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Au début du XXe siècle, Auguste Lumière écrivit ces mots au sujet du cinématographe, dont il partage la paternité avec son frère Louis : « Mon invention sera exploitée pendant un certain temps comme une curiosité scientifique, mais, à part cela, elle n’a aucune valeur commerciale quelle qu’elle soit. »

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Introduction Quatre années ont passé depuis la sortie du premier volume des Anecdotes du cinéma. Quatre ans… Déjà ! Me voilà donc à nouveau dans l’impérieuse obligation d’écrire une introduction, pour vous convaincre que ce nouveau livre est évidemment à la hauteur du précédent et qu’il vous offrira une fois encore son lot d’histoires inédites, incroyables, comiques, croustillantes, iconoclastes, barrées, absurdes, dérisoires, pathétiques... Mais je vous laisse ici, chers lecteurs, le soin de poursuivre cette liste, afin que vous ne me soupçonniez pas d’essayer de remplir les lignes qui suivent à grand renfort d’adjectifs et autres superlatifs dans le seul but de boucler mon texte, qui m’avait demandé il y a quatre ans déjà tant de labeur, de besogne et d’efforts harassants et dont je pourrais avoir l’outrecuidance d’imaginer qu’il parvienne à peine à effleurer le triste niveau du précédent… et ce dans le cas bien sûr où je m’adresserais uniquement ici à d’anciens lecteurs qui l’auraient lu... En revanche, il est vrai que j’éprouve quelques scrupules de mettre à l’écart de nouveaux lecteurs qui ignorent complètement ce que j’avais bien pu y raconter il y a quatre ans ! La solution la plus radicale serait de vous proposer, chers nouveaux venus, d’aller le découvrir dans le premier tome, ou de l’emprunter à un ancien lecteur, voire de le lui voler dans sa bibliothèque, ce qui serait toujours moins risqué que dans une librairie, où de toute façon 7

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il y a une très forte probabilité qu’il n’y soit plus, voire peut-être est-il épuisé... Cette dernière remarque est un tantinet présomptueuse puisque je connais très exactement le nombre d’exemplaires vendus et que, s’il n’y a pas de quoi la ramener outre mesure, on va pas non plus baisser les yeux devant des « qui se la pétait » avec même pas le début de l’embryon de la moitié de nos ventes ! Mais là n’est pas le débat, d’autant que c’était il y a quatre ans !... Quoi qu’il en soit et dans le cas où décidément vous ne réussiriez pas à vous le procurer, je me dois de vous dire que j’évoquais dans ma précédente introduction mon relatif agacement et mon total désabusement vis-à-vis de certaines personnes exclusivement avides d’anecdotes de tournage, et que, comme j’étais bien incapable de les satisfaire, ce bouquin me donnerait l’opportunité de combler leurs attentes frustrées par ma médiocrité en la matière... Croyez-moi, j’ai parfaitement conscience que, derrière cette succession d’artifices rhétoriques abusivement déployés dans cette page interminable, vous, les anciens lecteurs, n’êtes pas dupes de ma misérable tentative de tourner autour du pot, et que vous constatez encore à quel point, quatre ans plus tard, je suis toujours aussi pitoyablement démuni lorsqu’on me demande de raconter au travers de quelques lignes une de ces petites anecdotes qui nourrissent la grande histoire du cinéma. Aussi et pour conclure, je vous engage à plonger dans cet ouvrage en souhaitant ardemment qu’il puisse vous faire patienter jusqu’au prochain avant-propos d’un hypothétique troisième volume que vous espérez peut-être autant que je le redoute. Bruno SOLO

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You’ve cheated me, Fritz. That’s not what is in that script! [Fritz Lang] Yes, it is. [Jack Palance] Yes, it’s in the script. But it’s not what you have on that screen! [Fritz Lang] Naturally, because in the script, it is written, and on the screen, it’s pictures. Motion picture, it’s called. [Michel Piccoli] Il dit que ce n’est pas la même chose quand c’est filmé que quand c’est écrit. [Jack Palance]

Le Mépris (Jean-Luc Godard, 1963) Dialogues de Jean-Luc GODARD

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e script initial des Bronzés font du ski, de Patrice Leconte (1979), prévoyait que Michel Blanc, les pieds dans le vide sur un télésiège en panne, chante Étoile des neiges, le standard de Line Renaud, pour se donner du courage. C’est du reste ainsi que la scène fut tournée. Mais les ayants droit de la chanson y opposèrent leur veto. Qu’à cela ne tienne : on changea les paroles au montage. De : « Étoile des neiges, mon cœur amoureux… », les paroles devinrent : « Quand te reverrai-je, pays merveilleux… » L’observateur avisé remarquera que le mouvement des lèvres de l’acteur ne correspond pas à ce qu’on entend. J

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ur le tournage d’Alien, la résurrection, de Jean-Pierre Jeunet (1997), Sigourney Weaver, alias Ellen Ripley, a réussi, par hasard et dès la première prise, à mettre la balle dans un panier de basket en lui tournant le dos, alors qu’elle n’était même pas censée le faire. Abasourdi par cette prouesse inattendue, son partenaire Ron Perlman perdit un instant le fil du dialogue et faillit gâcher le plan. J

A

u congrès des inventeurs de Gremlins, de Joe Dante (1984), on voit passer un homme en fauteuil roulant avec une jambe plâtrée : c’est Steven Spielberg, producteur exécutif du film. Son plâtre était tout à fait authentique, il venait d’avoir un accident ! J

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rad Pitt s’est cassé le bras sur le tournage de Se7en, de David Fincher (1995) : il fut décidé d’incorporer sa blessure à l’histoire. J

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n tournant dans un restaurant de Stockholm une scène de Millénium, les hommes qui n’aimaient pas les femmes, de David Fincher (2011), remake du film du Danois Niels Arden Oplev (2009), l’équipe découvrit avec stupéfaction qu’Ellen Nyqvist, la fille de Michael Nyqvist, l’acteur qui incarna le personnage de Mikael Blomkvist dans le premier, y travaillait comme serveuse pour payer ses études ! Les scénaristes lui écrivirent quelques répliques dans la foulée, afin qu’elle ait un petit dialogue avec Daniel Craig, le successeur de son père. J

L

a scène la plus spectaculaire de La Fièvre de l’or, de Charlton Heston (1982) – un accident d’hydravion sur un lac –, n’était pas dans le scénario. Juste après le décollage, le pilote a perdu le contrôle de l’appareil et s’est crashé devant les caméras. On n’eut à déplorer que des dégâts matériels, mais, faute d’avion de rechange, Heston décida d’en faire un ressort dramatique du film. J

E

n 1969, Louis de Funès est à la recherche de nouveaux talents. Il rencontre le réalisateur Serge Korber, qu’il considère comme un cinéaste de la Nouvelle Vague, et dont il a apprécié Un idiot à Paris (1967). Leur première collaboration donne lieu à la comédie musicale L’Homme-Orchestre (1970). Pendant le tournage, Korber évoque le prochain scénario qu’il compte mettre en scène, avec Yves Montand et Annie Girardot dans les principaux rôles : L’Accident. Il s’agit d’un drame : un homme marié manque un virage sur une corniche. La chute de sa voiture est stoppée par un arbre fiché à flanc de falaise. Il n’est que blessé, mais sa disparition soudaine et incompréhensible alimente toutes les rumeurs. Survivra-t-il ? 12

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À la lecture de l’histoire, Louis de Funès y voit immédiatement un excellent sujet de comédie, dont il serait l’antihéros : Korber ne se fait pas prier et le script est totalement récrit pour lui, dans un style comique bouleversant radicalement la psychologie des personnages. Grand admirateur de Charlie Chaplin, Louis de Funès engage sa fille Geraldine aux côtés de son fils Olivier de Funès, d’Alice Sapritch et de Paul Préboist. À sa sortie en 1971, le public, peu enclin à voir de Funès en vase clos d’un bout à l’autre, bouda le film, rebaptisé Sur un arbre perché. J

P

our Rencontres du troisième type (1977), Steven Spielberg engagea François Truffaut, qu’il admirait, dans le rôle d’un scientifique français. Lors d’une scène, la version originale nous le montre accompagné d’un interprète qui traduit son propos, phrase après phrase. Dès lors, comment s’en sortir dans la version française ? On a tout simplement transformé l’interprète, qu’incarne Bob Balaban, en un assistant zélé qui paraphrase mécaniquement tout ce que dit Truffaut, ce qui enrichit la scène d’une touche comique non prévue dans le scénario. J

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ans Le Masque de fer, film partiellement sonore d’Allan Dwan (1929), D’Artagnan, alias Douglas Fairbanks, s’adresse oralement aux spectateurs à deux reprises, afin de les préparer à son entrée dans le parlant. Par ailleurs, c’est la seule fois de sa carrière où il meurt à l’écran : la production recourut à ce ressort dramatique pour symboliser ses adieux au cinéma muet. J

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n 1975, à la recherche d’un scénariste pour L’Espion qui m’aimait, le prochain James Bond, le producteur Albert R. Broccoli et le réalisateur Guy Hamilton (Goldfinger, Les diamants sont éternels, Vivre et laisser mourir et L’Homme au pistolet d’or) partent à la rencontre d’Anthony Burgess, l’auteur d’Orange mécanique, dont l’adaptation cinématographique par Stanley Kubrick, en 1971, avait fait l’effet d’une bombe. Ils lui demandent d’imaginer le scénario d’un film qui s’appellerait bien L’Espion qui m’aimait, mais ne reprendrait aucun élément du roman éponyme de Ian Fleming. Burgess se met au travail et livre un script dont voici le résumé : Bond est aux prises avec une organisation terroriste nommée CHAOS (Consortium for the Hastening of the Annihilation of Organised Society), menée d’une main de fer par un paraplégique aux airs d’Orson Welles. Le CHAOS commence par plastiquer une abbaye, face au refus du pape de passer à la chaux de ses propres mains le plafond de la chapelle Sixtine. Pourquoi tant de haine ? Parce que la fille du méchant, plaquée par l’agent 008, a sombré dans la dépression et ne songe qu’à se venger. Son trouble se manifeste par d’horribles taches sur le visage, qu’elle dissimule sous sa chevelure… et qui disparaîtront lorsque 007, après l’avoir séduite à son tour, lui fera l’amour. L’attirance de la jeune femme pour Bond s’expliquera d’autant mieux qu’on découvrira que 008 était son frère jumeau. Entre-temps, dans une clinique bavaroise, son papa fait greffer sous la peau d’innocents patients des mini-explosifs radiocommandés, qui les changeront en chair à pâtée le moment venu. Il a également prévu de faire sauter l’opéra de Sydney, où se trouve la reine d’Angleterre, si elle et ses hôtes refusent de danser tout nus devant les caméras du monde entier ! Broccoli refuse le script, qu’il juge trop violent et trop décalé. Provocateur patenté, Anthony Burgess admettra plus tard avec ironie que son scénario était sûrement incompatible avec « l’esprit » de la série. C’est la mouture de Christopher Wood et Richard Maibaum qui obtiendra les faveurs de la 14

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production, pour un Espion qui m’aimait (1977) finalement réalisé par Lewis Gilbert, à qui l’on doit aussi On ne vit que deux fois (1967) et Moonraker (1979). J

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’ignorant rien de l’admiration que Marilyn Monroe nourrissait depuis toujours pour Jean Harlow et leur trouvant nombre de similitudes, le célèbre éditorialiste Sidney Skolsky, qui avait bien connu la seconde, rêvait de la voir l’incarner un jour au cinéma : au milieu des années 1950, il ne se priva pas de le faire savoir à tout Hollywood. Séduite par l’idée, la 20th Century Fox envoya à la star le script d’un biopic qui faisait de Harlow une écervelée inculte et nymphomane. Scandalisée, Marilyn confia à son agent : « J’espère qu’ils ne me feront pas le même coup après ma mort. » À leur blondeur platine, leur carrière fulgurante et leur statut de sex symbol, s’ajoute un autre point commun : Clark Gable fut leur dernier partenaire à l’écran : Saratoga, de Jack Conway (1937), pour Jean Harlow, Les Désaxés, de John Huston (1961), pour Marilyn Monroe. J

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a censure fasciste italienne modifia sensiblement le dialogue du Quai des Brumes, de Marcel Carné (1938). Pour une sortie en salles « politiquement correcte » au pays de Mussolini, le personnage de Jean Gabin passa miraculeusement du statut de déserteur à celui de militaire en permission. J

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n 1982, l’acteur Terence Hill, qui surfe depuis quelque temps sur les cimes du box-office, est en quête d’un sujet de comédie original. Sa femme lui fait découvrir l’œuvre de Giovannino Guareschi : c’est décidé, il sera Don Camillo. Face à la frilosité du tout-Hollywood, il crée sa propre maison de production pour l’adapter en toute indépendance. Mieux : il décide carrément de passer à la mise en scène. Étonnamment, son complice Bud Spencer ne se verra pas proposer le rôle de Peppone : « Le public serait dérouté », estime Terence Hill. C’est l’Irlandais Colin Blakely qui en héritera. Il crée un Don Camillo très éloigné du personnage d’origine. Tour à tour pilotant une moto à toute allure, chaussé de rollers dans son église, de baskets sur un terrain de foot, ce curé-là n’aura pas rassemblé beaucoup de paroissiens : sorti en 1984, le film est un échec. Dix ans plus tard, il retrouve son complice Bud Spencer dans le non moins oubliable Petit papa baston. À l’avantpremière marseillaise du film, Terence Hill croise Franck Fernandel, le fils de « l’autre » Don Camillo. Dans un sourire un peu gêné, l’acteur lui murmure : « Franco, scusatemi… » (Franck, je vous demande pardon…) J

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e coscénariste de l’inénarrable Ça n’arrive qu’à moi, de Francis Perrin (1985), n’est autre que Gilles Jacob, président du festival de Cannes. J

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n préparant Rambo, de Ted Kotcheff (1982), Sylvester Stallone pense à Kirk Douglas pour le rôle du colonel Trautman. Celui-ci commence par refuser, avant de proposer des changements notables dans la psychologie du personnage et celle de John Rambo. Le réalisateur appréciant ses suggestions, Kirk Douglas donne son accord. « En décembre, ma femme Anne et moi nous rendîmes sur les lieux du tournage, à Hope, au Canada, près de Vancouver, rapporte Douglas. Je n’avais pas encore revu le scénario transformé. Lorsque je l’ai enfin eu entre les mains, j’étais consterné : c’était mot pour mot la version d’origine ! J’allai voir Kotcheff : “Mais enfin, que se passe-t-il ? Vous ne croyez tout de même pas que je vais tourner un scénario que j’ai déjà renvoyé !” » Ce que Kirk Douglas ignorait, c’est que Kotcheff ne pesait pas lourd dans la balance : Stallone avait le dernier mot sur tout, et comme la première version lui plaisait, il tenait à la tourner telle quelle. « Cela faillit se terminer par un procès, poursuit Douglas, mais nous arrivâmes à un accord : Stallone pouvait tourner le film qu’il voulait, à condition que je sois remplacé. » C’est finalement Richard Crenna qui endossa l’uniforme du colonel Trautman. Que diable reprochait Kirk Douglas au scénario initial ? « Je pensais que le film serait meilleur, d’un point de vue dramatique, si mon personnage se rendait compte qu’il avait créé un monstre à la Frankenstein, un tueur sans scrupule, une menace pour la société… et s’il tuait Rambo. Bien sûr, si l’on m’avait écouté, il n’y aurait pas eu toutes ces suites et cela leur aurait rapporté moins d’argent. Mais au moins, le film aurait été moral. » J

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u début du tournage d’Apocalypse Now (1979), Francis Ford Coppola demanda à Marlon Brando de relire Au cœur des ténèbres, le roman de Joseph Conrad dont le film est librement inspiré. Brando acquiesça, jusqu’à suggérer : « Le personnage devrait ressembler davantage au colonel Kurtz… – Oui, c’est ce que j’essayais de te dire, lui répond Coppola. Tu ne te rappelles pas, au printemps dernier, avant d’accepter le rôle, quand tu as lu le livre et que nous en avons parlé ? – J’ai menti, avoue Brando. Je ne l’avais pas lu. » J

L

ors de la préparation de Ne nous fâchons pas (1966), Georges Lautner s’était montré très clair face à la Gaumont et ses scénaristes Marcel Jullian et Michel Audiard : « Je vous préviens : s’il y a un seul mort dans l’histoire, je me retire du projet ! – Pas un seul ! Promis-juré », répondirent les deux hommes à l’unisson. « Pas un seul, non, racontera Marcel Jullian, mais une bonne centaine de cadavres jonchaient le script final ! Lautner était blanc de colère en le découvrant. Pourtant, sa finesse et ses idées de mise en scène nous permirent de tuer sans jamais faire de mal : aucun spectateur n’a le temps ni l’envie de s’attacher aux personnages qui sont supprimés. Ils font simplement partie d’une toile de fond psychédélique et loufoque, parfait contrepoint de l’irrésistible trio Ventura-Darc-Lefebvre. » J

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vec Le Prix du danger (1983), inspiré d’une courte nouvelle de l’auteur de science-fiction américain Robert Sheckley, Yves Boisset signe un film prémonitoire sur les possibles dérives de la télé-réalité. J

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n 1987, le cinéaste découvre en salle The Running Man, de Paul Michael Glaser, avec Arnold Schwarzenegger, et constate qu’il s’agit d’un plagiat en règle de son propre film. Il s’empresse de faire part de son indignation à Alain Sussfeld, alors à la tête d’UGC, société distributrice du Prix du danger… et de tous les films de Schwarzy sur le territoire français. Réponse de l’intéressé : « Faites un procès à Schwarzenegger et à la Fox si ça vous amuse. Mais sans UGC. Nous n’allons pas compromettre nos excellentes relations commerciales avec l’une de nos plus grandes vedettes mondiales juste pour vous faire plaisir. » Yves Boisset se lança seul dans une procédure judiciaire qui, à l’issue d’un bras de fer de onze ans, finit par lui donner gain de cause. Les dommages et intérêts qu’il toucha lui servirent tout juste à couvrir ses frais d’avocats. Le scénario de Sept jours en mai, de John Frankenheimer (1964), qui se déroule sur fond de guerre froide, nécessitait le tournage d’une scène au Pentagone. Mais, pour des raisons de sécurité, l’équipe se vit refuser l’autorisation d’y filmer. Frankenheimer et Kirk Douglas, à la fois acteur et producteur du film, décidèrent de voler le plan : « On cacha la caméra dans une remorque garée dans la rue en face du Pentagone, se souvient Douglas. Je m’avançai à grands pas vers l’entrée, vêtu de mon uniforme de colonel. Le garde de faction me salua. Je le saluai aussi. Il me jeta un regard étrange, mais c’était un soldat discipliné, et il n’allait pas poser de questions à un officier supérieur. Le plan figure dans le film. Il est tout ce qu’il y a de plus authentique. » J

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e t’aime. – Je sais. » Ce dialogue cultissime de L’Empire contre-attaque, d’Irvin Kershner (1980), fut improvisé : la réponse de Han Solo à la princesse Leia n’était pas dans le script. Il devait à l’origine se contenter d’un très classique : « Moi aussi. » C’est ainsi que les premières prises ont d’ailleurs été tournées. Kershner n’en était pas satisfait, trouvant qu’elles avantageaient le personnage de Leia : non seulement elle était la première à avouer sa flamme, mais cette réponse confortait trop facilement ses espérances. Le trio testa plusieurs variantes durant la pause déjeuner ; aucune ne s’avéra concluante. « On n’a plus le temps, s’impatienta le réalisateur en s’adressant à Harrison Ford. Trouve ce que tu veux, quelque chose de naturel et de spontané, n’importe quoi, mais dépêche-toi ! » À la prise suivante, Harrison Ford lâcha sans réfléchir le nonchalant « Je sais » dont le public allait faire son miel. J

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ans Les Aventuriers de l’arche perdue, de Steven Spielberg (1981), la fameuse scène où Indiana Jones abat au revolver un épéiste virtuose et arrogant n’était pas dans le script : Harrison Ford était censé utiliser son fouet pour attraper le sabre de son adversaire. Affaibli par l’intoxication alimentaire dont une bonne partie de l’équipe du film venait d’être victime, il ne parvenait pas à un résultat probant. Après une série d’essais infructueux, Ford suggéra tout bonnement de « flinguer le crétin », ce que Spielberg trouva judicieux. Le plan est devenu mythique. J

I

ndiana Jones et le Temple maudit, de Steven Spielberg (1984), qui fait suite aux Aventuriers de l’arche perdue (1981), en est, en réalité, la préquelle : son action se déroule en 1935, soit un an plus tôt que dans le premier volet. J

À

l’origine, la machine à explorer le temps de Retour vers le futur, de Robert Zemeckis (1985), ne devait pas être une voiture. Dans la première mouture du scénario, il s’agissait d’un engin laser fixé à l’intérieur d’un réfrigérateur. L’idée finit par être abandonnée, car Zemeckis et Steven Spielberg, producteur du film, craignaient que, après la sortie du film, des enfants ne s’enferment dans des frigos. J

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À

la fin des années 1970, Michel Audiard repère le roman policier Espion, lève-toi, de George Markstein, auteur de la série TV Le Prisonnier. Le scénariste voit tout de suite Lino Ventura dans le rôle de cet ancien agent secret à qui l’on demande de reprendre du service. D’emblée, l’acteur accepte. Reste à trouver le réalisateur : Norbert Saada, le producteur, avance le nom d’Andrzej Zulawski, dont L’important c’est d’aimer (1975) lui a beaucoup plu. Celui-ci est engagé et exprime le souhait de voir Isabelle Adjani incarner la compagne de Ventura. Audiard et Zulawski commencent donc à écrire le scénario en fonction des deux stars. Le souci, c’est que Zulawski prévoit entre eux des scènes d’un érotisme très cru, alors que Lino Ventura a toujours refusé ne fût-ce qu’embrasser une partenaire sur la bouche. Au bout de plusieurs semaines de collaboration entre les deux hommes, Audiard propose au producteur de découvrir le script du « premier polar à influence pornographique ». Malgré de longues interventions de Saada afin de recadrer Zulawski, Audiard le rappelle bientôt pour lui montrer le « premier porno à inspiration policière ». Bien entendu, il est exclu de présenter ce scénario à Ventura… Quelques jours plus tard, l’acteur débarque dans son bureau : « Je terminais une conversation téléphonique, se souvient Saada. Lino tomba sur le scénario posé sur une étagère et se mit à le feuilleter… Heureusement pour moi, il ne savait pas de quoi il s’agissait, car il manquait la première page. J’avais à peine raccroché qu’il me lança : “Dis donc, Norbert, tu te lances dans le porno ?” » Ni lui ni Audiard n’osèrent jamais lui avouer la vérité. Andrzej Zulawski fut gentiment remercié au profit d’Yves Boisset, qui réalisa le film sans Adjani. J

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spion, lève-toi (1981) a pourtant failli ne jamais voir le jour, Norbert Saada, Yves Boisset et Lino Ventura ayant été, comme dans un vrai polar, à deux doigts de finir exécutés par un gang mafieux en expédition punitive ! Un beau matin, Boisset et Ventura furent pris en otage par une bande de truands italiens dans le bureau de Saada, qui s’y trouvait lui-même séquestré depuis un moment. Un rasoir sur la gorge, ils apprirent le motif de cette visite inopinée : Saada, en déplacement à Rome la semaine précédente, aurait promis un rôle dans le film à la nièce de leur patron en échange de ses charmes, avant de s’enfuir sans tenir parole : « On va lui couper les couilles, c’est la règle. » « Lino a alors une idée de génie, raconte Boisset. Avec son autorité naturelle et dans un argot italien qui gagne immédiatement leur confiance, il demande aux mafieux s’ils connaissent François Marcantoni. Évidemment, ils connaissent. » Ventura leur suggère de lui téléphoner, afin qu’il dissipe ce qui ne peut être qu’un malentendu. Ancien résistant devenu figure du Milieu de Pigalle avant d’être introduit par Alain Delon au monde du show-business, François Marcantoni avait toujours conservé des accointances avec le grand banditisme. Une fois prévenu, il tempéra les esprits vengeurs : « Il y a certainement une méprise. Le producteur indélicat qui s’est mal conduit à Rome est sans doute le cousin de Norbert, qui porte le même nom, légèrement modifié pour les besoins du cinéma. » Vérification faite, les trois otages furent libérés sans délai. Quant au cousin mythomane, il s’en sortit en s’acquittant d’une « amende importante négociée par François Marcantoni. » J

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e très intègre commissaire Carella, personnage créé par l’écrivain américain Evan Hunter, a connu un drôle de destin à l’écran : il fut d’abord incarné par Jean-Louis Trintignant dans le sérieux Sans mobile apparent, de Philippe Labro (1971), avec Dominique Sanda et Sacha Distel, puis un an plus tard par Burt Reynolds, dans l’improbable comédie Les Poulets, de Richard A. Colla (1972), aux côtés de Raquel Welch et de Yul Brynner. J

E

n 1992, Johnny Hallyday jette les bases d’un scénario qui lui tient à cœur – et n’est pas sans rappeler celui de Mad Max, de George Miller (1979) : « C’est un truc très dur, très violent, qui se passe aux États-Unis. C’est l’histoire d’un Français qui travaille à la Bourse et qui, suite à un krach, quitte la France. On le trouve quelques années plus tard dans un ranch. Il est marié avec une Indienne. Ils ont un enfant. Sa femme se fait violer et tuer par trois bikers – il y a toujours des motos dans mes histoires. Le môme meurt aussi. Tout le reste de l’histoire, c’est moi, le Français, qui vais me venger, armé d’un fusil à pompe. Je les tue les uns après les autres. Ce sera peut-être tellement violent que ça finira à la poubelle ! » Johnny ne croyait pas si bien dire. Il prendra sa revanche bien plus tard, dans le sanglant Vengeance, de Johnnie To (2009). J

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e scénario des Aristochats, de Wolfgang Reitherman (1970), est tiré de l’histoire vraie d’une portée de chats qui hérita d’une immense fortune à Paris dans les années 1910. J

S

i Hollywood ne lui avait pas fait les yeux doux pour mettre en scène le quatrième volet de la saga Alien, Jean-Pierre Jeunet n’aurait probablement jamais réalisé Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain (2001) : « Après le tournage épique d’Alien, la résurrection, j’avais très envie de revenir en France pour faire un petit film avec mes copains. J’étais arrivé à Paris en 1974, découvrant la capitale avec l’œil neuf du provincial : c’est ce que j’ai essayé de retrouver dans Amélie – un Paris qui n’existe pas, mais rêvé. » Jeunet écrivit le scénario en pensant à l’actrice britannique Emily Watson. Engagée sur un autre film, elle dut, à regret, décliner la proposition. Jeunet décida d’attribuer à son héroïne, finalement interprétée par Audrey Tautou, un prénom à la même consonance. J

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n 1959, consacré par le triomphe de Certains l’aiment chaud, de Billy Wilder, Tony Curtis est une superstar. Depuis 1951, il forme avec Janet Leigh un couple très en vue, mais les tentations sont grandes : « Autour de moi, un tas de jolies filles faisaient de la figuration et, bien sûr, j’avais envie de coucher avec elles. Généralement, je couchais avec elles : sur le siège arrière de la voiture, dans ma loge, n’importe où. […] On y était un peu à l’étroit. Mon copain Nicky Bair, un acteur devenu restaurateur, logeait dans un petit studio à Hollywood, pas très loin de Laurel Canyon. Un soir, j’étais en route pour retrouver une fille et je roulais dans les collines, préoccupé de savoir où nous pourrions bien aller, quand j’aperçus Nicky sur le bascôté dans sa petite MG. “Ma bagnole est en rade, j’attends une dépanneuse.” Je marquai une pause et lui dis : “Écoute, Nicky, désolé pour ta voiture, mais puisque tu es bloqué ici un bon moment, est-ce que tu pourrais… – OK, vas-y, m’interrompit-il, sers-toi de mon studio !” Désormais, chaque fois que je draguais une fille, je l’appelais : “Nicky, j’ai besoin de ton studio !” » Le journaliste Sidney Skolsky trouva un jour Nicky assis dans sa voiture en bas de son propre immeuble : “Tu ne rentres pas chez toi ? – Tony est là-haut avec une fille… – Mais c’est ton studio, non ? – Oui… Seulement, Tony est un vrai pote, il me dégote des petits boulots, alors…” Skolsky y vit un excellent sujet de film et se lança aussitôt dans l’écriture d’un synopsis qui allait devenir La Garçonnière, de Billy Wilder (1960). En préproduction, le cinéaste confia à Tony Curtis : « Toi, tu es trop beau gosse pour jouer le rôle de Nicky… » C’est Jack Lemmon, son inoubliable complice de Certains l’aiment chaud, qui en hérita. J

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ans les années 1930, le scénariste et auteur de théâtre Charles MacArthur interrogea Charlie Chaplin sur l’un des archétypes du comique de gestes, à savoir une grosse femme glissant sur une peau de banane : « Comment porter ce gag à l’écran sans tomber dans le cliché ? Ne vaudrait-il pas mieux d’abord montrer la grosse femme en train de chuter et finir sur un plan de la peau de banane ? – Non, répondit Chaplin sans hésiter. Montrez d’abord la peau de banane. Ensuite, montrez la femme y jetant un coup d’œil, s’en approchant puis l’enjambant soigneusement. Et finissez sur sa chute dans une bouche d’égout qu’elle n’avait pas remarquée. » J

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e tournage de La Party, de Blake Edwards (1968), fut improvisé à partir d’une ébauche de script de 56 pages. Chaque scène est un plan-séquence filmé en fonction du précédent. Pour y parvenir, le réalisateur fixa sur sa caméra Panavision 35 mm une caméra vidéo reliée à un moniteur vidéo, permettant à l’équipe technique et aux acteurs de visionner aussitôt ce qu’ils venaient de mettre en boîte. J

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ès leur rencontre à Paris en 1936, Harpo Marx et Salvador Dalí, qui se vouaient une grande admiration, nouèrent une amitié durable. Au Noël suivant, Dalí envoya en cadeau à Harpo une harpe avec du fil de fer barbelé en guise de cordes et des petites cuillers à la place des clefs. Ravi, Harpo lui répondit avec une photo de lui-même assis près de la harpe, les mains bandées comme s’il s’était blessé en jouant. « Dalí est amoureux de mon frère – d’une jolie façon », commentera Groucho Marx. L’artiste, qui tenait Harpo pour l’un des « trois surréalistes américains » (les deux autres étant, selon lui, Walt Disney et Cecil B. DeMille), se lança en 1937 dans l’écriture d’un scénario pour les Marx Brothers. Le projet, baptisé Giraffes on Horseback Salad (littéralement : Salade avec des girafes à cheval), incluait notamment un troupeau de girafes en feu munies de masques à gaz et des cyclistes portant des miches de pain en équilibre sur la tête, tandis que Harpo chassait des nains avec un filet à papillons. Groucho Marx n’adhéra pas et mit un point final à l’aventure, glissant à Dalí un malicieux « It wouldn’t play! » qui signifie « Il (le troupeau) refuserait de jouer ! » J

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eter O’Toole, Helen Mirren et John Gielgud réunis dans un film à caractère pornographique ? Un improbable fantasme nommé Caligula et réalisé par Tinto Brass en 1979. Contrairement à Malcolm McDowell, qui jouait le rôle-titre, les trois acteurs ont toujours affirmé depuis n’avoir aucune idée de la nature du film au moment du tournage. Quant au scénariste Gore Vidal – Le Gaucher, d’Arthur Penn (1958), Soudain l’été dernier, de Joseph L. Mankiewicz (1959), Paris brûle-t-il ? de René Clément (1966), etc. –, il poursuivit la production pour exiger que son nom soit retiré du générique. En vain. J

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