LA TRAGÉDIE D’ARTHUR
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Arthur Phillips
LA TRAGÉDIE D’ARTHUR Traduit de l’anglais (États-Unis) par Bernard Hœpffner
Roman
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Direction éditoriale : Arnaud Hofmarcher Relecture éditoriale : Josiane Attucci et Hubert Robin © Arthur Phillips, 2011 Titre original : The Tragedy of Arthur Éditeur original : Random House © le cherche midi, 2013, pour la traduction française 23, rue du Cherche-Midi 75006 Paris Vous aimez la littérature étrangère ? Inscrivez-vous à notre newsletter pour suivre en avant-première toutes nos actualités : www.cherche-midi.com
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DE WILLIAM SHAKESPEARE
* La Mégère apprivoisée Edward III Henry VI, Parties 1-3 (avec Nashe et al.) Les Deux Gentilshommes de Vérone Titus Andronicus (avec George Peele) Richard III Vénus et Adonis Le Viol de Lucrèce Les Sonnets La Comédie des erreurs Peines d’amour perdues Peines d’amour gagnées (perdu) Le Songe d’une nuit d’été Roméo et Juliette Richard II Le Roi Jean Le Marchand de Venise Henry IV, Parties 1-2 Beaucoup de bruit pour rien Henry V Comme il vous plaira Jules César Hamlet Les Joyeuses Commères de Windsor Sir Thomas More (avec Munday, et al.) La Nuit des rois Troïlus et Cressida Othello Mesure pour mesure
D’ARTHUR PHILLIPS * Prague (non traduit) L’Égyptologue Angelica Une simple mélodie
Timon d’Athènes (avec Thomas Middleton) Le Roi Lear Macbeth (avec Thomas Middleton) Antoine et Cléopâtre Coriolan Périclès (avec George Wilkins) Cymbeline Le Conte d’hiver La Tempête Cardenio (avec John Fletcher – perdu) Henry VIII (avec John Fletcher) Les Deux Nobles Cousins (avec John Fletcher)
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PRÉFACE
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andom House est fier de présenter la première édition moderne et le cherche midi éditeur la première traduction de La Tragédie d’Arthur de William Shakespeare. Jusqu’à présent, le canon dramatique shakespearien se composait de trente-huit ou trente-neuf pièces, en fonction de l’érudit à qui l’on faisait confiance ou de quelles Œuvres complètes on avait mises dans sa bibliothèque. Trente-six pièces étaient incluses dans le soi-disant Premier Folio de 1623, publié sept années après la mort du dramaturge. Deux autres pièces – des collaborations, sans doute retardées pour des raisons de droits d’auteur – furent ajoutées aux éditions ultérieures du XVIIe siècle. Une trente-neuvième pièce, Edward III, a eu droit à un soutien croissant des universitaires qui, au cours des deux dernières décennies, ont fini par accepter que la pièce avait été écrite, du moins en partie, par Shakespeare, mais elle fut publiée anonymement de son vivant et n’est certainement pas reconnue universellement comme une pièce de Shakespeare. 9
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Deux autres œuvres encore – Cardenio et Peines d’amour gagnées – sont mentionnées dans les documents historiques, mais il ne subsiste aucun exemplaire de l’une ni de l’autre. Une douzaine de pièces – les soi-disant Apocryphes – existent bien et sont analysées, mais il n’y a jamais eu le moindre consensus universitaire indiquant qu’elles étaient l’œuvre de Shakespeare. La Tragédie d’Arthur fut publiée sous forme d’inquarto en 1597. L’affirmation sur la couverture selon laquelle le texte a été « récemment corrigé et augmenté » laisse entendre l’existence d’une précédente version, aujourd’hui disparue ; toutefois, cette édition de 1597 était, pour autant que nous le sachions, la première pièce imprimée portant le nom de Shakespeare sur la page de titre, antidatant d’un an Peines d’amour perdues. Sans doute interdite, ou en tout cas jugée politiquement dangereuse et en conséquence exclue du folio de 1623, la pièce tomba probablement en défaveur et seul un exemplaire de l’inquarto de 1597 a été découvert jusqu’à présent. Pour cela, il a fallu attendre les années 1950 et cet exemplaire est demeuré dans une collection particulière jusqu’à aujourd’hui. La Tragédie d’Arthur est donc la première addition au canon shakespearien depuis le XVIIe siècle. L’histoire qu’elle raconte n’est pas la légende de Camelot telle que la connaissent la plupart des lecteurs. Il n’y a pas d’épée dans la roche, pas de Lancelot, pas de Table ronde, pas de Merlin ni de magie. Shakespeare semble plutôt avoir travaillé à partir de ses sources habituelles pour les pièces historiques, les Chroniques d’Angleterre, 10
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d’Écosse et d’Irlande, de Raphael Holinshed, publiées en 1587. L’intrigue qui en résulte ressemble un peu à celle du Roi Lear, un violent débat autour de la succession à l’Âge des ténèbres de la Bretagne 1*. Mais, comme dans Lear, il s’agit aussi de bien d’autres choses, et la chaleur blanche qui traverse la structure tout entière est indubitablement l’imagination et la langue de Shakespeare. Nombreuses sont les personnes qui ont travaillé avec grand dévouement afin que ce livre puisse exister. Jamais il n’aurait vu le jour sans la direction universitaire du professeur Roland Verre ; il a supervisé la recherche et les tests qui ont confirmé l’authenticité de la pièce et William Shakespeare comme premier ou unique auteur. Le professeur Verre a fait subir au texte toute une batterie d’examens stylistiques et linguistiques grâce à des logiciels informatiques, sollicité les opinions critiques de ses pairs sur trois continents et supervisé les analyses scientifiques du papier et de l’encre du document de 1597. L’opinion des universitaires a peu à peu gagné en volume et en certitude au cours de l’année passée et il n’existe pas aujourd’hui de voix importante dans les études shakespeariennes qui doute de l’authenticité de La Tragédie d’Arthur. Notre gratitude s’étend également aux douzaines d’autres professeurs de langue et de littérature anglaise, aux directeurs de théâtre, aux linguistes et aux critiques, aux historiens et aux spécialistes de Shakespeare qui ont fait partie du comité consultatif ad hoc, ainsi qu’aux spécialistes * Les notes se trouvent en fin d’ouvrage, page 623.
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en encre, papier et imprimerie dirigés par le Dr. Peter Bryce et aux légions de chercheurs, d’assistants éditoriaux et de conseillers juridiques. Les contributions des professeurs David Crystal, Tom Clayton et Ward Elliott (dont la Claremont Shakespeare Clinic a mené les tests stylométriques) nécessitent une reconnaissance toute particulière. Cette première édition contient une unique appréciation par un auteur de Random House, Arthur Phillips. Étant donné que sa famille a joué un rôle central dans la découverte de cette pièce et la confirmation de son authenticité, il a été invité à rédiger une brève introduction pour cette œuvre monumentale, bien qu’il ne prétende certainement pas être un spécialiste de Shakespeare. Il a également édité et annoté le texte de la pièce. Le professeur Verre a aimablement accepté de corriger certaines des notes de Mr. Phillips. Malgré l’importance de Phillips pour la découverte de cette œuvre, nous aimerions suggérer que les lecteurs non spécialistes plongent directement dans la pièce, permettant ainsi à Shakespeare de parler pour lui-même, en tout cas au début. Par la suite, si un peu de contexte peut les aider, qu’ils lisent cette Introduction très personnelle ou bien les nombreux autres commentaires qui seront certainement bientôt disponibles. Les éditeurs Random House/Modern Library Janvier 2011 le cherche midi éditeur 2012
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Page de titre de l’in-quarto de 1597 de La Tragédie d’Arthur de William Shakespeare ; l’in-quarto mesure environ 18,5 x 13 cm et contient 76 pages. « W.W. » est William White, qui imprima plusieurs autres œuvres de Shakespeare, dont Peines d’amour perdues (Q1), Richard II (Q4) et Henry IV, Première Partie (Q5). PHOTOGRAPHIE © ARTHUR PHILLIPS. REPRODUIT AVEC SON AUTORISATION.
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INTRODUCTION
ARTHUR PHILLIPS
AUTEUR DES BEST-SELLERS INTERNATIONAUX Prague, L’Égyptologue, Angelica ET Une simple mélodie Si vous ne ressentez pas qu’il est impossible que Shakespeare ait pu écrire ce discours, tout ce que j’oserais suggérer c’est que vous avez des oreilles – car c’est ce que possède un autre animal – mais d’oreille, vous n’en avez point. SAMUEL TAYLOR COLERIDGE, à propos de Henry VI, Première Partie Shakespeare n’a jamais fait cela. Il ne l’a jamais fait. THE BLOW MONKEYS, « Don’t Give It Up » Croyez-moi, mes amis, des hommes, pas vraiment inférieurs à Shakespeare, naissent aujourd’hui sur les rives du HERMAN MELVILLE Phillips lui-même voulait évidemment transporter la représentation hors des murs du théâtre. STEPHEN GREENBLATT, Comment William est devenu Shakespeare
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e n’ai jamais beaucoup aimé Shakespeare. Je trouve les pièces plus agréables à lire qu’à regarder, mais je m’en sortirais très bien sans lui, jusqu’à et y compris ce livre fâcheux et irrépressible. Je sais que ce n’est pas là un aveu très littéraire ou érudit, mais c’est comme ça. Je me demande s’il n’existe pas une importante population de lecteurs timides et de bon goût qui sont secrètement d’accord avec moi. J’aimerais ajouter que La Tragédie d’Arthur est aussi bonne que la plupart des œuvres qu’il nous a laissées, ou aussi mauvaise, et je suppose qu’il est plausible (vocabulaire, style, etc.) qu’il l’ait écrite. Grande révélation : j’énonce cela en tant que partie ayant le plus d’argent à gagner dans cette entreprise. Comme me l’a demandé un chauffeur de taxi avec pas mal d’ironie quand je lui ai dit que j’avais un contrat pour écrire quelque chose sur Shakespeare : « Parce qu’il y a quelque chose qui n’a pas encore été écrit sur lui ? » Peut-être ceci : bien que cela ne soit pas immédiatement évident pour quiconque ne fait pas partie 17
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du cercle immédiat de ma famille et de mes amis, ma propre carrière de romancier a été ombragée par les liens de ma famille avec Shakespeare, particulièrement l’adoration de mon père et de ma sœur jumelle pour son œuvre. Une certaine masse de psychologie bon marché se trouve être vraie : du fait de la dynamique des débuts de notre famille, une fois adulte, j’ai toujours tenté d’impressionner ces deux lecteurs idéalisés avec mon propre langage et mon imagination, et j’ai toujours espéré un jour les entendre déclarer qu’ils nous préféraient, moi et mon travail, à Shakespeare et au sien. Alors même que j’écris cela – alors que je le confie à l’imprimerie et le rends donc vrai –, je sais bien que c’est ridicule. Je ne peux pas vraiment avoir l’impression d’être en compétition avec cet homme né quatre cents ans avant moi, au jour près. Il n’y a rien dans cette description galvaudée de lui comme le plus grand écrivain de la langue anglaise qui devrait avoir un lien avec moi, ma place en littérature, l’amour de ma famille, ou encore mon « amour-propre », pour utiliser un mot gênant qui pue le mémoire rédempteur. Je devrais être content des quelques vers de lui que j’aime et ne pas me préoccuper du reste, ignorer cette religion loufoque le cas de ces personnes troublées qui ne pensent pas qu’il a écrit Hamlet ou Roméo et Juliette, une incrédulité tout aussi folle.) Je ne suis pas par nature un mémorialiste, pas plus que ne l’était Shakespeare. Mais si vous voulez 18
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comprendre cette pièce de théâtre, son histoire et comment elle est arrivée ici, une certaine partie de mon autobiographie est inévitable. Personne ne se sort vraiment grandi du récit qui explique comment nous en sommes arrivés là, sauf peut-être ma sœur, Dana. Il ne fait aucun doute que je n’en suis pas le héros. Mais j’ai en fait le droit légal d’occuper aussi longtemps que je le veux cet espace-découvert extérieur à la pièce. Personne n’a le droit de mettre un coup de crayon rouge sur moi ici, et ainsi si ces mots doivent être les derniers mots de moi que Random House publie jamais, au moins seront-ils vrais et tout sera mis au clair, même pour un bref instant, avant que les choses ne gauchissent de nouveau. Je vais accomplir mes obligations contractuelles – histoire, synopsis, édition, notes – mais j’ai aussi d’autres choses à dire et quelques excuses à distribuer, avant de me glisser hors de scène.
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es parents vivaient ensemble jusqu’à ce que Dana et moi ayons atteint l’âge de six ans. Les souvenirs de ces temps anciens sont peu fiables, sauf en tant que mesure de l’émotion prédominante à l’époque. Quand je convoque des images de nous quatre ensemble, je me souviens du bonheur : pénétrant, aromatique, lié aux textures, et au temps, et aux visages. (Je soupçonne que ces visages ne sont pas de vrais souvenirs, exactement. Ce sont des animations mémorielles de vieilles photos que j’ai, ou des instantanés imaginés de vieilles histoires que j’ai entendues.) Mon père apparaît d’abord comme un homme qui avait conquis la nuit, qui ne dormait jamais. Il n’est pas rare que les enfants aient cette idée de leurs parents : les gamins de cinq, six, sept ans doivent aller se coucher alors que les adultes sont éveillés et quand ils se réveillent ces adultes sont déjà en activité. Si on ne vit plus avec eux après cet âge, les parents survivront dans la mémoire comme des créatures dispensées de sommeil par magie. Mais mon père était plus encore 20
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que cela un personnage de la nuit. Je me souviens de plusieurs occasions où il m’avait réveillé au plus noir de la nuit (peut-être seulement vingt et une heures, mais un gamin de cinq ans est déjà alors profondément enseveli sous un flot d’ondes delta), tout excité, pour partager une grande nouvelle ou me montrer un événement rarissime. « Réveille-toi, Bear ! Bear ! Il faut que tu voies ça. Réveille-toi ! » J’étais endormi, mon livre adoré sur le système solaire tombé sur ma poitrine, mes doigts voyageant encore sur sa couverture noire étoilée. J’étais endormi, et puis j’étais dans ses bras, arraché au lit, éveillé et endormi et ici et là, et puis je me trouvais sur la pelouse humide, toujours serré dans ses bras, à peine capable d’ouvrir un œil encroûté pour regarder, tandis qu’il m’y incitait avec insistance en chuchotant, dans l’oculaire de son télescope sur trépied dirigé vers les cieux. Et là je voyais Saturne, ma planète préférée : entourée d’anneaux, un autre monde, une toupie géante au milieu des grains de poussière. Et puis il tournait un cadran, tripatouillait un peu les lentilles et les réglages du télescope, et j’observais tout de bien plus près, et je voyais des douzaines d’habitants de Saturne, courant de tous les côtés dans leur excitation, attendant leur tour pour regarder dans leur télescope, gesticulant devant ce qu’ils voyaient, là-haut dans leur propre ciel, stupéfaits de me voir, essayant d’attirer mon attention. Et ensuite il m’a remis au lit et je me suis endormi pendant qu’il m’embrassait. 21
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Un petit garçon se réveille après cela et – première chose – consulte la personne la plus fiable et sûre de son monde pour clarification. J’ai demandé à ma sœur si elle avait fait des rêves, car nous les partagions souvent à cette époque suggestible. « Non, parce que Papa m’a réveillée pour observer Saturne, m’a répondu Dana d’un ton neutre. J’adore les anneaux. C’est la meilleure planète. Excepté Pluton. – Non, Saturne est mieux. Tu as vu les gens ? C’était ce qu’il y avait de plus virulent dans les désaccords entre Dana et moi à cette époque. Crêpes en forme de Saturne, crêpes en forme de Mickey Mouse, ce qui, disait mon père, pouvait très bien arriver par accident. Il se couvrait les yeux d’un geste théâtral tout en laissant dégouliner la pâte et, en effet, toutes les cinq crêpes (nous avions cinq ans) il y avait indéniablement un Mickey. Je prenais beaucoup de plaisir, même à cet âge qu’on sait être égoïste, à faire don de mes Mickey à Dana et chaque fois elle me remerciait avec une véritable surprise. Je me souviens aussi d’une crêpe ayant le profil troublant de ma mère, posée devant elle avec un long baiser du chef sur le haut de son crâne. « Tu as du beurre sur le nez », a-t-il dit en en posant un morceau sur le bord gauche de sa crêpe. (J’ai préparé des crêpes pour mes propres enfants à une époque. Peut-être était-ce la farine tchèque, mais mon répertoire ne se composait que d’ovales et de Pollock. Leur tante Dana n’a jamais fait mieux lors de ses visites.) 22
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Notre mère nous a emmenés à une exposition des peintures de Papa. Elle nous a habillés en dimanche. J’avais un petit nœud papillon. Dana et moi avions le droit de nous promener tout seuls, boisson gazeuse dans un gobelet en carton, main dans la main, et nous nous faisions rire avec des histoires sur chacune des toiles, celles de Papa et les autres dans cette exposition de groupe. Nous nous sommes assis sur un banc en bois et avons regardé notre mère poser une main sur le dos de notre père, sa broussaille de cheveux noirs à la Einstein oscillant doucement dans l’air du ventilateur rotatif à ses pieds. Nous avons soufflé des bulles dans nos 7UP et j’ai fait des bruits de pet pour Dana. « Ces dernières expositions de groupe, a fait remarquer ma mère bien plus tard. Tellement déprimantes. » Mais pas pour nous. Les ultimes efforts de mon père, de plus en plus désespérés et pitoyables, pour devenir un artiste reconnu n’avaient encore aucun effet sur Dana et moi. Sa colère devant l’indifférence du monde ne nous était pas perceptible, et c’était à son honneur, ou dû à l’indifférence naturelle des enfants. Pour nous, le monde adulte était les boissons gazeuses sur des bancs en bois, des toiles et des histoires, des aperçus nocturnes d’astronomes saturnins, des crêpes magiques. Si notre père nous stupéfiait et obtenait notre amour, ce n’était pas en nous traitant comme des enfants, mais parce que nous pensions qu’il nous traitait comme des adultes, et l’âge adulte était simplement une bien meilleure enfance.
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