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MITTERRAND dans l’œil du photographe


Pascal Lebrun

MITTERRAND dans l’œil du photographe 1972-1995 Préface de

Mazarine Pingeot

Direction éditoriale : Jean-Paul Liégeois Coordination éditoriale : Julie Da Silva Conception graphique : Corinne Liger, assistée d’Élodie Saulnier © le cherche midi, 2012 23, rue du Cherche-Midi 75 006 Paris Vous pouvez consulter notre catalogue général et l’annonce de nos prochaines parutions sur notre site : www.cherche-midi.com


Il y a dans toute photographie un rêve impossible et cependant accompli : suspendre le cours du temps. En fixant un peu de la lumière de ce qui fut, l’image empêche les visages et les choses de s’absenter un jour tout à fait. Elle s’efforce aussi d’épurer le foisonnement du réel, d’en extraire des figures et des instants qui lui donnent un sens. C’est ainsi qu’elle porte témoignage et façonne la mémoire. […] Pascal Lebrun dessine, à mes yeux, la trace du travail chaque jour recommencé, les instants et les lieux du quotidien, de la patience, de la confiance en dépit de tout. L’empreinte qu’ils gravent en nous est peut-être la plus profonde.

1995


Sommaire

Préface La vie restituée, par Mazarine Pingeot ........................................................................................

p. 9

Prologue Une certaine complicité, par Pascal Lebrun

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p. 11

François Mitterrand dans l’œil du photographe 1 Larmes à gauche .............................................................................................................................................

p. 15

2 Michel, Lionel, Laurent et les autres .............................................................................................

p. 27

3 Marche et rêve ! ...............................................................................................................................................

p. 49

4 Tribulations chinoises

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p. 69

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p. 83

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p. 103

7 Profession président ..................................................................................................................................

p. 125

8 Dernières fois…

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p. 153

9 « Je crois aux forces de l’esprit et je ne vous quitterai pas. » ....................................

p. 167

5 La France tranquille 6 Enfin !


Préface

La vie restituée

C

e sont les petits gestes qui me sont là rendus. Les doigts qui se croisent dans une ancienne façon de timide, les regards tournés à l’intérieur, la nostalgie si rarement emprisonnée dans un objectif, et dont le grain noir et blanc rend l’éclat si pur, le rire parfois, le sourire plus souvent – et sa palette, de l’ironie à la tendresse : les gestes d’un homme, que le président n’a pas recouverts ; les gestes d’un homme avant d’être ceux d’un père ; les gestes qui trahissent tout ce qu’il devait taire, pour garder l’intime, pour sauver l’intime, peut-être pour le cadenasser. Et si l’Histoire traverse la série de photographies de Pascal Lebrun, étalée sur plus de vingt ans, c’est la vie qui surgit de ces clichés : la vie dans ses plus infimes détails, la vie dans le passage du temps. Quel témoin privilégié a pu ainsi suivre un homme au long de ces années, sans soupçonner, ou peut-être un peu, qu’il serait un jour président ? Comment savoir alors qu’une série de clichés se transformerait en Histoire ? Quelle intuition a saisi ce photographe, compagnon de lutte, ou quel attachement l’a lié à François Mitterrand, par appareil photo interposé, du début de l’ascension à l’arrivée au pouvoir ? Car le photographe est le point aveugle de ces images qui racontent une épopée personnelle et collective. Il a dû voir arriver les meutes de ses nouveaux collègues, alertés par l’odeur du succès, tâcher de ne pas se fondre en elles, armées de téléobjectifs, et jouant des coudes, d’Élysée en G7, de commémorations en voyages officiels. Un photographe persévérant, oui, qui devait bien être guidé par quelque obsession pour rester aux côtés d’un simple député mû par une ambition, grande, certes, mais partagée, un photographe qui a commencé de travailler avant l’ère de la communication, puis contre la vague montante de la communication, avant le papier glacé qui peut-être, dans les années désertiques, ne s’intéressait pas tant à l’émergence d’une figure. Car c’est bien cela qui ressort de ce travail de longue haleine : l’émergence d’un président. L’histoire se raconte souvent quand on connaît la fin. Elle lui donne un sens, et rend possible le récit. Mais les photographies n’ont pas suivi le même cours du temps, il était chronologique, celui-là, la fin était en train de s’écrire sans aucune certitude. Peut-être aurait-elle pu être autre. Il n’empêche. On voit se construire un homme. On assiste à la fabrication d’un destin, et l’époque le suit. Les voitures changent, les cravates se font plus étroites, les pattes d’éléphant se resserrent et les couleurs évoluent derrière le noir et blanc. Les salles de meeting, d’abord hangars aménagés à la va-vite par les militants barbus, deviennent peu à peu des centres de conférences équipés, et le visage de mon père se transforme en même temps que la taille de ses cols de chemise. Le temps passe sur lui, mais il est maître du temps. Étrange paradoxe que son « donner du temps au temps », que le grain de la photographie interprète autrement sans toutefois le trahir. Et puis il y a « les autres », ces figures qui aujourd’hui font partie de la scène politique, de jeunes gens alors, qui entourent, qui accompagnent, qui construisent quelque chose en commun. Des « autres » polarisés autour de

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Prologue

Une certaine complicité François Mitterrand, qui auront leur propre destin, plus tard, mais qui l’ont commencé dans les années d’épreuve et de combat. Un monde est en train de se faire, en même temps que des individus. On les regarde, on les suit, ces photographies sont un roman, le roman politique de la gauche, à chacun d’y mettre ses légendes, mais déjà elles écrivent l’Histoire - et chacun pourra s’y reconnaître, dans cette histoire, se demander où il était en 1974, ce qu’il faisait le soir de l’élection, où il était en 1981 - et cette vie qui s’étale dans les ellipses et la continuité du récit. C’est un livre teinté de rose, mais que le noir et blanc ne réduit pas au socialisme, c’est un livre français, un livre miroir qui retrace tout à la fois le chemin individuel et collectif, ces deux dimensions qui participent d’une vie politique. Quant à moi, je découvre un homme que je n’ai pas connu, que je connais pourtant : ce visage si souvent observé, qui n’était pas tout à fait le même lorsqu’il passait à la télévision ou lorsqu’il prenait le petit déjeuner. Il y a l’homme pour les autres, celui qui haranguait les foules, qui sillonnait la France, qui serrait les mains et négociait en sous-main pour un parti commun, celui qui voyageait pour rencontrer les leaders d’autres pays, puis qui fut élu. Je n’ai connu que la fin de cette histoire ici étalée ; c’est quand j’avais six ans, tôt donc, que mon père s’est transformé en président. Quatorze ans durant. Il est mort un an après. Rares sont mes souvenirs de celui d’avant. Trop peu nombreux ceux de celui d’après. Difficile de les distinguer, le père et le président, bien qu’ils ne puissent pas dans les faits se superposer. Le président était l’homme des télévisions, mon père celui du soir et du petit matin. Les espaces étaient distincts, les passerelles quasi inexistantes. Le privé d’un côté, le public de l’autre, pour moi ce furent deux lieux sans lien aucun, ou plus précisément, l’un devait se protéger de l’autre, et l’autre plus encore de l’un. Alors de le voir ainsi, dans son élément, hors les murs d’une cellule familiale, avant l’apothéose, avant l’accomplissement, me le fait rencontrer autrement. C’est l’homme encore épargné par la mythologie. C’est l’homme dans la matière même de la vie. Certes, c’est bien le même, car l’intime ne se peut dérober à la longue à l’objectif toujours présent. La position de ses mains et les modulations de son visage sont un signe de reconnaissance. Mon père est là, tout entier, dans ces clichés. Et c’est une belle sensation que de découvrir derrière un père un homme, derrière un président un combattant, et derrière des photos la vie restituée. Mazarine Pingeot

U

n jour, encore lycéen mais déjà photographe, sans la moindre mission, sans aucune accréditation, je me suis présenté au siège du Parti socialiste avec mon appareil photo. Culot d’adolescent ? Inconscience, plutôt. J’ai oublié comment je me suis débrouillé pour qu’on me laisse faire, mais c’est ce jour-là que j’ai rencontré et photographié François Mitterrand pour la première fois. Par la suite, je n’ai pas cessé. Et, très vite, je me suis aperçu que parfois, à la dérobée ou franchement, il m’observait. Il avait l’air intrigué et bienveillant à la fois. Il me parlait peu, mais il paraissait s’accommoder parfaitement de ma présence... Peu à peu, en tout lieu et en toute circonstance, à chaque fois que je surgissais dans son champ de vision avec mon « arme » tout à fait pacifique, il semblait m’accueillir, me souhaiter la bienvenue : il ne disait rien, mais, d’un regard rapide et presque complice, il me mettait à l’aise. Parfois, il m’a emmené avec lui dans ses déplacements, dans ses voyages. Je ne suis jamais devenu un de ses proches, mais il m’a laissé faire mon travail de photographe dans une étonnante proximité, sans jamais rien m’interdire. Je n’en ai pas abusé, mais cela m’a permis de le découvrir au-delà de toutes les officialités qui le contraignaient : j’ai pu saisir « l’homme », l’individu libre qui ne se composait plus tel ou tel masque ; j’ai pu fixer sur la pellicule des comportements sans calcul, des gestes sans protection, des mimiques spontanées… Sans trop de familiarité, mais délibérément chaleureux, il a fini par m’appeler par mon prénom. En 1977 – cela faisait déja cinq ans que je le mitraillais –, pendant un vol d’avion qui nous menait à Montpellier, il s’est passé quelque chose de très particulier : sa curiosité l’a emporté. Tout à trac, François Mitterrand m’a lancé : « Dites-moi, Pascal, qu’allez-vous faire de toutes ces photos ? » Je lui ai répondu que mon « ambition » n’était pas de m’en tenir à la parution des clichés dans la presse, mais que je voyais plus loin : dès que je pourrais, j’éditerais des livres, je concevrais des expositions ! Il a enregistré mon propos, il m’a regardé et, avec un petit sourire amusé, il m’a dit : « Bien, très bien ! » Par la suite, nous n’avons plus jamais évoqué le sujet. Mais, peu avant son décès, je lui ai fait porter un projet de livre déjà bien avancé. Malgré son état, il a écrit un texte sur mes photos. Place de la Bastille, au lendemain de sa mort, c’est une des photos que j’avais prises de lui qui a été choisie et accrochée, immense, pour lui rendre hommage. C’est au pied de ce portrait que des milliers de roses ont été déposées. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser : « Bien, très bien ! » Pascal Lebrun

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« Il faut savoir forcer le destin, sinon on n’en devient jamais maître. » François Mitterrand

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larmes Ă gauche


1972. Paris, porte de Versailles. Franรงois Mitterrand avec Robert Fabre et Georges Marchais.

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1973. Grenoble. Congrès du Parti socialiste.

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Page de gauche : 1973. Page de droite : 1975.

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