Etudes politiques Janvier 2011

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débats OPINIONS

mardi 11 janvier 2011 LE FIGARO

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étudesPOLITIQUES

Figaro-Cevipof

L’extrême droite en Europe: des crispations faceàla «société ouverte» Sortie de l’euro et de l’Europe, protectionnisme culturel et nationalisations nourrissent un chauvinisme d’État-providence. PASCAL PERRINEAU

DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)

DOBRITZ

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epuis quelques années, l’extrême droite et les populismes de droite rencontrent des succès électoraux importants dans certains pays lors des élections législatives : 29,5 % en Serbie (2008), 29 % en Suisse (2007), 28,2 % en Autriche (2008), 19,6 % aux Pays-Bas (2010), 17,2 % en Norvège (2009), 16,7 % en Hongrie (2010), 13,9 % au Danemark (2007), 11,4 % en Italie (2008). Dans nombre d’autres pays, ces partis ont dépassé la barre des 5 %. Ces réussites électorales au cœur de l’Europe ne peuvent cependant être interprétées comme les signes d’une poussée irrésistible de l’extrême droite. De nombreux pays y échappent parmi lesquels l’Allemagne, l’Espagne ou encore le Royaume-Uni. Cependant, dans plusieurs pays européens, des formations populistes ou d’extrême droite pèsent sur l’agenda politique et même campent aux portes du pouvoir comme cela est le cas aux Pays-Bas ou au Danemark.

LES DÉBATS qui précèdent le passage imminent du témoin entre le fondateur du Front national et sa probable héritière, Marine Le Pen, ont revigoré l’extrême droite. Ils ont enrayé le processus de marginalisation entamé par Nicolas Sarkozy en 2007 sans toutefois parvenir à la « dédiabolisation » d’une formation rejetée par l’opinion depuis plusieurs décennies. Fait significatif, la « bulle de popularité » de Marine Le Pen ne se traduit pas par une forte dynamique d’intentions de vote et ne suscite aucun « effet femme » dans l’électorat. La prétendante à la présidence n’élargit pas l’audience du Front national dont le socle électoral se compose principalement d’ouvriers et d’employés, de quadragénaires et de jeunes de moins de vingt-cinq ans. À l’instar des formations populistes et d’extrême droite installées dans le paysage électoral européen qui pèsent dans les débats politiques, le Front national « articule les angoisses générées par la société ouverte ». La crise économique, « le passage d’un capitalisme d’assistance avec son État-providence à un capitalisme post-industriel plus individualiste », la globalisation néolibérale de l’économie ont favorisé le renouveau idéologique du populisme et de l’extrême droite. La plupart de ces mouvements préconisent une sortie de l’euro et de l’Europe ; ils prêchent « un recentrage national » ; ils ajoutent maintenant au protectionnisme culturel le protectionnisme économique assorti de nationalisations. Toutes ces crispations vivifient, selon Pascal Perrineau, « un chauvinisme d’État-providence ». ■ JOSSELINE ABONNEAU

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L’extrême droite politise le sentiment antipolitique qui remet en cause les partis traditionnels et leur système d’alliances

»

Comment interpréter ces poussées de fièvre ? En Europe de l’Est, la question des minorités nationales et des frontières est un vecteur puissant de la fièvre nationaliste. Une fièvre qui se nourrit d’une désillusion politique précoce qui prospère sur fond de culture autoritaire. La désillusion touche aussi les vieilles démocraties de l’Ouest. L’insatisfaction des électorats vis-à-vis de systèmes politiques bloqués, où le quasiconsensus peut sembler étouffer le dé-

bat public, est particulièrement évidente dans des pays comme l’Autriche, la Belgique, les Pays-Bas et la Suisse. Les extrêmes droites apparaissent alors comme autant de populismes antisystème dénonçant ceux qui ont « accaparé » le pouvoir d’État au point de se confondre avec lui. L’extrême droite politise ainsi le sentiment antipolitique qui remet en cause les partis traditionnels et leur système d’alliances.

«

vement de diversification culturelle et ethnique à l’intérieur des sociétés et en même temps leur interdépendance croissante. La crise économique et financière de l’automne 2008 n’a pas inversé la tendance. L’émergence de l’extrême droite est une réponse directe à ces mutations. Le rejet de l’immigration et parfois la xénophobie sont alors devenus la réponse au défi d’un monde mobile, de plus en plus multiethnique et multiculturel. Peu à peu, le rejet de l’autre présenté comme véritable moyen de « protectionnisme culturel » s’est prolongé d’un ralliement au « protectionnisme économique » et d’une remise en cause du credo néolibéral du début. L’extrême droite a alors développé un véritable « chauvinisme d’État-providence » qui a fait recette auprès des milieux populaires directement menacés par l’avènement de la société post-industrielle. Elle a de plus en plus condamné la mondialisation néolibérale, prôné la sortie de l’Union européenne et de l’euro, revendiqué des mesures économiques protectionnistes, appelé à une renationalisation de l’économie… Ainsi, face à l’ouverture croissante de nos sociétés à la fois au plan économique, mais aussi au plan culturel et politique, l’extrême droite s’articule sur les angoisses générées par la « société ouverte » et tente d’inventer l’alternative de la « société du recentrage national ». ■

nombreux observateurs considéraient que les sociétés postindustrielles étaient soumises à une véritable « révolution silencieuse » porteuse d’une « nouvelle politique » où les enjeux tels que l’égalité des sexes, la qualité de la vie ou la promotion des minorités devenaient essentiels. Le retour en force de l’extrême droite a constitué un défi à cette grille d’analyse. Face au pôle libertaire de la « nouvelle politique » les préoc-

À la « nouvelle gauche » et aux mouvements sociaux des années 70 ont succédé, depuis les années 80 et 90, la « nouvelle droite » et les mouvements identitaires

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Contestation d’autant plus virulente que les loyautés partisanes fondées sur les clivages de classes ou de religion qui sous-tendaient la plupart du temps les partis traditionnels en Europe sont en crise. La classe ouvrière s’est étiolée, les engagements religieux se sont affadis, d’immenses classes moyennes se sont développées et les valeurs se sont détachées des matrices religieuses d’antan. Autour de nouveaux enjeux - l’Europe, la globalisation, l’immigration - l’extrême droite fait naître de nouvelles lignes de partage. En insistant sur le critère national contre le multiculturalisme réel ou supposé de ses adversaires, le nationalisme ethnico-culturel tente de s’imposer. Ce nationalisme essaie également de renouer avec un ensemble de valeurs traditionnelles mises à mal par le « libéralisme culturel » de nos sociétés. Depuis l’attentat du 11 septembre 2001 et le développement d’un terrorisme islamiste, il a trouvé un ennemi à sa dimension et la tonalité anti-islamiste de son combat s’est accentuée : en témoignent la large victoire du référendum suisse sur l’interdiction de la construction de minarets qui a remporté 57,5 % de suffrages le 29 novembre 2009 ou encore le débat tonitruant engagé en Allemagne autour des propos de Thilo Sarrazin sur l’impossible intégration des musulmans dans son ouvrage L’Allemagne court à sa perte. Jusqu’au début des années 1980, de

cupations de la loi et de l’ordre, le respect strict de l’autorité, une moins grande tolérance pour les minorités, l’attachement aux coutumes et aux valeurs morales traditionnelles ont fait retour, portés entre autres par le vieillissement sensible des populations européennes. D’une certaine manière, à la « nouvelle gauche » et aux mouvements sociaux des années 1970 ont succédé, depuis les années 1980 et 1990, la « nouvelle droite » et les mouvements identitaires. Avec le délitement des liens sociaux, le sentiment d’insécurité et l’anomie ont progressé et entraîné une demande d’appartenance, de communauté et d’identité à laquelle l’extrême droite et les néopopulismes tentent de répondre. Cependant, au-delà de cette explication largement culturaliste des succès de l’extrême droite, une explication plus globale en termes de réponse politique à un nouvel état économique et social de nos sociétés mérite d’être développée. Le passage, au cours des dernières décennies, d’un capitalisme industriel d’assistance (avec son État-providence) à un capitalisme postindustriel davantage individualiste, s’est accompagné d’un véritable bouleversement du monde marqué par la fragmentation sociale, la désaffiliation vis-à-vis des groupes d’appartenance traditionnels (classes sociales, familles idéologiques, cultures locales), l’individualisation des risques, la mobilité croissante et le double mou-

L'extrême droite en Europe lors des dernières élections législatives en % des suffrages exprimés Moins de 5

Marine Le Pen face au défi de la « dédiabolisation »

epuis de nombreux mois, Marine Le Pen est à l’affiche. Certaines cotes de popularité l’annoncent à un niveau élevé : 27 % de jugements favorables à son action dans la cote Ipsos début décembre, 19 % de cote d’influence chez BVA. En revanche, la cote d’avenir de la Sofres, mesurée en décembre 2010, reste plus modeste : 14 % de personnes interrogées « souhaitent lui voir jouer un rôle important au cours des mois et des années à venir ». La popularité, même si elle est avérée, reste très minoritaire et n’a pas beaucoup réussi à réduire les préventions qui sont à l’œuvre contre le FN et sa future dirigeante. 86 % des personnes interrogées par la Sofres en décembre ne souhaitent pas « lui voir jouer un rôle important au cours des mois et des années à venir », c’est le cas de 74 % des sympathisants de droite. 80 % ne lui font « pas confiance pour gouverner le pays », c’est

le cas de 86 % des sympathisants de l’UMP (Ipsos France 2, 3-4 décembre 2010). 74 % sont « opposés à une alliance entre l’UMP et le Front national pour gouverner le pays », c’est le cas de 68 % des sympathisants de l’UMP (Ipsos). La popularité relative n’a pas réussi à faire céder le rejet dont le FN fait l’objet depuis plusieurs décennies.

Lifting politique Cette bulle de popularité, variable selon l’instrument de mesure utilisé, est sensible – sur un mode mineur – en termes d’intentions de vote. Dans le dernier sondage d’intentions de vote à l’élection présidentielle de 2012 (TNS SofresLe Nouvel Observateur, 19-20 novembre 2010), Marine Le Pen oscille entre 13 et 14 % d’intentions de vote. Cela est un peu mieux que le niveau atteint par

Jean-Marie Le Pen en 2007 mais, pour l’instant, il n’y a pas de dynamique électorale irrésistible. Certes, le processus de marginalisation du FN qu’avait entamé Nicolas Sarkozy en 2007 est stoppé et le renouveau du FN qui accompagne la passation de pouvoir entre Jean-Marie Le Pen et sa fille y contribue. Ce lifting politique et le climat de protestation amplifié par la crise économique et financière ont redonné un espace politique au Front national. Cependant, les urnes n’ont pas encore P. P. parlé. ■

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I nte nt io n s de vote e n fave u r de Ma r i ne Le Pe n DANS LE CADRE D’UN PREMIER TOUR D’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE OÙ LE PS SERAIT REPRÉSENTÉ PAR MARTINE AUBRY

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Source : Sondage TNS Sofres Logica/Le Nouvel Observateur, « Intentions de vote à l’élection présidentielle de 2012, Vague d’automne », enquête réalisée par téléphone auprès d’un échantillon national de 1000 personnesreprésentatif de l’ensemble de la population française âgée de 18 ans et plus, 19 et 20 novembre 2010.


débats OPINIONS

mardi 7 décembre 2010 LE FIGARO

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étudesPOLITIQUES

Figaro-Cevipof

Comment le mouvement social a perdu la bataille de l’opinion Populaire à ses débuts, le conflit sur les retraites n’a pas résisté à la radicalisation et à la durée. l’objet d’un rejet majoritaire (le mouvement des pilotes d’Air France en juin 1998 ou celui des cheminots en mai 1999). En revanche, certaines mobilisations (comme celle des personnels hospitaliers en janvier 2000 ou encore celle des salariés d’Air-Lib, de MetalEurop ou de Daewoo manifestant contre leurs licenciements collectifs en mars 2003) ont tourné au véritable plébiscite d’opinion (92 % des personnes

PASCAL PERRINEAU DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)

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sondées déclarant qu’elles soutenaient ou qu’elles avaient de la sympathie pour le mouvement). Ce soutien d’opinion aux divers mouvements sociaux traduit la prégnance en France d’une « culture contestataire » qui considère la manifestation de rue comme le parangon des pratiques démocratiques. Il s’inscrit aussi dans un cycle de « politisation négative » qui s’est ouvert dans les années 1990 et est marqué par un retour des citoyens vers la sphère publique mais sur un mode extrêmement protestataire. « Les gens reviennent à la politique, mais en accablant la politique. C’est de cette participation hostile que seront faites les prochaines années », écrivait déjà Jean-Louis Missika en 1992 (Le Débat, janvier février 1992). La kyrielle de mouvements sociaux bénéficiant d’un fort soutien d’opinion, qui s’est développée depuis le milieu des années 1990 jusqu’à nos jours, est le meilleur symptôme de cette mauvaise humeur. Enfin, la faiblesse particulière d’acteurs syndicaux peu représentatifs et peu porteurs d’un compromis social crédible, ouvre un espace à des formes de contestation radicale. Étant donné cette tradition de soutien dans l’opinion, personne ne fut étonné de constater, début septembre 2010, que le mouvement de grève et surtout de manifestation contre le projet de réforme des retraites du gouvernement bénéficiait d’un soutien et

Pour la plupart des manifestations qui font l’objet d’une mesure de popularité, c’est entre 50 et parfois même plus de 90 % de la population qui déclare son soutien

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par l’opinion, une grève qui ne tient que par l’opinion, une grève dont l’opinion est l’arbitre, (…) une grève qui cessera lorsque ses acteurs comprendront que l’opinion ne la comprendrait plus » (Sofres, « L’État de l’opinion 1996 »). Rares sont les mouvements qui font

vembre, 47 % seulement des Français considèrent que la manifestation du 6 novembre appelée par les syndicats est justifiée. Ils étaient 71 % à considérer que la manifestation du 12 octobre l’était, ils étaient encore 63 % à penser de même lors de la manifestation du 28 octobre. Ce déclin subit de la popularité du mouvement est directement lié aux blocages de dépôts de carburants et à la pénurie partielle qui s’en est ensuivie. Dans une enquête réalisée par l’Ifop du 21 au 22 octobre, 59 % des personnes interrogées sont d’accord avec l’idée que « faire grève est un droit, mais que les blocages d’entreprises, d’axes de circulation ou de dépôts de carburants sont inacceptables ». Ce rejet des blocages est majoritaire dans toutes les classes d’âge et dans presque tous les milieux sociaux. Ainsi, par son durcissement, par sa durée, par sa volonté de ne pas prendre en compte l’expression de la souveraineté nationale, le mouvement s’est aliéné une partie importante de l’opinion publique qui le soutenait à ses débuts. La démocratie sociale ne peut aller durablement contre la démocratie politique ou faire comme si elle ne prenait pas en compte son verdict. Le prix à payer d’une telle attitude a été lourd : – 24 points du 12 octobre au 6 novembre en ce qui concerne le soutien au mouvement. L’érosion est forte dans tous les milieux, particulièrement chez les femmes (– 28), les ouvriers

dage Ifop-Fondapol, 2-4 novembre 2010), 49 % pensent le contraire. 57 % des ouvriers, 53 % des salariés du secteur public, 41 % des sympathisants de gauche sont dans ce cas.

En position de statu quo Nombre de milieux qui constituent la base même du PS sont en fait sur une position de statu quo.Les ambiguïtés sont majeures pour un parti qui voulait sur ce dossier faire la preuve d’un réformisme subtil. Enfin, même si le message du retour à la retraite à 60 ans est passé, il ne convainc pas : 29 % seu-

-12

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*Sondages IFOP réalisés au téléphone sur un échantillon national représentatif d'environ 950 personnes âgées de 18 ans et plus et constitué par la méthode des quotas après startification par région et catégorie d'agglomération ** Ssondages CSA réalisés au téléphone sur un échantillon national représentatif d'enviton 1000 personnes âgées de 18 ans et plus constitué d'après la méthode des quotas.

72 % 57 %

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Différentiel de soutien au mouvement entre le 12 octobre et le 6 novembre*

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23 sept. 2010

35 ans et plus

Statut

lement des personnes interrogées considèrent que, si le PS gagne en 2012, il ramènera à 60 ans l’âge légal de départ à la retraite. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient mais même à gauche, ils ne sont que 48 % à considérer que le PS honorera ses promesses. Sur ce dossier important pour les électeurs, le PS rencontre un proP. P. blème de crédibilité. ■

70 %

Érosion du soutien aux manifestations contre la réforme des retraites*

-22

Le réformisme subtil du PS entendu mais peu crédible

e PS a participé pleinement aux mobilisations contre la réforme des retraites. Son mot d’ordre de rétablissement de la retraite à 60 ans en 2012, s’il revient au pouvoir, a été entendu. Mais, si le PS a retrouvé les airs d’un parti aux côtés des « luttes sociales », il n’a pas convaincu sur le terrain de sa crédibilité gestionnaire et gouvernementale. En termes d’opinion, la perception de sa conviction à considérer qu’il faut cotiser plus longtemps est très clivée : 51 % des personnes interrogées pensent que le PS est d’accord pour dire qu’il faut cotiser plus longtemps (son-

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La démocratie sociale ne peut aller durablement contre la démocratie politique ou faire comme si elle ne prenait pas en compte son verdict

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VOILÀ UN PARADOXE de l’opinion française : elle clame sa défiance à l’égard du monde politique et des organisations syndicales affaiblies mais s’enflamme pour soutenir la contestation radicale des mouvements sociaux. Ainsi depuis décembre 1995, les Français reviennent à la politique en l’accablant. Cette « politisation négative » qui prend sa source dans la « culture contestataire » du XIXe siècle, est née, sous sa forme moderne, avec les manifestations contre le projet Juppé. Elle est aujourd’hui considérée comme la quintessence vertueuse des pratiques démocratiques. Toutefois, passées au tamis d’une analyse du soutien au mouvement de protestation contre la réforme des retraites de l’automne, ces « grèves de l’opinion », « symptôme de mauvaise humeur » et de « griefs politiques », montrent leurs limites. Après un mois d’agitation sociale, seuls les sympathisants du Front de gauche gonflent les rangs des soutiens indéfectibles quand ceux de l’extrême gauche (Lutte ouvrière, Nouveau Parti Anticapitaliste) amorcent un net repli. Autre enseignement, ceux du Modem désertent. Par ailleurs, la démobilisation n’entame pas la conviction des métiers intermédiaires , socle de la « classe moyenne ». En revanche, elle frappe les ouvriers, les employés et les salariés du secteur public, qui, pourtant, figurent parmi les meilleurs soutiens au début du conflit. Les mouvements sociaux tendent d’abord à effacer les lignes de clivages politiques puis leur audience s’étiole lorsque ces conflits se prolongent. Profession et affinités politiques des soutiens constituent, alors, d’édifiants marqueurs politiques sur l’échelle du désamour JOSSELINE ABONNEAU de l’opinion. ■

epuis octobre 1995, période de mobilisation contre le plan Juppé considérée souvent comme le moment fondateur d’une nouvelle phase de radicalité du mouvement social, le soutien aux protestations et manifestations est régulièrement mesuré par l’institut CSA. Dans leur immense majorité, tous ces mouvements bénéficient d’un fort soutien dans l’opinion, quels que soient le motif (licenciement, réforme statutaire, salaires…) ou la population concernée (fonctionnaires, routiers, médecins, infirmiers, cheminots, policiers, lycéens, chômeurs…). Pour la plupart des manifestations qui font l’objet d’une mesure de popularité, c’est entre 50 et parfois même plus de 90 % de la population qui déclare son soutien ou sa sympathie. Comme si, au travers d’un soutien aux manifestants ou aux grévistes, s’exprimait ce que certains observateurs appellent une « grève d’opinion ». Inventée à l’occasion du conflit de décembre 1995 contre le plan Juppé, la notion de « grève d’opinion », telle que la conçoivent Olivier Duhamel et Philippe Méchet, est « une grève soutenue

(– 31), les inactifs non retraités (– 35), les électeurs proches du centre (– 34) et ceux n’ayant pas de proximité partisane (– 35). Même à gauche, l’érosion est sensible et seuls les électeurs appartenant aux professions intermédiaires et ceux proches du Front de gauche tiennent bon sur leurs positions de la mioctobre. Alors qu’une forte minorité d’électeurs de droite et une forte majorité d’électeurs centristes soutenaient le mouvement à la mi-octobre, ils ne sont plus qu’une petite minorité à le faire au début du mois de novembre. Le conflit social et la victoire remportée par le gouvernement ont contribué à rebipolariser l’opinion alors que le mouvement social avait pu prendre un moment les couleurs d’un vaste rassemblement dépassant les lignes de clivage politique. ■

d’une sympathie largement majoritaire dans l’opinion : 62 % des personnes interrogées déclarèrent soutenir le mouvement enclenché le 7 septembre par une première manifestation. Le soutien et la sympathie progressèrent même jusqu’à 71 % le 19 octobre pour ensuite connaître un reflux sensible après le vote définitif de la loi par l’Assemblée nationale le 27 octobre. Interrogés par l’Ifop, du 2 au 4 no-


débats OPINIONS

mardi 9 novembre 2010 LE FIGARO

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étudesPOLITIQUES

Figaro-Cevipof

L’impossible défi de Dominique Strauss-Kahn en 2012

Sa popularité en fait le candidat naturel du PS, mais ses prises de position au FMI le gênent pour fédérer la gauche historique.

DESSIN DOBRITZ

PASCAL PERRINEAU

DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)

DOTÉ D’UNE AUDIENCE sondagière flatteuse, Dominique Strauss-Kahn occupe actuellement la « pole position » dans la course à l’investiture socialiste pour l’élection présidentielle de 2012. Pour l’instant, son éloignement de la scène hexagonale et son expertise économique au FMI permettent à Dominique Strauss-Kahn d’afficher sans complexe des positions iconoclastes, notamment en se démarquant du Parti socialiste et de son aile gauche sur la réforme des retraites. Cette teinture sociale-démocrate qui a contribué à forger sa cote de popularité place Dominique StraussKahn en candidat naturel de la gauche. Toutefois elle met le patron du FMI face à un impossible défi. « Plus populaire au centre et à droite qu’à gauche », DSK devra transformer « sa popularité de papier » en vote : pour emporter à la fois l’adhésion de son propre camp sans effrayer par des concessions faites au socialisme de papa et à la gauche historique, des sympathisants du centre gauche séduits par son « réformisme ». Ainsi, pour passer le cap de l’investiture, il lui faut gagner le soutien de l’aile gauche du PS et entraîner l’adhésion de la gauche radicale (notamment celle de Mélenchon), celle qui agite, déjà, le bâton de l’abstention au second tour de l’élection présidentielle. Cet exercice, acrobatique, ne doit pas faire fuir les « centristes strausskahniens » séduits par l’identité sociale-démocrate du patron du FMI. Dans la confrontation d’une campagne électorale, les atouts de DSK peuvent se révéler comme autant de talons d’Achille. JOSSELINE ABONNEAU

A

uréolé de ses différents combats électoraux, ministériels et militants, Dominique StraussKahn est entré en janvier 1996 au baromètre Figaro Magazine qui consacre bien souvent ceux qui prétendent à une destinée politique nationale. Modeste au départ, sa cote d’avenir profite de l’embellie de popularité du gouvernement de gauche issu des législatives de 1997 auquel il participe, mais, dès 1999, il connaît une érosion sensible liée aux affaires qui le contraignent à la démission du gouvernement. Ce n’est qu’en 2002 que sa popularité connaît un regain, pour ensuite enregistrer, à l’occasion des primaires socialistes de 2006 puis de l’étiolement de la popularité de Ségolène Royal après sa défaite de mai 2007, une montée en puissance qui en fait aujourd’hui la personnalité politique à laquelle les Français prêtent le plus d’avenir (47% dans le dernier baromètre TNS Sofres-Le Figaro Magazine de novembre 2010). 44% souhaitent qu’il soit le prochain président de la République (ViavoiceLibération, août 2010) et, en termes d’intentions de vote (TNS Sofres-Logica-Le Nouvel Observateur, août 2010), il est aujourd’hui le mieux placé à gauche (25 % au premier tour, alors que Martine Aubry n’est créditée que de 22%, Royal et Hollande de 16%). L’homme est populaire, les sondages d’intentions de vote lui accordent, à dix-huit mois de l’échéance présidentielle, une position électorale forte, mais cette «popularité de papier» et ces intentions de vote saisies à plusieurs encablures de l’arrivée au port présidentiel ne vont pas sans quelques fragilités et interrogations.

POPULARITÉ ❙ DEAU LAVOTE… Tout d’abord, la popularité sondagière n’est pas toujours exempte de fragilités électorales. Nombre d’hommes ou

de femmes politiques, longtemps au pinacle des sondages d’opinion, se sont révélés être des candidats inexistants ou malheureux. Simone Veil, en tête pendant des années des sondages de popularité, avait caracolé de manière à peu près constante de 1987 à 1995 au-dessus de la barre des 50 % et avait même atteint le sommet de 68 % à la cote d’avenir Sofres en juin 1993. Cela ne l’empêcha pas de re-

«

bre 2010, 55 % des sympathisants de droite souhaitent lui voir jouer un rôle important au cours des mois et des années à venir. Ils sont 70 % au Modem, 45 % chez les Verts et 51 % à gauche. Ainsi, fort de son extraterritorialité qui le libère des clivages et des passions hexagonales, auréolé d’une aura d’expertise généreusement accordée à l’économiste et au patron du FMI, Dominique Strauss-Kahn rassemble

Au sein d’une gauche française souvent peu amène vis-à-vis du “ modérantisme ” social-démocrate, le positionnement de centre gauche de Dominique Strauss-Kahn peut poser problème

»

cueillir un maigre 8,4 % des voix lorsqu’elle présenta une liste centriste aux européennes de 1989. Jacques Delors, autre star des sondages pendant près de dix ans où, de 1988 à 1998, il s’installa au-dessus de la barre des 50 %, n’en tirera aucun profit électoral, refusant même de franchir le pas de la candidature à l’occasion de la présidentielle de 1995. Ces popularités fortes à faible rendement électoral touchent souvent des personnalités proches du centre, présentant un visage « moderne », d’ouverture, et porteuses d’hypothétiques dépassements du clivage entre la gauche et la droite. Dominique Strauss-Kahn a certaines de ces caractéristiques tout en étant plus fermement enraciné dans un parti et plus habitué aux joutes électorales que ne l’étaient Simone Veil ou Jacques Delors.

CLIVAGE… ❙ DEAU L’UNANIMITÉ Deuxième interrogation : la popularité de Dominique Strauss-Kahn est marquée par un unanimisme qui ne résistera pas à une confrontation électorale fortement clivante et bipolarisante. Le patron du FMI bénéficie aujourd’hui d’une situation exceptionnelle : il est plus populaire au centre et à droite qu’à gauche. Dans le baromètre TNS Sofres-Le Figaro Magazine de novem-

aujourd’hui bien au-delà de son camp. Mais, éventuellement candidat demain, il verra fondre ces soutiens d’un moment. Cependant, Dominique Strauss-Kahn est porteur depuis longtemps d’une identité sociale-démocrate qui peut lui laisser espérer, le moment venu, de garder une partie de ces soutiens centristes et de droite.

DE LA CAPACITÉ À RASSEMBLER ❙ TOUTES LES GAUCHES… Enfin, troisième interrogation : au sein d’une gauche française souvent peu amène vis-à-vis du « modérantisme » social-démocrate, le positionnement de centre gauche de Dominique Strauss-Kahn peut poser problème. Toute une partie de la gauche ne cesse de dénoncer un Dominique Strauss-Kahn qui ne serait pas de gauche, et Jean-Luc Mélenchon menace déjà : « Il manquera beaucoup de monde à l’appel du deuxième tour. » Dès aujourd’hui, il y a quelques signes de difficultés entre Dominique Strauss-Kahn et les milieux que tente de représenter la « gauche de la gauche ». Par exemple, dans le sondage TNS Sofres-Le Nouvel Observateur réalisé fin août 2010, Dominique Strauss-Kahn ne recueille que 19 % d’intentions de vote en milieu ouvrier (28 % pour Royal, 24 % pour Aubry),

alors qu’il s’épanouit dans les milieux bourgeois : 31 % chez les cadres et professions intellectuelles (12 % pour Royal, 24 % pour Aubry). Dans la perspective d’un premier tour, il ne capte que 11 % d’électeurs de la gauche antilibérale de 2007 et 8 % de sympathisants du Front de gauche, mais séduit pour l’instant 15 % des électeurs qui avaient choisi Nicolas Sarkozy et 35 % de ceux qui s’étaient tournés vers François Bayrou en 2007. Nous sommes loin cependant du second tour de l’élection présidentielle de 2012, et il est difficile de savoir dans quelle mesure ces défections de certains secteurs de la « gauche historique » seront, le moment venu, contrebalancées par la vigueur d’un second tour où la dénonciation de l’« ennemi » fera tomber les réticences à se mobiliser pour le représentant de la gauche. L’antisarkozysme peut réconcilier temporairement les « frères ennemis » de la gauche, qui pourront, l’espace bref d’un second tour, s’aimer de détester ensemble. Pour l’instant, aucune ligne n’est figée. Le PS n’a pas fait son choix. Les images, les perceptions vont bouger. Mais la course est ouverte et chacun s’élance avec ses forces et ses faiblesses, qui sont autant de marqueurs forts de l’identité politique des candidats. ■

71 %

Juin 2010

63 %

a gauche n’est pas plus à abri que la droite de la personnalisation de la politique intimement liée à l’élection présidentielle. Aujourd’hui, la personnalité du candidat socialiste a un impact profond sur la capacité du PS à rassembler un électorat significatif. Alors que Ségolène Royal et François Hollande sont crédités de 16 % d’intentions de vote, Martine Aubry fait nettement mieux (22 %) sans pour autant atteindre les 25 % attribués à Dominique Strauss-Kahn. L’électorat socialiste varie de + ou – 9 points en fonction de la personnalité

de celui ou celle qui le représenterait. Le «plus» de Dominique Strauss-Kahn est lié à des scores beaucoup plus élevés que ses challengers chez les hommes, les personnes de plus de 50 ans, les cadres et professions intellectuelles, les électeurs proches du MoDem et de l’UMP.

Faire jeu égal En revanche, il est intéressant de constater la capacité de Martine Aubry à faire jeu égal avec Dominique Strauss-Kahn chez les femmes, les jeunes, les 35-49 ans, les travailleurs indépendants, les professions inter-

médiaires et les employés. Enfin, la dirigeante du PS domine le patron du FMI chez les ouvriers, chez les sympathisants de l’extrême gauche et du Front de gauche ainsi que chez les socialistes. Les deux autres candidats sont surclassés sauf à constater la forte présence de Ségolène Royal chez les ouvriers et l’audience non négligeable de François Hollande chez les jeunes. ■ P. P.

Juill. 2010

62 %

51 %

Nov. 2010

Févr. 2010

50 %

51 %

Juin 2010

Les profils contrastés des candidats socialistes potentiels

L

49 %

Juill. 2010

Aubry prend l’avantage sur Strauss-Kahn chez les électeurs sympathisants de gauche Source : Figaro magazine - Sofres

45,6 %

Évolution de la cote d'avenir* de Dominique Strauss-Kahn

44,2 % 2007

1998

A

Total 18 à 24 ans Selon l’âge 35 à 49 ans 50 à 64 ans Selon la profession Commerçant, artisan, chef d’entreprise Cadre, profession intellectuelle Sources : TNS-Sofres Logica/ Profession intermédiaire Le Nouvel Observateur, Employé 20-21 août 2010 Photos : Le Figaro Ouvrier

1999

Ségolène François Royal Hollande

22 %

16 %

2

23 % 31 % 24 % 25 % 19 % 24 %

1

20 % 23 %

28 % 30 %

31 %

27 % 20 % 19 %

2009

33,9 %

2002

16 %

34 %

2004

32,7 % 33,2%

Dominique Strauss-Khan 20 % 24 %

2008

42,1 %

39,2 %

Intentions de vote pour les candidats socialistes dans le cadre d’un premier tour à l’élection présidentielle

2010

43,6 %

39,7 %

25 %

Martine Aubry

Nov. 2010

67 %

Févr. 2010

2003

28,7 %

3

28,9 %

17 %

19 %

14 % 22 % 12 % 12 % 15 %

19 % 19 % 19 %

21 %

28 %

2000

1997

2005

31,2 % 2006

27,7 % 2001

16 % 17 %

17 % 14 %

16,3%

1996

* Il s'agit de moyennes annuelles des cotes d'avenir mesurées chaque mois Source : Figaro Magazine-SOFRES


débats OPINIONS

mardi 5 octobre 2010 LE FIGARO

22

étudesPOLITIQUES

Figaro-Cevipof

Pourquoi le scénario de 2012 n’est pas écrit

Le déficit de popularité du chef de l’État n’entame pas le cœur de l’électorat UMP.

DESSIN DOBRITZ

PASCAL PERRINEAU DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)

LE FAIT NOUVEAU de la période politique actuelle, c’est l’optimisme de la gauche. Elle n’a plus gagné une élection présidentielle depuis 1988 et elle estime pouvoir renverser cette tendance en 2012. Son optimisme se nourrit des sondages, qui tous soulignent un désamour entre Nicolas Sarkozy et les Français. La présidentielle serait-elle déjà jouée ? Le croire, c’est, comme le montre Pascal Perrineau, faire fi de l’histoire de ces cotes de popularité des candidats à la fonction présiden-tielle. Beaucoup étaient abonnés aux premières places des palmarès de l’opinion mais ont trébuché sur la première marche du scrutin présidentiel. Le contraire est vrai aussi. Les pronostics ne sont-ils pas hâtifs quand les enjeux d’une campagne électorale se nouent six mois avant le premier tour – en ce cas d’espèce, à la rentrée prochaine ? L’étude du directeur du Cevipof invite donc à la prudence. Ne serait-ce qu’en prenant en compte l’évolution d’un électorat jadis fidèle et maintenant de plus en plus « volatile » et « détaché des grandes références idéologiques ». L’analyse du capital électoral du sarkozysme montre que le déficit de popularité du chef de l’État n’entame pas le cœur de l’électorat UMP, alors que dans le même temps l’opinion ne manifeste pas, jusqu’ici, un franc « désir de gauche ». Ainsi s’esquissent les voies de la reconquête électorale : la droite de la droite et le centre. Dans cette bataille-là, Nicolas Sarkozy a déjà démontré qu’il n’était pas le moins habile… JOSSELINE ABONNEAU

E

n septembre 2010, à un an et demi de l’échéance présidentielle de 2012, la situation semble très difficile pour Nicolas Sarkozy. Le président est au plus bas dans les sondages de popularité : dans le dernier sondage de l’Ifop pour Le JDD, seules 32 % des personnes interrogées disent être satisfaites de Nicolas Sarkozy comme président de la République, ils étaient 65 % en mai 2007. L’été 2010, avec son lot d’affaire Woerth-Bettencourt, de discours sécuritaire et de capharnaüm majoritaire, s’est soldé par une érosion sensible lors de la rentrée de septembre (– 4 points d’août à septembre). Enfin, l’annus horribilis inaugurée en septembre 2009 par le procès Clearstream, prolongée par l’affaire Frédéric Mitterrand puis la candidature de Jean Sarkozy à l’Epad a peu à peu installé la cote de satisfaction présidentielle sous la barre des 40 %. Depuis septembre 2009, celle-ci oscille entre 30 et 39 % et a même tendance, depuis sept mois, à se rapprocher de la barre des 30 %. Gouverner avec un tiers de satisfaits n’est pas tâche aisée. Ce climat de désamour dans l’opinion a pris un relief particulier lorsque des sondages d’intentions de vote ont envisagé une possible victoire, au second tour de l’élection présidentielle, d’un candidat socialiste. Un sondage Sofres-Nouvel Observateur des 20 et 21 août 2010 annonçait une capacité de Dominique Strauss-Kahn et de Martine Aubry à battre nettement Nicolas Sarkozy dans le cadre d’un second tour : le premier était crédité de 59 % d’intentions de vote, la seconde de 53 %. Ce rapport de forces très dégradé au détriment de l’actuel président de la République, s’il est un signe des difficultés que traversent tous les dirigeants des démocraties confrontées à une crise économi-

que et sociale de première ampleur, doit cependant être relativisé. Tout d’abord, les sondages mesurent, surtout lorsqu’ils sont réalisés à un an et demi d’une échéance électorale, une « popularité de papier » plus qu’un réel capital électoral. Les rôles politiques ne sont pas encore distribués, la campagne n’a pas vraiment commencé, les thèmes de la controverse ne sont pas fixés. Dans ce contexte, les intentions de vote reflètent davantage des popularités d’image que des appréciations de candidats

«

La vie politique française est un “ cimetière des éléphants ” où femmes et hommes, qui étaient au pinacle des sondages d’opinion, sont tombés au champ d’honneur du suffrage universel

»

en compétition pour la présidence. Popularité ne veut pas dire capital électoral. La vie politique française est un « cimetière des éléphants » où femmes et hommes, qui étaient au pinacle des sondages d’opinion, sont tombés au champ d’honneur du suffrage universel (Michel Rocard, Simone Veil, Bernard Kouchner, Jacques Delors…). Ensuite, nombre de candidats qui paraissaient devoir être élus un an avant l’échéance présidentielle ont été battus lors du combat décisif. Les enjeux avaient changé, les images s’étaient écornées, la conjoncture n’était plus la même. Tel a été le cas pour Valéry Giscard d’Estaing annoncé vainqueur en avril 1980 et défait par François Mitterrand un an plus tard. Puis ce fut le tour de Jacques Chirac en 1987-1988, d’Édouard Balladur en 1994-1995, de Lionel Jospin en 20012002 et même de Ségolène Royal qui en avril 2006 était créditée, dans un sondage CSA, de 53 % d’intentions de vote face à Nicolas Sarkozy.

Les comportements des électeurs sont marqués aujourd’hui par une volatilité de plus en plus grande. Davantage détaché des grandes références idéologiques traditionnelles, touché lui-même par une mobilité forte dans ses trajets professionnels, ses ancrages géographiques et souvent sa vie privée, inscrit dans une relation de consommateur répondant à un système d’offre diversifiée et en mutation constante, le citoyen d’aujourd’hui – sans être un électron libre - n’est plus un électeur fidèle. Ses tropismes d’hier peuvent s’étioler, ses choix d’aujourd’hui évoluer demain. D’autant plus que le vote n’est pas simplement un vote rétrospectif sur un bilan mais est aussi un vote prospectif sur un projet.

A

ujourd’hui s’exprime avant tout, au travers de l’antisarkozysme, un rejet ou des interrogations sur un bilan. Demain, la perception de ce bilan aura évolué mais surtout la bataille présidentielle tournera autour de projets et de la capacité de tel (le) ou tel (le) candidat (e) à dessiner un avenir désirable pour une société française inquiète, touchée par la crise et en pleine interrogation sur sa capacité à s’insérer dans la globalisation. La bonne gestion des dossiers qui « préparent l’avenir » comme celui de la réforme des retraites, celui de la formation des jeunes ou encore celui de la capacité à bien placer la France dans la compétition internationale peut être décisive. Enfermé pour l’instant dans une gestion au quotidien, rabattu sur sa dimension rétrospective, Nicolas Sarkozy peut retrouver demain une dimension prospective. Enfin, la lecture attentive des sondages d’intentions de vote d’aujourd’hui doit rendre prudent quant aux projections hâtives faites sur l’avenir. Dans le sondage d’intentions de vote pour la présidentielle réalisé fin août par la Sofres pour Le Nouvel Observateur, dans l’hypothèse d’un premier tour avec Martine Aubry comme candidate du PS, la gauche est nettement minoritaire. Le total des intentions de vote en faveur des candidats de gauche

(N. Artaud, O. Besancenot, J.-L. Mélenchon, M. Aubry, E. Joly) n’atteint que 43 %, le centre incarné par François Bayrou attirant 7 % et la droite (H. Morin, D. de Villepin, N. Sarkozy, M. Le Pen) rassemblant 50 %. Il n’y a, pour l’instant, pas de « désir de gauche » dans l’électorat français. Cela recoupe l’analyse que l’intellectuel italien Raffaele Simone fait sur le déclin de la gauche occidentale lorsqu’il constate « qu’alors que la droite nouvelle semble moderne et dans le vent, la gauche est poussiéreuse et hors du coup ». Cependant, cette gauche minoritaire de premier tour montre sa capacité à devenir majoritaire au second, Martine Aubry étant créditée de 53 %, soit dix points de plus que le niveau des gauches du premier tour. Cette victoire éventuelle n’est rendue possible que par la très médiocre qualité des reports des électorats du centre et de la droite non sarkozyste sur Nicolas Sarkozy au second tour. Celui-ci ne récupérerait pour l’instant que 23 % des électeurs de François Bayrou, 45 % de ceux de Marine Le Pen et 55 % de ceux de Dominique de Villepin. Solidement ancré au cœur de l’électorat de l’UMP, ce qui explique le bon niveau de ses performances électorales de premier tour, Nicolas Sarkozy connaît des faiblesses quant à sa capacité à fixer au second tour les électorats des deux ailes du dispositif électoral des droites : à la droite de la droite et au centre droit. Ces deux zones de dépression électorale délimitent pour les mois à venir les deux axes d’une éventuelle reconquête électorale. ■

Les chutes de popularité présidentielle au cours des 30 dernières années François Mitterrand

De juin 1981 De juin 1988 à déc.1984 à déc.1991

L’impopularité, un phénomène inhérent à toute présidence

D

epuis son élection, l’érosion de la popularité de Nicolas Sarkozy a été très forte : – 37 points à la cote de confiance de la Sofres (de juin 2007 à septembre 2010). Toutefois, cette baisse n’a rien d’exceptionnel : elle était de – 38 points pour François Mitterrand de juin 1981 à décembre 1984, de – 32 pour le même de juin 1988 à décembre 1991, de – 32 pour Jacques Chirac de juin 1995 à novembre 1996 et – 36 pour Jacques Chirac encore de mai 2002 à juillet 2006. Avec 26 % de Français qui lui font confiance « pour résoudre les problèmes qui se posent en France actuellement », le président est à son plus bas niveau sans pour autant battre le record d’impopularité qui avait été atteint par Jacques Chirac en juillet 2006 (16 %). Ce déclin très sensible de popularité est lié à l’exercice du pouvoir présidentiel par Nicolas Sarkozy mais aussi à un

Les transferts d’intentions de vote du premier au second tour de l’élection présidentielle

étiolement structurel de la confiance que les Français mettent dans l’action d’un président de la République.

L’effet « lune de miel » est de plus en plus éphémère

L’effet « lune de miel » qui suit toute élection présidentielle est, en France comme ailleurs, de plus en plus éphémère. Celui-ci est suivi d’un désamour de plus en plus avéré. La cote de confiance présidentielle de la Sofres existe en France depuis octobre 1978 ; les étiages de popularité n’ont cessé de baisser d’une présidence à l’autre : 41 % pour Valéry Giscard d’Estaing en mars 1981, 36 % pour François Mitterrand en décembre 1984, 31 % en décembre 1991, février et mars 1993 pour François

Intention de vote au 1er tour

Martine Aubry

65 % 96 % 68 % 59 % 34 %

Olivier BESANCENOT Martine AUBRY Eva JOLY François BAYROU

Photos : Le Figaro, Rue des Archives

A

Nicolas SARKOZY Marine LE PEN

1% 37 %

Nicolas Sarkozy

11 % 12 % 23 % 55 % 98 % 45 %

-38 % -32 % Jacques Chirac Nicolas Sarkozy

De juin 1995 De mai 2002 à nov.1996 à juillet 2006

-32 %

-36% De juin 2007 à juillet 2010

61 %

-37 %

2e sem. 2007

Intention de vote au 2nd tour en faveur de

Dominique de VILLEPIN Sources : sondage Sofres– Nouvel observateur, 20-21 août 2010

Mitterrand lors de son second mandat, 32 % en novembre 1996 pour Jacques Chirac lors de son premier mandat et 16 % en juillet 2006 lors du second. La sanction de l’opinion vis-à-vis d’un président confronté à des difficultés est de plus en plus sévère. À cet égard, la sanction vis-à-vis de Nicolas Sarkozy (en l’absence d’une dégradation éventuelle à venir) aurait pu être encore plus forte. Le pire n’est pas toujours certain. On aurait pu imaginer que l’usure du pouvoir, la profondeur de la crise économique et sociale et l’exposition liée à l’hyperprésidence aient entraîné une situation encore plus difficile pour le P. P. président. ■

Abstention, blanc, nul, sans réponse

Source : cotes de confiance Sofres

Évolution de l'indice de popularité de Nicolas Sarkozy

24% 4% 20 % 18 % 11 % 1% 18 %

39 %

1er sem. 2008

41 %

2e sem. 2008

40 %

1er sem. 2009

39 %

34 %

2e sem. 2009

La question posée chaque mois est la suivante : « Êtes-vous satisfait ou mécontent de Nicolas Sarkozy comme président de la République ? » Les enquêtes mensuelles ont été cumulées par semestre.

34 %

1er sem. 2010

juillet-sept. 2010


débats OPINIONS

mardi 7 septembre 2010 LE FIGARO

14

étudesPOLITIQUES

Figaro-Cevipof

2011: le Sénat peut-il passer à gauche?

Les scrutins locaux et le changement sociologique du corps électoral accréditent l’hypothèse d’un bouleversement. Ordalie de la France profonde, le renouvellement par moitié du Sénat en septembre 2011 sera analysé, quoi qu’il advienne, comme un test politique majeur à six mois de l’élection présidentielle. Outre le rôle de la Haute Assemblée dans le processus législatif, son président dispose de prérogatives majeures telles que l’intérim du chef de l’État, la désignation de membres du Conseil constitutionnel, du Conseil supérieur de la magistrature, et de personnalités qualifiées des autorités de régulation des marchés, de l’audiovisuel, etc. Hier considéré comme utopique, le basculement - historique - à gauche de la majorité sénatoriale entre dans le champ plausible des hypothèses. Les succès de la gauche dans les élections locales, les évolutions sociologiques du corps électoral sénatorial, la réforme territoriale qui trouble nombre d’élus locaux, leurs inquiétudes sur les ressources fiscales des collectivités territoriales, la morosité économique et sociale alimentent et fortifient aujourd’hui les doutes politiques. Toutefois, la spécificité du corps électoral sénatorial composé notamment de délégués de petites communes et territoires ruraux traditionnellement plus à droite et moins politisés, la dimension très personnalisée d’un scrutin dépassant les clivages partisans hypothèquent lourdement les calculs électoraux. Enfin le second tour, celui de la présidence, subtil syncrétisme des équilibres internes, peut aussi réserver des surprises. ■ JOSSELINE ABONNEAU

PERTES DE LA DROITE

ENTRE 1998 ET 2010

50

villes de plus de 30 000 habitants

32 18

départements

régions

PS

116

RDSE*

21 sièges

A

Page réalisée en collaboration avec le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof)

Centre associé au CNRS et dirigé par Pascal Perrineau

150

PCParti de gauche

24

Non inscrits

7

179 heu heuress CContrôle ontrôle

Le Sénat sera renouvelé par moitié en septembre 2011.

* RDSE (Rassemblement démocratique et social européen)

VIALERON/LE FIGARO

Les groupes politiques au Sénat

D

ans un an, la moitié des sièges du Sénat sera renouvelée. Cent soixante-dix sièges seront à pourvoir dans trente-huit départements métropolitains, un territoire et cinq départements d’outre-mer et pour une partie des Français établis hors de France. Comme d’habitude, ces futurs sénateurs seront élus au suffrage indirect par un corps de grands électeurs constitués par les députés, les conseillers régionaux, les conseillers généraux et les délégués municipaux. Le poids de ces derniers est écrasant puisqu’ils représentent 95 % du corps électoral sénatorial. Dans la série de départements qui vont connaître des élections sénatoriales en septembre 2011, 55 % des 14 446 communes concernées ont moins de 500 habitants, 25 % entre 500 et 1 499, 10 % entre 1 500 et 3 499, 6 % entre 3 500 et 8 999, 3 % entre 9 000 et 29 999 et seulement 1 % 30 000 habitants et plus. L’influence des délégués des petites communes est donc importante même si il y a une progressivité du nombre de délégués des conseils municipaux en fonction de la taille de la commune. Mais cette progressivité n’est pas parfaite : une commune de 10 000 habitants a 33 délégués alors qu’une commune de 100 habitants en a un. Ainsi un délégué municipal représente 100 habitants dans une petite commune de 100 habitants alors qu’il en représente 303 dans une commune de 10 000 habitants.

Nouveaux profils

GAIN DE LA GAUCHE AU RENOUVELLEMENT SÉNATORIAL DE 2008

UMP

Union centriste

17 29

Le poids électoral des populations des communes de petite taille est plus important que celui des grandes communes. Or, dans ce monde des petites communes, les étiquettes politiques sont plus floues et incertaines. La pénétration des partis nationaux y est beaucoup moins profonde et les étiquettes politiques des maires et des conseillers municipaux échappent souvent aux étiquetages politiques nationaux. Cette partie du corps électoral sénatorial constitue une relative inconnue et peut réserver des surprises. Cependant, depuis 2007, la lente et régulière poussée de la gauche dans toutes les élections locales (municipales et cantonales de 2008, régionales de 2010) a entraîné une évolution du centre de gravité politique des grands électeurs vers la gauche. Celle-ci a déjà été sensible lors du dernier renouvellement sénatorial de septembre 2008 où la gauche avait gagné 21 sièges. Actuellement, le rapport de forces politique au Sénat est le suivant : sur les 343 sénateurs, 24 appartiennent au groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, 116 au groupe socialiste, 17 au groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE), 29 au groupe de l’Union centriste, 150 au groupe de l’UMP et 7 sont non inscrits. En septembre 2011, le nombre de sénateurs passera à 348 et la moitié des sièges sera renouvelée. La majorité absolue sera donc fixée à 175 sénateurs. Aujourd’hui, la gauche peut compter sur 24 membres du groupe communiste, 116 du groupe socialiste et 13 des 17 sénateurs du groupe RDSE, soit 153 sénateurs. Il lui faudrait

PAR PASCAL PERRINEAU

DIRECTEUR DU CEVIPOF

«

L’archétype du maire rural, qui était jusqu’ici l’agriculteur de centre droit et de tradition démocratechrétienne, évolue au bénéfice du retraité de la fonction publique, davantage à gauche

»

donc théoriquement gagner 22 sièges en 2011 pour s’emparer de la présidence du Sénat. Si elle renouvelait en amplifiant sa performance de 2008, cet objectif, difficile à atteindre, pourrait devenir réalité. Depuis une dizaine d’années, la droite a perdu beaucoup de terrain au plan local. Entre 1998 et 2010, elle a vu lui échapper 50 villes de plus de 30 000 habitants, 32 départements et 18 régions. Ces succès électoraux répétés ont entraîné une montée en puissance des élus locaux de gauche. Ceux-ci sont nettement majoritaires dans les conseils généraux et régionaux et ont beaucoup renforcé leur emprise dans les conseils municipaux. C’est ce nouveau corps électoral sénatorial qui s’exprimera dans un an. Indépendamment de l’évolution de son centre de gravité politique, cet électorat a connu des changements dans son profil sociodémographique. Les élus locaux qui sont au cœur de l’électorat sénatorial ont connu une relative « professionnalisation » (mandat à plein-temps, statut d’élu local, permanent de parti) et un renforcement croissant du poids de la fonction publique qui sont autant de processus qui favorisent plutôt la gauche que la droite. Enfin, dans nombre de départements ruraux, apparaissent des profils relativement atypiques par rapport à la « norme » de l’élu local agriculteur exploitant. Du fait de la désertification et du déclin de la population agricole, ce sont souvent de nouveaux résidents d’origine urbaine et plus orientés vers la gauche qui deviennent conseillers municipaux dans les petites communes. Une étude sur le profil des maires, menée par la Direction générale des collectivités locales après les

élections municipales de 2008, montre que le nouveau maire type est un jeune retraité souvent issu de la fonction publique, ayant travaillé en ville mais s’étant installé à la campagne, en zone périurbaine. Les retraités sont de loin la catégorie la plus nombreuse (32,33 %) alors que la part des agriculteurs, qui représentaient encore le tiers des maires en 1983, est tombée à 15,61 %. L’archétype du maire rural, qui était jusqu’ici l’agriculteur de centre droit et de tradition démocratechrétienne, évolue au bénéfice du retraité de la fonction publique, davantage à gauche et doté éventuellement d’un passé de militant syndical. Cette population d’élus locaux a été dans la période récente déstabilisée par la réforme territoriale. L’empilement des structures de pouvoir local, l’intrication de leurs compétences et le maquis des financements croisés appelaient une réforme. Le 8 juillet dernier, celle-ci a été adoptée en seconde lecture par le Sénat, mais le débat n’a pas été facile et a révélé nombre d’inquiétudes particulièrement sur le mode de scrutin des futurs conseillers territoriaux, la question des compétences et celle du découpage. Cette réforme n’est, pour l’instant, pas bien reçue dans l’opinion : en novembre 2009, seules 23 % des personnes interrogées par la Sofres pensaient que la réforme était « une bonne chose », 34 % « une mauvaise chose », 16 % « ni l’une ni l’autre », 27 % étant sans opinion. Il se peut que les frustrations soulevées par cette réforme handicapent ceux qui en ont été porteurs. Déjà, dans le passé, des réformes vigoureuses menées sur le terrain local s’étaient retournées contre leurs auteurs. En septembre 1971, la majorité de l’époque avait souffert lors des élections sénatoriales de la loi sur les fusions et regroupements de communes, dite « loi Marcellin », qui avait été adoptée en juillet de la même année. La refonte de la fiscalité locale engendrée par la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement, dans la loi de finances de 2010, par la contribution économique territoriale, suscite des inquiétudes jusqu’au cœur de la majorité. C’est donc une population d’élus locaux traversée par des interrogations qui va s’exprimer en septembre 2011. Il faudra que toutes ces réformes soient expliquées, défendues avec une ligne directrice forte pour que l’interrogation cède la place au soutien.

Le poids des « divers droite » D’autant plus que la conjoncture économique, sociale et politique est morose. Dans un sondage réalisé en juillet 2010 par la Sofres pour La Croix, l’opinion reste très préoccupée par les questions d’emploi et de chômage (74 %) ainsi que par le dossier des financements de retraite (58 %) qui est à l’agenda des réformes de la rentrée. Dans le baromètre politique Figaro Magazine-Sofres de juillet 2010, seules 26 % des personnes interrogées « font confiance à Nicolas Sarkozy pour résoudre les problèmes qui se posent en France actuellement », 35 % faisant confiance à François Fillon. Cette période de « basses eaux » en termes de popularité de l’exécutif ne simplifiera pas la tâche des candidats de la majorité. Cependant, rien n’est joué

d’avance et d’ici à septembre 2011 certains indicateurs peuvent se redresser. L’importance du poids des élus des petites communes et des zones rurales dont le centre de gravité est plus à droite est importante dans le corps électoral sénatorial. Si l’on considère l’ensemble des maires des départements qui connaîtront une élection sénatoriale en 2011, 55 % d’entre eux sont à droite, 30 % à gauche, 1 % au centre et 14 % relèvent de tendances difficilement classables à gauche ou à droite. C’est cette population où le poids des « divers droite » est très fort (48 %) qui jouera un rôle décisif dans le destin politique du Sénat.

Un groupe charnière Toute élection est avant tout l’élection d’un homme ou d’une femme quelle que soit son étiquette politique. Mais cette dimension personnelle est encore plus forte dans l’élection sénatoriale. Le monde des électeurs sénatoriaux est un « petit monde » : selon les départements, il oscille de quelques centaines à quelques milliers d’électeurs qui souvent connaissent des candidats directement issus du cénacle restreint des élus locaux. La personnalisation, l’interconnaissance peuvent perturber les clivages politiques. La droite est souvent plus à l’aise sur ce terrain qu’une gauche plus sensible aux engagements collectifs et aux étiquettes politiques. Cette dimension personnelle qui déplace les lignes de partage politique est sensible jusqu’au cœur du Sénat où les équilibres politiques ne sont pas totalement stables. Le groupe du Rassemblement démocratique et social européen, qui comprend 17 membres, héritier du plus vieux groupe du Sénat (la Gauche démocratique créée en 1892), comprend certes une majorité de sénateurs de l’opposition (particulièrement les radicaux de gauche) mais comme l’écrit son président, Yvon Collin, « ce groupe ne se reconnaît pas dans le caractère artificiel et souvent manichéen du clivage gauche/droite ». En cas de rapport de forces serré entre la majorité et l’opposition, la stratégie et le vote de nombreux sénateurs de ce groupe charnière (ou encore de celui de l’Union centriste) pourront s’avérer décisifs. Enfin, personne n’ignore, même à gauche, que l’élection sénatoriale n’est jamais gagnée au soir des élections sénatoriales et qu’il y a le « deuxième tour » décisif qu’est l’élection du président du Sénat. Même si la gauche gagne, il y a des chances qu’elle ne gagne pas nettement, alors la donne sera très ouverte lors de l’élection du président de la Haute Assemblée. Le président sortant Gérard Larcher a une surface politique large qui peut dépasser les limites de son propre camp. Un groupe charnière comme le RDSE pourrait également avoir un candidat au perchoir. Déjà, en octobre 2008, Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste, n’avait pas bénéficié du soutien de tous les sénateurs de gauche. L’élection sénatoriale n’est donc pas tout à fait une élection comme les autres. Les tactiques subtiles, l’indépendance et l’esprit de consensus qui sont souvent des qualités sénatoriales ont marqué de leur sceau l’élection sénatoriale ellemême. ■


débats OPINIONS

mardi 1er juin 2010 LE FIGARO

16

étudesPOLITIQUES

Figaro-Cevipof

Les élections primaires, clé de voûte de la modernisation du Parti socialiste

La désignation du candidat à l’élection présidentielle de 2012 cherche à résoudre la crise du leadership.

L

e Parti socialiste a retrouvé aux Le regard des Français sur les primaires ouvertes dernières élections régionales une capacité évidente d’attraction électorale. Cependant, à QUESTION : Etes-vous favorable à ce que les partis l’horizon des échéances natioSympathisants PS politiques en France organisent des primaires ouvertes* nales de 2012, il reste confronté à un triple Sympathisants UMP afin de désigner leur candidat à l'élection présidentielle ? défi programmatique, stratégique et personnel. Il travaille à l’accouchement d’un Total favorable *C'est-à-dire un vote ouvert aux sympathisants de ce parti plutôt programme sans parvenir à éviter les qu'un vote ouvert aux seuls adhérents contradictions ou les approximations, % comme sur le dossier des retraites. Il réaf% % firme une stratégie d’alliance à gauche, sans faire taire toutes les tentations d’une alliance au centre, comme en témoignent Tout à fait % % Plutôt les déclarations récurrentes de Ségolène favorable favorable Royal. Cependant, l’enjeu essentiel reste Ensemble celui du choix de la personne qui emmèneélectorat ra les socialistes au combat présidentiel. Total opposé La droite possède son leader « natu3% rel », pas la gauche. Le problème est anNSP % 7% % cien dans une gauche française peu en 14% harmonie avec la logique personnalisante Tout à fait opposé(e) de l’élection présidentielle. Seul François Plutôt opposé(e) Mitterrand releva ce défi. La parenthèse Sources : OpinionWay, Terra Nova, Le Nouvel Obs 25-26 juin 2009 Mitterrand une fois fermée en 1996, le PS a retrouvé son difficile rapport au pouvoir présidentiel et traverse une crise de lea- tes successives aux élections présidentiel- tème de primaires qui lui permettra de dédership quasi continue. En vingt ans, les de 1995, de 2002 et de 2007, il est à la re- gager en son sein un leader incontesté. aucun des six premiers secrétaires qui se cherche d’une procédure stable et efficace La réflexion a été engagée dès après sont succédé à la tête du PS n’a réussi à im- pour choisir son candidat. l’échec présidentiel de mai 2007. Il s’agit L’idée des élections primaires s’est pour le PS de codifier une « primaire à la poser de manière durable son leadership sur le parti et la candidature présidentielle. ainsi imposée. Celle-ci est d’ailleurs an- française ». Pour cela, les yeux sont tourCette instabilité est un lourd handicap cienne au PS. Dès la naissance du parti en nés à la fois vers les expériences passées pour le PS et l’ensemble de la gauche. Cette 1971 il était prévu que des élections pri- mais aussi vers les expériences étrangères. crise de leadership est à l’origine des autres maires fermées, réservées aux seuls ad- Sur ce dernier point, la fondation Terra hérents, procèdent au choix du candidat Nova, dont l’un des objectifs est de« particrises, stratégique et programmatique. En l’absence de leader incontesté, il à l’élection présidentielle. La pratique fut ciper à la rénovation de la social-démocraest difficile de négocier des alliances, la plupart du temps différente et le leader tie » et dont nombre des soutiens apparsurtout quand les différents leaders ont « naturel » qu’était François Mitterrand tiennent au Parti socialiste, a publié une des conceptions divergentes des straté- se dispensa de la procédure en 1974, en très intéressante étude« Pour une primaire gies à mettre en place. À cet égard, le 1981 et en 1988. La légitimité du leader à la française » (Terra Nova, 2008) où sont dernier congrès du PS à rendait caduque la règle recensés les principaux types de primaires Reims (2008), qui a vu même du parti. Tout à l’œuvre pour sélectionner les candidats à la courte victoire de change lorsque s’ouvre la direction des affaires d’un pays. Martine Aubry sur Sél’après-Mitterrand. La À tout seigneur tout honneur, les Étatsgolène Royal, a montré crise du leadership so- Unis offrent un système de primaires qu’au-delà des affroncialiste et les affronte- ouvertes, très compétitives et appliquées tements d’ego il y avait ments récurrents entre chez les démocrates et chez les républides désaccords sur les Laurent Fabius, Michel cains. Ces « hyperprimaires » constituent alliances possibles avec Rocard, Henri Emma- une sorte de modèle idéal, entraînant une le centre de François nuelli, Lionel Jospin, forte participation, une vitalité du débat LES PRIMAIRES Bayrou. François Hollande, Sé- démocratique et un renouvellement des FERMÉES DE 2006 La crise du leadership golène Royal, Domini- élites dirigeantes dont témoigne la sélecSUFFRAGES RECUEILLIS a aussi des conséquences que Strauss-Kahn ren- tion dans les primaires démocrates de BaPAR LES TROIS directes sur le travail dent inévitable la mise rack Obama. Cependant, ces primaires ont PAR PASCAL PERRINEAU PRÉTENDANTS DIRECTEUR DU CEVIPOF programmatique. Peren place de primaires leur face d’ombre : l’hyperpersonnalisaÀ L’INVESTITURE SOCIALISTE sonne au PS ne semble officielles avant l’élec- tion, le poids de l’argent et l’allongement Avec la primaire avoir la légitimité pour tion présidentielle. excessif du temps de campagne. de 2006, organiser la réflexion Des primaires réduicollective et surtout tes aux seuls adhérents Forces centrifuges le poids de l’image, pour ancrer de manière seront ainsi organisées En Europe, au-delà des cas britannique ou pour Ségolène Royal du sondage durable les inévitables en 1995 et 2002, et Lio- espagnol, qui sont des exemples de prisynthèses programma- et de la communication nel Jospin en sortira maires réservées aux seuls adhérents, l’intiques. Dans les années vainqueur. Le « choc » térêt du PS se tourne vers l’Italie où, depuis prend le pas 1970, François Mitla disparition du can- l’implosion du système de partis dans les sur la fidélité au parti, de terrand avait couvert de didat socialiste à l’issue années 1990, la recomposition de la gauche pour Dominique l’investissement son autorité les édifices du premier tour de 2002 tente de se faire autour d’un système de Strauss-Kahn programmatiques et sa démission vont primaires ouvertes à tous les partis de gaudans l’appareil qu’étaient alors le proouvrir à nouveau une che et touchant les adhérents mais aussi les et la rhétorique gramme « Changer la profonde crise du lea- électeurs sympathisants de ces partis. militante vie » puis le «Programdership dont le PS n’est L’Italie a ainsi connu, à gauche, trois granme commun de gouvertoujours pas sorti. des primaires en 2005, 2007 et 2009. À pour Laurent Fabius nement de la gauche » L’élection primaire de chaque fois, elles ont mobilisé plusieurs puis le «Projet socialiste pour la France des novembre 2006 verra s’affronter deux millions d’électeurs (entre 3 et 4,5 milannées 1980 ». Fragiles édifices traversés candidats qui cherchent à s’imposer dans lions) et ont été le moyen d’exprimer ce de multiples contradictions, porteurs l’après-Jospin (Laurent Fabius, Domini- que Marc Lazar* appelle une « jubilation d’utopies destinées à se fracasser sur le que Strauss-Kahn) et l’outsider, portée participative ». Mais le même Marc Lazar mur du réel, ils servaient néanmoins de par les sondages, que représente Ségolène note qu’une primaire réussie ne garantit en viatique au leader qui, bien sûr, le moment Royal. Écartelé entre logique d’opinion et rien la victoire aux élections et pas même le venu de l’élection, s’en émancipait, porté logique partisane, François Hollande, renforcement de l’autorité sur son propre par l’aventure personnelle et singulière premier secrétaire, renonce à participer à camp du leader qui l’a remportée. Et ce fin observateur de la vie politique des deux que reste toute élection présidentielle. la compétition. Ces élections de 2006 constituent les côtés des Alpes relève plusieurs incertituDémocratie d’opinion premières primaires modernes du PS. Elles des quant à l’importation du système itaAujourd’hui, où est le viatique program- sont certes fermées, c’est-à-dire réservées lien revu et corrigé dans l’Hexagone. matique du PS ? Il y a bien une « déclara- aux adhérents, mais l’ouverture d’une adPremière incertitude : les primaires sePage réalisée tion de principes » et une ébauche de pro- hésion à prix réduit (20 euros) va élargir le ront-elles celles d’une coalition de partis en collaboration gramme économique et social, mais on corps électoral en faisant voter plus de ou du seul PS ? Il semble bien que les proavec le centre voit bien que dans la perspective de la pré- 100 000 nouveaux adhérents. Une vérita- fondes divisions qui traversent la gauche de recherches sidentielle de 2012, chaque candidat fait ble campagne interne est organisée, avec écartent la première hypothèse et que le PS politiques entendre son propre chant : celui de Mar- débats télévisés et meetings régionaux de- ne puisse organiser qu’un pluralisme au de Sciences Po tine Aubry n’est pas celui de Dominique vant les adhérents. Enfin, des règles codi- rabais avec la participation du Parti radical (Cevipof) Strauss-Kahn, celui de Ségolène Royal fient l’accès aux candidatures et les procé- de gauche et, éventuellement, du MouveCentre associé au CNRS et dirigé n’est pas celui de François Hollande… Dans dures de vote. La reine des sondages, ment républicain et citoyen. par Pascal Perrineau un tel contexte, le PS a besoin d’une procé- Ségolène Royal, l’emportera haut la main Deuxième incertitude : les primaires dure pour trancher la concurrence entre avec plus de 60 % des suffrages contre italiennes sont, la plupart du temps, une les prétendants. Déstabilisé par trois défai- 20,8 % à Dominique Strauss-Kahn et ratification par les électeurs d’accords des 18,5 % à Laurent Fabius. états-majors des partis. En France, la priComme en 1995, cette élection primaire maire socialiste sera (et a été en 2006) une marque la victoire de la démocratie d’opicompétition ouverte et très virulente. Déstabilisé par trois défaites successives nion sur la démocratie d’appareil. Le poids Quelles seront les traces laissées par ces aux élections présidentielles de 1995, 2002 et 2007, de l’image, du sondage et de la communi- combats fratricides au sein de l’électorat le PS est à la recherche d’une procédure cation prennent le pas sur la fidélité à un de gauche ? parti, l’investissement dans l’appareil et la Enfin, troisième incertitude : quelles sestable et efficace pour choisir son candidat rhétorique militante. À l’horizon 2012, le ront les capacités du PS à organiser une PS cherche à stabiliser et peaufiner un sys- élection primaire ouverte incontestable, Morceau de choix du rapport d’Arnaud Montebourg sur la rénovation du parti, les modalités de désignation du candidat socialiste à l’élection présidentielle ont été présentées hier au bureau national. Sans cesse remise sur le métier depuis 1996, l’organisation des primaires illustre le délicat rapport que la gauche entretient encore avec la personnalisation de la fonction présidentielle et les institutions de la Ve République. À l’exception de François Mitterrand qui avait relevé ce défi en revêtant les habits de la Ve République et avait su imposer au PS et à la gauche entière un présidentialisme plus ou moins identifié à un « bonapartisme » honni. Avec l’après-Mitterrand s’ouvre une ère d’instabilité et de contestation permanente du leadership du parti. Le PS est ainsi transformé en une machine à perdre, par trois fois, l’élection majeure de la vie politique française. Dans la compétition présidentielle nécessitant d’abord de rassembler les siens puis ensuite toute la gauche, cette crise de leadership s’avère un « lourd handicap ». Elle fragilise la direction tant sur son programme que sur la définition d’une stratégie d’alliance claire. Pour gagner ainsi groupé, le PS doit désigner son candidat « avec des règles claires, un corps électoral bien délimité et un déroulement des votes irréprochables ». En somme « codifier » ce que sera peut-être une « primaire à la française ». ■ JOSSELINE ABONNEAU

60% 20,8%

25

22

C

54

22 18

«

»

18,5%

«

77 81

»

Martine Aubry, Dominique StraussKahn, Ségolène Royal et François Hollande sont des candidats potentiels à une primaire socialiste. S. SORIANO, J.-C. MARMARA, F. BOUCHON,/LE FIGARO

avec des règles claires, un corps électoral bien délimité, un déroulement des votes irréprochable ? Le PS aura sur ce point à faire de gros progrès par rapport à la procédure de primaires fermées qui avaient été organisées pour élire la première secrétaire à l’issue du congrès de Reims. Les résultats avaient été très contestés et entachés de nombreuses irrégularités. Si le PS surmonte ces obstacles, il pourra bénéficier du soutien d’opinion que les Français apportent, au-delà du clivage gauche/droite, à la procédure même des primaires considérée comme un élément de modernité et d’approfondissement de la démocratie. Il reste au PS à transformer ce soutien d’opinion en véritable mobilisation électorale. 31 % des sympathisants socialistes se disent aujourd’hui tout à fait certains d’aller voter dans des primaires. Cela représente un potentiel non négligeable d’environ 3 millions d’électeurs et n’a plus rien à voir avec les 177 000 adhérents qui avaient participé au processus des primaires fermées en novembre 2006. Tout l’art des primaires restera dans la capacité du PS à maîtriser les forces centrifuges que libère inévitablement une élection primaire ouverte et compétitive. À un an de l’ouverture de la procédure des primaires, prévue pour le printemps 2011, la dispersion des choix des électeurs potentiels l’emporte sur toute dynamique centripète : aucun des candidats tacites ou déclarés ne dépasse le quart des intentions de vote des sympathisants socialistes. D’ici là, les sondages, les accords d’appareil et l’évolution du rapport de forces entre gauche et droite modifieront certainement les positions des principaux protagonistes.! * Professeur à Sciences Po.


débats OPINIONS

mardi 4 mai 2010 LE FIGARO

18

étudesPOLITIQUES

Figaro-Cevipof

Front national : un regain de vitalité fragile

En doublant son audience en un an, l’extrême droite renoue avec la reconquête des « brebis égarées » du sarkozysme.

JOSSELINE ABONNEAU

EUROPÉENNES 2009/ RÉGIONALES 2010 : ÉVOLUTION DE L’ÉLECTORAT FN

EN MARS DERNIER, LE FRONT NATIONAL A CAPTÉ

90 % de son électorat des européennes de juin 2009

16 % 15 % 6% 4%

des abstentionnistes

des souverainistes

du Front de gauche

de l’extrême gauche

A

Page réalisée en collaboration avec le centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) Centre associé au CNRS et dirigé par Pascal Perrineau

LE FRONT NATIONAL DANS LES ÉLECTIONS RÉGIONALES DE 1986 À 2010 au premier tour % des suffrages Nombre de voix exprimés 9,56 1986 2 658 500

ÉVOLUTION DU FRONT NATIONAL entre les élections européennes de 2009 et les élections régionales de 2010 (au second tour)

1992 1998 2004 2010

-2,9 à + 4

24 départements de faible dynamique

+ 4 à + 5,3

24 départements de forte dynamique

+ 5,3 à + 6,5

24 départements de très forte dynamique

+ 6,5 à + 11

L

Reconquête dans les terres d’abstention

Les terres où le FN est de retour sont aussi souvent des terres où l’abstention est élevée. Nombre d’électeurs plus ou moins proches du FN peuvent préférer la protestation abstentionniste à celle qui s’exprime dans les urnes. Mais aussi, le réenracinement du FN dans les couches populaires contribue à éroder la dynamique de reconquête de la gauche dans ces milieux : plus la dynamique du FN est forte, plus celle de la gauche historique (de l’extrême gauche au PS) diminue (tableau 2). Certes, la droite modérée perd beaucoup dans les terres de la très forte dynamique du FN mais ses pertes sont également sévères dans les départements où le FN ne progresse que très faiblement. La question de l’extrême droite n’est pas seulement une question politique posée à la droite, elle est aussi une question sociale posée à la gauche. L’examen des données du sondage OpinionWay

Ensemble France métropolitaine

Source : Cevipof

PAR PASCAL PERRINEAU

«

DIRECTEUR DU CEVIPOF

Marine Le Pen garde les ressorts classiques du discours national populiste tel qu’il a été mis en place par son père

»

réalisé le 14 mars 2010 auprès d’un gros échantillon de 9 342 personnes va dans le même sens : en milieu ouvrier, le FN est le deuxième parti avec 19 % des ouvriers ayant choisi des listes du FN, 27 % des listes du PS, 17 % des listes de l’UMP. Le FN atteint un niveau d’influence électorale supérieur à sa moyenne nationale chez les hommes (13 %), les jeunes (12 % chez les 18-24 ans), les 35-49 ans (15 %), les chômeurs (16 %), les artisans, commerçants et chefs d’entreprise (12 %), les employés (15 %) et les ouvriers (19 %). On retrouve ainsi les grands « fondamentaux » de la sociologie de l’électorat frontiste. Politiquement, tout en gardant le noyau dur qui lui restait aux européennes de juin 2009 (en 2010 90 % des électeurs frontistes de 2009 ont voté pour des listes du FN), le FN a capté nombre d’abstentionnistes (16 % des abstentionnistes de 2009 ont voté pour des listes du FN) mais aussi il a été pêcher des électeurs tous azimuts : 15 % des électeurs souverainistes qui avaient choisi les listes Libertas en 2009, 6 % de ceux qui s’étaient tournés vers le Front de gauche, 4 % de ceux qui avaient voté en faveur de l’extrême gauche, 4 % de ceux qui avaient rejoint les listes de l’UMP. Par rapport à l’élection présidentielle de 2007, 8 % des électeurs de Nicolas Sarkozy ont voté en faveur des listes régionales du FN. C’est, quantitativement, le courant électoral le plus important fourni au regain du FN en 2010. La reconquête des électeurs frontistes qui avaient rallié Sarkozy en 2007 est entamée, elle n’est pas cependant aboutie. Nombre d’électeurs de Nicolas Sarkozy se sont abstenus aux régionales : 50 % de son électorat a boudé les urnes (43 % seulement de celui de Ségolène Royal) même si l’abstention est encore plus importante dans l’électorat lepéniste de 2007 (57 %). Ce descellement de la base des électeurs frontistes ralliés à Nicolas Sarkozy en 2007 a été provoqué par une déception de nombre de ces électeurs surpris par le nouveau cours de l’exercice du pouvoir présidentiel initié dès fin 2007, par les entraves mises par la crise écono-

mique à la réalisation des promesses liées à la progression du pouvoir d’achat, au « travailler plus pour gagner plus », à la libération de la croissance ou encore à la régression du chômage. Ces « ralliés au sarkozysme » ont pu également avoir l’impression que davantage de signaux étaient envoyés à la gauche de la majorité qu’à sa droite ; un débat tardif, hâtivement organisé autour de l’identité nationale ne pouvait pas les persuader du contraire. En même temps que l’offre politique de Nicolas Sarkozy évoluait sous les contraintes de l’exercice du pouvoir et d’une crise économique et financière sans précédent, l’offre politique du lepénisme connaissait des réaménagements.

« Lifting politique » La retraite du vieux leader du FN est annoncée et la relève politique autour de sa fille devient un scénario crédible. Dès 2008, Jean-Marie Le Pen avait dit qu’il faudrait des « circonstances exceptionnelles » pour qu’il soit à nouveau candidat en 2012. La succession était ainsi ouverte et sa fille, vice-présidente du parti depuis le congrès de novembre 2007, a pu explicitement postuler à la succession. Implantée électoralement depuis 2007 dans le Pas-de-Calais, Marine Le Pen a également entamé un processus d’évolution de l’image frontiste où, tout en renforçant la figure d’un parti populaire implanté au cœur des difficultés économiques et sociales liées à la crise et à la globalisation, elle a tenté de mettre en scène un discours exempt de références sulfureuses à la Seconde Guerre mondiale et à ses drames, jouant de références au discours républicain (laïcité, patriotisme) et renforçant la composante culturelle et non ethnique du discours identitaire (dénonciation de l’islamisation, du bilinguisme).

«

+ 4,08 + 5,70 + 7,75 + 5,27

7,12

13,90

9,11

15,01

8,30

14,79

8,69

11,42

5,09

DYNAMIQUE DU FRONT NATIONAL ENTRE LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES DE 2009 ET LES ÉLECTIONS RÉGIONALES DE 2010, ET ÉVOLUTION DES AUTRES FORCES au premier tour, en % Évolution de la gauche Dynamique du Front national sans les Verts 24 départements de très faible dynamique + 14,84 + 2,22

Pertes ou gains, en %

es listes du Front national ont été choisies par 2 223 800 électeurs au premier tour des élections régionales. Ce n’est pas un des meilleurs niveaux atteints par le FN en plus d’un quart de siècle d’existence électorale, c’est même le plus faible nombre d’électeurs jamais attiré par le FN lors d’élections régionales (cf. tableau 1). Cependant, 2010 marque un retour à « l’existence politique » pour un courant qui était en voie de marginalisation à l’issue des européennes de juin 2009 (1 091 691 voix). En moins d’un an, le FN a réussi à « reprendre pied » et à doubler ou presque son poids électoral : + 1 132 109 électeurs. Une carte de la dynamique du FN des européennes de juin 2009 au premier tour et des régionales de mars 2010 montre que, sauf de très rares exceptions, la croissance du FN est particulièrement vigoureuse à l’est d’une ligne Le HavreMontpellier (cf. carte). Dans cette France orientale le Front national connaît des poussées sensiblement supérieures à sa croissance nationale (+ 5,27 %). On retrouve dans ces terres tous les bastions du FN florissant des deux décennies qui ont couru du milieu des années 1980 au milieu des années 2000 ainsi que les départements où la dynamique de Nicolas Sarkozy avait été particulièrement forte lors des deux tours de l’élection présidentielle de 2007. Le FN a récupéré une partie de son électorat traditionnel et certaines « brebis égarées » du lepénisme qui avaient rejoint le troupeau sarkozyste ont fait défection. Le FN plonge des racines fortes dans une France marquée par les grandes concentrations urbaines, l’insécurité, l’immigration mais surtout la crise économique et sociale. Dans nombre de régions où le chômage est important et/ ou le taux de pauvreté élevé, le FN connaît une dynamique forte (NordPas-de-Calais, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Champagne-Ardenne, Gard, Loire, Moselle…). C’est sur ce terrain du « vote de crise » que prospère électoralement le FN, même s’il connaît des concurrences quant à l’expression de ce désarroi : l’abstention et la gauche.

3 371 624 3 271 402 3 564 059 2 223 800

% des inscrits

+ 13,11

Évolution de la droite modérée* - 7,59 - 6,40

+ 11,52

- 7,41

+ 9,43

- 8,43

+ 12,23

- 7,37

*UMP et divers droite

ÉTUDE Le redressement du Front national aux élections régionales illustre la capacité de l’extrême droite à s’imposer à nouveau dans l’arène politique, avec un objectif majeur, jouer les trouble-fête à l’élection présidentielle de 2012. En voie de marginalisation il y a moins d’un an, le FN bénéficie du « descellement de la base des électeurs frontistes ralliés à Nicolas Sarkozy en 2007 ». Provisoire pour l’heure. Pascal Perrineau montre que« la reconquête est bien entamée mais (qu’)elle n’est pas encore aboutie »,beaucoup d’électeurs frontistes se maintenant dans le camp des abstentionnistes. Il ajoute : « La question de l’extrême droite n’est pas seulement une question politique posée à la droite, elle est aussi une question sociale posée à la gauche. » Toutefois, le retour en force du FN par la consolidation de son audience électorale se heurte à plusieurs obstacles. Les opérations de « dédiabolisation » ou de « lifting politique » ne parviennent pas à élargir l’assise électorale frontiste au-delà ses bases géographiques et sociales historiques. Même l’annonce pour janvier 2010 du passage de relais de Jean-Marie Le Pen à Marine, sa fille, n’y fait rien. Malgré ses succès électoraux dans le Nord-Pas-deCalais, « la prétendante à la succession » ne bouleverse pas les rapports de force mais rend « simplement plus délicate l’agrégation des voix de droite ». En outre, la compétition entre Bruno Gollnisch et l’héritière peut se muer en déchirements fratricides déstabilisant un électorat marqué par l’affrontement Maigret-Le Pen de 1998.

Français considèrent qu’elle « ferait une bonne présidente de la République ». Elle retrouve les bases sociales et géographiques du FN historique : 17 % des employés, 14 % des ouvriers, 17 % des chômeurs, 24 % des personnes vivant dans les régions du nord de la France, 19 % de celles vivant dans l’Est, pensent ainsi. Enfin, jaugée dans un sondage d’intention de vote pour une élection présidentielle à la fin de mars 2010 (Ifop,SudOuest, 25-26 mars 2010), Marine Le Pen ne fait pas beaucoup mieux que son père en 2007 (10,4 %) : elle est créditée de 11 % des intentions de vote loin derrière Martine Aubry (27 %) et Nicolas Sarkozy (26 %) et ne bouleverse pas le profil habituel des électeurs frontistes. 15 % des hommes, 16 % des 18-24 ans, 26 % des artisans et commerçants, 21 % des ouvriers déclarent aujourd’hui une intention de vote en sa faveur. Les femmes (7 %), les personnes âgées (10 % chez les 65 ans et plus), les cols blancs (3 % chez les cadres supérieurs et professions libérales, 3 % chez les professions intermédiaires) ne semblent pas très séduits par le « nouveau cours » initié par Marine Le Pen. L’extension électorale qui pourrait être liée à une certaine « dédiabolisation » de la prétendante à la succession n’est pour l’instant pas sensible.

Guerre de succession L’éventuelle candidate frontiste reste davantage une « empêcheuse de tourner en rond », une « minorité de blocage » pouvant rendre plus difficile l’agrégation des voix de droite qu’une nouvelle donne bouleversant les rapports de forces. D’autant plus que le sensible regain électoral des régionales ne doit pas cacher les difficultés du FN dans les mois et les années à venir. Celui-ci a perdu un nombre important de conseillers régionaux (de 156 en 2004 ils sont tombés au niveau de

Le FN plonge des racines fortes dans une France marquée par les grandes concentrations urbaines, l’insécurité, l’immigration mais surtout la crise économique et sociale Indépendamment de ces évolutions, Marine Le Pen garde les ressorts classiques du discours national-populiste tel qu’il a été mis en place par son père, discours où le populisme, comme l’écrit Pierre-André Taguieff, est« à la fois protestataire (au nom des “petits” contre les “gros”) et identitaire (l’appel au peuple se fixant sur l’identité ethnonationale supposée menacée de destruction ou de souillure). » En dépit de ces efforts de « lifting politique », le FN reste un parti très largement impopulaire : 10 % seulement de Français en ont une bonne opinion en mars 2010 (Sofres, Figaro Magazine). Seuls 12 % de personnes interrogées souhaitent, en avril 2010, que Jean-Marie Le Pen joue un rôle important au cours des mois et des années à venir. Maigre consolation pour Marine Le Pen, ils sont 14 % à penser de même pour elle. Pour l’instant, l’avantage comparatif en termes d’influence électorale ou de popularité de la fille par rapport au père n’est pas évident. Son attraction de « présidentiable » vient d’être mesurée en mars 2010 (CSA, Grazia) : seuls 11 % de

»

118 en 2010). Cette quarantaine d’élus régionaux manqueront beaucoup au futur candidat frontiste lorsqu’il partira à la recherche des 500 signatures d’élus locaux nécessaires pour se présenter à l’élection présidentielle. La guerre de succession, larvée jusqu’alors, est explicitement ouverte ; le bureau politique du FN ayant décidé le 12 avril dernier que le successeur de Jean-Marie Le Pen à la tête du parti serait désigné lors du prochain congrès des 15 et 16 janvier 2011. Même si Marine Le Pen et Bruno Gollnisch affirment le contraire, on sait que les débats peuvent vite tourner à l’aigre au sein du FN et prendre l’allure de déchirements fratricides. Ceux-ci laissent des traces bien au-delà de l’appareil. Déjà, en 1998, l’affrontement entre Bruno Mégret et Jean-Marie Le Pen avait profondément déstabilisé l’électorat. Il peut en être de même demain. Enfin, la succession, réussie ou non, laissera dans l’ombre la redoutable figure du Commandeur qu’est Jean-Marie Le Pen et n’accordera qu’un espace ténu à l’invention d’un nouvel espace politique par sa fille. ■


débats OPINIONS

mercredi 24 mars 2010 LE FIGARO

14

étudesPOLITIQUES

Figaro-Cevipof

2007-2010 : l’évolution des électorats Analyse du parcours des électeurs de Sarkozy, Royal, Bayrou et Le Pen depuis trois ans.

JOSSELINE ABONNEAU

RÉGIONALES 2010 VOIX RECUEILLIES AU PREMIER TOUR PAR LES LISTES EN POURCENTAGE DES INSCRITS

13 % 11,6 % 5,1 % 1,9 % pour le PS

pour l’UMP

pour le FN

pour le MoDem

VOIX RECUEILLIES AU SECOND TOUR

26,4% 13 % pour les gauches

pour les droites

A

Page réalisée en collaboration avec le centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof)

Centre associé au CNRS et dirigé par Pascal Perrineau

Présidentielle 2007, régionales 2010 : le parcours des électeurs…

SUR 100 ÉLECTEURS AU 1ER TOUR DE LA PRÉSIDENTIELLE 2007

5% 5% VOT AU 2e TOUR VOTE

49% DES RÉGIONALES, 41% EN %

… de Nicolas Sakozy Listes du de l'UMP

Listes de gauchee

Listes du MoDem

Listes du FN

LE PROFIL DES TRANSFUGES ÉLECTORAUX DU SARKOZYSME, DE 2007 À 2010

LES MOUVEMENTS DES ÉLECTEURS

Présidentielle Régionales 1er tour (2007) 1er tour (2010) Évolution en % 53,67 + 37,44 Abstentionnistes 16,23 11,61 -14,13 UMP-NC 25,74

«V

48

58

52 10

8,62 21,36

5,09

- 3,53

18-24 ans

17

3

10

PS

13,00

- 8,36

Europe Éco.

2,28

5,43

+ 3,15

25-34 ans

17

24

22

16

35-49 ans

25

23

31

25

7% VOTE AU 1er TOUR

10% DES RÉGIONALES, EN % 2%

1% 1% … de François Bayrou

«

42

27

Age

VOTE AU 2e TOUR V

ictoire historique pour la gauche », « retour en force du FN », « défaite en rase campagne pour la majorité ». Pour juger de la pertinence de ces interprétations des élections régionales, il faut revenir en détail sur la séquence 2007-2010 et prendre l’exacte mesure des mouvements qui ont redistribué en profondeur les cartes électorales. Pour cela, il est nécessaire de partir d’une analyse des évolutions en nombre de voix de 2007 à 2010 pour ensuite, à l’aide d’un sondage OpinionWay (1) saisir le profil des flux d’électeurs qui ont changé d’orientation électorale au cours de la période. D’abord, quelques chiffres simples pour cerner l’ampleur des mouvements de l’électorat. Au premier tour de l’élection présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy rassemblait 11 448 663 électeurs. Trois ans plus tard, au premier tour des élections régionales, les listes de l’UMP associées au Nouveau Centre et quelques autres alliés en attirent seulement 5 066 942. Plus de 6,3 millions d’électeurs manquent à l’appel. On pourrait avoir l’impression que seul l’électorat du président a connu une telle attrition. Il n’en est rien. La première impression doit être tempérée par le constat d’une érosion très forte des électeurs de François Bayrou, de ceux de Jean-Marie Le Pen et même de ceux de Ségolène Royal : au cours des mêmes trois années, François Bayrou a perdu plus de 6 millions d’électeurs, JeanMarie Le Pen plus de 1,6 million et Ségolène Royal près de 3,9 millions. Cette redistribution électorale majeure est la même si l’on retient les seconds tours : la gauche rassemblait 16,8 millions d’électeurs au second tour de l’élection présidentielle de 2007, elle n’en capte plus qu’environ 11,5 millions au soir d’un second tour régional victorieux, soit presque 5,3 millions de moins. L’électorat sarkozyste de second tour était en 2007 de presque 19 millions, il est aujourd’hui de 7,5 millions soit une perte de 11,5 millions. Même en y rajoutant tout ou partie des presque 2 millions d’électeurs frontistes du second tour régional, la fonte électorale des droites est très sévère : plus de 9 millions d’électeurs de droite se sont évaporés. La seule gagnante de cette extraordinaire redistribution est l’abstention, qui a progressé du second tour de 2007 à celui de 2010 de plus de 14 millions d’électeurs. Ces élections régionales ont agi comme une véritable « centrifugeuse » sur les électorats des quatre candidats arrivés en tête du scrutin de 2007. L’usure du pouvoir, la crise économique et financière, la réapparition d’un mouvement profond de défiance politique, les différences majeures d’enjeux d’une élection à l’autre sont les éléments forts de ce grand remue-ménage électoral.

73

36

-13,46

65% DDES RÉGIONALES, 333%

… de Ségolène Royal

64

1,87

26% EN %

Femmes

De l’UMP De l’UMP De l’UMP Ensemble au PS au FN à l’abst. électeurs

15,33

MoDem FN

Présidentielle Régionales 2e tour (2007) 2e tour (2010) Évolution en % A 48,78 + 32,75 Abstentionnistes 16,03 U 17,29 -25,39 UMP-NC 42,68 F 4,48 — FN — P 26,42 - 11,33 PS 37,75

Abstentions, blancs et nuls

en % sexe Hommes

PAR PASCAL PERRINEAU

directeur du Cevipof

La seule gagnante de cette extraordinaire redistribution est l’abstention, qui a progressé du second tour de 2007 à celui de 2010 de plus de 14 millions d’électeurs

»

Les déceptions, les inquiétudes, les méfiances, mais aussi les attentes nouvelles, les espoirs, les appréciations d’autres lieux politiques (l’Europe en 2009, la région en 2010) que le lieu national ont engendré des déplacements profonds des lignes du partage électoral. Ces vastes mouvements d’électeurs ont profité essentiellement à deux forces : celle de l’abstention qui attire plus de 16,2 millions d’électeurs par rapport à l’élection de 2007 et celle de l’écologie politique qui agrège plus de 1,3 million d’électeurs à son socle de 2007. Certains ont perdu plus que d’autres mais tous ont nourri le développement d’un immense corps électoral muet de plus de 23 millions d’électeurs (et encore de plus de 21 millions d’électeurs lors du second tour des régionales).

Les lignes des reconquêtes Nombre de ces « silencieux de la politique » reprendront la parole lors de la prochaine échéance présidentielle de 2012. Dans quel sens s’opérera leur retour à la politique ? Que seront devenus ces deux à trois millions d’électeurs écologistes qui, depuis juin 2009, constituent la troisième famille politique française ? Dans quelle mesure les candidats des grands partis reprendront leur emprise électorale sur ceux qui les ont quittés ? Que restera-t-il de cette pulsion abstentionniste qui a saisi l’immense majorité du corps électoral ? Que pèsera l’incontestable domination de la gauche sur la scène régionale quand tous les feux seront braqués sur la scène nationale et présidentielle ? Il est trop tôt pour répondre à toutes

51%

50-59 ans

18

5

10

13

60 ans et plus

23

45

27

36

C.S.P. interviewée Artisans, commerç., chefs d'ent. 5

2

4

6

Cadres, prof. intellect. sup.

8

6

9

9

Prof. intermédiaires

13

9

14

13 15

Employés

12

13

23

Ouvriers

26

20

10

8

Retraités

29

51

32

40

Statut Actifs

71

49

63

52

Inactifs

29

51

37

48

ces questions. Mais l’on peut éclairer les itinéraires empruntés depuis trois ans par les électeurs afin de prendre la mesure des blocs électoraux à partir desquels se construiront les succès et les défaites électorales de demain. Aujourd’hui, personne ne peut pavoiser : le PS a rassemblé 13 % des électeurs inscrits au premier tour, l’UMP 11,6 % le FN 5,1 %, le Front de gauche 2,6 %, le MoDem 1,9 % et même la force montante, Europe Écologie, n’a entraîné que 5,4 %. Les gauches ont capté 23,9 % des électeurs inscrits, les droites 17,7 %, les autres forces (dont le MoDem) 3 %. Au second tour régional, les gauches ont capté 26,4 % des inscrits, les droites 21,77 % (17,29 % pour la droite parlementaire, 4,48 % pour le FN). On est loin des niveaux avec lesquels on gagne un second tour d’élection présidentielle (pour la droite : 39,4 % d’inscrits pour Jacques Chirac en 1995, 42,7 % pour Sarkozy en 2007 ; pour la gauche : 40,2 % pour Mitterrand en 1981 et 43,8 % en 1988. Le seul vainqueur « toutes catégories » est le camp de l’abstention avec 53,64 % des inscrits auquel on peut ajouter les électeurs qui ont choisi le vote blanc ou nul (1,7 %). Au second tour, ce camp a capté 51,12 % des inscrits (48,78 % pour l’abstention, 2,34 % pour les blancs et nuls). Comment en est-on arrivé là, quand il y a à peine trois ans, on se réjouissait du retour des Français aux urnes (16,23 % d’abstentionnistes au premier tour et seulement 16,03 % au second tour de la présidentielle) ?

«

Source : OpinionWay (1)

ETUDE Les élections régionales ont été marquées par la volatilité d’un électorat qui, au fil des scrutins fait de l’abstention un acte civique. « Depuis trois ans, date du premier tour de l’élection présidentielle, plus de 6,3 millions d’électeurs manquent à l’appel », souligne Pascal Perrineau qui analyse la fonte et la recomposition des socles électoraux de Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal, François Bayrou et Jean-Marie Le Pen. Pour le directeur du Cevipof, la dernière consultation a agi comme « une centrifugeuse » sur les électorats des quatre candidats arrivés en tête du scrutin de 2007 dessinant quelques lignes de recomposition politique. Le « zapping des urnes » a principalement affecté l’électorat de Nicolas Sarkozy : un électeur sur deux au premier tour et 41 % au second, contre 44 % et 33 % pour l’électorat de Ségolène Royal. En somme, la gauche a moins de réserves électorales que la droite, celle-ci étant maintenant mise au défi de trouver les thèmes pour convaincre les sarkozystes silencieux de revenir aux urnes en 2012. En outre, l’électeur français se révèle un adepte de l’infidélité partisane qui touche tous les partis. Cumulée avec l’abstention, elle efface du paysage politique régional le MoDem. L’étude d’OpinionWay pour Le Figaro montre ainsi la quasi disparition de « l’électorat de l’hypercentre » dont rêvait François Bayrou. Épargnant la gauche, l’infidélité partisane a aussi durement frappé l’électorat de la majorité. Autant dire que la présidentielle de 2012 se place déjà dans l’ardente obligation de la reconquête.

mier, ni au second tour des élections régionales. Une part non négligeable des électeurs « sarkozystes » a pratiqué l’infidélité électorale. Au premier tour des régionales, 4 % ont voté pour le FN, 4 % pour une liste d’Europe Écologie, 3 % pour une liste du PS. Au second tour, 5 % ont choisi la gauche, 5 % le FN. Les transfuges vers la gauche sont davantage des hommes, des jeunes, des actifs et des couches populaires que la moyenne de l’électorat sarkozyste. Les transfuges vers le FN sont massivement des hommes, des personnes de 60 ans et plus et des couches populaires. Cette sociologie dessine les contours des populations électorales qui sont entrées en disgrâce avec le sarkozysme. L’infidélité électorale, même si elle est présente au sein de l’électorat de « royaliste », est nettement moins forte à gauche : 3 % seulement de cet électorat a choisi d’autres listes que celles de la gauche au premier tour des régionales, 2 % seulement au second tour. En revanche, l’infidélité est devenue une norme dans l’électorat de François Bayrou : 7 % seulement de celui-ci a choisi une liste MoDem au premier tour des régionales, 12 % sont allés à droite, 11 % à Europe Écologie et 15 % à gauche. Il ne reste alors presque plus rien de l’électorat de « l’hypercentre » dont rêvait le patron du MoDem. L’abstention et l’infidélité ont touché tous les électorats mais à des degrés divers. Le MoDem de Bayrou a été le plus atteint par ces deux processus, ce qui a entraîné sa quasi-disparition du paysage politique des régionales. Nicolas

L’infidélité est devenue une norme dans l’électorat de François Bayrou : au premier tour des régionales, 12 % sont allés à droite, 11 % à Europe Écologie et 15 % à gauche. Il ne reste presque plus rien de l’électorat de “l’hypercentre”

»

L’enquête OpinionWay apporte des éléments de réponse traçant les lignes des reconquêtes et des fidélisations électorales qui feront la décision de 2012. L’électorat de « sarkozyste » a souffert aux régionales d’un très fort mouvement d’abstention (50 % de celui-ci a boudé le premier tour, 41 % le second) alors que l’électorat « royaliste » a été moins touché (44 % au premier tour, 33 % au second). La droite dispose donc de réserves électorales dans l’abstention supérieures à celles dont bénéficie la gauche. Cet électorat sarkozyste qui campe dans l’abstention a un profil particulier : il est davantage féminin, populaire et actif que la moyenne de celui-ci. Encore faut-il que la majorité trouve dans les mois qui viennent les thèmes qui permettront le retour de ces abstentionnistes vers les urnes et le vote en faveur de la droite. L’électorat de Bayrou a payé un fort tribut à l’abstention : 51 % de celui-ci ne s’est mobilisé ni au pre-

Sarkozy en a beaucoup souffert et voilà la droite régionale réduite à la portion congrue. L’électorat de « royaliste » a été davantage épargné, permettant à la gauche de sortir victorieuse. Ces infidélités électorales et ces retraits abstentionnistes peuvent être passagers, mais pour que les forces de la droite parlementaire, du MoDem et, dans une moindre mesure, de la gauche socialiste retrouvent une assise électorale solide, il faut qu’elles parviennent à reconstruire des loyautés durables, reconquérir les cœurs et faire tomber les retraits boudeurs. C’est une tâche difficile, mais pas impossible dans le temps bref de l’horizon 2012. Le moment présidentiel peut être celui de ces reconquêtes. ■ (1) Enquête OpinionWay du 21 mars 2010 sur un échantillon de 8 297 personnes représentatives, de 18 ans et plus, inscrites sur liste électorale ; méthode des quotas ; critères : sexe, âge, CSP, agglomération, région de résidence ; interrogées en ligne système Cawy.


débats OPINIONS

mardi 23 février 2010 LE FIGARO

16

étudesPOLITIQUES

Figaro-Cevipof

L’« écologisme» à l’épreuve des régionales En concurrence avec les socialistes, Europe Écologie peine à s’affirmer comme une force politique autonome.

ÉTUDE Dopée par son score à deux chiffres aux élections européennes, la formation Europe Écologie s’est lancée dans le pari risqué de l’autonomie pour les élections régionales. L’objectif est clair, il a toujours taraudé la formation écologiste : en rompant son pacte de coalition des gauches de 1997, Europe Écologie cherche à soustraire définitivement au Parti socialiste une fraction de son électorat des classes moyennes, les cols blancs et cette « bourgeoisie bohème » toujours séduite par les campagnes du charismatique soixante-huitard, Daniel Cohn-Bendit. Toutefois, en l’état actuel des études d’opinion, les « petits hommes verts » d’Europe Écologie ne semblent pas au meilleur de leur forme pour « plumer » la volaille socialiste qui les a toujours traités « en force d’appoint » et en « alliés dominés au sein de la coalition des gauches ». Certes, ils ont cogéré avec la gauche et le Parti socialiste en particulier, les régions. Ils n’en ont tiré jusque-là que peu d’avantage, à l’exception non négligeable pour cette formation politique de postes visibles au sein des exécutifs régionaux. Par ailleurs, ils ont perdu le monopole du développement durable. Cette, thématique innerve désormais tous les partis. Aujourd’hui, la conjoncture semble redonner de l’allant au boa socialiste qu’Europe Écologie devra charmer au second tour pour engranger quelques bénéfices de ses performances électorales en dents de scie. Ce n’est pas là, la voie royale pour jouer les premiers rôles ni la meilleure assurance pour s’enraciner durablement dans le paysage politique. ■

JOSSELINE ABONNEAU

AUX ÉLECTIONS EUROPÉENNES

SCORES RECUEILLIS PAR LES LISTES ÉCOLOGISTES

10,6 %

des suffrages en 1989

11 %

au scrutin de 1999

19,9 %

A

des voix en 2009

Page réalisée en collaboration avec le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof)

Centre associé au CNRS et dirigé par Pascal Perrineau

Qui a voté Europe Écologie en juin 2009… Q

Aux européennes de 2009…

Ensemble Ensembl Ense Ens E se embl de l'élect d ll'électorat élect 16 %

… régions où... ... les écologistes

devancent les socialistes

... les socialistes

devancent les écologistes

L’écologisme électoral depuis 1974 * PRÉSIDENTIELLE

3,9 %

1,3 % 1974

1981

EUROPÉENNES 4,4 % 1979

1988

6,7 %

1984

RÉGIONALESS 14,7 %

A

1995

1989

1994

8,4 %

1998

2007

2002

19,9 %

10,2 %

** 1992

1,6 %

2004

près la brillante percée électorale effectuée par Europe Écologie lors des élections européennes de juin 2009 (16,3 %, à 0,2 point derrière les socialistes), les élections régionales de mars 2010 vont être une épreuve de vérité. Jusqu’à maintenant l’écologisme est resté une force marginale ou une force d’appoint. Force marginale, depuis son apparition sur la scène électorale au milieu des années 1970, marginalité entrecoupée de poussées de fièvre éphémères : 10,6 % aux élections européennes de 1989, presque 15 % pour des listes concurrentes aux régionales de 1992, plus de 11 % aux européennes de 1999 (9,7 % pour la liste emmenée par Daniel Cohn-Bendit et 1,5 % pour celle dirigée par Antoine Waechter). Force d’appoint, depuis l’accord politique signé entre la direction des Verts et le Parti socialiste en janvier 1997 qui met fin à la voie d’autonomie pour l’écologisme et marque son inscription dans un statut d’allié dominé au sein de la coalition des gauches.

« Tutoyer les grands » L’excellent score atteint aux dernières élections européennes par Europe Écologie, et plus largement par l’écologisme (19,9 %, si l’on additionne les voix des listes d’Europe Écologie et celles d’Alliance écologique indépendante), a pu donner l’impression que pour la première fois, en presque quatre décennies, l’écologisme pouvait sortir de son statut de marginalité politique pour venir « tutoyer les grands ». En effet, en juin 2009, Europe Écologie a dépassé la barre des 10 % dans l’ensemble des 22 régions métropolitaines, celle des 15 % dans 10 régions et a devancé le Parti socialiste dans 8 régions (Alsace, Bretagne, Corse, Ile-de-France, Languedoc-Roussillon, Pays de la Loire, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Rhône-Alpes). Alors qu’en 2004 l’écologisme des Verts ne s’était compté à part que dans 8 des 22 régions et était associé à tout ou partie de la gauche institutionnelle dans 14 régions, en 2010, le succès électoral des dernières européennes a fait redécouvrir les charmes de l’autonomie : dans l’ensemble des régions (sauf la Corse), Europe Écologie part seul au combat des régionales. Pour l’instant, les sondages d’intentions de vote donnent des listes d’Europe Écologie dominées, dans la plupart des cas, par les listes PS. Dans une enquête réalisée par la Sofres début février, les listes Verts Europe Écologie sont créditées de 13 % d’intentions de vote contre 28 % pour les listes du PS. Les listes écologistes gardent 44 % de

17 %

118-24 8-24 ans 25-34 ans 25-3 35-49 ans 35-4 50-64 ans 50-6 65 ans et plus

18 % 22 % 24 % 16 % 8%

16 % 32 %

Sans diplôme, certificat d'études

24 %

Employé

24 %

Ouvrier

13 %

Retraité

8%

7%

BEPC, CAP, BEP

10 %

Baccalauréat

15 %

Enseignement supérieur

23 %

Olivier Besancenot

2%

20 %

Ségolène Royal

Marie-George Buffet

26 %

Dominique Voynet

87

%

7,4 %

5%

2,4 % 1986

3,3 %

10,6 %

15 %

Femmes Fe

Artisan, commerçant, chef d'entreprise Cadre, profession intellectuelle Profession intermédiaire

… dont vote au 1er tour de la présidentielle de 2007

7,1 %

3,8 %

Ho Hommes

Niveau de diplôme

Profession du chef de ménage

1999

2004

François Bayrou

2009

*sont compris dans les pourcentages ceux de tous les courants écologistes (par exemple en 2009 : Europe Écologie et Alliance écologique indépendante). **en 2004, les Verts sont alliés avec le PS dans 14 régions, ils sont alliés à d'autres mouvements dans 4 et ne se présentent seuls que dans 6 régions. Une comptabilisation nationale de l'influence de l'écologisme n'est donc pas possible.

«

20 %

PAR PASCAL PERRINEAU

directeur du Cevipof

L’écologie comme force politique a été portée par l’affirmation dans nos sociétés d’un nouveau clivage entre “matérialistes” et “postmatérialistes” où les enjeux de l’autonomie, de l’identité, du libéralisme culturel ont été souvent incarnés par les Verts

»

leur électorat de 2009, 30 % de celui-ci revenant vers le PS, 9 % vers la gauche de la gauche, 9 % vers la droite, 6 % vers l’Alliance écologiste indépendante et 2 % vers le MoDem. Europe Écologie semble être victime d’un « vote utile » qui bénéficie essentiellement au PS. Indépendamment du bilan des exécutifs socialistes sortants, objet d’une appréciation plutôt positive (selon la Sofres, 69 % des personnes interrogées considèrent que « le bilan du conseil régional est satisfaisant »), les listes d’Europe Écologie pâtissent d’un « défaut de gouvernementalité » : interrogés les 13 et 14 janvier par OpinionWay, 57 % des électeurs considèrent qu’Europe Écologie n’est « pas capable de diriger une région en France ». Ils sont 75 % à penser de même parmi les sympathisants de l’UMP, 60 % parmi ceux du MoDem, mais aussi 55 % parmi ceux du PS. Un électorat qui avait pu être séduit par la nouveauté d’Europe Écologie lors des européennes de 2009, par son message européen clair et sa capacité à porter celui-ci au sein du Parlement européen ne lui renouvelle pas sa confiance quelques mois plus tard pour

Nicolas Sarkozy

4%

Jean-Marie Le Pen

0%

Abstention, blanc, nul sans réponse

20 %

Source : Sondage jour du vote, 7 juin 2009, Sofres

présider aux destinées des régions. Un PS lesté de sa légitimité de parti de pouvoir local, auquel bien souvent les écologistes ont été associés depuis 2004, reprend alors l’avantage. Autant, sur la scène des européennes, les écologistes, sous la houlette de Daniel Cohn-Bendit, ont su incarner une europhilie de bon aloi face à un PS ambigu et essoufflé, autant la scène des régionales ne leur donne pas la même visibilité et le même parfum de renouveau. Le PS creuse ainsi l’écart avec les écologistes, particulièrement chez les plus de 50 ans, les cadres supérieurs et les cadres moyens. Dans la concurrence que se livrent, depuis de longues années, écologistes et socialistes auprès des classes moyennes salariées, les seconds reprennent l’avantage alors qu’ils avaient été outrageusement dominés, il y a quelques mois. En juin 2009, 32 % des cadres et professions intellectuelles ont choisi Europe Écologie (contre 15 % seulement qui se sont tournés vers le PS) ; 24 % des professions intermédiaires ont fait de même (contre 21 % pour le PS). Début février 2009, 15 % seulement des premiers et 15 % des seconds ont l’intention de voter en faveur des listes d’Europe Écologie. 30 % des premiers et 33 % des seconds déclarent leur intention de se porter vers les listes du PS. En juin 2009, Europe Écologie a devancé largement le PS et atteint des sommets dans toutes les grandes régions où le secteur tertiaire est écrasant (Ile-de-France : 20,9 % contre un PS à 13,6 % ; Rhône-Alpes : 19,6 % contre 15,4 %). Dans toutes les grandes villes universitaires (Grenoble, Toulouse, Montpellier…), il a dominé sans partage le PS. Cet électorat de cols blancs, de citoyens à haut niveau de diplôme, est le type même de l’électorat infidèle et

«

préoccupations sociales (chômage, emploi, financement des retraites) sont en très forte hausse, les enjeux relatifs à l’environnement et à la pollution sont en baisse. Enfin, l’institution régionale bénéficie d’une cote de confiance bien supérieure à celle de l’Europe. En décembre 2009 (baromètre de confiance politique Sofres-Cevipof-EdelmanInstitut PMF), 64 % des sondés déclarent avoir confiance dans le conseil régional, l’Union européenne n’attire la confiance que de 44 %.

Changement de la structure de classe

L’écologie comme force politique a été portée par l’affirmation d’un nouveau clivage entre « matérialistes » et « postmatérialistes », où les enjeux de l’autonomie, de l’identité, du libéralisme culturel ont été souvent incarnés par les Verts. Cette évolution a été accompagnée par un changement de la structure de classe avec le développement des classes moyennes, des personnes employées dans les services, des professions intermédiaires, des étudiants… Cependant, les liens qui se sont tissés entre l’écologisme et ses électeurs sont relativement faibles, labiles, et n’atteindront jamais la force de ceux qui unissaient jadis les partis établis à leurs électorats captifs. La dynamique d’Europe Écologie s’est abreuvée à plusieurs sources : 20 % des électeurs qui avaient choisi Olivier Besancenot en 2007 ont voté pour les écologistes en 2009, 20 % de ceux de François Bayrou, mais surtout 27 % de ceux de Ségolène Royal. Les électeurs vont et viennent, particulièrement entre le pôle écologiste et le PS qui, sur le terrain du « libéralisme culturel » et des demandes spécifiques à la « bourgeoisie bohème » des cols blancs, redevient compétitif. Le 22 novembre 2009,

Le PS creuse l’écart avec les écologistes chez les plus de 50 ans, les cadres supérieurs et les cadres moyens

mobile. Auprès de cet électorat particulièrement volatil, les changements de conjoncture politique, d’enjeux et de paysage institutionnel ont tout leur poids. Depuis juin 2009, la conjoncture a changé, le PS semble s’extraire de la période de crise qu’il traverse depuis sa défaite de 2007. Peu à peu, Martine Aubry s’impose comme leader de l’électorat de gauche. Les enjeux nationaux et locaux font leur retour, éloignant un enjeu européen sur lequel l’écologisme apparaissait comme une avant-garde. Dans le baromètre des préoccupations des Français (Sofres-La Croix, 20 janvier-1er février 2010), les

»

Martine Aubry défend le mariage des homosexuels et leur droit d’adopter. Le 12 janvier 2010, elle ressort la proposition d’accorder le droit de vote aux immigrés lors les élections locales. Pour les régionales, la performance d’Europe Écologie dépendra, d’une part, de sa capacité à enrayer la reconquête socialiste de ces couches sociales et culturelles et, d’autre part, du pouvoir d’attraction d’Europe Écologie chez des électeurs séduits par un « centrisme de substitution » à l’heure où gauche instituée et droite instituée font l’objet d’une profonde crise de confiance. ■


débats OPINIONS

mardi 2 février 2010 LE FIGARO

16

étudesPOLITIQUES

Figaro-Cevipof

Les nouvelles formes de l’abstention Les prochaines élections régionales devraient être marquées par une faible participation.

RÉGIONALES À moins de six semaines du premier tour du scrutin à deux tours renouvelant les conseils régionaux, les partis politiques sont à la peine pour mobiliser l’opinion sur des enjeux d’une campagne qui, pour l’instant, n’est pas perçue comme « un vrai rendez-vous politique ». À l’aune de la participation aux scrutins régionaux précédents, tout laisse supposer que la défection des électeurs sera la grande gagnante de cette consultation. Et déclenchera l’antienne d’une France civique en voie d’américanisation. Anne Muxel, quant à elle, souligne « une profonde mutation du lien des citoyens à l’élection ». Présentée comme « une réponse politique » l’« abstention appartient à la panoplie démocratique des intermittents du vote ». Ce joker est utilisé pour mettre en avant l’insatisfaction circonstancielle à l’égard de l’offre électorale. Cette nouvelle conception de la citoyenneté est marquée par un rapport au devoir civique plus individualisé, plus critique. Fondée sur une approche électorale « consumériste », elle se caractérise par une mobilité de choix ; cette inconstance électorale met aussi à nu, l’affaiblissement des fidélités partisanes. Ainsi, l’apparent déficit démocratique relève d’un usage différent de l’acte de voter. À preuve, le taux d’« abstention systématique » plafonne à 10 % quand - toutes proportions gardées - la participation ne fait que s’amoindrir au fil des scrutins… ■ JOSSELINE ABONNEAU

L’ABSTENTION EN FRANCE Premier tour Second tour En % Régionales 1986 * 22,1 — Régionales 1992*

31,4

Régionales 1998*

42

Régionales 2004

37,9

34,3

Présidentielle 2007 16,2 Législatives 2007 Municipales 2008

TAUX D’ABSTENTION PAR RÉGION AUX ÉLECTIONS RÉGIONALES DE 2004, EN % DES INSCRITS 38,6 % Premier Second tour tour 37,9 % 36,8 % 38,5 % 43 % 39,7 % 41,3 % 40,5 % 35,3 % 32 % plus de 40 38,1 %

35,3 % 32,9 %

16

39,5 33,5

40 34,8

Européennes 2009* 57,2

38,4 %

38 % 36,3 %

L’ABSTENTION A PROGRESSÉ DE

9 points 6 points 5 points

pour les européennes,

pour les municipales,

pour les législatives.

A

Centre associé au CNRS et dirigé par Pascal Perrineau

34,8 %

de 34 à 38

38,7 %

38,8 %

39,1 %

34,6 % 31,4 % 32,1 %

35,6 %

31 %

de 32 à 34

34,3 %

LES VOTANTS SYSTÉMATIQUES, LES VOTANTS INTERMITTENTS ET LES ABSTENTIONNISTES SYSTÉMATIQUES LORS DE LA SÉQUENCE ÉLECTORALE 2007 (PRÉSIDENTIELLE ET LÉGISLATIVES) Votants constants Votants intermittents Abstentionnistes constants

34,5 % 30,4 %

27,3 %

Ensemble

Homme

45

42

40

45

Femme

55

58

60

55

18-34 ans

22

54

43

29

35-49 ans

28

32

27

30

50 ans et +

50

14

30

41

25 %

moins de 32

LA FRÉQUENCE DU VOTE DES FRANÇAIS AUX ÉLECTIONS Question : « DEPUIS QUE VOUS ÊTES EN ÂGE DE VOTER, DIRIEZ-VOUS QUE VOUS VOTEZ À TOUTES LES ÉLECTIONS, À PRESQUE TOUTES LES ÉLECTIONS, À QUELQUES-UNES OU À AUCUNE ? » Votent à toutes les élections

Age

Diplôme Inférieur au bac Bac ou supérieur TOTAL

52

54

75

53

48 100%

46 100%

25 100%

47 100%

es prochaines élections régionales ne passionnent pas. Et l’abstention risque d’atteindre en mars de nouveaux records. À six semaines du scrutin, un Français sur deux paraît disposé à rester en dehors de la décision électorale (CSA). Cet indicateur de tendance doit être pris avec précaution tant l’électeur est devenu imprévisible. Néanmoins, bien des signes laissent penser que ces élections ne connaîtront pas une inversion de tendance comparable à celle qu’avaient enregistrée les régionales de 2004 par rapport à 1998. Premières consultations des Français après le séisme électoral de 2002, le scrutin avait alors suscité une forte participation des Français et leur remobilisation. Une majorité d’électeurs s’était saisie du scrutin pour sanctionner le pouvoir en place et permettre à l’opposition de l’emporter. Sans conteste aujourd’hui l’intérêt pour le scrutin apparaît plus faible. Et les régionales ne sont pas attendues par les Français comme un vrai rendezvous politique. En décembre 2009, plus des deux tiers d’entre eux (69 %) ne s’y intéressent pas. Six ans auparavant, à la même période, ils étaient beaucoup moins nombreux dans ce cas (55 %) (TNS-Sofres). La perspective du scrutin régional n’alimente guère les conversations. À la mi-janvier seuls deux Français sur dix reconnaissent en avoir parlé avec leur entourage (Ifop-Paris Match).

Défection électorale lancinante

Page réalisée en collaboration avec le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof)

36,2 %

34,7 % 37,2 %

31,2 % 33,2 %

L EN VINGT ANS

34,4 % 32,4 %

de 38 à 40

34,5 %

*Un seul tour

En % Sexe

34,9 %

31,6 % 31,1 %

40,1 %

35,7 %

36,2 %

Ces nouvelles élections prennent donc place dans un cycle à nouveau marqué par une défection électorale lancinante et récurrente. Le sursaut civique de la présidentielle 2007 n’aura été qu’une parenthèse éphémère. Depuis, les trois élections pour lesquelles les Français ont été consultés ont enregistré des taux record d’abstention : aux législatives de juin 2007 (39,5 % au 1er tour et 40 % au second) aux municipales de mars 2008 (33,5 % au 1er tour et 34,8 % au second) et aux élections européennes de juin 2009 (60 %). Tout se passe dorénavant en France comme si, en dehors de l’élection reine de la Ve République que représente le scrutin présidentiel, tous les autres scrutins, au niveau local ou supranational, faisaient naître au mieux de l’indifférence au pire de la défiance, l’une et l’autre se creusant au fil des années. En l’espace de vingt ans, l’abstention a pro-

Votent à presque toutes les élections Votent à quelques-unes ou à aucune

Sources : La France aux urnes. 60 ans d’histoire électorale, P. Bréchon, La Documentation française, 2009. Panel électoral français 2007, Cevipof/ministère de l’Intérieur. Baromètre de confiance politique, Cevipof, décembre 2009

confiance politique du Cevipof en décembre 2009, on peut prendre la mesure du fossé qui sépare aujourd’hui les Français de leurs gouvernants et de leurs représentants. Indifférence ou défiance, la réponse abstentionniste trouve nombre de justifications à la fois conjoncturelles et structurelles. Mais, au-delà de ce seul scrutin, il reste encore à l’interpréter et à comprendre pourquoi et comment elle a pu devenir une réponse politique dont les Français font un usage de plus en plus familier.

PAR ANNE MUXEL

«

directrice de recherche au Cevipof

L’abstention peut participer à la généralisation d’une forme de veille démocratique

»

gressé de 6 points pour les municipales, de 9 points pour les européennes et de 5 points pour les législatives. En 1986, date des premières élections régionales, seuls 22 % des Français s’étaient abstenus. En 2004, 38 % n’ont pas voté au premier tour et 34,3 % au second tour. Si les pronostics se confirment, le nombre des abstentionnistes aux régionales de 2010 aura quant à lui au moins doublé en l’espace de vingt-quatre ans. Certains obstacles à la participation électorale peuvent être facilement repérés. Les enjeux sont mal identifiés et la méconnaissance des présidents régionaux est grande. Les deux tiers des Français (65 %) ne peuvent pas citer le nom du président de leur région (Baromètre LH2). Mais il reste encore à comprendre pourquoi cette ignorance pèse aujourd’hui davantage sur les motivations des abstentionnistes que lors des scrutins précédents. De toute évidence la campagne actuelle a beaucoup de mal à embrayer. Si l’on ajoute à cela le fait que plus des deux tiers des Français (69 %) ne font confiance ni à la gauche ni à la droite pour gouverner selon la mesure effectuée par le baromètre de

42 %

Plusieurs scènes d’expression Les modèles explicatifs traditionnels d’analyse de la défection électorale ne suffisent plus à eux seuls pour comprendre l’ampleur du phénomène. Certes, le lien entre insertion sociale et insertion politique est toujours observé. L’impact du niveau d’études est toujours vérifié. Mais alors que le niveau d’instruction de la population est en augmentation, alors que les couches moyennes se généralisent, alors que le niveau de connaissances et d’informations est plutôt à la hausse, la mobilisation électorale n’est pourtant pas de mise. C’est bien le signe d’une profonde mutation du lien des citoyens à l’élection. Cela indique bien qu’une nouvelle conception de la citoyenneté semble peu à peu s’imposer. Car l’abstention progresse quel que soit le niveau d’implication politique des électeurs. Elle fait l’objet d’une même réponse de la part des plus éloignés de la sphère politique comme des plus impliqués. Et par là même elle ne peut pas être interprétée seulement comme une défaillance civique ou comme un déficit démocratique. La participation politique se fait aujourd’hui à partir de plusieurs scènes d’expression : le vote, l’abstention et la manifestation. C’est à partir d’un usage combiné de la démocratie représentative et de la démocratie participative que de plus en plus de citoyens se font entendre. Et l’abstention joue dans ce triptyque politique un rôle décisif. Non pas l’abstention systématique qui est le fait d’une proportion relativement stable d’électeurs, environ 10 %. Mais l’abstention intermittente qui a pour corollaire l’instauration d’un usage différent de l’acte de voter. Cette réponse abstentionniste, de nature politique, est négociée et ajustée au cas par cas en fonction des enjeux perçus par l’électeur. Elle porte certes la marque d’une

Total 100 %

41 %

17 %

défiance, mais d’une défiance plus conjoncturelle que structurelle. Elle participe moins d’une contestation diffuse du système social et du système politique que d’une insatisfaction circonstancielle à l’égard de l’offre électorale proposée. Le profil sociopolitique de ces abstentionnistes dans le jeu politique est d’ailleurs plus proche de celui des votants que de celui des abstentionnistes systématiques, qui restent durablement hors du jeu politique. Ce qui a profondément changé est la relative mobilité du choix électoral. Lors de la séquence électorale de 2007, les trajectoires de vote des mêmes électeurs prenant en compte les deux tours de la présidentielle et les deux tours des législatives, mettaient en évidence l’importance de leur inconstance et leur mobilité. Cela pourtant dans un moment électoral particulièrement décisif et politisé. Seul un tiers des électeurs a voté constamment et systématiquement pour l’UMP ou le PS et leurs candidats respectifs lors des quatre tours de scrutin (1). L’affaiblissement des fidélités partisanes et la moindre constance de l’électeur ont laissé place à une plus grande imprévisibilité et à davantage de fluidité sur la scène de la décision électorale. L’augmentation de l’abstention intermittente y joue une part active. Les Français rencontrent chaque élection avec cette nouvelle panoplie démocratique.

Électeur plus réflexif Le vote dans son principe n’est pas remis en cause. Il est toujours considéré par une large majorité de Français comme le moyen d’action politique le plus efficace, bien devant la grève ou la manifestation. Mais il fait désormais l’objet d’une réponse moins normative et plus affranchie du « devoir civique ». Il s’inscrit dans un rapport à la politique à la fois plus individualisé et plus critique, au sein duquel l’abstention peut participer à la généralisation d’une forme de veille démocratique. L’électeur d’aujourd’hui est certes plus inconstant, mais il est aussi peutêtre plus réflexif. L’alternance du vote et de l’abstention peut aussi être entendue par les politiques comme l’expression d’une conscience citoyenne et d’une exigence politique ayant pu s’affûter.■ (1) Bruno Cautrès et Anne Muxel : Comment les électeurs font-ils leur choix ? Le Panel Electoral Français 2007, Paris, Presses de Sciences Po, 2009


débats OPINIONS

mercredi 13 janvier 2010 LE FIGARO

18

étudesPOLITIQUES

Figaro-Cevipof

Régions : une révolution inachevée

En deçà de celle de ses principaux voisins européens, la régionalisation française reste au milieu du gué. JOSSELINE ABONNEAU

QUARANTE ans après sa création, la région peine encore à s’affirmer dans l’opinion. Certes, la dernière née des institutions territoriales n’a pu réellement exister qu’avec l’élection au suffrage universel direct de ses conseillers qui remonte tout de même à près d’un quart de siècle. Contrairement à certains États de l’Union européenne (Allemagne, Italie, Espagne, Belgique, Royaume-Uni, etc.) qui ont porté sans faille l’autonomie régionale, la France reste encore prisonnière de sa culture jacobine. Elle a toujours hésité à s’engager dans la voie de la décentralisation « craignant que la régionalisation génère des discriminations »,souligne Bruno Rémond. Paradoxe, l’institution régionale semble encore « fragile » quand elle affiche un bilan « impressionnant » dans le développement économique, technologique et l’aménagement du territoire consacrant. C’est d’ailleurs sur ce bilan que les partis orientent leur campagne pour le renouvellement des conseils régionaux les 14 et 21 mars prochains. Notamment la gauche qui règne quasiment sans partage sur les exécutifs régionaux. Selon l’enquête TNS/Sofres diligentée par l’Association des régions, la gauche part avec un atout : l’exécutif régional est qualifié d’« efficace » par 76 % des sympathisants de gauche tous partis confondus, suivis par ceux du MoDem (71 %) et enfin par ceux de la « grande droite » qui ne dirige que deux régions (l’Alsace et la Corse). Ceci expliquant en partie cela… ■

EN 2009

LES RÉGIONS ONT INVESTI

5 997 millions d’euros dans les lycées

3 195

millions d’euros dans la formation professionnelle

2 661 millions d’euros dans le transport express régional

2 139

millions d’euros dans l’apprentissage

La proximité détermine l'efficacité Question POUR CHACUNE DES INSTITUTIONS SUIVANTES, POUVEZ-VOUS DIRE SI ELLE EST TRÈS EFFICACE, ASSEZ EFFICACE, ASSEZ INEFFICACE OU TRÈS INEFFICACE POUR RÉPONDRE AUX BESOINS DE LA POPULATION ? Très efficace

Assez efficace

Assez inefficace

Très inefficace

Sans opinion

En %

Le conseil général Le conseil régional L'État

20

16 44

56

11

17 3 10

59

10

17 2 12

59 3

L'Europe

32

2

dont

29

41

39

18

20

10

A

Extrême gauche (LO, NPA)

75

Parti communiste

Question POUVEZ-VOUS ME DIRE SI LE CONSEIL RÉGIONAL EST EFFICACE ? Total efficace

En %

Grande gauche (EXG, PC, PS, DVG, Verts) 76 Extrême gauche (LO, NPA)

68

90

Parti communiste

65

Parti socialiste

89

Parti socialiste

78

Verts

85

Verts

79

dont

MoDem

89

MoDem

71

Grande droite (NC, UMP, MPF, FN)

89

Grande droite (NC, UMP, MPF, FN)

66

dont

6

UMP

90

FN*

81

Sans préférence partisane

84

dont

UMP

68

FN*

56

Sans préférence partisane

57

*En raison de la faiblesse des effectifs, les résultats sont à interpréter avec prudence

L

Sondage Sofres réalisé pour l'Association des régions de France, du 27 au 30 novembre 2009 auprès d'un échantillon national de 1 000 personnes représentatif de l'ensemble de la population âgée de 18 ans et plus (méthode des quotas, enquête réalisée en face-à-face).

«

’évolution générale porte, en effet, notre pays vers un équilibre nouveau. L’effort multiséculaire de centralisation, qui fut longtemps nécessaire pour réaliser et maintenir son unité malgré les divergences des provinces qui lui étaient successivement rattachées, ne s’impose plus désormais. Au contraire, ce sont les activités régionales qui apparaissent comme les ressorts de sa puissance économique de demain… » (de Gaulle, discours prononcé à Lyon le 24 mars 1968). Tout est dit. Et pourtant, quarante ans après, la réalisation de cette vision fulgurante n’est toujours pas devenue l’option politique retenue pour organiser l’architecture d’ensemble des pouvoirs publics en France. Où en est-on alors ? La gestation de la « région » fut lente, parfois chaotique, mais toujours inspirée par une même préoccupation : doter la France d’un espace territorial mieux adapté par sa configuration et sa superficie que le département pour permettre la définition et la réalisation des politiques publiques d’importance, notamment dans le domaine économique et en matière d’aménagement du territoire.

dramatiques en 1992 et en 1998 du mode toyens même s’ils ne voient pas toujours de scrutin adopté en 1985, ont obscurci très clairement le sceau régional sur ces l’image institutionnelle et fonctionnelle réalités sauf lorsque les couleurs de cede la région. Celle-ci, décriée car mal lui-ci décorent les rames TER. connue, fut critiquée et taxée d’instituQui pourrait se passer des financetion superfétatoire, compliquant le mil- ments ainsi mobilisés ? Certainement le-feuille territorial alors que pas l’État qui, tout en tenpourtant les régions concourtant de continuer à rester raient déjà remarquablement à maître de la définition de la réalisation de politiques puces politiques publiques, bliques essentielles pour l’aveest progressivement devenir de la France : formation nu financièrement incapaprofessionnelle et apprentissable de les assumer et admige, rénovation et construction nistrativement de les de lycées, amélioration des régérer. sultats de la politique éducatiMême si leur connaisve grâce à l’élaboration des sance ou leur compréhenschémas régionaux de formasion du fait régional n’est tion, extensions universitaires, pas toujours des plus assuPAR grands projets d’équipement rées ou des plus affirmées, BRUNO RÉMOND initiés par l’État et cofinancés un récent sondage, diliPROFESSEUR par les régions dans le cadre genté par l’Association des À SCIENCES-PO des contrats de plans successirégions de France et réalisé vement élaborés et signés. par la Sofres montre que La Souvent méconnu, le bilan les Français sont globalepréférence des régions est pourtant imment attachés à leur répressionnant. Sans elles, les gion, comme d’ailleurs aux partisane grandes politiques publiques collectivités territoriales a un effet sur ayant pour objectif de favoriser en général. le développement économique, l’appréciation Lorsqu’ils classent les l’innovation technologique et échelons administratifs en du conseil l’aménagement du territoire fonction de leur proximité régional : Bilan méconnu n’auraient pu se déployer aussi pour juger de leur capacité les personnes à répondre aux besoins de mais impressionnant rapidement et aussi profondéCe n’est qu’avec la loi du 2 mars 1982 ment. la population, la commune proches Regroupées en deux grands puis la première élection au suffrage arrive en tête (76 % la jude la gauche sont universel direct des conseillers régio- thèmes – éducation, formagent efficace) suivi du naux en 1986 que l’institution régionale a tion et emploi ; mobilité et dé- plus nombreuses conseil général (70 %) puis acquis un statut de collectivité locale à veloppement durable – les inque les autres du conseil régional (69 %). part entière et la clause de compétence terventions des régions ont un L’État et l’Europe sont maà le juger incontestable en générale qui fait la force de cette catégo- impact joritairement jugés ineffiefficace rie d’institutions politico-administrati- contribuant à aménager le caces (59 % pour les deux). ves, deux qualités ultérieurement re- territoire et améliorer la vie de De manière cohérente connues au niveau constitutionnel par la ses habitants. En 2009, hors avec la couleur des exécumodification de la rédaction de l’arti- outre-mer et Corse, les régions ont in- tifs locaux, la préférence partisane a un vesti 5 997 millions d’euros dans les ly- effet sur l’appréciation du conseil régiocle 72 de notre texte fondamental. Malgré les différents transferts de cées, 3 195 dans la formation profes- nal : les personnes proches de la gauche compétence intervenus en 1983, 1985 et sionnelle, 2 661 dans le transport sont plus nombreuses que les autres à le 1986 de l’État vers les régions, plusieurs express régional ou encore 2 139 dans le juger efficace (79 %). années d’inertie politique – notamment domaine de l’apprentissage… Qui pourrait imaginer se passer des Vers un «congrès sous le gouvernement de Lionel Jospin – dont les effets ont été aggravés par la services et des équipements de toute na- des départements» crise de légitimité qui affecta les conseils ture ainsi organisés et réalisés par les ré- Certes, un autre sondage LH2 a mis en régionaux du fait des conséquences gions ? Certainement pas nos conci- évidence le fait que beaucoup de Français ignoraient le nom du président à la tête de leur région. Mais connaissent-ils mieux le nom du président du conseil général ou ceux des différents ministres composant le gouvernement ? Toujours Question est-il, justement parce qu’elle est POUVEZ-VOUS ne peuvent citer contrastée, l’image que les Français ont aucun nom aujourd’hui de la région est révélatrice DONNER LE NOM de l’ambiguïté de la situation dans laDU PRÉSIDENT OU quelle se trouve la dernière-née des colDE LA PRÉSIDENTE lectivités territoriales françaises. Seule, DE VOTRE RÉGION ? par essence, apte à se substituer à l’État dans la définition et la réalisation des politiques publiques qu’il ne peut plus ou qu’il ne sait plus correctement mener à % bien car les données économiques, Citent le nom % technologiques et sociales à prendre en du président citent considération imposent qu’elles soient un autre nom diversifiées et adaptées aux réalités terSondage LH2 réalisé pour le Syndicat de la presse quotidienne régionale et France Bleue, du 30 octobre au 28 novembre 2009, ritoriales, son essor est attendu avec imauprès d'un échantillon de 5 100 personnes constituant un échantillon national représentatif de la population française patience par certains, craint par âgée de 18 ans et plus (méthode des quotas, enquête réalisée par téléphone). d’autres.

«

»

65%

Centre associé au CNRS et dirigé par Pascal Perrineau

Total attaché

En %

Grande gauche (EXG, PC, PS, DVG, Verts) 86

La commune

Une présidence mal identifiée

Page réalisée en collaboration avec le Centre de recherches politiques de Science Po (Cevipof)

Question DIRIEZ-VOUS QUE VOUS ÊTES ATTACHÉ À VOTRE RÉGION ?

6

29

Les ressorts du sentiment amoureux SELON le sondage TNS-Sofres, les Français en phase avec le Parti communiste ou l’UMP se révèlent être les plus attachés à leur région, quand ceux ayant une préférence partisane extrémiste de gauche ou de droite (extrême gauche, Front national) se montrent les plus indifférents. Au sein de la gauche, les Verts, dont le régionalisme constitue l’une des pierres angulaires de leur doctrine, clament moins leur patriotisme régional que les socialistes. Ceux-ci se situent sur la même longueur d’onde que les supporteurs du MoDem ou l’ensemble de la « grande droite » (Nouveau Centre, UMP, MPF, FN). Quasi viscéral pour les retraités et inactifs, l’attachement régional se renforce avec l’âge principalement aux alentours de la cinquantaine. Toutefois l’activité professionnelle détermine l’intensité de cet amour : très vivace chez les commerçants, les artisans, les chefs d’entreprise et les ouvriers, il mollit chez les cadres et les intellectuels. Très ancré dans les zones rurales, le sentiment régional se dilue dans les zones urbaines pour devenir ténu dans l’agglomération parisienne. J. A.

La France hésite. Depuis le lancement de la décentralisation en 1982, elle a quitté la rive où un État tout autant napoléonien que jacobin offrait aux citoyens une vision claire de la structuration et de l’action de la puissance publique et l’illusion du respect du principe d’égalité grâce à la mise en œuvre censée être uniforme et homogène sur l’ensemble du territoire de toute politique. Mais, s’engageant dans la voie de la régionalisation, elle s’est arrêtée à mi-gué, craignant que la décentralisation et la régionalisation génèrent des discriminations alors qu’elles sont surtout porteuses de diversifications et d’émulations. Il en résulte que la « région » française reste fragile et bien loin, politiquement et institutionnellement comme fonctionnellement et financièrement, des données peu ou prou semblables qui caractérisent l’autonomie et la responsabilité des régions italiennes, des communautés autonomes espagnoles, des régions belges et, bien plus encore, des Länder allemands ou des entités territoriales du Royaume-Uni ayant bénéficié d’une large évolution de compétences intervenues à l’orée du XXIe siècle. La France reste très en deçà de ses principaux voisins. Et, sans se livrer ici à un examen exhaustif de son contenu, on peut s’attendre à ce que le projet de loi relatif à la réforme territoriale, dont la discussion parlementaire va tout prochainement s’engager, entraîne une transformation de l’institution en « congrès des départements » pulsion à rebours de celle qui a suscité puis institué l’idée régionale en France. ■


débats OPINIONS

mercredi 2 décembre 2009 LE FIGARO

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étudesPOLITIQUES

Figaro-Cevipof

Crise : pourquoi 2009 n’est pas 1929

L’inquiétude des Français ne s’accompagne pas d’une volonté de remise en cause du système politique.

JOSSELINE ABONNEAU

EN FRANCE

LES EXTRÉMISTES PESAIENT

12,5 % des voix aux élections européennes de juin 2009.

75

4

59 53 43

A

Centre associé au CNRS et dirigé par Pascal Perrineau

SOCPRESSE 14, boulevard Haussmann 75009 Paris Président-directeur général Serge Dassault Administrateurs Nicole Dassault, Olivier Dassault, Thierry Dassault, Jean-Pierre Bechter, Olivier Costa de Beauregard, Benoît Habert, Bernard Monassier, Rudi Roussillon

24

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20

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France

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Italie

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1

Royaume-Uni Allemagne

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Italie

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23 Royaume-Uni

Allemagne

Les perceptions du capitalisme de libre-échange

Les attentes vis-à-vis du rôle du gouvernement dans l'économie

QUESTION : « Laquelle de ces trois phrases reflète le mieux votre opinion sur le capitalisme de libre-échange ? », en %

QUESTION : « Aimeriez-vous que votre gouvernement joue un rôle plus actif, moins actif ou le même rôle qu'il joue actuellement dans la propriété ou le contrôle direct des grandes industries ? » Réponse en %

Il est fondalement dans l'erreur et on a besoin d'un autre système économique Il connaît des problèmes mais on peut les régler avec plus de régulation et de réforme Il marche bien et des tentatives pour augmenter la régulation le rendront moins efficace Il ne sait pas, sans opinion

L

a crise économique et financière qui a éclaté à l’été 2008 est la crise la plus importante que le capitalisme ait connue depuis celle de 1929. Les effets politiques de cette dernière furent délétères : Hitler arriva au pouvoir en 1933, une vague autoritaire s’étendit sur l’Europe et la démocratie libérale fut sur la défensive, particulièrement en France, avant de céder elle aussi la place à la dictature. Quatre-vingts ans plus tard, c’est souvent au prisme de la crise de 1929 qu’est pensée la question des effets politiques de la crise. Dans de très nombreuses réactions d’acteurs politiques et d’intellectuels, on insiste sur le caractère menaçant des effets politiques de la crise. Le 16 septembre 2008, l’homme d’affaires Georges Pébereau précise dans un article du journal Le Monde : « … nous sommes dans une période prérévolutionnaire ». L’ancien premier ministre Dominique de Villepin reprend cette antienne en avril 2009 en déclarant qu’il « existe un risque révolutionnaire en France ». Olivier Besancenot prophétise le 1er septembre 2009 sur RMC : « Il faudra que ça pète. » Dans un discours du 29 janvier 2009, le président de la République parle des risques d’un « nouveau totalitarisme ». Un même type d’approche est repris par les analystes quel que soit leur bord. À titre d’exemple, Nicolas Baverez, le 16 août 2009, déclare : « La déstabilisation des classes moyennes par le chômage de masse peut mettre en péril la démocratie. » Même si l’on avance que « l’Histoire ne repasse pas les plats », il y a de manière omniprésente la référence aux années 1930 et aux perturbations politiques majeures qu’elles ont connues. Au regard de la France de ces années-là, la situation politique actuelle est pourtant bien différente.

Situation très contrastée

Page réalisée en collaboration avec le Centre de recherches politiques de Sciences po (Cevipof),

57

56

À l’époque, les partis extrêmes du PCF aux ligues fascisantes comptaient presque un million d’adhérents. Qu’en est-il aujourd’hui ? La crise n’a déclenché aucune dynamique militante. Les formations extrémistes restent très faibles : le Front national compte quelques dizaines de milliers d’adhérents, quant au Nouveau Parti anticapitaliste, avec 9 000 adhérents, il ne fait pas recette. Bien qu’active dans l’animation de certains mouvements sociaux, l’extrême gauche est loin d’avoir les moyens de son « grand soir ».

SOCIÉTÉ DU FIGARO SA Directeur des rédactions 14, boulevard Haussmann Étienne Mougeotte Directeur délégué 75009 Paris Jean-Michel Salvator Président Comité éditorial Serge Dassault Michel Schifres, vice-président Directeur général, Directeurs adjoints directeur de la publication de la rédaction Francis Morel Gaëtan de Capèle (Économie), Éditeur Anne-Sophie von Claer Frédérick Cassegrain (Style, Art de vivre, So Figaro),

PAR PASCAL PERRINEAU

DIRECTEUR DU CEVIPOF

«

La France a un potentiel protestataire non négligeable

»

La situation dans les urnes est également très contrastée. La crise de 1929 avait nourri en son sein une poussée électorale des extrémismes en France et ailleurs. Aujourd’hui le message envoyé par les urnes semble être beaucoup plus modéré. Si l’on prend comme référence les élections européennes de juin 2009 dans les vingt-sept pays de l’Union et avec la prudence qu’implique une participation faible (40,6% des inscrits), la plupart des majorités de droite modérée au pouvoir ont été sinon plébiscitées du moins soutenues (Allemagne, France, Italie, Pays-Bas). Dans l’Hexagone, on a pu constater une progression de l’extrême gauche (de 3,3% en 2004 à 6,1% en 2009) mais aussi un déclin de l’extrême droite (de 9,8 % en 2004 à 6,3 % en 2009). Dans l’ensemble, les forces extrémistes ne représentent qu’un modeste poids d’environ 12,5% équivalent à celui de 2004. Dans un récent sondage Ifop-Valeurs actuelles du 2 novembre 2009 sur les intentions de vote pour une élection présidentielle, le rapport de forces est le suivant: Nicolas Sarkozy 28%, Martine Aubry 20%, François Bayrou 14%, Marine Le Pen 11 %, Olivier Besancenot 9 %, Dominique de Villepin 8 %, Cécile Duflot 5 %, Marie-George Buffet 3 %, Nathalie Artaud 1 %, Nicolas DupontAignan 1 %. Le président sortant arrive largement en tête du 1er tour, les droites rassemblent 48 %, les gauches 38 % et le centre 14 %. Les effets de radicalisa-

Anne Huet-Wuillème (Édition, Photo, Révision), Sébastien Le Fol (Culture, Figaroscope, Télévision), Paul-Henri du Limbert (Politique, Société, Sciences), Étienne de Montety (Débats et Opinions, Littéraire) , Pierre Rousselin (Étranger) et Yves Thréard (Enquêtes, Opérations spéciales, Sports)

Directeur artistique Jean-François Labour Rédacteurs en chef Debora Altman (Photo) Graziella Boutet (Infographie) Frédéric Picard (Édition) Directeur de la rédaction du Figaro.fr Luc de Barochez

Rôle plus actif

Même rôle

Rôle moins actif

tion ne sont pas majeurs : l’extrême gauche est en légère hausse (7,1 % en 2007), l’extrême droite est stable (10,7 % en 2007). La première atteint ses meilleurs niveaux chez les jeunes (17 %) et les professions intermédiaires (13 %) particulièrement du secteur public, l’extrême droite gardant un haut niveau d’influence dans la population ouvrière (24 %) et le secteur privé. Pour l’instant on n’a pas l’impression d’un « arc de forces démocratiques » qui craque sous le poids de la crise. Mais les effets dissolvants de celle-ci n’ont peut-être pas fait toute leur œuvre. Dernier exutoire de la crise : la rue. Dans les années 1930, nombre de manifestations, qu’elles soient à l’initiative de l’extrême gauche ou de l’extrême droite, dégénéraient. Les morts se comptaient par dizaines, les blessés par milliers. La violence politique était bien portée : le secrétaire général du PCF, Maurice Thorez, expliquait en 1931 que « les barricades portent la lutte de classe à son niveau le plus élevé ». L’extrême droite n’était pas en reste sur le terrain de la glorification de la violence et Charles Maurras expliquait doctement que sa « violence tend à fonder la sécurité intérieure de (sa) patrie ».

Recherche d’alternatives En 2008-2009, nous sommes très loin d’un tel encensement de la violence politique. Certes, aux confins de l’ultragauche, réapparaît une certaine fascination pour une violence parée à nouveau de vertus rédemptrices. Ce courant très minoritaire s’est livré à de véritables saccages à deux reprises, en avril 2009 à Strasbourg dans le cadre de manifestations contre l’Otan puis en octobre à Poitiers lors de la réunion d’un collectif anticarcéral. Cette violence aux confins du terrain sociétal et du terrain politique est le symptôme d’une délinquance qui charrie son lot de malaises liés à la crise et qui est sensible dans le fait, par exemple, qu’après deux années de tendance baissière, les statistiques de la délinquance ont enregistré en août 2009 une forte poussée des vols avec violence sur les douze derniers mois. La crise a des effets perturbateurs mais elle n’a aucun impact de radicalisation politique massive. En cela, nous sommes loin du scénario de 1929 et des années qui suivirent. Et pourtant, la France a un potentiel protestataire non négligeable. Dans une enquête internationale * réalisée dans vingt-sept pays, un an après le déclen-

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Sans opinion

Source : Sondage GlobeScan pour BBC World Service, 29 033 personnes interrogées dans 27 pays entre le 19 juin et le 13 octobre 2009

Contrairement aux idées reçues véhiculées par certains leaders d’opinion hexagonaux, la crise et ses répercussions sur les attitudes politiques ne peuvent se penser à travers le prisme de la crise du capitalisme des années 1930. Pour Pascal Perrineau, la crise actuelle n’a pas rompu « l’arc de forces démocratiques ». De plus, la rue n’est plus un exutoire. Et les bouffées de violence de quelques groupes de l’ultragauche visant une radicalisation politique massive n’ont pas, pour l’instant, d’effet d’entraînement. Certes, la crise perturbe le système politique, le malmène mais ne le remet jamais totalement en cause. Tel est l’enseignement principal que le directeur du Cevipof tire notamment d’une enquête internationale * menée dans vingt-sept pays sur « la perception du capitalisme de libre-échange et les attentes sur le rôle des gouvernements dans le contrôle des entreprises et des grandes industries ». Précédant l’Italie, l’Espagne, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, la France affiche le plus fort potentiel protestataire. Toutefois, les partisans tricolores de la régulation et de la réforme (47 %) devancent de cinq points le bloc militant pour « un autre système que le capitalisme » (43 %) quand l’opinion allemande, elle, se hisse au premier rang du capitalisme réformiste (75 %). ■

chement de la crise financière, la France est: le pays où la minorité demandeuse d’un autre système que celui du capitalisme de libre-échange est la plus forte : 43% de nos concitoyens pensent qu’un tel système « est dans l’erreur et que l’on a besoin d’un autre système »,ils ne sont que 29% en Italie et en Espagne, 19% en Grande-Bretagne, 13% aux États-Unis et 9 % en Allemagne. C’est en France, cette fois-ci derrière le Brésil et le Chili, que la demande d’intervention croissante du gouvernement dans la régulation des entreprises est la plus forte : 76 % contre 73 % en Espagne, 70 % en Italie, 56 % en Grande-Bretagne, 45 % en Allemagne et 43 % aux États-Unis. Cette demande interventionniste va même en France jusqu’à une demande majoritaire de contrôle plus étroit des grandes industries par le gouvernement : 57 % contre 53 % en Italie, 45 % en Espagne, 40 % en Grande-Bretagne, 31 % en Allemagne et 24 % aux ÉtatsUnis. Cette demande de contrôle s’enracine dans un pessimisme français particulier à la fois vis-à-vis de la crise, mais aussi vis-à-vis de la mondialisation et de l’Europe. 64 % des Français pensent en novembre 2009 que « le pire de la crise reste encore à venir »(Sofres). Parmi les grands pays d’Europe (Eurobaromètre n° 71 de septembre 2009), l’opinion française est une des plus négatives sur l’état de l’économie nationale (87 % des Français considèrent que la situation de l’économie française est très ou plutôt mauvaise contre 78 % en moyenne dans l’Union européenne), 73 % pensent que la mondialisation constitue une menace pour l’emploi et les entreprises en France (contre 42 %) et 51 % que l’Union européenne ne nous aide plutôt pas ou pas du tout à nous protéger des effets négatifs de la mondialisation (contre 36 % dans l’ensemble de l’Union). Nombre de Français ne sont pas contents du monde tel qu’il va et sont à la recherche d’alternatives. Mais contrairement aux années 1930, cette recherche d’alternatives se fait sans remettre en cause le système politique. La protestation sourd mais s’inscrit dans une demande de réforme du système économique et social qui n’a rien à voir avec la recherche de « lendemains qui chantent », caractéristique des années 1930 et qui avait débouché sur la lugubre musique du totalitarisme. ■ * Données exhaustives de l’enquête mise en ligne sur www.lefigaro.fr/ politique

Impression L’Imprimerie, 79, rue de Roissy 93290 Tremblay-en-France Midi Print, 30600 Gallargues-le-Montueux ISSN 0182-5852 Président-directeur général Commission paritaire n° 0411 C 83022 Pierre Conte Pour vous abonner Lundi au vendredi de 7h à 17h ; sam. de 7h à 12h au 01 70 37 31 70. Fax : 01 55 56 70 11 Direction, administration, rédaction Gérez votre abonnement sur http://abonnes.lefigaro.fr 14, boulevard Haussmann 75438 Paris Cedex 09 Tél. : 01 57 08 50 00 Formules d’abonnement pour 1 an Club: 395€. Semaine: 229€. Week-end: 195€. direction.redaction@lefigaro.fr

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débats OPINIONS

mercredi 4 novembre 2009 LE FIGARO

16

étudesPOLITIQUES Figaro-Cevipof

Berlusconi : les ressorts d’une longévité

Le « berlusconisme » a su fédérer des groupes sociaux très diversifiés et retenir un vaste électorat populaire. JOSSELINE ABONNEAU

ÉTUDE Longévité. Qu’il soit au pouvoir ou dans l’opposition, Silvio Berlusconi domine la scène politique depuis plus de quinze ans et cela, malgré ses frasques. Certes, le président du Conseil italien ne s’est jamais frotté au suffrage universel, ce qui limite singulièrement la comparaison avec la France. Vu de loin, rien n’autorise à assimiler d’emblée la

droite berlusconienne à la droite hexagonale ; chacune a des gènes nationaux propres. Toutefois une mise en perspective de la longévité politique du Cavaliere et de la solidité de son ancrage électoral recèle de précieux indicateurs susceptibles d’éclairer les voies politiques empruntées par la droite française désormais unie. Le président du Conseil italien a ainsi innové dans la communication politique et en utilisant avec maes-

La confiance des Italiens dans Berlusconi

tria les techniques de marketing. Le leader transalpin de la droite a aussi su prendre la mesure de la communication pour asseoir son rôle de chef face à une opposition incapable de faire émerger un leader et des idées. Parmi les mérites politiques de Silvio Berlusconi, il convient de souligner son rôle déterminant de pacificateur et de fédérateur des droites italiennes. Ainsi, il a su les unifier pour occuper un vaste espace politique

Les résultats de la droite par formation

EN %

ÉLECTIONS EUROPÉENNES 2004

55

Forza Italia

20,9 %

Alliance nationale 11,4 %

Total

Écart de confiance entre fév. et août 2009 Variations 2004-2009

32,3 %

PDL

35,2 %

+2,5 %

4,9 %

Ligue du Nord

10,2 %

+5,3 %

Ligue du Nord

50

ÉLECTIONS EUROPÉENNES 2009

37,2 %

45,4 %

Total

+8,2 %

Forza Italia 40

35 2004

2005

2006

2007

2008

Sept. 2009

ÉLECTIONS NATIONALES 2008

Variations 2006-2008

23,7 % Alliance nationale 12,3 %

36 %

PDL

37,4 %

+1,4 %

Ligue du Nord-MPA

4,6 %

Ligue du Nord

8,3 %

+3,7 %

Autres centre droit

2,3 %

MPA

1,1 %

-1,2 %

Total

42,9 %

46,8 %

Total

… LA PLUS CRITIQUE

Total Italie

-6 %

… LA MOINS CRITIQUE Âge

25-34 ans et 55-64 ans

-12 %

Titulaire d'une maîtrise

-9 %

0% -3 %

35-44 ans 45-54 ans

Niveau d'instruction Certificat d'études

-4 %

Cat. socio-professionnelle

45

ÉLECTIONS NATIONALES 2006

englobant l’extrême droite et s’étendant jusqu’au centre droit. Face à une gauche atomisée et en déliquescence idéologique, il a innové en menant d’une manière décisive la bataille des valeurs. Bref, au-delà de sa faconde, Silvio Berlusconi a innové dans sa façon de faire de la politique, par son talent à se concilier et à fidéliser un large électorat bien ancré dans les couches populaires. ■

+3,9 %

Chef d'entreprise, prof. libérale et chômeurs

-10 %

Secteur public

-10 %

Ouvriers

-2 %

Secteur privé

-2 %

De 10 000 à 30 000 hab.

-3 %

Salariés

Ville Moins de 10 000 hab.

-8 %

Pratique religieuse Régulière

-9 %

-3 %

Jamais

Source : M. Nando Pagnoncelli, Ipsos Italie 2009. Photo : Globepix.

Comment «Il Cavaliere» domine la scène italienne depuis quinze ans

EN ITALIE

LORS DES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES DE 2008

47%

des suffrages ont été recueillis par la droite et le centre droit.

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A

Centre associé au CNRS et dirigé par Pascal Perrineau

SOCPRESSE 14, boulevard Haussmann 75009 Paris Président-directeur général Serge Dassault Administrateurs Nicole Dassault, Olivier Dassault, Thierry Dassault, Jean-Pierre Bechter, Olivier Costa de Beauregard, Benoît Habert, Bernard Monassier, Rudi Roussillon

M

ais pourquoi les Italiens votent-ils pour Berlusconi ? C’est la question que se posent nombre de Français amoureux de l’Italie, souvent choqués par le comportement du président du Conseil comme par le périlleux conflit d’intérêts entre ses affaires privées et ses responsabilités publiques qui nourrit de fortes tensions et d’incessantes polémiques. Deux rappels s’imposent d’emblée. D’abord, tous les Italiens ne votent pas pour ce milliardaire, propriétaire d’un groupe qui contrôle entre autres la moitié des chaînes de télévision : il dispose certes d’importants soutiens, mais suscite également une forte hostilité voire de la détestation. Le président du Conseil n’est d’ailleurs pas élu au suffrage universel. Aux élections législatives, son parti, Forza Italia, a obtenu pour la désignation des députés 23,7 % des suffrages en 2006 et, en 2008, devenu le Peuple de la liberté suite à sa fusion avec Alliance nationale, 37,3 % (tableau 1).Certes, Berlusconi en 2008 a pu compter sur les 8,3 % de son allié de la Ligue du Nord, ce qui a concouru à porter le centre droit à près de 47 % des suffrages : mais, si les électeurs de cette formation acceptent une union de raison avec « Il Cavaliere », ils n’ont jamais célébré un mariage d’amour avec lui et ne le reconnaissent pas comme un des leurs. Ensuite, Berlusconi, par deux fois, en 2001 et 2006, a été battu par Romano Prodi. Il n’y a donc pas d’irrésistible ascension de Berlusconi fondé sur une télécratie toute-puissante.

Un leader à double face Néanmoins, Silvio Berlusconi domine la scène politique italienne depuis quinze ans, qu’il soit au pouvoir ou dans l’opposition. Comment interpréter sa présence obsédante, ses trois victoires électorales de 1994, 2001 et 2008, son succès récent aux dernières européennes (tableau 2),

SOCIÉTÉ DU FIGARO SA Directeur des rédactions 14, boulevard Haussmann Étienne Mougeotte 75009 Paris Directeur délégué Jean-Michel Salvator Président Comité éditorial Serge Dassault Michel Schifres, vice-président Directeur général, Directeurs adjoints directeur de la publication de la rédaction Francis Morel Gaëtan de Capèle (Économie), Anne-Sophie von Claer Éditeur (Style, Art de vivre, So Figaro), Frédérick Cassegrain

PAR MARC LAZAR

PROFESSEUR DES UNIVERSITÉS À SCIENCES PO PARIS

«

Il a mis ensemble des valeurs contradictoires, tradition et modernité, libéralisme et protectionnisme, sécurité et compassion sociale

»

fût-il inférieur à ses espérances, et, encore maintenant, sa popularité élevée ? À partir du début des années 1990, l’Italie a été ébranlée par une terrible crise politique. L’opération « Mains propres » des juges milanais a aidé à faire tomber toute une partie de la classe politique traditionnelle, disparaître les partis de gouvernement, en particulier la Démocratie chrétienne et le Parti socialiste, inciter le Mouvement social italien, néofasciste, à se métamor-

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Directeur artistique Jean-François Labour

phoser, renforcer la transformation du Parti communiste en force réformiste, favoriser le développement de la Ligue du Nord et précipiter l’entrée en politique de Silvio Berlusconi. Celui-ci révolutionne la communication politique, utilise les techniques de marketing, et mobilise ses télévisions. Il s’érige en un leader à double face : d’un côté, l’homme qui se prétend nouveau ne respecte pas les règles, lève les tabous, multiplie les provocations, enfreint les règles du métier politique ; de l’autre, au contraire, celui qui se veut homme d’État, tutoyant ses collègues, s’occupant des affaires du monde, redonnant de la fierté à son pays.

Absence d’un adversaire de poids

Berlusconi s’est adapté à la montée en puissance de la démocratie de l’opinion et à la personnalisation de la vie publique. Il s’est révélé un vrai acteur politique, exploitant la crise de la gauche italienne incapable de se doter d’une identité, d’un projet, et de constituer une alternative crédible. Il a unifié les droites en un seul parti, le Peuple de la liberté, et scellé une solide alliance avec la Ligue du Nord à qui il donne en ce moment satisfaction sur presque tout. Il occupe ainsi un vaste espace politique qui va des confins de l’extrême droite au centre modéré. Berlusconi a su conquérir une hégémonie « culturelle », en occupant le vide laissé par la disparition de la Démocratie chrétienne et la faiblesse de la gauche. Il a mis ensemble des valeurs contradictoires, tradition et modernité, Europe et nation, libéralisme et protectionnisme, sécurité et compassion sociale, lutte contre l’immigration clandestine et réconciliation avec la Libye, etc. Cela lui permet de cimenter son bloc social composé de groupes très diversifiés : professions libérales et chefs d’entreprise (notamment dans le nord du pays), commerçants et artisans, mais aussi laissés-pour-compte de la modernisation, personnes apeurées par

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l’arrivée des immigrés, l’Europe, la mondialisation, gens de faible niveau d’instruction, catholiques pratiquants, bref un vaste électorat populaire. Sa popularité est-elle immuable ? Les sondages d’Ipsos enregistrent ses fluctuations (graphique 1). En 2004 et 2005, Berlusconi, au pouvoir depuis 2001, a déçu ses électeurs. L’approche de l’élection et sa campagne hyperactive font remonter sa cote de popularité, et il est battu d’une poignée de voix. Dans l’opposition, il se refait une santé, profitant de l’impopularité du gouvernement Prodi. Réélu en 2008, avec une majorité parlementaire absolue, il connaît un état de grâce vite rompu, entre autres, par l’adoption de la loi Alfano (qui donnait une immunité aux quatre plus hautes charges de l’État, mais qui vient d’être déclarée non conforme à la Constitution par la Cour constitutionnelle et qui est massivement rejetée par les Italiens). Sa popularité remonte au zénith au début de l’année 2009, en particulier au lendemain du tremblement de terre des Abruzzes alors qu’il se rend fréquemment sur place. Mais elle baisse avec les révélations sur sa vie privée. Berlusconi a perdu 6 points (tableau 3) en quelques mois. La chute est particulièrement prononcée chez les catholiques pratiquants, les habitants des petites villes, les Méridionaux, soit l’Italie traditionnelle, sans doute sensible aux critiques venues de l’Église, mais également chez les chefs d’entreprise et les professions libérales, préoccupés par la détérioration de l’économie italienne. Il perd aussi chez les jeunes de 25 à 34 ans et les personnes les plus âgées. À 73 ans, s’annonce sans doute l’automne de Berlusconi. Qui toutefois inspire toujours de la confiance à près d’un Italien sur deux. Et qui bénéficie pour l’instant de plusieurs atouts : le contrôle d’une bonne partie de la télévision et l’absence d’un adversaire de poids comme d’un candidat à sa succession dans son propre camp. Au royaume des aveugles… ■

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Études politiques Figaro-Cevipof 16

mardi 8 septembre 2009

!

Barack Obama: force et faiblesse d’une popularité encore élevée La politique économique et sociale commence à peser sur la cote de popularité de Barack Obama, passée sous le seuil des 60 % au début de l’été. Homme du renouveau de la gauche américaine, le premier président afro-américain doit compter aujourd’hui avec l’émergence d’un scepticisme croissant dans l’opinion alors que se profilent les élections de mi-mandat en 2010. Barack Obama perd notamment du terrain dans le domaine économique et social (couverture sociale universelle, plans économiques). Ce renversement de tendance est d’autant plus significatif pour « l’as » de la communication et de la pédagogie de masse qu’il avait fait la différence sur ce dossier lors de la campagne présidentielle. Toutefois, la cote de Barack Obama reste encore à un niveau élevé sans atteindre les sommets de celle de ses prédécesseurs George H. W. Bush, Ronald Reagan et Jimmy Carter. J. A.

A

Page réalisée en collaboration avec le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), centre associé au CNRS et dirigé par Pascal Perrineau.

Popularité de Barack Obama en 2009

Popularité des six derniers présidents

EN % DE CEUX QUI APPROUVENT*

Moyenne d'appréciation positive pour les présidents DEPUIS 1945, DATES DE MANDAT

SONDAGE SEPT MOIS APRÈS LEUR ARRIVÉE AU POUVOIR

Barack Obama

70

67

66

55 % Bill Clinton

George H. W. Bush

69 %

Lyndon Johnson (1963-1969)

55,1 %

Bill Clinton (1993-2001)

55,1 %

Ronald Reagan (1981-1989)

52,8 %

21-25 janvier

4-10 mai

52

49,4 %

Richard Nixon (1969-1974)

49 %

Gerald Ford (1974-1977)

47,2 %

Jimmy Carter (1977-1981)

45,5 %

Harry Truman (1945-1953)

45,4 %

60 % Jimmy Carter

60 %

17-23 août

Graphique 1

LA VICTOIRE de Barack Obama à l’élection présidentielle du 4 novembre 2008 a été marquée par un engouement populaire que le Parti démocrate n’avait pas connu depuis plusieurs décennies. Avec 53 % des voix, le courant de popularité en faveur du candidat démocrate a mobilisé des groupes qui jusqu’alors boudaient souvent les urnes : les jeunes, les Noirs, les Américains d’origine hispanique. Depuis son entrée en fonction à la Maison-Blanche le 20 janvier 2009, le nouveau président est resté à un haut niveau de popularité (voir graphique 1) mais les premiers signes d’une érosion se font sentir particulièrement sur le terrain économique et social. Depuis juillet 2009, la popularité, telle

George W. Bush (2001-2009)

Ronald Reagan

17-23 août

qu’elle est mesurée régulièrement par l’institut Gallup (1), est passée en dessous de la barre des 60 %. Depuis son entrée en fonction, fin janvier 2009, il a perdu 15 points et la chute est particulièrement sensible depuis le mois de juillet. Dans un premier temps, Barack Obama a su renouer avec des niveaux très élevés de popularité, que son prédécesseur démocrate, Bill Clinton, n’avait pas connus. Sept mois après son arrivée au pouvoir, sa popularité présidentielle est à 56 %, à 12 points devant celle de Bill Clinton mais au même niveau, peu ou prou, que celle atteinte par George W. Bush à l’été 2001 et en deçà des popularités enregistrées pour George H. W. Bush, Ronald Reagan ou encore Jimmy Carter (voir graphique 2).

60,9 %

George H.W. Bush (1989-1993)

44 %

*La question utilisée pour mesurer la popularité du président est la suivante : « Approuvez-vous ou désapprouvez-vous le travail que Barack Obama fait en tant que président ? » (do you approve or disapprove of the job Barack Obama is doing as President ?) % de ceux qui approuvent.

65 %

Dwight Eisenhower (1953-1961)

George W. Bush

60

70,1 %

John Kennedy (1961-1963)

56 %

Graphique 2

Mais il faut reconnaître que les temps ont changé, la crise économique et financière frappe durement la société américaine et érode sa capacité d’enthousiasme vis-à-vis des politiques. En dépit de ce contexte tumultueux, le président Obama garde une popularité nettement positive. On retrouve dans cette popularité élevée les caractéristiques de sa victoire électorale de 2008 : un soutien record chez les jeunes (64 % de job approval chez les jeunes de 18 à 24 ans contre 48 % chez les plus de 65 ans), les minorités ethniques (76 % chez les nonBlancs contre 46 % chez les Blancs) et les Américains modestes (64 % chez les Américains dont le revenu mensuel est inférieur à 2000 dollars contre 50 % chez ceux qui disposent d’un revenu supérieur à 7 500 dollars) (2).

La société américaine reste inquiète Si cette popularité ne faiblit pas, Barack Obama pourra peutêtre intégrer le club des présidents américains populaires (Lyndon Johnson, Ronald Reagan, George H. W. Bush) sans prétendre rejoindre les stars de popularité qu’ont été, en leur temps, Dwight Eisenhower et John Kennedy. Ainsi, si la popularité de Barack Obama est élevée, elle n’est pas, contrairement à ce que l’on entend souvent en France, exceptionnelle au regard de l’histoire de la popularité des douze présidents nord-américains élus depuis l’après-guerre (voir graphique 3). La popularité du président Obama s’enracine à la fois dans la rupture avec G. W. Bush, qui atteignait, en fin de mandat, des plafonds d’impopularité (27 % seulement d’appréciations positives en novembre 2008). À cet égard, Barack Obama est « l’antiBush ». Mais sa popularité ne peut se résumer à ce seul rejet du président sortant. Il y a aussi l’impact d’un style Obama fait à la fois de fermeté, de vision et de proximité avec ses concitoyens. Alors que sa popularité globale a décliné, il garde en juillet 2009 une image personnelle et politique très forte qui en renforce la dimension charismatique. 67 % des Américains pensent qu’il est un « leader fort et capable de décider », 66 % qu’il comprend « les problèmes auxquels les Américains sont confrontés dans leur vie quotidienne » et 59 % qu’il peut « diriger le gouvernement avec efficacité ». Barack Obama a su redonner aux Américains confiance dans l’institution de la présidence (25 % seulement de confiance en 2007, 51 % en 2009) alors que la confiance dans les banques s’est effondrée (41 % en 2007, 22 % en 2009). Mais, globalement, le niveau de confiance dans les institutions politiques reste faible : 17 % pour le Congrès, 28 % pour la justice, 39 % pour la Cour suprême. La société américaine reste inquiète et même parfois très inquiète.

Photos : Le Figaro, Rue des archives

ÉTATS-UNIS

Graphique 3

En décembre 2008, 10 % seulement des Américains déclarent être satisfaits de « la manière dont les choses vont aux États-Unis ».Le déclin est vertigineux depuis le début des années 2000 : en décembre 2001, ils étaient 70 % à

Par Pascal Perrineau

être satisfaits, 50 % en décembre 2003, 45 % en décembre 2004, 36 % en décembre 2005, 30 % en décembre 2006 et 27 % en décembre 2007. Le rendez-vous de décembre 2009 sera décisif pour le destin de la popularité d’Obama et on verra si son action présidentielle réussit à inverser la courbe sans cesse montante des insatisfactions des citoyens américains de l’ère Bush. Ce n’est qu’alors que l’on pourra juger de la capacité de Barack Obama de pouvoir entrer au panthéon des présidents les plus populaires. Tout dépendra de la capacité du président actuel à inscrire sa présidence dans la lignée des grandes « présidences de transformation » (transformational presidency) que les États-Unis ont pu connaître dans le passé. James MacGregor Burns, dans son étude du leadership politique (Leadership, Harper and Raw, New York, 1978), a été le premier à introduire cette notion de transformational leadership, un leadership qui crée un changement significatif dans la vie des gens et des organisations et qui redessine les perceptions et les valeurs, qui change les attentes et les aspirations de ceux qui suivent le leader. Ce type de leadership rappelle la figure de la « présidence de reconstruction » que le politologue Stephen Skowronek, dans son remarquable ouvrage The Politics Presidents Make. Leadership from John Adams to George Bush (The Belknap Press of Harvard University Press, 1993) avait associée à Abraham Lincoln et à Franklin Delano Roosevelt. Le président reconstructeur est celui qui crée un « nouveau régime ».

La fin d’une ère ouverte par Reagan Le New Beginning de Reagan comme le New Deal de Roosevelt ont mis en place de nouveaux régimes au sens où l’entend Joseph Skowronek. Qu’en est-il de la présidence Obama ? Douglas Brinkley, professeur d’histoire à Rice University et biographe de nombreux présidents américains, dit qu’il croit que l’élection d’Obama a marqué la fin d’une ère ouverte par Reagan. « L’âge de Reagan a duré de 1980 à 2008. Nous sommes

Source : Gallup

maintenant dans l’âge d’Obama. (…) Il y a un nouveau progressisme. Même pendant les huit années de Bill Clinton, il était l’otage des politiques républicaines. Il faisait partie intégrante de l’ère Reagan. Aujourd’hui, c’est une nouvelle ère, l’ère la plus progressiste en matière politique depuis 1964 avec Lyndon Johnson. » Pour l’instant, le leader « transformationnel » semble emporter la conviction sur le terrain de la politique étrangère et sur celui du terrorisme, mais la résistance de l’ère ancienne est plus forte sur le terrain économique et social. Depuis le début de l’été, les difficultés s’accentuent et les reproches commencent à fuser particulièrement sur le terrain économique (efficacité du plan de relance, aide apportée à General Motors, coût des dépenses publiques…) et sur le terrain social (réforme du système de santé et de la couverture sociale). Si Barack Obama convainc une majorité parfois large d’Américains sur le terrain des affaires étrangères, sur la situation en Irak, sur la situation en Afghanistan ou encore sur le terrorisme, il est, depuis le début de l’été, en minorité sur les affaires économiques et sociales. 55 % des personnes interrogées le désapprouvent sur la question du déficit du budget fédéral, 50 % sur celle de la politique du Healthcare et 49 % sur celle, plus large, de la gestion de l’économie. Sur ce dernier point, la désapprobation a progressé de 19 points depuis début février.

L’économie, priorité des Américains Les « fondamentaux » de la politique étrangère, de l’image des États-Unis à l’étranger, des qualités personnelles restent au beau fixe, mais les nuages se profilent à l’horizon du paysage économique qui reste aux yeux des citoyens américains le terrain de bataille décisif où se feront les victoires et les défaites politiques de demain. En juillet (10-12 juillet), 69 % des Américains pensaient que l’économie en général est le problème le plus important auquel le pays est confronté aujourd’hui ; 38 % le chômage ; 19 % le manque d’argent, 16 % le système de santé. À l’été 2008, avant le déclenchement de la crise économique et financière, ils n’étaient que de 20 à 30 % à mentionner l’économie. C’est sur l’économie que Barack Obama s’est imposé il y a un an, c’est sur le terrain de l’économie et du social qu’il rencontre ses premières vraies difficultés, que sa popularité, encore bien réelle, peut ternir et que les ambitions d’une présidence « transformationnelle » rencontreront le plus d’obstacles (1) Tous les sondages cités dans cet article sont des sondages de l’institut Gallup que l’on peut consulter sur le site http://www.gallup.com/ home.aspx (2) Sondage Gallup 27 juillet2 août 2009 Obama Job Approval.


Études politiques Figaro-Cevipof 14

mardi 2 juin 2009

!

Nicolas Sarkozy ou le présidentialisme assumé Le chef de l’État a imposé, dans le style et la forme, un nouveau mode d’exercice du pouvoir. La personnalité du président, son activisme, son style et ses choix politiques révèlent une forme singulière de l’exercice du pouvoir présidentiel. Toutefois, « la fibre bonaparto-gaulliste qui constitue l’un des tempéraments majeurs de la droite française » innerve le « sarkozysme », affirme Pascal Perrineau. Tant dans l’exercice du pouvoir que dans l’usage de la médiatisation, le président a mis ses pas dans ceux de ses prédécesseurs : il n’a pas inventé l’hyperprésidentialisation, que pratiquaient déjà de Gaulle et Mitterrand, mais il l’a poussée plus loin. Il n’a pas innové « en articulant étroitement exercice du pouvoir présidentiel et maîtrise de l’agenda médiatique », mais il exploite un registre ouvert par Giscard d’Estaing. La modernité du sarkozysme réside, selon Pascal Perrineau, « dans la transgression des barrières qui séparent vie publique et vie privée, et même, au sein du privé, vie intime et non intime ». À l’aune de la place du libéralisme dans l’histoire de France, Lucien Jaume montre comment Nicolas Sarkozy s’emploie à adapter ses convictions libérales en phase avec la mondialisation au rôle de l’État, auquel les Français sont historiquement attachés. « Depuis son élection, note-t-il, la ligne Sarkozy apparaît comme un mixte d’étatisme ou d’esprit sécuritaire et de foi dans la liberté des individus. » J. A.

Considérez-vous que les qualificatifs suivants s'appliquent bien à Nicolas Sarkozy ? EN % DE RÉPONSES POSITIVES

85

Dynamique

75

Courageux Sait prendre des décisions difficiles A une stature internationale

66 64

Compétent Maîtrise bien ses dossiers Dans le temps long des cultures politiques françaises, on découvre des continuités et des ruptures permettant de cerner la réalité de l’exercice sarkozyste du pouvoir : pérennité et affirmation du présidentialisme, mariage intime de l’action politique et de l’action médiatique et adaptation de l’exercice du pouvoir à une société qui a changé.

Par Pascal Perrineau *

Un bonapartisme du XXIe siècle Le présidentialisme renforcé de Nicolas Sarkozy est décodé comme un signe d’une « dérive monarchique », au mieux, autoritaire, au pire. Or, la plupart des monarchies sont héréditaires et dynastiques. La référence, telle que l’avance Alain Duhamel, à un « bonapartisme du XXIe siècle » et à un « pouvoir consulaire » est plus pertinente dans la mesure où elle implique la conservation de la forme républicaine de la France et la suprématie du pouvoir d’un homme légitimé par le suffrage universel. Si Nicolas Sarkozy a poussé plus loin le processus que ne l’avaient fait ses prédécesseurs, l’hyperprésidentialisation n’a pas été inventée par lui. Souvenons-nous du général de Gaulle lors de la conférence de presse du 31 janvier 1964 : « Il doit être évidemment entendu que l’autorité indivisible de l’État est confiée tout entière au président par le peuple qui l’a élu, qu’il n’en existe aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciai-

54 54 52

Capable de réformer le pays Sympathique À la hauteur des événements

42 41 41

60

A le sens de l'État Sait où il va

50 48 46

Fait ce qu'il dit A un vrai projet pour la France Fait un bon président de la République

36

L'image de Nicolas Sarkozy

re, qui ne soit conférée et maintenue par lui, enfin qu’il lui appartient d’ajuster le domaine suprême qui lui est propre avec ceux dont il attribue la gestion à d’autres… » François Mitterrand a maintenu la lecture gaullienne des institutions en préservant les prérogatives du président. À peine élu, il déclarait le 2 juillet 1981 :« J’exercerai dans leur plénitude les pouvoirs que me confère la Constitution (…). Nul n’ignore, au sein du gouvernement comme ailleurs, que le président de la République peut à tout moment faire prévaloir l’opinion qu’il a de l’intérêt national. » Hyperprésidence ne veut pas dire omnipotence. Nicolas Sarkozy exerce une emprise sur l’État plus clairement affichée, par exemple, que celle de Georges Pompidou hier. Mais cette emprise n’est pas plus forte sur l’État de 2009, elle l’est incomparablement moins que sur l’État de 1969. Enfin, la réforme de la Constitution mise en œuvre à l’été 2008 revalorise beaucoup le rôle de contrepoids du Parlement.

L’omniprésence médiatique Nicolas Sarkozy n’est pas le premier président à articuler étroitement exercice du pouvoir présidentiel et maîtrise de l’agenda médiatique. Giscard faisant figurer sa fille sur les affiches de la campagne présidentielle de 1974, Mitterrand donnant en 1985 des leçons de modernité langagière et médiatique au journaliste très branché qu’était Yves Mourousi, Jospin poussant la chansonnette dans une émission de Patrick Sébastien… la « politique spectacle » est une vieille affaire. En revanche, enfant lui-même de la télévision, le président actuel a épousé plus étroitement les logiques de la communication audiovisuelle et les a poussées à leur point d’orgue. La communication accompagne intimement l’action politique à tous ses stades. Une des caractéristiques fortes de ce nouveau registre communicationnel réside

Proche des gens

30 26

dans la transgression des barrières qui séparent vie publique et vie privée et même au sein du privé, vie intime et vie non intime. La privatisation de l’espace public n’a, là aussi, pas attendu Nicolas Sarkozy pour s’épanouir. Famille et politique présidentielle ont pu être intimement mêlées sous François Mitterrand ou sous Jacques Chirac. En revanche, l’exposition d’une certaine intimité de la vie d’un président est davantage liée à la présidence Sarkozy. Elle comporte des risques car si l’intime est dévoilé, il y a transgression et cela peut troubler, après les avoir attirés, les citoyens qui y assistent. Ce dévoilement de la vie personnelle du président, particulièrement sensible dans l’année qui a suivi la victoire du 6 mai 2007, a pu coûter cher à Nicolas Sarkozy en termes d’image et de popularité.

Les deux corps du président Ce nouveau style d’exercice du leadership qui peut ignorer la part d’ombre et de distance qui participe de l’autorité présidentielle traditionnelle est à l’origine d’un processus de désymbolisation dont il est difficile de mesurer tous les effets. Pour reprendre les catégories de Kantorowicz (« Les deux corps du Roi »), le « corps naturel », prosaïque qui marque la proximité d’un président suractif, a envahi le « corps politique », hiératique qui symbolise la distance et la solennité de la République. Pour l’instant, le premier corps l’emporte sur le second. La « personne » a envahi la « fonction » et a perturbé le cérémoniel, davantage solennel, auquel la République gaullienne nous avait habitués. Il est frappant de voir que l’enquête CSA sur l’image de Nicolas Sarkozy (infographie ci-dessus) propulse au premier plan des qualités liées à la « personne » : le dynamisme, le courage, la capacité à prendre des décisions difficiles qui définissent l’activisme présidentiel lui sont accordés par plus des deux tiers des personnes

Apporte des solutions aux problèmes des Français Suffisamment à l'écoute de tous les Français

Source : Sondage CSA/Le Parisien Mai 2009

EXÉCUTIF

LE FIGARO

interrogées ainsi que des qualités liées à la dimension la plus régalienne de la fonction (sens de l’État, stature internationale) sur laquelle il s’était nettement imposé face à Ségolène Royal et qui a été réactivée lors de sa présidence de l’Union européenne. Cependant, les attentes vis-à-vis de la fonction présidentielle ont évolué dans la société d’aujourd’hui. On l’avait déjà ressenti lors de la campagne présidentielle. Les électeurs hésitent entre un président en pleine « capacité », sachant manier l’autorité et éventuellement la distance qui sied à tout pouvoir suprême, et une autre figure, celle d’un président plus proche, plus « ordinaire », « sans qualités ». Ces deux figures de la « capacité » et de la « proximité » se sont affrontées en 2007, elles sont toujours à l’œuvre en 2009. Sur cette deuxième dimension plus empathique et moins verticale, Nicolas Sarkozy est moins bien placé. Les inquiétudes et fragilités liées à la crise redonnent à cette deuxième dimension un espace et expliquent la position plus difficile de Nicolas Sarkozy lorsqu’on demande à l’opinion de savoir si la notion de « bon président de la République » s’applique bien à lui. Dans le style et dans la politique, dans la forme et dans le fond, le sarkozysme, tout en étant très marqué par la modernité, s’inscrit selon René Remond, dans «cette combinaison de la référence au peuple souverain et de l’aspiration à un pouvoir fort, cette alliance de l’autorité et de la démocratie, assortie d’une tonalité sociale, le tout accompagné d’une intention ou d’une affectation de modernité », caractéristique de cette fibre bonaparto-gaulliste qui constitue un des tempéraments majeurs de la droite française. Comme tout pouvoir qui marque, Nicolas Sarkozy invente et perpétue. * Directeur du Centre d’études de la vie politique française (Cevipof)-Centre de recherches politiques de Sciences Po.

Le chef de l’État est-il un libéral? Son pragmatisme n’est pas une rupture dans notre histoire.

Page réalisée en collaboration avec le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), centre associé au CNRS et dirigé par Pascal Perrineau

TOUT président est contraint à prendre en charge l’histoire de la France. À tra vers l’opinion publique et les institutions, le passé exerce une forme de présence. Pour savoir si Sarkozy appartient au libéralisme, il convient de comparer avec la culture de la liberté en France. Ce terrain est plus assuré que celui d’un « sarkozysme » hypothétique, étant donné qu’il est encore trop tôt et, surtout, compte tenu du pragmatisme foncier de ce président. Depuis son élection, la ligne de Sarkozy apparaît comme un mixte d’étatisme, ou d’esprit sécuritaire et de foi dans la liberté des individus. Telle est la culture de la

liberté en France ; c’est l’État qui, durant la monarchie, sous la Révolution, avec Napoléon, puis dans la continuité républicaine, a été le fabricant de l’unité nationale, le protecteur du lien social et le défenseur de valeurs universelles à l’extérieur. En même temps, par les droits de l’homme, le Code civil, l’école laïque et les voies de l’élitisme républicain, l’État favorise la liberté en l’encadrant. Ce n’est pas contraire aux principes libéraux, malgré ceux qui croient que le libéralisme est le désordre. Dans le cadre du libéralisme gouvernant, depuis Guizot jusqu’à Giscard d’Estaing ou Balladur, l’État a privilégié l’appel à une liberté organisée d’en haut, plus que la libre association des individus, des communautés locales et des intérêts

à la façon américaine. S’impose en effet cette mission de préserver l’égalité et de protéger les plus faibles qui témoigne de plus loin que l’idée républicaine du XIXe siècle : c’est la marque de la lutte contre l’Ancien Régime et les privilèges déclarés et officialisés par la loi.

Favoriser l’émergence de règles Sarkozy a des convictions libérales, en phase avec la mondialisation, mais il doit les adapter au rôle de l’État auquel les Français sont attachés, tantôt comme pacificateur dans nos guerres civiles tantôt comme protecteur des services d’intérêt général. Donner davantage la parole à la société, favoriser l’émergence de règles chez les acteurs euxmêmes, tel est et restera le pôle libéral ; en

revanche, réformer les institutions et le service public, lutter contre la crise appelle un volontarisme d’État assez voyant. Ce pragmatisme étatico-libéral n’est pas une rupture dans notre histoire, pas plus que la personnalisation du pouvoir destinée à dramatiser les changements. Sarkozy est républicain et libéral, partie par conviction, partie par devoir d’État : la prose de son action est de tradition française, son lyrisme ou son vedettariat participe à la mondialisation. Il faut distinguer les deux registres que l’acteur marie habilement sur la scène politique nationale et internationale. LUCIEN JAUME (Directeur de recherches Sciences Po Cevipof CNRS)

ÉVÉNEMENT ROLAND-GARROS SUR RENDEZ-VOUS PLACE DES MOUSQUETAIRES EN DIRECT ET EN PUBLIC Jean-Marc MORANDINI Lundi - Vendredi • 11h00 - 14h00

Alexandre DELPÉRIER et Fabrice SANTORO Lundi - Jeudi • 20h00 - 22h30

A

Alexandre RUIZ et Fabrice SANTORO Vendredi • 20h00 - 22h30 Samedi - Dimanche • 15H00 - 23H00

europe1.fr


Études politiques Figaro-Cevipof 16

mardi 26 mai 2009

!

Le socialisme européen en panne de modèle ÉLECTIONS EUROPÉENNES

À l’aune du reflux de leur présence gouvernementale dans les États de l’Union où ils gouvernent dans huit pays contre onze en 2001, les sociaux-démocrates pourraient enregistrer une nouvelle perte d’influence le 7 juin, date du renouvellement du Parlement européen. En dépit de la crise et de leurs incantations au retour de l’État providence, les sociaux-démocrates peinent à se mettre en phase avec leur électorat historique. En France, le PS a toujours tenu ses distances avec les tentatives de « modernisation » de la social-démocratie notamment vis-à-vis du « blairisme ». Néanmoins, le PS n’est pas parvenu à enrayer la désaffection des ouvriers, employés et des personnels de la fonction publique. Sa nature profonde l’y empêche. C’est ce que démontre Marc Lazar, qui met au jour les principaux points d’achoppement. « Le PS, qui n’a jamais procédé à un vrai bilan historique de la gauche et du communisme, cède une fois encore à ses vieilles inclinations : il gauchit son discours contre le capitalisme sous la pression de la gauche radicale désormais plus trotskiste que communiste. » Pour Pascal Perrineau, le vote socialiste « n’est plus l’expression politique privilégiée des couches populaires ». En un quart de siècle de consultations politiques, sa base électorale s’est rétrécie. À preuve en 2007 « la proportion de bourgeois, cadres et professions intellectuelles ayant voté à gauche étant équivalente à celle des ouvriers qui ont fait de même ».

J. A.

Le PS dans les urnes depuis 1974 Les candidats du parti socialiste aux présidentielles

EN % DES SUFFRAGES EXPRIMÉS

1981 et 1988 François Mitterrand

1995 et 2002 Lionel Jospin

2007 Ségolène Royal

34,10

35

30

25,85

25

23,30

23,53

20

Européennes

25,87

Présidentielle

24,73

Législatives

16,18

19,1

15

28,9

Source : sondages post-présidentiels Sofres,

10

Cevipof, Ifop

1972

1975

1978

1981

1984

1987

1990

1993

1996

1999

2002

2005

2008 LE FIGARO

À l’instar de la gauche réformiste européenne, le PS est confronté à un vide d’identité. CHAQUE parti qui compose le socialisme européen présente des points communs avec les membres de cette famille et des particularités déterminées par une longue histoire et son insertion dans le système politique national. Le socialisme en France, quel que soit le nom que le parti ait pris au fil du temps, a néanmoins d’indéniables singularités au regard des partis sociauxdémocrates d’Allemagne, d’Autriche et des pays scandinaves. À la différence des puissantes machines sociales-démocrates, le PS, doté d’une fragile organisation, n’entretient que des liens lâches avec les confédérations syndicales, à l’exception de ceux noués avec les syndicats des enseignants. De même, il n’a toujours eu qu’un faible enracinement dans la société, hormis dans le Nord-Pasde-Calais. Son électorat était et reste moins important qu’ailleurs en Europe et la classe ouvrière y occupe une portion congrue.

Le tournant des années Mitterrand En outre, le PS a été confronté à la vive concurrence du PCF, qui, de 1945 à la fin des années 1970, l’a largement dominé. Cela a accentué ses propres caractéristiques idéologiques et politiques : l’obsession de ne pas avoir d’ennemi sur sa gauche, le refus du réformisme, la réticence au compromis, l’inclination à la radicalité, un goût prononcé pour l’intransigeance doctrinale, une propension à la division, la difficulté à

assumer l’exercice du pouvoir comme l’ont montré Alain Bergounioux et Gérard Grunberg dans L’ambition et le remords. Les socialistes français et le pouvoir. Les années Mitterrand, de 1971, lorsque celui-ci s’empare du nouveau PS, à 1995, date de la fin de sa seconde présidence, représentent un tournant. Dans un premier temps, la stratégie de l’union avec le PCF accentue ses traits avec sa volonté de rompre avec le capitalisme, son vaste programme de nationalisations et sa critique de la « timidité » sociale-démocrate. Pareille continuité coexista avec les ruptures introduites par François Mitterrand, comme l’assimilation de la logique présidentielle des institutions de la Ve République.

Crise du leadership Dans un second temps, à partir du tournant de la rigueur, en 1983-1984, s’amorce une conversion forcée à une culture pragmatique de gouvernement, assez semblable à celle des autres socialistes européens, et, de manière quasi honteuse, au réformisme comme référence identitaire. Débarrassé du défi communiste (le PCF s’est effondré en quelques années), le PS se rapproche alors des partis sociaux-démocrates. Un rapprochement facilité par sa pleine intégration au sein de l’Internationale socialiste et du Parti socialiste européen (PSE). La situation présente du PS est proche de celle du reste de la gauche réformiste européenne. Comme les autres partis, le PS est confronté à un dilemme de stratégie : faut-il s’allier avec les forces centristes

ou avec celles qui sont sur sa gauche ? Son électorat présente une structure comparable à celle de la plupart des autres partis de gauche : des salariés de plus de 50 ans, appartenant plutôt au secteur public, vivant dans des grandes villes, diplômés, partageant des valeurs « libertaires » ; en revanche, il ne comporte guère de jeunes, de catégories populaires, de précaires ou de salariés du privé. Le PS, à l’instar de toute la gauche européenne, est confronté à un vide d’identité : son réformisme ne s’avère guère tranchant ni mobilisateur et encore moins son socialisme. Enfin, il butte sur la question du leadership, non point par manque de talents mais parce que l’autorité du leader est affaiblie par sa traditionnelle culture des égaux et la compétition entre les ego.

Le poids considérable de la fonction publique Connaître des tourments comparables signifie-t-il pour autant que le PS est désormais un parti socialiste comme les autres ? Le PS conserve encore des traits qui le spécifient. Ses traditionnelles faiblesses organisationnelles continuent de le différencier comme son positionnement idéologique. La grande entreprise de rénovation de la gauche des années 1990, symbolisée par le blairisme, visait à relancer une social-démocratie en voie d’épuisement par l’assimilation du libéralisme, la reconnaissance de l’économie de marché sans approuver la dérégulation généralisée et le déploiement de politiques publiques innovantes,

notamment en matière d’éducation, de recherche et de formation professionnelle. Alors qu’elle a partout nourri discussions et controverses, le PS a majoritairement choisi de l’esquiver ou de la dénigrer. Aujourd’hui, avec la crise financière et économique, il pense que le « social-libéralisme » est mort et que le temps de l’État est de retour, ce qui lui donnerait rétrospectivement raison. Le PS, qui n’a jamais procédé à un vrai bilan historique de la gauche et du communisme, cède une fois encore à ses vieilles inclinations : il gauchit son discours contre le capitalisme sous la pression de la gauche radicale désormais plus trotskiste que communiste. Les autres partis socialistes et sociaux-démocrates cherchent quant à eux à inventer de nouvelles formes de régulation et à lutter contre les inégalités sociales qui se sont creusées sans renoncer à leur acceptation de l’économie de marché, à l’impératif de la réforme de l’État et au refus de l’esprit d’assistance. Enfin, le PS est plus dépendant du secteur public et de la fonction publique qui exercent un poids considérable et, en un certain sens, se servent désormais de lui pour imposer leurs propres intérêts. Ainsi, bien que le PS adhère au manifeste du PSE pour les élections européennes, il s’avère à la fois un parti socialiste comme un autre et irréductiblement différent. MARC LAZAR * Professeur des universités à Sciences Po.

Le PS perd son audience populaire En 1988, Mitterrand réunissait 41 % du vote ouvrier au premier tour de la présidentielle. En 2007, Royal n’en attirait plus que 25 %. DANS sa période de gloire, l’électorat socialiste a su agréger trois types d’électorats : l’électorat ouvrier et plus largement des couches populaires (ouvriers et employés), celui de la fonction publique et celui des bourgeois à haut niveau de diplôme dont une partie s’incarne dans la catégorie des bobos. En 1988, François Mitterrand attirait, au premier tour, 41 % du vote ouvrier, 37 % de celui des employés, 40 % de celui des fonctionnaires et 29 % du vote des cadres et professions intellectuel-

A

Par Pascal Perrineau *

Page réalisée en collaboration avec le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), centre associé au CNRS et dirigé par Pascal Perrineau

les. Vingt ans plus tard, en 2007, la candidate socialiste ne recueille que 25 % du vote ouvrier (– 16 %), 24 % du vote des employés (– 13 %), 29 % du vote des salariés du public (– 11 %) et 25 % du vote des cadres et professions intellectuelles (– 4 %). La chute d’influence dans les milieux populaires et dans le monde du public est sévère et dépasse en intensité l’érosion de l’influence nationale (Ségolène Royal a rassemblé 9 points de moins que François Mitterrand dans l’ensemble de l’électorat). Seuls les secteurs les plus bourgeois de l’électorat (cadres et professions intellectuelles) ont mieux résisté. Ces mouvements divers se sont traduits par un em-

Vote en faveur du PS au 1er tour de la présidentielle

35

Vote ensemble électorat

41 29

23

1988

Vote ouvrier

Vote des cadres et professions intellectuelles

26

25

21

16

1995

13

25

18

2002

25 Source : sondages post-présidentiels Sofres, Cevipof, Ifop

2007 LE FIGARO

bourgeoisement de l’électorat socialiste. Cette évolution est encore plus sensible quand on compare les seconds tours de 1988 et de 2007, où le candidat socialiste représente l’ensemble de la gauche : en 1988, François Mitterrand captait 75 % du vote ouvrier et 50 % du vote des cadres et professions intellectuelles, en 2007 Ségolène Royal rassemble seulement 48 % du vote ouvrier et 46 % du vote des cadres et professions intellectuelles. La chute est vertigineuse en milieu ouvrier (– 27 %) alors que l’érosion n’est que faible en milieu bourgeois (– 4 %). En 2007, la proportion de bourgeois, cadres et professions intellectuelles qui ont voté à gauche (46 %) est équivalente à celle des ouvriers qui ont fait de même (48 %). En 1988, le différentiel entre ces deux pourcentages était de 25 points, il n’est plus en 2007 que de deux points. La polarisation politique recoupait une forte polarisation sociale. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Une force de plus en plus imprévisible Le PS, au premier comme au second tour de l’élection présidentielle, ne peut plus se présenter comme l’expression politique privilégiée des couches populaires. Au premier tour, en 1988, le candidat socialiste faisait 12 points de plus en

En savoir plus - A. Bergounioux, G. Grunberg, L’Ambition et le Remords. Les Socialistes français et le pouvoir, Paris, Pluriel, 2007. - E. Külahci, La Social-démocratie et le chômage, Bruxelles, Éd. de l’Université de Bruxelles, 2008. - R. Lefebvre, F. Sawicki, La Société des socialistes. Le PS aujourd’hui, Bellecombes-en-Bauge, Éd. du Croquant, 2006.

milieu ouvrier qu’en milieu bourgeois, en 1995 il faisait 4 points de moins, en 2002, 5 points et en 2007 il faisait jeu égal (voir graphique ci-dessus). Ségolène Royal s’est contentée de stopper le processus d’embourgeoisement du PS, elle ne l’a pas du tout inversé. Cette perte massive des couches populaires est sensible dans l’ensemble de la famille socialiste en Europe. Ce qui a été politiquement et idéologiquement construit à la fin du XIXe siècle et pendant les premières décennies du XXe siècle, à savoir la représentation des couches populaires derrière le mouvement socialiste, est en train de se déstructurer. L’abstention, la droite et souvent la droite

extrême ainsi que la « gauche de la gauche » attirent autant sinon plus que le PS. Dans le dernier sondage d’intentions de vote pour les européennes réalisé par l’Ifop pour Paris Match, 19 % seulement des ouvriers annoncent un vote PS, 14 % un vote MoDem, 15 % un vote UMP, 24 % un vote pour les forces de « la droite de la droite » (FN et souverainistes) et 22 % un vote pour la « gauche de la gauche ». Le vote bourgeois en faveur du PS continue en revanche à prospérer : 35 % des cadres supérieurs et professions libérales s’apprêtent à voter en faveur des listes socialistes. Le « peuple » est électoralement une force de plus en plus indomptable et imprévisible, le Parti socialiste en souffre. * Directeur du Centre d’études de la vie politique française (Cevipof)-Centre de recherches politiques de Sciences Po.

■ Précision : dans l’article intitulé « D’où viennent les électeurs du MoDem » publié dans nos éditions du 19 mai 2009, le rapport de forces entre l’UMP et le PS faisait référence à l’enquête OpinionWay Fiducial pour Le Figaro. Ce sondage, paru dans nos éditions du 13 mai, l’estimait à 27 pour l’UMP et à 22 pour le PS.


Études politiques Figaro-Cevipof 14

mardi 19 mai 2009

!

D’où viennent les électeurs du MoDem La consultation du 7 juin sera un test sur la capacité de François Bayrou à coaliser un électorat hétérogène.

Champions de l’intégration européenne, les démocrateschrétiens des États fondateurs de l’Union peuvent se targuer d’une expérience gouvernementale de plus d’un demi-siècle. Ce courant idéologique est né des clivages socio-économiques et du clivage entre l’État et l’Église caractérisant la fondation de l’État moderne. Prenant l’exemple des partis « centristes agrariens » des pays Baltes et scandinaves, David Hanley ajoute un troisième clivage opposant « le monde urbain à la ruralité ». À l’étroit dans les régimes bipolaires, le centrisme s’épanouit dans le multipartisme favorisé par les élections à la proportionnelle. Sous la Ve République, après l’effondrement du MRP en 1967, le centrisme est ravalé au rang de force d’appoint vouée à la recherche d’alliances qui lui permettront de peser sur la vie politique. Le « centrisme autonome de Bayrou n’est pas en position de bouleverser le rapport de forces entre les grands partis de la gauche et de la droite », assure Pascal Perrineau. Pour ouvrir une brèche électorale lors de l’élection européenne, François Bayrou doit marier « l’héritage de la vieille tradition démocrate-chrétienne à une sociologie plus moderne de citoyens aisés, diplômés aspirant à une alternative politique ». Même si on se souvient de son bon score à l’élection présidentielle de 2007 (18,6%), cette tâche s’avère ardue. J. A.

LE CENTRISME a toujours été une réalité électorale sous la Ve République, même si la logique très bipolaire des institutions lui a réservé une place plus ténue que sous la IVe République. En dépit de ce processus de laminage électoral, Jean Lecanuet soutenu par le MRP en 1965 rassembla 15,6 % des suffrages, Alain Poher, en 1969, en attira 23,3 % ce qui reste le point d’orgue du centrisme sous la Ve République. François Bayrou reprit, en 2002, l’héritage de ce centrisme aux velléités oppositionnelles mais n’agrégea que 6,8 % des votes autour de sa personne. Ce n’est qu’en 20062007, après avoir mis fin à l’alliance qui le rattachait à la droite et créé cet « hypercentre » indépendant, qu’il parvint à faire renouer le centrisme avec un score à deux chiffres : 18,6 % au premier tour de l’élection présidentielle de 2007. Le MoDem reste la troisième force du paysage politique français derrière l’UMP (27 %) et le PS (22 %). Le centrisme autonome de François Bayrou n’est pas encore en position de bouleverser le rapport de forces entre les grands partis de la gauche et de la droite. Il est à 14points de l’UMP et à 9 points du PS dans un statut qui reste, jusqu’à nouvel ordre, celui de la plus grosse des « petites forces » (quatre points devant les écologistes, six points devant le NPA et le FN).

Devenir la deuxième force Le paradoxe veut qu’un François Bayrou qui ne cesse de dénoncer « l’hyperprésidence » et le « pouvoir personnel » ne puisse compter que sur l’élection présidentielle et l’aventure personnelle consubstantielle à la candidature à une telle élection, pour envisager de « rebattre les cartes » et de passer du statut, certes enviable mais marginal, de troisième force à la position de deuxième force autour de laquelle la donne politique se réorganise en profondeur. Jusqu’à maintenant une telle ambition a toujours

Les centristes aux présidentielles et aux européennes Jean Lecanuet

18,6 %

VOTE AUX PRÉSIDENTIELLES, en %

François Bayrou

VOTE AUX EUROPÉENNES, en %

15,6 % 20

Alain Poher

23,3 %

15

9,3 %

Simone Veil

10

12 %

8,4 %

6,8 %

5

François Bayrou

0

1965

1969

échoué : Lecanuet fut écarté du second tour en 1965 par un François Mitterrand, candidat de la gauche unie dès le premier tour, Alain Poher, qui avait pourtant atteint le second tour, fut sévèrement battu en 1969 par Georges Pompidou. En 2002, François Bayrou se contenta d’un modeste témoignage. Enfin,

1989

Par Pascal Perrineau *

jouer le rôle du supplétif électoral qui jusqu’alors a été le sien. Cela exige qu’il domine le candidat socialiste, ce que seul Alain Poher avait réussi à faire en 1969 mais, à l’époque, le courant socialiste était exsangue. Et même cette éventuelle suprématie électorale n’est pas complètement garante de la victoire finale puisque Alain Poher avait été écrasé (41,8 %) par le candidat de droite, Georges Pompidou.

en 2007, il resta le « troisième homme », certes à un niveau conséquent (18,6 %) mais fut nettement dominé par Nicolas Sarkozy (31,2 %) et même Ségolène Royal (25,9 %). Il espère devenir en 2012 le « deuxième homme » et ne plus

L’électorat du dernier moment Mais il est vrai que la gauche de l’époque était sous influence d’un communisme fort peu sensible aux sirènes du socialo-centrisme. Aujourd’hui l’espace du socialocentrisme est plus significatif : le PCF est marginal, le PS hésite sur ses stratégies d’alliance, des mobilités significatives se sont installées entre l’électorat de gauche et l’électorat centriste : en 2007, sur 100électeurs qui ont voté pour François Bayrou, 40 avaient choisi la gauche en 2002 contre seulement 26 la droite. Cet électorat capable de recueillir les frustrations et les

1999

déceptions est fragile et volatil. C’est souvent un électorat du dernier moment qui marie à la fois l’héritage de la vieille tradition démocrate chrétienne (parmi les départements qui ont offert à Bayrou ses meilleurs scores, on compte beaucoup de terres de forte pratique catholique : Finistère, Ille-etVilaine, Haute-Loire, Pyrénées-Atlantiques, Bas-Rhin, Haute-Savoie) et une sociologie plus moderne où nombre de jeunes électeurs et de citoyens aisés et diplômés disent, dans leur vote, leur volonté d’une « alternative ». Reste à l’homme qui tente de coaliser cet électorat hétérogène à organiser la fidélisation de ses soutiens et à amplifier le ralliement. La tâche est difficile, les législatives de juin 2007 et les municipales et cantonales de 2008 ont montré que le chemin était parsemé d’embûches et d’obstacles. Les européennes du 7 juin s’inscriront-elles dans cette continuité ou marqueront-elles l’ouverture de la brèche électorale pour le leader du MoDem ? * Directeur du Cevipof.

2002

2004

2007

Source : Cevipof Photo: ©Rue des Archives/AGIP, Sébastien Soriano, Derrick Ceyrac

ÉLECTIONS EUROPÉENNES

La palette centriste dans l’Union européenne Classification réalisée d’après le titre du parti, ou selon les critères des politologues. Les partis membres du PPE (Parti populaire européen) sont exclus. Bulgarie : Dvizenie za Prava i Svobodi (DPS)**. Chypre : Dimokratoko Komma (DIKO) ; Europaiko Komma (EK)*. Estonie : Eseti Keskerakond (EK)**. Finlande : Suomen Keskusta (Kesk)* (agrarien). France : MoDem*; Nouveau Centre. Lettonie : Latvijas Cels (LC) (agrarien)**. Lituanie : Darbo Partija *(DP) ; Liberalu ir Centro Sajunga (LiCS)**. Suède : Centerpartiet* (agrarien). * Membre du Parti démocrate européen. ** Membre du parti ELDR ou groupe Alde du Parlement européen.

A

1

Bayrou ou l’éternel dilemme du centre C’EST d’abord en termes négatifs que le centre se définit;il ne se veut ni de droite ni de gauche. Ces deux pôles idéologiques doivent être pris dans un sens socio-économique. Pour utiliser la terminologie du célèbre politologue norvégien Stein Rokkan, sur la genèse des clivages politiques en Europe au XIXe et XXe siècles, ils sont l’expression d’un clivage fondamental survenu dans le devenir de la société moderne lors de son industrialisation. La droite se portant davantage du côté des possédants, la gauche plutôt du côté de ceux qui n’ont pas de propriété. Traduite sur le plan des partis politiques, la droite rassemble donc les partis conservateurs, voire libéraux ; la gauche est socialiste ou communiste. Ce qui, a priori, laisse peu d’espace au centre, si ce n’est pour devenir un pôle de ralliement – provisoire ? – pour les déçus de droite ou de gauche. D’autres clivages politiques que le seul clivage socio-économique peuvent servir de base pour fonder un parti. Le clivage État/ Église a produit des partis de « défense religieuse », surgis en réponse à l’offensive « modernisante » portée par des partis de type libéral ou radical et devenus progressivement des partis démocrates chrétiens. En fait, quand on parle de centrisme, il s’agit le plus souvent de ces derniers, qui récusent souvent la classification à droite. Forts surtout dans les pays fondateurs de l’Union, les démocrates chrétiens ont une longue expérience gouvernementale depuis 1945. Partisans de l’économie mixte, d’une politique sociale généreuse, comme garante de la cohésion sociale, du dialogue entre partenaires sociaux, ces partis ont une pratique souple qui leur permet de gouverner tantôt avec la gauche, tantôt avec la droite. Ils furent, dès le début, champions de l’intégration européenne. Ce courant fut représenté en France par le Mouvement républicain populaire (MRP). D’autres partis dits centristes trouvent leur origine dans un

troisième clivage qui oppose le monde urbain à la ruralité. En Scandinavie et dans les pays Baltes, les centristes sont surtout des agrariens. De nombreux partis libéraux (LibDems britanniques, FDP allemand), victimes du système électoral de leur pays, qui accuse une forte tendance bipolaire, revendiquent l’étiquette centriste. Dans ces États, l’espace du centre est réduit alors qu’il est sensiblement plus large dans les pays où le multipartisme s’épanouit grâce à la proportionnelle.

Catholicisme électoral Ces différents centristes se retrouvent au niveau européen dans le Parti européen des libéraux, démocrates et réformateurs (ELDR) ou le PDE (Parti démocrate européen) ou le groupe commun au Parlement européen Alde (Alliance des libéraux et démocrates pour l’Europe). La plupart des démocrates chrétiens se retrouvent au Parti populaire européen (PPE), dont le centre de gravité s’est porté vers des positions plus droitières que celles qui étaient les siennes aux origines. Illustration, s’il en est, de la difficulté de bien cerner la réalité centriste. Le MoDem se situe dans la ligne de la Démocratie chrétienne française. Depuis l’effondrement du MRP en 1967, les démocrates chrétiens se sont organisés sous différentes étiquettes, depuis le Centre démocrate de Lecanuet jusqu’à Bayrou. Ces formations ont des traits communs sous leur changement – fréquent – de nom. Ils veulent élargir leur base au-delà du réservoir (en diminution progressive) des catholiques pratiquants, à l’instar de partis frères tel le Centre démocrate humaniste wallon. D’où la disparition de toute référence confessionnelle dans le nom et dans sa doctrine. Hormis cela, leur doctrine politique ressemble pourtant toujours assez bien à l’offre démocrate chrétienne classique. Nonobstant leur volonté de diminuer leur tonalité chrétien-

ne, ils obtiennent de tout temps leurs meilleurs résultats dans les terres classiques du catholicisme électoral. Leurs renforts politiques sont venus (un peu) des courants libéraux ou sociaux-réformistes, notamment pendant les années de l’UDF. Ils ciblent des électeurs proeuropéens surreprésentés dans les couches les plus qualifiées et diplômées de l’électorat. Le grand problème de ce centrisme vient de la nature du système politique de la Ve République, de plus en plus bipolaire quel que soit le niveau d’élection. À supposer que le noyau du vote centriste se situe autour de 8-10 %, le parti a évidemment besoin d’alliances pour peser ; jusqu’ici il a toujours pactisé avec la droite, ce qui lui permettait d’hériter de ministères et de bénéficier de l’absence d’un candidat de droite concurrent dans certaines circonscriptions réservées. Mais la percée de Bayrou en 2007 a mis au jour le paradoxe fondamental du centrisme français et souligné les limites de son éventuelle croissance. Son chef et ses idées peuvent séduire (et mordre sur la gauche et la droite à la fois). Mais comment avoir une majorité parlementaire avec un parti nain, réduit à quatre députés ? L’avenir du centrisme passe par le renforcement du MoDem. Les élections européennes devraient l’aider. Le vrai test sera en 2012. Si Bayrou accède au second tour, tout devient possible. Sinon, le centrisme sera réduit à la portion congrue qui, historiquement, semble être la sienne. DAVID HANLEY de l’Université de Portsmouth

Page réalisée en collaboration avec le Centre d’études de la vie politique française (Cevipof)-Centre de recherches de la vie politique de Sciences Po, dirigé par Pascal Perrineau


Étude politique Figaro-Cevipof 16

mardi 28 avril 2009

!

France et Europe: les raisons d’une défiance Deux sondages sont effectués chaque année : au printemps

et à l’automne

POURCENTAGE DES FRANÇAIS CONSIDÉRANT QUE L’APPARTENANCE À L’UNION EST UNE « BONNE CHOSE » ACTE UNIQUE EUROPÉEN

PREMIÈRES ÉLECTIONS EUROPÉENNES AU SUFFRAGE UNIVERSEL DIRECT

75

TRAITÉ DE LISBONNE

CRISE DE LA « VACHE FOLLE »

74 %

PRÉSIDENCE DELORS À LA COMMISSION EUROPÉENNE

RÉFÉRENDUM SUR LE TRAITÉ CONSTITUTIONNEL

GUERRE DU KOSOVO

68 EUROPE À 25

EURO

61

54

50 % 47 Source : Eurobaromètres

RÉFÉRENDUM MAASTRICHT

Par Pascal Perrineau *

J. A.

LA FRANCE a longtemps été dans le peloton de tête de l’europhilie. Interrogés dans les années 1970 par l’instrument de sondage européen qu’est l’Eurobaromètre, les Français répondent massivement que « l’appartenance de la France à l’Union européenne est une bonne chose » : ils sont entre 52 % et 68 % à partager cette opinion tout au long des années 1970. Au cours de la décennie 80, le niveau d’europhilie monte jusqu’à atteindre le sommet de 74 % à l’automne 1987. Aux yeux des Français, la présidence Delors (1985) et l’Acte unique européen (1986) ont redonné à l’Europe le visage d’une réalité et d’un avenir désirables. L’embellie dure jusqu’au début des années 1990. En effet, en 1992, la fracture du débat autour du référendum sur Maastricht politise et clive la question européenne qui jusqu’alors relevait d’un consensus mou que les meilleurs observateurs de la question européenne qualifiaient de « consensus permissif ». Les premiers signes d’une érosion durable et régulière se font sentir et, à partir de 1995, ce n’est plus qu’exceptionnellement

que la barre des 50 % d’opinions positives sera dépassée. Un retour éphémère de la confiance européenne est sensible à l’automne 2004 ou encore fin 2007 mais ces sursauts passagers ne changent rien à la perception que l’Europe n’est pas un rempart efficace contre de graves crises sanitaires (épisode de la vache folle) ou le retour de la guerre sur le théâtre européen (conflits et massacres dans l’ex-Yougoslavie). Sur vingtsix mesures de l’opinion effectuées de 1996 à 2008, seules six voient la barre des 50 % d’opinions positives franchie. Dans le contexte général de retour de la confiance que la France a connue en 2007, 60 % des personnes interrogées considèrent, fin 2007, que l’appartenance de la France à l’Union européenne est une bonne chose. La « lune de miel » est brève puisque dès le printemps 2008 la rechute est brutale : en quelques mois, l’appréciation positive de l’appartenance de la France à l’Union européenne passe de 60 % à 48 %. La France est avec la Grèce le pays où la chute de confiance est la plus sévère dans l’UE. L’opinion française se retrouve aux côtés d’opinions de pays traditionnellement plus réticents vis-àvis des vertus de l’Union et taraudés par l’euroscepticisme et l’europhobie : la Finlande (44 %), la Grèce (47 %), la République tchèque (48 %)… Sur les vingt-sept pays de l’UE, la France n’est plus au printemps 2008 qu’à la dix-neuvième place sur cette échelle d’europhilie. On est loin des années 1970 où la France était toujours dans le trio de tête des pays europhiles et même des années 1980 et 1990 où l’Hexagone figurait peu ou prou dans la moyenne européenne. Dans le dernier sondage Eurobaromètre de fin 2008, la situation reste la même : 49 % des Français considèrent que« le fait pour la France de faire partie de l’Union européenne est une bonne chose » (contre 53 % de l’ensemble des Européens qui pensent cela

pour chacun de leur pays respectif), 21 % pensent que c’est une « mauvaise chose » (contre 15 % des Européens), 27 % se ralliant à la position sceptique selon laquelle l’appartenance ne serait « une chose ni bonne ni mauvaise ». Fin 2008, la France est coupée en deux parts égales : les positions eurosceptique et europhobique rassemblent 48 % de nos concitoyens, la position europhile en attirant 49 % (3 % se réfugient dans le « sans réponse »). La France reste loin derrière les Pays-Bas (80 %), l’Allemagne (64 %), la Belgique (65 %), le Danemark (64 %), l’Espagne (62 %), l’Irlande (67 %) et ne figure qu’à la seizième place de l’europhilie. C’est dans ce contexte de chute de tension européenne que vont se tenir les élections européennes du 7 juin.

« Figures du mal » La crise économique et financière imprègne désormais tous les domaines de la vie et marque tout du sceau d’un pessimisme certain. Mais celui-ci semble battre des records dans le cas français. Si déjà 69 % des Européens pensent que« la situation de (leur) économie nationale est mauvaise », ils sont 85 % en France. Si 69 % des Européens jugent « la situation de l’emploi mauvaise dans (leur) pays », ils sont 88 % en France. Si 34 % des Européens disent que « d’une manière générale les choses vont en ce moment, dans la mauvaise direction dans l’UE », ils sont 51 % en France. Si 43 % des Européens sont d’accord avec la proposition selon laquelle « l’Union nous aide à nous protéger des effets négatifs de la mondialisation » (37 % n’étant pas d’accord), ils ne sont que 36 % en France (56 % n’étant pas d’accord). Si 36 % seulement des Européens estiment que « depuis 2004, l’élargissement a affaibli l’UE», ils sont 54 % à penser de même en France. Nombre de nos concitoyens semblent utiliser l’Europe comme un écran noir sur

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Les citoyens français projettent leurs inquiétudes sociales, économiques et identitaires sur l’Europe.

2003

43 %

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1975

Dans le trio de tête des pays europhiles au cours des années 1970, la France se situe dans la moyenne des États de l’Union. Au tamis de trente ans d’études de l’opinion européenne, Pascal Perrineau montre comment « l’opinion française se retrouve aux côtés d’opinions de pays traditionnellement plus réticents vis-àvis des vertus de l’Union européenne et taraudés par l’euroscepticisme et l’europhobie ». Pour le directeur du Cevipof, l’Europe, « instance de paix et de croissance des trois dernières décennies, est passée au rang de bouc émissaire des difficultés françaises ». Les Français, explique-t-il, utilisent l’Europe comme « un écran noir sur lequel ils projettent leurs inquiétudes sociales, économiques et identitaires ». Rompant avec le « consensus mou », le désamour des Français pour l’Europe fait désormais clivage politique. Celui-ci s’étant fortement manifesté en 2005 lors du référendum sur la ratification du traité constitutionnel de l’Union européenne. Depuis 1979, la chute linéaire de la participation aux scrutins qui ont renouvelé le Parlement au suffrage universel conforte ces évolutions de l’opinion hexagonale. Ainsi, l’élection génère un « vote d’humeur » des électeurs qui entendent sanctionner la politique gouvernementale sans toutefois mettre en péril le pays. Appelant l’électeur à « voter pour ses idées » (Écologistes-Verts, mouvements ruraux tel CPNT) la consultation favorise, outre la multiplication des listes, l’émergence de listes protestataires (extrême gauche) ou de fortes personnalités (Bernard Tapie en 1999) voire le maintien de partis en voie de marginalisation (PCF, Radicaux de gauche).

Les attitudes des Français sur l'appartenance à l’Union européenne

1974

À six semaines du scrutin, les Français font montre d’indifférence à l’égard de l’Union.

1973

ÉLECTIONS EUROPÉENNES

Pour en savoir plus – Dictionnaire critique de l’Union européenne, Yves Bertoncini, Thierry Chopinet al., dir., Armand Colin, 2008. – Dictionnaire des élections européennes, Yves Deloye, dir., Economica, 2005. – Parlement puissant, électeurs absents ?, Pascal Delwit, Philippe Poirier, dir., Ed. de l’Université de Bruxelles, 2005. – Le Vote européen 2004-2005, De l’élargissement au référendum français, Pascal Perrineau, dir., Presses de Sciences Po, 2005.

lequel ils projettent leurs inquiétudes sociales, économiques, identitaires. Particulièrement en France, l’Europe d’instance de projection positive des rêves de paix et de croissance dans les trois décennies qui suivirent le Traité de Rome est peu à peu devenue, pour certains, le « bouc émissaire » des difficultés françaises. À droite et à gauche et particulièrement à l’extrême des deux camps, de nombreuses forces politiques en ont fait une arme stratégique et l’Europe prend place maintenant dans l’arsenal des « figures du mal » : mal bureaucratique, mal néolibéral, mal cosmopolite, mal interventionniste… L’Europe fait clivage et rejoint les figures de « l’ami » et de « l’ennemi » qui définissent le cœur de la politique. Décidément, l’Europe est entrée en politique, elle fait clivage, le consensus mou et permissif d’antan a laissé la place à un vrai combat politique qui partage le pays en profondeur. Il s’est exprimé avec force en 2005, il s’exprimera, sur un mode davantage mineur, en juin 2009. (*) Directeur du Centre d’études de la vie politique française (Cevipof)-Centre de recherches de la vie politique de Sciences Po.

L’inexorable chute de la participation au scrutin européen

A

Les abstentionnistes sont de plus en plus nombreux à cette élection : ils sont passés, en vingt-cinq ans, de 37 % des inscrits à 57,4 %.

Page réalisée en collaboration avec le Centre d'études de la vie politique française (Cevipof)-Centre de recherches de la vie politique de Sciences Po, dirigé par Pascal Perrineau.

DEPUIS 1979, date de la première élection du Parlement européen au suffrage universel, la participation électorale hexagonale se réduit comme peau de chagrin. Et les oracles sondagiers sont formels : au soir du scrutin du 7 juin, les abstentionnistes devraient encore constituer le premier parti de France(*). Au terme d’une croissance quasi linéaire depuis trente ans, l’abstention est passée de 37% des inscrits en 1979 à 57,4% en 2004. Désormais, plus d’un électeur sur deux boude les urnes. En 2004, la division du territoire en huit circonscriptions interrégionales, présentée comme un moyen de rapprocher du terrain les eurodéputés, n’a pas enrayé la désaffection des électeurs. Bien au contraire. La descente aux enfers de la participation va en s’accélérant. En tête du palmarès des records d’abstention, la consultation de juin 2004 a aggravé le score de 1999 (53,24 % des inscrits contre 57,4 % cinq ans plus tard).

Convaincus que leur vote ne changera rien, les Français estiment que le Parlement européen reste trop éloigné de leurs préoccupations quotidiennes. Toutefois, la géographie de l’abstention illustre l’opposition entre la France rurale, plus participative, et la France urbaine, plus abstentionniste. Avec des nuances entre départements « bourgeois », plus civiques, et départements « populaires » plus abstentionnistes : en 2004, la participation du Pas-de-Calais était de 28,3%. Fait nouveau : les électeurs ont nettement boudé les urnes en Moselle, dans le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, trois départements jusque-là très civiques et très proeuropéens.

Le traumatisme de 2002 Paradoxalement, le scrutin génère un vote d’humeur contre la politique gouvernementale. Cette attitude électorale favorise l’émergence de forces protestataires ou thématiques (extrême gauche, mouvements ruraux, etc.) ; outre la « consécration » d’une personnalité (Bernard Tapie en 1999), elle encourage les velléités d’indépendance des petites formations (Verts, PCF, PRG), qui font alors campagne sur leurs propres thé-

matiques, alors que dans les scrutins purement hexagonaux ces petits partis recherchent des alliances avec des formations hégémoniques, notamment avec le PS. Cependant, le traumatisme de l’élection présidentielle de 2002 a contribué à réduire l’ampleur d’un mouvement où chacun fait campagne sur son programme. En 1999, les listes classées « divers », qui cumulaient 12,4% des suffrages exprimés, ont perdu la moitié de leurs suffrages (6,2 %) cinq ans plus tard. Cette tendance à la bipolarisation entre la gauche et la droite républicaine a laminé l’extrême gauche et Chasse Pêche Nature et Traditions. La gauche en général et le PS en particulier ont tiré les bénéfices de ce face-à-face. Avec 28,9 % des suffrages exprimés en 2004, le PS a assuré l’un de ses meilleurs résultats électoraux, asseyant sa domination sur un PCF marginalisé (5,2 %) et sur les Verts (7,4 %), en recul de deux points sur leur score de 1999. Le scrutin de 2004 a aussi transformé la droite, comparaison faite avec ses résultats de 1999. Certes, elle a pâti de l’affaiblissement des souverainistes à l’étiage : les listes MPF et RPF ont cumulé 8 % en 2004 au lieu

de 12 % cinq ans plus tôt. Cependant, avec 16,8 % des voix, l’UMP a amélioré de plus de quatre points le résultat calamiteux des listes RPR-DL de 1999 (12,5 %). Parallèlement, l’UDF a conforté son implantation, notamment dans des terres étrangères à la démocratie chrétienne (Ile-de-France, Sud-Ouest, Est). Elle a capitalisé 12 % des suffrages quand elle n’en recueillait que 9,2% au scrutin de juin 1999. Cinq ans après sa scission « mégrétiste », et malgré la concurrence des souverainistes, le Front national a reconquis la totalité de l’espace de l’extrême droite (9,8% des suffrages exprimés en 2004, contre 5,7 % des voix exprimées en 1999). Il conserve ses bastions du Nord-Ouest (12,9 %), du Sud-Est et de l’Est (12%). Sans parvenir, cependant, à s’affirmer en Ile-de-France dont la liste était menée par Marine Le Pen. JOSSELINE ABONNEAU (*)Le sondage Eurobaromètre, effectué dans les 27 États membres sur des échantillons représentatifs, État par État entre janvier et février 2009, prévoit une participation de 34 % pour l’ensemble des États de l’Union et de 47 % pour la France.


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