Acte de contrition ou qui s’excuse s’accuse

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www.roman-livre.com Le pari: une nouvelle de 1500 caractères par jour ! Acte de contrition ou qui s’excuse s’accuse Qui s’excuse s’accuse, c’est vrai. Voilà pourquoi on s’excuse rarement. Mais il n’y a plus d’accusateur quand il n’y a plus de lecteur. Je peux donc présenter toutes les excuses que je veux sans rien craindre de personne. De l’autre côté de la cloison, il y a une foule qui m’attend, ici je suis seul. Alors que j’étais en train de produire une nouvelle par jour, parti en voyage, j’ai perdu toute connexion avec internet, plus de wifi, c’est ce que j’expliquais dans une note. Un aimable lecteur m’a fait remarquer que c’était une mauvaise excuse, m’expliquant comment je pouvais avoir quand même une connexion. Mais quand il n’y a plus d’internet, il n’y a plus d’internet. Et puis, mes excuses sont toujours bonnes dès lors qu’elles me conviennent. Me voici donc seul un instant. Je respire. Je vous disais que j’avais d’abord perdu le fil de la toile. Mais ensuite, un énorme chantier m’est tombé dessus. Au moment même où un article paraît dans la presse papier sur mon pari d’écrire une nouvelle par jour. C’était un joli pari. J’ai quand même publié 94 jours, si mes calculs sont bons. Une journaliste a eu un peu de retard, l’interview ayant eu lieu un mois auparavant. Il est dans la Nouvelle République. Donc, ce chantier m’accapare et voici que je prends du recul vis-à-vis de mes nouvelles. J’en ai encore un lot à publier, car j’ai continué à écrire, mais je les conserve pour l’instant. Que disent ces nouvelles, au fond ? C’est ce que Paul, lecteur assidu, demandait. Que demande Paul, au juste ? Il veut savoir quel est le sens de ces textes. Il y a toujours un sens, le sens d’une personne, de sa vision. Mais faut-il le donner, ce sens ?

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D’abord, s’il y a une vision, celle de l’auteur, il y a celle du lecteur, qui en différera. L’essentiel en fait, pour répondre à cette question, ce qui m’intéresse, c’est qu’il y a une demande de sens. La distraction ne suffit pas, on cherche à comprendre ce qu’on doit en comprendre. Un lecteur ne peut se contenter de distraction, d’effets de style. Un jour ou l’autre, il veut du sens. Il faut donc tracer des perspectives, avec beaucoup de délicatesse et de grandeur d’âme. Ah ! oui,

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parce que tirer des conclusions sans grandeur d’âme, c’est faire de la petite morale, c’est-à-dire au fond faire le contraire de la morale, qui vise un bien, et non un résultat. Un bien, et non un résultat. La différence ? c’est qu’un bien est vivant. Définir une attitude correcte en public relève du résultat, il faut que « mon fils ne crie pas au cinéma parce que c’est dérangeant. » « Il ne faut pas voler parce qu’on lèse quelqu’un. » La morale se situe ici dans l’ordre du résultat tangible. La fin que le bien vise ne se situe pas à la fin, le bien commence maintenant, la fin commence maintenant. Dans le fond, le bien est beaucoup plus exigeant que la morale puisqu’il capte tout dès maintenant, et la morale est paradoxalement le bien des sociétés moins innocentes que celles qui préconisent un bien ; la morale est un pis-aller, un garde-fou. Le bien va au-delà d’un but à atteindre dans l’avenir, il va au-delà en commençant maintenant. Il implique non seulement des résultats tangibles mais il exige également que la fin, visible et invisible, soit dès à présent juste. L’invisibilité du bien ne permet pas aux hommes de qualifier tout acte, toute pensée, voilà pourquoi il considère la pensée, l’opinion, comme sacrée, du moins dans les civilisations vivantes. La réalité oblige à comprendre que le bien, s’il concerne tout le monde, s’éloigne de ce “tout le monde” et se rapproche de chacun à mesure qu’il avance. Cela ne signifie pas qu’il y ait une morale par individu. Au contraire. Il y a ce qui relève du commandement général et ce qui relève du commandement particulier. Eh bien, ce qu’il y a d’étonnant, c’est que ce n’est pas la partie générale de la morale qui est la plus universelle, c’est la partie qui est la plus proche de l’individu, la plus particulière, la plus personnelle. C’est le rapprochement à l’individu qui fait qu’une morale est universelle. Plus elle concerne une personne en particulier, dans ses originalités, ses spécificités, plus elle concerne tout le monde. Voilà ce qu’on découvre si tardivement dans nos sociétés hautement moralisatrices, où l’individu est dilué, domestiqué, et bien en peine de s’assumer moralement. * *

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Une nouvelle agréable à lire est déjà en soi un bien, si elle fait un vrai bien à ses lecteurs. Cela se programme-t-il ? Un auteur peut-il dire : « Je vais faire un texte bon pour mes lecteurs ? » Non. Cela relève de son savoir-faire, ou pas. S’il a quelque chose de bon à donner, alors il fera un bien. Quel qu’en soit le style narratif. Si, au surplus, il glisse ici ou là quelque élément qui aide un peu mieux à sortir du maelström de la confusion, alors il sera autre chose qu’un amuseur. Mais il y a autre chose. Cher Paul et chers tous, dès lors que la conclusion sera tirée, vous vous rétracterez. Dès lors que la morale de l’histoire sera écrite, vous serez frustrés et peut-être fâchés. Car l’âme contemporaine est ainsi faite qu’elle refuse qu’on lui livre la conclusion. “Ce qu’il faut retenir” ou “ce qu’il faut penser”. Il y a une demande, mais elle ne peut être satisfaite. On peut très bien lire, avec bienveillance, la morale d’un conte pour enfants et la plupart d’entre nous acceptent très bien aussi, et avec bienveillance, les morales de La Fontaine. Parce qu’elles se situent à un niveau où nous acceptons aisément de nous entendre faire des recommandations : le niveau de notre comportement. La Laitière et le Pot au Lait, Le Loup et l’Agneau, ne sont pour nous que des rappels à la justice, à la prudence. D’autres fables nous recommandent l’honnêteté, le courage, et bien d’autres vertus.

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Nous acceptons facilement qu’on nous donne des conseils de bon comportement, d’une manière nous nous disons que nous le savons déjà, que ce ne sont que des rappels presque scolaires, que ça ne nous est pas adressé personnellement, que c’est de la recommandation générale, un fond moral public. Mais nous accepterons moins facilement des conseils d’ordre spirituel ou intellectuel. Jusqu’à sa dernière fable, La Fontaine reste dans le champ de la sagesse du comportement, ce qu’on appelle la morale. Ce n’est qu’avec Le Juge Arbitre, L’hospitalier Et Le Solitaire, je pense, qu’il osa une sorte de testament philosophique. Mais revenons à nos moutons. Je suis comme chacun, je n’aime pas dire ce que pensent mes personnages, de même que je n’aime pas qu’on me dise ce que je dois penser. Quand je décris un personnage, je me mêle très rarement et seulement en surface, à la manière des contes pour enfants, de ce que le personnage pense. Je considère que cela préserve la liberté de pensée du lecteur. C’est à chacun de comprendre ce qu’il y a à comprendre, à juger s’il le veut. Révéler l’introspection d’un personnage n’a de véritable intérêt que de manière parcimonieuse ; comme toute chose rare est meilleure. D’ailleurs, il est fréquent que les actes contredisent les convictions. On pense d’une manière et on agit d’une autre. En chacun, il y a cette frontière délicate entre monde privé et monde public, et ces deux mondes sont nécessaires quoiqu’ils se malmènent et se contredisent. On accuse souvent les gens d’hypocrisie, alors qu’il n’y a en eux qu’opposition et complémentarité entre ces deux dimensions. Nous vivons un temps compliqué. Parfois, on aimerait que les leçons soient claires, parfois les leçons ennuient; parfois on ne parvient pas à déchiffrer le sens caché, et on aimerait le savoir, parfois l’esquisse d’un précepte effraye. Cependant, la liberté du lecteur ne lui suffit pas : il a besoin qu’on lui raconte une histoire, qu’on respecte un scénario, qu’il y ait une cohérence, mais aussi, parfois, qu’il y ait une dimension morale. Entendons-nous bien, il y a toujours une morale, au sens antique du terme, mais elle n’est pas toujours dite. Il y a toujours une morale, et plus encore là où on prétend qu’il n’y en a pas. Quand on dit qu’il ne faut pas de morale, on impose un ordre moral qui a le désavantage, par rapport à une morale traditionnelle, de dire ce qu’il faut penser alors que la morale traditionnelle disait ce qu’il ne faut pas faire. La littérature moderne, comme la pensée du temps, a une morale forte: cette morale dit “ne faisons aucune morale (en-dehors bien entendu des règles morales correctes)”; elle a pour corollaire “(en-dehors bien entendu des règles morales correctes) n’a de valeur que la nouveauté”. La nouveauté est une valeur morale actuelle très puissante, dans les rédactions on refoule un sujet dès lors que quelqu’un dit : « Ce sujet a déjà été traité. » Ce contre-ordre moral, qu’une brave dame exprimait très bien en me disant « mais monsieur, c’est l’horreur, l’ordre moral revient », réflexion moralisatrice par excellence, ce contre-ordre moral est un ordre moral contraignant. J’ai cité la puissance publique qui dit « Ne faisons aucune morale », c’est ce qu’a dit le gouvernement français quand il a soutenu la liberté d’expression des Pussy Riots lorsqu’elles insultaient Poutine, mais la puissance publique fait condamner ceux qui insultent le président de la République (autrement dit, la liberté d’expression doit se tenir dans un milieu étroit et autorisé, ou loin d’ici). Y aurait-il absence de morale ? En réalité, il y a une stratégie politique de la morale. On décrète que toute morale doit être abolie mais la structure se maintient par une morale très stricte quant à elle, que ce soit les “valeurs de la République”, notions très

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floues, ou simplement la Loi, considérée comme juste a priori parce que 250 parlementaires ignares ont décidé qu’elle était bonne… en attendant qu’elle soit amoindrie à la législature suivante. Cette stratégie politique consiste à diluer toute résistance sociale et affermir le contrôle des foules. D’une part, il n’y a plus de morale au niveau du peuple dans ses relations intraspécifiques, seul compte le libre-arbitre, d’autre part il y a une morale impitoyable dès que ce même peuple se mêle par exemple de créer de la fausse monnaie : la morale aujourd’hui s’applique là où il y a des intérêts matériels bien comptés, tandis que la morale traditionnelle défendait un bien public moral. La morale d’aujourd’hui est savamment pensée : elle est un contrôle des foules à qui l’on dit : « Faites ce que vous voulez, jusqu’à un certain point. » Il y a intervention, punition, à partir d’un certain point. Le problème, c’est que si l’on ne coupe pas le chiendent quand il commence, l’arrachage sera plus douloureux. On laisse proliférer le mal au niveau où, finalement, il est “bon” qu’il sévisse. Ça brûle là où ça peut brûler. Peu importe si le menu peuple en pâtit, après tout il donne dans le panneau. Mais ça ne brûlera pas là où ça ne doit pas brûler. Je pense toujours au calme dont ont toujours bénéficié les forages pétroliers en Algérie, en pleine période de guerre, puis de couvre-feu, puis d’attentats. De même que vous ne risquez pas de voir brûler des voitures sur le boulevard Haussman à Paris ; jusqu’au moment bien sûr où la démoralisation va faire sauter le bouchon et où toute la violence qu’on laisse se développer va exploser. La morale officielle bien sûr, un savant mélange de sécuritarisme, de libéralisme, de légalisme, de socialisme larmoyant, de fausses valeurs républicaines, consiste avant tout à interdire qu’il y ait une morale. Elle est une morale d’un ordre nouveau, et cet ordre nouveau n’est pas nouveau, il est né avec la tentation totalitaire, il y a plus de deux cents ans. Mais il y a autre une morale désagréable, c’est celle qui consiste à se réfugier derrière une pensée publique, parce qu’on est blessé personnellement. Je crois tout une part de la morale des siècles née de la frustration due au vieillissement et à l’insatisfaction, à la jalousie vis-à-vis des plus jeunes, à la peur de la mort. La vieille femme de l’ère romantique, le personnage acariâtre de Balzac, la paroissienne revêche qui assène ses jugements à l’appui de ce qu’elle a connu et surtout de ce qu’elle n’a pas connu. Je me dis qu’écrire pour distraire n’est pas satisfaisant. Il faudrait même qu’on puisse proposer des préceptes d’action quotidienne, comme le faisaient les mondes latin ou grec, ou les chrétiens des premiers siècles ; comme persistaient à le faire le Japon, la Chine, il y a moins de cent ans encore. Mais sur la foi d’une prudence vis-à-vis de tous les systématismes que ces guides ont fait naître. Je vais donc peut-être mettre les pieds dans le plat, un jour, et proposer des préceptes. Oui, je sais, vous allez vous récrier. Le blog de Max Montgomery Incoming search terms: acte contrition litterature que signifie l\expression qui s\excuse s\accuse lis la fable la nouveauté comme valeur éthique j\écris des fables

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