme porteur de sens. Bien que le signifié du décor soit en redondance avec la collection, l’objectif serait de mettre mal à l’aise le spectateur en le mettant face à une vision, un éclairage et un son peu commun. Par sa collection, le couturier désire plutôt que le spectateur s’interroge sur ce qu’il voit, mais aussi ce qu’il ressent. Face à une boîte de verre, qui ne sera pas sans rappeler la mise en scène 13 ans plus tard de Cyrano de Bergerac de Dominique Pitoiset, Alexander McQueen impose au spectateur cette position de juge ou de voyeur. Contraint à observer ces femmes, à la fois heureuse, apeurée, névrosée, destructrice et à moitié dénudées, il est également contraint à observer son propre reflet par la présence de ces vitres sans tain. La scénographie met ici en perspective le regard de la société sur la folie et ceux qui la côtoient, il s’interroge si ce n’est pas la société elle-même qui serait malade. De plus, le designer décide de frapper encore plus fort, en reproduisant directement une photographie de Peter Joel Witkin. Cet artiste plasticien américain connu pour ses œuvres macabres, étant fasciné par les physiques étranges et singuliers qu’il trouvera par le biais de petites annonces dans les journaux. Il décide ensuite de mettre ses modèles dans des mises en scène bien pensées au caractère baroque. Tout comme Alexander McQueen, comme vu précédemment, cette obsession de Peter Joel Witkin lui provient d’un traumatisme qui le suivra toute sa vie. Ainsi, l’histoire et les esthétiques des deux artistes se rencontrent dans un trauma passé, les deux questionnant intimement et de manière personnelle le rapport de chacun à l’identité. Si aucun texte ne sera prononcé, le son sera quant à lui primordial dans l’élaboration de cette atmosphère tensive. En effet, tout au long du spectacle se feront entendre des bips médicaux dont le signifié indique la présence d’un être vivant malade. Si nous ne savons pas tout à fait qui est cet être, s’il est humain ou non, nous pourrons présumer qu’il est au bord de la mort, le liant avec le bruit entendu plus tard, d’une respiration lente et douloureuse. C’est notamment ce présumé d’un être malade présent mais qui nous est impossible de voir, qui instaurera une forme d’inquiétude voire de peur chez le spectateur, toujours dans un désir de comprendre une situation qui pour l’instant lui échappe. C’est ainsi que l’œuvre de Peter Joel Witkin est primordiale dans la scénographie de Voss, comme une révélation et une 182
HAUT - Cyrano de Bergerac de Dominique Pitoiset © Cosimo Mirco Magliocca (Cyrano de Bergerac, 2013) BAS - Scène finale, les mannequins observent le public au lieu de défiler en file © Rex Features
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« Mais tu sors de toi, Sans faire de bruit, comme d’une chambre, On sort par le toit. », Mauvaise Compagne, Plain Chant, Jean Cocteau « De quels corridors, De quels corridors pousses-tu la porte, Dès que tu t’endors ? » Mauvaise Compagne, Plain Chant, Jean Cocteau
« Tu recherches les studios, et les traces de Monroe Les strass et le stress Dieu et Déesses, de Los Angeles » Baby alone in Babylone, Jane Birkin
« Noyée sous les flots, de Pontiacs De Cadillacs, de Bentely à L.A. »
« Et tu prends le cheval aux crins, Le cheval du sommeil, qui, d’un sabot rapide, Te dépose aux bords que je crains. » Notre entrelacs d’amour à des lettres ressemble, Plain Chant , Jean Cocteau
Baby alone in Babylone, Jane Birkin
« Mes pires défauts m’arrivent de l’enfance, comme presque tout ce que j’ai. Car je reste la victime de ces rites maladifs qui font des enfants des maniaques disposant leur assiette d’une certaine manière à table, n’enjambant que certaines rainures du trottoir. » La difficulté d’être , Jean Cocteau 184
explication finale de cette collection. Réel point d’orgue, il contient en lui le code qui permettra de dénouer ou bien d’interroger davantage le message artistique du couturier. Quant à la dernière scénographie de Gucci Printemps Eté 2019, elle s’oppose à celle de Chanel en 2014 puisque se montre entièrement dépourvue de décor. En effet, Alessandro Michel accompagné de Without Production décide d’employer le lieu pour ce qu’il représente et non pas pour ce qu’il pourrait accueillir. Bien que d’autres grands couturiers aient réalisé des scénographies avec des décors au Palace Club, tel que Jean Paul Gauthier qui offrira une mise en abyme du lieu, le couturier décide de ne pas reprendre l’esprit festif des années 80 mais d’en prendre le contre-pied. En effet, il reprendra bel et bien l’esthétique de la fête et de la mode des années 70 et 80 dans sa collection, pour autant, c’est les fantômes de ces décennies qui nous réapparaîtront. De par ce fond nu et sombre du théâtre, Gucci place ici en avant la couture avant toute chose. Toutefois, le son et l’éclairage auront des rôles primordiaux dans l’établissement du code et la lecture du message, sans lequel il serait possible. C’est l’imbrication des signes appartenant à différents soussystèmes interdépendants, qui feront émerger le message bien plus sombre que ne laisserait penser la vision de la collection seule. Alessandro Michele décide d’utiliser l’Opéra de Verdi dans un moment de désespoir lié à un amour douloureux, où Leonara chante tout en observant sa bague remplie de poison. Ce choix ne sera effectivement pas anodin. Ensuite, le public pourra reconnaître la mélodie Symphonie numéro 3 en Fa Majeur, qui ne manquera pas de connoter également une forte mélancolie accompagnée d’une désillusion. Par-dessus ces deux compositions célèbres, retentira des sirènes de police, des bruits de foule en colère, d’embouteillage ou bien même d’enfants. Cette combinaison de douleur et de haine teintée de l’image de l’enfance perdue (notamment avec les textes de Jean Cocteau) marquera l’ensemble de cette représentation. C’est aussi une des personnes emblématiques de ces années, qui se lèvera du public pour chanter la musique iconique de sa rupture avec Serge Gainsbourg : Jane Birkin. De plus, c’est un des rares défilés qui contient du texte. Les poèmes de Jean Cocteau sont récités par le réalisateur et acteur des années 40 Raymond Rouleau et résonnent par-dessus une composition de violon. Sera sélectionné des écrits bien particuliers : ceux de La Difficulté d’être1 et ceux de Plain-chant2 qui chacun conte un amour toujours teinté de mort et d’introspection. En effet, dans Plain-chant, Jean Cocteau reprend l’image du sommeil assimilé à la mort, qu’il évoque au travers d’un dialogue avec un être aimé. C’est notamment un des poèmes les plus expressifs du poète étonnament doté d’une régularité métrique sobre soulignant l’émotivité de l’écrit. Jean Cocteau interroge le lecteur ou celui à qui voudra l’entendre si nous possédons véritablement celui qu’on aime. Dans une forme de beauté angoissée, 1 COCTEAU, Jean, La difficulté d’être, Editions du Rocher, 1957, 285 pages 2 COCTEAU, Jean, Plain-chant, Librairie Stock, 1923, 48 pages
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les vers se répondent par des points d’exclamation et un point d’interrogation, qui révèlera elle aussi la douleur aiguë du poète. C’est ainsi que se mêlent tous ces soussystèmes qui se répondent et permettent d’instaurer cette atmosphère angoissante. Le spectateur est partagé entre des tenues festives, des chants amoureux mélancoliques, la répression de ces bruits alarmants, dont chacun pourra faire son interprétation personnelle. Si j’y ai personnellement interprété une oppression de la société dont nous ne voulons plus faire partie en ce qu’elle nous impose des rites maladifs s’opposant à un amour libéré, je reste persuadée que d’autres y ont vu des reflets de leur vie passée, comme des images tout à fait opposées. Nous pouvons alors nous interroger sur les degrés d’interprétations de ces trois scénographies et leur valeur économique au sein de la marque. En reprenant le défilé de Chanel, est-ce la transmission d’un message simple et lisible par tous chez Chanel qui se traduirait en succès médiatique et économique ? Est-ce cette non nécessité de la présence physique qui permet de séduire en masse les foules ? Cette dispense n’allouerait-t-elle pas une forme de pauvreté de la scénographie ? Qui situerait alors une signification essentiellement sur le plan économique ? La scénographie parvient-elle à dépasser symboliquement la collection déjà présentée ? Même si les défilés de Alexander McQueen et d’Alessandro Michele répondent tout de même à une image de marque pouvant être mise en place par des équipes marketing, ces défilés ne révéleraient-il pas autre chose ? Ces défilés ne deviendraientils pas alors fondamentaux à la parution d’une collection ? Comme permettant la lecture d’un message dépassant la signification des collections ? C’est alors que la question de la représentation dans l’espace se pose : la couture, éléments de base d’un défilé et la scénographie sont-ils interdépendants ? Ou la scénographie n’estelle qu’un écrin permettant la retranscription de cette collection ?
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Le textuel et le visuel étant interdépendants au théâtre ; La couture et son écrin l’étant également chez Alexander McQueen et Alessandro Michele, ils opèrent comme système ayant leur propre fonctionnement et référentiel (ou non ?). Chaque système nécessite le message de l’autre afin d’être lu et comprit. Ils auront alors besoin d’un point de contact, d’une clé afin que les connexions s’opèrent. Ainsi, si le texte énoncé par l’acteur (l’énonciateur) ou l’habit porté par le mannequin n’a aucun rapport avec la mise en scène, il appartiendra quoi qu’il arrive au visuel car s’opère sur la scène. Il joue alors le rôle de shifter, un intermédiaire entre textuel et visuel, entre couture et mise en scène. A l’inverse, le visuel scénique contiendra également toujours l’énonciation du message et/ou la présentation de l’habit car situ l’énonciateur et/ou le mannequin, même si ce système n’a aucun rapport avec lui. C’est grâce aux shifters qu’une compréhension du message du visuel, du textuel ou du couturier s’opérera. C’est aussi lui qui comportera une explicitation du message général par une lecture croisée. Il s’agirait dorénavant de comprendre si le défilé contient bel et bien des shifters ? Si la représentation doit nécessairement être en décalage par rapport à la collection pour exister ? La collection devant être lue et perçue en quelques secondes et les défilés étant rarement regardés en entier par l’ensemble de ses spectateurs virtuels : la redondance est-elle nécessaire ? Quelles sont les répercussions de ce décalage dans l’esprit de l’auditeur ?
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B - L’espace et le temps a - Dimensions et structures du système signifiant
Grâce à ces analyses, nous comprenons bien que le signifiant ne peut exister par lui-même, son existence étant révélée par sa relation avec les autres. Ainsi, existet-il des signifiants plus importants que d’autres ? Quelle est la place du signifiant parmi le reste des signifiants ? Peut-on le spatialiser ? Existe-t-il des signifiantssupports à d’autres signifiants qui viendront s’y greffer ? Dans l’œuvre théâtrale, le signe linguistique prend une part majeure parmi les signifiants, car si le signifiant visuel peut échapper à certain, nous ne pouvons pas ne pas entendre le dialogue et de ce fait, c’est sur le texte que graviteront et s’organiseront les signifiants visuels. Toutefois, nous n’oublierons pas que certains signes visuels tel que la gestualité, la mimique ou certaines situations théâtrales se positionneront comme «signifiant de base» en ce qu’ils permettent la meilleure compréhension de l’ensemble. Ainsi, ce n’est donc pas nécessairement le texte qui se placera comme support des autres signes, mais simplement le «signifiant de base» qui a le plus pertinent des traits, à la croisée des signes. Un signifiant ne pourra donc qu’être qu’en comparaison avec un autre, dans un système de convergence et de redondance. Au contraire, le défilé ne présente aucun texte mais tout comme l’œuvre théâtrale, est pensée autour d’un sous-système entier : celui de la couture. De ce fait, bien que la couture soit pensée comme élément initial de la conception scénographique, il ne sera pas pour autant nécessairement le «signifiant de base».
« Aux icônes qui sont encore du sensible, s’associent les index qui montrent les éléments dont ils parlent ; les deux signes produisant le symbole, signe qui, comme le signe de la démonstration mathématique, n’est plus le réel, mais le signifie conventionnellement. Un monde parallèle s’est créé – habile assemblage de symboles. La représentation peut commencer. », Patrice Pavis, Problèmes de sémiologie théâtrale
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Comme vu précédemment, le signe se décompose donc en deux entités : le signifiant et le signifié qui seront classés selon Patrice Pavis en signifiants visuels et en signifiant textuel. Toutefois, le défilé ne comprenant aucun élément de texte, nous ne nous appuierons que sur l’ensemble des signifiants visuels (représentation, geste, son, couture etc.). Mais avant de pouvoir analyser ces différents systèmes sémiologiques qui constituent la communication du défilé, il est important de se demander dans un premier temps quelle place sera donnée à chaque ensemble, entre la scénographie produite et la couture. En effet, nous pouvons soit considérer que le visuel n’est qu’une transposition du message de la collection par redondance. Soit nous pouvons nier cette traduction de l’habit pour en faire un système sémiologique autonome où le visuel offre des éléments de lecture supplémentaires à la collection, où l’habit devient lui aussi le commentaire de la mise en scène. La question serait alors à se poser pour tout défilé, est-ce le visuel permettant d’interpréter la couture qui est elle-même interprétée ? Ou l’inverse ? Les défilés ne comportant que des signifiants visuels comme l’entend Patrice Pavice, l’ensemble des signifiants sont spatialisés directement sur la scène, et sont tous perçus directement, en une image, par le spectateur. Le mannequin est donc actualisé sans ambiguïté dans une mise en scène. Le visuel peut toutefois se distendre comme dans un caractère musical, en se faisant abstrait, mais les éléments visuels seront soumis quoi qu’il arrive simultanément ou sinon propagé dans le temps. Toutefois, comme le signifiant textuel qui est dicté par une linéarité et une temporalité préétablie, la gestualité et l’évolution du décor ne peuvent pas être bougées dans le spectacle. Si le texte peut réaliser des effets de surprise sur le spectateur au théâtre, il est important d’observer que c’est bien la mise en scène dans le défilé qui offre une forme de récit créant alors ces mêmes effets.
« Le visuel n’est pas seulement le référent du textuel, mais il signifie aussi par lui-même, il renvoie à un référent extravisuel et il faut distinguer deux modes de référence. Dans ce cas, on ne considère pas le système visuel comme un système interprétant du système interprété que serait le texte ». Patrice Pavis, Problèmes de sémiologie théâtrale
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b - L’espace par la représentation Suite à cette première analyse autour du signe, l’analyse de la représentation du défilé dans l’espace et dans le temps se montre dorénavant nécessaire. Nous nous interrogerons au travers de cette partie sur la place et la portée que peut avoir la représentation, quels en sont les composants et les aboutissants. Pour cela, il s’agit dans un premier temps d’établir les signes portant le sens et la force de l’événement, en qualifiant ses attributs, ses adjuvants comme ses conséquences. Dans la prolongation de cette première partie, nous prolongerons cette analogie du théâtre pour approfondir ce rapport plus ou moins distant entre scénographie théâtrale et scénographie du défilé. Au théâtre, pour parler de signification, il est important de pouvoir la comprendre dans son processus, c’est-à-dire percevoir le signifiant tout en saisissant le signifié qui lui est associé. Nous comprendrons qu’un signifié est rarement associé à un signifiant seul afin d’éviter une communication scène/ spectateur ambiguë. Ce qui nous ramène alors aux notions de redondance : c’est-àdire l’interconnexion des signifiants textuels et visuels qui permettront la genèse d’un signifié commun. En l’appliquant au défilé, nous verrons que ce système pourra être directement appliqué entre couture et scénographie, bien que les sous-systèmes de ces signifiants différeront. Si le texte a généralement une place prédominante au théâtre, elle sera sous-jacente, voire inexistante dans les défilés, au profit de la mise en avant de la couture ou du décor par exemple. Ainsi, lorsque nous parlerons de redondance, il s’agira plutôt de l’interconnexion de signifiant visuel (par le costume par exemple) et du signifiant visuel, entraînant un dialogue différent. En effet, la scénographie et son décor existent pour faire briller l’habit et pour en faire résonner son histoire, ses inspirations et ses intentions. Etant donné le contexte commercial, il sera donc naturel que la couture soit très généralement mise au premier plan, le reste ayant pour but de faire miroiter le dessein du designer. Contrairement au théâtre qui est à l’origine porté par le texte et la narration, l’analyse et la compréhension d’une intention par la couture nécessitent un regard avisé d’expert, pour lequel seule une minorité de la population peut en lire les dérives et les connotations. L’intention globale se situant alors plutôt vers la transmission d’une émotion1. C’est pourquoi la scénographie a aujourd’hui cette ampleur dans ce domaine, car se montre comme l’élément visuel essentiel à la diffusion et l’appréhension d’une collection. Si nous partons de ce principe, il se montre alors évident que la redondance sera de mise, au profit d’une interprétation du code et une compréhension du message d’un public bien plus large. Toutefois, il serait peut-être réducteur de penser que la scénographie n’amène pas une dimension supplémentaire, permettant elle-même de faire émerger un degré de narration dans le temps, complètement absent de la couture et ainsi proposer son propre message. 1 Communication personnelle avec Thierry Dreyfus, 23 Janvier 2020, voir annexes
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HAUT - Karl Lagerfeld, Défilé Chanel F/W 14 © Bertrand Rindoff Petroff BAS - Après le défilé, le public se sert dans les étalages © Tamu McPherson
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Erin O’Connor en extase détruisant sa robe de couteaux de mer tout en défilant © JB Villareal pour Style.com
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L’événement ne comportant généralement pas de texte et la compréhension de la couture ne pouvant être globalement que perçue par un panel d’experts, l’établissement du message de la collection par un spectateur « ordinaire » (qui constitue la grande majorité de l’audience) se réduit essentiellement à la connotation. Sans connaissance de l’histoire de la mode, de la marque, de la technique et de la matière, la connotation est primordiale dans la construction du sens. Nous n’oublierons pas que la connotation peut s’opérer par la connaissance culturelle et historique mais également de manière plus universelle, tel que mettre un tableau d’une personne à l’envers peut connoter la remise en question de l’identité comme le mauvais présage (parmi d’autres). Ce signifiant répondra alors à d’autres signes, permettant l’orientation de la connotation. Par exemple, lorsqu’Alexander McQueen décide de réaliser une robe entièrement constituée de coquilles de couteaux de mer, un œil expert pourra y voir la prouesse technique, novatrice et qui est artistiquement et politiquement forte au regard d’une culture historique, sociale et artistique de la mode. Alors qu’un œil vierge de ces connaissances pourra y voir une forme simple de fragilité et d’une convergence entre corps et nature. Chacun pouvant établir ses propres connexions en fonction de son expérience et ses connaissances, c’est ici que la force de la connotation s’opère. De plus, lorsque le modèle décide de détruire cette robe constituée de coquilles, un indice du code s’immisce et commence d’ores et déjà à orienter le regard et donc les connotations des pièces suivantes. Comme nous le comprendrons, le défilé ne comportant ni de récit ni de narration, il devra offrir une forme de linéarité de ce qu’elle raconte uniquement par la représentation. Ainsi se pose la question de la place de la scénographie dans l’établissement du code. Il semblerait donc que la scénographie explicite et contient des éléments du code nécessaires à la lecture du message de la collection. Toutefois, si nous reprenons notamment les pensées d’Antonin Artaud, la scénographie pourrait également offrir un message qui lui serait propre dont les traces du code pourraient éventuellement s’opérer dans l’habit (parmi d’autres) et non l’inverse. Ce ne serait donc pas la collection qui serait placée au premier plan, mais son écrin. Comme vu précédemment, nous avons donc pu établir que les connotations modifiaient plus ou moins considérablement la première perception de l’œuvre (dénotation). C’est alors que c’est au spectateur de trouver la clé pour dépasser cette dénotation qui s’offre naturellement à lui ainsi que les connotations qui accompagnent le message. Il s’agit alors de se demander ce qui est de l’ordre du naturel ou du « culturel masqué en naturel »2 . Lorsque le spectateur cherche la connotation du signe, c’est le codifier et ainsi lui accorder une signification seconde par la connotation culturelle et idéologique : la connotation prend la forme d’une rhétorique.
2 PAVIS, Patrice, Ibid, page 84
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C’est ainsi que le défilé de Gucci en 2018 pour la collection Printemps Eté 2019 séduit ses invités en deux temps. Alessandro Michele accompagné des équipes de Without Production parvient à créer cet évènement hors du temps complètement mystifié, à l’atmosphère lourde et poétique comme une réelle balade d’un temps révolu. De nombreux signes tels que les tenues exubérantes perçues avec une mimique «neutre» sur un fond de l’opéra de Verdi permettent une dénotation instantanée : une personne habillée de manière festive sans émotion traverse des allées sombres et dénudées d’un théâtre sur la triste mélodie des ailes roses de l’amour3 sur lequel s’ajoutent des bruits de sirènes de police. C’est après cette première appréhension que le spectateur peut y ajouter des connotations afin de lui donner sens : Les fantômes des années 70 / 80 parcourent les allées du Palace Club, symbole d’une festivité et émulation révolue, sur lequel se teinte une mélancolie et une nostalgie certaine de cette allégresse perdue, s’étant transformée en une oppression sociale et militaire que leur impose le monde d’aujourd’hui. Nous pourrons prendre chaque signe individuellement afin d’en décomposer ses dénotations et connotations, mais c’est bien le dialogue et les relations internes de tous ces signifiants qui permet cette lecture. La particularité du défilé de Chanel en 2014 est qu’il dénote avant même que la représentation est démarrée. En effet, les spectateurs pénètrent les lieux par les caisses et s’immergent directement dans ce lieu qui lui apparaît textuellement comme le « Chanel Shopping Center ». La scénographie dénote par ce mécanisme ludique puisqu’incongru étant donné le contexte élitiste du défilé d’une des maisons de luxe majeure en France. A partir de là, une fois le spectateur installé, il fait donc face à ce supermarché vide, totalement éclaire et entièrement siglé du double C. La dénotation est littérale : l’action se situe dans un supermarché Chanel, dont le paradigme serait la consommation. Si nous passons en une lecture syntagmatique, nous pouvons également y voir les connotations esthétiques et artistiques du photographe Andreas Gurky dans 99 cents4 tout comme éventuellement une critique de la société de consommation (bien que le caractère ludique qui traverse l’ensemble du défilé le conteste plus ou moins). On notera toutefois que cette œuvre d’Andreas Gurky, met en exergue l’entière ironie de la situation que tente peut-être de révéler discrètement le choix de cette scénographie. Que ce soit voulu par la Villa Eugénie ou non, il n’en reste pas moins. En effet, 99 cents II Diptychon a été vendue pour pas moins de 3,34 millions de dollars, ce qui en fera la photographie la plus chère au monde lors des ventes Sotheby’s en 2007 (à ce jour en 6ème place). La vente d’une photo représentant le lieu emblématique et quotidien de la consommation de masse américaine devient l’objet de convoitise qui soulèvera plusieurs millions de dollars. Outrepassant la requalification de l’espace jugé laid de l’artiste en un espace de beauté et de convoitise, le symbole derrière l’œuvre comme derrière les actions qu’elle a enchaînées est très fort. Au travers de cette scénographie est repris l’ironisation 3 VERDI, Giuseppe, « Il Trovatore, Acte IV Il Suplizzio : D’amor sull’ali rosee (Leonara) », 1853. CALLAS, Maria, chant, Parlophone, 1956 (B00KTQD85O) 4 GURKYS, Andrea, 99 cents II Diptychon, 1999, 207x307cm
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HAUT - Scène finale défilé Gucci S/S 19 © Victor Virgile BAS -Sécurité, Défilé Chanel F/W 14 © Stéphanie Cardinale pour Corbis
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Variation de la vitre sans tain simultanément à une respiration lourde © Fashion Videos
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de la situation par l’icônisation et la transposition de ces espaces accessibles à tous, en un lieu de beauté Chanel rêvée qui poussera chacun à dépenser de larges sommes pour pouvoir l’immortaliser. Le défilé d’Alexander McQueen dans Voss en 2001, chez qui la notion au temps sera essentielle, la dénotation ne sera pas immédiate et les connotations seront multiples à travers les différents signifiants qui s’ajouteront au défilé. En effet, le public entre dans une grande salle dans laquelle est positionnée une grande boîte aux faces miroitantes. Chaque participant est alors invité à s’installer devant ces grands miroirs, donnant alors à l’invité le spectacle de son propre reflet, ainsi que des personnes et des caméras qui l’entourent. Après que la salle ait été plongée dans le noir, le centre de cette grande boîte s’éclaire : les spectateurs ne font plus face à leur reflet, mais à la vision d’une cellule psychiatrique calfeutrée dans lequel des mannequins aux visages recouverts de bandages circulent, chacun ayant une personnalité très marquée et des gestes aléatoires. La dénotation est claire : le spectateur se situe face à une cellule de détention de personnes folles qui déambulent au sein d’une pièce calfeutrée, nous sommes dans le paradigme de la folie. Le système de regardant / regardé et du regardé / regardant est ambigu. Le spectateur ne sait pas dans quelle position la scénographie le met. Nous pouvons comprendre que le mannequin ne regarde pas directement le public mais qu’il se regarde lui-même par le reflet que lui impose cette boîte sans tain, mais cette ambivalence crée une forme de perversion et de malaise chez le regardant qui observe ces personnes folles enfermées. Par le biais de la gestuelle (destruction physique des robes), de la lumière (alternance clair / obscure, jeu de reflets) et du son (bip médical), de fortes connotations s’imposent. Ici la notion de folie se couple avec la perversion et une nature morbide, dont l’apogée se situera lors de la destruction de cette dernière boîte opaque révélant la composition de Peter Joel Witkin. A travers ces trois défilés, les signifiants visuels étant spatialisés directement sur la scène, ils sont tous perçus directement, en une image, par le spectateur. Le personnage est actualisé sans ambiguïté dans une mise en scène. Mais comme une forme de narration, le visuel est changeant et évolue tout au long de la représentation. Au théâtre, le signifiant textuel sera dicté par une linéarité et une temporalité préétablie : nous ne pouvons pas bouger les phrases dans l’œuvre comme nous ne pouvons pas bouger les mots d’une phrase. Ainsi, le texte peut réaliser des effets de surprise sur le spectateur et le textuel étant dicté par un ordre chronologique, le visuel devient un moment prolongé dans l’acte théâtral et se prolonge dans le temps. Dans cette comparaison avec le défilé, il est intéressant d’observer que sans narration ni texte, une linéarité et une chronologie du défilé sont omniprésentes et peuvent être nécessaires à l’élaboration d’un message. Il s’agira alors de comprendre comment cette linéarité dans le temps est permise dans les défilés alors qu’ils ne contiennent pas de texte et par quels systèmes cette linéarité s’opère.
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c - L’espace et le temps
Comme nous le remarquerons, les défilés ne dépassent très généralement pas la quinzaine de minutes. Toutefois, cela n’a pas toujours été le cas. En effet, dans les années 50 le défilé ne durait pas moins d’une heure et trente minutes. Elle sera réduite à quarante-cinq minutes dans les années 60 pour finalement passer à une quinzaine de minutes à ce jour. Le célèbre historien Olivier Saillard en dira «On y brade les idées […] On attend plus longtemps les défilés qu’on ne les regarde»1, la réduction de la durée correspondant à la croissance exponentielle du nombre de défilé en une journée, ainsi qu’à la réponse d’une forme de divertissement stroboscopique. Cette lourde modification traversant le siècle indique ce rapport essentiel qu’a le défilé avec le temps, dans la séduction de ses spectateurs. En effet, les personnes invitées à un défilé (répondant à des critères bien précis : pouvoir économique ou pouvoir médiatique) sont généralement demandées à bien plus d’un seul défilé. De ce fait, la fashion week correspond aujourd’hui à une course contre la montre afin de pouvoir accéder à un maximum de défilés par jour (en changeant bien évidemment de tenues entre chacun), où certains défilés se mettent même en retard pour atteindre l’arrivée d’une seule et même personne déterminante quant au succès de la nouvelle collection présentée. Les rapports de séduction évoluent avec les décennies. Le charme s’opérait autrefois par le simple biais de la couture et des modèles présentées, alors qu’il s’agit aujourd’hui de proposer un spectacle poignant, court et impactant afin de marquer les esprits. Dans une guerre du défilé actuelle à celui qui se fera le plus remarqué, l’objectif est de s’assurer une place sur les médias et sur les réseaux afin de consolider sa place sur le marché de la mode. De manière plus générale, les défilés tentent de transmettre un sentiment, une histoire à ses spectateurs pour pousser à l’achat comme témoigner les désirs artistiques, politiques et économiques d’un couturier démiurge. Ainsi, nous comprenons bien que le rapport au temps dans l’établissement d’une histoire par la narration est essentiel. Une fois les icônes établies par le décor et la couture, il s’agit dorénavant de faire dialoguer chaque système afin de construire une forme de dramaturgie qui serait propre au défilé. Si nous reprenons les termes qu’emploie Patrice Pavis, nous pouvons trouver au sein d’une représentation des icônes, pouvant être visuelle comme auditive (ou textuelle au théâtre). L’icône constitue le signe théâtral fondamental ne nécessitant aucun medium de compréhension. Il se renvoie à lui-même comme son propre référent. L’icône est visuelle « lorsqu’un signe dénote par analogie une image « explicite » et connote un trait de caractère. Par exemple, la moustache d’Astérix dénote, par analogie, une moustache de Gaulois, et connote une moustache dont on peut être fier »2. Elle est cependant auditive si elle nous 1 AGNOUX, Alba, TOPALOFF, Anna, « Olivier Saillard : trop de décors et pas assez d’idées”, O, vol. supplémentaire à L’Obs, n°12, Février 2016, p.82 2 PAVIS, Patrice, Ibid, page 61
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Evolution dans le temps, Défilé Alexander McQueen S/S 2001© Charlotte Sampson
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Evolution dans le temps, Défilé Chanel F/W 14 RTW © Charlotte Sampson
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apparaît par le verbe ou le son. L’icône semble toujours renvoyer à une chose car dénote, mais reste quoiqu’il arrive polysémique grâce à la connotation. C’est grâce à ces dénotations qu’elle donne cet « effet du réel » (Barthes) par mimétisme tout en évoquant un champ beaucoup plus large. Elle est donc liée à l’interprétation et reste subjective. Son signifié pourra ainsi évoluer tout du long de la pièce car est mis en lecture constamment avec de nouveaux signifiants. C’est dans ce contexte qu’apparaît l’index. Contrairement à l’icône, il a pour vocation d’être univoque. Il a pour rôle d’être l’indicateur de l’icône. Il doit alors être perceptible d’une seule manière par le spectateur, un signifiant fixe comme repère dans la scène. De plus, il apporte une forme de linéarité dans la temporalité de la pièce car peut lier diverses actions dans le temps par des décors, permettant une fluidité de l’action et une meilleure lisibilité des icônes. Ainsi, nous allons pouvoir interroger la place de l’index dans le défilé qui sera en lien direct avec les shifters : intermédiaire entre les différents sous-systèmes permettant la compréhension du message. Dès les premiers instants chez Gucci en 2018, le paradigme de la mélancolie s’impose au spectateur. Toutefois, il évoluera au cours du défilé par cette accumulation de bruits de foules en colère, de gyrophares et d’enfants. Par ailleurs, chaque mannequin vient petit à petit se ranger sur la scène en rangées, puis en quinconce, permettant une mutation du regard du spectateur. Après le passage des deux premiers mannequins, le public se positionne comme spectateur de cette mélancolie certaine de la fête. Après l’arrivée du 84ème et dernier mannequin, la position du spectateur s’inverse. Le public est maintenant confronté à une armée Gucci installée sur scène les observant eux et questionnant leur rapport au monde, lorsque des hélicoptères et les sons combinés de la répression résonnent au creux de ces douches de lumières braquées sur ces mannequins sans vie. Ces icônes auditives prennent ici la place de shifters car n’ont aucun lien avec l’action scénique et permettent l’orientation du regard. Lorsque le son démarre sur l’opéra de Verdi confortant le paradigme de la mélancolie, c’est son couplage progressif avec ces bruits de violence qui permettra de comprendre le message du spectacle. De plus, l’accumulation des mannequins stoïques sur scène dans le temps permettra également un basculement dans la compréhension du message. Par la présence de ces shifters, le temps se montre alors essentiel à l’interprétation du défilé. Pour le défilé pensé par la Villa Eugénie pour Karl Lagerfeld, ce même rapport s’installe, bien qu’il ne soit que visuel. En effet, la même mécanique est employée. Le défilé démarre dans ce Shopping Center vide, dans lequel deux mannequins pénètrent les lieux à quelques secondes d’intervalle. Après avoir fini leur trajet, contrairement à ce qui est habituellement attendu, elles ne quitteront pas l’espace scénique pour rester dans les rayons à déambuler et à mimer l’action des courses. Une douzaine de minutes plus tard, l’espace se montre alors rempli d’actants habillés en Chanel qui vagabondent dans les allées, dialoguent entre elles et interagissent avec les objets présents dans la scénographie. 201
Enfin, c’est le spectacle de Voss par Alexander McQueen qui montrera comment la séduction ne peut fondamentalement s’opérer qu’à travers un travail minutieux du défilé dans le temps. Contrairement aux deux autres, il amène les notions de révélation et de découverte au centre de la conception. Se montre primordial de ne pas tout montrer pour attiser le regard du spectateur, l’amener au sommet de sa curiosité pour finalement le lui exposer violemment. Sam Gainsbury et Anna Whiting galvanisent le spectateur dès le premier instant en ne lui proposant que son simple reflet alors que s’attend à ne pas faire partie du show, si ce n’est qu’en l’observant. Ensuite, ces miroirs disparaissent pour laisser voir cette boîte de verre contenant une seconde boîte opaque. Le public est alors happé : la scénographie lui révèle ce qui était dissimulé pour montrer sa seconde couche encore pleine d’ombre que le spectateur cherche à en comprendre le sens. Entre les jeux de clairs obscurs qui ponctueront le show et ces vitres sans tain, c’est alors que cette dernière boîte décide enfin de s’ouvrir, en fracassant ses parois de verre au sol : l’objet de convoitise se révèle enfin pour laisser apparaître cette étrange silhouette. C’est en ce sens que la séduction, bien qu’étrange, se montre impactante et psychologiquement forte : alors que le défilé met le spectateur dans une position perverse, le public reste magnétisé au show car désire comprendre et savoir ce qui se passe derrière ces parois qui le dissimule de la vérité. En effet, Voss emploi pour séduire un caractère propre au couturier : la perversion. Par le biais de l’hystérique, « une certaine perversion est séduisante, puisqu’elle use du détour de la perversion pour séduire »3. Alexander McQueen joue avec l’étrange pour troubler les spectateurs mais aussi pour les conquérir. Comme a pu le théoriser Sigmund Freud, l’étrange serait du domaine de l’inconnu, révélé à une ou plusieurs personnes. Où le terrifiant serait un sentiment oublié car refoulé par le regardant alors relié à quelque chose du familier4 et donc de séduisant. La scénographie prône l’usage d’une séduction vivante, mouvante, éphémère et secrète par l’usage d’une perversion interminable, « théâtrale et complice »5. C’est justement cet usage inattendu du pervers qui fera notamment la renommée du couturier, tout comme Gucci a su redorer ses lettres par l’excentricité de son directeur artistique. Si ces deux personnalités emploient l’étrange pour séduire, Chanel utilisera son pouvoir économique par la création de microcosme sous la verrière du Grand Palais. Quel que soit leur moyen, la clientèle de Karl Lagerfeld, Alessandro Michele et Alexander McQueen semble toujours happée par une même constante : la nouveauté.
3 BAUDRILLARD, Jean, De la Séduction, Paris, Editions Galilée, 1979, 248 pages, page 173 4 FREUD, Sigmund, « The Uncanny », 1919, dans Works: The Standard Edition of the Complete Psychological Works of Sigmund Freud, sous la direction de James Strachey, vol. XVII, Hogarth Press, Londres, 1955, p.220 5 BAUDRILLARD, Jean, De la Séduction, Ibid, page 175
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Evolution dans le temps, Défilé Gucci S/S 19 © Charlotte Sampson
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C - Une scénographie de la nouveauté
Comme le montre chaque année la fashion week de Paris, Milan, New York et Londres, chaque maison et couturier proposent d’offrir à sa clientèle une nouvelle façon de se vêtir qui façonneront les tendances de l’année d’après. Par la création d’une collection qui se voudra innovante et précurseure, un évènement est pensé autour d’une scénographie qui se veut de plus en plus importante et exubérante chaque année. Grâce à des dispositifs de séduction complexes alliant sociologie, économie et marketing, le défilé parvient à attirer des milliers des personnes chaque semestre, qu’ils y soient conviés ou non. La foule de centaines de personnes patientant devant les lieux de représentations fait aujourd’hui partie intégrante de ce système, qui s’éloigne bien des premiers défilés dans les salons privés des maisons de renom. L’hystérie fait dorénavant partie du décor. Mais alors, pourquoi la présentation d’une ligne de vêtements pensée par un créateur démiurge provoque cette agitation des foules ? Où « il ne s’agit plus de la séduction comme passion, mais d’une demande de séduction »1 ? Comme vu précédemment, nous comprenons donc en quoi la mode peut constituer l’un des attraits premiers de ces évènements, la mode étant perçue comme un plaisir égocentrique de donner son être unique en spectacle, comme de pouvoir envisager son futur soi que nous voulons désirer. Chacun tente de se différencier de son voisin pour pouvoir soi-même exister singulièrement, tout en se mettant en scène, dans une forme de séduction première individualiste. Le vêtement et son écrin s’érotisent et séduisent par leur force du secret, du fantasme et de leur communication. C’est ainsi que le défilé de mode sera conçu comme évènement marquant cette puissance de la suggestion, liant la vision d’une silhouette esthétique que l’on désire à un espace qui nous transporte vers la vision idéalisée et matérialisée d’un couturier. Le défilé offre virtuellement à ses spectateurs non présents un spectacle élitiste auquel ils n’ont pas et n’auront sûrement jamais accès. Ils offrent à leur public une nouveauté inaccessible ne faisant qu’attiser leur désir d’y accéder puisque les marques le clament sans ambiguïté : voici ce que seront les tendances de l’année prochaine auquel vous n’aurez pas accès, si ce n’est que par la reproduction d’un souhait inégalé. Comme l’évoquera Jean Baudrillard, « La loi de la séduction est d’abord celle d’un échange rituel ininterrompu, d’une surenchère où les jeux ne sont jamais faits […] et qu’il n’y a pas de limite à ce défi à l’autre d’être plus séduit encore, ou d’aimer plus que je l’aime, sinon la mort »2. Il mettrait en exergue la séduction par le défilé non pas comme élément constitutif de la pratique mais comme élément 1 BAUDRILLARD, Jean, De la Séduction, Paris, Editions Galilée, 1979, 248 pages, page 175 2 BAUDRILLARD, Jean, De la Séduction, Ibid, page 38
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fondamental. La genèse de la scénographie dans le défilé ne plaçant son objectif essentiellement que dans la séduction de ses spectateurs. Dès lors, les marques se reposent sur la nouveauté du vêtement, la nouveauté du spectacle et la nouveauté de ce qui sera appelé « concept » pour parvenir à toucher du bout des doigts ses consommateurs. Comme le signalera Thierry Dreyfus lors d’un entretien , un concept pensé au préalable d’une collection ne serait que tenter de rendre crédible une pensée inexistante. Ainsi, le concept utilisé à bon escient serait alors étudié à posteriori, non pas par soi-même mais par celui qui l’observe. L’objectif de chaque marque étant de se ressaisir ses consommateurs chaque saison et chaque année, en tentant de leur offrir un rêve, une émotion, un désir qu’ils ne sauraient expliquer. Sa stratégie étant d’être présente, sans vraiment l’être et ainsi assurer une forme de clignotement hypnotique qui magnétise le regard sans n’avoir peut être réellement de sens. «L’absence y séduit la présence»3. Le nouveau étant reconnu depuis Freud4 comme élément fort de la séduction, sera repris massivement par la vente, allant de la couture jusqu’à la voiture, en passant par la sauce pesto. La nouveauté envahie notre quotidien, dont chacun participe à son efficacité et à sa diffusion. Où tout le monde partage son quotidien, son mode de vie et tous les éléments de consommation auquel nous adhérons. Depuis les années 1950, se développe massivement un capitalisme de consommation, se traduisant par la suprématie des stratégies de séduction. Séduction prenant de nombreuses formes, confirmant l’économie consumériste comme un capitalisme de séduction de masse. En effet, séduction du « toujours nouveau », du progrès, du beau, de la tendance, du loisir, du bien-être matériel, du divertissement, sont quelques une des formes de séduction pour lesquels des opérations de production, de communication, de distribution et de culture ont été mis en place. A l’aide d’une offre permanente et constamment renouvelée, le capitalisme de consommation séduit par le spectacle de l’accession sur la rareté, sur le plaisir du superflu et du bonheur frivole. Au travers de la communication, de la publicité, du placement de produit dans l’aire où des métiers tels qu’influenceurs naissent, ce nouveau capitalisme est dirigé par une offre «d’hyperséduction»5. Face à la standardisation et la production en masse, se développe depuis les années 70 la séduction individualisée par la personnalisation du produit, accompagnée de la naissance de la notion de jeunesse. Selon divers théoriciens, la société capitaliste tendrais vers une séduction «molle, froide, minimale»6.
3 BAUDRILLARD, Jean, De la Séduction, Ibid, page 117 4 FREUD, Sigmund, BREUER, Joseph, Etude sur l’hystérie, Paris, Presses Universitaires de France, 1956 5 LIPOVETSKY, Gilles, Plaire et toucher, Chapitre 1, L’enchantement de la mode, Gallimard, Paris, 2017, p.229 6 BAUDRILLARD, Jean, De la séduction, Ibid, p.142
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HAUT - Entrée du défilé Chanel F/W 14 RTW © Stéphane Cardinale pour Corbis BAS - Le public finit par déambuler dans les allées et se servent dans les étalages © ???
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Par cette proposition d’offres en masse, l’homme est privé du plaisir de l’attente et de l’ésotérisme de la séduction. Toutefois, c’est ce à quoi tente de s’opposer le défilé de mode. En effet, tous les 6 mois, la fashion week est toujours plus attendue par les professionnels, la presse, les clients comme par toutes les personnes suivant virtuellement le spectacle d’une ou plusieurs marques. Pour chaque nouveau défilé, une marque tente d’offrir une scénographie dite «innovante» qui se montre toujours plus grandiloquente, la limite vers le ridicule s’amincissant d’année en année. Cette emphase est notamment critiquée par certains, la présence d’un décor trop pesant révélant peut être le désir « de cacher la médiocrité d’une collection »7. Comme le démontre Edward Bernays dans Propaganda8, est utilisé la communication en tant que moyen de manipulation des masses pour en influencer une pratique, un style, un mode de vie, un achat. Si nous reprenons notre corpus, nous voyons bien que le défilé 2014/2015 de Chanel s’intègre totalement dans le système de la surenchère et d’un décor qui se veut littéral au réel, dans un mimétisme trop présent pour que cet effet lui soit accordé. En effet, au titre d’une nouveauté et d’une hyperbole désirée par le couturier, nous percevons un « dessaisissement du réel à travers l’excès même des apparences du réel »9. Le décor, chaque objet et chaque geste ressemblent trop à ce qu’ils désirent représenter, dans une forme de réel artificiel et de ressemblance allégorique, qui ne présente de la profondeur que dans son ironie du trop de réalité10. La scénographie s’empare de ses leurres dont elle en fait son principe de réalité, qui ajoute sans signifier et révèlerait l’essence même de son spectacle : vendre. Mais comme le dirait Baudelaire, « il importe [peut-être] peu que la ruse et l’artifice soient connus de tous, si le succès en est certain et l’effet toujours irrésistible »11. Concernant la proposition d’Alessandro Michele en 2018, Without production s’oriente à l’opposé de ce que tente d’offrir Chanel, en se dénuant entièrement de son décor si ce n’est qu’en révélant le poids symbolique de son lieu. En signifiant par la musique, le bruit et la poésie, c’est ainsi que se positionne Gucci dans son interprétation de la nouveauté. Une nouveauté non pas dans la surenchère, mais dans la beauté onirique des moments qui ont su nous transporter et qui nous transportent encore de jour en jour. Perçu comme un moment hors du temps, chaque spectateur en fera son expérience et son interprétation, bien que stratégiquement, l’image de la marque soit toujours conservée et transmise. La collection Printemps Eté 2019 n’aurait pu se produire ailleurs, comme la scénographie de cette collection n’aurait pu convenir à une autre collection. Dans une forme de beauté incongrue, nostalgique 7 Communication personnelle avec Thierry Dreyfus, 23 Janvier 2020, voir annexes 8 BERNAYS, Edward, Propaganda, Editions Zones, 2007, 141 pages 9 BAUDRILLARD, Jean, De la séduction, Ibid, p.90 10 BAUDRILLARD, Jean, De la séduction, Ibid, p.90 11 BAUDELAIRE, Charles, Curiosités esthétiques, Chapitre XV, XI. Eloge du maquillage, Editions d’Henri Lemaitre, 2018, 956 pages
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et en suspension, ce spectacle n’aura pas les plus grandes retombées économiques de l’histoire de Gucci, révélant peut-être cette nécessité de l’image avant le fond, la majorité des spectateurs étant virtuels. Il montre toutefois cette force de la présence physique du corps dans l’événement, conçu comme un moment d’émotion et de transmission et non pas comme un instant simplement esthétique. Enfin, pour le défilé d’Alexander McQueen de l’année 2000, le nouveau prend un regard différent, puisque se situe dans le défi et la provocation. Le couturier offre à ses spectateurs un regard innovant qui lui est propre, participant lui aussi à cette même culture de l’originalité, et choisi de désarçonner son audience pour offrir au monde ce qu’il est et ce qu’il représente. Par cette provocation, il perdra au début une audience qu’il ne cherchera jamais à atteindre mais qui gagnera très rapidement un public encore plus large. C’est d’ailleurs grâce à ce franc parler par la couture et cette provocation qu’il se fera rapidement remarqué et lui vaudra le succès. De plus, il a su innover dans le passé dans ses inspirations franches à des ouvrages artistiques ou cinématographiques, le permettant de réinterroger la place de la mode. Si elle a été pour ses premiers défilés un élément perturbateur et non vendeur, c’est une pratique à ce jour plus que répandue dans la pratique commerciale qui se propose d’offrir un évènement allant au-delà l’expérience de vente. Par le biais de stratégies commerciales, les marques tentent à ce jour de se faire passer pour ce qu’elles ne sont pas ou du moins peut être ce qu’elles auraient aimé être. Au lieu de considérer la couture comme acte artistique ou politique, il est aujourd’hui tenté d’insuffler cet acte dans cette scénographie qui la magnifie. Si «c’est par le défi qu’on suscite et ressuscite les puissances du monde, y compris les dieux, c’est par le défi qu’on les exorcise, qu’on les séduit, qu’on les capte, qu’on ressuscite le jeu et la règle du jeu»12. Il ne s’agirait donc pas de réemployer la règle initiée par des coutures comme l’ont fait Alexander McQueen, Hussein Chalayan ou Martin Margiela pour parvenir à cristalliser des moments uniques qui sauront séduire des sphères plus vastes que celle de la mode, mais bien en les défiant et en les dépassant.
12 BAUDRILLARD, Jean, De la séduction, Ibid, page 126
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Erin O’Connor backstage © Ann Ray
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CONCLUSION D’Alexander McQueen à Alessandro Michele en passant par Paul Poiret, Martin Margiela, Hussein Chalayan et Karl Lagerfeld, s’il n’est pas nécessairement évident que tous les défilés soient destinés à délivrer d’un message riche de sens, il est toutefois clair que leur scénographie s’inscrit dans une forme de séduction libérale. De plus, si l’analogie avec la scénographie du théâtre a pu être établie, il reste toujours à se demander si elle est véritablement pertinente d’un point de vue sémiologique. Car en effet, elle soulève une question essentielle : est-ce que comme le théâtre, le défilé peut être considéré comme système artistique ? Si nous observons une grande partie des défilés, il s’agirait de penser des outils d’analyse de la collection dans sa scénographie comme système artistique (artificiel) et non comme un remplacement ou simple mimétisme de la réalité (comme peuvent le faire nombreuses marques). Au théâtre, nous pouvons voir des dramaturges et écrivains comme Bertolt Brecht ou encore Max Frisch qui créent justement une tendance dramatique dans laquelle l’auteur s’opposera à cette imitation de la réalité pour jouer du théâtre et de ses impostures. Les démarches artistiques des défilés n’étant à ce jour pas véritablement limpides quant à leur positionnement, il reste difficile d’énoncer une vérité qui puisse s’appliquer comme règle. De plus, il serait intéressant de mettre en relation cette analogie entre défilé et théâtre avec la sémiologie du tableau ou de la performance, une œuvre se voulant purement visuelle. Car la limite de la transposition effectuée de l’analyse sémiotique de la scénographie théâtrale à celle du défilé est fondamentalement que le défilé ne repose pas sur un texte dramaturgique. La clé peut alors éventuellement résider dans les systèmes signifiants d’œuvres strictement visuelles et/ou sonores. Je me suis beaucoupe interrogée et j’ai voulu comprendre si cette étude n’était pas une sur-intellectualisation d’un domaine, mais plutôt une piste vers un nouveau type de défilé. Je garde l’intuition qu’une sémiotique du défilé de mode à proprement parlé reste à établir et qu’une intellectualisation ou qu’un théorisation de la situation actuelle du défilé pourrait faire émerger une forme d’évolution dans son rapport couture / scénographie. Pour autant, je ne dispose à ce jour ni du temps ni des ressources pour en faire la démonstration. De même, la place du scénographe dans le défilé étant peu à peu en train de s’affirmer et d’être interrogée par différentes sphères, peut être que la mode nécessite son Antonin Artaud à lui pour venir casser les codes et créer une nouvelle forme de défilé qui se détacherait de l’acte de vente. Que des collectifs à la fois de couturier et de scénographes travaillent ensemble sur le même plan et non comme un couple de commanditaire / exécutif. Au regard de tous les défilés sélectionnés pour établir ce mémoire, il m’est impossible de ne pas penser à tous ceux qui ne répondaient pas véritablement aux problématiques établies. Après m’être entretenue avec le scénographe Thierry Dreyfus, fondateur du groupe Eyesight, le message selon
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lui serait essentiellement inexistant pour la plupart des défilés. Il soulève alors une position différente qui serait non pas d’avoir une démarche nécessairement politique ou artistique mais un désir plus charnel de transmettre une sensation, une émotion à son audience. Le caractère économique des défilés représentant des enjeux si importants dans ces évènements, il est à ce jour difficile de le voir mis en second plan par rapport à la démarche artistique d’un couturier ou d’un scénographe. Mis en parallèle avec les défilés actuels, il semblerait que la ferveur artistique des anneés 80 jusqu’au début des années 2000 s’estompe peu à peu, la dimension commerciale prenant le pas sur tout. L’originalité, la nouveauté et l’art étant eux même des éléments de vente à proprement parler, la barrière entre message à visée artistique et message à visée commerciale devient de plus en plus floue. Les évènements ne présentant dorénavant presque plus de pièces importables et qui ne soient pas destinées véritablement à la vente, cette barrière s’exacerbe et le message s’y perd. Est-il véritablement possible d’observer une visée artistique à un défilé si le tout ne repose même plus sur la couture mais principalement sur la vente ? De plus, comme l’évoque Caroline Rousseau dans son article intitulé « L’ère de l’ultra nouveauté dans la mode est finie », les marques restent bloquées et se cantonnent à des codes et pièces établies par le tout premier couturier en place et ne présentent véritablement qu’une mise au gout du jour de l’ancien. C’est ce que fait explicitement Alessandro Michele (Directeur artistique chez Gucci) dans chacun de ses défilés ainsi que d’autres tel que Maria Grazia Chiuri (Directrice Artistique Femme chez Dior), démarche qui se révèle pour chacune des marques comme un succès économique sans faille. A chaque défilé, nous retrouvons les mêmes jupons, les mêmes mocassins, les mêmes motifs au profit d’une visibilité de la marque et non plus du couturier à proprement parlé. Si le couturier ne parvient plus à s’exprimer en son nom mais seulement pas le biais de la marque, est-il possible d’obtenir un renouveau ? Car si les intentions d’un designer peuvent être artistique ou non, il est toutefois certain que l’enjeu de la marque est strictement commercial. Nous sommes donc amenés à nous demander si la séduction d’un tel phénomène aux allures nouvelles qui s’épuisent ostensiblement trouvera un second souffle dans une nouvelle pratique du déféilé. Comme l’a si bien dit Jean Baudrillard, « ce n’est plus la sphère de l’enchantement ni de la séduction, c’est l’ère de la fascination qui commence ». Peut être que la pression économique de grands groupes empêchent cette évolution intellecutelle, qui pourrait alors reposer sur de nouveaux acteurs émergeants engagés tel que Marine Serre (avec avoir.ig comme scénographe) ou Charles Jeffrey pour qui tout est encore à faire. Cette scénographie du défilé ancrée dans un univers de la mode où tout arrive en une fraction de seconde pour repartir la minute d’après, ne nécessiterait que de peu pour basculer dans une nouvelle dimension qui est déjà peut être en pleine édification.
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« Tant que la mise en scène demeurera, même dans l’esprit des metteurs en scène les plus libres, un simple moyen de présentation, une façon accessoire de révéler des œuvres, une sorte d’intermède spectaculaire sans signification propre, elle ne vaudra qu’autant qu’elle parviendra à se dissimuler derrière les œuvres qu’elle prétend servir. Et cela durera aussi longtemps que l’intérêt majeur d’une œuvre représentée résidera dans son texte, aussi longtemps qu’au théâtre – art de représentation – la littérature prendra le pas sur la représentation appelée improprement spectacle, avec tout ce que cette dénomination entraîne de péjoratif, d’accessoire, d’éphémère et d’extérieur. » Antonin Artaud, Le théâtre et son double, 1938 213
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GLOSSAIRE Sémiologie : la sémiologie est une méthode scientifique visant à l’analyse de signes linguistiques, iconique ou encore kinésique. Elle consiste donc à l’étude du langage, du décodage des mots mais aussi de la représentation, de l’image et du symbole. On peut alors trouver la sémiologie linguistique, médicale (langage biologique du corps) de l’art (puisqu’est le langage du visible), du cinéma, de la publicité etc. Il existe à ce jour divers essais sur la sémiotique de la mode mais encore très peu sur le défilé. Signe : élément permettant d’établir une existant ou une vérité (d’une chose ou d’une autre à laquelle elle est rattachée). C’est pourquoi nous pouvons trouver des signes dans toutes choses et que la sémiologie se retrouve dans tous les domaines. Chaque signe se décompose ensuite en un signifiant et un signifié, définit en fonction d’un référent. Signe symbolique : Contrairement à l’icône ou à l’index, le signe symbolique mêle la notion du code et du message. C’est l’association illogique et arbitraire de l’auteur entre signifiant/signifié ou icône/index permettant l’interprétation du symbole, une fois le code théâtral établi.
Référent : Le référent est la réalité à laquelle se réfère le signe. On trouvera alors des référents textuels qui sont la réalité décrite par la parole (représenté ou non sur scène), mais aussi des référents visuels qui est suggéré par la mise en scène (le décor, le geste, le costume etc.). Bien que représenté, le référent visuel se situe audelà de l’espace scénique. Icône : Signe théâtral fondamental ne nécessitant aucun medium de compréhension. C’est un signifiant limpide, qui se renvoi à lui-même comme son propre référent. Il peut alors exister des icônes verbales comme des icônes visuelles Index : Signe théâtral de désignation qui signale et oriente. En opposition de l’icône, il ne se constitue pas du contenu du signe mais plutôt de son utilisation sur scène. En parallèle, on trouvera dans ce dernier les shifters (Jakobson) qui emploient l’énonciation (pronoms personnels, adverbe de lieu ou de temps par exemple).
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Code théâtral : Code imaginaire rassemblant différents systèmes (idéologique, esthétique, psychologique (d’une période donnée par exemple), reconstitué à partir d’un texte et permettant de traduire la forme du message en vue de sa transmission. Message : Manipulation d’idées par l’énoncé verbal ou visuel théâtral exposé par l’auteur par le biais de l’acteur et donc du personnage (émetteur) vers le spectateur (récepteur). Signifié : lecture à partir des indications du ou des signifiants. Parmi les signifiés, il existe les Signifiés convergents (paradigme sur lequel d’autre signifiés peuvent se greffer) et les Signifiés en relation d’opposition (autour de la notion d’activité/passivité). Signifiant : « ce qu’on appelle signifiant est une classe de signaux identiques, c’est-à-dire une classe de signaux définis du fait que tous ses composants appartiennent au même code et ont le même signifié. » L. Prieto Signifiant transparent : Signifiant conduisant directement au signifié. Il peut ne pas montrer de matérialité car n’existe que pour l’obtention d’un signifié final. Ce type de signifiant se trouvera alors essentiellement dans les icônes naturalistes, dans l’imitation de la réalité. Signifiant opaque : Signifiant autoréflexif, qui se désigne lui-même qui renvoie le spectateur au réel. Le théâtre de Brecht emploiera énormément ce type de signifiants, qui invite à réfléchir sur le signifié d’un signifiant dans sa matérialité comme code théâtral. Remise en question permettant l’autoréflexion alors du monde réel qui nous entoure, qui serait alors lui aussi codifié. Connotation : « Sens particulier ou effet de sens (d’un mot ou d’un énoncé) qui vient s’ajouter au sens ordinaire selon la situation ou le contexte. » P. Pavis Ces connotations s’établissent à partir de signifiants qui variera sensiblement selon le spectateur. Dénotation : Système décrivant des situations sans aucune connotation préalable par la narration.
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Gestus Fondamental : ce Gestus brechtien rend compte de la relation du geste et de l’attitude entre au moins deux personnes et « donne la clé de la relation de la pièce représentée avec le public. […] L’attitude de l’auteur envers le public, de l’époque représentée et de l’époque à laquelle on joue la pièce, le jeu collectif des personnages etc. sont autant de paramètres du Gestus fondamental. » P. Pavis Shifter : intermédiaire entre le système textuel et le système visuel, permettant la compréhension et l’explication de leur message. Fonction référentielle (ou fonction de représentation selon Bülher) : fonction de base sur la scène théâtrale car constitue les réalités dont on parle. Si elle emploie uniquement les signes verbaux dans le récit ou dans la poésie, elle utilisera également des signes visuels au théâtre, énoncés par les icônes (décor, costume, le geste, l’énonciation etc.). Fonction émotive : fonction d’expression pour l’auteur, qui ne le transmet pas en son nom mais via ses personnages. Elle sera quant à elle plutôt caractérisée par les index (icônes transformées par le code). Fonction conative (ou de communication selon Bülher) : fonction de la dialectique entre icône et index. Ces trois fonctions constituent les trois étapes d’édification du fond dramatique. Relation Paradigmatique : relation sur la « conscience paradigmatique de l’œuvre » (Roland Barthes). Elle consiste en l’observation du signe à posteriori du spectateur, ce qu’il en fait et à quoi il l’associe. Relation Syntagmatique : relation du signe théâtral perçu comme signe syntaxique (en lien avec le paradigme fourni par le code et les autres signes du message). Elle vise à révéler les relations possibles entre les signes et leurs significations, comme trame linguistique de l’œuvre.
Pragmatique : Angle d’analyse du signe théâtral par le code admettant le déchiffrement final de la pièce. C’est « l’aspect de la sémiotique qui s’occupe de l’origine, des usages et des effets des signes ». P. Pavis
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