L’InterprÊtation des peurs
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Wulf Dorn
L’InterprÊtation des peurs TRADUIT DE L’ALLEMAND PAR JOËL FALCOZ
COLLECTION THRILLERS
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Direction Êditoriale : Arnaud Hofmarcher Š Wulf Dorn, 2009 Titre original : Trigger Éditeur original : Wilhelm Heyne Verlag, Munich, Random House Š le cherche midi, 2012 23, rue du Cherche-Midi 75006 Paris Vous pouvez consulter notre catalogue gÊnÊral et l’annonce de nos prochaines parutions sur notre site : www.cherche-midi.com
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Pour Anita Les trois chiffres magiques : 6 0 3
Et pour K.-D. OĂš que tu sois Ă prĂŠsent, tu nous manques ici.
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Qui a peur du croque-mitaine ? Personne ! Et si le monstre arrive ? Alors vite, fuyons ! Comptine
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Prologue
I
l est des lieux malÊfiques, nimbÊs de lÊgendes. De tels lieux sont rÊgulièrement le thÊâtre d’ÊvÊnements funestes, comme s’ils se nourrissaient de drames. Pour Hermann Talbach, la ferme en ruine du vieux Sallinger Êtait de ces endroits maudits. Tout le monde dans le village en Êtait convaincu. Certains allaient jusqu’à prÊtendre que quiconque osait s’en approcher sombrait dans la folie. Comme jadis Sallinger qui, un soir de mai, avait mis le feu aux bâtiments avant de pÊrir dans les flammes avec sa femme et ses deux enfants. Or, ce jour-là , Talbach Êtait pressÊ d’atteindre la ruine. Tandis qu’il arpentait le sentier forestier avec Paul, son apprenti, il priait pour qu’il ne soit pas trop tard. Il Êtait de leur devoir d’empêcher une nouvelle tragÊdie. Talbach n’avait pas eu le temps de se changer. En bleu de travail, les mains pleines de cambouis, il passa en hâte près des vestiges de l’ancien portail couverts de mousse. Le mÊcanicien avait dÊpassÊ la quarantaine et boitillait suite à un accident sous le pont ÊlÊvateur de son garage. Pourtant, il ne ralentissait pas l’allure. Paul, âgÊ de dixneuf ans, peinait à le suivre. Peut-être Êtait-ce aussi la vue des nombreux pentacles, peints sur les pierres de taille pour conjurer le mal, qui modÊrait l’ardeur du jeune homme. Même si les Êtoiles à cinq branches avaient pâli avec le temps, elles Êtaient encore suffisamment visibles pour entretenir les croyances ancestrales qui prêtaient à ce lieu de sombres pouvoirs. Et 11
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Wulf Dorn
comme paraissait l’indiquer la rÊaction de Paul, la peur n’Êpargnait aucune gÊnÊration. Au moment de dispenser ses faveurs le ciel avait dotÊ l’apprenti de beaucoup de vigueur et d’un profond dÊvouement mais, ce jour-là , il avait omis de lui allouer courage et astuce. Lorsque Talbach pÊnÊtra dans l’ancienne cour intÊrieure, il se retourna pour jeter un coup d’œil vers Paul, qui accourut en haletant. Le jeune homme essuya d’un revers de main la sueur qui baignait son visage, Êtalant une large trace d’huile de vidange sur son front. – Ce doit être par ici, dit Talbach, hors d’haleine, avant de regarder autour de lui. Tu entends quelque chose ? Paul secoua la tête. Dressant l’oreille, tous deux ne perçurent que les murmures de la forêt. Le chant des oiseaux leur parvenait assourdi. Un craquement retentit lorsqu’une branche de bois sec cÊda sous le poids des chaussures de sÊcuritÊ de Talbach, puis un bourdon s’envola d’un sorbier en fleur. L’air rÊsonnait du bruissement des moustiques. Le mÊcanicien sentait à peine les piqÝres des insectes, dont les trompes se fichaient dans ses bras et sa nuque. Il se concentrait pour discerner un cri humain, même faible. Mais rien. Seul le calme sinistre de ce lieu maudit l’enveloppait comme un linceul de tÊnèbres. MalgrÊ la chaleur de midi, Talbach frissonnait. – Là ! s’Êcria Paul tout à coup. Talbach sursauta. Lorsqu’il se tourna dans la direction indiquÊe par son apprenti, il aperçut à son tour un scintillement sur le sol. C’Êtait un morceau de papier d’aluminium sur lequel se rÊflÊchissait un rayon de soleil. Les deux hommes s’approchèrent. Dans l’herbe, ils dÊcouvrirent des traces de pas et un second emballage argentÊ, tombÊ derrière une souche recouverte de mousse. 12
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L’INTERPRÉTATION DES PEURS
Talbach ramassa le papier, qui sentait encore le chocolat. – Elles Êtaient là , mais oÚ ont-elles bien pu‌ Il n’acheva pas sa phrase. Son regard balaya lentement la clairière, dans laquelle il espÊrait trouver d’autres indices. Car, forcÊment, il devait y en avoir d’autres. Ses yeux glissèrent sur les fourrÊs qui entouraient la cour. En s’avançant, il remarqua un buisson dont les branches cassÊes dissimulaient des marches de pierre qui s’enfonçaient dans la terre. – Ici ! TalonnÊ par son apprenti, Talbach se hâta de descendre l’escalier en prenant garde de ne pas glisser sur la mousse humide et les feuilles mortes. Quelques instants plus tard, ils atteignirent le seuil de l’ancienne chambre froide de la ferme. La porte de chêne aux ferrures rouillÊes Êtait grande ouverte ; Talbach Êtouffa un cri. Paul se figea, tel un chien de chasse ayant levÊ un lièvre. Ce qu’il vit le fit pâlir d’effroi. – Bon Dieu ! gÊmit Talbach. Qu’est-ce que‌ Sa voix s’Êtrangla. HorrifiÊs, les deux hommes ne pouvaient dÊtacher leurs regards du mur gauche de la pièce souterraine, ÊclairÊe par un rai de lumière. Le sang n’Êtait pas encore sec. Sur les pierres poisseuses, il luisait comme une tache d’huile pourpre.
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Première partie
LA PATIENTE
Scary monsters, super creeps, Keep me running, running scared ! David BOWIE, ÂŤ Scary Monsters Âť
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1 Bienvenue à la CLINIQUE DU BOSQUET Établissement spÊcialisÊ en psychiatrie, psychothÊrapie et mÊdecine psychosomatique
D
ans le vaste domaine de la clinique, les automobilistes Êtaient tenus de rouler au pas, mais le compteur de la voiture du docteur Ellen Roth indiquait plus de cinquante kilomètres-heure. Ellen faisait route vers le bâtiment qui abritait l’unitÊ numÊro 9. Pour la Ênième fois ce matin-là , elle regarda l’horloge digitale du tableau de bord dans l’espoir que le temps daigne ralentir sa course. Au lieu de cela, les chiffres lumineux annoncèrent avec une prÊcision impitoyable qu’Ellen Êtait en retard de plus d’une demi-heure. Elle maudit de nouveau les nombreux travaux de rÊfection sur l’autoroute entre l’aÊroport de Stuttgart et la sortie Fahlenberg, qui rendaient illusoire toute estimation prÊcise du temps de trajet. Passant d’un bouchon à un autre, elle avait priÊ pour qu’aucun radar ne la surprenne entre deux ralentissements. Si Chris avait ÊtÊ là , il aurait certainement objectÊ que cet empressement Êtait inutile.  Rien ne sert de courir, 17
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lorsqu’on est en retard, aurait-il dit. Quelques minutes de plus ou de moins n’y pourront rien changer.  À ce moment même, Chris, son collègue et petit ami, se trouvait à dix mille mètres d’altitude. Il lui manquait dÊjà . Si jovial d’ordinaire, il n’avait pas ÊtÊ d’humeur à plaisanter avant son dÊpart. Au contraire, il avait parlÊ d’un cas très sÊrieux. En songeant à la promesse qu’elle lui avait faite de s’en occuper, Ellen Êprouva un malaise. Que se passerait-il si elle Êchouait et dÊcevait Chris ? Mieux valait ne pas y penser. Le gravier crissa lorsque Ellen se gara sur le parking rÊservÊ au personnel. Après avoir coupÊ le moteur, elle respira profondÊment. Son cœur battait la chamade comme si elle avait parcouru au pas de course les soixante kilomètres qui sÊparaient l’aÊroport de la clinique. – Du calme, Ellen, murmura-t-elle. Tu es en retard et tu ne peux rien y faire. Elle se regarda dans le rÊtroviseur et eut l’impression de voir une femme inconnue, beaucoup plus âgÊe qu’elle. Sous ses yeux noisette se dessinaient des cernes bleuâtres ; ses cheveux bruns coupÊs court, qui lui donnaient d’habitude un air espiègle, paraissaient ternes, presque gris, dans la pÊnombre de l’habitacle. Ellen poussa un soupir. – Tu devrais refaire ta carte d’identitÊ avec une fausse date de naissance, conseilla-t-elle à son reflet. Tu pourrais partir à la retraite à vingt-neuf ans. DÊcidÊment, il Êtait temps de se dÊtendre et de dormir un peu. Elle bondit hors de son coupÊ et claqua la portière avant de constater qu’elle avait oubliÊ la clÊ sur le contact. Au moment oÚ elle se glissait de nouveau dans la voiture, 18
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L’INTERPRÉTATION DES PEURS
son bipeur retentit. C’Êtait la deuxième fois depuis qu’elle Êtait entrÊe dans la zone de rÊception de celui-ci. – Je sais ! maugrÊa-t-elle en Êteignant la sonnerie. Tandis qu’elle se dirigeait vers le bâtiment oÚ se trouvait son service, l’appareil se manifesta de nouveau. Elle dÊtestait ce petit monstre de plastique noir. À peine plus gros qu’une boÎte d’allumettes, il pouvait porter lourdement sur les nerfs. Surtout lorsqu’il sonnait dans les endroits les plus invraisemblables, comme à la cantine durant la pause de midi ou, ainsi qu’aimait à le dire Chris, dans le lieu  oÚ le chef lui-même n’a pas besoin d’être accompagnÊ . Ce lundi matin-là , le petit monstre rappela à Ellen qu’elle n’Êtait encore jamais arrivÊe en retard au travail. Et si  la voix de son maÎtre  – autre expression issue du rÊpertoire inÊpuisable de Chris – sonnait pour la troisième fois en deux minutes avec son bip-bip lumineux, il ne faisait aucun doute qu’elle Êtait attendue d’urgence. Elle pria pour que les craintes de Chris ne soient pas devenues rÊalitÊ.
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