mardi 28 février 2012 LE FIGARO
14 débats opinions
étudesPOLITIQUES Figaro-Cevipof
!"#$%&' (&)*$+, -./%&#0 %0' %"120' -0 %3&44)$2506025 .%0#5$)&% Son entrée en campagne améliore sa popularité dans toutes les couches de la société. PASCAL PERRINEAU
DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCE PO (CEVIPOF)
DESSIN DOBRITZ
N
QUALIFIÉE de « bonne » par l’opinion, l’entrée en campagne de Nicolas Sarkozy a modifié les rapports de force entre les principaux candidats. À moins de deux mois du premier tour de l’élection présidentielle, « l’amélioration de la popularité du candidat-président est tous azimuts », note Pascal Perrineau. « La déclaration de candidature du président sortant a, à la fois, mobilisé le peuple de droite et entraîné un fort mouvement de bipolarisation », explique le directeur du Cevipof. En cristallisant l’affrontement autour des deux grands rôles, les lignes commencent à bouger sur les autres candidats. Cette bipolarisation de la campagne met face à face Nicolas Sarkozy en rassembleur de la droite et son challenger, François Hollande, porté par l’opinion qui pronostique encore la victoire au second tour du candidat socialiste. Cependant, « le rapport de force du premier tour s’est nettement resserré au profit de Nicolas Sarkozy et un croisement des deux premiers rôles devient une hypothèse envisageable », souligne Pascal Perrineau. Outre l’érosion des « outsiders », Marine Le Pen et François Bayrou, qui aspirent à se qualifier pour le second tour, la poursuite du mouvement de bipolarisation devrait accélérer les reclassements derrière les deux grands rôles : 42 % des électeurs affirment pouvoir encore changer d’avis avant le 22 avril. Parmi ces « changeurs », ceux des classes moyennes relativement aisées un temps attirées par Marine Le Pen, qui, aujourd’hui, jugent son programme économique « irréaliste voire dangereux ». Et optent maintenant pour le profil « leader de crise » du président-candidat. ■ JOSSELINE ABONEAU
icolas Sarkozy, après avoir déclaré sa candidature le 15 février, est entré en campagne tambour battant afin de tenter de déplacer les lignes de l’affrontement présidentiel. Les enquêtes d’opinion et d’intentions de vote ont enregistré les premiers échos de cette déclaration de candidature. En termes de popularité, le président-candidat a gagné huit points par rapport au mois de janvier. 38 % des Français déclarent aujourd’hui avoir une opinion positive de lui en tant que président de la République (sondage LH2 pour Le Nouvel Observateur, 17 et 18 février). Ce mouvement d’opinion est une conséquence directe d’un « effet d’agenda » : la séquence inaugurée par son intervention télévisée du 29 janvier s’est poursuivie le 6 février par son entretien avec Angela Merkel. Elle a été relayée par son entretien au Figaro Magazine du 9 février, puis relancée par la candidature officiellement annoncée le 15 février et enfin suivie immédiatement du meeting d’Annecy du 16 février. Ce calendrier a remis Nicolas Sarkozy au cœur de la campagne présidentielle. L’amélioration de la popularité du candidat président est tous azimuts. Elle touche l’ensemble des Français quels que soient leur genre, leur âge, leur catégorie socioprofessionnelle ou encore leur sympathie politique. Cependant, le regain de popularité est particulièrement vif auprès des jeunes ainsi que des personnes âgées de 50 à 64 ans, auprès des cadres mais aussi des ouvriers ainsi qu’auprès des sympathisants du MoDem et surtout du Front national. Sans conteste, la déclaration de candidature du président sortant a à la fois mobilisé le « peuple de droite » et entraîné un fort mouvement de bipolarisation. Ce mouvement de popularité ne s’est pas traduit tout de suite en termes d’intentions de vote et les sondages LH2 et Ipsos réalisés les 17 et 18 février donnaient encore un écart important entre
François Hollande, crédité de 32 %, et Nicolas Sarkozy annoncé à 25-26 % des intentions de vote. Cependant, comme toujours, c’est avec un léger retard que ce regain de popularité s’est traduit en intentions de vote : au lendemain du meeting de Marseille du 19 février, la vague 16 du sondage réalisé le 20 février par l’institut CSA marque une très nette évolution du rapport de forces entre le candidat socialiste et Nicolas Sarkozy. Seul un point sépare aujourd’hui les deux principaux protagonistes du duel présidentiel et les deux challengers, Marine Le Pen et François Bayrou, désireux de troubler ce duel au sommet, connaissent un mouvement d’érosion. Dans le mouvement de bipolarisation autour des deux « grands rôles », les li-
très bas niveau pour la candidate écologiste (3 %) et à un niveau nettement supérieur pour le candidat du Front de gauche (9 %). L’érosion des deux prétendants au second tour qu’aspirent à être Marine Le Pen et François Bayrou rappelle la logique bipolaire des institutions de la Ve République et la difficulté pour les outsiders de « troubler le jeu ».
S
i les deux « premiers rôles » ne déçoivent pas et si le processus de bipolarisation continue dans les huit semaines nous séparant du premier tour, les reclassements d’électeurs peuvent amener des mouvements d’ampleur. Cela est d’autant plus possible que plus de quatre électeurs (42 %) sur dix di-
E
L’érosion des deux prétendants au second tour qu’aspirent à être Marine Le Pen et François Bayrou rappelle la logique bipolaire des institutions de la Ve République et la difficulté pour les outsiders de « troubler le jeu » gnes commencent à bouger du côté des autres candidats. Dans la série des intentions de vote mesurées par CSA depuis octobre 2011, Nicolas Sarkozy retrouve son meilleur niveau qui était de 27 % en novembre 2011 et François Hollande passe sensiblement sous la barre des 30 % avec 28 % d’intentions de vote. Depuis fin janvier, ce dernier a perdu trois points alors que le candidat président en a gagné deux.
Q
uant à Marine Le Pen, elle stagne à 17 % et se situe maintenant à dix points du niveau atteint par Nicolas Sarkozy. François Bayrou, après avoir connu une embellie à la fin de l’année dernière et au début de l’année 2012 où il avait su profiter d’une déception vis-à-vis du candidat socialiste, enregistre, en février, une érosion constante. En un mois, il a perdu quatre points et se situe maintenant à 11 % d’intentions de vote, c’est-à-dire très loin de la barre des 20 % qui lui permettrait de rester dans la course des prétendants au second tour. Enfin, du côté des « petits » candidats, Jean-Luc Mélenchon ou encore Eva Joly, la situation reste étale à un
33 %), 30 % le trouvent enfin convaincant lorsqu’il propose un recours accru au référendum (59 %, 30 %, 32 %). Les deux mois à venir seront certainement ceux du peaufinage des éléments de discours et de projet sur lesquels le candidat président pourra éventuellement retrouver un espace de conviction majoritaire. Pour l’instant, le rapport de forces du premier tour s’est très nettement resserré au profit de Nicolas Sarkozy et un croisement des courbes des deux premiers rôles devient une hypothèse envisageable. Les pronostics de victoire, tout en restant en faveur de François Hollande, ont également évolué et Nicolas Sarkozy revient dans le rétroviseur des pronostics.
sent qu’ils ne sont pas certains de leur choix et qu’ils peuvent encore changer d’avis d’ici au 22 avril. Ce pourcentage atteint le niveau de 51 % dans l’électorat central de François Bayrou, 43 % dans celui de Jean-Luc Mélenchon, 32 % dans celui de François Hollande, 25 % dans celui de Nicolas Sarkozy et 24 % dans celui de Marine Le Pen. L’entrée en campagne de Nicolas Sarkozy a donc fait bouger les lignes : une majorité de Français (48 % contre 46 %) a eu le sentiment que son entrée en campagne était bonne. 86 % des sympathisants de droite mais aussi 46 % de ceux du MoDem, 35 % de ceux du Front national et 32 % de ceux de gauche partagent ce sentiment. Cependant, au-delà du style et de l’énergie mis en avant lors de cette entrée en campagne, il reste des difficultés en termes d’éléments de discours : 40 % seulement de Français trouvent Nicolas Sarkozy convaincant lorsqu’il parle de réformes en général (85 % parmi ceux qui ont l’intention de voter pour lui, 52 % chez les soutiens de François Bayrou et 30 % chez ceux de Marine Le Pen), 32 % le trouvent convaincant lorsqu’il aborde la formation et l’indemnisation des chômeurs (72 %, 31 %,
nfin, la perspective du second tour est en train de se déplacer légèrement. Certes, François Hollande est crédité de 56 % d’intentions de vote mais la différence entre les deux candidats qui était de 20 points début février est aujourd’hui réduite à 12 points. Cette position difficile pour Nicolas Sarkozy est liée au fait que les reports sur ce dernier des électeurs bayrouistes et lepénistes au second tour restent médiocres : 37 % de ceux qui choisissent pour l’instant le candidat du MoDem au premier tour et qui ont l’intention d’aller voter se prononcent en faveur de Nicolas Sarkozy ; 46 % de ceux qui se retrouvent derrière Marine Le Pen font de même. Une victoire de Nicolas Sarkozy n’est possible que si le candidat président, après avoir déplacé les lignes du rapport de forces du premier tour, parvient à éroder les bases de l’antisarkozysme qui entrave le processus de réunification électorale des droites et du centre au second tour. ■
Le jugement sur l'entrée en campagne de Nicolas Sarkozy QUESTION : AVEZ-VOUS LE SENTIMENT
QUE NICOLAS SARKOZY A FAIT UNE BONNE OU UNE MAUVAISE ENTRÉE EN CAMPAGNE ÉLECTORALE ?
70' .%0#508)' 9! :8" '0 5$8)2025 ;0)' %0 /).'"-025<#&2-"-&5 LA DERNIÈRE vague de la Présidoscopie* a mis au jour une érosion sensible de l’électorat qui affiche une intention de vote en faveur de Marine Le Pen. Celle-ci a perdu, de la mi-janvier au début du mois de février, 2,5 % d’électeurs. Parmi ces électeurs qui se sont éloignés de la candidate du Front national, l’étude menée par Ipsos s’est penchée sur les motivations des « changeurs », qui ont fait mouvement de Marine Le Pen vers Nicolas Sarkozy. Plutôt originaires des classes moyennes relativement aisées, ces « changeurs » ont une préoccupation avérée pour l’économie et les mesures avancées
par les candidats pour endiguer les effets de la crise ; ils avouent, aussi, avoir été un temps attirés par le triptyque « identité nationale-insécurité-immigration » mis en avant par Marine Le Pen. Cet électorat, qui a pu être séduit un moment par le nouveau ton et la volonté d’ouverture idéologique de la candidate du FN, estime que ce qui a fait sa force passée fait aujourd’hui sa faiblesse. En voulant devenir une candidate « respectable », capable d’aborder les grands dossiers de gouvernement, Marine Le Pen a, à leurs yeux, dévoilé des faiblesses économiques et internationales qui leur paraissent rédhibitoires.
Dans ce segment de l’électorat, le programme économique mis en avant par Marine Le Pen apparaît irréaliste voire « dangereux ». L’équipe derrière la candidate paraît ne pas être à la hauteur des défis de l’heure et l’envergure internationale que doit avoir tout « leader de crise » lui est contestée. Décidément, il n’est pas facile de sortir de décennies de culture protestataire pour embrasser la rigueur d’une culture de gouvernement. ■ P. P *Présidoscopie, vague 4, étude réalisée par Ipsos-Logica Business Consulting pour le Cevipof, la Fondapol, la Fondation
L'évolution des intentions de vote pour les principaux candidats AU PREMIER TOUR (EN %)
35%
25% 16%
29%
27% 26% 16%
7%
28%
32%
16%
11%
26% 19% 13%
31%
25% 17% 15%
30%
Oct. 2011
Nov. 2011
Déc. 2011
9-10 janv. 2012
23-24 janv. 2012
François Hollande
Nicolas Sarkozy
17,5%
17%
13% 6-7 fév. 2012 20 fév. 2012
46
à l'élection présidentielle
QUESTION : QUI, SELON VOUS, SERA ÉLU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE À L'ISSUE DE LA PROCHAINE ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE ?
48%
Rappel du 6-7 février
39% 29%
20 février
Sondage CSA pour BFMTV - RMC - 20 Minutes - CSC - LA COURSE 2012 Vague 16 : sondage réalisé le 20 février 2012 auprès d'un échantillon national représentatif de 1 014 personnes inscrites sur les listes électorales constituant un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.
32%
15%
Marine Le Pen
18% 8%
11%
François Bayrou Photos : DR
L'entrée
en campagne Jean-Jaurès et Le Monde, 4 756 personde Nicolas nes inscrites sur les listes électorales et 6% Sarkozy constituant un échantillon représentatif NSP de la population française âgée de 18 ans et plus ont été interrogées du 2 au 7 février. Dix entretiens qualitatifs ont été réalisés du 7 au 9 février sur Une mauvaise % les électeurs hésitant entre Nicolas entrée Sarkozy et Marine Le Pen. On peut consulter les résultats sur www.cevipof.com/ fr/2012/recherche/paLe pronostic de victoire nel/presidoscopie4/
27%
26%
A
9%
34%
bonne 48%Une entrée
François Hollande
Nicolas Sarkozy
11%
Un autre candidat Ne se prononcent pas
mardi 7 février 2012 LE FIGARO
14 débats opinions
études POLITIQUES Figaro-Cevipof
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Depuis 1981, la gauche a perdu la moitié de son audience chez les ouvriers. PASCAL PERRINEAU
DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)*
FORTE d’une identité politique empruntée aux origines des « partis du mouvement ouvrier », la gauche en campagne a toujours revendiqué le soutien des couches populaires. C’est cet appui du « peuple de gauche » (ouvriers, employés, cadres moyens) qui l’a portée au pouvoir sous les deux présidences de François Mitterrand. Cependant, ce soutien populaire fait figure d’exception : « dans le temps long de la Ve République, la gauche n’a été majoritaire dans les catégories populaires et en particulier dans le milieu ouvrier que lors de trois élections présidentielles (1974, 1981, 1988) sur huit », rappelle Pascal Perrineau. Conséquence de son embourgeoisement, la gauche parvenue au pouvoir peut même se retourner contre le peuple en le condamnant pour « populisme » souligne le directeur du Cevipof. Pour celui-ci, cette mise à distance est « très sensible dans le fort et régulier mouvement de rétraction que la gauche a connu en milieu ouvrier de 1981 à 2007 ». En contrepoint, les milieux populaires, notamment le cœur ouvrier, perçoivent la gauche et son libéralisme culturel comme très éloignés de leurs préoccupations économiques et sociales et de leurs valeurs.Invitée par son « intelligentsia progressiste » « à retrouver le sens du peuple », la gauche tente une timide reconquête. Toutefois, François Hollande peine à s’imposer dans les catégories les moins favorisées sauf sur la réduction des inégalités sociales. En quête d’onction populaire, le candidat socialiste à la présidentielle convainc davantage les milieux aisés. Et cela, souligne Pascal Perrineau, face au Front national « marqué au coin d’une dynamique sociale qui l’introduit au cœur du débat sur le retour du peuple JOSSELINE ABONNEAU en politique.■
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ans sa longue histoire politique, la gauche a toujours voulu lier son sort à la défense des couches populaires. Elle a même cherché, pendant longtemps, à définir son identité politique à partir de cette identité sociale. On parlait au siècle dernier des « partis du mouvement ouvrier ». Dans les années 1970 qui virent la montée régulière de la gauche, le parti communiste se présentait comme l’expression politique privilégiée de « l’union des forces populaires ». Le chef du Parti socialiste, François Mitterrand, considérait que son mouvement s’enracinait dans un « front de classe » et que l’union de la gauche qui allait le porter au pouvoir n’était que le reflet d’une « majorité sociale » associant ouvriers, employés et cadres moyens. Les débats sur le contenu et les limites de cette « majorité sociale », de ce « peuple » que François Mitterrand n’hésitait pas à qualifier de « peuple de gauche » étaient nombreux et sans fin. Puis, une fois la gauche au pouvoir, le « peuple » a peu à peu disparu des radars. La gauche s’embourgeoise, le « peuple » la boude et se tourne souvent vers d’autres horizons politiques. La gauche peut même se retourner contre le peuple et le condamner pour « populisme ».Ce mouvement d’éloignement de la gauche par rapport aux catégories populaires est tout à fait sensible dans le fort et régulier mouvement de rétraction qu’elle a connu en milieu ouvrier de 1981 à 2007. Au premier tour de l’élection présidentielle de 2007, la gauche rassemble deux fois moins de voix ouvrières qu’en 1981. Le cœur ouvrier du « peuple » l’a quittée. On revient à la situation de la République gaullienne où la gauche ne parvenait qu’à capter une minorité des électeurs ouvriers. En 1965, le général de Gaulle faisait presque jeu égal avec François Mitterrand en milieu ouvrier et il le dominait nettement en milieu employé et cadre moyen.
En 2007, au second tour, Nicolas Sarkozy est majoritaire à la fois chez les ouvriers (52 %), les employés (55 %) et fait jeu égal avec Ségolène Royal parmi les professions intermédiaires (49 %). Au fond, dans le temps long de la Ve République, la gauche n’a été majoritaire dans les catégories populaires et, en particulier, en milieu ouvrier que lors de trois élections présidentielles (1974, 1981, 1988) sur huit. Cette désillusion des couches populaires s’enracine dans une déception vis-àvis d’une gauche gouvernante souvent peu capable de satisfaire des demandes
«
En revanche les mots de « France », de « Nation » et de « République » abondent. Au-delà de la volonté stratégique de se porter sur un terrain où la droite et le centre étaient plus à l’aise, il y a aussi la difficulté de la gauche – et particulièrement du Parti socialiste - de retrouver le sens d’un peuple qui l’a peu à peu quitté depuis l’élection présidentielle de 1995. Pour un courant socialiste et au-delà une gauche française, qui ont lié, pendant des décennies, leur sort politique aux notions de peuple, de couches populaires, de forces populaires… il est difficile de re-
Cette désillusion s’enracine dans une déception vis-à-vis d’une gauche gouvernante souvent peu capable de satisfaire des demandes économiques et sociales des couches populaires qu’elle a pourtant alimentées lorsqu’elle était dans l’opposition
»
économiques et sociales des couches populaires qu’elle a pourtant alimentées lorsqu’elle était dans l’opposition. La gauche est aussi perçue comme distante par rapport à nombre de préoccupations et de valeurs des milieux populaires. Les cadres de la gauche française sont, pour la plupart, issus des milieux de la « bourgeoisie bohème » que David Brooks a très bien décrite dans son livre Bobos in Paradise (2000) et qui est le fruit de la synthèse de l’idéalisme des années 1960 et de l’individualisme des années 1980 et 1990.
L
es valeurs collectives, pragmatiques et parfois autoritaires des milieux populaires ne se retrouvent que malaisément dans le « libéralisme culturel » de cette nouvelle « classe supérieure ». D’où la nécessité pour la gauche française de retrouver le « sens du peuple » comme l’y appelle Laurent Bouvetun dans un ouvrage récent (Le Sens du peuple. La gauche, la démocratie, le populisme. Coll. Le débat-Gallimard). Cependant, lorsqu’on lit attentivement le discours de François Hollande au meeting du Bourget ainsi que les « 60 engagements pour la France », on est frappé de la quasi-absence de la notion de « peuple ».
donner un contenu social nouveau au projet politique qu’ils portent aujourd’hui. En l’attente d’une telle révision, les catégories anciennes et consacrées de « République », de « France » et de « Nation » retrouvent une seconde jeunesse.
À
trois mois du premier tour de l’élection présidentielle, il reste timide : fin janvier, 37 % des employés et 39 % des ouvriers ont l’intention de choisir un candidat de gauche le 22 avril prochain. Les droites et le centre attirent aujourd’hui une majorité des intentions de vote de ces milieux populaires. Cependant, au sein de la gauche, le candidat socialiste a retrouvé une capacité à attirer une majorité relative d’employés (28 % contre 23 % pour Marine Le Pen et 23 % pour Nicolas Sarkozy). 24 % de ces mêmes employés avaient choisi Ségolène Royal en 2007. En milieu ouvrier, François Hollande rassemble aujourd’hui 31 % des votes, alors que Ségolène Royal n’en avait capté que 25 % en 2007. Mais il est légèrement devancé par une candidate du Front national qui agrège 33 % des intentions de vote ouvrier, alors que Nicolas Sarkozy s’est effondré dans ce milieu
Hollande sur les principaux thèmes qui préoccupent l’électorat et particulièrement celui des couches populaires.
L’avenir des retraites Ce pouvoir de conviction du candidat socialiste n’est majoritaire que sur le seul thème de la réduction des inégalités sociales. En revanche, il oscille entre un tiers et une petite moitié de l’électorat
A
DIRIEZ-VOUS QUE FRANÇOIS HOLLANDE VOUS PARAÎT PLUTÔT CONVAINCANT LORSQU’IL PARLE... en % Cadres sup., Ensemble prof. libérales Employés de l’électorat et intermédiaires
pour tous les autres thèmes économiques ou sociaux. Mais surtout, sauf quelques rares exceptions (l’avenir des retraites), François Hollande a plus de mal à convaincre dans les milieux populaires que dans la bourgeoisie et les couches moyennes. Ainsi, en dépit d’une reprise d’influence par rapport à ses prédécesseurs, Lionel Jospin et Ségolène Royal, François Hollande convainc davan-
S
i l’on dépasse les seules catégories socioprofessionnelles pour envisager les intentions de vote des catégories sociales qui se situent en bas de l’échelle des revenus ou qui ont un sentiment de grandes difficultés à « boucler les fins de mois », la gauche est un peu mieux placée mais elle reste globalement minoritaire dans la perspective d’un premier tour. Marine Le Pen continue à avoir un haut niveau d’influence électorale dans ces milieux sociaux en difficulté, alors que le président sortant souffre, pour l’instant, d’un déficit sensible d’influence. Le « peuple », qui a connu au cours des deux dernières décennies de profondes recompositions internes, hésite, à trois mois de l’échéance présidentielle, à refaire confiance à la gauche comme il avait pu le faire dans les années 1970 et 1980. Le « peuple » est en attente et il peut être tenté par l’abstention si la campagne ne l’attire pas. Il reste à convaincre et l’on verra, au cours des prochaines semaines, s’il choisit plutôt la voie de la protestation lepéniste, celle de l’alternative socialiste ou encore celle de la rigueur sarkozyste.■ *Auteur de «Le choix de Marianne. Pourquoi et pour qui votons*nous ? (Fayard)
Le vote à gauche des ouvriers
au 1 er tour de l’élection présidentielle
62 % 40 %
68 % 54 % 46 % 44 % 34 %
24 %
!" #$%&'(')'*% &+,-))".&/ 0"11%/ "2 #$'()/ DEPUIS son entrée en campagne, le candidat socialiste cherche à réimplanter la gauche dans les milieux populaires. C’est à cette « France qui souffre » à laquelle il a tenté de s’adresser dès les premiers mots de son discours du 22 janvier au Bourget. La dernière enquête de l’institut CSA sur « La Course 2012 » prend la mesure du pouvoir de conviction de François
(14 % contre 26 % au premier tour de l’élection présidentielle de 2007). La reconquête des couches populaires n’est, pour l’instant, qu’un processus entamé mais loin d’être abouti. Le Front national, peu avare de l’usage de la catégorie de « peuple », est aujourd’hui marqué au coin d’une dynamique sociale qui l’introduit au cœur du débat sur le « retour du peuple » en politique.
tage les milieux aisés que les catégories 1965 1969 1974 1981 1988 1995 2002 2007 moins favorisées de l’électorat. Reste à savoir si les trois mois Sources : Ifop (1965, 1969,2007), de campagne à venir verront Sofres (1974, 1981, 1988, 1995, 2002) ce handicap se maintenir ou si la gauche parviendra à renouer avec le « peuLes intentions de vote... P. P. ple ».■
... des couches populaires à trois mois du 1er tour de l’élection présidentielle de 2012
Extrême gauche
Jean-Luc Mélenchon
François Hollande
Éva Joly
Total gauche
François Bayrou
Divers droite
Nicolas Sarkozy
Marine Le Pen
Ouvriers
EMPLOYÉS
1
6
28
2
37
13
4
23
23
49
40
OUVRIERS
2
5
31
1
39
9
5
14
33
46
43
56
35
36
41
44
43
42
38
43
37
36
... de la réduction des inégalités sociales ... de l’école et de l’éducation
52
55
46
49
... de la sécurité
41
... des problèmes des gens comme vous ... du pouvoir d’achat ... de l’emploi
37
41
38
38
... de l’avenir des retraites
34
35
31
44
... de la réduction des déficits publics
33
38
31
32
Source : sondage CSA pour BFM TV, 20 minutes, RMC. Echantillon national représentatif de 1 011 personnes âgées de 18 ans et plus, interrogées du 23 au 24 janvier 2012
... des milieux sociaux en difficulté DÉCLARENT S’EN SORTIR Très difficilement avec les revenus du ménage Difficilement
3 1
8 8
28 30
3 3
42 42
13 13
3 5
9 19
33 21
REVENU MENSUEL NET DU FOYER Moins de 1 200 euros
3
6
33
7
49
13
4
14
20
De 1 200 à 2 000 euros
2
8
28
2
40
14
3
19
24
Source : Présidoscopie vague 3, Ipsos pour le Cevipof, la Fondapol, la FJJ et Le Monde, échantillon de 4 910 personnes interrogées du 12 au 23 janvier 2012
mardi 10 janvier 2012 LE FIGARO
14 débats opinions
étudesPOLITIQUES Figaro-Cevipof
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L’hypercentre de François Bayrou illustre la résistance de ce courant politique au rouleau compresseur de la Ve République. PASCAL PERRINEAU
DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)
À QUATRE MOIS de l’élection présidentielle, les centristes abordent la compétition en ordre dispersé : indépendants sous la bannière bayrouiste de l’« hypercentre » ; autonomes au sein de l’UMP sous la houlette du Nouveau Centre d’Hervé Morin ; ou encore d’ores et déjà ralliés à Nicolas Sarkozy, candidat à un second mandat. Ces trois avatars du centrisme à la française sont générés par un courant idéologique (démocratie chrétienne) vivace qui participe aux fondements de la vie politique républicaine. Comme le montre l’étude de Pascal Perrineau, le centrisme a résisté au rouleau compresseur de la bipolarisation des institutions de la Ve République et du mode de scrutin majoritaire à deux tours. Loin d’être réduit à la portion congrue, le résultat des candidats atteint souvent un score électoral à deux chiffres ; ainsi, par le jeu des alliances, un candidat a pu emporter la magistrature suprême, tel Valéry Giscard d’Estaing en 1974. Les sondages placent François Bayrou dans le quarté de tête du premier tour. Mais il pourrait améliorer ses performances s’il réussit à fidéliser son «électoral naturel», explique Pascal Perrineau. «Seulement un électeur sur trois de ceux qui l’ont choisi en 2007 prévoit de voter pour lui en 2012.» Certes, l’opinion centriste dote François Bayrou d’une bonne image personnelle, mais elle reste dubitative sur son dynamisme, sa stature présidentielle et sa capacité à tenir ses engagements. De plus, le cavalier-seul bayrouiste ne fédère pas l’électorat éclaté : «Le centrisme a un vrai problème de leadership et un grave problème d’incarnation dans l’élection présidentielle», estime Pascal Perrineau. Pourtant, précise le politologue, cet électorat détient une des clés d’un second tour Sarkozy-Hollande. Mais, dit-il, «les sentiments sont partagés et le choix final n’est pas encore assuré». ■ JOSSELINE ABONNEAU
L
a famille centriste a toujours été présente à l’élection présidentielle sous la Ve République. Et, sauf en 2002, elle a fait plus qu’y jouer un rôle de témoin marginal. Ce centrisme présidentiel a oscillé, de 1965 à nos jours, entre 6,8 % des suffrages en 2002 et 32,6 % en 1974. Certes, ce dernier niveau très élevé est aussi le fruit de l’union du centre et de la droite modérée qu’avait réussie à incarner Valéry Giscard d’Estaing de 1974 à 1981. Même si l’on retire cette exception giscardienne, le centrisme a la plupart du temps atteint un score électoral à deux chiffres (entre 15 et 23 %). La Ve République, en dépit de la bipolarisation que ses institutions et son mode de scrutin majoritaire à deux tours ont engendrée, n’a pas réussi à réduire le centrisme à la portion congrue. Ce centrisme a connu trois périodes. La première, caractéristique de la République gaullienne, voit le centrisme chercher une voie autonome entre gauche et droite. Les candidatures de Jean Lecanuet en 1965 et d’Alain Poher en 1969 s’inscrivent dans ce centrisme autonome, héritier direct de la démocratie chrétienne qui s’était rassemblée dans le Mouvement républicain populaire (MRP) après la Seconde Guerre mondiale. Ne parvenant pas à bousculer vraiment l’ordre bipolaire mis en place par la Ve République, le centrisme va se rallier à la droite en deux temps : Jacques Duhamel et Joseph Fontanet rejoignent Georges Pompidou en 1969 pour fonder le Centre démocratie et progrès puis c’est au tour de Jean Lecanuet de soutenir Valéry Giscard d’Estaing en 1974. Ce centrisme rallié porte en 1978 l’UDF sur les fonts baptismaux et réalise la fédération des centres et de la droite modérée. C’est cette alliance qui parvient à la fin des années 1970 et au début des années 1980 à un quasi-rééquilibrage au sein des droites entre la droite non
gaulliste associée au centre et le néogaullisme du RPR. Mais l’UDF a du mal à être autre chose qu’un syndicat d’élus et de notables et reste traversée de divisions et d’affrontements personnels. Ni Raymond Barre en 1988, ni Édouard Balladur en 1995 n’arrivent à remettre en cause la domination du RPR sur la droite et à imposer un leader incontesté à la tête de la famille modérée et centriste. Ces échecs répétés ont débouché sur un véritable processus d’attrition et d’éclatement qui est sensible dans le faible niveau atteint par François Bayrou en 2002 : 6,8 % On entre alors dans
«
rat centriste. Interrogés en décembre 2011 par Ipsos, les électeurs qui se situent au centre de l’échelle gauche droite se répartissent entre François Bayrou (29 %), François Hollande (22 %), Nicolas Sarkozy (20 %), le reste se disperse entre les autres candidats mais sans privilégier aucunement les petits candidats centristes (Hervé Morin, Christine Boutin…). Le centrisme a un vrai problème de leadership. Alors que 65 % des électeurs qui se sentent de gauche et 75 % de ceux de droite disent leur intention de voter en faveur de François Hollande et de Nicolas Sarkozy, moins de 30 %
L’image de François Bayrou...
Est sympathique Est honnête Est sincère Est compétent(e)
1
Électorat naturel Cependant, il reste de la marge pour une éventuelle progression de François Bayrou dans la mesure où la fidélisation
François iss Bayrou u
À des convictions
Comprend les problèmes des gens À la stature présidentielle Tiendra ses engagements
A
Son électorat de départ est marqué par une origine sociale plutôt élevée (les cadres supérieurs y sont nombreux ainsi que les électeurs très diplômés), une sensibilité rurale non négligeable qui répond aux messages d’une « France profonde » que le patron du MoDem n’hésite pas à mobiliser et un héritage catholique pratiquant évident.
Est dynamique Vous inquiète
François iss Hollande de
65 % 59 % 59 % 55 % 45 % 44 % 34 % 36 % 37 % 28 %
Nicolas as Sarkozy ozy
70 % 64 % 61 % 56 % 55 % 53 % 49 % 44 % 43 % 33 %
C
ependant, il en est différemment sur le terrain des fonctions régaliennes et sur les thématiques financières et européennes chères au cœur de ces électeurs. À leurs yeux, Nicolas Sarkozy est « le plus capable de prendre des décisions difficiles » (74 % contre 24 % à François Hollande), il est « le plus capable d’avoir une stature présidentielle » (67 % contre 31 %), le plus capable « de réduire les déficits publics » (89 % contre 10 %) ou encore le plus capable « de mieux faire fonctionner l’Europe » (62 % contre 36 %). Enfin, sur la capacité de protection des Français, dont on sait qu’elle constitue un enjeu majeur de la prochaine élection présidentielle, le sentiment des électeurs centristes est à peu près également partagé : 51 % considèrent que Nicolas Sarkozy est « le plus capable de protéger les Français des conséquences de la crise économique », 47 % pensent de même pour François Hollande. Dans ces rapports de force et dans leur évolution dans les quatre mois qui viennent, il y a un des éléments essentiels du choix que feront les électeurs centristes et de l’issue de l’élection présidentielle. ■
L’ électorat centriste, selon son tropisme de second tour, détient une des clefs de la décision électorale du 6 mai 2012. Or, pour l’instant, cet électorat hésite. Aucun leader centriste ne le convainc profondément
»
la troisième phase du centrisme, celui de la division où l’ancien patron de l’UDF qu’est François Bayrou tente de redécouvrir les vertus d’un centrisme indépendant alors que d’autres leaders comme Hervé Morin, Michel Mercier ou encore Pierre Méhaignerie continuent à placer leur combat dans une stratégie d’alliance avec la droite.
À
quatre mois de l’élection présidentielle, le centrisme est éclaté entre la tentation de l’« hypercentre » de François Bayrou, celle du Nouveau Centre d’Hervé Morin qui cherche à incarner le centre droit et celle de centristes persuadés que l’avenir du centre est au sein de l’UMP ; cette UMP qui, lors de sa création en 2002, avait comme but la fusion de la droite et du centre en un seul et même parti. Cet éclatement est sensible dans les stratégies présidentielles mises en place par les différents leaders centristes. Certains se retrouvent derrière Nicolas Sarkozy, d’autres soutiennent la candidature d’Hervé Morin, enfin, les troisièmes se laissent séduire par la redécouverte d’un centrisme indépendant derrière François Bayrou. Ce partage se retrouve dans l’électo-
des électeurs proches du centre choisissent un « candidat centriste ». Le centrisme a un grave problème d’incarnation dans l’élection présidentielle qui se prépare. De par sa masse, l’électorat qui se positionne au centre peut jouer un rôle clef : en décembre 2011, 14 % des électeurs interrogés se situent au centre, 19 % choisissent le « ni gauche, ni droite », 28 % la droite et 39 % la gauche. Cet électorat centriste, selon son tropisme de second tour, détient une des clefs de la décision électorale du 6 mai 2012. Or, pour l’instant, cet électorat hésite. Aucun leader centriste ne le convainc profondément.
de son « électorat naturel », celui du centre, est aujourd’hui médiocre… À peine un électeur sur trois de ceux qui l’avaient choisi en 2007 prévoit de renouveler sa préférence en 2012. La tâche ne sera pas forcément aisée : l’image personnelle est bonne (sympathique, honnête, sincère), mais il connaît pour l’instant un réel déficit sur les dimensions les plus politiques de celle-ci (stature présidentielle, capacité à tenir ses engagements) ainsi que sur son dynamisme. C’est de la réduction de l’écart entre la dimension person-
ne sympathie évidente rapproche cet électorat centriste de François Bayrou, mais ses sympathisants s’interrogent sur sa « stature présidentielle » : 52 % des électeurs centristes lui accordent une telle stature quand 71 % font de même pour Nicolas Sarkozy et 48 % pour François Hollande… Enfin, dans la perspective d’un second tour où s’affronteraient Nicolas Sarkozy et François Hollande, leurs sentiments sont partagés ; le choix final n’est pas encore assuré. Aux yeux de
67 % 34 %
77 % 36 %
31 % 31 % 51 % 25 % 59 % 29 % 74 % 47 %
40 % 47 % 38 % 42 % 32 % 45 % 71 % 53 %
SOUS LA Ve RÉPUBLIQUE (au 1er tour)
32,6 % 28,3 % 23,3 %
18,5 % 18,6 6% 16,5 %
15,6 %
nelle et la dimension politique de son image que dépendra la réalité ou non d’une dynamique Bayrou. Au début du mois de 6,8 % janvier, plusieurs enquêtes, dont celle de l’Ifop, témoignent d’un tel mouvement, le leader du MoDem était 2 1 crédité de 12 % 5 9 8 4 5 07 196 r 196 197 198 198 r 199 200 20 d’intentions de e et ing ing Barre lladu yrou yrou a a anu Poh ’Esta ’Esta P. P. vote. ■ a B c B B e d d L
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... et ses zones de force
Marine Le Pen n
Le centrisme à l’élection présidentielle
U
01&#" "% 2/'3-"((" ,4 5 3/6&14'()" 7 +-"#%1&/À CINQ mois de l’échéance présidentielle de 2012, François Bayrou était estimé à un niveau de 7 % d’intentions de vote. À titre de comparaison, en décembre 2006, il était crédité de 9 % et il finissait à plus du double lors du 1er tour de l’élection présidentielle de 2007. Ce niveau d’influence mesuré au début du mois de décembre 2011 ne constitue qu’une base de départ pour une campagne qui est loin de s’être nouée. Cependant, on peut déjà repérer quelques zones de force qui contribuent à définir l’identité du « bayrouisme » électoral.
ces électeurs centristes, le candidat socialiste apparaît comme le plus capable de « mener une politique fiscale juste et efficace » (74 % contre seulement 24 % à Nicolas Sarkozy) ou encore le plus capable « d’augmenter le pouvoir d’achat des Français » (73 % contre 24 %).
NOTE DE LECTURE : 61 % DES PERSONNES QUI SE DISENT « PROCHES DU MODEM » SONT PRÊTES À VOTER BAYROU
Proches du MoDem
61 %
Électeurs de Bayrou en 2007
29 % 29 %
Se situent au centre
15 % 14 %
Agriculteurs exploitants Catholiques pratiquants Au moins Bac + 5 Cadres supérieurs Préoccupés par les déficits Ensemble de l’électorat
10 % 10 % 10 % 7%
Source : Panel électoral France 2012 vague 2, décembre 2011, sondage Ipsos - Cevipof - Fondapol - FJJ - Le Monde, réalisé du 30 novembre au 5 décembre 2011 auprès d’un échantillon de 5 415 personnes inscrites sur les listes électorales constituant un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. Photo : DR.
mardi 6 décembre 2011 LE FIGARO
16 débats opinions
étudesPOLITIQUES Figaro-Cevipof
! "#$%$& '()*%*($& + , -)# $.(*%$%/) *# 0120#'$%/) 3.2&%*#)$%#00# En moyenne, ils captent le vote d’un français sur dix au premier tour. PASCAL PERRINEAU
DESSIN DOBRITZ
DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)
DANS LA COURSE à l’élection présidentielle La présence de candidats capitalisant moins de 5 % des suffrages est une constante de la Ve République. Au fil des scrutins, il y a eu « une inflation de candidatures », constate Pascal Perrineau. Celles-ci sont passées de 2 en 1965 lors de la première élection au suffrage universel du président de la République à huit en 2007, avec un record de neuf en 2002. Les durcissements successifs des règles de présentation pour filtrer les candidatures (nombre de signatures d’élus, localisation, publication de l’identité des parrains) sont restés vains pour endiguer « la montée en puissance des petits candidats », explique le directeur du Cevipof. Celui-ci en a répertorié une dizaine, déclarés ou potentiels, déjà en campagne pour l’élection du 22 avril 2012. Cette diversité de l’offre politique « s’inscrit dans la tradition de la Ve République ». Pascal Perrineau montre comment « l’éclatement de l’offre politique touche tous les courants, la gauche comme la droite ». En général, ces « candidats de témoignage plus qu’acteurs de la campagne » utilisent cette tribune pour divulguer à moindre coût leurs idées ; d’autres, telle la candidature Verte, cherchent à s’imposer à gauche comme le partenaire incontournable du PS. Avec un cumul de 10 % des suffrages exprimés au premier tour, le pactole des petits candidats peut mettre en danger la qualification des ténors pour le second tour. En 2002, la dispersion du vote sur les petits candidats d’un électeur sur quatre a été la cause de l’élimination du candidat du PS dès le premier tour. S’avérant quasi inexpugnables de la compétition présidentielle, les petits candidats sapent la légitimité des grandes formations partisanes présentant un candidat. C’est là une surprise du mode de fonctionnement de la Ve République qui voulait se protéger des jeux partisans en sélectionnant le chef de l’État par le suffrage universel. ■ JOSSELINE ABONNEAU
L
a logique du témoignage de petits candidats à la recherche d’une tribune politique s’est peu à peu imposée dans l’élection présidentielle. Lors de la réforme du 6 novembre 1962 un système de parrainages filtrant les candidatures avait été mis en place : la signature de cent élus (parlementaires et élus locaux) issus de dix départements au moins était nécessaire pour qu’un candidat puisse se présenter. Ce dispositif devait empêcher la multiplication de candidatures fantaisistes ou marginales. Pourtant dès la première élection de 1965, Marcel Barbu qui se présente comme le « candidat des chiens battus » et Pierre Marcilhacy, représentant d’un groupuscule libéral, sont présents dans la course. Leurs performances seront modestes : 1,1 % pour le premier et 1,7 % pour le second. En dépit de ces piètres résultats, les petits candidats vont fleurir lors des scrutins suivants et nourrir l’inflation des candidatures. Si l’on retient comme critère du petit candidat la barre des 5 % des suffrages exprimés, on passe de deux candidats en 1965 à trois en 1969 (Michel Rocard pour le PSU, Alain Krivine de la Ligue communiste et l’inclassable Louis Ducatel) puis à neuf en 1974 où trotskistes divers, écologistes, dissidents, fédéralistes européens et extrêmes droites variés s’opposent en une assez grande confusion. Les petits candidats n’attirent que 2,8 % des suffrages exprimés en 1965 puis 6 % en 1969, en rassemblent 9,1 % en 1974. La montée en puissance des « petits » suscite le vote d’une nouvelle loi organique, le 18 juin 1976, qui durcit les conditions de présentation des candidatures. Le nombre de signataires passe de cent à cinq cents issus de trente départements au moins et leur identité est rendue publique par le Conseil constitutionnel dans la limite du nombre requis pour la validité des candidatures. Cette réforme ne parviendra pas à calmer l’ardeur des « petits candidats ». En 1981, six rassemblent 12,5 % des suffrages, en 1988 ils ne sont que trois qui agrègent 4,4 %, en 1995 ils ne sont que deux (Philippe de Villiers et Jacques Cheminade) une ancienne pe-
tite candidate, Arlette Laguiller, ayant franchi de peu la barre des 5 %. En 2002 l’élection bat le record des candidatures (16) parmi lesquelles on compte neuf petits candidats (deux trotskistes en dehors d’Arlette Laguiller qui, avec 5,7 %, renouvelle son exploit de 1995 ; un candidat PCF qui rentre avec 3,4 % dans le « club » des petits ; une candidate radicale de gauche ; une écologiste indépendante ; le candidat Vert officiel Noël Mamère dépassant de peu la barre des 5 % ; un candidat libéral ; une candidate dissidente de l’UDF ; un candidat des chasseurs et un candidat qui à l’extrême droite conteste le monopole de Jean-Marie Le Pen. Ces neuf candidats parviennent à capter 23,9 % des voix et ont contribué au caractère exceptionnel de l’élection de 2002 qui vit un des deux « grands » prétendants, le socialiste Lionel Jospin, disparaître prématurément de la compétition.
«
Joly cherche difficilement à s’extraire du groupe des « petits candidats » tout en se voyant contester sur le créneau de « l’écologisme gestionnaire » par Corinne Lepage. Les divers droite reflètent cette difficulté qu’ont nombre d’hommes et de femmes de droite et du centre à rentrer dans une logique de discipline partisane. Les dissidents de l’UDF, du RPR et aujourd’hui de l’UMP tentent régulièrement leurs chances en espérant grignoter quelques voix. Hervé Morin, patron du Nouveau Centre, Christine Boutin, présidente du Parti chrétien démocrate, Frédéric Nihous, président de Chasse, pêche, nature et traditions, Nicolas Dupont Aignan, président de Debout la République, Gilles Bourdouleix, président du CNIP, Nicolas Stoquer, président du Rassemblement pour la France, Dominique de Villepin, disent tous vouloir concourir.
»
L’année 2012 s’inscrira-t-elle dans la tendance de 2002 ou renouera-t-elle avec des scrutins plus “normaux” ?
En 2007, le nombre de petits candidats reste important mais le souvenir de 2002 entraîne une retenue de l’électorat à leur égard : 10,6 % des suffrages vont vers trois candidats trotskistes, un candidat altermondialiste, une candidate communiste, une candidate écologiste, un candidat souverainiste et le représentant des chasseurs.
A
insi, quelle que soit la rigueur de la législation, le nombre des petits candidats a augmenté sous la Ve République. Cet éclatement de l’offre politique touche tous les courants, la gauche comme la droite. À gauche, les chapelles de l’extrême gauche n’ont jamais réussi à s’unir, préférant témoigner en ordre dispersé. En 2007, la France était le seul pays d’Europe où s’affrontaient trois candidats trotskistes, un altermondialiste et un communiste : soit cinq candidats pour un potentiel de voix d’à peine 9 % ! L’écologie politique, en dépit de sa faiblesse, n’hésite pas à aller à la bataille en ordre dispersé, comme en 2002. En 2012, deux candidats trotskistes sont à nouveau sur les rangs : Nathalie Arthaud et Philippe Poutou. Jean-Pierre Chevènement tente de faire exister la sensibilité souverainiste de gauche. Eva
À l’extrême droite aussi, la diversité est de rigueur. Carl Lang, président du Parti de la France s’est déclaré en septembre. En dehors des familles politiques traditionnelles, la période est propice aux déclarations d’intention de multiples candidats. Au nom de groupes de pression ou d’enjeux spécifiques ils utilisent la précampagne présidentielle pour promouvoir leur cause : il y a Gérard Gautier, président du mouvement Blanc, Victor Izraël, cancérologue soucieux de relancer le plan cancer, Patrick Lozès, président du Conseil représentatif des associations noires, Nicolas Miguet, fondateur du Rassemblement des contribuables français. Nombre de ces prétendants n’arrivera pas au bout de la course des signatures et pour ceux qui y parviendront, la tribune de la campagne présidentielle ne suffira pas à les tirer de l’anonymat ou de la marginalité électorale. En 2007, sur douze candidats, six n’ont pas dépassé la barre des 2 %. Cependant, il y a toujours le secret espoir de pouvoir s’inviter à la « table des grands » dans le cadre d’une campagne réussie. Tel Jean-Marie Le Pen qui, après son maigre score de 0,7 % en 1974, s’impose dès 1988 comme une
force politique. Sur un mode mineur Arlette Laguiller, candidate de Lutte ouvrière, se hisse au-dessus de la barre des 5 % en 1995 et 2002. Ou, encore en 2002, Noël Mamère, seul candidat écologiste qui propulse les Verts au-dessus de 5 %.
S
i le « petit » candidat peut grandir, le « grand » candidat peut rapetisser. Tel a été le destin des candidats du PCF depuis la fin des années 1980. Première force politique nationale après la Seconde Guerre mondiale, le PCF maintient un haut niveau d’influence jusqu’à la fin des années 1970. Puis, les décennies suivantes, il entame un inexorable et rapide déclin qui l’amène vers un statut de « petite force ». Dans les années 2000, les candidats du PCF figurent parmi les « petits candidats » : 3,4 % pour Robert Hue en 2002, 1,6 % pour Marie-Georges Buffet en 2007. À cinq mois de l’élection présidentielle du 22 avril 2012, l’évaluation des petits candidats en lice semble s’inscrire dans la tradition de la Ve République : celle où ils restent des témoins plus que des acteurs du jeu politique. Cependant, ils peuvent recueillir tout ou partie des déceptions vis-à-vis des grandes forces de gouvernement contribuant ainsi à la délégitimation de ces dernières. À cet égard l’élection présidentielle de 2002 a été emblématique : presque un Français sur quatre a choisi la voie de la dispersion sur un « petit candidat ». Reste à savoir si 2012 s’inscrira dans la tendance centrifuge de 2002 ou renouera avec des scrutins plus « normaux » où la capacité des « petits » à attirer les électeurs touche environ un Français sur dix. ■
Les « petits » candidats sous la Ve République Sont considérés comme « petits » candidats, ceux qui obtiennent moins de 5 % des suffrages exprimés au premier tour de l’élection
PREMIER TOUR DE L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE 23,9 % des suffrages exprimés pour l’ensemble des « petits » candidats
4%5 3.2$#)*()$& #) 6-7$# *# &%8)($-.#& POUR L’INSTANT les petits candidats, tels qu’ils sont mesurés dans les sondages d’intentions de vote sont au nombre d’une petite dizaine et ils rassemblent, selon la dernière enquête de l’Ifop* pour La Lettre de l’opinion, un score (9,5 %) assez proche de celui qu’ils avaient atteint à la présidentielle de 2007 (10,6 %). Comme toujours l’extrême gauche trotskiste s’avance divisée en deux candidatures mais leur potentiel de voix est très restreint, la succession de leadership entre Arlette Laguiller, Oli-
vier Besancenot et leurs successeurs ne s’étant pas encore faite dans l’opinion. 11 % seulement des électeurs proches de LO et du NPA disent aujourd’hui leur intention de voter pour les candidats issus de ces partis.
Zone grise La situation est un peu meilleure pour Eva Joly qui attire 38 % des intentions de vote des électeurs proches d’Europe Écologie-Les Verts, mais on est loin d’une dynamique qui la projetterait dans la « cour des grands ». D’autant
plus qu’elle connaît une certaine concurrence au sein même de son électorat « naturel » : 35 % ont l’intention de rallier François Hollande, 5 % Frédéric Nihous et 4 % Corinne Lepage. Enfin, à droite Hervé Morin et Dominique de Villepin ont beaucoup de mal à capter les déçus du sarkozysme alors que Christine Boutin et Nicolas Dupont-Aignan connaissent un léger succès d’estime dans cette zone grise qu’est la droite de la droite : 7 % des électeurs qui ont voté en faveur du FN aux dernières régionales disent leur in-
tention de voter en faveur d’un de ces P. P. deux candidats. ■ *Sondage réalisé du 14 au 16 novembre auprès d’un échantillon de 1 146 personnes inscrites sur les listes électorales, extrait d’un échantillon de 1 243 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. Questionnaire autoadministré en ligne.
9,5 %
INTENTIONS DE VOTE POUR LES « PETITS » CANDIDATS DÉCLARÉS OU POTENTIELS À LA PRÉSIDENTIELLE DE 2012, au 14-16 novembre, en %
+
Éva JOLY
4%
A
+
1,5 % Dominique DE VILLEPIN
+
1%
+
0,5 %
0,5 %
Christine BOUTIN
Nicolas DUPONT-AIGNAN
+
0,5 % Nathalie ARTHAUD
+ +
0,5 % Corinne LEPAGE
Philippe POUTOU
+
0,5 % Frédéric NIHOUS
10,6 9,1 6
4,4 5
2,8 1965 1969 1974 1981 1988 1995 2002 2007
NOMBRE DE « PETITS » CANDIDATS AU PREMIER TOUR 9 9
TOTAL
8
d'intentions
0,5 %
Hervé MORIN
12,5
=
<0,5 % Jean-Pierre CHEVÈNEMENT
de vote cumulées pour les petits candidats
6
3 2
3 2
POUR 2012 Photos : AFP, Le Figaro (F. Bouchon, J.-C. Marmara)
1965 1969 1974 1981 1988 1995 2002 2007 Source : Cevipof
mardi 8 novembre 2011 LE FIGARO
14 débats opinions
étudesPOLITIQUES Figaro-Cevipof
0) $)/-*-)'.#% -% 1",,)/-% $"/("#'% ,234546"/*% -. 78 9 5).$3% Les forces de gauche non socialistes sont cantonnées aux rôles de supplétifs. PASCAL PERRINEAU
DESSIN DOBRITZ
DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)
À
six mois de l’élection présidentielle, la gauche bénéficie d’une position forte dans les sondages d’intentions de vote. Cette position est liée à la situation enviable d’opposition qui est la sienne dans un contexte où les majorités au pouvoir sont durement contestées dans toute l’Europe. À cela s’ajoute l’effet de nouveauté associée au processus des élections primaires et à la personnalité de François Hollande sorti vainqueur avec des allures de quasi-outsider. Dans la dernière vague du sondage d’intentions de vote réalisée, les 28 et 29 octobre, par Ipsos, les cinq candidats de gauche rassemblent 49 % des intentions de vote avec une part du lion pour le candidat socialiste (35 %). Ce niveau de la gauche est élevé et proche des niveaux qu’elle enregistrait en 1981 (50,6 % pour la gauche et l’écologie au 1er tour de la présidentielle de 1981) et en 1988 (49 % pour ces mêmes forces au 1er tour de la présidentielle de 1988). Cependant, jamais le candidat socialiste (sauf François Mitterrand en 1988 avec 34,1 % des suffrages exprimés) n’avait atteint de tels sommets. À six mois de l’élection, ces intentions de vote sont en partie virtuelles ; elles devraient fondre au fur et à mesure lorsque le combat présidentiel va s’engager et se durcir dans un contexte de grandes perturbations créatrices d’évolutions et de reclassements. François Hollande bénéficie d’un effet « lune de miel » lié au sacre de l’élection primaire qui lui a permis de se réinstaller solidement au cœur de l’électorat du PS : 82 % des électeurs proches du PS disent leur intention de voter en sa faveur. C’est, pour l’instant, le candidat le mieux installé dans son électorat de référence et la légitimation de la primaire y est pour beaucoup. Reste à savoir si cette légitimité ne sera pas entamée si le candidat socialiste est contraint d’adapter et de réviser le programme du PS que beaucoup de ses camarades de parti considèrent comme étant son indéfectible viatique. La victoire de la primaire et l’unanimisme qui a suivi ont caché les divisions du PS, ils ne les ont pas annihilées. À l’occasion
LE DÉBAT des primaires et l’écho médiatique qu’il a rencontré ont « réinstallé solidement François Hollande au cœur de l’électorat du PS ». Tel est le principal enseignement de l’étude de Pascal Perrineau. Selon le politologue, « la position de force qu’occupe François Hollande réside dans sa capacité à entamer l’espace central du système politique. » Le directeur du Cevipof montre comment le candidat PS fédère au-delà des couches moyennes, noyau dur de la gauche, les cadres supérieurs. De plus, François Hollande reprendrait pied dans les milieux populaires. Pour Pascal Perrineau, le forfait de Jean-Louis Borloo dans la compétition présidentielle et l’usure de François Bayrou ont dégagé un « espace centriste laissé en déshérence ». Investie par Hollande, « cette position centrale au sein de l’espace des gauches, de ses confins centristes à son extrême gauche en passant par l’écologie et le PS » appelle la comparaison avec la position de François Mitterrand en 1981. La faiblesse des deux alliés rivaux du PS cantonne les écologistes et « la gauche de la gauche » au rôle de « supplétifs plus que de partenaires ». Les Verts prétendaient après les élections européennes disputer au PS son hégémonie sur toute la gauche. Aujourd’hui, note Pascal Perrineau « la gauche de la gauche reste cantonnée à la protestation bourgeoise et au secteur public ». Et de prédire qu’en cas de victoire à la présidentielle, « cette hégémonie interne (à la gauche) peut laisser présager une hégémonie plus large et plus perturbante pour une démocratie » ; le PS contrôlerait tous les échelons du pouvoir politique, de la base au sommet. Un tel contrôle serait sans précédent dans la Ve… ■ JOSSELINE ABONNEAU
d’une révision des « tables de la loi » exigée par la dureté des temps, les susceptibilités des gardiens de l’orthodoxie peuvent se réveiller et contribuer à ternir l’unanimisme qui prévaut depuis quelques semaines. Un deuxième ressort de la position de force qu’occupe François Hollande réside dans sa capacité à entamer l’espace central du système politique. Dans l’enquête d’Ipsos, il est frappant de constater que 30 % des électeurs de François Bayrou de 2007 ont l’intention de voter en faveur du candidat PS. 25 % des électeurs sympathisants des Verts partagent, pour l’instant, la même intention. Des principaux candidats PS, François Hollande était celui qui pouvait le plus aisément occuper une partie
«
mal à la porter dans les urnes. La droite extrême semble avoir plus de capacité à être le porte-voix électoral des couches populaires en difficulté et en colère. Alors que Jean-Luc Mélenchon et les deux candidats trotskistes captent environ 10 % des intentions de vote des ouvriers et 8 % de celles des employés, Marine Le Pen attire plus de 35 % des premiers et 19 % des seconds. La « gauche de la gauche » reste cantonnée davantage à une protestation bourgeoise (Jean-Luc Mélenchon rassemble presque 11 % des intentions de vote des cadres supérieurs) et au secteur public. Le deuxième concurrent du PS dans sa course à l’hégémonie sur l’ensemble de la gauche est le partenaire écologique. Celui-ci avait réussi à concur-
La faiblesse des deux alliés rivaux du PS - l’écologie et la gauche de la gauche peut, à terme, donner l’impression d’un PS renouant avec une hégémonie pleine de superbe
d’un espace centriste laissé quelque peu en déshérence après le retrait de JeanLouis Borloo et l’usure de François Bayrou.
E
nfin, en dépit des efforts de Martine Aubry pour mettre en place une grille de lecture où la gauche se partagerait entre « gauche molle » et « gauche forte », le candidat socialiste échappe pour l’instant à l’opprobre de la « gauche de la gauche » : 32 % des électeurs de celle-ci en 2007 disent leur intention de voter, dès le premier tour, en faveur de François Hollande. Cette position centrale au sein de l’espace des gauches, de ses confins centristes à son extrême gauche en passant par l’écologie et le Parti socialiste, propulse François Hollande dans une position que seul François Mitterrand avait électoralement occupée en 1988. Cette hégémonie socialiste sur l’ensemble de la gauche est renforcée du fait de l’échec de la « gauche de la gauche » à capitaliser les dividendes politiques du mécontentement social lié à la crise. Jean-Luc Mélenchon et les candidats des divers appareils trotskistes ne dépassent pas à eux trois la barre des 9 %. En France et en Europe, la « gauche de la gauche » fait entendre sa voix dans la rue mais elle a plus de
»
rencer très sévèrement le PS lors des élections européennes de 2009. À cette occasion, les listes d’Europe Écologie avaient rassemblé 16,3 % des suffrages contre 16,5 % pour celles du PS. Plus de deux ans après, le PS a repris le contrôle du dispositif électoral de la gauche et rétabli son emprise : Eva Joly est créditée de 6 % d’intentions de vote et n’existe, de manière significative, que dans les couches moyennes salariées (12 % chez les professions intermédiaires). Elle ne parvient pas à endiguer le phénomène du « vote utile » chez les électeurs proches des Verts puisque 43 % seulement de ceux-ci ont l’intention de voter pour Eva Joly, 25 % choisissant François Hollande, 12 % Marine Le Pen, 6 % Jean-Luc Mélenchon et 6 % l’extrême gauche trotskiste. Une fois de plus, le candidat choisi par les Verts à l’élection présidentielle ne fait pas recette et est incapable de tenir la dragée haute au « grand frère » socialiste. Certains cadres du mouvement écologiste doivent regretter, audelà du choix du candidat par le processus de la primaire fermée de juin 2011, la stratégie même qui a consisté à vouloir coûte que coûte un candidat écologiste à l’élection présidentielle ; en effet, cette élection est en forte contradiction avec la culture des
vantage des préférences, des opinions que des votes. Les rapports de force évolueront profondément dans les mois qui viennent.
Milieux populaires Les enquêtes saisissent les bases sociales et politiques de la popularité de François Hollande. Ses zones de force sont la jeunesse (40 % d’intentions de vote des 18-34 ans), les quadragénaires (41 %), les couches moyennes salariées
Hollande en tête
35 %
(46 % chez les professions intermédiaires) et l’électorat PS dont le noyau dur a été mobilisé par la primaire qui a attiré près de 3 millions d’électeurs. Les milieux réticents sont les personnes âgées (28 %) et les travailleurs indépendants (28 %). Le candidat PS atteint dans les milieux bourgeois les mêmes niveaux (35 % chez les cadres supérieurs) que dans les milieux populaires (36 % en milieu ouvrier). Ceci montre la continuité d’un embourgeoi-
sement de l’électorat socialiste mais aussi la capacité de François Hollande à reprendre pied dans un électorat populaire qui avait pris ses distances avec la gauche. ■ P. P.
LA GAUCHE AU 1 TOUR DE L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE SOUS LA V er
ème
RÉPUBLIQUE
Source : Cevipof, Centre de recherche politiques de Science Po 2011
19 %
Jean-Luc Mélenchon
6%
Eva Joly
6%
François Bayrou
2%
Nathalie Arthaud
1%
A
Phillipe Poutou
François Hollande
Nicolas Sarkozy
Marine Le Pen
5,5 %
Dominique de Villepin
Nicolas Dupont-Aignan
1% 0,5 %
Le profil des électeurs séduits par François Hollande pénétration de François Hollande dans diverses catégories de l’électorat Ensemble de l'échantillon
35 %
Hommes Femmes
Sexe
34 %
36 %
35-44 ans
40 % 35 %
45-59 ans
41 %
60 ans et plus
28 %
18-34 ans
Artisan, commerçant, chef d’entreprise Cadre supérieur Profession intermédiaire
28 % 35 %
46 %
Employé
37 %
Ouvrier
36 %
Retraité
33 %
Inactif
15 %
Inférieur au Bac
32 %
Baccalauréat
37 % 39 %
Au moins Bac + 2
Niveau d'études
Sondage : Ipsos
24 %
i elle facilite la tâche de réaffirmation politique d’un PS qui renaît de ses cendres, la faiblesse des deux alliés rivaux du PS - d’un côté l’écologie, de l’autre la gauche de la gauche - peut, à terme, donner l’impression d’un PS renouant avec une hégémonie pleine de superbe. Hégémonie dans laquelle les alliés sont davantage des supplétifs que des partenaires. Cette impression peut être renforcée par la perspective d’une victoire éventuelle, en 2012, du PS à l’issue de laquelle celui-ci contrôlerait, sans aucun contrepoids externe ou interne à la gauche, tout le pouvoir de la base au sommet : présidence de la République, gouvernement, Assemblée nationale, Sénat, collectivités territoriales. Un tel contrôle de tous les échelons du pouvoir politique n’aurait aucun précédent sous la Ve République. En cela l’hégémonie interne à la gauche peut laisser présager une hégémonie plus large et plus perturbante pour une démocratie qui vit aussi de l’équilibre des pouvoirs et du pluralisme. ■
Profession du chef de famille
Le visage de la gauche au premier tour
INTENTIONS DE VOTE AU PREMIER TOUR DE L’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE
S
Âge
!"#$%& %' ()*+,%&&%& -. $)/-*-)' &"$*),*&'% JAMAIS, sous la Ve République, une élection présidentielle ne se sera tenue dans un tel climat de « haute tension ». Indépendamment des préférences politiques, des espoirs, des inquiétudes et des rancœurs, les électeurs de 2012 auront à juger de la capacité des candidats à être à la hauteur des exigences du gouvernement présidentiel dans un contexte de crise grave. L’heure de ce choix n’a pas encore sonné. Les sondages enregistrent da-
Verts allergique à la dimension personnelle de cette élection et à la verticalité de l’institution présidentielle. Dans l’histoire de l’élection présidentielle où l’écologie politique est présente, sans discontinuer depuis 1974, les candidats écologistes ont toujours oscillé entre 1,3 % et 5,2 %. La scène présidentielle contraint l’écologie politique à un statut de marginalité.
50
Écologistes 40
Extrème gauche, PC, Verts
32 %
Ségolène Royal
80 % 30 % 7% 6%
François Bayrou
30
PS + Radicaux de gauche + DVG
20 10
Parti communiste 0 1965
1969
1974
1981
1988
1995
2002
2007
Extrême gauche
Nicolas Sarkozy Jean-Marie Le Pen
Vote présidentielle 2007 (1er tour)
Source : Ipsos, France Télévisions, Radio France, Le Monde. Sondage réalisé du 28 au 29 octobre 2011 auprès d’un échantillon de 970 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. Échantillon interrogé par téléphone (méthode des quotas : sexe, âge, profession du chef de famille, région, catégorie d’agglomération).
mardi 4 octobre 2011 LE FIGARO
18 débats opinions
études politiques Figaro-Cevipof
!"#$%#"& '( !) * +#, -./-(""&/0+ &/ 1(20& '345&-0&("+ DESSIN DOBRITZ
Définition et participation du corps électoral, deux inconnues qui pèsent sur la désignation du candidat de gauche à la présidentielle de 2012. fectuée par Ipsos du 21 au 26 septembre auprès de votants potentiels puisque 44 % de ceux-ci disent leur intention de choisir François Hollande, 27 % Martine Aubry, 13 % Ségolène Royal et 10 % Arnaud Montebourg. Ségolène Royal ne semble pas pouvoir refaire le handicap qui la sépare des deux favoris et les petits candidats ne semblent exister que dans des « niches » relativement circonscrites. François Hollande est aujourd’hui le candidat le plus également implanté dans toutes les strates de l’électorat de gauche qui dit son intention d’aller voter le dimanche 9 octobre : jeunes et vieux, couches bourgeoises et populaires. Cependant, il rassemble nettement mieux les hommes que les femmes alors que Martine Aubry le dépasse dans la population féminine et
PASCAL PERRINEAU DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)
LES 9 et 16 octobre, le PS invite « le peuple de gauche » à désigner parmi les six candidats à la « primaire citoyenne » celui ou celle qui portera les couleurs socialistes à l’élection présidentielle de 2012. À moins d’une semaine du 1er tour, les rapports de forces restent relativement figés. S’appuyant sur les enquêtes d’opinion, Pascal Perrineau note que « dès avant l’été, une hiérarchie s’est établie entre deux candidats qui font la course en tête (Hollande et Aubry). » Avec un avantage certain au député de la Corrèze qui est « également implanté dans toutes les strates de l’électorat de gauche ». Celui-ci fédère le mieux l’électorat masculin mais Martine Aubry le dépasse auprès des femmes ; Ségolène Royal séduit plus les jeunes et l’électorat populaire, quand Arnaud Montebourg draine une frange bourgeoise et éduquée. Cependant, la plus grande prudence s’impose dans l’interprétation des sondages. Jusqu’au soir du dépouillement, la définition et l’importance du corps électoral sont inconnus : cette primaire est ouverte aux adhérents PS et à tout électeur qui se présente le jour du scrutin comme sympathisant de gauche. Il s’agit donc d’une élection « sans vraies références inscrites dans le marbre du vote ». L’idée de « primaire à la française » avait été lancée, au tout début des années 1990 par l’UDF et le RPR qui vivaient encore et toujours la rivalité Giscard-Chirac. Vingt ans plus tard, rappelle Pascal Perrineau, la gauche met en œuvre une « primaire à l’américaine » requalifiée « citoyenne » pour « régler par les urnes ce que l’appareil du PS ne parvient pas à régler en interne ». ■ JOSSELINE ABONNEAU
D
epuis l’université d’été du PS à La Rochelle (2628 août), la campagne de l’élection primaire bat son plein. Les six postulants qui avaient déposé leur candidature avant la rupture estivale sont véritablement entrés en campagne et parcourent l’Hexagone en tous sens. Cependant, quels que soient leurs efforts, les rapports de force, du moins en haut de l’affiche, ne semblent pas beaucoup bouger. Dès avant l’été, une hiérarchie s’est établie entre deux candidats qui font la course en tête (François Hollande et Martine Aubry), une candidate qui est décrochée (Ségolène Royal) et deux candidats davantage de témoignage (Manuel Valls et Arnaud Montebourg), sachant que le sixième et dernier candidat qui n’est pas de la famille socialiste, Jean-Michel Baylet, a du mal à exister politiquement. Dans le duo de tête, Martine Aubry est d’emblée dominée par François Hollande même si sa déclaration officielle de candidature, le 28 juin à Lille, a eu l’effet de la remettre dans le jeu. En juin et juillet, un à deux petits points seulement, selon le baromètre CSA de la primaire, séparent l’ancien et le nouveau responsable du PS. Mais dès août, François Hollande creuse l’écart (+ 6 points) pour aborder la dernière ligne droite nettement en tête (+ 7 points). Le dernier sondage réalisé par OpinionWay (23-26 septembre) accentue même la tendance puisque 43 % des sympathisants de gauche se prononcent en faveur de François Hollande, 30 % pour Martine Aubry et seulement 11 % pour une Ségolène Royal qui serait talonnée par Arnaud Montebourg (10 %). Il en est de même dans l’enquête ef-
«
socialistes pratiquent, pour l’instant, la retenue. Les oppositions entre candidats sont aujourd’hui plus articulées sur des différences de style que sur la perception de lignes politiques claires. Le premier débat du 15 septembre, au-delà du large écho qu’il a rencontré (4 920 000 téléspectateurs, 22,1 % de part d’audience), a montré que ce qui rassemblait les candidats était plus important que ce qui les séparait. Le deuxième débat du 28 septembre a montré cependant que pouvaient s’opposer deux conceptions : l’une insistant sur le règlement, l’interdiction et l’action omniprésente de l’État et l’autre plus tournée vers la société, la responsabilité et l’initiative privée.
16 octobre. Dans ce cadre, le rapport des forces, tel que le mesurent aujourd’hui les sondages d’intentions de vote, ne semble pas être favorable à la première responsable du PS. François Hollande est crédité dans le sondage CSA des 19 et 20 septembre de 52 % des intentions de vote contre 40 % à Martine Aubry, 8 % ne se prononçant pas, ce qui représente un rapport de 57 % à 43 % sur les seuls suffrages exprimés.
L
’enquête OpinionWay réalisée sur un échantillon de sympathisants de gauche aboutit au même résultat : 57 % en faveur de François Hollande et 43 % pour Martine Aubry. Le sondage Ipsos alourdit le handicap de Martine Aubry : 41 % contre 59 % pour son challenger.
N
éanmoins, la différenciation porte essentiellement sur les capacités personnelles prêtées à chacun pour prétendre à l’exercice des plus hautes fonctions de l’État dans un contexte de plus en plus troublé. Or, dans cette appréciation comparée des vertus et des capacités prêtées, à tort ou à raison, à chacun pour exercer la fonction de président de la République, François Hollande domine. Cette domination est outrageuse sur l’aspect le plus régalien de la fonction (avantage de 23 points sur Martine Aubry en ce qui concerne « la stature d’un président de la République », avantage de 24 points sur la capacité à battre Nicolas Sarkozy). En revanche, son avance est plus ténue sur l’incarnation du « changement », l’aptitude à « faire face à une crise économique internationale » ou encore la disposition à élaborer « les meilleures solutions aux problèmes des Français ». Dans ces divers traits que les électeurs de gauche qui s’apprêtent à voter à la primaire attribuent aux principaux candidats socialistes, se dessinent les forces et les faiblesses de celle ou de celui qui sera le candidat du Parti socialiste à l’issue de la primaire. ■
Les oppositions entre candidats sont aujourd’hui plus articulées sur des différences de style que sur la perception de lignes politiques claires
»
fait jeu égal avec lui dans les secteurs les plus diplômés de la population.
S
égolène Royal, quant à elle, garde une forte capacité à pénétrer la population jeune et l’électorat des couches populaires. Quant à Arnaud Montebourg, sa base est avant tout bourgeoise et éduquée alors que Manuel Valls connaît un succès d’estime dans les franges les moins à gauche de cet électorat de la primaire. Pour l’instant, aucune victoire de l’un des candidats ne semble possible dès le premier tour, à moins que la peur d’affrontements fratricides lors de l’entre-deux tours ne pousse certains cadres du PS, certains élus et certains électeurs à rallier la candidature de celui qui fait la course en tête. Si une telle dynamique ne se déclenche pas, il y aura un second tour le
Ces chiffres doivent être pris avec prudence car nous sommes loin d’un second tour, les rapports de force du premier tour ne sont pas fixés dans le marbre des « vrais résultats » et les manœuvres, les désistements, les inévitables bruits et fureurs qui accompagneront une campagne d’entre-deuxtours n’ont pas fait leur œuvre. Il faudra peut-être attendre un deuxième tour pour que la vérité des conflits et des antagonismes éclate au grand jour. Pour l’heure, il est trop tôt. Le Parti socialiste sait qu’il ne peut renouer sans danger avec la logique d’affrontement bipolaire qui lui avait coûté si cher lorsque Martine Aubry avait pris, en 2008, la direction du parti, dans des conditions fortement contestées, avec 102 voix d’avance sur 134 800 votants. Pour ne pas réveiller les mauvais souvenirs, les candidats
6/& #'4& '& 5% '".#0& $#+& &/ 7(8"& 9%" 5% :%(-;& ÉVOQUÉE à droite, principalement par Charles Pasqua, au tout début des années 1990, l’idée de « primaires ouvertes » allait faire lentement son chemin à gauche, sous la forme de « primaires fermées » réservées aux adhérents du parti. En 1995, Lionel Jospin fut choisi contre le premier secrétaire du PS de l’époque, Henri Emmanuelli. En 2006, Ségolène Royal s’imposa contre Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius. Cette primaire ne toucha que 80 000 adhérents PS en 1995 et 180 000 en 2006.
L’idée d’élections « primaires ouvertes » à l’américaine fut relancée en 2008 après le Congrès de Reims où le choix de la nouvelle première secrétaire du PS par le vote des adhérents fut entaché de multiples fraudes et contestée par Ségolène Royal. Empêtré dans une interminable querelle de chefs, le PS décida de s’ouvrir à une procédure de « primaires ouvertes » afin de régler par les urnes ce que l’appareil socialiste ne parvenait pas à régler en interne. En octobre 2009, les adhérents du PS ratifièrent massive-
ment la nouvelle règle du jeu, une convention du parti adopta en juillet 2010 les grands principes, le calendrier et les modalités définitives furent établis en janvier 2011.
Combien d’électeurs ? Sachant que les électeurs surestiment systématiquement leur participation, Ipsos évalue la fermeté de l’intention d’aller voter autour de 9 % du corps électoral. Si 40 % seulement de ce potentiel passe à l’acte de vote le 9 octobre, environ 1 500 000 électeurs
pourraient se rendre aux urnes. Cette participation serait nettement en deçà de celle de la gauche italienne aux trois primaires qui ont rassemblé de 3 à 4 millions d’électeurs dans les années 2000. Elle serait peut-être suffisante pour faire sortir le PS de sa difficulté à se choisir un (e) candidat (e) capable de l’incarner pleinement dans la grande joute électorale qu’est l’élection préP. P. sidentielle. ■
A le plus la stature d’un président de la République
Évolution des intentions de vote À LA PRIMAIRE SOCIALISTE (base : ceux qui déclarent qu’ils iront certainement ou probablement voter à la primaire)
34 %
35
33 %
30
27%
25
Source : sondage CSA pour BFMTV,, RMC et «Vingt Minutes»
23 % 20 % 19 %
19%
15
9 % NSP*
10
6%
5
A
3% 2% Mai 2011
Juin 2011
1%
Juillet 2011
4% 1%
Août 2011
Septembre 2011
*NSP : ne se prononce pas NSP*
Source : sondage CSA pour BFMTV, RMC et «Vingt Minutes» , réalisé par téléphone les 19 et 20 septembre 2011 auprès d’un échantillon national représentatif de 1 005 personnes âgées de 18 ans et plus
Est le plus capable de faire face à une crise économique internationale
Crédibilité comparée des candidats À LA PRIMAIRE SOCIALISTE (base : ceux qui ont l’intention d’aller voter) Paraît apporter les meilleures solutions aux problèmes des Français
Incarne le mieux le changement
Est le plus capable de battre N. Sarkozy à l’élection présidentielle
François Hollande
46 %
36 %
36 %
30 %
47 %
Martine Aubry
23 %
29 %
28 %
27 %
23 %
Ségolène Royal
14 %
11 %
14 %
15 %
15 %
Arnaud Montebourg
5%
4%
6%
9%
3%
Manuel Valls
1%
4%
4%
6%
2%
J.-M. Baylet
0%
2%
1%
0%
0%
11 %
14 %
11 %
13 %
10 %
débats OPINIONS
mardi 13 septembre 2011 LE FIGARO
16
étudesPOLITIQUES
Figaro-Cevipof
Sénatoriales : dernier test avant le rendez-vous de 2012 Un basculement à gauche entraverait la reconquête de l’opinion déjà engagée par l’UMP.
PASCAL PERRINEAU
DESSIN DOBRITZ
DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)
LE SÉNAT va-t-il basculer à gauche à l’issue du renouvellement de la moitié de ses sièges ? Si tel était le cas, ce changement de majorité dans une Assemblée où la droite règne depuis 1958 marquerait un tournant historique de la Ve République. A priori, la gauche a le vent en poupe : plan de rigueur, effet médiatique de la campagne de la primaire du Parti socialiste contribuent à mobiliser ses partisans. Principalement les délégués et élus locaux qui constituent le corps électoral sénatorial du 25 septembre et pour lesquels le vote est obligatoire. « Depuis 2000, note Pascal Perrineau, toutes les élections sénatoriales se sont traduites par une poussée de la gauche. » Cependant, le directeur du Cevipof met un bémol au pronostic d’un succès inscrit dans la projection mécanique des résultats électoraux dans les collectivités territoriales. D’autant que la majorité sénatoriale tient à une poignée de sièges : « 40 % des grands électeurs échappent à toute étiquette partisane », souligne Pascal Perrineau. La prudence du politologue s’appuie sur la « dimension personnelle » du scrutin qui peut « déjouer bien des calculs politiques » et favoriser « l’éclosion de candidatures hors parti ». Une victoire de la gauche ferait entrer les institutions de la Ve République dans une zone de turbulences. S’il ne peut renverser le gouvernement, un Sénat d’opposition a la capacité de gripper les institutions. Mais si la gauche l’emportait en 2012, le chef de l’État PS détiendrait pour la première fois tous les leviers institutionnels pour réformer sans frein. La situation politique serait inédite pour la gauche qui s’était heurtée en 1981 à la résistance du Sénat… ! JOSSELINE ABONNEAU
ÉLECTIONS Le dimanche 25 septembre, 150 000 grands électeurs représentant les régions, les départements et surtout les conseils municipaux de 44 départements, départements d’outre-mer et collectivités d’outre-mer ainsi que les Français de l’étranger, vont procéder au renouvellement d’à peu près la moitié des sièges du Sénat (170 sur un total de 348 sénateurs). Ce scrutin est important, car il intervient à sept mois de l’échéance présidentielle et peut se traduire par un changement de majorité sénatoriale de droite à gauche. Parmi les 170 sièges qui sont en jeu, 90 sont détenus par la droite, 73 par la gauche, 2 sont vacants et 5 ont été créés en fonction du développement démographique qu’ont connu cinq collectivités locales : l’Isère, le Maine-et-Loire, l’Oise, la Réunion et la Nouvelle-Calédonie.
C
et élément favorise dans de nombreux départements l’éclosion de candidatures « hors parti » ou à la lisière de ceux-ci. Dans certains départements, particulièrement ceux dans lesquels s’applique la représentation proportionnelle par liste (18 départements sur les 44 circonscriptions dans lesquelles l’élection aura lieu) les petits partis peuvent avoir l’envie de tenter leur chance afin de grappiller un siège : c’est le cas par exemple du Parti de gauche qui sera présent dans les départements de la ré-
«
A
2 2
Martinique
Mayotte
1
u-delà de l’importance de l’issue du combat électoral pour une Haute Assemblée qui n’a jamais, dans l’histoire de la Ve République, était contrôlée par une majorité de gauche, une éventuelle défaite de la majorité serait une douloureuse entrée en campagne pour la droite au pouvoir. La perte du Sénat pourrait alors augurer d’autres pertes à venir et entraver le processus de reconquête de l’opinion que le président, son premier ministre et l’UMP ont engagé. En revanche, une victoire de la majorité sortante montrerait que la « France profonde », celle des territoires avec toute la légitimité qui leur est attachée, ne cède pas et garde toute sa liberté de choix pour les grandes échéances électorales à venir. Si les élections sénatoriales restent bien sûr un monde à part où les grandes passions qui agitent et traversent la nation ne trouvent qu’un écho assourdi et feutré, on pourra cependant lire dans le verdict électoral du 25 septembre les premiers frémissements du tréfonds électoral du pays. ■
ans ce corps électoral d’élus locaux où le poids des représentants des gion Ile-de-France ou encore d’Europe locales en faveur de la gauche, et partipetites communes est important, la ba- Écologie-Les Verts en Moselle ou encore culièrement celle des élections municitaille politique va être rude. La gauche dans le Lot-et-Garonne. Ailleurs, c’est pales de 2008, se traduira par un gain n’a cessé d’engranger au cours des qua- la « querelle des ego » ou les conflits de sénateurs d’opposition. Mais celui-ci tre dernières années de nouveaux élus personnels qui peuvent nourrir les opé- ne sera peut-être pas suffisant pour locaux qui vont soutenir les candidats et rations dissidentes, par exemple à Paris emporter la présidence du Sénat. Une les listes des partis de gauche, le climat où, face à la liste UMP conduite par droite enracinée dans le terrain de petigénéral de l’opinion est plutôt morose et Chantal Jouanno, une liste emmenée par tes communes rurales peut résister et joue en défaveur des forces de la majomême, ici et là, reconquérir un ou deux rité et, enfin, l’entrée en campagne sièges. Le président Gérard Larcher Les groupes présidentielle a tendance à durcir dispose d’une surface politique qui peut politiques au Sénat les termes de l’affrontement. dépasser les limites strictes de son Cependant, le corps électocamp. La gauche ne dispose pas, pour RDSE* Union centriste UMP PS ral sénatorial n’est pas l’instant, d’une personnalité capa115 18 29 147 totalement prévisible. ble de rassembler efficacement Nombre d’élus de toutes les sensibilités de l’oppoPCconseils municisition. Et, en cas de rapport de Non inscrits Parti de gauche paux de petites force très serré, les groupes 24 8 communes ne charnières que constituent 179 heures sont pas encartés l’Union centriste (29 sièges Contrôle et n’ont pas toujours, loin de là, des engaPasgements politi343 sièges de-Calais ques de type 2 sièges vacants Nord 7 partisan. Envi11 Source : Sénat, au 12 septembre 2011 ron 40 % des * RDSE (Rassemblement démocratique et social européen) grands électeurs Somme SeineMaritime Aisne Ardennes
La France des élections sénatoriales du 25 septembre 2011
Oise
Calvados
3
Finistère
Ille-etVilaine
Morbihan
Mayenne
2
3
1 +1
NouvelleeCalédonie ie
3 +1
Réunion
3 +1
5
3
PROPORTIONNEL
NOMBRE DE SIÈGES XX À RENOUVELER + XX NOUVEAU SIÈGE CRÉÉ
Aube
Loiret
3
Moselle
5
Meurtheet-Moselle
BasRhin
4
et-Loir
Loir-etMaineCher et-Loire Indre2 et-Loire
MAJORITAIRE
2
Marne
Yvelines
Sarthe
MODE DE SCRUTIN
Meuse
Val-d’Oise
Seine-et6 Marne 5 Eure- Essonne 6
2
Côtesd’Armor
Loire-
Cependant, le Sénat peut, dans le cadre d’une révision constitutionnelle (article 89 de la Constitution), avoir un vrai pouvoir de blocage puisque toute révision doit être votée en termes identiques par le Sénat et l’Assemblée nationale avant d’être soumise au peuple ou bien, si la procédure du Congrès est retenue sur décision du président de la République, le projet de révision doit obtenir une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés des parlementaires. On voit bien comment une éventuelle révision cherchant à inscrire la règle d’or de l’équilibre budgétaire dans la
St-Pierreet-Miquelon
Eure
Orne
législative et utiliser tous les moyens de procédure qui permettent de faire traîner un texte.
Du terrain institutionnel au terrain politique
Manche
HauteMarne
2
Yonne
Vosges HauteSaône
HautRhin
Territoire Côte-d’Or Atlantique de Belfort ConstituDoubs 5 3 +1 Nièvre Cher 3 tion déjà 2 problématiJura Indre que aujourDeuxVendée Saône-et2 Sèvres Vienne Loire d’hui devienAllier drait irréalisable. HauteC’est bien pourquoi Ain Savoie CharenteNicolas Sarkozy atCreuse Rhône PuyHauteMaritime tend le 25 septembre Loire de-Dôme Vienne avant de prendre sa Charente 4 Savoie 3 décision définitive. Isère Corrèze P. P.
SeineSt-Denis Hauts- Paris 6 de-Seine 12 7 Val-deMarne
6
6
Français de l’étranger (sur les 12 sénateurs)
Lot-etGaronne
2
Landes
2
Gers
PyrénéesAtlantiques
3
HautesPyrénées
2
HauteLoire
Cantal
Dordogne Gironde
Guadeloupe
A
»
D
Elle a un rôle majeur en cas de révision constitutionnelle.
3
aujourd’hui) et le Rassemblement démocratique et social européen (18 sièges) pourront avoir la tentation de jouer leur propre carte.
Une victoire de la majorité sortante montrerait que la “France profonde“, celle des territoires (...), ne cède pas et garde toute sa liberté de choix pour les grandes échéances électorales à venir
Les pouvoirs de la Haute Assemblée QUE POURRAIT changer au fonctionnement des institutions une victoire de la gauche au Sénat ? En dépit de l’extension de ses compétences avec la Constitution de la Ve République, le Sénat a aujourd’hui moins de pouvoir que l’Assemblée nationale. Il ne peut, comme celle-ci, censurer le gouvernement. La Haute Assemblée participe au travail législatif, là aussi dans une position dominée, puisque, si le gouvernement le veut, c’est l’Assemblée nationale qui, en cas de désaccord entre la Chambre basse et la Chambre haute, a le dernier mot sur le vote de la loi (article 45 de la Constitution). En cas de victoire de la gauche, le nouveau Sénat ne pourrait pas renverser le gouvernement Fillon ; mais il pourrait, tout au mieux, pratiquer l’obstruction au cours de la procédure
Pierre Charon n’a pas renoncé à se présenter. Il en est de même dans les Hauts-de-Seine où cinq listes de droite pourraient s’affronter ainsi qu’en Moselle où, dans le passé, la division de la droite lui avait coûté très cher. Ces divisions peuvent ici et là se traduire par la perte d’un ou deux sièges fatidiques. Or le rapport de force au Palais du Luxembourg est serré. Depuis le début des années 2000, toutes les élections sénatoriales se sont traduites par une poussée de la gauche. Aujourd’hui, l’opposition contrôle environ 153 des 343 sénateurs (soit 45 % des effectifs) et donc le gain d’une vingtaine de sièges pourrait menacer directement la majorité sénatoriale sortante. La dynamique des dernières élections
échappent à toute étiquette partisane. Pour eux, la dimension personnelle de l’élection sénatoriale est importante et la prise en compte de celle-ci peut déjouer bien des calculs politiques.
Lozère
Lot
2
Tarn-etGaronne HauteGaronne
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Alpesde-HauteVaucluse Provence AlpesMaritimes Bouchesdu-Rhône Var HauteCorse CorseduSud
débats OPINIONS
mardi 21 juin 2011 LE FIGARO
14
étudesPOLITIQUES
Figaro-Cevipof
L’onde de choc de l’affaire DSK modifie le paysage politique DESSIN DOBRITZ
Sans effet sur l’audience du FN et de l’extrême gauche, elle dégage des marges de manœuvre pour Nicolas Sarkozy.
PASCAL PERRINEAU
DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)
LE « TSUNAMI » de l’affaire StraussKahn a radicalement modifié le paysage politique et rebattu les cartes pour les prétendants à l’élection présidentielle de 2012 dont les positions semblaient déjà figées. À dix mois du scrutin et à l’aune des dernières études d’opinion, elle a inversé si ce n’est les intentions de vote, au moins le pronostic de la victoire en faveur de Nicolas Sarkozy. Pascal Perrineau éclaire le reclassement politique de ceux qui ont porté au pinacle l’ancien patron du FMI. « Après les honneurs de l’opinion, la rapidité de la déchéance illustre combien la roche tarpéienne est proche du Capitole. Principalement pour ceux - cadres, professions intellectuelles et diplômés du supérieur - qu’il avait séduits et qui brûlent ce qu’ils ont adoré. » Paradoxalement, c’est François Hollande, profil médiatiquement affiché comme celui de « candidat le plus éloigné politiquement et culturellement de DSK » qui tire les bénéfices de l’éviction de l’ex-directeur général du FMI. Par contre, la désillusion n’affecte pas « le peuple de gauche », notamment les ouvriers. Selon le directeur du Cevipof, cette recomposition des forces « donne un regain de faveurs aux leaders de l’espace central qui va des marges de l’UMP aux Verts » qui affichent leurs ambitions. Mais elle dégage aussi des marges de manœuvre pour Nicolas Sarkozy. Pour l’instant, l’opinion porte un regard sévère sur l’affaire, mais elle n’en fait pas grief à l’ensemble des partis politiques. Les partis qui se présentent « hors système » comme le Front national ou l’extrême gauche n’en tirent pas d’avantages dans l’opinion, bien au contraire. Un signe ? L’affaire DSK, assure Pascal Perrineau, peut se muer en « lent poison » contribuant à renforcer un sentiment de défiance politique déjà très élevé dans le pays. Et déclencher la tentation de l’abstention massive pour les scrutins à venir… ■ JOSSELINE ABONNEAU
ÉTUDE Les unes de journaux lui ont été consacrées ad libitum, les images du feuilleton judiciaire ont été diffusées dans le monde entier, et, d’après une étude Kantar Media, « du 15 au 22 mai, chaque Français a été en contact 137 fois avec l’affaire DSK dans les médias », ce qui constitue une couverture médiatique sans aucun précédent. L’enquête de la Sofres sur la « twittosphère » politique nous apprend que le buzz politique sur Twitter a battu tous les records puisque, en mai 2011, 400 000 tweets ont été dédiés à l’affaire DSK. De la réalité on passe maintenant à la fiction puisque les projets édito-
«
Le deuxième impact s’est traduit par une réouverture d’un espace au centre de l’échiquier politique alors que celuici était largement occupé par un Dominique Strauss-Kahn dont le réformisme parlait aux électeurs du centre. Tous les leaders de l’espace central qui va des marges de l’UMP aux Verts enregistrent un regain de faveurs : Jean-Louis Borloo (+ 2), François Bayrou (+ 2) et Eva Joly (+ 2). Le troisième impact touche moins la scène électorale et davantage la scène internationale. La plus forte hausse de popularité concerne Christine Lagarde, qui gagne 11 points en un mois (14 à gauche et 7 à droite) et qui bénéficie de manière anticipée de la fonction de directeur général du FMI à laquelle elle aspire. Les Français, qu’ils soient de gauche ou
La gauche avait privilégié un « axe moral » dans la campagne ; celui-ci s’est assez largement désintégré riaux ou filmiques sur « l’affaire » fleurissent de toutes parts. Cette puissance médiatique de la couverture de l’affaire DSK a transformé celle-ci en un véritable « événement lourd » susceptible de faire évoluer les lignes de l’affrontement politique qui se prépare. Le premier impact est le transfert d’une partie de la légitimité strauss-kahnienne sur les autres prétendants socialistes : les trois personnalités du PS qui connaissent une sensible hausse de leur popularité dans la cote d’avenir Sofres-Figaro Magazine sont François Hollande (+6 de mai à juin), Martine Aubry (+3) et Manuel Valls (+3). Pour l’instant, une majorité des personnes interrogées (54 %) « souhaitent plutôt la victoire de la gauche pour la prochaine présidentielle » (sondage Ifop réalisé les 9 et 10 juin 2011). Le socialiste qui semble profiter le plus de l’éviction de DSK est François Hollande, qui peut apparaître comme « l’anti-DSK » éloigné à la fois culturellement (le « candidat normal ») et politiquement (Martine Aubry étant l’alliée politique de DSK) de l’ancien directeur général du FMI. Cependant, le pronostic de victoire a changé de camp puisque 57 % des Français interrogés par Harris Interactive (du 3 au 5 juin 2011) pensent que Nicolas Sarkozy sera réélu président de la République.
»
de droite, considèrent qu’elle est « faite pour le job » et aimeraient que l’ombre qui plane sur la fonction confiée à un Français s’évanouisse au profit d’une Française dont la légitimité technique et internationale n’a rien à envier à celle de son prédécesseur.
L
e quatrième impact de l’affaire est plutôt un « non-impact ». Nombre d’observateurs s’attendaient à ce que l’affaire DSK nourrisse les courants les plus protestataires de la vie politique, que ce soit la version du populisme de gauche de Jean-Luc Mélenchon, qui avait construit toute une partie de sa posture politique à partir de la dénonciation du directeur général du FMI, ou celle de la dénonciation de « diables en tous genres », dont Marine Le Pen est friande. Dès le 19 mai, la présidente du FN accusait le PS et Nicolas Sarkozy d’avoir fermé les yeux sur un comportement « quasi pathologique » au profit de leur intérêt politique. Cette promptitude dénonciatrice n’a pas porté, tout au contraire, puisque Marine Le Pen a perdu 3 points alors que le leader du Parti de gauche n’engrangeait qu’un frisson de 1 point. Les Français considèrent d’ailleurs que les responsables politiques ont eu en général, à propos de l’affaire DSK, un « comporte-
ment plutôt responsable » (selon un sondage CSA réalisé le 16 mai, 52 % partagent cette opinion, 38 % seulement considérant qu’ils ont eu un« comportement plutôt pas responsable ») et ils ont souvent du mal à se retrouver dans les indignations et ardeurs dénonciatrices véhiculées par les extrêmes.
A
u-delà de ces impacts immédiats, l’affaire DSK peut agir comme un « poison lent » régulièrement réactivé par un agenda judiciaire long qui va sans cesse interférer avec l’agenda politique de la campagne présidentielle. Ce « poison lent » peut contribuer à renforcer le niveau de défiance politique qui est déjà très élevé et risquant de déboucher sur une abstention conséquente lors de la prochaine élection présidentielle. Il est encore trop tôt pour prendre la juste dimension de cet effet délétère sur la fibre civique tout comme il est difficile de mesurer l’ébranlement des valeurs d’égalité, de respect et de modestie qui ont été mises à mal par l’affaire et ses suites. La gauche avait privilégié un « axe moral » dans la campagne qu’elle mettait en place ; celui-ci s’est assez largement désintégré sous les coups de boutoir de comportements apparemment éloignés des vertus de tempérance, de respect de l’autre sexe, d’attention à la condition des minorités et des « petits » et d’argent modeste auxquelles la gauche française dit être attachée. D’ailleurs, bien au-delà de la gauche, la question du harcèlement sexuel est considérée comme une des fautes les plus inexcusables pour un candidat à l’élection présidentielle. Selon un sondage Harris Interactive réalisé du 8 au 10 juin 2011, 89 % des personnes interrogées (92 % à gauche, 90 % à droite, 85 % au Front national) répondent qu’elles ne pourraient pas voter pour leur candidat favori s’il était accusé de harcèlement sexuel. Avec la corruption, c’est le comportement qui fait l’objet du rejet le plus vif et de la sanction électorale la plus forte loin devant la consommation de drogues ou d’alcool, la détention d’un compte bancaire à l’étranger ou l’infidélité dans le couple. Le comportement prêté à Dominique Strauss Kahn a donc transgressé une valeur forte qui est celle du respect de l’autre. L’événement Strauss-Kahn a donc commencé à déplacer les lignes du paysage politique à dix mois de l’échéance
présidentielle. Si le séisme a eu lieu, toutes les répliques n’ont pas encore été ressenties. Mais le paysage est déjà modifié. La voie royale vers des élections primaires d’adoubement pour le candidat socialiste laisse la place à une voie plus chaotique qui sera celle d’un affrontement entre plusieurs candidats dont deux ont, aujourd’hui, des chances à peu près égales. L’espace du centre se libère à nouveau et s’ouvre à des appétits concurrents de droite comme de gauche.
E
nfin, le président de la République sortant retrouve des marges de manœuvre où il pourra tenter d’installer les qualités de l’expérience, de la reconnaissance internationale et du rassemblement qui sont autant d’éléments de la « capacité présidentielle » sous la Ve République. ■
Photo : AFP
L’affaire DSK affaiblit la position du PS pour la présidentielle SELON VOUS L'ARRESTATION DE DOMINIQUE STRAUSS-KAHN SUITE AUX ACCUSATIONS DONT IL EST L'OBJET AFFAIBLIT-ELLE, RENFORCE-T-ELLE OU NE CHANGE-T-ELLE RIEN AUX CHANCES DU PARTI SOCIALISTE DE REMPORTER L'ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE DE 2012 ? Affaiblit
Renforce
Ne change rien
Splendeur et déclin d’un champion des sondages
15 %
La désillusion de ceux qui l’ont porté au pinacle a déjà provoqué le reclassement de l’électorat PS. L’ACCUSATION de viol portée contre l’ancien directeur général du FMI, très probable candidat du PS à l’élection présidentielle, a entraîné une brusque et forte chute de sa popularité et de l’avenir politique qui lui est prêté. De mai à juin 2011, celui qui caracolait en tête de tous les sondages de popularité s’est effondré : en mai, DSK faisait la course en tête des 38 personnalités politiques de la cote d’avenir Sofres/Figaro Magazine, 46 % des personnes interrogées souhaitant que DSK « joue un rôle important dans les mois et les années à venir »- un mois plus tard
—3 Marine Le Pen
ils ne sont plus que 17 %. Et DSK est relégué en fin de tableau en compagnie d’Arnaud Montebourg, Valérie Pécresse, Éric Besson ou encore Benoît Hamon.
Les chances du PS affaiblies Cette chute vertigineuse de 29 points est générale et s’observe dans tous les milieux. Mais elle atteint des records dans l’électorat socialiste (-43 points), chez les cadres et professions intellectuelles (-42) et les diplômés du supérieur (-41). Ceux qui avaient été le plus séduits brûlent ce qu’ils ont adoré. En
revanche, chez les ouvriers (- 8), ou chez ceux qui ne s’intéressent pas du tout à la politique (- 7), l’érosion est plus modeste. Cette désillusion vis-àvis de celui qui semblait peu à peu rallier tous les suffrages du « peuple de gauche » et au-delà, a déjà provoqué des reclassements. Le sentiment dominant est que l’arrestation de DSK a affaibli les chances du PS de remporter l’élection présidentielle : interrogés par la Sofres les 18 et 19 mai, 47 % des Français (50 % à gauche) contre 36 % (40 % à gauche) partagent ce sentiment. Un mois plus tard, les
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Jean-Luc Mélenchon
Éva Joly
François Bayrou
Jean-Louis Borloo
Manuel Valls
Martine Aubry
10 et 11 juin, 28 % des Français disent que l’absence probable de Dominique Strauss-Kahn les « a conduits à revoir leur position personnelle à propos de l’élection présidentielle » (sondage LH2). C’est le cas de 42 % des sympathisants du PS, de 35 % des sympathisants de la gauche, mais aussi de 19 % de ceux de la droite. Les femmes (32 %), les 18-24 ans (36 %) et les professions intermédiaires (33 %) sont autant de milieux qui ont été très interpellés par l’affaire Strauss-Kahn. ■ P. P.
+5
+ 11
François Hollande
Christine Lagarde
Sans opinion
Ensemble de 47 % l’échantillon
36 % 2% 8%
Sympahisants 50 % socialistes
40 %
1
Marine Le Pen ne parvient pas à en tirer profit
A
— 29 Dominique Strauss-Kahn
ÉVOLUTION DE LA COTE D'AVENIR SOFRES-FIGARO MAGAZINE DE MAI À JUIN 2011 Différence entre le % de personnes souhaitant «voir la personne jouer un rôle important au cours des mois et des années à venir» en mai 2011 et en juin 2011 Source : Enquête réalisée du 27 au 30 mai 2011 auprès d'un échantillon national de 1000 personnes représentatif de l'ensemble de la population âgée de 18 ans et plus (méthode des quotas et stratification par région et catégorie d'agglomération)
2% Source : sondage TNS Sofres-Canal +, réalisé les 17 et 18 mai 2011 auprès d’un échantillon de 962 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus (méthode des quotas et stratification par région et catégorie d’agglomération)
débats OPINIONS
mardi 24 mai 2011 LE FIGARO
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étudesPOLITIQUES
Figaro-Cevipof
La gauche peine à intégrer la demande d’autorité des couches populaires Le libéralisme culturel du Parti socialiste et l’effondrement du Parti communiste ont contribué au déclin du « vote de classe ».
DESSIN DOBRITZ
PASCAL PERRINEAU
CAPTER le vote des couches populaires devrait être l’un des enjeux majeurs de l’élection présidentielle de 2012. Principalement pour le candidat de la gauche, qui a longtemps considéré cette population sociologique comme une « chasse gardée ». Pour la première fois sous la Ve République, Nicolas Sarkozy avait rallié, en 2007, plus de la moitié des suffrages des employés et des ouvriers. Sous l’effet de la crise, le Front national est pour l’instant « le grand bénéficiaire de la crise de confiance vis-à-vis de la gauche et de la droite de gouvernement ». Pascal Perrineau montre que la gauche a perdu le monopole du «vote de classe». Ce lent déclin dans le milieu ouvrier s’explique, selon le directeur du Cevipof, par une « profonde recomposition de l’identité professionnelle »; celle-ci a gommé « la conscience de classe » et dissout « les modes de vie caractéristiques de la culture ouvrière(…) dans ceux d’une vaste classe moyenne ». L’étude met en relief la « fracture culturelle entre la gauche et le peuple ouvrier ». Apôtres du libéralisme culturel, le PS et les Verts ne répondent plus à la demande d’autorité et d’ordre, un ordre et une autorité que les couches populaires trouvaient au sein« des appareils de gauche comme le Parti communiste ». Ce divorce est illustré dans les distances prises par le milieu ouvrier avec l’appréciation que porte le PS sur l’affaire Strauss-Kahn : selon une enquête CSA en date du 16 mai 2011, 48 % ne partagent pas l’opinion du PS, quand les « bourgeois » l’approuvent à 65 %. Le PS est en cour chez les cadres et les professions libérales mais en perte de vitesse chez les ouvriers. Son décrochage politique et social réduit singulièrement la « gauche populaire » à l’oxymore… ! JOSSELINE ABONNEAU
DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)
ÉTUDE L’élection présidentielle de 2007 avait déjà montré combien la gauche était en difficulté électorale dans les milieux populaires : 55 % des employés qui s’étaient rendus aux urnes au second tour avaient choisi de voter en faveur de Nicolas Sarkozy, 52 % des ouvriers avaient fait de même. Avant 2007, jamais sous la Ve République un candidat de droite n’avait réussi à rassembler une majorité de suffrages ouvriers sur son nom. Quatre ans plus tard, la crise économique et financière et l’usure du pouvoir ayant fait leur effet, la droite souffre d’une crise de confiance dans ces mêmes milieux et les candidats potentiels de droite et du centre (Borloo, Dupont-Aignan, Sarkozy, Villepin) n’attirent plus que 41 % des intentions de vote des employés et 31 % de celles des ouvriers dans la perspective du 1er tour de l’élection présidentielle (sondage CSA/BFM TV, RMC, 20 Minutes, 16 mai 2011).
de classe ». Il ne faut pas cependant croire que le « vote de classe » avait indéfectiblement lié le sort de la « classe ouvrière », cœur de cible des milieux populaires, à la gauche. Le général de Gaulle avait réussi dans les années 1960 à entamer profondément l’implantation de la gauche politique en milieu ouvrier : la gauche ne parvenait à rassembler que 56 % des suffrages ouvriers lors des législatives de 1962 et 49 % lors des législatives de 1967. En 1965, le général de Gaulle captait 45 % des votes ouvriers mais François Mitterrand en attirait tout de même encore 55 %. Cependant, sauf cette « parenthèse gaulliste », la gauche a bénéficié d’un fort enracinement en milieu ouvrier qui s’inscrivait dans un mouvement de longue période qui avait vu, à la fin du XIXe siècle, la classe ouvrière se rallier aux forces de gauche. Il y a toujours eu,
«
O
n pourrait se dire que la gauche est de retour dans des milieux qui, pendant longtemps, ont été sa « chasse gardée ». Il n’en est rien puisque les candidats de gauche, des Verts à l’extrême gauche en passant par le PS et le Front de gauche, sont loin de parvenir à capter une majorité absolue des intentions de vote des couches populaires. La gauche n’attire aujourd’hui que 34 % des intentions de vote des ouvriers, 27 % de celles des employés (hypothèse d’une candidature Hollande) 30 % des intentions de vote des ouvriers et 38 % de celles des employés (hypothèse d’une candidature Aubry). Le grand bénéficiaire de cette crise de confiance vis-à-vis de la gauche et de la droite de gouvernement est, pour l’instant, le Front national : Marine Le Pen engrangerait de 24 à 29 % des intentions de vote des ouvriers et de 22 à 23 % de celles des employés. Cette érosion de la gauche en milieu populaire s’inscrit dans un mouvement de longue durée que beaucoup d’observateurs qualifient de « déclin du vote
les législatives de 1993 la gauche a été régulièrement minoritaire en milieu ouvrier (sauf en 1997), elle n’a rassemblé qu’une courte majorité de suffrages au second tour de 1995 pour devenir minoritaire en 2007.
À
quoi tient ce déclin ? Ces ouvriers moins nombreux - ils constituaient 39 % de la population active en 1962, 21 % seulement aujourd’hui - ne sont également plus les mêmes que ceux de la société industrielle d’antan. Ils travaillent de plus en plus dans le secteur tertiaire et sont désormais dispersés dans une société de services et non plus enracinés au cœur d’une société industrielle. Leur qualification professionnelle s’est élevée même s’ils exercent souvent un emploi dont la qualification est inférieure à celle qu’ils possèdent. Enfin, la taille des entreprises dans lesquelles ils travaillent a beaucoup dimi-
»
Depuis bientôt vingt ans, la gauche n’a cessé de décliner en milieu ouvrier pour y devenir peu à peu minoritaire à côté de ce « vote de classe » en faveur de la gauche, un vote culturel en faveur de la droite chez nombre d’ouvriers catholiques et conservateurs mais ce dernier vote était, la plupart du temps, nettement minoritaire. Ce tropisme électoral en faveur de la gauche faisait même partie d’une véritable « culture de classe ouvrière ». Les manifestations de celle-ci seront particulièrement visibles dans les années 1970 et 1980 où la gauche politiquement unie et conquérante attirera entre deux tiers et trois quarts des suffrages ouvriers. François Mitterrand sera élu par 67 % des ouvriers en 1981 et 75 % d’entre eux en 1988.
M
ais, depuis cette époque où il y avait une pertinence pour la gauche à se présenter comme l’expression politique des couches populaires et particulièrement de la classe ouvrière, les choses ont profondément changé. Depuis bientôt vingt ans, la gauche n’a cessé de décliner en milieu ouvrier pour y devenir peu à peu minoritaire : depuis
nué, les entreprises du tertiaire étant plus petites que celles de l’industrie. Toutes ces évolutions ont entraîné une profonde recomposition de leur identité professionnelle : la « conscience de classe » a chuté, l’individu avec ses propres repères l’emporte sur l’appartenance à de grands collectifs de travail englobants, les modes de vie caractéristiques de la « culture ouvrière » ont tendance à se diluer dans ceux d’une vaste classe moyenne. Ces changements de l’identité professionnelle des ouvriers et leur déception vis-à-vis de la gauche au pouvoir ont fortement contribué à desceller le lien politique et électoral fort qui existait entre les partis de gauche et la « classe ouvrière ». Ce descellement a été accentué par le divorce culturel croissant qui s’est installé entre la gauche, les croyances dominantes de ses élites politiques et partisanes et les valeurs à l’œuvre dans le milieu ouvrier. Dans les décennies d’après-guerre les valeurs d’ordre et d’autorité souvent véhiculées par les ouvriers trou-
vaient un exutoire dans des appareils de gauche, comme le Parti communiste, qui ne transigeaient pas sur la « verticalité » de certaines valeurs. Actuellement, la gauche contemporaine est beaucoup plus travaillée par le « libéralisme culturel », les valeurs « postmatérialistes » et ne parvient plus à intégrer dans son dispositif la demande d’autorité qui sourd des milieux populaires. Au-delà de son aspect purement judiciaire et personnel, l’affaire StraussKahn et les réactions qu’elle suscite sont révélatrices de la tension qui traverse la culture de gauche sur la question des valeurs. Il est intéressant de noter que le milieu ouvrier est un des milieux les plus partagés quant à l’appréciation de la réaction des responsables socialistes à l’affaire : 52 % des ouvriers pensent que ces responsables ont eu un « comportement plutôt responsable », 48 % ne partagent pas cette opinion (37 % retiennent un comportement « plutôt pas responsable », 11 % ne répondent pas). En milieu bourgeois (cadres, professions libérales) le rapport est de 65 % à 35 %. Chez les sympathisants du PS, il est de 75 % à 26 % (CSA, 16 mai 2011).
R
este à savoir où la demande d’autorité exprimée par les milieux populaires va se porter en 2012 : dans une abstention boudeuse et désenchantée ? Dans un vote protestataire derrière Marine Le Pen ? Dans le retour vers une gauche qui retrouverait les accents d’une République intransigeante ? Ou, comme en 2007, vers la majorité et le pouvoir en place ? ■
Le clivage social autour des valeurs Ouvriers
63 % 45 % Il y a trop d’immigrés en France
La fracture culturelle entre la gauche et les ouvriers
55 %
Les valeurs promues par le PS sont celles des classesmoyennes et de la bourgeoisie.
EN FRANCE, comme en bien d’autres pays d’Europe, la gauche s’est embourgeoisée à la fois dans la composition de son électorat et dans les proximités de valeurs qu’elle entretient avec tel ou tel secteur de la société. À cet égard, les mesures phares du gouvernement Jospin, qui a été aux commandes de 1997 à 2002 (pacs, 35 heures…), étaient souvent plus en harmonie avec les valeurs et les attentes des classes moyennes et de la bourgeoisie qu’avec celles de la « classe ouvrière ». La gauche est parfois
davantage en symbiose culturelle avec les « bourgeois bohèmes » qu’avec les couches populaires.
Décrochage À l’heure actuelle, les divers candidats socialistes potentiels rassemblent des intentions de vote beaucoup plus élevées chez les professions libérales et cadres supérieurs que celles recensées chez les ouvriers : 26 % pour Aubry chez les professions libérales et cadres supérieurs contre 14 % chez les ouvriers ; 30 % pour Hollande chez
Les intentions de vote pour le premier tour de l’élection présidentielle
Ensemble de l’électorat
23 %
23 %
37 %
37 %
Ouvriers
12 %
14 %
34 %
30 %
Employés
16 %
20 %
27 %
38 %
Prof. libérales cadres sup.
A
HYPOTHÈSE 1 F. HOLLANDE
TOTALISATION DES INTENTIONS DE VOTE DE L’ENSEMBLE DES CANDIDATS DE GAUCHE DANS L’HYPOTHÈSE HYPOTHÈSE 2 M. AUBRY F. HOLLANDE M. AUBRY
30 %
26 %
47 %
38 %
celles des milieux populaires. Cela est patent dans des domaines aussi divers que l’éducation des enfants, la perception de l’immigration ou encore la justice. À l’heure où le « vote sur les valeurs » semble progresser, la gauche et particulièrement le PS sont confrontés à un débat stratégique sur les valeurs à promouvoir et par voie de conséquence les milieux sociaux à privi- légier. ! P. P.
75
61
1968
55
1973
1978
Sondages post-électoraux Sofres (1962-2002), Ifop (2007)
20 %
1981
Source : PEF, Cevipof, minsitère de l'Intérieur (mai 2007)
75
70
67
60
60
42 1967
45 %
68
50
49 1962
21 % Il faudrait rétablir la peine de mort
70 70
58
56
50 %
% D’OUVRIERS AYANT AFFIRMÉ VOULOIR VOTER OU AYANT VOTÉ POUR LA GAUCHE
OUVRIERS AYANT VOTÉ À GAUCHE AUX ÉLECTIONS LÉGISLATIVES, en % des suffrages exprimés
68
Maintenant on ne se sent plus chez soi comme avant
La gauche au second tour et le vote ouvrier
Les ouviers qui votent à gauche
42 %
*Nathalie Arthaud + candidat(e) du NPA + Jean-Luc Mélenchon + Nicolas Hulot Sondage CSA-BFMTV-RMC-20 minutes auprès d'un échantillon national représentatif de 1 007 personnes âgées de 18 ans et plus dont ont été extraites 838 personnes inscrites sur les listes électorales en France, constitué d'après la méthode des quotas (sexe, âge et profession du chef de ménage) après stratification par région et catégorie d'agglomération. Enquête réalisée le 16 mai 2011.
les professions libérales et cadres supérieurs contre 12 % chez les ouvriers. Ce décrochage de la gauche dans les milieux populaires recoupe le clivage qui peu à peu s’est instauré entre des ouvriers attachés souvent à des valeurs d’autorité et d’homogénéité et des partis de gauche plus sensibles aux sirènes libertaires et multiculturalistes. Un clivage qui n’est pas seulement politique mais aussi social, la bourgeoisie et les « gens d’en haut » ayant des valeurs plus « souples » que
Prof. libérales, cadres sup.
De nos jours les parents n’ont plus aucune autorité
1986 1988 1993
45
42
1997 2002 2007
60 55
53
48
40
50
40 1965(1) 1974(2) 1981(2) 1988(2) 1995(2) 2007(3) Enquêtes : (1) pré-électorale Ifop - (2) post-électorale Sofres - (3) post-éléectorale Ifop
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mardi 26 avril 2011 LE FIGARO
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étudesPOLITIQUES
Figaro-Cevipof
Le centrisme, un courant en basses eaux électorales DESSIN JEAN DOBRITZ
Cette sensibilité est en quête d’un projet redéfinissant l’approche « libérale, sociale et européenne », à l’heure de la globalisation. plus d’un espace politique conséquent, « puisqu’un rassemblement à épicentre gaullien l’emportait à tous les étages », nous dit Jean-Pierre Rioux. Et pourtant, le centrisme va faire de la résistance. En 1965, Jean Lecanuet issu du MRP rassemble 15,6 % des voix face au général de Gaulle. Alain Poher, originaire de la même famille politique, attire 23,3 % des suffrages à l’élection présidentielle de 1969. À côté de ce centrisme qui cherche à maintenir l’idée d’une « troisième force » se développe un centrisme qui s’insère dans le jeu de la bipolarisation et rejoint la droite. Jacques Duhamel crée en 1969 le Centre démocratie et progrès et devient la troisième composante de la majorité avec l’UDR et les Républicains indépendants. Avec la victoire de Valéry Giscard d’Estaing en 1974, la réunification des centres ne connaît plus d’obstacles et, en 1978, naît l’UDF, confédération « libérale, sociale et européenne ». Les modérés et les
PASCAL PERRINEAU
DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)
LA NOTORIÉTÉ de Jean-Louis Borloo a placé le centrisme au cœur du débat politique à droite. Une sorte d’exploit pour un courant idéologique qui se rêve en « troisième force », mais peine à trouver son espace dans le fonctionnement bipolaire de la Ve République. Pascal Perrineau met en perspective ce « courant historique qui a traversé les deux derniers siècles ». Il en pointe les faiblesses et les atouts. Cette formation a toujours su négocier sa survie soit « en faisant de la résistance »,soit en intégrant « le jeu de la bipolarisation et rejoindre la droite »(l’UDF au temps de Valéry Giscard d’Estaing, maintenant l’UMP de Nicolas Sarkozy). En l’état actuel, le centrisme est un « miroir brisé » : il y a ceux qui souhaitent rester dans la maison UMP, ceux qui, tels les amis du MoDem de François Bayrou, tâtent l’aventure de la force « indépendante ». Et puis, il y a aussi tous ceux qui préconisent l’autonomie en scellant ici et là des « alliances concurrentielles ». En pleines manœuvres de campagne présidentielle, l’UMP, déstabilisée par la percée du Front national, entend maintenir dans son giron une formation « en position centrale ». Au regard de l’opinion, elle cherche à retenir les franges électorales qui lui font le plus défaut : les sympathisants de droite, ceux du MoDem, les écologistes et la population sans préférence partisane. Il s’agit notamment de la classe d’âge des 25-34 ans. Toutefois, souligne Pascal Perrineau, faute de projet, et en l’état actuel de l’opinion, aucun des prétendants centristes intégrés jusqu’ici à l’UMP (Morin, Borloo) ne peut espérer « compter » et peser dans l’élection présidentielle. Il ne peut qu’en perturber les prémices. ! JOSSELINE ABONNEAU
ÉTUDE Le centrisme est un vieux courant de pensée qui a traversé les deux derniers siècles en connaissant plusieurs avatars. Jean-Pierre Rioux, dans son dernier ouvrage, Les Centristes. De Mirabeau à Bayrou (Fayard, 2011), en distingue trois : celui de l’âge libéral, de 1788 à 1870, celui de l’âge gouvernemental, de 1870 à 1958, et celui de l’âge présidentiel, depuis 1958. Les centristes du premier âge naissent de la volonté d’éviter une dérive despotique de la Révolution de 1789 qui, comme le rappelle ce révolutionnaire modéré qu’est Adrien Duport, était latente : « Ce qu’on appelle la Révolution est fait, les hommes ne veulent plus obéir aux anciens despotes ; mais si l’on n’y prend garde, ils sont prêts à s’en forger de nouveaux. » Il s’agit avant tout pour tous ces libé-
«
Avec l’âge présidentiel de la Ve République, le centre ne dispose plus d’un espace politique conséquent (...) Et pourtant, le centrisme va faire de la résistance
»
raux d’empêcher qu’un seul pouvoir en vienne à accaparer tous les autres, fût-ce au nom de la souveraineté du peuple et de développer une ligne de « juste milieu » entre l’ordre et la liberté. Avec les IIIe et IVe Républiques, le centrisme entre dans l’âge gouvernemental et est au cœur des formules de « concentration républicaine » qui enracinent la République loin des systèmes et des idéologies et fortifient un parlementarisme rétif aux grands affrontements bipolaires. « Opportunistes » centristes de droite, centristes de gauche, radicaux, démocrates, chrétiens se retrouvent en un commun attachement à la république parlementaire, à l’humanisme social et à l’esprit de modération et de consensus.
A
centristes associent leur sort et parviennent, dix ans plus tard, à un rééquilibrage avec le RPR puisqu’aux législatives de 1988 l’UDF compte 131 députés contre 130 au RPR. Mais les échecs répétés à l’élection présidentielle, les divisions internes et les différends stratégiques viennent à bout de cette puissance centriste retrouvée. Les échecs de Giscard en 1981, de Raymond Barre en 1988 et d’Édouard Balladur en 1995 minent une UDF sans chef reconnu et incontesté. Les libéraux reprennent en 1998 leur indépendance en détachant Démocratie libérale de l’UDF. En 2002, deux tiers des députés de l’UDF restante intègrent l’UMP à sa création. Quelques années plus tard, l’UDF maintenue sous la houlette de François Bayrou se déclare, au congrès de Lyon de janvier 2006, « libre et indépendante ». C’est le début de l’aventure soli-
vec l’âge présidentiel de la Ve République, le centre ne dispose
taire de Bayrou qui emmènera le MoDem, créé en 2007 sur les décombres de l’UDF, vers de nombreuses déconvenues électorales. Le centrisme est aujourd’hui un miroir brisé, éclaté entre ceux qui continuent à croire à un parti unique de la majorité au sein de l’UMP, ceux qui redécouvrent les vertus d’une alliance concurrentielle aux marges de l’UMP et ceux qui restent séduits par le superbe isolement d’un centrisme autonome et indépendant. Les premiers, peu ou prou, se retrouvent derrière Nicolas Sarkozy, les seconds observent attentivement les efforts de renaissance d’une nouvelle UDF portés par Jean-Louis Borloo ou Hervé Morin, les troisièmes espèrent renouveler en 2012 la « divine surprise » des 18,6 % de voix engrangées par François Bayrou en 2007.
et de l’incarnation de celui-ci restent essentielles. Au-delà des préoccupations tactiques (un ou deux candidats à droite, un ou deux partis…), ce vieux courant qu’est le centre doit retrouver le chemin du projet et redéfinir ce qu’est une approche « libérale, sociale et européenne », à l’heure de la globalisation. L’homme capable d’incarner cette nouvelle approche pourra alors « compter » dans une bataille présidentielle qui est toujours, dans la logique de la Ve République, la scène sur laquelle s’inventent les grands destins et renaissent les courants politiques anémiés. ■
P
our l’heure, les perspectives sont modestes et les sondages d’intentions de vote ne créditent aucun candidat du centre d’un score à deux chiffres. Dans le sondage d’intentions de vote Harris Interactive réalisé les 19 et 20 avril 2011 pour Le Parisien, François Bayrou est crédité de 5 % dans le cadre d’un premier tour où Martine Aubry serait candidate du PS (4 % seulement dans le cas où Dominique Strauss-Kahn le serait), JeanLouis Borloo attirant 9 % des intentions de vote (7 % si le patron du FMI était le candidat socialiste). Pour l’instant, le centrisme est dans une période de basses eaux électorales. D’autant plus qu’une candidature centriste semble être menaçante pour une droite contestée vigoureusement sur son flanc extrême par la dynamique du Front national de Marine Le Pen. 67 % des sympathisants de l’UMP, interrogés les 1er et 2 avril par Ipsos pour France 2, pensent que si Jean-Louis Borloo était candidat à l’élection présidentielle de 2012 ce serait plutôt un handicap pour Nicolas Sarkozy. Dans la même enquête, s’ils sont 29 % à souhaiter une candidature Borloo, ils sont 63 % à ne pas la souhaiter. La marge de manœuvre du centrisme est étroite. Les questions du projet
au pire 11 % (si Dominique Strauss-Kahn représentait le PS). Jean-Louis Borloo réalise ses meilleurs scores chez les 2534 ans (13 % dans le cadre d’un premier tour où Strauss-Kahn serait candidat socialiste), une tranche d’âge dans laquelle la droite est particulièrement faible. Il séduit
30%
Intentions de vote au 1 er tour de l'élection présidentielle de 2012
aussi les sympathisants de droite (13 %) ainsi que ceux sans préférence partisane (9 %). Il suscite aussi un écho chez les sympathisants du MoDem (6 %) et chez ceux d’Europe Écologie-Les Verts (6 %).
Surclasser François Bayrou Cette position très centrale de JeanLouis Borloo lui permet de surclasser pour l’instant un François Bayrou très enfermé dans le petit milieu des sympathisants du MoDem (59 %). Cependant
A
Nathalie Arthaud
4%
Olivier Besancenot
Jean-Luc Mélenchon
F. Bayrou
7%
4%
Sexe Hommes Femmes
6% 8%
3% 5%
Age 18-24 ans 25-34 ans 35-49 ans 50 ans et +
5% 13% 5% 7%
5% 5% 5% 3%
Catégorie sociale professionnelle (CSP) CSP + 7% CSP — 6% Inactifs 7%
3% 5% 4%
Proximité politique Total gauche Verts/Europe E. MoDem Total droite UMP Sans préf. part.
4% 6% 6% 13% 3% 8%
2% 6% 59% 0% 1% 9%
ÉVOLUTION DU POIDS ÉLECTORAL au 1er tour 32,6% de l’élection présidentielle
Giscard d'Estaing
23,3%
1965
1969
16,5%
Barre
10,7%
10
Bayrou + Madelin 1974
1981
1988
1995
2002
2007
Photos : Le Figaro
21%
7% 4%
Nicolas Hulot
F. Bayrou
Balladur
19%
Dominique StraussKahn
18,6%
18,6%
Poher
HYPOTHÈSE AVEC DOMINIQUE STRAUSS-KAHN
6% 4%
J.-L. Borloo Ensemble
28,3%
il est presque inexistant parmi les sympathisants de la droite et même devancé par le patron du Parti radical au sein des sympathisants 15,6% de gauche (2 %, contre 4 % Lecanuet tentés par Borloo).! P. P.
*Question posée aux inscrits sur les listes électorales
1% %
au 1er tour de l’élection présidentielle
Giscard d'Estaing
Jean-Louis Borloo séduit les 25-34 ans qui boudent la droite DANS L’ESPACE des centrismes, JeanLouis Borloo est aujourd’hui l’homme le mieux placé. Le sondage d’intentions de vote Harris Interactive réalisé les 19 et 20 avril pour Le Parisien le crédite de 7 à 10 % des intentions de vote (selon la personnalité du candidat socialiste : lire l’infographie ci-dessous) alors que François Bayrou oscille entre 4 et 7 %. À eux deux, les candidats centristes totaliseraient au mieux 17 % des intentions de vote (si Ségolène Royal était candidate),
PROFIL COMPARÉ DES INTENTIONS DE VOTE
François Bayrou
Jean-Louis Borloo
3%
Dominique de Villepin
1% Nicolas Sarkozy
Nicolas DupontAignan
Marine Le Pen
LUTTE OUVRIÈRE NPA FRONT DE GAUCHE PARTI SOCIALISTE ÉCOLOGISTE MODEM PARTI RADICAL RÉP. SOLIDAIRE UMP DEBOUT LA RÉP. FRONT NATIONAL Sondage Harris Interactive pour Le Parisien Aujourd’hui en France : sondage réalisé en ligne les 19 et 20 avril 2011 sur un échantillon de 926 individus inscrits sur les listes électorales issus d’un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus, selon la méthode des quotas et redressement appliquée aux variables suivantes : sexe, âge, catégorie socioprofessionnelle, région de l’interviewé et vote au 1er tour de l’élection présidentielle de 2007.
débats OPINIONS
mardi 29 mars 2011 LE FIGARO
18
étudesPOLITIQUES
Figaro-Cevipof
Front national : un retour en force ? Le parti extrêmiste reprend pied dans ses anciens bastions situés à l’est d’une ligne Le Havre-Perpignan.
PASCAL PERRINEAU ET JEAN CHICHE
L
DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF) ET CHERCHEUR
MALGRÉ une infinitésimale présence dans les conseils généraux, où il occupe deux sièges sur plus de deux mille soumis à renouvellement, le Front national a réussi à s’imposer dans le paysage politique. Cependant, l’abstention record (55,22 %), signe de défiance politique, accompagne la percée électorale frontiste. Avec 11,55 % des voix, le FN s’est placé dans cette élection en troisième force au cœur des enjeux de la campagne présidentielle de 2012. « Le succès électoral des cantonales marque un véritable retour du FN à ses plus hauts niveaux d’influence électorale », soulignent Pascal Perrineau et Jean Chiche. Le parti frontiste sera-t-il « incontournable en 2012 », comme le clame aujourd’hui Marine Le Pen qui s’est installée dans le paysage politique. L’électorat s’affirme de moins en moins protestataire quand l’opinion considère maintenant le Front national comme « un parti comme les autres ». Toutefois, les premiers résultats de la campagne de « dédiabolisation » menée par la présidente Marine Le Pen ne suffisent pas encore à « transformer le plomb de la protestation en or de l’adhésion majoritaire » comme le soulignent les deux chercheurs du Cevipof. ■ JOSSELINE ABONNEAU
e Front national, avec 15,1 % des suffrages exprimés dans l’ensemble du pays et 19,2 % dans l’ensemble des cantons où il était présent, a créé la surprise de ces cantonales. Ce succès a été confirmé au second tour par sa capacité à progresser de plus de dix points en moyenne dans les cantons où il était encore en lice. Et pourtant, étant donné la très forte abstention, le FN n’a pas gagné de voix depuis 2004, il en a même perdu au premier tour un peu plus de 100 000. Mais il est vrai que le FN était présent dans beaucoup plus de cantons en 2004 (1 832 cantons métropolitains) qu’en 2011 (1 441 cantons). Sa véritable influence nationale doit être aujourd’hui autour des 17-18 % de suffrages. Le FN revient de loin. En effet, dans l’ensemble des cantons qui ont fait l’objet d’un renouvellement, il avait connu un véritable délitement de son influence : 10,9 % à la présidentielle de 2007, 4,4 % aux législatives de la même année, 6,6 % aux européennes de 2009. Il avait cependant enregistré un regain d’influence aux régionales de 2010 avec 12 % des voix. Le succès électoral des cantonales marque un véritable retour du Front national à ses plus hauts niveaux d’influence électorale : dans cette série de cantons, Jean-Marie Le Pen avait atteint 17,5 % au premier tour de 2002, puis 18,4 % au second tour. Le FN de Marine Le Pen, neuf ans après le « choc » de 2002, est revenu à son niveau record. Il est intéressant de
constater que ce retour en force électoral se traduit géographiquement par une forte capacité du FN à reprendre pied dans les bastions qui étaient les siens depuis plus de vingt ans. La poussée du FN, depuis 2004, est particulièrement élevée sur toute la façade méditerranéenne, le long du sillon rhodanien, dans la grande périphérie parisienne, dans l’Est et le nord.
«
du parti d’extrême droite comme symptôme d’une France qui va mal a été renforcée par la volonté d’une partie d’électeurs de droite classique d’utiliser le vote frontiste pour dire leur mauvaise humeur. En effet, si une forte majorité d’électeurs proches de l’UMP est« en désaccord avec les idées du FN » (61 %, selon le sondage réalisé par la Sofres les 9 et 10 mars 2011), une minorité significative de 36 % dit être « assez ou tout à fait d’accord » avec celles-ci.
territoire sont davantage épargnées. Dans l’Allier, l’Aveyron, le Cantal, le Cher, la Creuse, le Gers ou encore le Lot, le FN perd de son influence. Il en est de même dans les Côtes-d’Armor, le Finistère, l’Ille-et-Vilaine, le Maineet-Loire, la Manche ou la Mayenne. Cela ne veut pas dire pour autant que toutes ces terres sont à l’abri d’une poussée : dans la Charente-Maritime,
Le Front national n’a pas gagné de voix depuis 2004, il en a même perdu au premier tour un peu plus de 100 000 (...) Sa véritable influence nationale doit être aujourd’hui autour des 17-18 % de suffrages
C’
est dans cette frange d’électeurs que le vote FN a pu servir de « coup de semonce ». Au second tour des cantonales, le FN a d’ailleurs connu une vive progression : + 10,9 % dans les cantons où il était opposé à la gauche, + 11 % dans ceux où il affrontait la droite. La dynamique électorale du FN entre les deux tours ne vient donc pas de la seule droite. Cette poussée ne lui permet cependant pas de rassembler une majorité autour de lui pour l’emporter (sauf dans le cas de deux cantons : Brignoles dans le Var et Carpentras dans le Vaucluse). En somme, le Front national n’est pas encore tout à fait « un parti comme les autres », capable de transformer aisément le plomb de la protestation en or de l’adhésion majoritaire.■
»
On retrouve tous les bastions de cette France lepéniste, à l’est d’une ligne Le Havre-Perpignan que l’on connaît bien depuis près de trente ans. Cette France des grandes conurbations, des inquiétudes urbaines, des terres de la désindustrialisation et du cosmopolitisme redonne à la fille les espaces électoraux qu’elle avait donnés au père dans le passé.
L
e trio de départements dans lesquels la dynamique électorale du FN est la plus forte depuis 2004 est constitué de la Moselle (+ 8,9 %), du Gard (+ 8,8 %) et du Pas-de-Calais (+ 8,5 %) : ce sont toutes des terres de la crise industrielle, de la pauvreté et de la poussée du chômage. La renaissance du FN prospère sur les décombres d’une France industrielle qui s’est défaite sous les coups de boutoir de la globalisation. En revanche, les terres plus paisibles et rurales du centre et de l’ouest du
la Haute-Vienne, la Sarthe ou encore la Vendée, le FN progresse sensiblement, se nourrissant ici d’une protestation contre les effets de la tempête Xynthia, là de la crise de la droite locale ou encore ailleurs d’un malaise du monde agricole. La capacité du Front national d’être l’exutoire de malaises de types très différents a resurgi dans le contexte d’une France inquiète et désorientée : 84 % des personnes interrogées par l’institut Ipsos sont pessimistes quant à l’évolution de la situation économique et sociale de la France au cours des prochains mois. De tous les électorats, c’est celui du FN qui a le plus utilisé son vote pour exprimer ce malaise : alors que 47 % des électeurs interrogés par Ipsos disent que « ce qu’ils pensent de la situation politique et économique au plan national est déterminant dans leur choix de vote », ils sont 70 % parmi les électeurs du Front national. Cette position
Évolution du Front national AU 1ER ET AU 2E TOUR DES CANTONALES Front national face à la gauche (266 cantons) 1er tour
Les résultats ne donnent pas toutes les clés pour 2012 DANS LA SÉRIE des cantonales depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, jamais autant d’électeurs ne s’étaient abstenus : 55,7 % au premier tour, 55,2 % au second. Ce retrait massif des électeurs à treize mois de l’échéance présidentielle doit rendre extrêmement prudent quant aux projections que l’on peut faire de ce rapport de forces cantonal sur un rapport de forces présidentiel. Personne ne peut faire parler aujourd’hui ces abstentionnistes qui, dans quelques mois, se dé-
placeront lors du combat présidentiel. D’autre part, les élections cantonales, du fait de la spécificité de leur enjeu, n’annoncent pas toujours la couleur de l’élection présidentielle à venir. Interrogés le 20 mars dernier par Harris Interactive, 64 % des électeurs des cantonales déclarent avoir voté plutôt en fonction d’enjeux locaux et départementaux. Cette majorité est forte dans tous les électorats sauf au Front national, où 72 % des électeurs ont privilégié les enjeux
Résultats des cantonales 2011 (1 er tour) Nombre de voix
C
Inscrits Abstentions Votants Blancs et nuls Exprimés
% inscrits % suffrages exprimés
nationaux. Une telle « localisation » de la consultation cantonale ne peut éclairer qu’imparfaitement la « nationalisation » forte caractéristique de toute élection présidentielle. D’ailleurs, dans l’histoire des cantonales, si certaines de celles-ci (1979, 1985, 1992) étaient autant de prodromes de ce qui allait se passer aux présidentielles ou aux législatives suivantes (1981, 1986, 1993), d’autres élections cantonales (1994, 2001, 2004) qui avaient vu la gauche triompher au plan local n’ont pas été
suivies d’effet au plan présidentiel (1995, 2002, 2007). Le marc de café cantonal donne une idée des équilibres politiques et de la redistribution des cartes électorales à plus d’un an de la présidentielle, il ne donne pas toutes les clefs des victoires et des défaites à venir.! P. P.
55,5% 64,8% 35,2% -
- 4,4% + 8% + 10,9% -
Front national face à la droite (127 cantons) Abstentions Droite modérée Front national Gauche
1er tour
2e tour
Évolution
58,8% 42,2% 25,5% 29,8%
57,3% 63,4% 36,5% -
- 1,5% + 21,2% + 11% -
source : www.cevipof.com
Évolution du Front national ÉVOLUTIONS 2004-2011 DU VOTE FN, À PARTIR DE TOTALISATIONS DÉPARTEMENTALES DES CANTONS OÙ IL ÉTAIT PRÉSENT
Évolution 2004-2011 Nombre de voix
2e tour Évolution
Abstentions 59,9% Gauche 56,8% Front national 24,3% Droite modérée 16,5%
% inscrits % suffrages exprimés
21 295 938 11 856 841 9 439 097 278 493 9 160 604
100,00 55,68 44,32 1,31 43,02
-
+ 1 241 982 + 4 619 825 - 3 377 843 - 248 039 - 3 129 804
-
-
Extrême gauche Parti communiste Parti de gauche Parti socialiste Radicaux de gauche Divers gauche Verts Europe Écologie Autres écologistes Régionalistes Autres UDF-MoDem UMP Nouveau Centre Majorité présidentielle Divers droite FN Extrême droite
53 316 724 911 92 386 2 284 967 135 958 495 822 752 992 34 112 48 468 123 543 111 887 1 554 744 293 543 206 488 853 892 1 379 902 13 673
0,25 3,40 0,43 10,73 0,64 2,33 3,54 0,16 0,23 0,58 0,53 7,30 1,38 0,97 4,01 6,48 0,06
0,58 7,91 1,01 24,94 1,48 5,41 8,22 0,37 0,53 1,35 1,22 16,97 3,20 2,25 9,32 15,06 0,15
- 314 501 - 232 312 - 941 558 - 20347 - 244 699 + 250 850 - 14 726 - 1 675 - 27 126 - 472 700 - 1 019 587 - 542 849 - 110 413 - 30 578
- 1,58 -1,37 - 5,36 - 0,14 - 1,36 + 1,04 - 0,08 - 0,02 - 0,17 - 2,38 - 5,54 - 2,95 - 0,95 - 0,16
- 2,41 + 0,12 - 1,31 + 0,09 - 0,62 + 4,13 - 0,03 + 0,12 + 0,13 - 3,54 - 3,98 - 2,04 + 2,93 - 0,21
GAUCHE DROITE CLASSIQUE EXTRÊME DROITE TOTAL DROITE
4 540 352 3 020 554 1 393 575 4 414 129
21,32 14,18 6,54 20,73
49,56 32,97 15,21 48,19
- 1 410 181 - 1 535 105 - 140 991 - 1 676 096
- 8,35 - 8,54 - 1,11 - 9,61
+ 1,14 - 4,10 + 2,73 - 1,36
93
92
+ 5,1 à + 8,9
62
94
14
50 29
22 56
27
61 35
53
44
49
85
79 17
86
19
24 33 47 40 64 source : www.cevipof.com
32 65
46 82 31 09
81
48
66
38 07
26
30 34
11
39 01
43
15 12
25
71 42 69
63
68
70
21
58 03
87
16
88
52
89
23
67
54
10
18
36
57
55
51
45
37
- 6,7 à - 0,7
77
91
41
- 0,7 à + 2,7
08
02
60 95
78 28
72
59
80
76
+ 2,8 à + 4,9
84 13
74 73 05 04 83
06 2B 2A
débats OPINIONS
mardi 1er mars 2011 LE FIGARO
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étudesPOLITIQUES
Figaro-Cevipof
Vertus et limites des primaires socialistes Suscitant l’intérêt de l’électorat, la procédure soulève des réserves chez les prétendants. PASCAL PERRINEAU
DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)
DESSIN DOBRITZ
L
MARQUÉ par trois échecs successifs à l’élection présidentielle, le Parti socialiste tente de faire émerger un candidat charismatique en organisant pour la première fois des« primaires ouvertes » à l’ensemble de la gauche. Présentée au « peuple de gauche » comme la panacée démocratique du fonctionnement d’un parti, cette procédure de cinq mois vise d’abord à résoudre « l’absence de leadership naturel dans la famille socialiste », comme le souligne Pascal Perrineau. Pour faire taire les rivalités et les querelles intestines, le PS se décharge du fardeau de la légitimation de son candidat. Habillée d’un savant label, cette démocratie participative balaye une raison d’être majeure d’un parti, la formation et la désignation de candidats. Inspirées des primaires américaines et italiennes, les primaires du PS ne sont cependant pas de même nature. La gauche française éclatée en multipartis ne peut être comparée à celle des États-Unis, terre du bipartisme. En Italie, il s’agissait de ratifier une seule candidature pour toutes les formations de gauche. Un an avant la «vraie campagne» présidentielle, les prétendants à l’investiture socialiste sont déjà précipités dans une longue et rude précampagne. Dans la famille socialiste recomposée en écuries présidentielles, l’âpreté de la compétition laissera des traces lorsqu’il faudra faire corps avec son champion et creuser l’écart au 1er tour avec le candidat des Verts, voire celui du Parti de gauche. Ce sera alors l’instant de vérité sur l’efficacité électorale de ces«primaires à la française ». JOSSELINE ABONNEAU
e Parti socialiste a adopté le calendrier définitif du processus des élections primaires qui désigneront son candidat à l’élection présidentielle de 2012. Au-delà de la règle du jeu pour encadrer une compétition qui est déjà engagée, on peut s’interroger sur les avantages que le PS peut en attendre et sur les limites et les risques de cette procédure. Au PS, l’idée d’élections primaires ouvertes a fait lentement son chemin afin de tenter de résoudre l’absence de leadership naturel dans la famille socialiste. François Mitterrand s’imposa à la fois au parti, à l’électorat socialiste et même, au-delà, à ce qu’il appelait le « peuple de gauche ». Après sa disparition en 1996, le PS est entré dans une longue crise de leadership dont il n’est toujours pas sorti. Aucun des héritiers putatifs ne parvint à s’imposer. Les trois dernières élections présidentielles (1995, 2002, 2007) signèrent l’incapacité du parti à lui tout seul à sélectionner un leader capable d’attirer à lui une majorité de Français. L’heure était venue en 2008 d’inventer une «élection primaire à la française » pour sortir le PS de l’ornière du «choix de l’homme (ou de la femme)» à quoi se résume toujours, en dernière instance, une élection présidentielle. Le chemin débouchera le 11 janvier sur la procédure définitive. Les avantages attendus d’un tel dispositif sont avant tout de dégager un candidat PS porteur d’une légitimité supérieure à celle d’une organisation partisane qui ne dépasse pas les 200000 adhérents et d’éviter la mauvaise volonté d’une partie de l’appareil partisan qui, en 2007, avait soutenu la candidate PS du bout des lèvres. Un candidat investi par plusieurs millions d’électeurs devrait bénéficier d’un poids politique lui permettant de faire céder les réticences d’appareil et les procès en légitimité. S’inspirant d’une gauche italienne en pleine recomposition dans les années 2006-2009 et qui avait implanté sur le continent européen le processus des pri-
maires, la gauche française – ou du moins le PS – compte sur les électeurs pour régler des problèmes de leadership que la seule machine partisane est incapable de régler. À défaut d’un leader qui s’impose, le PS attend que ce soit la mobilisation des électeurs de gauche qui impose un candidat. L’autre objectif poursuivi est de créer, dans un contexte de défiance politique, un mouvement d’engagement de citoyens attirés par la nouveauté du processus et désireux de dire leur mot dans la sélection d’un ou d’une candidate. Les yeux du PS sont alors tournés vers les
«
Aux États-Unis où les primaires, qu’elles soient ouvertes ou fermées, existent depuis plus d’un siècle, la procédure est profondément inscrite dans les mœurs et l’attrait pour le système est réel. En Italie, où la gauche italienne a implanté le système dans les années 2000, la primaire a suscité un intérêt certain : plus de quatre millions d’électeurs pour l’élection de Romano Prodi en 2005, plus de trois millions pour celle de Walter Veltroni en 2007 et presque autant pour celle de Pierluigi Bersani en 2009. Mais s’agissait le plus souvent de primaires de
Contrairement à l’Italie, la primaire sera plus compétitive et plus virulente
»
primaires américaines de 2008 qui avaient vu Barack Obama entraîner un puissant mouvement de mobilisation chez les électeurs démocrates. Deux millions de ceux-ci avaient participé activement à sa campagne. Cependant, ces objectifs du PS se heurtent à plusieurs obstacles et difficultés dont il est encore trop tôt pour savoir s’ils seront dirimants. La procédure fait l’objet d’interrogations, elle est aussi soupçonnée par certains et même contestée par d’autres. Les interrogations ont trait à sa réussite organisationnelle et à son pouvoir de conviction. De multiples éléments du dispositif retenu sont incertains : quelle sera la qualité des listes d’électeurs dont disposeront les organisateurs de ces primaires ? Le nombre des bureaux de vote mis en place sera-t-il suffisant pour assurer un maillage équilibré et satisfaisant de l’ensemble du territoire ? L’organisation de chacun des bureaux de vote et du système de récolement des votes sera-telle « au-dessus de tout soupçon » ? Quelle sera la capacité du PS à faire oublier les mauvais souvenirs des votes contestés qui avaient accompagné les primaires du congrès de Reims du PS en novembre 2008 ? Quelle sera l’utilisation faite de la signature par les électeurs d’une charte d’adhésion aux valeurs de la gauche ? Quel sera, au regard de la législation du financement des activités politiques, le statut des sommes rassemblées à l’occasion des votes à l’élection primaire ? Reste la question essentielle de leur écho dans l’électorat.
coalition et de ratification. Coalition entre plusieurs partis de gauche et de centre gauche qui s’étaient mis d’accord pour les organiser. Ratification car les candidats élus bénéficiaient en amont du soutien des états-majors des partis. En France, la primaire qui s’annonce sera celle d’un seul parti : le PS. Il n’y a pas, derrière la procédure, le même consensus que chez notre voisin transalpin. Nombre de partis de gauche organisent leur propre primaire comme les écologistes pour lesquels, selon les mots de Cécile Duflot, les primaires socialistes sont « un concours de beauté ». D’autres rejettent ce processus à l’instar de Jean-Luc Mélenchon ou d’Olivier Besancenot.
E
nfin, nombre de dirigeants socialistes font entendre leur scepticisme et parfois leur hostilité. Certains, comme Ségolène Royal, s’inquiètent de la « régularité » du scrutin, d’autres comme François Hollande fustigent les« arrangements » qui pourraient dénaturer la compétition, d’autres encore comme Henri Emmanuelli, Paul Quilès ou Michel Vauzelle rejettent des primaires considérées comme« dévastatrices ». En l’absence de consensus inter et intrapartisan, quelle est la réaction des électeurs de gauche ? Plusieurs enquêtes montrent que la primaire suscite un intérêt dans l’électorat. Interrogés en janvier 2011 par l’institut CSA, 14 % d’un échantillon d’électeurs déclarent qu’ils iraient « certainement voter » pour désigner le candidat du PS. Si une partie seu-
lement de ces électeurs vote cela représente 3 millions d’électeurs, un potentiel plus élevé que celui qu’a envisagé le PS. Les règles définitives de l’élection n’ont pas encore été fixées, les rôles n’ont pas été distribués et la campagne n’a pas pris corps. Ces intentions restent fragiles et les rapports de forces tels qu’on les évalue entre les divers candidats déclarés ou supputés. La dernière enquête de l’institut CSA donne un premier tour relativement disputé (voir l’infographie ci-dessous) Dominique Strauss-Kahn s’imposant en tête sans dépasser la barre des 50 %. En son absence, Martine Aubry se voit talonner au premier tour par Ségolène Royal. Les seconds tours envisagés donnent Strauss-Kahn tout comme Aubry élus devant Hollande ou Royal. Seul un hypothétique second tour entre StraussKahn et Aubry donne une issue plus incertaine, la première secrétaire du PS étant créditée d’une courte avance (51 %) sur le patron du FMI (49 %). Ces rapports de forces serrés posent la question de la capacité du PS à surmonter les affrontements qui se feront jour lors de la campagne. Contrairement à l’Italie, la « primaire » du PS ne sera pas une élection de ratification. Elle sera beaucoup plus compétitive et virulente. À moins que la mise en œuvre d’un « pacte » ou d’un accord secret entre candidats cherche à la transformer en plébiscite, au risque d’affadir les vertus réelles ou supposées de celle-ci. ■
Intentions de vote lors des élections primaires du Parti socialiste LA PARTICIPATION AUX PRIMAIRES « Des primaires vont être organisées par le Parti socialiste en octobre 2011 pour désigner le candidat à l’élection présidentielle de 2012. Pourront voter à ces primaires toutes les personnes inscrites sur les listes électorales, qui signeront une déclaration d’adhésion aux valeurs de la gauche et qui verseront un don d’un euro minimum le jour du scrutin. Vous personnellement, à propos de ces primaires socialistes, diriez-vous… » J’irai certainement voter NSP 4%
Un vote à un euro L’IDÉE des élections primaires a germé après la défaite de 2007 aux marges du PS. En août 2008, la fondation Terra Nova, think-tank proche du PS, proposa des «primaires à la française» pour résoudre le problème du leadership à gauche. La bataille interne fut menée au sein du PS par Arnaud Montebourg, secrétaire national à la rénovation et par Olivier Ferrand, président de Terra Nova. En octobre 2009, les adhérents du PS ratifièrent la proposition par un vote
1er tour
interne massif (plus de 70 %). Une convention du PS adopta les grands principes d’une primaire ouverte en juillet 2010. Puis le PS a rendu public le 11 janvier 2011 le calendrier définitif et les règles d’organisation. Contrairement aux souhaits des proches de Dominique Strauss-Kahn plaidant pour un dépôt tardif, le dépôt des candidatures se fera entre le 28 juin et le 13 juillet. La campagne officielle se tiendra entre le 28 septembre et le 8 octobre, le premier tour aura lieu le 9 octobre alors qu’un éventuel second tour
pourra se tenir le 16 octobre au cas où aucun candidat ne franchirait la barre des 50 % au premier tour. Le corps électoral comprend tous les électeurs inscrits sur les listes électorales au 31 décembre 2011 ainsi que les mineurs qui auront 18 ans au moment de la présidentielle et ceux qui sont membres du PS ou du Mouvement des jeunes socialistes. Tout électeur devra acquitter une participation minimale d’un euro et signer une déclaration d’adhée sion aux « valeurs de la gau-
L’ORIENTATION DES INTENTIONS DE VOTE « Si le 1er tour des primaires avait lieu dimanche prochain, pour lequel des candidats suivants y aurait-il le plus de chances que vous votiez ? »*
1er SCÉNARIO (hypothèse avec Dominique Strauss-Kahn)
2e SCÉNARIO (hypothèse sans Dominique Strauss-Kahn)
Dominique Strauss-Kahn
C
Ségolène Royal
Dominique StraussKahn
Arnaud Montebourg : 4%
Manuel Valls : 3%
16%
Martine Aubry
31%
Ségolène Royal Arnaud Montebourg : 6%
*Question posée à ceux qui déclarent qu’ils iront voter certainement ou probablement aux primaires
32% Martine Aubry
22%
François Hollande
Pierre Moscovici : 5%
Manuel Valls : 4%
49%
Martine Aubry
51%
Dominique Strauss-Kahn François Hollande
55% 45%
4e SCÉNARIO
57% 43%
Martine Aubry
57% 43%
Martine Aubry Ségolène Royal
5e SCÉNARIO
François Hollande
Je n’irai probablement pas voter
2e SCÉNARIO
Dominique Strauss-Kahn
37%
15%
« Si le 2e tour des primaires avait lieu dimanche prochain, pour lequel des candidats suivants y aurait-il le plus de chances que vous votiez ? »*
3e SCÉNARIO
26%
48%
Je n’irai certainement pas voter
1er SCÉNARIO
Ségolène Royal
14% 19%
che ». Les votes se dérouleront dans 10 000 bureaux (un au moins par canton et par tranche de 5 000électeurs). Des comités superviseront l’organisation et une « charte éthique » devrait éviter « le dénigrement » entre candidats. P. P.
2 tour
J’irai probablement voter
57% 43%
Sondage CSA pour BFMTV, 20 Minutes et RMC réalisé par téléphone, les 17 et 18 janvier 2011, auprès d’un échantillon national représentatif de 847 personnes âgées de 18 ans et plus et inscrites sur les listes électorales en France, constitué d’après la méthode des quotas après stratification par région et catégorie d’agglomération.
débats OPINIONS
mardi 1er février 2011 LE FIGARO
14
étudesPOLITIQUES
Figaro-Cevipof
Cantonales : un test national avant la présidentielle de 2012 ?
Deux France face à face : pouvoir local de gauche contre pouvoir national de droite.
PASCAL PERRINEAU
L
DESSIN DOBRITZ
DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO(CEVIPOF)
DERNIER SCRUTIN avant la mise en place des conseillers territoriaux qui siégeront à la fois au département et à la région en 2014, les élections cantonales des 20 et 27 mars remettent en jeu le mandat de la série des conseillers généraux élus en 2004. Condamnée par la réforme territoriale, cette ultime consultation avant la présidentielle se présente aujourd’hui comme une élection importante pour les partis politiques. Y compris par ceux qui jurent y voir, non sans raison, une simple élection locale. Celle-ci doit être lue, pour Jean Chiche,« au travers du prisme d’une notabilisation forte ». « La loi permettant d’être réélu indéfiniment », la prime à celui qui occupe la place a permis, à gauche comme à droite, la réélection de 83 % des sortants de la série renouvelée en 2008. Au fil des scrutins, deux France émergent : celle du pouvoir local dominée par la gauche, celle du pouvoir national maîtrisée par la droite. Dans les assemblées départementales, treize ans ont suffi à la gauche pour y inverser les rapports de forces : la droite détenait la majorité dans 78 % des départements, elle n’y est plus majoritaire que dans 42 %. Outre la mainmise de la gauche sur les collectivités territoriales, les mécontentements générés par la réforme territoriale lestent la majorité présidentielle. La droite aborde le scrutin tous feux éteints, jouant la carte du local. La gauche et le FN font campagne sur le thème de l’élection intermédiaire qui serait le test préfigurant les forces mobilisées pour la présidentielle. Avec, en ligne de mire, pour le PS, le basculement à gauche du Sénat, cette Assemblée élue par les grands électeurs des collectivités territoriales, en septembre prochain.■ JOSSELINE ABONNEAU
a gauche contrôle la majorité des pouvoirs locaux : 68 % des soixante villes françaises de plus de 75 000 habitants, 58 % des cent départements, 88 % des vingt-six régions sont dans les mains d’une majorité de gauche. Le Parti socialiste se taille la part du lion : 58 % des villes, 51 % des départements et 77 % des régions. La France connaît un divorce entre des institutions nationales (présidence de la République, Assemblée nationale et Sénat) détenues par la droite et des institutions locales où la gauche est parfois quasi hégémonique. Ce clivage politique entre deux France recoupe en partie une opposition entre deux cultures. Celle d’une droite plus à l’aise avec les institutions de la Ve République notamment avec le mécanisme national et personnalisé de l’élection présidentielle. Celle d’une gauche plus réticente vis-à-vis de la logique fortement présidentielle de la Ve République et de la dimension personnelle de l’élection d’un homme par un peuple rassemblé. Les souvenirs de l’élection présidentielle des 10 et 11 décembre 1848 qui avaient débouché sur l’élection d’un prince président. L’attachement à la culture parlementaire sinon parlementariste qui s’en est suivi à gauche. Les réticences sinon les hostilités à l’esprit gaullien des institutions de 1958, revues et corrigées en 1962. Le vieux tropisme d’une partie de la gauche pour un socialisme municipal qui n’aurait pas les allures de la compromission attachée à l’exercice du pouvoir national par la gauche… Tout cela contribue à éclairer cette dissociation du pouvoir entre un pouvoir national de droite et un pouvoir local de gauche. Cependant, cette lecture a ses limites : François Mitterrand a présidé la République pendant quatorze ans, la gauche a contrôlé le gouvernement pendant cinq ans, de 1997 à 2002 et les élections locales des années 1970 ont été la première étape d’une conquête du pouvoir national par la gauche.
Les élections cantonales des 20 et 27 mars 2011 se tiennent dans un contexte où la gauche n’a cessé depuis plus de dix ans de pousser son avantage sur le terrain départemental : en 1998 onze départements passaient à gauche, en 2001 six connaissaient la même destinée (un revenant à droite), en 2004 onze nouveaux départements tombaient dans l’escarcelle de la gauche (un connaissant l’évolution inverse) et, en 2008, c’était au tour de huit départements d’enregistrer un même mouvement vers la gauche (un département seulement passant à droite).
36,1 % des électeurs s’étaient abstenus en mars 2004. Cette relative atonie de la participation peut être renforcée par la localisation des enjeux, le climat de forte défiance politique et les effets de brouillage liés à la réforme territoriale. Cette réforme conduit à élire ces conseillers généraux pour trois ans. Elle doit se conclure par la disparition des conseillers généraux et l’apparition, en 2014, de conseillers territoriaux siégeant à la fois au département et à la région. En dépit de son poids politique et financier, le département peut apparaître comme une collectivité territoriale n’ayant plus
«
Le taux de participation sera un indicateur de la nationalisation de l’enjeu
»
En treize ans, la carte politique des départements a été bouleversée. La droite détenait la majorité au début de l’année 1998, dans 78 % des départements. Au début de l’année 2011, ce n’est plus le cas que dans 42 % des départements. Après les défaites des élections municipales et cantonales de 2008, des élections régionales de 2010, l’échéance est envisagée avec circonspection par la droite, qui tente de mettre en avant la dimension essentiellement locale des élections cantonales. En revanche, la gauche et le Front national insistent sur la dimension de test national que pourraient recouvrir ces élections, un an avant l’affrontement présidentiel de 2012. Déjà, lors des dernières élections régionales de mars 2010, une majorité absolue d’électeurs déclarait que ces élections étaient avant tout locales. Un an plus tard, dans des élections encore plus localisées que les régionales, il serait étonnant que le corps électoral ait changé d’avis. Le taux de participation sera un indicateur de cette « nationalisation » de l’enjeu. En général, les élections cantonales mobilisent assez mal : depuis les débuts de la Ve République l’abstention a oscillé entre 29,8 % des électeurs inscrits (mars 1992) et 50,9 % (septembre 1998). Dans la série de 2 023 cantons renouvelée en mars prochain,
l’avenir avec elle, perspective peu mobilisatrice dans l’électorat.
C
ependant, le rapport de forces électoral est très équilibré entre gauche et droite lors du premier tour des élections cantonales de 2004 : 48,4 % en faveur de candidats de gauche, 49,6 % en faveur de candidats de droite. En revanche, au second tour, ce rapport de forces se détériore au profit de la gauche : 51,6 % pour les candidats de gauche, 47,4 % pour ceux de droite (et 37,1 % pour ceux de droite modérée qui pâtissent de mauvais reports des électeurs s’étant portés au premier tour sur le Front national). Cette dégradation de la situation au second tour a permis la victoire de la gauche dans des départements aussi divers que la Charente, la Creuse, le Doubs, la Drôme, l’Ille-et-Vilaine, la Loire-Atlantique, l’Oise, la Saône-et-Loire, la Seine-Maritime, la Seine-et-Marne ou encore les Hautes-Alpes. L’avancée de la gauche a été telle en 2004 et 2008 qu’il lui sera plus difficile, en 2012, de renouveler les poussées enregistrées alors. Cependant, la majorité est dans une position difficile, la réforme territoriale n’a pas toujours été appréciée sur le terrain et la popularité du pouvoir est pour l’instant en berne. Cette situation ouvre des zones de fragi-
lité dans plusieurs départements de droite : Aveyron, Côte-d’Or, HautesAlpes (repassées à droite en 2008) Jura, Loire, Pyrénées-Atlantiques, Rhône, Vienne. Dans la Sarthe, la Charente-Maritime et l’Eure-et-Loir, la droite semble en position de pouvoir résister à une éventuelle avancée de la gauche. La droite nourrit certains espoirs dans l’Allier, l’Ain, les Deux-Sèvres, en Seine-etMarne, dans le Val-d’Oise et dans le Vaucluse. L’affrontement électoral de mars prochain sera décisif pour prendre la mesure du désir des Français de confier encore davantage les clefs des pouvoirs locaux à la gauche. Il permettra également d’évaluer le risque d’un basculement du corps électoral sénatorial vers la gauche et d’une possibilité de changement, en septembre prochain, de la présidence du Sénat. Enfin, il servira à évaluer le rapport de forces entre les différents partis à un an de l’échéance présidentielle de 2012, sachant que les « élections intermédiaires » surreprésentent généralement les forces d’opposition. Elles entraînent une abstention parfois forte qui pourra se remobiliser lors des grandes échéances nationales, mais qu’il sera difficile d’interpréter les 20 et 27 mars prochain. (1) Interrogées début mars 2010 par la Sofres, 55 % des personnes de l’échantillon national représentatif de l’électorat déclaraient qu’elles allaient voter en fonction de problèmes locaux, 42 % en fonction de problèmes nationaux.■
Résultats des élections cantonales de 2004 SÉRIE DE CANTONS RENOUVELÉS EN 2011
Inscrits, en million :
20,05
1er tour 2e tour
16,62
en millions de votants 2e tour
1er tour
12,8
12,3
11
10,4
7,2
5,6
Une élection qui avantage les sortants JEAN CHICHE
L
CHERCHEUR CEVIPOF
es élections cantonales sont des élections locales dans lesquelles la notabilité joue un rôle majeur. Celle-ci se construit au long des années. Elle s’appuie sur un travail de terrain permanent et une reconnaissance sociale qui ne doit jamais faiblir. Elle se consolide dans le temps par des mandats politiques. En mars 2008, on a compté 8 520 candidats dans les 2 220 cantons qui devaient renouveler leurs conseillers généraux. 1 598 d’entre eux étaient sortants (18,8 %). La loi permet aux conseillers généraux d’être réélus indéfiniment. Beaucoup de conseillers sortants ne s’en privent pas et rendent dif-
ficile le renouvellement des élus locaux. Sur les 2 220 élus en 2008, 1 327 étaient sortants (59,8 %). Il y a donc plus d’une chance sur deux d’être élu quand on est déjà en place. 83 % des sortants ont été réélus.
Des taux très variables Ces proportions varient selon la nuance politique. À droite, l’UMP a le taux le plus élevé de sortants parmi ses élus (79,4 %). Le Nouveau Centre et le MoDem affichent respectivement un taux de réélection de 62 % et 65 %. Les divers droite qui sont souvent des candidats en rupture de parti mais aux ressources personnelles fortes, culminent avec 67,3 %. À gauche, la situation n’est pas pro-
Les élus de 2008
A
Nuance
Élus
Non sortants
Sortants
% de sortants
Extrême gauche
1
0
1
100
Parti communiste
117
31
86
73,5
Parti socialiste
655
274
381
58,2
Radicaux de gauche
48
12
36
75
Divers gauche
200
95
105
52,5
Verts
12
7
5
41,7
Autre écologiste
1
1
0
0
MoDem ex-UDF Nouveau Centre
48 40
17 15
31 25
64,6 62,5
Union mouvement pop.
514
106
408
79,4
Divers droite
354
114
240
67,3
Régionalistes
5
2
3
60
Autres divers Total
25 2 020
19 693
6 1 327
24 59,8
L’OUTRE-MER Guadeloupe
Martinique Guyane Réunion Mayotte St-Pierreet-Miquelon
62 80
14 61
27
02
78
08 51
55
57 54
22
35
53 Sarthe
Blancs et nuls
Suffrages exprimés
AUTRES 2%
% DE SUFFRAGES EXPRIMÉS
48,4% 49,6% TOTAL GAUCHE
67
91 28 Seine-et-Marne 10 88 52 68 45 56 89 70 41 Côte-d’Or 44 49 37 25 58 BASCULEMENT 18 DeuxJura 85 Sèvres POSSIBLE EN 2011 36 71 Allier Vienne À gauche Ain Charente74 23 À droite Rhône Maritime 87 63 Loire 16 73 38 PC (2) 19 43 15 Hautes24 PS (51 ) Alpes 07 26 33 46 48 PRG (2) 47 04 Aveyron 30 82 06 MPF (1) 40 Vaucluse 81 Pyrénées- 32 13 UMP (31) 34 83 31 Atlantiques 11 Divers droite (8) 65 2B 09 66 Divers gauche (3) 2A * St St-Pierre-et-Miquelon Pierre et Miquelon est un conseil territorial et Nouveau CCentre et Alli N Alliance centriste i (4) le conseil de Paris fait office de conseil général 29
Votants
LES VOTES
93 Paris 92 94
59
60 Val-d’Oise
Abstentions
1er tour :
Couleur politique des 102 conseils g généraux* en 2010
76
50
0,5 0,6
Les résultats de mars devront être lus au travers de ce prisme d’une « notabilisation » forte. Les élections territoriales de 2014 peuvent peut-être modifier ces données qui semblent structurelles.■
fondément différente. Le Parti communiste et les radicaux de gauche s’appuient sur un tissu d’élus locaux très enracinés : 75 % de leurs élus étaient sortants. Le Parti socialiste ne compte « que » 58 % de sortants. Les élus divers gauche, qui ne sont pas en nombre aussi important (200) que les divers droites, sont 52,5 % à être réélus. La gauche, en forte progression aux élections cantonales depuis plus de vingt ans, a renouvelé sur la durée la population des élus locaux. Toutefois, elle semble avoir atteint un palier et affiche une forte reproduction.
TOTAL DROITE
Dont : Dont : PC et ext. gauche : 10,8 % UMP-UDF : 25,7 % PS : 26,2 % Divers droite : 11,4 % Divers gauche : 7, 3 % Front national : 12,5 % Verts : 4, 1 %
AUTRES 1%
2e tour : % DE SUFFRAGES EXPRIMÉS
51,6% 47,4% TOTAL GAUCHE
Dont : PC et ext. gauche : 4,8 % PS : 38,6 % Divers gauche : 7,2 % Verts : 1 %
TOTAL DROITE
Dont : UMP-UDF : 31,9 % Divers droite : 10,6 % Front national : 4,9 %
Source : Cevipof d'après le ministère de l'Intérieur
débats OPINIONS
mardi 11 janvier 2011 LE FIGARO
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étudesPOLITIQUES
Figaro-Cevipof
L’extrême droite en Europe: des crispations faceàla «société ouverte» Sortie de l’euro et de l’Europe, protectionnisme culturel et nationalisations nourrissent un chauvinisme d’État-providence. PASCAL PERRINEAU
DOBRITZ
DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)
LES DÉBATS qui précèdent le passage imminent du témoin entre le fondateur du Front national et sa probable héritière, Marine Le Pen, ont revigoré l’extrême droite. Ils ont enrayé le processus de marginalisation entamé par Nicolas Sarkozy en 2007 sans toutefois parvenir à la « dédiabolisation » d’une formation rejetée par l’opinion depuis plusieurs décennies. Fait significatif, la « bulle de popularité » de Marine Le Pen ne se traduit pas par une forte dynamique d’intentions de vote et ne suscite aucun « effet femme » dans l’électorat. La prétendante à la présidence n’élargit pas l’audience du Front national dont le socle électoral se compose principalement d’ouvriers et d’employés, de quadragénaires et de jeunes de moins de vingt-cinq ans. À l’instar des formations populistes et d’extrême droite installées dans le paysage électoral européen qui pèsent dans les débats politiques, le Front national « articule les angoisses générées par la société ouverte ». La crise économique, « le passage d’un capitalisme d’assistance avec son État-providence à un capitalisme post-industriel plus individualiste », la globalisation néolibérale de l’économie ont favorisé le renouveau idéologique du populisme et de l’extrême droite. La plupart de ces mouvements préconisent une sortie de l’euro et de l’Europe ; ils prêchent« un recentrage national » ; ils ajoutent maintenant au protectionnisme culturel le protectionnisme économique assorti de nationalisations. Toutes ces crispations vivifient, selon Pascal Perrineau,« un chauvinisme d’État-providence ». ■ JOSSELINE ABONNEAU
D
D
epuis quelques années, l’extrême droite et les populismes de droite rencontrent des succès électoraux importants dans certains pays lors des élections législatives : 29,5 % en Serbie (2008), 29 % en Suisse (2007), 28,2 % en Autriche (2008), 19,6 % aux Pays-Bas (2010), 17,2 % en Norvège (2009), 16,7 % en Hongrie (2010), 13,9 % au Danemark (2007), 11,4 % en Italie (2008). Dans nombre d’autres pays, ces partis ont dépassé la barre des 5 %. Ces réussites électorales au cœur de l’Europe ne peuvent cependant être interprétées comme les signes d’une poussée irrésistible de l’extrême droite. De nombreux pays y échappent parmi lesquels l’Allemagne, l’Espagne ou encore le Royaume-Uni. Cependant, dans plusieurs pays européens, des formations populistes ou d’extrême droite pèsent sur l’agenda politique et même campent aux portes du pouvoir comme cela est le cas aux Pays-Bas ou au Danemark.
«
L’extrême droite politise le sentiment antipolitique qui remet en cause les partis traditionnels et leur système d’alliances
»
Comment interpréter ces poussées de fièvre ? En Europe de l’Est, la question des minorités nationales et des frontières est un vecteur puissant de la fièvre nationaliste. Une fièvre qui se nourrit d’une désillusion politique précoce qui prospère sur fond de culture autoritaire. La désillusion touche aussi les vieilles démocraties de l’Ouest. L’insatisfaction des électorats vis-à-vis de systèmes politiques bloqués, où le quasiconsensus peut sembler étouffer le dé-
bat public, est particulièrement évidente dans des pays comme l’Autriche, la Belgique, les Pays-Bas et la Suisse. Les extrêmes droites apparaissent alors comme autant de populismes antisystème dénonçant ceux qui ont « accaparé » le pouvoir d’État au point de se confondre avec lui. L’extrême droite politise ainsi le sentiment antipolitique qui remet en cause les partis traditionnels et leur système d’alliances.
«
nombreux observateurs considéraient que les sociétés postindustrielles étaient soumises à une véritable « révolution silencieuse » porteuse d’une « nouvelle politique » où les enjeux tels que l’égalité des sexes, la qualité de la vie ou la promotion des minorités devenaient essentiels. Le retour en force de l’extrême droite a constitué un défi à cette grille d’analyse. Face au pôle libertaire de la « nouvelle politique » les préoc-
À la « nouvelle gauche » et aux mouvements sociaux des années 70 ont succédé, depuis les années 80 et 90, la « nouvelle droite » et les mouvements identitaires
»
Contestation d’autant plus virulente que les loyautés partisanes fondées sur les clivages de classes ou de religion qui sous-tendaient la plupart du temps les partis traditionnels en Europe sont en crise. La classe ouvrière s’est étiolée, les engagements religieux se sont affadis, d’immenses classes moyennes se sont développées et les valeurs se sont détachées des matrices religieuses d’antan. Autour de nouveaux enjeux - l’Europe, la globalisation, l’immigration - l’extrême droite fait naître de nouvelles lignes de partage. En insistant sur le critère national contre le multiculturalisme réel ou supposé de ses adversaires, le nationalisme ethnico-culturel tente de s’imposer. Ce nationalisme essaie également de renouer avec un ensemble de valeurs traditionnelles mises à mal par le « libéralisme culturel » de nos sociétés. Depuis l’attentat du 11 septembre 2001 et le développement d’un terrorisme islamiste, il a trouvé un ennemi à sa dimension et la tonalité anti-islamiste de son combat s’est accentuée : en témoignent la large victoire du référendum suisse sur l’interdiction de la construction de minarets qui a remporté 57,5 % de suffrages le 29 novembre 2009 ou encore le débat tonitruant engagé en Allemagne autour des propos de Thilo Sarrazin sur l’impossible intégration des musulmans dans son ouvrage L’Allemagne court à sa perte. Jusqu’au début des années 1980, de
cupations de la loi et de l’ordre, le respect strict de l’autorité, une moins grande tolérance pour les minorités, l’attachement aux coutumes et aux valeurs morales traditionnelles ont fait retour, portés entre autres par le vieillissement sensible des populations européennes. D’une certaine manière, à la « nouvelle gauche » et aux mouvements sociaux des années 1970 ont succédé, depuis les années 1980 et 1990, la « nouvelle droite » et les mouvements identitaires. Avec le délitement des liens sociaux, le sentiment d’insécurité et l’anomie ont progressé et entraîné une demande d’appartenance, de communauté et d’identité à laquelle l’extrême droite et les néopopulismes tentent de répondre. Cependant, au-delà de cette explication largement culturaliste des succès de l’extrême droite, une explication plus globale en termes de réponse politique à un nouvel état économique et social de nos sociétés mérite d’être développée. Le passage, au cours des dernières décennies, d’un capitalisme industriel d’assistance (avec son État-providence) à un capitalisme postindustriel davantage individualiste, s’est accompagné d’un véritable bouleversement du monde marqué par la fragmentation sociale, la désaffiliation vis-à-vis des groupes d’appartenance traditionnels (classes sociales, familles idéologiques, cultures locales), l’individualisation des risques, la mobilité croissante et le double mou-
Marine Le Pen face au défi de la « dédiabolisation »
epuis de nombreux mois, Marine Le Pen est à l’affiche. Certaines cotes de popularité l’annoncent à un niveau élevé : 27 % de jugements favorables à son action dans la cote Ipsos début décembre, 19 % de cote d’influence chez BVA. En revanche, la cote d’avenir de la Sofres, mesurée en décembre 2010, reste plus modeste : 14 % de personnes interrogées « souhaitent lui voir jouer un rôle important au cours des mois et des années à venir ». La popularité, même si elle est avérée, reste très minoritaire et n’a pas beaucoup réussi à réduire les préventions qui sont à l’œuvre contre le FN et sa future dirigeante. 86 % des personnes interrogées par la Sofres en décembre ne souhaitent pas « lui voir jouer un rôle important au cours des mois et des années à venir », c’est le cas de 74 % des sympathisants de droite. 80 % ne lui font« pas confiance pour gouverner le pays », c’est
le cas de 86 % des sympathisants de l’UMP (Ipsos France 2, 3-4 décembre 2010). 74 % sont « opposés à une alliance entre l’UMP et le Front national pour gouverner le pays », c’est le cas de 68 % des sympathisants de l’UMP (Ipsos). La popularité relative n’a pas réussi à faire céder le rejet dont le FN fait l’objet depuis plusieurs décennies.
Lifting politique Cette bulle de popularité, variable selon l’instrument de mesure utilisé, est sensible – sur un mode mineur – en termes d’intentions de vote. Dans le dernier sondage d’intentions de vote à l’élection présidentielle de 2012 (TNS SofresLe Nouvel Observateur, 19-20 novembre 2010), Marine Le Pen oscille entre 13 et 14 % d’intentions de vote. Cela est un peu mieux que le niveau atteint par
Jean-Marie Le Pen en 2007 mais, pour l’instant, il n’y a pas de dynamique électorale irrésistible. Certes, le processus de marginalisation du FN qu’avait entamé Nicolas Sarkozy en 2007 est stoppé et le renouveau du FN qui accompagne la passation de pouvoir entre Jean-Marie Le Pen et sa fille y contribue. Ce lifting politique et le climat de protestation amplifié par la crise économique et financière ont redonné un espace politique au Front national. Cependant, les urnes n’ont pas encore P. P. parlé. ■
L'extrême droite en Europe lors des dernières élections législatives en % des suffrages exprimés Moins de 5
Âge 20 %
Employé Ouvrier Prof. intermédiaire
A
Inactif, retraité Cadre, prof. intellectuelle
18 % 14 % 10 % 6%
Qui vote ?
25 - 34 ans
Femme
10 % 17 %
35 - 49 ans
13 %
50 - 64 ans 65 ans et plus
Homme
17 %
18 - 24 ans
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I nte nt io n s de vote e n fave u r de Ma r i ne Le Pe n DANS LE CADRE D’UN PREMIER TOUR D’ÉLECTION PRÉSIDENTIELLE OÙ LE PS SERAIT REPRÉSENTÉ PAR MARTINE AUBRY
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Profession du chef de ménage
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N orvège ge
France 0, 2 P ortug ugal ug
vement de diversification culturelle et ethnique à l’intérieur des sociétés et en même temps leur interdépendance croissante. La crise économique et financière de l’automne 2008 n’a pas inversé la tendance. L’émergence de l’extrême droite est une réponse directe à ces mutations. Le rejet de l’immigration et parfois la xénophobie sont alors devenus la réponse au défi d’un monde mobile, de plus en plus multiethnique et multiculturel. Peu à peu, le rejet de l’autre présenté comme véritable moyen de « protectionnisme culturel » s’est prolongé d’un ralliement au « protectionnisme économique » et d’une remise en cause du credo néolibéral du début. L’extrême droite a alors développé un véritable « chauvinisme d’État-providence » qui a fait recette auprès des milieux populaires directement menacés par l’avènement de la société post-industrielle. Elle a de plus en plus condamné la mondialisation néolibérale, prôné la sortie de l’Union européenne et de l’euro, revendiqué des mesures économiques protectionnistes, appelé à une renationalisation de l’économie… Ainsi, face à l’ouverture croissante de nos sociétés à la fois au plan économique, mais aussi au plan culturel et politique, l’extrême droite s’articule sur les angoisses générées par la « société ouverte » et tente d’inventer l’alternative de la « société du recentrage national ». ■
29 ,55
3, 2 Ro u m a n i e
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0 M a cé c doine Al ba n ie A 3 ,6 G rè ce
Source : Sondage TNS Sofres Logica/Le Nouvel Observateur, « Intentions de vote à l’élection présidentielle de 2012, Vague d’automne », enquête réalisée par téléphone auprès d’un échantillon national de 1000 personnesreprésentatif de l’ensemble de la population française âgée de 18 ans et plus, 19 et 20 novembre 2010.
débats OPINIONS
mardi 7 décembre 2010 LE FIGARO
20
étudesPOLITIQUES
Figaro-Cevipof
Comment le mouvement social a perdu la bataille de l’opinion Populaire à ses débuts, le conflit sur les retraites n’a pas résisté à la radicalisation et à la durée. l’objet d’un rejet majoritaire (le mouvement des pilotes d’Air France en juin 1998 ou celui des cheminots en mai 1999). En revanche, certaines mobilisations (comme celle des personnels hospitaliers en janvier 2000 ou encore celle des salariés d’Air-Lib, de MetalEurop ou de Daewoo manifestant contre leurs licenciements collectifs en mars 2003) ont tourné au véritable plébiscite d’opinion (92 % des personnes
PASCAL PERRINEAU DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)
»
sondées déclarant qu’elles soutenaient ou qu’elles avaient de la sympathie pour le mouvement). Ce soutien d’opinion aux divers mouvements sociaux traduit la prégnance en France d’une « culture contestataire » qui considère la manifestation de rue comme le parangon des pratiques démocratiques. Il s’inscrit aussi dans un cycle de « politisation négative » qui s’est ouvert dans les années 1990 et est marqué par un retour des citoyens vers la sphère publique mais sur un mode extrêmement protestataire.« Les gens reviennent à la politique, mais en accablant la politique. C’est de cette participation hostile que seront faites les prochaines années », écrivait déjà Jean-Louis Missika en 1992 (Le Débat, janvier février 1992). La kyrielle de mouvements sociaux bénéficiant d’un fort soutien d’opinion, qui s’est développée depuis le milieu des années 1990 jusqu’à nos jours, est le meilleur symptôme de cette mauvaise humeur. Enfin, la faiblesse particulière d’acteurs syndicaux peu représentatifs et peu porteurs d’un compromis social crédible, ouvre un espace à des formes de contestation radicale. Étant donné cette tradition de soutien dans l’opinion, personne ne fut étonné de constater, début septembre 2010, que le mouvement de grève et surtout de manifestation contre le projet de réforme des retraites du gouvernement bénéficiait d’un soutien et
Pour la plupart des manifestations qui font l’objet d’une mesure de popularité, c’est entre 50 et parfois même plus de 90 % de la population qui déclare son soutien
»
par l’opinion, une grève qui ne tient que par l’opinion, une grève dont l’opinion est l’arbitre, (…) une grève qui cessera lorsque ses acteurs comprendront que l’opinion ne la comprendrait plus » (Sofres, « L’État de l’opinion 1996 »). Rares sont les mouvements qui font
vembre, 47 % seulement des Français considèrent que la manifestation du 6 novembre appelée par les syndicats est justifiée. Ils étaient 71 % à considérer que la manifestation du 12 octobre l’était, ils étaient encore 63 % à penser de même lors de la manifestation du 28 octobre. Ce déclin subit de la popularité du mouvement est directement lié aux blocages de dépôts de carburants et à la pénurie partielle qui s’en est ensuivie. Dans une enquête réalisée par l’Ifop du 21 au 22 octobre, 59 % des personnes interrogées sont d’accord avec l’idée que « faire grève est un droit, mais que les blocages d’entreprises, d’axes de circulation ou de dépôts de carburants sont inacceptables ». Ce rejet des blocages est majoritaire dans toutes les classes d’âge et dans presque tous les milieux sociaux. Ainsi, par son durcissement, par sa durée, par sa volonté de ne pas prendre en compte l’expression de la souveraineté nationale, le mouvement s’est aliéné une partie importante de l’opinion publique qui le soutenait à ses débuts. La démocratie sociale ne peut aller durablement contre la démocratie politique ou faire comme si elle ne prenait pas en compte son verdict. Le prix à payer d’une telle attitude a été lourd : – 24 points du 12 octobre au 6 novembre en ce qui concerne le soutien au mouvement. L’érosion est forte dans tous les milieux, particulièrement chez les femmes (– 28), les ouvriers
dage Ifop-Fondapol, 2-4 novembre 2010), 49 % pensent le contraire. 57 % des ouvriers, 53 % des salariés du secteur public, 41 % des sympathisants de gauche sont dans ce cas.
En position de statu quo Nombre de milieux qui constituent la base même du PS sont en fait sur une position de statu quo.Les ambiguïtés sont majeures pour un parti qui voulait sur ce dossier faire la preuve d’un réformisme subtil. Enfin, même si le message du retour à la retraite à 60 ans est passé, il ne convainc pas : 29 % seu-
-12
+2
-11
-13
-34
LO/NPA
Front de gauche
PS
Verts
MoDem
-20 Femme
-24
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-3
Prof. intermédiaire
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p. 09
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mai03
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nov .-01
1
t-01
nv.0
*Sondages IFOP réalisés au téléphone sur un échantillon national représentatif d'environ 950 personnes âgées de 18 ans et pluset constitué par la méthode des quotas après startification par région et catégorie d'agglomération ** Ssondages CSA réalisés au téléphone sur un échantillon national représentatif d'enviton 1000 personnes âgées de 18 ans et plus constitué d'après la méthode des quotas.
72 % 57 %
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PAR CATÉGORIE, en points
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Âge
Moins de 35 ans
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Différentiel de soutien au mouvement entre le 12 octobre et le 6 novembre*
-26
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28 oct. 2010
Salarié du public
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71 %
12 oct. 2010
Profession
27 m
Sympathie à l'égard des mouvements sociaux**
Salarié du privé
23 sept. 2010
35 ans et plus
Statut
lement des personnes interrogées considèrent que, si le PS gagne en 2012, il ramènera à 60 ans l’âge légal de départ à la retraite. Les promesses n’engagent que ceux qui y croient mais même à gauche, ils ne sont que 48 % à considérer que le PS honorera ses promesses. Sur ce dossier important pour les électeurs, le PS rencontre un proP. P. blème de crédibilité.■
70 %
Érosion du soutien aux manifestations contre la réforme des retraites*
-22
Le réformisme subtil du PS entendu mais peu crédible
e PS a participé pleinement aux mobilisations contre la réforme des retraites. Son mot d’ordre de rétablissement de la retraite à 60 ans en 2012, s’il revient au pouvoir, a été entendu. Mais, si le PS a retrouvé les airs d’un parti aux côtés des « luttes sociales », il n’a pas convaincu sur le terrain de sa crédibilité gestionnaire et gouvernementale. En termes d’opinion, la perception de sa conviction à considérer qu’il faut cotiser plus longtemps est très clivée : 51 % des personnes interrogées pensent que le PS est d’accord pour dire qu’il faut cotiser plus longtemps (son-
A
La démocratie sociale ne peut aller durablement contre la démocratie politique ou faire comme si elle ne prenait pas en compte son verdict
«
nov .-98
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1er m
D
DOBRITZ
VOILÀ UN PARADOXE de l’opinion française : elle clame sa défiance à l’égard du monde politique et des organisations syndicales affaiblies mais s’enflamme pour soutenir la contestation radicale des mouvements sociaux. Ainsi depuis décembre 1995, les Français reviennent à la politique en l’accablant. Cette « politisation négative » qui prend sa source dans la « culture contestataire » du XIXe siècle, est née, sous sa forme moderne, avec les manifestations contre le projet Juppé. Elle est aujourd’hui considérée comme la quintessence vertueuse des pratiques démocratiques. Toutefois, passées au tamis d’une analyse du soutien au mouvement de protestation contre la réforme des retraites de l’automne, ces « grèves de l’opinion », « symptôme de mauvaise humeur » et de « griefs politiques », montrent leurs limites. Après un mois d’agitation sociale, seuls les sympathisants du Front de gauche gonflent les rangs des soutiens indéfectibles quand ceux de l’extrême gauche (Lutte ouvrière, Nouveau Parti Anticapitaliste) amorcent un net repli. Autre enseignement, ceux du Modem désertent. Par ailleurs, la démobilisation n’entame pas la conviction des métiers intermédiaires , socle de la « classe moyenne ». En revanche, elle frappe les ouvriers, les employés et les salariés du secteur public, qui, pourtant, figurent parmi les meilleurs soutiens au début du conflit. Les mouvements sociaux tendent d’abord à effacer les lignes de clivages politiques puis leur audience s’étiole lorsque ces conflits se prolongent. Profession et affinités politiques des soutiens constituent, alors, d’édifiants marqueurs politiques sur l’échelle du désamour JOSSELINE ABONNEAU de l’opinion. ■
epuis octobre 1995, période de mobilisation contre le plan Juppé considérée souvent comme le moment fondateur d’une nouvelle phase de radicalité du mouvement social, le soutien aux protestations et manifestations est régulièrement mesuré par l’institut CSA. Dans leur immense majorité, tous ces mouvements bénéficient d’un fort soutien dans l’opinion, quels que soient le motif (licenciement, réforme statutaire, salaires…) ou la population concernée (fonctionnaires, routiers, médecins, infirmiers, cheminots, policiers, lycéens, chômeurs…). Pour la plupart des manifestations qui font l’objet d’une mesure de popularité, c’est entre 50 et parfois même plus de 90 % de la population qui déclare son soutien ou sa sympathie. Comme si, au travers d’un soutien aux manifestants ou aux grévistes, s’exprimait ce que certains observateurs appellent une « grève d’opinion ». Inventée à l’occasion du conflit de décembre 1995 contre le plan Juppé, la notion de « grève d’opinion », telle que la conçoivent Olivier Duhamel et Philippe Méchet, est « une grève soutenue
(– 31), les inactifs non retraités (– 35), les électeurs proches du centre (– 34) et ceux n’ayant pas de proximité partisane (– 35). Même à gauche, l’érosion est sensible et seuls les électeurs appartenant aux professions intermédiaires et ceux proches du Front de gauche tiennent bon sur leurs positions de la mioctobre. Alors qu’une forte minorité d’électeurs de droite et une forte majorité d’électeurs centristes soutenaient le mouvement à la mi-octobre, ils ne sont plus qu’une petite minorité à le faire au début du mois de novembre. Le conflit social et la victoire remportée par le gouvernement ont contribué à rebipolariser l’opinion alors que le mouvement social avait pu prendre un moment les couleurs d’un vaste rassemblement dépassant les lignes de clivage politique. ■
d’une sympathie largement majoritaire dans l’opinion : 62 % des personnes interrogées déclarèrent soutenir le mouvement enclenché le 7 septembre par une première manifestation. Le soutien et la sympathie progressèrent même jusqu’à 71 % le 19 octobre pour ensuite connaître un reflux sensible après le vote définitif de la loi par l’Assemblée nationale le 27 octobre. Interrogés par l’Ifop, du 2 au 4 no-
débats OPINIONS
mardi 9 novembre 2010 LE FIGARO
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étudesPOLITIQUES
Figaro-Cevipof
L’impossible défi de Dominique Strauss-Kahn en 2012
Sa popularité en fait le candidat naturel du PS, mais ses prises de position au FMI le gênent pour fédérer la gauche historique.
DESSIN DOBRITZ
PASCAL PERRINEAU
DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)
DOTÉ D’UNE AUDIENCE sondagière flatteuse, Dominique Strauss-Kahn occupe actuellement la « pole position » dans la course à l’investiture socialiste pour l’élection présidentielle de 2012. Pour l’instant, son éloignement de la scène hexagonale et son expertise économique au FMI permettent à Dominique Strauss-Kahn d’afficher sans complexe des positions iconoclastes, notamment en se démarquant du Parti socialiste et de son aile gauche sur la réforme des retraites. Cette teinture sociale-démocrate qui a contribué à forger sa cote de popularité place Dominique StraussKahn en candidat naturel de la gauche. Toutefois elle met le patron du FMI face à un impossible défi. « Plus populaire au centre et à droite qu’à gauche », DSK devra transformer « sa popularité de papier » en vote : pour emporter à la fois l’adhésion de son propre camp sans effrayer par des concessions faites au socialisme de papa et à la gauche historique, des sympathisants du centre gauche séduits par son « réformisme ». Ainsi, pour passer le cap de l’investiture, il lui faut gagner le soutien de l’aile gauche du PS et entraîner l’adhésion de la gauche radicale (notamment celle de Mélenchon), celle qui agite, déjà, le bâton de l’abstention au second tour de l’élection présidentielle. Cet exercice, acrobatique, ne doit pas faire fuir les « centristes strausskahniens » séduits par l’identité sociale-démocrate du patron du FMI. Dans la confrontation d’une campagne électorale, les atouts de DSK peuvent se révéler comme autant de talons d’Achille. JOSSELINE ABONNEAU
A
uréolé de ses différents combats électoraux, ministériels et militants, Dominique StraussKahn est entré en janvier 1996 au baromètre Figaro Magazine qui consacre bien souvent ceux qui prétendent à une destinée politique nationale. Modeste au départ, sa cote d’avenir profite de l’embellie de popularité du gouvernement de gauche issu des législatives de 1997 auquel il participe, mais, dès 1999, il connaît une érosion sensible liée aux affaires qui le contraignent à la démission du gouvernement. Ce n’est qu’en 2002 que sa popularité connaît un regain, pour ensuite enregistrer, à l’occasion des primaires socialistes de 2006 puis de l’étiolement de la popularité de Ségolène Royal après sa défaite de mai 2007, une montée en puissance qui en fait aujourd’hui la personnalité politique à laquelle les Français prêtent le plus d’avenir (47% dans le dernier baromètre TNS Sofres-Le Figaro Magazine de novembre 2010). 44% souhaitent qu’il soit le prochain président de la République (ViavoiceLibération, août 2010) et, en termes d’intentions de vote (TNS Sofres-Logica-Le Nouvel Observateur, août2010), il est aujourd’hui le mieux placé à gauche (25 % au premier tour, alors que Martine Aubry n’est créditée que de 22%, Royal et Hollande de 16%). L’homme est populaire, les sondages d’intentions de vote lui accordent, à dix-huit mois de l’échéance présidentielle, une position électorale forte, mais cette «popularité de papier» et ces intentions de vote saisies à plusieurs encablures de l’arrivée au port présidentiel ne vont pas sans quelques fragilités et interrogations.
POPULARITÉ ❙ DEAU LAVOTE… Tout d’abord, la popularité sondagière n’est pas toujours exempte de fragilités électorales. Nombre d’hommes ou
de femmes politiques, longtemps au pinacle des sondages d’opinion, se sont révélés être des candidats inexistants ou malheureux. Simone Veil, en tête pendant des années des sondages de popularité, avait caracolé de manière à peu près constante de 1987 à 1995 au-dessus de la barre des 50 % et avait même atteint le sommet de 68 % à la cote d’avenir Sofres en juin 1993. Cela ne l’empêcha pas de re-
«
bre 2010, 55 % des sympathisants de droite souhaitent lui voir jouer un rôle important au cours des mois et des années à venir. Ils sont 70 % au Modem, 45 % chez les Verts et 51 % à gauche. Ainsi, fort de son extraterritorialité qui le libère des clivages et des passions hexagonales, auréolé d’une aura d’expertise généreusement accordée à l’économiste et au patron du FMI, Dominique Strauss-Kahn rassemble
Au sein d’une gauche française souvent peu amène vis-à-vis du “ modérantisme ” social-démocrate, le positionnement de centre gauche de Dominique Strauss-Kahn peut poser problème
»
cueillir un maigre 8,4 % des voix lorsqu’elle présenta une liste centriste aux européennes de 1989. Jacques Delors, autre star des sondages pendant près de dix ans où, de 1988 à 1998, il s’installa au-dessus de la barre des 50 %, n’en tirera aucun profit électoral, refusant même de franchir le pas de la candidature à l’occasion de la présidentielle de 1995. Ces popularités fortes à faible rendement électoral touchent souvent des personnalités proches du centre, présentant un visage « moderne », d’ouverture, et porteuses d’hypothétiques dépassements du clivage entre la gauche et la droite. Dominique Strauss-Kahn a certaines de ces caractéristiques tout en étant plus fermement enraciné dans un parti et plus habitué aux joutes électorales que ne l’étaient Simone Veil ou Jacques Delors.
CLIVAGE… ❙ DEAU L’UNANIMITÉ Deuxième interrogation : la popularité de Dominique Strauss-Kahn est marquée par un unanimisme qui ne résistera pas à une confrontation électorale fortement clivante et bipolarisante. Le patron du FMI bénéficie aujourd’hui d’une situation exceptionnelle : il est plus populaire au centre et à droite qu’à gauche. Dans le baromètre TNS Sofres-Le Figaro Magazine de novem-
aujourd’hui bien au-delà de son camp. Mais, éventuellement candidat demain, il verra fondre ces soutiens d’un moment. Cependant, Dominique Strauss-Kahn est porteur depuis longtemps d’une identité sociale-démocrate qui peut lui laisser espérer, le moment venu, de garder une partie de ces soutiens centristes et de droite.
DE LA CAPACITÉ À RASSEMBLER ❙ TOUTES LES GAUCHES… Enfin, troisième interrogation : au sein d’une gauche française souvent peu amène vis-à-vis du « modérantisme » social-démocrate, le positionnement de centre gauche de Dominique Strauss-Kahn peut poser problème. Toute une partie de la gauche ne cesse de dénoncer un Dominique Strauss-Kahn qui ne serait pas de gauche, et Jean-Luc Mélenchon menace déjà : « Il manquera beaucoup de monde à l’appel du deuxième tour. » Dès aujourd’hui, il y a quelques signes de difficultés entre Dominique Strauss-Kahn et les milieux que tente de représenter la « gauche de la gauche ». Par exemple, dans le sondage TNS Sofres-Le Nouvel Observateur réalisé fin août 2010, Dominique Strauss-Kahn ne recueille que 19 % d’intentions de vote en milieu ouvrier (28 % pour Royal, 24 % pour Aubry),
alors qu’il s’épanouit dans les milieux bourgeois : 31 % chez les cadres et professions intellectuelles (12 % pour Royal, 24 % pour Aubry). Dans la perspective d’un premier tour, il ne capte que 11 % d’électeurs de la gauche antilibérale de 2007 et 8 % de sympathisants du Front de gauche, mais séduit pour l’instant 15 % des électeurs qui avaient choisi Nicolas Sarkozy et 35 % de ceux qui s’étaient tournés vers François Bayrou en 2007. Nous sommes loin cependant du second tour de l’élection présidentielle de 2012, et il est difficile de savoir dans quelle mesure ces défections de certains secteurs de la « gauche historique » seront, le moment venu, contrebalancées par la vigueur d’un second tour où la dénonciation de l’« ennemi » fera tomber les réticences à se mobiliser pour le représentant de la gauche. L’antisarkozysme peut réconcilier temporairement les « frères ennemis » de la gauche, qui pourront, l’espace bref d’un second tour, s’aimer de détester ensemble. Pour l’instant, aucune ligne n’est figée. Le PS n’a pas fait son choix. Les images, les perceptions vont bouger. Mais la course est ouverte et chacun s’élance avec ses forces et ses faiblesses, qui sont autant de marqueurs forts de l’identité politique des candidats. ■
71 %
Juin 2010
63 %
a gauche n’est pas plus à abri que la droite de la personnalisation de la politique intimement liée à l’élection présidentielle. Aujourd’hui, la personnalité du candidat socialiste a un impact profond sur la capacité du PS à rassembler un électorat significatif. Alors que Ségolène Royal et François Hollande sont crédités de 16 % d’intentions de vote, Martine Aubry fait nettement mieux (22 %) sans pour autant atteindre les 25 % attribués à Dominique Strauss-Kahn. L’électorat socialiste varie de + ou – 9 points en fonction de la personnalité
de celui ou celle qui le représenterait. Le «plus» de Dominique Strauss-Kahn est lié à des scores beaucoup plus élevés que ses challengers chez les hommes, les personnes de plus de 50 ans, les cadres et professions intellectuelles, les électeurs proches du MoDem et de l’UMP.
Faire jeu égal En revanche, il est intéressant de constater la capacité de Martine Aubry à faire jeu égal avec Dominique Strauss-Kahn chez les femmes, les jeunes, les 35-49 ans, les travailleurs indépendants, les professions inter-
médiaires et les employés. Enfin, la dirigeante du PS domine le patron du FMI chez les ouvriers, chez les sympathisants de l’extrême gauche et du Front de gauche ainsi que chez les socialistes. Les deux autres candidats sont surclassés sauf à constater la forte présence de Ségolène Royal chez les ouvriers et l’audience non négligeable de François Hollande chez les jeunes. ■ P. P.
Juill. 2010
62 %
51 %
Nov. 2010
Févr. 2010
50 %
51 %
Juin 2010
Les profils contrastés des candidats socialistes potentiels
L
49 %
Juill. 2010
Aubry prend l’avantage sur Strauss-Kahn chez les électeurs sympathisants de gauche Source : Figaro magazine - Sofres
45,6 %
Évolution de la cote d'avenir* de Dominique Strauss-Kahn
44,2 % 2007
1998
A
Total 18 à 24 ans Selon l’âge 35 à 49 ans 50 à 64 ans Selon la profession Commerçant, artisan, chef d’entreprise Cadre, profession intellectuelle Sources : TNS-Sofres Logica/ Profession intermédiaire Le Nouvel Observateur, Employé 20-21 août 2010 Photos : Le Figaro Ouvrier
1999
Ségolène François Royal Hollande
22 %
16 %
2
23 % 31 % 24 % 25 % 19 % 24 %
1
20 % 23 %
28 % 30 %
31 %
27 % 20 % 19 %
2009
33,9 %
2002
16 %
34 %
2004
32,7 % 33,2%
Dominique Strauss-Khan 20 % 24 %
2008
42,1 %
39,2 %
Intentions de vote pour les candidats socialistes dans le cadre d’un premier tour à l’élection présidentielle
2010
43,6 %
39,7 %
25 %
Martine Aubry
Nov. 2010
67 %
Févr. 2010
2003
28,7 %
3
28,9 %
17 %
19 %
14 % 22 % 12 % 12 % 15 %
19 % 19 % 19 %
21 %
28 %
2000
1997
2005
31,2 % 2006
27,7 % 2001
16 % 17 %
17 % 14 %
16,3%
1996
* Il s'agit de moyennes annuelles des cotes d'avenir mesurées chaque mois Source : Figaro Magazine-SOFRES
débats OPINIONS
mardi 5 octobre 2010 LE FIGARO
22
étudesPOLITIQUES
Figaro-Cevipof
Pourquoi le scénario de 2012 n’est pas écrit
Le déficit de popularité du chef de l’État n’entame pas le cœur de l’électorat UMP.
DESSIN DOBRITZ
PASCAL PERRINEAU DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)
LE FAIT NOUVEAU de la période politique actuelle, c’est l’optimisme de la gauche. Elle n’a plus gagné une élection présidentielle depuis 1988 et elle estime pouvoir renverser cette tendance en 2012. Son optimisme se nourrit des sondages, qui tous soulignent un désamour entre Nicolas Sarkozy et les Français. La présidentielle serait-elle déjà jouée ? Le croire, c’est, comme le montre Pascal Perrineau, faire fi de l’histoire de ces cotes de popularité des candidats à la fonction présiden-tielle. Beaucoup étaient abonnés aux premières places des palmarès de l’opinion mais ont trébuché sur la première marche du scrutin présidentiel. Le contraire est vrai aussi. Les pronostics ne sont-ils pas hâtifs quand les enjeux d’une campagne électorale se nouent six mois avant le premier tour – en ce cas d’espèce, à la rentrée prochaine ? L’étude du directeur du Cevipof invite donc à la prudence. Ne serait-ce qu’en prenant en compte l’évolution d’un électorat jadis fidèle et maintenant de plus en plus « volatile » et « détaché des grandes références idéologiques ». L’analyse du capital électoral du sarkozysme montre que le déficit de popularité du chef de l’État n’entame pas le cœur de l’électorat UMP, alors que dans le même temps l’opinion ne manifeste pas, jusqu’ici, un franc « désir de gauche ». Ainsi s’esquissent les voies de la reconquête électorale : la droite de la droite et le centre. Dans cette bataille-là, Nicolas Sarkozy a déjà démontré qu’il n’était pas le moins habile… JOSSELINE ABONNEAU
E
n septembre 2010, à un an et demi de l’échéance présidentielle de 2012, la situation semble très difficile pour Nicolas Sarkozy. Le président est au plus bas dans les sondages de popularité : dans le dernier sondage de l’Ifop pour Le JDD, seules 32 % des personnes interrogées disent être satisfaites de Nicolas Sarkozy comme président de la République, ils étaient 65 % en mai 2007. L’été 2010, avec son lot d’affaire Woerth-Bettencourt, de discours sécuritaire et de capharnaüm majoritaire, s’est soldé par une érosion sensible lors de la rentrée de septembre (– 4 points d’août à septembre). Enfin, l’annus horribilis inaugurée en septembre 2009 par le procès Clearstream, prolongée par l’affaire Frédéric Mitterrand puis la candidature de Jean Sarkozy à l’Epad a peu à peu installé la cote de satisfaction présidentielle sous la barre des 40 %. Depuis septembre 2009, celle-ci oscille entre 30 et 39 % et a même tendance, depuis sept mois, à se rapprocher de la barre des 30 %. Gouverner avec un tiers de satisfaits n’est pas tâche aisée. Ce climat de désamour dans l’opinion a pris un relief particulier lorsque des sondages d’intentions de vote ont envisagé une possible victoire, au second tour de l’élection présidentielle, d’un candidat socialiste. Un sondage Sofres-Nouvel Observateur des 20 et 21 août 2010 annonçait une capacité de Dominique Strauss-Kahn et de Martine Aubry à battre nettement Nicolas Sarkozy dans le cadre d’un second tour : le premier était crédité de 59 % d’intentions de vote, la seconde de 53 %. Ce rapport de forces très dégradé au détriment de l’actuel président de la République, s’il est un signe des difficultés que traversent tous les dirigeants des démocraties confrontées à une crise économi-
que et sociale de première ampleur, doit cependant être relativisé. Tout d’abord, les sondages mesurent, surtout lorsqu’ils sont réalisés à un an et demi d’une échéance électorale, une « popularité de papier » plus qu’un réel capital électoral. Les rôles politiques ne sont pas encore distribués, la campagne n’a pas vraiment commencé, les thèmes de la controverse ne sont pas fixés. Dans ce contexte, les intentions de vote reflètent davantage des popularités d’image que des appréciations de candidats
«
La vie politique française est un “ cimetière des éléphants ” où femmes et hommes, qui étaient au pinacle des sondages d’opinion, sont tombés au champ d’honneur du suffrage universel
»
en compétition pour la présidence. Popularité ne veut pas dire capital électoral. La vie politique française est un « cimetière des éléphants » où femmes et hommes, qui étaient au pinacle des sondages d’opinion, sont tombés au champ d’honneur du suffrage universel (Michel Rocard, Simone Veil, Bernard Kouchner, Jacques Delors…). Ensuite, nombre de candidats qui paraissaient devoir être élus un an avant l’échéance présidentielle ont été battus lors du combat décisif. Les enjeux avaient changé, les images s’étaient écornées, la conjoncture n’était plus la même. Tel a été le cas pour Valéry Giscard d’Estaing annoncé vainqueur en avril 1980 et défait par François Mitterrand un an plus tard. Puis ce fut le tour de Jacques Chirac en 1987-1988, d’Édouard Balladur en 1994-1995, de Lionel Jospin en 20012002 et même de Ségolène Royal qui en avril 2006 était créditée, dans un sondage CSA, de 53 % d’intentions de vote face à Nicolas Sarkozy.
Les comportements des électeurs sont marqués aujourd’hui par une volatilité de plus en plus grande. Davantage détaché des grandes références idéologiques traditionnelles, touché lui-même par une mobilité forte dans ses trajets professionnels, ses ancrages géographiques et souvent sa vie privée, inscrit dans une relation de consommateur répondant à un système d’offre diversifiée et en mutation constante, le citoyen d’aujourd’hui – sans être un électron libre - n’est plus un électeur fidèle. Ses tropismes d’hier peuvent s’étioler, ses choix d’aujourd’hui évoluer demain. D’autant plus que le vote n’est pas simplement un vote rétrospectif sur un bilan mais est aussi un vote prospectif sur un projet.
A
ujourd’hui s’exprime avant tout, au travers de l’antisarkozysme, un rejet ou des interrogations sur un bilan. Demain, la perception de ce bilan aura évolué mais surtout la bataille présidentielle tournera autour de projets et de la capacité de tel (le) ou tel (le) candidat (e) à dessiner un avenir désirable pour une société française inquiète, touchée par la crise et en pleine interrogation sur sa capacité à s’insérer dans la globalisation. La bonne gestion des dossiers qui « préparent l’avenir » comme celui de la réforme des retraites, celui de la formation des jeunes ou encore celui de la capacité à bien placer la France dans la compétition internationale peut être décisive. Enfermé pour l’instant dans une gestion au quotidien, rabattu sur sa dimension rétrospective, Nicolas Sarkozy peut retrouver demain une dimension prospective. Enfin, la lecture attentive des sondages d’intentions de vote d’aujourd’hui doit rendre prudent quant aux projections hâtives faites sur l’avenir. Dans le sondage d’intentions de vote pour la présidentielle réalisé fin août par la Sofres pour Le Nouvel Observateur, dans l’hypothèse d’un premier tour avec Martine Aubry comme candidate du PS, la gauche est nettement minoritaire. Le total des intentions de vote en faveur des candidats de gauche
(N. Artaud, O. Besancenot, J.-L. Mélenchon, M. Aubry, E. Joly) n’atteint que 43 %, le centre incarné par François Bayrou attirant 7 % et la droite (H. Morin, D. de Villepin, N. Sarkozy, M. Le Pen) rassemblant 50 %. Il n’y a, pour l’instant, pas de « désir de gauche » dans l’électorat français. Cela recoupe l’analyse que l’intellectuel italien Raffaele Simone fait sur le déclin de la gauche occidentale lorsqu’il constate « qu’alors que la droite nouvelle semble moderne et dans le vent, la gauche est poussiéreuse et hors du coup ». Cependant, cette gauche minoritaire de premier tour montre sa capacité à devenir majoritaire au second, Martine Aubry étant créditée de 53 %, soit dix points de plus que le niveau des gauches du premier tour. Cette victoire éventuelle n’est rendue possible que par la très médiocre qualité des reports des électorats du centre et de la droite non sarkozyste sur Nicolas Sarkozy au second tour. Celui-ci ne récupérerait pour l’instant que 23 % des électeurs de François Bayrou, 45 % de ceux de Marine Le Pen et 55 % de ceux de Dominique de Villepin. Solidement ancré au cœur de l’électorat de l’UMP, ce qui explique le bon niveau de ses performances électorales de premier tour, Nicolas Sarkozy connaît des faiblesses quant à sa capacité à fixer au second tour les électorats des deux ailes du dispositif électoral des droites : à la droite de la droite et au centre droit. Ces deux zones de dépression électorale délimitent pour les mois à venir les deux axes d’une éventuelle reconquête électorale. ■
Les chutes de popularité présidentielle au cours des 30 dernières années François Mitterrand
De juin 1981 De juin 1988 à déc.1984 à déc.1991
L’impopularité, un phénomène inhérent à toute présidence
D
epuis son élection, l’érosion de la popularité de Nicolas Sarkozy a été très forte : – 37 points à la cote de confiance de la Sofres (de juin 2007 à septembre 2010). Toutefois, cette baisse n’a rien d’exceptionnel : elle était de – 38 points pour François Mitterrand de juin 1981 à décembre 1984, de – 32 pour le même de juin 1988 à décembre 1991, de – 32 pour Jacques Chirac de juin 1995 à novembre 1996 et – 36 pour Jacques Chirac encore de mai 2002 à juillet 2006. Avec 26 % de Français qui lui font confiance « pour résoudre les problèmes qui se posent en France actuellement », le président est à son plus bas niveau sans pour autant battre le record d’impopularité qui avait été atteint par Jacques Chirac en juillet 2006 (16 %). Ce déclin très sensible de popularité est lié à l’exercice du pouvoir présidentiel par Nicolas Sarkozy mais aussi à un
Les transferts d’intentions de vote du premier au second tour de l’élection présidentielle
étiolement structurel de la confiance que les Français mettent dans l’action d’un président de la République.
L’effet « lune de miel » est de plus en plus éphémère
L’effet « lune de miel » qui suit toute élection présidentielle est, en France comme ailleurs, de plus en plus éphémère. Celui-ci est suivi d’un désamour de plus en plus avéré. La cote de confiance présidentielle de la Sofres existe en France depuis octobre 1978 ; les étiages de popularité n’ont cessé de baisser d’une présidence à l’autre : 41 % pour Valéry Giscard d’Estaing en mars 1981, 36 % pour François Mitterrand en décembre 1984, 31 % en décembre 1991, février et mars 1993 pour François
Intention de vote au 1er tour
Martine Aubry
65 % 96 % 68 % 59 % 34 %
Olivier BESANCENOT Martine AUBRY Eva JOLY François BAYROU
Photos : Le Figaro, Rue des Archives
A
Nicolas SARKOZY Marine LE PEN
1% 37 %
Nicolas Sarkozy
11 % 12 % 23 % 55 % 98 % 45 %
-38 % -32 % Jacques Chirac Nicolas Sarkozy
De juin 1995 De mai 2002 à nov.1996 à juillet 2006
-32 %
-36% De juin 2007 à juillet 2010
61 %
-37 %
2e sem. 2007
Intention de vote au 2nd tour en faveur de
Dominique de VILLEPIN Sources : sondage Sofres– Nouvel observateur, 20-21 août 2010
Mitterrand lors de son second mandat, 32 % en novembre 1996 pour Jacques Chirac lors de son premier mandat et 16 % en juillet 2006 lors du second. La sanction de l’opinion vis-à-vis d’un président confronté à des difficultés est de plus en plus sévère. À cet égard, la sanction vis-à-vis de Nicolas Sarkozy (en l’absence d’une dégradation éventuelle à venir) aurait pu être encore plus forte. Le pire n’est pas toujours certain. On aurait pu imaginer que l’usure du pouvoir, la profondeur de la crise économique et sociale et l’exposition liée à l’hyperprésidence aient entraîné une situation encore plus difficile pour le P. P. président. ■
Abstention, blanc, nul, sans réponse
Sofres Source : cotes de confiance Sofres
Évolution de l'indice de popularité de Nicolas Sarkozy
24% 4% 20 % 18 % 11 % 1% 18 %
39 %
1er sem. 2008
41 %
2e sem. 2008
40 %
1er sem. 2009
39 %
34 %
2e sem. 2009
La question posée chaque mois est la suivante : « Êtes-vous satisfait ou mécontent de Nicolas Sarkozy comme président de la République ? » Les enquêtes mensuelles ont été cumulées par semestre.
34 %
1er sem. 2010
juillet-sept. 2010
débats OPINIONS
mardi 7 septembre 2010 LE FIGARO
14
étudesPOLITIQUES
Figaro-Cevipof
2011: le Sénat peut-il passerà gauche?
Les scrutins locaux et le changement sociologique du corps électoral accréditent l’hypothèse d’un bouleversement. Ordalie de la France profonde, le renouvellement par moitié du Sénat en septembre 2011 sera analysé, quoi qu’il advienne, comme un test politique majeur à six mois de l’élection présidentielle. Outre le rôle de la Haute Assemblée dans le processus législatif, son président dispose de prérogatives majeures telles que l’intérim du chef de l’État, la désignation de membres du Conseil constitutionnel, du Conseil supérieur de la magistrature, et de personnalités qualifiées des autorités de régulation des marchés, de l’audiovisuel, etc. Hier considéré comme utopique, le basculement - historique - à gauche de la majorité sénatoriale entre dans le champ plausible des hypothèses. Les succès de la gauche dans les élections locales, les évolutions sociologiques du corps électoral sénatorial, la réforme territoriale qui trouble nombre d’élus locaux, leurs inquiétudes sur les ressources fiscales des collectivités territoriales, la morosité économique et sociale alimentent et fortifient aujourd’hui les doutes politiques. Toutefois, la spécificité du corps électoral sénatorial composé notamment de délégués de petites communes et territoires ruraux traditionnellement plus à droite et moins politisés, la dimension très personnalisée d’un scrutin dépassant les clivages partisans hypothèquent lourdement les calculs électoraux. Enfin le second tour, celui de la présidence, subtil syncrétisme des équilibres internes, peut aussi réserver des surprises.■ JOSSELINE ABONNEAU
PERTES DE LA DROITE
ENTRE 1998 ET 2010
50
villes de plus de 30 000 habitants
32 18
départements
régions
PS
116
RDSE*
21 sièges
A
Page réalisée en collaboration avec le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof)
Centre associé au CNRS et dirigé par Pascal Perrineau
150
PCParti de gauche
24
Non inscrits
7
179 heu heuress CContrôle ontrôle
Le Sénat sera renouvelé par moitié en septembre 2011.
* RDSE (Rassemblement démocratique et social européen)
VIALERON/LE FIGARO
Les groupes politiques au Sénat
D
ans un an, la moitié des sièges du Sénat sera renouvelée. Cent soixante-dix sièges seront à pourvoir dans trente-huit départements métropolitains, un territoire et cinq départements d’outre-mer et pour une partie des Français établis hors de France. Comme d’habitude, ces futurs sénateurs seront élus au suffrage indirect par un corps de grands électeurs constitués par les députés, les conseillers régionaux, les conseillers généraux et les délégués municipaux. Le poids de ces derniers est écrasant puisqu’ils représentent 95 % du corps électoral sénatorial. Dans la série de départements qui vont connaître des élections sénatoriales en septembre 2011, 55 % des 14 446 communes concernées ont moins de 500 habitants, 25 % entre 500 et 1 499, 10 % entre 1 500 et 3 499, 6 % entre 3 500 et 8 999, 3 % entre 9 000 et 29 999 et seulement 1 % 30 000 habitants et plus. L’influence des délégués des petites communes est donc importante même si il y a une progressivité du nombre de délégués des conseils municipaux en fonction de la taille de la commune. Mais cette progressivité n’est pas parfaite : une commune de 10 000 habitants a 33 délégués alors qu’une commune de 100 habitants en a un. Ainsi un délégué municipal représente 100 habitants dans une petite commune de 100 habitants alors qu’il en représente 303 dans une commune de 10 000 habitants.
Nouveaux profils
GAIN DE LA GAUCHE AU RENOUVELLEMENT SÉNATORIAL DE 2008
UMP
Union centriste
17 29
Le poids électoral des populations des communes de petite taille est plus important que celui des grandes communes. Or, dans ce monde des petites communes, les étiquettes politiques sont plus floues et incertaines. La pénétration des partis nationaux y est beaucoup moins profonde et les étiquettes politiques des maires et des conseillers municipaux échappent souvent aux étiquetages politiques nationaux. Cette partie du corps électoral sénatorial constitue une relative inconnue et peut réserver des surprises. Cependant, depuis 2007, la lente et régulière poussée de la gauche dans toutes les élections locales (municipales et cantonales de 2008, régionales de 2010) a entraîné une évolution du centre de gravité politique des grands électeurs vers la gauche. Celle-ci a déjà été sensible lors du dernier renouvellement sénatorial de septembre 2008 où la gauche avait gagné 21 sièges. Actuellement, le rapport de forces politique au Sénat est le suivant : sur les 343 sénateurs, 24 appartiennent au groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, 116 au groupe socialiste, 17 au groupe du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE), 29 au groupe de l’Union centriste, 150 au groupe de l’UMP et 7 sont non inscrits. En septembre 2011, le nombre de sénateurs passera à 348 et la moitié des sièges sera renouvelée. La majorité absolue sera donc fixée à 175 sénateurs. Aujourd’hui, la gauche peut compter sur 24 membres du groupe communiste, 116 du groupe socialiste et 13 des 17 sénateurs du groupe RDSE, soit 153 sénateurs. Il lui faudrait
PAR PASCAL PERRINEAU
DIRECTEUR DU CEVIPOF
«
L’archétype du maire rural, qui était jusqu’ici l’agriculteur de centre droit et de tradition démocratechrétienne, évolue au bénéfice du retraité de la fonction publique, davantage à gauche
»
donc théoriquement gagner 22 sièges en 2011 pour s’emparer de la présidence du Sénat. Si elle renouvelait en amplifiant sa performance de 2008, cet objectif, difficile à atteindre, pourrait devenir réalité. Depuis une dizaine d’années, la droite a perdu beaucoup de terrain au plan local. Entre 1998 et 2010, elle a vu lui échapper 50 villes de plus de 30 000 habitants, 32 départements et 18 régions. Ces succès électoraux répétés ont entraîné une montée en puissance des élus locaux de gauche. Ceux-ci sont nettement majoritaires dans les conseils généraux et régionaux et ont beaucoup renforcé leur emprise dans les conseils municipaux. C’est ce nouveau corps électoral sénatorial qui s’exprimera dans un an. Indépendamment de l’évolution de son centre de gravité politique, cet électorat a connu des changements dans son profil sociodémographique. Les élus locaux qui sont au cœur de l’électorat sénatorial ont connu une relative « professionnalisation » (mandat à plein-temps, statut d’élu local, permanent de parti) et un renforcement croissant du poids de la fonction publique qui sont autant de processus qui favorisent plutôt la gauche que la droite. Enfin, dans nombre de départements ruraux, apparaissent des profils relativement atypiques par rapport à la « norme » de l’élu local agriculteur exploitant. Du fait de la désertification et du déclin de la population agricole, ce sont souvent de nouveaux résidents d’origine urbaine et plus orientés vers la gauche qui deviennent conseillers municipaux dans les petites communes. Une étude sur le profil des maires, menée par la Direction générale des collectivités locales après les
élections municipales de 2008, montre que le nouveau maire type est un jeune retraité souvent issu de la fonction publique, ayant travaillé en ville mais s’étant installé à la campagne, en zone périurbaine. Les retraités sont de loin la catégorie la plus nombreuse (32,33 %) alors que la part des agriculteurs, qui représentaient encore le tiers des maires en 1983, est tombée à 15,61 %. L’archétype du maire rural, qui était jusqu’ici l’agriculteur de centre droit et de tradition démocratechrétienne, évolue au bénéfice du retraité de la fonction publique, davantage à gauche et doté éventuellement d’un passé de militant syndical. Cette population d’élus locaux a été dans la période récente déstabilisée par la réforme territoriale. L’empilement des structures de pouvoir local, l’intrication de leurs compétences et le maquis des financements croisés appelaient une réforme. Le 8 juillet dernier, celle-ci a été adoptée en seconde lecture par le Sénat, mais le débat n’a pas été facile et a révélé nombre d’inquiétudes particulièrement sur le mode de scrutin des futurs conseillers territoriaux, la question des compétences et celle du découpage. Cette réforme n’est, pour l’instant, pas bien reçue dans l’opinion : en novembre 2009, seules 23 % des personnes interrogées par la Sofres pensaient que la réforme était « une bonne chose », 34 % « une mauvaise chose », 16 % « ni l’une ni l’autre », 27 % étant sans opinion. Il se peut que les frustrations soulevées par cette réforme handicapent ceux qui en ont été porteurs. Déjà, dans le passé, des réformes vigoureuses menées sur le terrain local s’étaient retournées contre leurs auteurs. En septembre 1971, la majorité de l’époque avait souffert lors des élections sénatoriales de la loi sur les fusions et regroupements de communes, dite « loi Marcellin », qui avait été adoptée en juillet de la même année. La refonte de la fiscalité locale engendrée par la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement, dans la loi de finances de 2010, par la contribution économique territoriale, suscite des inquiétudes jusqu’au cœur de la majorité. C’est donc une population d’élus locaux traversée par des interrogations qui va s’exprimer en septembre 2011. Il faudra que toutes ces réformes soient expliquées, défendues avec une ligne directrice forte pour que l’interrogation cède la place au soutien.
Le poids des « divers droite » D’autant plus que la conjoncture économique, sociale et politique est morose. Dans un sondage réalisé en juillet 2010 par la Sofres pour La Croix, l’opinion reste très préoccupée par les questions d’emploi et de chômage (74 %) ainsi que par le dossier des financements de retraite (58 %) qui est à l’agenda des réformes de la rentrée. Dans le baromètre politique Figaro Magazine-Sofres de juillet 2010, seules 26 % des personnes interrogées « font confiance à Nicolas Sarkozy pour résoudre les problèmes qui se posent en France actuellement », 35 % faisant confiance à François Fillon. Cette période de « basses eaux » en termes de popularité de l’exécutif ne simplifiera pas la tâche des candidats de la majorité. Cependant, rien n’est joué
d’avance et d’ici à septembre 2011 certains indicateurs peuvent se redresser. L’importance du poids des élus des petites communes et des zones rurales dont le centre de gravité est plus à droite est importante dans le corps électoral sénatorial. Si l’on considère l’ensemble des maires des départements qui connaîtront une élection sénatoriale en 2011, 55 % d’entre eux sont à droite, 30 % à gauche, 1 % au centre et 14 % relèvent de tendances difficilement classables à gauche ou à droite. C’est cette population où le poids des « divers droite » est très fort (48 %) qui jouera un rôle décisif dans le destin politique du Sénat.
Un groupe charnière Toute élection est avant tout l’élection d’un homme ou d’une femme quelle que soit son étiquette politique. Mais cette dimension personnelle est encore plus forte dans l’élection sénatoriale. Le monde des électeurs sénatoriaux est un « petit monde » : selon les départements, il oscille de quelques centaines à quelques milliers d’électeurs qui souvent connaissent des candidats directement issus du cénacle restreint des élus locaux. La personnalisation, l’interconnaissance peuvent perturber les clivages politiques. La droite est souvent plus à l’aise sur ce terrain qu’une gauche plus sensible aux engagements collectifs et aux étiquettes politiques. Cette dimension personnelle qui déplace les lignes de partage politique est sensible jusqu’au cœur du Sénat où les équilibres politiques ne sont pas totalement stables. Le groupe du Rassemblement démocratique et social européen, qui comprend 17 membres, héritier du plus vieux groupe du Sénat (la Gauche démocratique créée en 1892), comprend certes une majorité de sénateurs de l’opposition (particulièrement les radicaux de gauche) mais comme l’écrit son président, Yvon Collin, « ce groupe ne se reconnaît pas dans le caractère artificiel et souvent manichéen du clivage gauche/droite ». En cas de rapport de forces serré entre la majorité et l’opposition, la stratégie et le vote de nombreux sénateurs de ce groupe charnière (ou encore de celui de l’Union centriste) pourront s’avérer décisifs. Enfin, personne n’ignore, même à gauche, que l’élection sénatoriale n’est jamais gagnée au soir des élections sénatoriales et qu’il y a le « deuxième tour » décisif qu’est l’élection du président du Sénat. Même si la gauche gagne, il y a des chances qu’elle ne gagne pas nettement, alors la donne sera très ouverte lors de l’élection du président de la Haute Assemblée. Le président sortant Gérard Larcher a une surface politique large qui peut dépasser les limites de son propre camp. Un groupe charnière comme le RDSE pourrait également avoir un candidat au perchoir. Déjà, en octobre 2008, Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste, n’avait pas bénéficié du soutien de tous les sénateurs de gauche. L’élection sénatoriale n’est donc pas tout à fait une élection comme les autres. Les tactiques subtiles, l’indépendance et l’esprit de consensus qui sont souvent des qualités sénatoriales ont marqué de leur sceau l’élection sénatoriale ellemême. ■
débats OPINIONS
mardi 1er juin 2010 LE FIGARO
16
étudesPOLITIQUES
Figaro-Cevipof
Les élections primaires, clé de voûte de la modernisation du Parti socialiste
La désignation du candidat à l’élection présidentielle de 2012 cherche à résoudre la crise du leadership.
L
e Parti socialiste a retrouvé aux Le regard des Français sur les primaires ouvertes dernières élections régionales une capacité évidente d’attraction électorale. Cependant, à QUESTION : Etes-vous favorable à ce que les partis l’horizon des échéances natioSympathisants PS politiques en France organisent des primaires ouvertes* nales de 2012, il reste confronté à un triple Sympathisants UMP afin de désigner leur candidat à l'élection présidentielle ? défi programmatique, stratégique et personnel. Il travaille à l’accouchement d’un Total favorable *C'est-à-dire un vote ouvert aux sympathisants de ce parti plutôt programme sans parvenir à éviter les qu'un vote ouvert aux seuls adhérents contradictions ou les approximations, % comme sur le dossier des retraites. Il réaf% % firme une stratégie d’alliance à gauche, sans faire taire toutes les tentations d’une alliance au centre, comme en témoignent Tout à fait % % Plutôt les déclarations récurrentes de Ségolène favorable favorable Royal. Cependant, l’enjeu essentiel reste Ensemble celui du choix de la personne qui emmèneélectorat ra les socialistes au combat présidentiel. Total opposé La droite possède son leader « natu3% rel », pas la gauche. Le problème est anNSP % 7% % cien dans une gauche française peu en 14% harmonie avec la logique personnalisante Tout à fait opposé(e) de l’élection présidentielle. Seul François Plutôt opposé(e) Mitterrand releva ce défi. La parenthèse Sources : OpinionWay, Terra Nova,Le Nouvel Obs 25-26 juin 2009 Mitterrand une fois fermée en 1996, le PS a retrouvé son difficile rapport au pouvoir présidentiel et traverse une crise de lea- tes successives aux élections présidentiel- tème de primaires qui lui permettra de dédership quasi continue. En vingt ans, les de 1995, de 2002 et de 2007, il est à la re- gager en son sein un leader incontesté. aucun des six premiers secrétaires qui se cherche d’une procédure stable et efficace La réflexion a été engagée dès après sont succédé à la tête du PS n’a réussi à im- pour choisir son candidat. l’échec présidentiel de mai 2007. Il s’agit L’idée des élections primaires s’est pour le PS de codifier une « primaire à la poser de manière durable son leadership sur le parti et la candidature présidentielle. ainsi imposée. Celle-ci est d’ailleurs an- française ». Pour cela, les yeux sont tourCette instabilité est un lourd handicap cienne au PS. Dès la naissance du parti en nés à la fois vers les expériences passées pour le PS et l’ensemble de la gauche. Cette 1971 il était prévu que des élections pri- mais aussi vers les expériences étrangères. crise de leadership est à l’origine des autres maires fermées, réservées aux seuls ad- Sur ce dernier point, la fondation Terra hérents, procèdent au choix du candidat Nova, dont l’un des objectifs est de« particrises, stratégique et programmatique. En l’absence de leader incontesté, il à l’élection présidentielle. La pratique fut ciper à la rénovation de la social-démocraest difficile de négocier des alliances, la plupart du temps différente et le leader tie » et dont nombre des soutiens apparsurtout quand les différents leaders ont « naturel » qu’était François Mitterrand tiennent au Parti socialiste, a publié une des conceptions divergentes des straté- se dispensa de la procédure en 1974, en très intéressante étude« Pour une primaire gies à mettre en place. À cet égard, le 1981 et en 1988. La légitimité du leader à la française »(Terra Nova, 2008) où sont dernier congrès du PS à rendait caduque la règle recensés les principaux types de primaires Reims (2008), qui a vu même du parti. Tout à l’œuvre pour sélectionner les candidats à la courte victoire de change lorsque s’ouvre la direction des affaires d’un pays. Martine Aubry sur Sél’après-Mitterrand. La À tout seigneur tout honneur, les Étatsgolène Royal, a montré crise du leadership so- Unis offrent un système de primaires qu’au-delà des affroncialiste et les affronte- ouvertes, très compétitives et appliquées tements d’ego il y avait ments récurrents entre chez les démocrates et chez les républides désaccords sur les Laurent Fabius, Michel cains. Ces « hyperprimaires » constituent alliances possibles avec Rocard, Henri Emma- une sorte de modèle idéal, entraînant une le centre de François nuelli, Lionel Jospin, forte participation, une vitalité du débat LES PRIMAIRES Bayrou. François Hollande, Sé- démocratique et un renouvellement des FERMÉES DE 2006 La crise du leadership golène Royal, Domini- élites dirigeantes dont témoigne la sélecSUFFRAGES RECUEILLIS a aussi des conséquences que Strauss-Kahn ren- tion dans les primaires démocrates de BaPAR LES TROIS directes sur le travail dent inévitable la mise rack Obama. Cependant, ces primaires ont PAR PASCAL PERRINEAU PRÉTENDANTS DIRECTEUR DU CEVIPOF programmatique. Peren place de primaires leur face d’ombre : l’hyperpersonnalisaÀ L’INVESTITURE SOCIALISTE sonne au PS ne semble officielles avant l’élec- tion, le poids de l’argent et l’allongement Avec la primaire avoir la légitimité pour tion présidentielle. excessif du temps de campagne. de 2006, organiser la réflexion Des primaires réduicollective et surtout tes aux seuls adhérents Forces centrifuges le poids de l’image, pour ancrer de manière seront ainsi organisées En Europe, au-delà des cas britannique ou pour Ségolène Royal du sondage durable les inévitables en 1995 et 2002, et Lio- espagnol, qui sont des exemples de prisynthèses programma- et de la communication nel Jospin en sortira maires réservées aux seuls adhérents, l’intiques. Dans les années vainqueur. Le « choc » térêt du PS se tourne vers l’Italie où, depuis prend le pas 1970, François Mitla disparition du can- l’implosion du système de partis dans les sur la fidélité au parti, de terrand avait couvert de didat socialiste à l’issue années 1990, la recomposition de la gauche pour Dominique l’investissement son autorité les édifices du premier tour de 2002 tente de se faire autour d’un système de Strauss-Kahn programmatiques et sa démission vont primaires ouvertes à tous les partis de gaudans l’appareil qu’étaient alors le proouvrir à nouveau une che et touchant les adhérents mais aussi les et la rhétorique gramme « Changer la profonde crise du lea- électeurs sympathisants de ces partis. militante vie » puis le «Programdership dont le PS n’est L’Italie a ainsi connu, à gauche, trois granme commun de gouvertoujours pas sorti. des primaires en 2005, 2007 et 2009. À pour Laurent Fabius nement de la gauche » L’élection primaire de chaque fois, elles ont mobilisé plusieurs puis le «Projet socialiste pour la France des novembre 2006 verra s’affronter deux millions d’électeurs (entre 3 et 4,5 milannées 1980 ». Fragiles édifices traversés candidats qui cherchent à s’imposer dans lions) et ont été le moyen d’exprimer ce de multiples contradictions, porteurs l’après-Jospin (Laurent Fabius, Domini- que Marc Lazar* appelle une « jubilation d’utopies destinées à se fracasser sur le que Strauss-Kahn) et l’outsider, portée participative ». Mais le même Marc Lazar mur du réel, ils servaient néanmoins de par les sondages, que représente Ségolène note qu’une primaire réussie ne garantit en viatique au leader qui, bien sûr, le moment Royal. Écartelé entre logique d’opinion et rien la victoire aux élections et pas même le venu de l’élection, s’en émancipait, porté logique partisane, François Hollande, renforcement de l’autorité sur son propre par l’aventure personnelle et singulière premier secrétaire, renonce à participer à camp du leader qui l’a remportée. Et ce fin observateur de la vie politique des deux que reste toute élection présidentielle. la compétition. Ces élections de 2006 constituent les côtés des Alpes relève plusieurs incertituDémocratie d’opinion premières primaires modernes du PS. Elles des quant à l’importation du système itaAujourd’hui, où est le viatique program- sont certes fermées, c’est-à-dire réservées lien revu et corrigé dans l’Hexagone. matique du PS ? Il y a bien une « déclara- aux adhérents, mais l’ouverture d’une adPremière incertitude : les primaires sePage réalisée tion de principes »et une ébauche de pro- hésion à prix réduit (20 euros) va élargir le ront-elles celles d’une coalition de partis en collaboration gramme économique et social, mais on corps électoral en faisant voter plus de ou du seul PS ? Il semble bien que les proavec le centre voit bien que dans la perspective de la pré- 100 000 nouveaux adhérents. Une vérita- fondes divisions qui traversent la gauche de recherches sidentielle de 2012, chaque candidat fait ble campagne interne est organisée, avec écartent la première hypothèse et que le PS politiques entendre son propre chant : celui de Mar- débats télévisés et meetings régionaux de- ne puisse organiser qu’un pluralisme au de Sciences Po tine Aubry n’est pas celui de Dominique vant les adhérents. Enfin, des règles codi- rabais avec la participation du Parti radical (Cevipof) Strauss-Kahn, celui de Ségolène Royal fient l’accès aux candidatures et les procé- de gauche et, éventuellement, du MouveCentre associé au CNRS et dirigé n’est pas celui de François Hollande… Dans dures de vote. La reine des sondages, ment républicain et citoyen. par Pascal Perrineau un tel contexte, le PS a besoin d’une procé- Ségolène Royal, l’emportera haut la main Deuxième incertitude : les primaires dure pour trancher la concurrence entre avec plus de 60 % des suffrages contre italiennes sont, la plupart du temps, une les prétendants. Déstabilisé par trois défai- 20,8 % à Dominique Strauss-Kahn et ratification par les électeurs d’accords des 18,5 % à Laurent Fabius. états-majors des partis. En France, la priComme en 1995, cette élection primaire maire socialiste sera (et a été en 2006) une marque la victoire de la démocratie d’opicompétition ouverte et très virulente. Déstabilisé par trois défaites successives nion sur la démocratie d’appareil. Le poids Quelles seront les traces laissées par ces aux élections présidentielles de 1995, 2002 et 2007, de l’image, du sondage et de la communi- combats fratricides au sein de l’électorat le PS est à la recherche d’une procédure cation prennent le pas sur la fidélité à un de gauche ? parti, l’investissement dans l’appareil et la Enfin, troisième incertitude : quelles sestable et efficace pour choisir son candidat rhétorique militante. À l’horizon 2012, le ront les capacités du PS à organiser une PS cherche à stabiliser et peaufiner un sys- élection primaire ouverte incontestable, Morceau de choix du rapport d’Arnaud Montebourg sur la rénovation du parti, les modalités de désignation du candidat socialiste à l’élection présidentielle ont été présentées hier au bureau national. Sans cesse remise sur le métier depuis 1996, l’organisation des primaires illustre le délicat rapport que la gauche entretient encore avec la personnalisation de la fonction présidentielle et les institutions de la Ve République. À l’exception de François Mitterrand qui avait relevé ce défi en revêtant les habits de la Ve République et avait su imposer au PS et à la gauche entière un présidentialisme plus ou moins identifié à un « bonapartisme » honni. Avec l’après-Mitterrand s’ouvre une ère d’instabilité et de contestation permanente du leadership du parti. Le PS est ainsi transformé en une machine à perdre, par trois fois, l’élection majeure de la vie politique française. Dans la compétition présidentielle nécessitant d’abord de rassembler les siens puis ensuite toute la gauche, cette crise de leadership s’avère un « lourd handicap ». Elle fragilise la direction tant sur son programme que sur la définition d’une stratégie d’alliance claire. Pour gagner ainsi groupé, le PS doit désigner son candidat « avec des règles claires, un corps électoral bien délimité et un déroulement des votes irréprochables ». En somme « codifier » ce que sera peut-être une « primaire à la française ». ■ JOSSELINE ABONNEAU
60% 20,8%
25
22
C
54
22 18
«
»
18,5%
«
77 81
»
Martine Aubry, Dominique StraussKahn, Ségolène Royal et François Hollande sont des candidats potentiels à une primaire socialiste. S. SORIANO, J.-C. MARMARA, F. BOUCHON,/LE FIGARO
avec des règles claires, un corps électoral bien délimité, un déroulement des votes irréprochable ? Le PS aura sur ce point à faire de gros progrès par rapport à la procédure de primaires fermées qui avaient été organisées pour élire la première secrétaire à l’issue du congrès de Reims. Les résultats avaient été très contestés et entachés de nombreuses irrégularités. Si le PS surmonte ces obstacles, il pourra bénéficier du soutien d’opinion que les Français apportent, au-delà du clivage gauche/droite, à la procédure même des primaires considérée comme un élément de modernité et d’approfondissement de la démocratie. Il reste au PS à transformer ce soutien d’opinion en véritable mobilisation électorale. 31 % des sympathisants socialistes se disent aujourd’hui tout à fait certains d’aller voter dans des primaires. Cela représente un potentiel non négligeable d’environ 3 millions d’électeurs et n’a plus rien à voir avec les 177 000 adhérents qui avaient participé au processus des primaires fermées en novembre 2006. Tout l’art des primaires restera dans la capacité du PS à maîtriser les forces centrifuges que libère inévitablement une élection primaire ouverte et compétitive. À un an de l’ouverture de la procédure des primaires, prévue pour le printemps 2011, la dispersion des choix des électeurs potentiels l’emporte sur toute dynamique centripète : aucun des candidats tacites ou déclarés ne dépasse le quart des intentions de vote des sympathisants socialistes. D’ici là, les sondages, les accords d’appareil et l’évolution du rapport de forces entre gauche et droite modifieront certainement les positions des principaux protagonistes.! * Professeur à Sciences Po.
débats OPINIONS
mardi 4 mai 2010 LE FIGARO
18
étudesPOLITIQUES
Figaro-Cevipof
Front national : un regainde vitalité fragile
En doublant son audience en unan, l’extrême droite renoue avec la reconquête des « brebis égarées » du sarkozysme.
JOSSELINE ABONNEAU
EUROPÉENNES 2009/ RÉGIONALES 2010 : ÉVOLUTION DE L’ÉLECTORAT FN
EN MARS DERNIER, LE FRONT NATIONAL A CAPTÉ
90 % de son électorat des européennes de juin 2009
16 % 15 % 6% 4%
des abstentionnistes
des souverainistes
du Front de gauche
de l’extrême gauche
A
Page réalisée en collaboration avec le centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof) Centre associé au CNRS et dirigé par Pascal Perrineau
LE FRONT NATIONAL DANS LES ÉLECTIONS RÉGIONALES DE 1986 À 2010 au premier tour % des suffrages Nombre de voix exprimés 9,56 1986 2 658 500
ÉVOLUTION DU FRONT NATIONAL entre les élections européennes de 2009 et les élections régionales de 2010 (au second tour)
1992 1998 2004 2010
-2,9 à + 4
24 départements de faible dynamique
+ 4 à + 5,3
24 départements de forte dynamique
+ 5,3 à + 6,5
24 départements de très forte dynamique
+ 6,5 à + 11
L
Reconquête dans les terres d’abstention
Les terres où le FN est de retour sont aussi souvent des terres où l’abstention est élevée. Nombre d’électeurs plus ou moins proches du FN peuvent préférer la protestation abstentionniste à celle qui s’exprime dans les urnes. Mais aussi, le réenracinement du FN dans les couches populaires contribue à éroder la dynamique de reconquête de la gauche dans ces milieux : plus la dynamique du FN est forte, plus celle de la gauche historique (de l’extrême gauche au PS) diminue (tableau 2). Certes, la droite modérée perd beaucoup dans les terres de la très forte dynamique du FN mais ses pertes sont également sévères dans les départements où le FN ne progresse que très faiblement. La question de l’extrême droite n’est pas seulement une question politique posée à la droite, elle est aussi une question sociale posée à la gauche. L’examen des données du sondage OpinionWay
Ensemble France métropolitaine
Source : Cevipof
PAR PASCAL PERRINEAU
«
DIRECTEUR DU CEVIPOF
Marine Le Pen garde les ressorts classiques du discours national populiste tel qu’il a été mis en place par son père
»
réalisé le 14 mars 2010 auprès d’un gros échantillon de 9 342 personnes va dans le même sens : en milieu ouvrier, le FN est le deuxième parti avec 19 % des ouvriers ayant choisi des listes du FN, 27 % des listes du PS, 17 % des listes de l’UMP. Le FN atteint un niveau d’influence électorale supérieur à sa moyenne nationale chez les hommes (13 %), les jeunes (12 % chez les 18-24 ans), les 35-49 ans (15 %), les chômeurs (16 %), les artisans, commerçants et chefs d’entreprise (12 %), les employés (15 %) et les ouvriers (19 %). On retrouve ainsi les grands « fondamentaux » de la sociologie de l’électorat frontiste. Politiquement, tout en gardant le noyau dur qui lui restait aux européennes de juin 2009 (en 2010 90 % des électeurs frontistes de 2009 ont voté pour des listes du FN), le FN a capté nombre d’abstentionnistes (16 % des abstentionnistes de 2009 ont voté pour des listes du FN) mais aussi il a été pêcher des électeurs tous azimuts : 15 % des électeurs souverainistes qui avaient choisi les listes Libertas en 2009, 6 % de ceux qui s’étaient tournés vers le Front de gauche, 4 % de ceux qui avaient voté en faveur de l’extrême gauche, 4 % de ceux qui avaient rejoint les listes de l’UMP. Par rapport à l’élection présidentielle de 2007, 8 % des électeurs de Nicolas Sarkozy ont voté en faveur des listes régionales du FN. C’est, quantitativement, le courant électoral le plus important fourni au regain du FN en 2010. La reconquête des électeurs frontistes qui avaient rallié Sarkozy en 2007 est entamée, elle n’est pas cependant aboutie. Nombre d’électeurs de Nicolas Sarkozy se sont abstenus aux régionales : 50 % de son électorat a boudé les urnes (43 % seulement de celui de Ségolène Royal) même si l’abstention est encore plus importante dans l’électorat lepéniste de 2007 (57 %). Ce descellement de la base des électeurs frontistes ralliés à Nicolas Sarkozy en 2007 a été provoqué par une déception de nombre de ces électeurs surpris par le nouveau cours de l’exercice du pouvoir présidentiel initié dès fin 2007, par les entraves mises par la crise écono-
mique à la réalisation des promesses liées à la progression du pouvoir d’achat, au « travailler plus pour gagner plus », à la libération de la croissance ou encore à la régression du chômage. Ces « ralliés au sarkozysme » ont pu également avoir l’impression que davantage de signaux étaient envoyés à la gauche de la majorité qu’à sa droite ; un débat tardif, hâtivement organisé autour de l’identité nationale ne pouvait pas les persuader du contraire. En même temps que l’offre politique de Nicolas Sarkozy évoluait sous les contraintes de l’exercice du pouvoir et d’une crise économique et financière sans précédent, l’offre politique du lepénisme connaissait des réaménagements.
« Lifting politique » La retraite du vieux leader du FN est annoncée et la relève politique autour de sa fille devient un scénario crédible. Dès 2008, Jean-Marie Le Pen avait dit qu’il faudrait des « circonstances exceptionnelles » pour qu’il soit à nouveau candidat en 2012. La succession était ainsi ouverte et sa fille, vice-présidente du parti depuis le congrès de novembre 2007, a pu explicitement postuler à la succession. Implantée électoralement depuis 2007 dans le Pas-de-Calais, Marine Le Pen a également entamé un processus d’évolution de l’image frontiste où, tout en renforçant la figure d’un parti populaire implanté au cœur des difficultés économiques et sociales liées à la crise et à la globalisation, elle a tenté de mettre en scène un discours exempt de références sulfureuses à la Seconde Guerre mondiale et à ses drames, jouant de références au discours républicain (laïcité, patriotisme) et renforçant la composante culturelle et non ethnique du discours identitaire (dénonciation de l’islamisation, du bilinguisme).
«
+ 4,08 + 5,70 + 7,75 + 5,27
7,12
13,90
9,11
15,01
8,30
14,79
8,69
11,42
5,09
DYNAMIQUE DU FRONT NATIONAL ENTRE LES ÉLECTIONS EUROPÉENNES DE 2009 ET LES ÉLECTIONS RÉGIONALES DE 2010, ET ÉVOLUTION DES AUTRES FORCES au premier tour, en % Évolution de la gauche Dynamique du Front national sans les Verts 24 départements de très faible dynamique + 14,84 + 2,22
Pertes ou gains, en %
es listes du Front national ont été choisies par 2 223 800 électeurs au premier tour des élections régionales. Ce n’est pas un des meilleurs niveaux atteints par le FN en plus d’un quart de siècle d’existence électorale, c’est même le plus faible nombre d’électeurs jamais attiré par le FN lors d’élections régionales (cf. tableau 1). Cependant, 2010 marque un retour à « l’existence politique » pour un courant qui était en voie de marginalisation à l’issue des européennes de juin 2009 (1 091 691 voix). En moins d’un an, le FN a réussi à « reprendre pied » et à doubler ou presque son poids électoral : + 1 132 109 électeurs. Une carte de la dynamique du FN des européennes de juin 2009 au premier tour et des régionales de mars 2010 montre que, sauf de très rares exceptions, la croissance du FN est particulièrement vigoureuse à l’est d’une ligne Le HavreMontpellier(cf. carte). Dans cette France orientale le Front national connaît des poussées sensiblement supérieures à sa croissance nationale (+ 5,27 %). On retrouve dans ces terres tous les bastions du FN florissant des deux décennies qui ont couru du milieu des années 1980 au milieu des années 2000 ainsi que les départements où la dynamique de Nicolas Sarkozy avait été particulièrement forte lors des deux tours de l’élection présidentielle de 2007. Le FN a récupéré une partie de son électorat traditionnel et certaines « brebis égarées » du lepénisme qui avaient rejoint le troupeau sarkozyste ont fait défection. Le FN plonge des racines fortes dans une France marquée par les grandes concentrations urbaines, l’insécurité, l’immigration mais surtout la crise économique et sociale. Dans nombre de régions où le chômage est important et/ ou le taux de pauvreté élevé, le FN connaît une dynamique forte (NordPas-de-Calais, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Champagne-Ardenne, Gard, Loire, Moselle…). C’est sur ce terrain du « vote de crise » que prospère électoralement le FN, même s’il connaît des concurrences quant à l’expression de ce désarroi : l’abstention et la gauche.
3 371 624 3 271 402 3 564 059 2 223 800
% des inscrits
+ 13,11
Évolution de la droite modérée* - 7,59 - 6,40
+ 11,52
- 7,41
+ 9,43
- 8,43
+ 12,23
- 7,37
*UMP et divers droite
ÉTUDE Le redressement du Front national aux élections régionales illustre la capacité de l’extrême droite à s’imposer à nouveau dans l’arène politique, avec un objectif majeur, jouer les trouble-fête à l’élection présidentielle de 2012. En voie de marginalisation il y a moins d’un an, le FN bénéficie du « descellement de la base des électeurs frontistes ralliés à Nicolas Sarkozy en 2007 ». Provisoire pour l’heure. Pascal Perrineau montre que« la reconquête est bien entamée mais (qu’)elle n’est pas encore aboutie »,beaucoup d’électeurs frontistes se maintenant dans le camp des abstentionnistes. Il ajoute : « La question de l’extrême droite n’est pas seulement une question politique posée à la droite, elle est aussi une question sociale posée à la gauche. » Toutefois, le retour en force du FN par la consolidation de son audience électorale se heurte à plusieurs obstacles. Les opérations de « dédiabolisation »ou de « lifting politique » ne parviennent pas à élargir l’assise électorale frontiste au-delà ses bases géographiques et sociales historiques. Même l’annonce pour janvier 2010 du passage de relais de Jean-Marie Le Pen à Marine, sa fille, n’y fait rien. Malgré ses succès électoraux dans le Nord-Pas-deCalais, « la prétendante à la succession » ne bouleverse pas les rapports de force mais rend « simplement plus délicate l’agrégation des voix de droite ». En outre, la compétition entre Bruno Gollnisch et l’héritière peut se muer en déchirements fratricides déstabilisant un électorat marqué par l’affrontement Maigret-Le Pen de 1998.
Français considèrent qu’elle « ferait une bonne présidente de la République ». Elle retrouve les bases sociales et géographiques du FN historique : 17 % des employés, 14 % des ouvriers, 17 % des chômeurs, 24 % des personnes vivant dans les régions du nord de la France, 19 % de celles vivant dans l’Est, pensent ainsi. Enfin, jaugée dans un sondage d’intention de vote pour une élection présidentielle à la fin de mars 2010 (Ifop,SudOuest, 25-26 mars 2010), Marine Le Pen ne fait pas beaucoup mieux que son père en 2007 (10,4 %) : elle est créditée de 11 % des intentions de vote loin derrière Martine Aubry (27 %) et Nicolas Sarkozy (26 %) et ne bouleverse pas le profil habituel des électeurs frontistes. 15 % des hommes, 16 % des 18-24 ans, 26 % des artisans et commerçants, 21 % des ouvriers déclarent aujourd’hui une intention de vote en sa faveur. Les femmes (7 %), les personnes âgées (10 % chez les 65 ans et plus), les cols blancs (3 % chez les cadres supérieurs et professions libérales, 3 % chez les professions intermédiaires) ne semblent pas très séduits par le « nouveau cours » initié par Marine Le Pen. L’extension électorale qui pourrait être liée à une certaine « dédiabolisation » de la prétendante à la succession n’est pour l’instant pas sensible.
Guerre de succession L’éventuelle candidate frontiste reste davantage une « empêcheuse de tourner en rond », une « minorité de blocage » pouvant rendre plus difficile l’agrégation des voix de droite qu’une nouvelle donne bouleversant les rapports de forces. D’autant plus que le sensible regain électoral des régionales ne doit pas cacher les difficultés du FN dans les mois et les années à venir. Celui-ci a perdu un nombre important de conseillers régionaux (de 156 en 2004 ils sont tombés au niveau de
Le FN plonge des racines fortes dans une France marquée par les grandes concentrations urbaines, l’insécurité, l’immigration mais surtout la crise économique et sociale Indépendamment de ces évolutions, Marine Le Pen garde les ressorts classiques du discours national-populiste tel qu’il a été mis en place par son père, discours où le populisme, comme l’écrit Pierre-André Taguieff, est« à la fois protestataire (au nom des “petits” contre les “gros”) et identitaire (l’appel au peuple se fixant sur l’identité ethnonationale supposée menacée de destruction ou de souillure). » En dépit de ces efforts de « lifting politique », le FN reste un parti très largement impopulaire : 10 % seulement de Français en ont une bonne opinion en mars 2010 (Sofres, Figaro Magazine). Seuls 12 % de personnes interrogées souhaitent, en avril 2010, que Jean-Marie Le Pen joue un rôle important au cours des mois et des années à venir. Maigre consolation pour Marine Le Pen, ils sont 14 % à penser de même pour elle. Pour l’instant, l’avantage comparatif en termes d’influence électorale ou de popularité de la fille par rapport au père n’est pas évident. Son attraction de « présidentiable » vient d’être mesurée en mars 2010 (CSA, Grazia) : seuls 11 % de
»
118 en 2010). Cette quarantaine d’élus régionaux manqueront beaucoup au futur candidat frontiste lorsqu’il partira à la recherche des 500 signatures d’élus locaux nécessaires pour se présenter à l’élection présidentielle. La guerre de succession, larvée jusqu’alors, est explicitement ouverte ; le bureau politique du FN ayant décidé le 12 avril dernier que le successeur de Jean-Marie Le Pen à la tête du parti serait désigné lors du prochain congrès des 15 et 16 janvier 2011. Même si Marine Le Pen et Bruno Gollnisch affirment le contraire, on sait que les débats peuvent vite tourner à l’aigre au sein du FN et prendre l’allure de déchirements fratricides. Ceux-ci laissent des traces bien au-delà de l’appareil. Déjà, en 1998, l’affrontement entre Bruno Mégret et Jean-Marie Le Pen avait profondément déstabilisé l’électorat. Il peut en être de même demain. Enfin, la succession, réussie ou non, laissera dans l’ombre la redoutable figure du Commandeur qu’est Jean-Marie Le Pen et n’accordera qu’un espace ténu à l’invention d’un nouvel espace politique par sa fille.■
débats OPINIONS
mercredi 24 mars 2010 LE FIGARO
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étudesPOLITIQUES
Figaro-Cevipof
2007-2010 : l’évolution des électorats Analyse du parcours des électeurs de Sarkozy, Royal, Bayrou et Le Pen depuis trois ans.
JOSSELINE ABONNEAU
RÉGIONALES 2010 VOIX RECUEILLIES AU PREMIER TOUR PAR LES LISTES EN POURCENTAGE DES INSCRITS
13 % 11,6 % 5,1 % 1,9 % pour le PS
pour l’UMP
pour le FN
pour le MoDem
VOIX RECUEILLIES AU SECOND TOUR
26,4% 13 % pour les gauches
pour les droites
A
Page réalisée en collaboration avec le centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof)
Centre associé au CNRS et dirigé par Pascal Perrineau
Présidentielle 2007, régionales 2010 : le parcours des électeurs…
SUR 100 ÉLECTEURS AU 1ER TOUR DE LA PRÉSIDENTIELLE 2007
5% 5% VOT AU 2e TOUR VOTE
49% DES RÉGIONALES, 41% EN %
… de Nicolas Sakozy Listes du de l'UMP
Listes de gauchee
Listes du MoDem
Listes du FN
LE PROFIL DES TRANSFUGES ÉLECTORAUX DU SARKOZYSME, DE 2007 À 2010
LES MOUVEMENTS DES ÉLECTEURS
Présidentielle Régionales 1er tour (2007) 1er tour (2010) Évolution en % 53,67 + 37,44 Abstentionnistes 16,23 11,61 -14,13 UMP-NC 25,74
«V
48
58
52 10
8,62 21,36
5,09
- 3,53
18-24 ans
17
3
10
PS
13,00
- 8,36
Europe Éco.
2,28
5,43
+ 3,15
25-34 ans
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35-49 ans
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7% VOTE AU 1er TOUR
10% DES RÉGIONALES, EN % 2%
1% 1% … de François Bayrou
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Age
VOTE AU 2e TOUR V
ictoire historique pour la gauche », « retour en force du FN », « défaite en rase campagne pour la majorité ». Pour juger de la pertinence de ces interprétations des élections régionales, il faut revenir en détail sur la séquence 2007-2010 et prendre l’exacte mesure des mouvements qui ont redistribué en profondeur les cartes électorales. Pour cela, il est nécessaire de partir d’une analyse des évolutions en nombre de voix de 2007 à 2010 pour ensuite, à l’aide d’un sondage OpinionWay (1) saisir le profil des flux d’électeurs qui ont changé d’orientation électorale au cours de la période. D’abord, quelques chiffres simples pour cerner l’ampleur des mouvements de l’électorat. Au premier tour de l’élection présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy rassemblait 11 448 663 électeurs. Trois ans plus tard, au premier tour des élections régionales, les listes de l’UMP associées au Nouveau Centre et quelques autres alliés en attirent seulement 5 066 942. Plus de 6,3 millions d’électeurs manquent à l’appel. On pourrait avoir l’impression que seul l’électorat du président a connu une telle attrition. Il n’en est rien. La première impression doit être tempérée par le constat d’une érosion très forte des électeurs de François Bayrou, de ceux de Jean-Marie Le Pen et même de ceux de Ségolène Royal : au cours des mêmes trois années, François Bayrou a perdu plus de 6 millions d’électeurs, JeanMarie Le Pen plus de 1,6 million et Ségolène Royal près de 3,9 millions. Cette redistribution électorale majeure est la même si l’on retient les seconds tours : la gauche rassemblait 16,8 millions d’électeurs au second tour de l’élection présidentielle de 2007, elle n’en capte plus qu’environ 11,5 millions au soir d’un second tour régional victorieux, soit presque 5,3 millions de moins. L’électorat sarkozyste de second tour était en 2007 de presque 19 millions, il est aujourd’hui de 7,5 millions soit une perte de 11,5 millions. Même en y rajoutant tout ou partie des presque 2 millions d’électeurs frontistes du second tour régional, la fonte électorale des droites est très sévère : plus de 9 millions d’électeurs de droite se sont évaporés. La seule gagnante de cette extraordinaire redistribution est l’abstention, qui a progressé du second tour de 2007 à celui de 2010 de plus de 14 millions d’électeurs. Ces élections régionales ont agi comme une véritable « centrifugeuse » sur les électorats des quatre candidats arrivés en tête du scrutin de 2007. L’usure du pouvoir, la crise économique et financière, la réapparition d’un mouvement profond de défiance politique, les différences majeures d’enjeux d’une élection à l’autre sont les éléments forts de ce grand remue-ménage électoral.
73
36
-13,46
65% DDES RÉGIONALES, 333%
… de Ségolène Royal
64
1,87
26% EN %
Femmes
De l’UMP De l’UMP De l’UMP Ensemble au PS au FN à l’abst. électeurs
15,33
MoDem FN
Présidentielle Régionales 2e tour (2007) 2e tour (2010) Évolution en % A 48,78 + 32,75 Abstentionnistes 16,03 U 17,29 -25,39 UMP-NC 42,68 F 4,48 — FN — P 26,42 - 11,33 PS 37,75
Abstentions, blancs et nuls
en % sexe Hommes
PAR PASCAL PERRINEAU
directeur du Cevipof
La seule gagnante de cette extraordinaire redistribution est l’abstention, qui a progressé du second tour de 2007 à celui de 2010 de plus de 14 millions d’électeurs
»
Les déceptions, les inquiétudes, les méfiances, mais aussi les attentes nouvelles, les espoirs, les appréciations d’autres lieux politiques (l’Europe en 2009, la région en 2010) que le lieu national ont engendré des déplacements profonds des lignes du partage électoral. Ces vastes mouvements d’électeurs ont profité essentiellement à deux forces : celle de l’abstention qui attire plus de 16,2 millions d’électeurs par rapport à l’élection de 2007 et celle de l’écologie politique qui agrège plus de 1,3 million d’électeurs à son socle de 2007. Certains ont perdu plus que d’autres mais tous ont nourri le développement d’un immense corps électoral muet de plus de 23 millions d’électeurs (et encore de plus de 21 millions d’électeurs lors du second tour des régionales).
Les lignes des reconquêtes Nombre de ces « silencieux de la politique » reprendront la parole lors de la prochaine échéance présidentielle de 2012. Dans quel sens s’opérera leur retour à la politique ? Que seront devenus ces deux à trois millions d’électeurs écologistes qui, depuis juin 2009, constituent la troisième famille politique française ? Dans quelle mesure les candidats des grands partis reprendront leur emprise électorale sur ceux qui les ont quittés ? Que restera-t-il de cette pulsion abstentionniste qui a saisi l’immense majorité du corps électoral ? Que pèsera l’incontestable domination de la gauche sur la scène régionale quand tous les feux seront braqués sur la scène nationale et présidentielle ? Il est trop tôt pour répondre à toutes
51%
50-59 ans
18
5
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60 ans et plus
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C.S.P. interviewée Artisans, commerç., chefs d'ent. 5
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Inactifs
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48
ces questions. Mais l’on peut éclairer les itinéraires empruntés depuis trois ans par les électeurs afin de prendre la mesure des blocs électoraux à partir desquels se construiront les succès et les défaites électorales de demain. Aujourd’hui, personne ne peut pavoiser : le PS a rassemblé 13 % des électeurs inscrits au premier tour, l’UMP 11,6 % le FN 5,1 %, le Front de gauche 2,6 %, le MoDem 1,9 % et même la force montante, Europe Écologie, n’a entraîné que 5,4 %. Les gauches ont capté 23,9 % des électeurs inscrits, les droites 17,7 %, les autres forces (dont le MoDem) 3 %. Au second tour régional, les gauches ont capté 26,4 % des inscrits, les droites 21,77 % (17,29 % pour la droite parlementaire, 4,48 % pour le FN). On est loin des niveaux avec lesquels on gagne un second tour d’élection présidentielle (pour la droite : 39,4 % d’inscrits pour Jacques Chirac en 1995, 42,7 % pour Sarkozy en 2007 ; pour la gauche : 40,2 % pour Mitterrand en 1981 et 43,8 % en 1988. Le seul vainqueur « toutes catégories » est le camp de l’abstention avec 53,64 % des inscrits auquel on peut ajouter les électeurs qui ont choisi le vote blanc ou nul (1,7 %). Au second tour, ce camp a capté 51,12 % des inscrits (48,78 % pour l’abstention, 2,34 % pour les blancs et nuls). Comment en est-on arrivé là, quand il y a à peine trois ans, on se réjouissait du retour des Français aux urnes (16,23 % d’abstentionnistes au premier tour et seulement 16,03 % au second tour de la présidentielle) ?
«
Source : OpinionWay (1)
ETUDE Les élections régionales ont été marquées par la volatilité d’un électorat qui, au fil des scrutins fait de l’abstention un acte civique. « Depuis trois ans, date du premier tour de l’élection présidentielle, plus de 6,3 millions d’électeurs manquent à l’appel », souligne Pascal Perrineau qui analyse la fonte et la recomposition des socles électoraux de Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal, François Bayrou et Jean-Marie Le Pen. Pour le directeur du Cevipof, la dernière consultation a agi comme« une centrifugeuse »sur les électorats des quatre candidats arrivés en tête du scrutin de 2007 dessinant quelques lignes de recomposition politique. Le « zapping des urnes » a principalement affecté l’électorat de Nicolas Sarkozy : un électeur sur deux au premier tour et 41 % au second, contre 44 % et 33 % pour l’électorat de Ségolène Royal. En somme, la gauche a moins de réserves électorales que la droite, celle-ci étant maintenant mise au défi de trouver les thèmes pour convaincre les sarkozystes silencieux de revenir aux urnes en 2012. En outre, l’électeur français se révèle un adepte de l’infidélité partisane qui touche tous les partis. Cumulée avec l’abstention, elle efface du paysage politique régional le MoDem. L’étude d’OpinionWay pour Le Figaro montre ainsi la quasi disparition de « l’électorat de l’hypercentre » dont rêvait François Bayrou. Épargnant la gauche, l’infidélité partisane a aussi durement frappé l’électorat de la majorité. Autant dire que la présidentielle de 2012 se place déjà dans l’ardente obligation de la reconquête.
mier, ni au second tour des élections régionales. Une part non négligeable des électeurs « sarkozystes » a pratiqué l’infidélité électorale. Au premier tour des régionales, 4 % ont voté pour le FN, 4 % pour une liste d’Europe Écologie, 3 % pour une liste du PS. Au second tour, 5 % ont choisi la gauche, 5 % le FN. Les transfuges vers la gauche sont davantage des hommes, des jeunes, des actifs et des couches populaires que la moyenne de l’électorat sarkozyste. Les transfuges vers le FN sont massivement des hommes, des personnes de 60 ans et plus et des couches populaires. Cette sociologie dessine les contours des populations électorales qui sont entrées en disgrâce avec le sarkozysme. L’infidélité électorale, même si elle est présente au sein de l’électorat de « royaliste », est nettement moins forte à gauche : 3 % seulement de cet électorat a choisi d’autres listes que celles de la gauche au premier tour des régionales, 2 % seulement au second tour. En revanche, l’infidélité est devenue une norme dans l’électorat de François Bayrou : 7 % seulement de celui-ci a choisi une liste MoDem au premier tour des régionales, 12 % sont allés à droite, 11 % à Europe Écologie et 15 % à gauche. Il ne reste alors presque plus rien de l’électorat de « l’hypercentre » dont rêvait le patron du MoDem. L’abstention et l’infidélité ont touché tous les électorats mais à des degrés divers. Le MoDem de Bayrou a été le plus atteint par ces deux processus, ce qui a entraîné sa quasi-disparition du paysage politique des régionales. Nicolas
L’infidélité est devenue une norme dans l’électorat de François Bayrou : au premier tour des régionales, 12 % sont allés à droite, 11 % à Europe Écologie et 15 % à gauche. Il ne reste presque plus rien de l’électorat de “l’hypercentre”
»
L’enquête OpinionWay apporte des éléments de réponse traçant les lignes des reconquêtes et des fidélisations électorales qui feront la décision de 2012. L’électorat de « sarkozyste » a souffert aux régionales d’un très fort mouvement d’abstention (50 % de celui-ci a boudé le premier tour, 41 % le second) alors que l’électorat « royaliste » a été moins touché (44 % au premier tour, 33 % au second). La droite dispose donc de réserves électorales dans l’abstention supérieures à celles dont bénéficie la gauche. Cet électorat sarkozyste qui campe dans l’abstention a un profil particulier : il est davantage féminin, populaire et actif que la moyenne de celui-ci. Encore faut-il que la majorité trouve dans les mois qui viennent les thèmes qui permettront le retour de ces abstentionnistes vers les urnes et le vote en faveur de la droite. L’électorat de Bayrou a payé un fort tribut à l’abstention : 51 % de celui-ci ne s’est mobilisé ni au pre-
Sarkozy en a beaucoup souffert et voilà la droite régionale réduite à la portion congrue. L’électorat de « royaliste » a été davantage épargné, permettant à la gauche de sortir victorieuse. Ces infidélités électorales et ces retraits abstentionnistes peuvent être passagers, mais pour que les forces de la droite parlementaire, du MoDem et, dans une moindre mesure, de la gauche socialiste retrouvent une assise électorale solide, il faut qu’elles parviennent à reconstruire des loyautés durables, reconquérir les cœurs et faire tomber les retraits boudeurs. C’est une tâche difficile, mais pas impossible dans le temps bref de l’horizon 2012. Le moment présidentiel peut être celui de ces reconquêtes.■ (1) Enquête OpinionWay du 21 mars 2010 sur un échantillon de 8 297 personnes représentatives, de 18 ans et plus, inscrites sur liste électorale ; méthode des quotas ; critères : sexe, âge, CSP, agglomération, région de résidence ; interrogées en ligne système Cawy.
débats OPINIONS
mardi 23 février 2010 LE FIGARO
16
étudesPOLITIQUES
Figaro-Cevipof
L’« écologisme» à l’épreuve des régionales En concurrence avec les socialistes, Europe Écologie peine à s’affirmer comme une force politique autonome.
ÉTUDE Dopée par son score à deux chiffres aux élections européennes, la formation Europe Écologie s’est lancée dans le pari risqué de l’autonomie pour les élections régionales. L’objectif est clair, il a toujours taraudé la formation écologiste : en rompant son pacte de coalition des gauches de 1997, Europe Écologie cherche à soustraire définitivement au Parti socialiste une fraction de son électorat des classes moyennes, les cols blancs et cette « bourgeoisie bohème » toujours séduite par les campagnes du charismatique soixante-huitard, Daniel Cohn-Bendit. Toutefois, en l’état actuel des études d’opinion, les « petits hommes verts » d’Europe Écologie ne semblent pas au meilleur de leur forme pour « plumer » la volaille socialiste qui les a toujours traités« en force d’appoint » et en « alliés dominés au sein de la coalition des gauches ». Certes, ils ont cogéré avec la gauche et le Parti socialiste en particulier, les régions. Ils n’en ont tiré jusque-là que peu d’avantage, à l’exception non négligeable pour cette formation politique de postes visibles au sein des exécutifs régionaux. Par ailleurs, ils ont perdu le monopole du développement durable. Cette, thématique innerve désormais tous les partis. Aujourd’hui, la conjoncture semble redonner de l’allant au boa socialiste qu’Europe Écologie devra charmer au second tour pour engranger quelques bénéfices de ses performances électorales en dents de scie. Ce n’est pas là, la voie royale pour jouer les premiers rôles ni la meilleure assurance pour s’enraciner durablement dans le paysage politique.■ JOSSELINE ABONNEAU
AUX ÉLECTIONS EUROPÉENNES
SCORES RECUEILLIS PAR LES LISTES ÉCOLOGISTES
10,6 %
des suffrages en 1989
11 %
au scrutin de 1999
19,9 %
A
des voix en 2009
Page réalisée en collaboration avec le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof)
Centre associé au CNRS et dirigé par Pascal Perrineau
Qui a voté Europe Écologie en juin 2009… Q
Aux européennes de 2009…
Ensemble Ensembl Ense Ens E se embl de l'élect d ll'électorat élect 16 %
… régions où... ... les écologistes
devancent les socialistes
... les socialistes
devancent les écologistes
L’écologisme électoral depuis 1974 * PRÉSIDENTIELLE
3,9 %
1,3 % 1974
1981
EUROPÉENNES 4,4 % 1979
1988
6,7 %
1984
RÉGIONALESS 14,7 %
A
1995
1989
1994
8,4 %
1998
2007
2002
19,9 %
10,2 %
** 1992
1,6 %
2004
près la brillante percée électorale effectuée par Europe Écologie lors des élections européennes de juin 2009 (16,3 %, à 0,2 point derrière les socialistes), les élections régionales de mars 2010 vont être une épreuve de vérité. Jusqu’à maintenant l’écologisme est resté une force marginale ou une force d’appoint. Force marginale, depuis son apparition sur la scène électorale au milieu des années 1970, marginalité entrecoupée de poussées de fièvre éphémères : 10,6 % aux élections européennes de 1989, presque 15 % pour des listes concurrentes aux régionales de 1992, plus de 11 % aux européennes de 1999 (9,7 % pour la liste emmenée par Daniel Cohn-Bendit et 1,5 % pour celle dirigée par Antoine Waechter). Force d’appoint, depuis l’accord politique signé entre la direction des Verts et le Parti socialiste en janvier 1997 qui met fin à la voie d’autonomie pour l’écologisme et marque son inscription dans un statut d’allié dominé au sein de la coalition des gauches.
« Tutoyer les grands » L’excellent score atteint aux dernières élections européennes par Europe Écologie, et plus largement par l’écologisme (19,9 %, si l’on additionne les voix des listes d’Europe Écologie et celles d’Alliance écologique indépendante), a pu donner l’impression que pour la première fois, en presque quatre décennies, l’écologisme pouvait sortir de son statut de marginalité politique pour venir « tutoyer les grands ». En effet, en juin 2009, Europe Écologie a dépassé la barre des 10 % dans l’ensemble des 22 régions métropolitaines, celle des 15 % dans 10 régions et a devancé le Parti socialiste dans 8 régions (Alsace, Bretagne, Corse, Ile-de-France, Languedoc-Roussillon, Pays de la Loire, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Rhône-Alpes). Alors qu’en 2004 l’écologisme des Verts ne s’était compté à part que dans 8 des 22 régions et était associé à tout ou partie de la gauche institutionnelle dans 14 régions, en 2010, le succès électoral des dernières européennes a fait redécouvrir les charmes de l’autonomie : dans l’ensemble des régions (sauf la Corse), Europe Écologie part seul au combat des régionales. Pour l’instant, les sondages d’intentions de vote donnent des listes d’Europe Écologie dominées, dans la plupart des cas, par les listes PS. Dans une enquête réalisée par la Sofres début février, les listes Verts Europe Écologie sont créditées de 13 % d’intentions de vote contre 28 % pour les listes du PS. Les listes écologistes gardent 44 % de
17 %
118-24 8-24 ans 25-34 ans 25-3 35-49 ans 35-4 50-64 ans 50-6 65 ans et plus
18 % 22 % 24 % 16 % 8%
16 % 32 %
Sans diplôme, certificat d'études
24 %
Employé
24 %
Ouvrier
13 %
Retraité
8%
7%
BEPC, CAP, BEP
10 %
Baccalauréat
15 %
Enseignement supérieur
23 %
Olivier Besancenot
2%
20 %
Ségolène Royal
Marie-George Buffet
26 %
Dominique Voynet
87
%
7,4 %
5%
2,4 % 1986
3,3 %
10,6 %
15 %
Femmes Fe
Artisan, commerçant, chef d'entreprise Cadre, profession intellectuelle Profession intermédiaire
… dont vote au 1er tour de la présidentielle de 2007
7,1 %
3,8 %
Ho Hommes
Niveau de diplôme
Profession du chef de ménage
1999
2004
François Bayrou
2009
*sont compris dans les pourcentages ceux de tous les courants écologistes (par exemple en 2009 : Europe Écologie et Alliance écologique indépendante). **en 2004, les Verts sont alliés avec le PS dans 14 régions, ils sont alliés à d'autres mouvements dans 4 et ne se présentent seuls que dans 6 régions. Une comptabilisation nationale de l'influence de l'écologisme n'est donc pas possible.
«
20 %
PAR PASCAL PERRINEAU
directeur du Cevipof
L’écologie comme force politique a été portée par l’affirmation dans nos sociétés d’un nouveau clivage entre “matérialistes” et “postmatérialistes” où les enjeux de l’autonomie, de l’identité, du libéralisme culturel ont été souvent incarnés par les Verts
»
leur électorat de 2009, 30 % de celui-ci revenant vers le PS, 9 % vers la gauche de la gauche, 9 % vers la droite, 6 % vers l’Alliance écologiste indépendante et 2 % vers le MoDem. Europe Écologie semble être victime d’un « vote utile » qui bénéficie essentiellement au PS. Indépendamment du bilan des exécutifs socialistes sortants, objet d’une appréciation plutôt positive (selon la Sofres, 69 % des personnes interrogées considèrent que « le bilan du conseil régional est satisfaisant »), les listes d’Europe Écologie pâtissent d’un « défaut de gouvernementalité » : interrogés les 13 et 14 janvier par OpinionWay, 57 % des électeurs considèrent qu’Europe Écologie n’est « pas capable de diriger une région en France ». Ils sont 75 % à penser de même parmi les sympathisants de l’UMP, 60 % parmi ceux du MoDem, mais aussi 55 % parmi ceux du PS. Un électorat qui avait pu être séduit par la nouveauté d’Europe Écologie lors des européennes de 2009, par son message européen clair et sa capacité à porter celui-ci au sein du Parlement européen ne lui renouvelle pas sa confiance quelques mois plus tard pour
Nicolas Sarkozy
4%
Jean-Marie Le Pen
0%
Abstention, blanc, nul sans réponse
20 %
Source : Sondage jour du vote, 7 juin 2009, Sofres
présider aux destinées des régions. Un PS lesté de sa légitimité de parti de pouvoir local, auquel bien souvent les écologistes ont été associés depuis 2004, reprend alors l’avantage. Autant, sur la scène des européennes, les écologistes, sous la houlette de Daniel Cohn-Bendit, ont su incarner une europhilie de bon aloi face à un PS ambigu et essoufflé, autant la scène des régionales ne leur donne pas la même visibilité et le même parfum de renouveau. Le PS creuse ainsi l’écart avec les écologistes, particulièrement chez les plus de 50 ans, les cadres supérieurs et les cadres moyens. Dans la concurrence que se livrent, depuis de longues années, écologistes et socialistes auprès des classes moyennes salariées, les seconds reprennent l’avantage alors qu’ils avaient été outrageusement dominés, il y a quelques mois. En juin 2009, 32 % des cadres et professions intellectuelles ont choisi Europe Écologie (contre 15 % seulement qui se sont tournés vers le PS) ; 24 % des professions intermédiaires ont fait de même (contre 21 % pour le PS). Début février 2009, 15 % seulement des premiers et 15 % des seconds ont l’intention de voter en faveur des listes d’Europe Écologie. 30 % des premiers et 33 % des seconds déclarent leur intention de se porter vers les listes du PS. En juin 2009, Europe Écologie a devancé largement le PS et atteint des sommets dans toutes les grandes régions où le secteur tertiaire est écrasant (Ile-de-France : 20,9 % contre un PS à 13,6 % ; Rhône-Alpes : 19,6 % contre 15,4 %). Dans toutes les grandes villes universitaires (Grenoble, Toulouse, Montpellier…), il a dominé sans partage le PS. Cet électorat de cols blancs, de citoyens à haut niveau de diplôme, est le type même de l’électorat infidèle et
«
préoccupations sociales (chômage, emploi, financement des retraites) sont en très forte hausse, les enjeux relatifs à l’environnement et à la pollution sont en baisse. Enfin, l’institution régionale bénéficie d’une cote de confiance bien supérieure à celle de l’Europe. En décembre 2009 (baromètre de confiance politique Sofres-Cevipof-EdelmanInstitut PMF), 64 % des sondés déclarent avoir confiance dans le conseil régional, l’Union européenne n’attire la confiance que de 44 %.
Changement de la structure de classe
L’écologie comme force politique a été portée par l’affirmation d’un nouveau clivage entre « matérialistes » et « postmatérialistes », où les enjeux de l’autonomie, de l’identité, du libéralisme culturel ont été souvent incarnés par les Verts. Cette évolution a été accompagnée par un changement de la structure de classe avec le développement des classes moyennes, des personnes employées dans les services, des professions intermédiaires, des étudiants… Cependant, les liens qui se sont tissés entre l’écologisme et ses électeurs sont relativement faibles, labiles, et n’atteindront jamais la force de ceux qui unissaient jadis les partis établis à leurs électorats captifs. La dynamique d’Europe Écologie s’est abreuvée à plusieurs sources : 20 % des électeurs qui avaient choisi Olivier Besancenot en 2007 ont voté pour les écologistes en 2009, 20 % de ceux de François Bayrou, mais surtout 27 % de ceux de Ségolène Royal. Les électeurs vont et viennent, particulièrement entre le pôle écologiste et le PS qui, sur le terrain du « libéralisme culturel » et des demandes spécifiques à la « bourgeoisie bohème » des cols blancs, redevient compétitif. Le 22 novembre 2009,
Le PS creuse l’écart avec les écologistes chez les plus de 50 ans, les cadres supérieurs et les cadres moyens
mobile. Auprès de cet électorat particulièrement volatil, les changements de conjoncture politique, d’enjeux et de paysage institutionnel ont tout leur poids. Depuis juin 2009, la conjoncture a changé, le PS semble s’extraire de la période de crise qu’il traverse depuis sa défaite de 2007. Peu à peu, Martine Aubry s’impose comme leader de l’électorat de gauche. Les enjeux nationaux et locaux font leur retour, éloignant un enjeu européen sur lequel l’écologisme apparaissait comme une avant-garde. Dans le baromètre des préoccupations des Français (Sofres-La Croix, 20 janvier-1er février 2010), les
»
Martine Aubry défend le mariage des homosexuels et leur droit d’adopter. Le 12 janvier 2010, elle ressort la proposition d’accorder le droit de vote aux immigrés lors les élections locales. Pour les régionales, la performance d’Europe Écologie dépendra, d’une part, de sa capacité à enrayer la reconquête socialiste de ces couches sociales et culturelles et, d’autre part, du pouvoir d’attraction d’Europe Écologie chez des électeurs séduits par un « centrisme de substitution » à l’heure où gauche instituée et droite instituée font l’objet d’une profonde crise de confiance. ■
débats OPINIONS
mardi 2 février 2010 LE FIGARO
16
étudesPOLITIQUES
Figaro-Cevipof
Les nouvelles formes de l’abstention Les prochaines élections régionales devraient être marquées par une faible participation.
RÉGIONALES À moins de six semaines du premier tour du scrutin à deux tours renouvelant les conseils régionaux, les partis politiques sont à la peine pour mobiliser l’opinion sur des enjeux d’une campagne qui, pour l’instant, n’est pas perçue comme « un vrai rendez-vous politique ». À l’aune de la participation aux scrutins régionaux précédents, tout laisse supposer que la défection des électeurs sera la grande gagnante de cette consultation. Et déclenchera l’antienne d’une France civique en voie d’américanisation. Anne Muxel, quant à elle, souligne « une profonde mutation du lien des citoyens à l’élection ». Présentée comme « une réponse politique » l’« abstention appartient à la panoplie démocratique des intermittents du vote ». Ce joker est utilisé pour mettre en avant l’insatisfaction circonstancielle à l’égard de l’offre électorale. Cette nouvelle conception de la citoyenneté est marquée par un rapport au devoir civique plus individualisé, plus critique. Fondée sur une approche électorale « consumériste », elle se caractérise par une mobilité de choix ; cette inconstance électorale met aussi à nu, l’affaiblissement des fidélités partisanes. Ainsi, l’apparent déficit démocratique relève d’un usage différent de l’acte de voter. À preuve, le taux d’« abstention systématique » plafonne à 10 % quand - toutes proportions gardées - la participation ne fait que s’amoindrir au fil des scrutins… ■ JOSSELINE ABONNEAU
L’ABSTENTION EN FRANCE Premier tour Second tour En % Régionales 1986 * 22,1 — Régionales 1992*
31,4
—
Régionales 1998*
42
—
Régionales 2004
37,9
34,3
Présidentielle 2007 16,2 Législatives 2007 Municipales 2008
TAUX D’ABSTENTION PAR RÉGION AUX ÉLECTIONS RÉGIONALES DE 2004, EN % DES INSCRITS 38,6 % Premier Second tour tour 37,9 % 36,8 % 38,5 % 43 % 39,7 % 41,3 % 40,5 % 35,3 % 32 % 38,1 %
38,4 %
35,3 % 32,9 %
40 34,8
Européennes 2009* 57,2
38 % 36,3 % 35,7 %
L’ABSTENTION A PROGRESSÉ DE
9 points 6 points 5 points
pour les européennes,
pour les municipales,
pour les législatives.
A
Centre associé au CNRS et dirigé par Pascal Perrineau
36,2 %
34,8 %
de 34 à 38
38,8 %
39,1 %
34,6 % 31,4 % 32,1 %
35,6 %
31,2 % 33,2 %
38,7 %
31 %
de 32 à 34
34,3 %
LES VOTANTS SYSTÉMATIQUES, LES VOTANTS INTERMITTENTS ET LES ABSTENTIONNISTES SYSTÉMATIQUES LORS DE LA SÉQUENCE ÉLECTORALE 2007 (PRÉSIDENTIELLE ET LÉGISLATIVES) Votants constants Votants intermittents Abstentionnistes constants
34,5 % 30,4 %
27,3 %
Ensemble
Homme
45
42
40
45
Femme
55
58
60
55
18-34 ans
22
54
43
29
35-49 ans
28
32
27
30
50 ans et +
50
14
30
41
25 %
moins de 32
LA FRÉQUENCE DU VOTE DES FRANÇAIS AUX ÉLECTIONS Question : « DEPUIS QUE VOUS ÊTES EN ÂGE DE VOTER, DIRIEZ-VOUS QUE VOUS VOTEZ À TOUTES LES ÉLECTIONS, À PRESQUE TOUTES LES ÉLECTIONS, À QUELQUES-UNES OU À AUCUNE ? » Votent à toutes les élections
Age
Diplôme Inférieur au bac Bac ou supérieur TOTAL
52
54
75
53
48 100%
46 100%
25 100%
47 100%
es prochaines élections régionales ne passionnent pas. Et l’abstention risque d’atteindre en mars de nouveaux records. À six semaines du scrutin, un Français sur deux paraît disposé à rester en dehors de la décision électorale (CSA). Cet indicateur de tendance doit être pris avec précaution tant l’électeur est devenu imprévisible. Néanmoins, bien des signes laissent penser que ces élections ne connaîtront pas une inversion de tendance comparable à celle qu’avaient enregistrée les régionales de 2004 par rapport à 1998. Premières consultations des Français après le séisme électoral de 2002, le scrutin avait alors suscité une forte participation des Français et leur remobilisation. Une majorité d’électeurs s’était saisie du scrutin pour sanctionner le pouvoir en place et permettre à l’opposition de l’emporter. Sans conteste aujourd’hui l’intérêt pour le scrutin apparaît plus faible. Et les régionales ne sont pas attendues par les Français comme un vrai rendezvous politique. En décembre 2009, plus des deux tiers d’entre eux (69 %) ne s’y intéressent pas. Six ans auparavant, à la même période, ils étaient beaucoup moins nombreux dans ce cas (55 %) (TNS-Sofres). La perspective du scrutin régional n’alimente guère les conversations. À la mi-janvier seuls deux Français sur dix reconnaissent en avoir parlé avec leur entourage (Ifop-Paris Match).
Défection électorale lancinante
Page réalisée en collaboration avec le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof)
34,7 % 37,2 %
31,6 % 31,1 %
40,1 %
L EN VINGT ANS
34,4 % 32,4 %
de 38 à 40
34,5 %
—
*Un seul tour
En % Sexe
34,9 %
plus de 40
16
39,5 33,5
36,2 %
Ces nouvelles élections prennent donc place dans un cycle à nouveau marqué par une défection électorale lancinante et récurrente. Le sursaut civique de la présidentielle 2007 n’aura été qu’une parenthèse éphémère. Depuis, les trois élections pour lesquelles les Français ont été consultés ont enregistré des taux record d’abstention : aux législatives de juin 2007 (39,5 % au 1er tour et 40 % au second) aux municipales de mars 2008 (33,5 % au 1er tour et 34,8 % au second) et aux élections européennes de juin 2009 (60 %). Tout se passe dorénavant en France comme si, en dehors de l’élection reine de la Ve République que représente le scrutin présidentiel, tous les autres scrutins, au niveau local ou supranational, faisaient naître au mieux de l’indifférence au pire de la défiance, l’une et l’autre se creusant au fil des années. En l’espace de vingt ans, l’abstention a pro-
Votent à presque toutes les élections Votent à quelques-unes ou à aucune
Sources : La France aux urnes. 60 ans d’histoire électorale, P. Bréchon, La Documentation française, 2009. Panel électoral français 2007, Cevipof/ministère de l’Intérieur. Baromètre de confiance politique, Cevipof, décembre 2009
confiance politique du Cevipof en décembre 2009, on peut prendre la mesure du fossé qui sépare aujourd’hui les Français de leurs gouvernants et de leurs représentants. Indifférence ou défiance, la réponse abstentionniste trouve nombre de justifications à la fois conjoncturelles et structurelles. Mais, au-delà de ce seul scrutin, il reste encore à l’interpréter et à comprendre pourquoi et comment elle a pu devenir une réponse politique dont les Français font un usage de plus en plus familier.
PAR ANNE MUXEL
«
directrice de recherche au Cevipof
L’abstention peut participer à la généralisation d’une forme de veille démocratique
»
gressé de 6 points pour les municipales, de 9 points pour les européennes et de 5 points pour les législatives. En 1986, date des premières élections régionales, seuls 22 % des Français s’étaient abstenus. En 2004, 38 % n’ont pas voté au premier tour et 34,3 % au second tour. Si les pronostics se confirment, le nombre des abstentionnistes aux régionales de 2010 aura quant à lui au moins doublé en l’espace de vingt-quatre ans. Certains obstacles à la participation électorale peuvent être facilement repérés. Les enjeux sont mal identifiés et la méconnaissance des présidents régionaux est grande. Les deux tiers des Français (65 %) ne peuvent pas citer le nom du président de leur région (Baromètre LH2). Mais il reste encore à comprendre pourquoi cette ignorance pèse aujourd’hui davantage sur les motivations des abstentionnistes que lors des scrutins précédents. De toute évidence la campagne actuelle a beaucoup de mal à embrayer. Si l’on ajoute à cela le fait que plus des deux tiers des Français (69 %) ne font confiance ni à la gauche ni à la droite pour gouverner selon la mesure effectuée par le baromètre de
42 %
Plusieurs scènes d’expression Les modèles explicatifs traditionnels d’analyse de la défection électorale ne suffisent plus à eux seuls pour comprendre l’ampleur du phénomène. Certes, le lien entre insertion sociale et insertion politique est toujours observé. L’impact du niveau d’études est toujours vérifié. Mais alors que le niveau d’instruction de la population est en augmentation, alors que les couches moyennes se généralisent, alors que le niveau de connaissances et d’informations est plutôt à la hausse, la mobilisation électorale n’est pourtant pas de mise. C’est bien le signe d’une profonde mutation du lien des citoyens à l’élection. Cela indique bien qu’une nouvelle conception de la citoyenneté semble peu à peu s’imposer. Car l’abstention progresse quel que soit le niveau d’implication politique des électeurs. Elle fait l’objet d’une même réponse de la part des plus éloignés de la sphère politique comme des plus impliqués. Et par là même elle ne peut pas être interprétée seulement comme une défaillance civique ou comme un déficit démocratique. La participation politique se fait aujourd’hui à partir de plusieurs scènes d’expression : le vote, l’abstention et la manifestation. C’est à partir d’un usage combiné de la démocratie représentative et de la démocratie participative que de plus en plus de citoyens se font entendre. Et l’abstention joue dans ce triptyque politique un rôle décisif. Non pas l’abstention systématique qui est le fait d’une proportion relativement stable d’électeurs, environ 10 %. Mais l’abstention intermittente qui a pour corollaire l’instauration d’un usage différent de l’acte de voter. Cette réponse abstentionniste, de nature politique, est négociée et ajustée au cas par cas en fonction des enjeux perçus par l’électeur. Elle porte certes la marque d’une
Total 100 %
41 %
17 %
défiance, mais d’une défiance plus conjoncturelle que structurelle. Elle participe moins d’une contestation diffuse du système social et du système politique que d’une insatisfaction circonstancielle à l’égard de l’offre électorale proposée. Le profil sociopolitique de ces abstentionnistes dans le jeu politique est d’ailleurs plus proche de celui des votants que de celui des abstentionnistes systématiques, qui restent durablement hors du jeu politique. Ce qui a profondément changé est la relative mobilité du choix électoral. Lors de la séquence électorale de 2007, les trajectoires de vote des mêmes électeurs prenant en compte les deux tours de la présidentielle et les deux tours des législatives, mettaient en évidence l’importance de leur inconstance et leur mobilité. Cela pourtant dans un moment électoral particulièrement décisif et politisé. Seul un tiers des électeurs a voté constamment et systématiquement pour l’UMP ou le PS et leurs candidats respectifs lors des quatre tours de scrutin (1). L’affaiblissement des fidélités partisanes et la moindre constance de l’électeur ont laissé place à une plus grande imprévisibilité et à davantage de fluidité sur la scène de la décision électorale. L’augmentation de l’abstention intermittente y joue une part active. Les Français rencontrent chaque élection avec cette nouvelle panoplie démocratique.
Électeur plus réflexif Le vote dans son principe n’est pas remis en cause. Il est toujours considéré par une large majorité de Français comme le moyen d’action politique le plus efficace, bien devant la grève ou la manifestation. Mais il fait désormais l’objet d’une réponse moins normative et plus affranchie du « devoir civique ». Il s’inscrit dans un rapport à la politique à la fois plus individualisé et plus critique, au sein duquel l’abstention peut participer à la généralisation d’une forme de veille démocratique. L’électeur d’aujourd’hui est certes plus inconstant, mais il est aussi peutêtre plus réflexif. L’alternance du vote et de l’abstention peut aussi être entendue par les politiques comme l’expression d’une conscience citoyenne et d’une exigence politique ayant pu s’affûter.■ (1) Bruno Cautrès et Anne Muxel : Comment les électeurs font-ils leur choix ? Le Panel Electoral Français 2007, Paris, Presses de Sciences Po, 2009
débats OPINIONS
mercredi 13 janvier 2010 LE FIGARO
18
étudesPOLITIQUES
Figaro-Cevipof
Régions : une révolution inachevée
En deçà de celle de ses principaux voisins européens, la régionalisation française reste au milieu du gué. JOSSELINE ABONNEAU
QUARANTE ans après sa création, la région peine encore à s’affirmer dans l’opinion. Certes, la dernière née des institutions territoriales n’a pu réellement exister qu’avec l’élection au suffrage universel direct de ses conseillers qui remonte tout de même à près d’un quart de siècle. Contrairement à certains États de l’Union européenne (Allemagne, Italie, Espagne, Belgique, Royaume-Uni, etc.) qui ont porté sans faille l’autonomie régionale, la France reste encore prisonnière de sa culture jacobine. Elle a toujours hésité à s’engager dans la voie de la décentralisation « craignant que la régionalisation génère des discriminations »,souligne Bruno Rémond. Paradoxe, l’institution régionale semble encore« fragile »quand elle affiche un bilan« impressionnant » dans le développement économique, technologique et l’aménagement du territoire consacrant. C’est d’ailleurs sur ce bilan que les partis orientent leur campagne pour le renouvellement des conseils régionaux les 14 et 21 mars prochains. Notamment la gauche qui règne quasiment sans partage sur les exécutifs régionaux. Selon l’enquête TNS/Sofres diligentée par l’Association des régions, la gauche part avec un atout : l’exécutif régional est qualifié d’« efficace »par 76 % des sympathisants de gauche tous partis confondus, suivis par ceux du MoDem (71 %) et enfin par ceux de la « grande droite » qui ne dirige que deux régions (l’Alsace et la Corse). Ceci expliquant en partie cela…■
EN 2009
LES RÉGIONS ONT INVESTI
5 997 millions d’euros dans les lycées
3 195
millions d’euros dans la formation professionnelle
2 661 millions d’euros dans le transport express régional
2 139
millions d’euros dans l’apprentissage
La proximité détermine l'efficacité Question POUR CHACUNE DES INSTITUTIONS SUIVANTES, POUVEZ-VOUS DIRE SI ELLE EST TRÈS EFFICACE, ASSEZ EFFICACE, ASSEZ INEFFICACE OU TRÈS INEFFICACE POUR RÉPONDRE AUX BESOINS DE LA POPULATION ? Très efficace
Assez efficace
Assez inefficace
Très inefficace
Sans opinion
En %
Le conseil général Le conseil régional L'État
20
16 44
56
11
17 3 10
59
10
17 2 12
59 3
L'Europe
32
2
dont
29
41
39
18
20
A
75
Parti communiste
Grande gauche (EXG, PC, PS, DVG, Verts) 76 Extrême gauche (LO, NPA)
68
90
Parti communiste
65
Parti socialiste
89
Parti socialiste
78
Verts
85
Verts
79
dont
89
MoDem
71
Grande droite (NC, UMP, MPF, FN)
89
Grande droite (NC, UMP, MPF, FN)
66
UMP
90
UMP
68
FN*
81
FN*
56
Sans préférence partisane
84
Sans préférence partisane
57
dont
dont
*En raison de la faiblesse des effectifs, les résultats sont à interpréter avec prudence
L
Sondage Sofres réalisé pour l'Association des régions de France, du 27 au 30 novembre 2009 auprès d'un échantillon national de1 000 personnes représentatif de l'ensemble de la population âgée de 18 ans et plus (méthode des quotas, enquête réalisée en face-à-face).
«
’évolution générale porte, en effet, notre pays vers un équilibre nouveau. L’effort multiséculaire de centralisation, qui fut longtemps nécessaire pour réaliser et maintenir son unité malgré les divergences des provinces qui lui étaient successivement rattachées, ne s’impose plus désormais. Au contraire, ce sont les activités régionales qui apparaissent comme les ressorts de sa puissance économique de demain… » (de Gaulle, discours prononcé à Lyon le 24 mars 1968). Tout est dit. Et pourtant, quarante ans après, la réalisation de cette vision fulgurante n’est toujours pas devenue l’option politique retenue pour organiser l’architecture d’ensemble des pouvoirs publics en France. Où en est-on alors ? La gestation de la « région » fut lente, parfois chaotique, mais toujours inspirée par une même préoccupation : doter la France d’un espace territorial mieux adapté par sa configuration et sa superficie que le département pour permettre la définition et la réalisation des politiques publiques d’importance, notamment dans le domaine économique et en matière d’aménagement du territoire.
dramatiques en 1992 et en 1998 du mode toyens même s’ils ne voient pas toujours de scrutin adopté en 1985, ont obscurci très clairement le sceau régional sur ces l’image institutionnelle et fonctionnelle réalités sauf lorsque les couleurs de cede la région. Celle-ci, décriée car mal lui-ci décorent les rames TER. connue, fut critiquée et taxée d’instituQui pourrait se passer des financetion superfétatoire, compliquant le mil- ments ainsi mobilisés ? Certainement le-feuille territorial alors que pas l’État qui, tout en tenpourtant les régions concourtant de continuer à rester raient déjà remarquablement à maître de la définition de la réalisation de politiques puces politiques publiques, bliques essentielles pour l’aveest progressivement devenir de la France : formation nu financièrement incapaprofessionnelle et apprentissable de les assumer et admige, rénovation et construction nistrativement de les de lycées, amélioration des régérer. sultats de la politique éducatiMême si leur connaisve grâce à l’élaboration des sance ou leur compréhenschémas régionaux de formasion du fait régional n’est tion, extensions universitaires, pas toujours des plus assuPAR grands projets d’équipement rées ou des plus affirmées, BRUNO RÉMOND initiés par l’État et cofinancés un récent sondage, diliPROFESSEUR par les régions dans le cadre genté par l’Association des À SCIENCES-PO des contrats de plans successirégions de France et réalisé vement élaborés et signés. par la Sofres montre que La Souvent méconnu, le bilan les Français sont globalepréférence des régions est pourtant imment attachés à leur répressionnant. Sans elles, les gion, comme d’ailleurs aux partisane grandes politiques publiques collectivités territoriales a un effet sur ayant pour objectif de favoriser en général. le développement économique, l’appréciation Lorsqu’ils classent les l’innovation technologique et échelons administratifs en du conseil l’aménagement du territoire fonction de leur proximité régional : Bilan méconnu n’auraient pu se déployer aussi pour juger de leur capacité mais impressionnant rapidement et aussi profondé- les personnes à répondre aux besoins de Ce n’est qu’avec la loi du 2 mars 1982 ment. la population, la commune proches Regroupées en deux grands puis la première élection au suffrage arrive en tête (76 % la jude la gauche sont universel direct des conseillers régio- thèmes – éducation, formagent efficace) suivi du naux en 1986 que l’institution régionale a tion et emploi ; mobilité et dé- plus nombreuses conseil général (70 %) puis acquis un statut de collectivité locale à veloppement durable – les inque les autres du conseil régional (69 %). part entière et la clause de compétence terventions des régions ont un L’État et l’Europe sont maà le juger incontestable en générale qui fait la force de cette catégo- impact joritairement jugés ineffiefficace rie d’institutions politico-administrati- contribuant à aménager le caces (59 % pour les deux). ves, deux qualités ultérieurement re- territoire et améliorer la vie de De manière cohérente connues au niveau constitutionnel par la ses habitants. En 2009, hors avec la couleur des exécumodification de la rédaction de l’arti- outre-mer et Corse, les régions ont in- tifs locaux, la préférence partisane a un vesti 5 997 millions d’euros dans les ly- effet sur l’appréciation du conseil régiocle 72 de notre texte fondamental. Malgré les différents transferts de cées, 3 195 dans la formation profes- nal : les personnes proches de la gauche compétence intervenus en 1983, 1985 et sionnelle, 2 661 dans le transport sont plus nombreuses que les autres à le 1986 de l’État vers les régions, plusieurs express régional ou encore 2 139 dans le juger efficace (79 %). années d’inertie politique – notamment domaine de l’apprentissage… Qui pourrait imaginer se passer des Vers un «congrès sous le gouvernement de Lionel Jospin – dont les effets ont été aggravés par la services et des équipements de toute na- des départements» crise de légitimité qui affecta les conseils ture ainsi organisés et réalisés par les ré- Certes, un autre sondage LH2 a mis en régionaux du fait des conséquences gions ? Certainement pas nos conci- évidence le fait que beaucoup de Français ignoraient le nom du président à la tête de leur région. Mais connaissent-ils mieux le nom du président du conseil général ou ceux des différents ministres composant le gouvernement ? Toujours Question est-il, justement parce qu’elle est POUVEZ-VOUS ne peuvent citer contrastée, l’image que les Français ont aucun nom aujourd’hui de la région est révélatrice DONNER LE NOM de l’ambiguïté de la situation dans laDU PRÉSIDENT OU quelle se trouve la dernière-née des colDE LA PRÉSIDENTE lectivités territoriales françaises. Seule, DE VOTRE RÉGION ? par essence, apte à se substituer à l’État dans la définition et la réalisation des politiques publiques qu’il ne peut plus ou qu’il ne sait plus correctement mener à % bien car les données économiques, Citent le nom % technologiques et sociales à prendre en du président citent considération imposent qu’elles soient un autre nom diversifiées et adaptées aux réalités terSondage LH2 réalisé pour le Syndicat de la presse quotidienne régionale et France Bleue, du 30 octobre au 28 novembre 2009, ritoriales, son essor est attendu avec imauprès d'un échantillon de 5 100 personnes constituant un échantillon national représentatif de la population française patience par certains, craint par âgée de 18 ans et plus (méthode des quotas, enquête réalisée par téléphone). d’autres.
«
»
65%
Centre associé au CNRS et dirigé par Pascal Perrineau
Extrême gauche (LO, NPA)
Total efficace
MoDem
6
10
Question POUVEZ-VOUS ME DIRE SI LE CONSEIL RÉGIONAL EST EFFICACE ?
Total attaché En %
En %
Grande gauche (EXG, PC, PS, DVG, Verts) 86
La commune
Une présidence mal identifiée
Page réalisée en collaboration avec le Centre de recherches politiques de Science Po (Cevipof)
Question DIRIEZ-VOUS QUE VOUS ÊTES ATTACHÉ À VOTRE RÉGION ?
6
29
Les ressorts du sentiment amoureux SELON le sondage TNS-Sofres, les Français en phase avec le Parti communiste ou l’UMP se révèlent être les plus attachés à leur région, quand ceux ayant une préférence partisane extrémiste de gauche ou de droite (extrême gauche, Front national) se montrent les plus indifférents. Au sein de la gauche, les Verts, dont le régionalisme constitue l’une des pierres angulaires de leur doctrine, clament moins leur patriotisme régional que les socialistes. Ceux-ci se situent sur la même longueur d’onde que les supporteurs du MoDem ou l’ensemble de la « grande droite » (Nouveau Centre, UMP, MPF, FN). Quasi viscéral pour les retraités et inactifs, l’attachement régional se renforce avec l’âge principalement aux alentours de la cinquantaine. Toutefois l’activité professionnelle détermine l’intensité de cet amour : très vivace chez les commerçants, les artisans, les chefs d’entreprise et les ouvriers, il mollit chez les cadres et les intellectuels. Très ancré dans les zones rurales, le sentiment régional se dilue dans les zones urbaines pour devenir ténu dans l’agglomération parisienne. J. A.
La France hésite. Depuis le lancement de la décentralisation en 1982, elle a quitté la rive où un État tout autant napoléonien que jacobin offrait aux citoyens une vision claire de la structuration et de l’action de la puissance publique et l’illusion du respect du principe d’égalité grâce à la mise en œuvre censée être uniforme et homogène sur l’ensemble du territoire de toute politique. Mais, s’engageant dans la voie de la régionalisation, elle s’est arrêtée à mi-gué, craignant que la décentralisation et la régionalisation génèrent des discriminations alors qu’elles sont surtout porteuses de diversifications et d’émulations. Il en résulte que la « région » française reste fragile et bien loin, politiquement et institutionnellement comme fonctionnellement et financièrement, des données peu ou prou semblables qui caractérisent l’autonomie et la responsabilité des régions italiennes, des communautés autonomes espagnoles, des régions belges et, bien plus encore, des Länder allemands ou des entités territoriales du Royaume-Uni ayant bénéficié d’une large évolution de compétences intervenues à l’orée du XXIe siècle. La France reste très en deçà de ses principaux voisins. Et, sans se livrer ici à un examen exhaustif de son contenu, on peut s’attendre à ce que le projet de loi relatif à la réforme territoriale, dont la discussion parlementaire va tout prochainement s’engager, entraîne une transformation de l’institution en « congrès des départements » pulsion à rebours de celle qui a suscité puis institué l’idée régionale en France.■
débats OPINIONS
mercredi 2 décembre 2009 LE FIGARO
16
étudesPOLITIQUES
Figaro-Cevipof
Crise : pourquoi 2009 n’est pas 1929
L’inquiétude des Français ne s’accompagne pas d’une volonté de remise en cause du système politique.
JOSSELINE ABONNEAU
EN FRANCE
LES EXTRÉMISTES PESAIENT
12,5 % des voix aux élections européennes de juin 2009.
75
4
59 53 43
A
Centre associé au CNRS et dirigé par Pascal Perrineau
SOCPRESSE 14, boulevard Haussmann 75009 Paris Président-directeur général Serge Dassault Administrateurs Nicole Dassault, Olivier Dassault,Thierry Dassault, Jean-Pierre Bechter, Olivier Costa de Beauregard, Benoît Habert, Bernard Monassier, Rudi Roussillon
24
52
47
20
19
25 13 9 États-Unis
6
5
4
France
7
Italie
13
10
11
5 Espagne
23
16 8
1
Royaume-Uni Allemagne
4 26 53
57 17 France
Italie
3
10 19
4
20
États-Unis 29
29
45
31
40
22 Espagne
2
31
50 17
23 Royaume-Uni
Allemagne
Les perceptions du capitalisme de libre-échange
Les attentes vis-à-vis du rôle du gouvernement dans l'économie
QUESTION : « Laquelle de ces trois phrases reflète le mieux votre opinion sur le capitalisme de libre-échange ? », en %
QUESTION : « Aimeriez-vous que votre gouvernement joue un rôle plus actif, moins actif ou le même rôle qu'il joue actuellement dans la propriété ou le contrôle direct des grandes industries ? » Réponse en %
Il est fondalement dans l'erreur et on a besoin d'un autre système économique Il connaît des problèmes mais on peut les régler avec plus de régulation et de réforme Il marche bien et des tentatives pour augmenter la régulation le rendront moins efficace Il ne sait pas, sans opinion
L
a crise économique et financière qui a éclaté à l’été 2008 est la crise la plus importante que le capitalisme ait connue depuis celle de 1929. Les effets politiques de cette dernière furent délétères : Hitler arriva au pouvoir en 1933, une vague autoritaire s’étendit sur l’Europe et la démocratie libérale fut sur la défensive, particulièrement en France, avant de céder elle aussi la place à la dictature. Quatre-vingts ans plus tard, c’est souvent au prisme de la crise de 1929 qu’est pensée la question des effets politiques de la crise. Dans de très nombreuses réactions d’acteurs politiques et d’intellectuels, on insiste sur le caractère menaçant des effets politiques de la crise. Le 16 septembre 2008, l’homme d’affaires Georges Pébereau précise dans un article du journal Le Monde : « … nous sommes dans une période prérévolutionnaire ». L’ancien premier ministre Dominique de Villepin reprend cette antienne en avril 2009 en déclarant qu’il « existe un risque révolutionnaire en France ». Olivier Besancenot prophétise le 1er septembre 2009 sur RMC : « Il faudra que ça pète. » Dans un discours du 29 janvier 2009, le président de la République parle des risques d’un « nouveau totalitarisme ». Un même type d’approche est repris par les analystes quel que soit leur bord. À titre d’exemple, Nicolas Baverez, le 16 août 2009, déclare : « La déstabilisation des classes moyennes par le chômage de masse peut mettre en péril la démocratie. » Même si l’on avance que « l’Histoire ne repasse pas les plats », il y a de manière omniprésente la référence aux années 1930 et aux perturbations politiques majeures qu’elles ont connues. Au regard de la France de ces années-là, la situation politique actuelle est pourtant bien différente.
Situation très contrastée
Page réalisée en collaboration avec le Centre de recherches politiques de Sciences po (Cevipof),
57
56
À l’époque, les partis extrêmes du PCF aux ligues fascisantes comptaient presque un million d’adhérents. Qu’en est-il aujourd’hui ? La crise n’a déclenché aucune dynamique militante. Les formations extrémistes restent très faibles : le Front national compte quelques dizaines de milliers d’adhérents, quant au Nouveau Parti anticapitaliste, avec 9 000 adhérents, il ne fait pas recette. Bien qu’active dans l’animation de certains mouvements sociaux, l’extrême gauche est loin d’avoir les moyens de son « grand soir ».
SOCIÉTÉ DU FIGARO SA Directeur des rédactions 14, boulevard Haussmann Étienne Mougeotte Directeur délégué 75009 Paris Jean-Michel Salvator Président Comité éditorial Serge Dassault Michel Schifres, vice-président Directeur général, Directeurs adjoints directeur de la publication de la rédaction Francis Morel Gaëtan de Capèle (Économie), Éditeur Anne-Sophie von Claer Frédérick Cassegrain (Style, Art de vivre, So Figaro),
PAR PASCAL PERRINEAU
DIRECTEUR DU CEVIPOF
«
La France a un potentiel protestataire non négligeable
»
La situation dans les urnes est également très contrastée. La crise de 1929 avait nourri en son sein une poussée électorale des extrémismes en France et ailleurs. Aujourd’hui le message envoyé par les urnes semble être beaucoup plus modéré. Si l’on prend comme référence les élections européennes de juin 2009 dans les vingt-sept pays de l’Union et avec la prudence qu’implique une participation faible (40,6% des inscrits), la plupart des majorités de droite modérée au pouvoir ont été sinon plébiscitées du moins soutenues (Allemagne, France, Italie, Pays-Bas). Dans l’Hexagone, on a pu constater une progression de l’extrême gauche (de 3,3% en 2004 à 6,1% en 2009) mais aussi un déclin de l’extrême droite (de 9,8 % en 2004 à 6,3 % en 2009). Dans l’ensemble, les forces extrémistes ne représentent qu’un modeste poids d’environ 12,5% équivalent à celui de 2004. Dans un récent sondage Ifop-Valeurs actuelles du 2 novembre 2009 sur les intentions de vote pour une élection présidentielle, le rapport de forces est le suivant: Nicolas Sarkozy 28%, Martine Aubry 20%, François Bayrou 14%, Marine Le Pen 11 %, Olivier Besancenot 9 %, Dominique de Villepin 8 %, Cécile Duflot 5 %, Marie-George Buffet 3 %, Nathalie Artaud 1 %, Nicolas DupontAignan 1 %. Le président sortant arrive largement en tête du 1er tour, les droites rassemblent 48 %, les gauches 38 % et le centre 14 %. Les effets de radicalisa-
Anne Huet-Wuillème Directeur artistique (Édition, Photo, Révision), Jean-François Labour Sébastien Le Fol (Culture, Figaroscope, Télévision), Rédacteurs en chef Paul-Henri du Limbert Debora Altman (Photo) (Politique, Société, Sciences), Graziella Boutet (Infographie) Étienne de Montety Frédéric Picard (Édition) (Débats et Opinions, Littéraire) , Pierre Rousselin (Étranger) Directeur de la rédaction et Yves Thréard (Enquêtes, du Figaro.fr Opérations spéciales, Sports) Luc de Barochez
Rôle plus actif
Même rôle
Rôle moins actif
tion ne sont pas majeurs : l’extrême gauche est en légère hausse (7,1 % en 2007), l’extrême droite est stable (10,7 % en 2007). La première atteint ses meilleurs niveaux chez les jeunes (17 %) et les professions intermédiaires (13 %) particulièrement du secteur public, l’extrême droite gardant un haut niveau d’influence dans la population ouvrière (24 %) et le secteur privé. Pour l’instant on n’a pas l’impression d’un « arc de forces démocratiques » qui craque sous le poids de la crise. Mais les effets dissolvants de celle-ci n’ont peut-être pas fait toute leur œuvre. Dernier exutoire de la crise : la rue. Dans les années 1930, nombre de manifestations, qu’elles soient à l’initiative de l’extrême gauche ou de l’extrême droite, dégénéraient. Les morts se comptaient par dizaines, les blessés par milliers. La violence politique était bien portée : le secrétaire général du PCF, Maurice Thorez, expliquait en 1931 que « les barricades portent la lutte de classe à son niveau le plus élevé ». L’extrême droite n’était pas en reste sur le terrain de la glorification de la violence et Charles Maurras expliquait doctement que sa « violence tend à fonder la sécurité intérieure de (sa) patrie ».
Recherche d’alternatives En 2008-2009, nous sommes très loin d’un tel encensement de la violence politique. Certes, aux confins de l’ultragauche, réapparaît une certaine fascination pour une violence parée à nouveau de vertus rédemptrices. Ce courant très minoritaire s’est livré à de véritables saccages à deux reprises, en avril 2009 à Strasbourg dans le cadre de manifestations contre l’Otan puis en octobre à Poitiers lors de la réunion d’un collectif anticarcéral. Cette violence aux confins du terrain sociétal et du terrain politique est le symptôme d’une délinquance qui charrie son lot de malaises liés à la crise et qui est sensible dans le fait, par exemple, qu’après deux années de tendance baissière, les statistiques de la délinquance ont enregistré en août 2009 une forte poussée des vols avec violence sur les douze derniers mois. La crise a des effets perturbateurs mais elle n’a aucun impact de radicalisation politique massive. En cela, nous sommes loin du scénario de 1929 et des années qui suivirent. Et pourtant, la France a un potentiel protestataire non négligeable. Dans une enquête internationale * réalisée dans vingt-sept pays, un an après le déclen-
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Sans opinion
Source : Sondage GlobeScan pour BBC World Service, 29 033 personnes interrogées dans 27 pays entre le 19 juin et le 13 octobre 2009
Contrairement aux idées reçues véhiculées par certains leaders d’opinion hexagonaux, la crise et ses répercussions sur les attitudes politiques ne peuvent se penser à travers le prisme de la crise du capitalisme des années 1930. Pour Pascal Perrineau, la crise actuelle n’a pas rompu « l’arc de forces démocratiques ». De plus, la rue n’est plus un exutoire. Et les bouffées de violence de quelques groupes de l’ultragauche visant une radicalisation politique massive n’ont pas, pour l’instant, d’effet d’entraînement. Certes, la crise perturbe le système politique, le malmène mais ne le remet jamais totalement en cause. Tel est l’enseignement principal que le directeur du Cevipof tire notamment d’une enquête internationale * menée dans vingt-sept pays sur « la perception du capitalisme de libre-échange et les attentes sur le rôle des gouvernements dans le contrôle des entreprises et des grandes industries ». Précédant l’Italie, l’Espagne, la Grande-Bretagne et l’Allemagne, la France affiche le plus fort potentiel protestataire. Toutefois, les partisans tricolores de la régulation et de la réforme (47 %) devancent de cinq points le bloc militant pour « un autre système que le capitalisme » (43 %) quand l’opinion allemande, elle, se hisse au premier rang du capitalisme réformiste (75 %). ■
chement de la crise financière, la France est: le pays où la minorité demandeuse d’un autre système que celui du capitalisme de libre-échange est la plus forte : 43% de nos concitoyens pensent qu’un tel système« est dans l’erreur et que l’on a besoin d’un autre système »,ils ne sont que 29% en Italie et en Espagne, 19% en Grande-Bretagne, 13% aux États-Unis et 9 % en Allemagne. C’est en France, cette fois-ci derrière le Brésil et le Chili, que la demande d’intervention croissante du gouvernement dans la régulation des entreprises est la plus forte : 76 % contre 73 % en Espagne, 70 % en Italie, 56 % en Grande-Bretagne, 45 % en Allemagne et 43 % aux États-Unis. Cette demande interventionniste va même en France jusqu’à une demande majoritaire de contrôle plus étroit des grandes industries par le gouvernement : 57 % contre 53 % en Italie, 45 % en Espagne, 40 % en Grande-Bretagne, 31 % en Allemagne et 24 % aux ÉtatsUnis. Cette demande de contrôle s’enracine dans un pessimisme français particulier à la fois vis-à-vis de la crise, mais aussi vis-à-vis de la mondialisation et de l’Europe. 64 % des Français pensent en novembre 2009 que« le pire de la crise reste encore à venir »(Sofres). Parmi les grands pays d’Europe (Eurobaromètre n° 71 de septembre 2009), l’opinion française est une des plus négatives sur l’état de l’économie nationale (87 % des Français considèrent que la situation de l’économie française est très ou plutôt mauvaise contre 78 % en moyenne dans l’Union européenne), 73 % pensent que la mondialisation constitue une menace pour l’emploi et les entreprises en France (contre 42 %) et 51 % que l’Union européenne ne nous aide plutôt pas ou pas du tout à nous protéger des effets négatifs de la mondialisation (contre 36 % dans l’ensemble de l’Union). Nombre de Français ne sont pas contents du monde tel qu’il va et sont à la recherche d’alternatives. Mais contrairement aux années 1930, cette recherche d’alternatives se fait sans remettre en cause le système politique. La protestation sourd mais s’inscrit dans une demande de réforme du système économique et social qui n’a rien à voir avec la recherche de « lendemains qui chantent », caractéristique des années 1930 et qui avait débouché sur la lugubre musique du totalitarisme.■ * Données exhaustives de l’enquête mise en ligne sur www.lefigaro.fr/ politique
Impression L’Imprimerie, 79, rue de Roissy 93290 Tremblay-en-France Midi Print, 30600 Gallargues-le-Montueux ISSN 0182-5852 Président-directeur général Commission paritairen° 0411 C 83022 Pierre Conte Pour vous abonnerLundi au vendredi de 7h à 17h ; sam. de 7h à 12h au 01 70 37 31 70. Fax : 01 55 56 70 11 Direction, administration, rédaction Gérez votre abonnement sur http://abonnes.lefigaro.fr 14, boulevard Haussmann 75438 Paris Cedex 09 Tél. : 01 57 08 50 00 Formules d’abonnement pour 1 an Club: 395€. Semaine: 229€. Week-end: 195€. direction.redaction@lefigaro.fr
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débats OPINIONS
mercredi 4 novembre 2009 LE FIGARO
16
étudesPOLITIQUES Figaro-Cevipof
Berlusconi : les ressorts d’une longévité
Le « berlusconisme » a su fédérer des groupes sociaux très diversifiés et retenir un vaste électorat populaire. JOSSELINE ABONNEAU
ÉTUDE Longévité. Qu’il soit au pouvoir ou dans l’opposition, Silvio Berlusconi domine la scène politique depuis plus de quinze ans et cela, malgré ses frasques. Certes, le président du Conseil italien ne s’est jamais frotté au suffrage universel, ce qui limite singulièrement la comparaison avec la France. Vu de loin, rien n’autorise à assimiler d’emblée la
droite berlusconienne à la droite hexagonale ; chacune a des gènes nationaux propres. Toutefois une mise en perspective de la longévité politique du Cavaliere et de la solidité de son ancrage électoral recèle de précieux indicateurs susceptibles d’éclairer les voies politiques empruntées par la droite française désormais unie. Le président du Conseil italien a ainsi innové dans la communication politique et en utilisant avec maes-
La confiance des Italiens dans Berlusconi
tria les techniques de marketing. Le leader transalpin de la droite a aussi su prendre la mesure de la communication pour asseoir son rôle de chef face à une opposition incapable de faire émerger un leader et des idées. Parmi les mérites politiques de Silvio Berlusconi, il convient de souligner son rôle déterminant de pacificateur et de fédérateur des droites italiennes. Ainsi, il a su les unifier pour occuper un vaste espace politique
Les résultats de la droite par formation
EN %
ÉLECTIONS EUROPÉENNES 2004
55
Forza Italia
20,9 %
Alliance nationale 11,4 %
Total
Écart de confiance entre fév. et août 2009 Variations 2004-2009
32,3 %
PDL
35,2 %
+2,5 %
4,9 %
Ligue du Nord
10,2 %
+5,3 %
Ligue du Nord
50
ÉLECTIONS EUROPÉENNES 2009
37,2 %
45,4 %
Total
+8,2 %
Forza Italia 40
35 2004
2005
2006
2007
2008
Sept. 2009
ÉLECTIONS NATIONALES 2008
Variations 2006-2008
23,7 % Alliance nationale 12,3 %
36 %
PDL
37,4 %
+1,4 %
Ligue du Nord-MPA
4,6 %
Ligue du Nord
8,3 %
+3,7 %
Autres centre droit
2,3 %
MPA
1,1 %
-1,2 %
Total
42,9 %
46,8 %
Total
… LA PLUS CRITIQUE
Total Italie
-6 %
… LA MOINS CRITIQUE Âge
25-34 ans et 55-64 ans
-12 %
Titulaire d'une maîtrise
-9 %
0% -3 %
35-44 ans 45-54 ans
Niveau d'instruction Certificat d'études
-4 %
Cat. socio-professionnelle
45
ÉLECTIONS NATIONALES 2006
englobant l’extrême droite et s’étendant jusqu’au centre droit. Face à une gauche atomisée et en déliquescence idéologique, il a innové en menant d’une manière décisive la bataille des valeurs. Bref, au-delà de sa faconde, Silvio Berlusconi a innové dans sa façon de faire de la politique, par son talent à se concilier et à fidéliser un large électorat bien ancré dans les couches populaires. ■
+3,9 %
Chef d'entreprise, prof. libérale et chômeurs
-10 %
Secteur public
-10 %
Ouvriers
-2 %
Secteur privé
-2 %
De 10 000 à 30 000 hab.
-3 %
Salariés
Ville Moins de 10 000 hab.
-8 %
Pratique religieuse Régulière
-9 %
-3 %
Jamais
Source : M. Nando Pagnoncelli, Ipsos Italie 2009. Photo : Globepix.
Comment «Il Cavaliere» domine la scène italienne depuis quinze ans
EN ITALIE
LORS DES ÉLECTIONS LÉGISLATIVES DE 2008
47%
des suffrages ont été recueillis par la droite et le centre droit.
Page réalisée en collaboration avec le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof),
A
Centre associé au CNRS et dirigé par Pascal Perrineau
SOCPRESSE 14, boulevard Haussmann 75009 Paris Président-directeur général Serge Dassault Administrateurs Nicole Dassault, Olivier Dassault,Thierry Dassault, Jean-Pierre Bechter, Olivier Costa de Beauregard, Benoît Habert, Bernard Monassier, Rudi Roussillon
M
ais pourquoi les Italiens votent-ils pour Berlusconi ? C’est la question que se posent nombre de Français amoureux de l’Italie, souvent choqués par le comportement du président du Conseil comme par le périlleux conflit d’intérêts entre ses affaires privées et ses responsabilités publiques qui nourrit de fortes tensions et d’incessantes polémiques. Deux rappels s’imposent d’emblée. D’abord, tous les Italiens ne votent pas pour ce milliardaire, propriétaire d’un groupe qui contrôle entre autres la moitié des chaînes de télévision : il dispose certes d’importants soutiens, mais suscite également une forte hostilité voire de la détestation. Le président du Conseil n’est d’ailleurs pas élu au suffrage universel. Aux élections législatives, son parti, Forza Italia, a obtenu pour la désignation des députés 23,7 % des suffrages en 2006 et, en 2008, devenu le Peuple de la liberté suite à sa fusion avec Alliance nationale, 37,3 % (tableau 1).Certes, Berlusconi en 2008 a pu compter sur les 8,3 % de son allié de la Ligue du Nord, ce qui a concouru à porter le centre droit à près de 47 % des suffrages : mais, si les électeurs de cette formation acceptent une union de raison avec « Il Cavaliere », ils n’ont jamais célébré un mariage d’amour avec lui et ne le reconnaissent pas comme un des leurs. Ensuite, Berlusconi, par deux fois, en 2001 et 2006, a été battu par Romano Prodi. Il n’y a donc pas d’irrésistible ascension de Berlusconi fondé sur une télécratie toute-puissante.
Un leader à double face Néanmoins, Silvio Berlusconi domine la scène politique italienne depuis quinze ans, qu’il soit au pouvoir ou dans l’opposition. Comment interpréter sa présence obsédante, ses trois victoires électorales de 1994, 2001 et 2008, son succès récent aux dernières européennes (tableau 2),
SOCIÉTÉ DU FIGARO SA Directeur des rédactions 14, boulevard Haussmann Étienne Mougeotte 75009 Paris Directeur délégué Jean-Michel Salvator Président Comité éditorial Serge Dassault Michel Schifres, vice-président Directeur général, Directeurs adjoints directeur de la publication de la rédaction Francis Morel Gaëtan de Capèle (Économie), Anne-Sophie von Claer Éditeur (Style, Art de vivre, So Figaro), Frédérick Cassegrain
PAR MARC LAZAR
PROFESSEUR DES UNIVERSITÉS À SCIENCES PO PARIS
«
Il a mis ensemble des valeurs contradictoires, tradition et modernité, libéralisme et protectionnisme, sécurité et compassion sociale
»
fût-il inférieur à ses espérances, et, encore maintenant, sa popularité élevée ? À partir du début des années 1990, l’Italie a été ébranlée par une terrible crise politique. L’opération « Mains propres » des juges milanais a aidé à faire tomber toute une partie de la classe politique traditionnelle, disparaître les partis de gouvernement, en particulier la Démocratie chrétienne et le Parti socialiste, inciter le Mouvement social italien, néofasciste, à se métamor-
Anne Huet-Wuillème (Édition, Photo, Révision), Sébastien Le Fol (Culture, Figaroscope, Télévision), Paul-Henri du Limbert (Politique, Société, Sciences), Étienne de Montety (Débats et Opinions, Littéraire) , Pierre Rousselin (Étranger) et Yves Thréard (Enquêtes, Opérations spéciales, Sports)
Directeur artistique Jean-François Labour
phoser, renforcer la transformation du Parti communiste en force réformiste, favoriser le développement de la Ligue du Nord et précipiter l’entrée en politique de Silvio Berlusconi. Celui-ci révolutionne la communication politique, utilise les techniques de marketing, et mobilise ses télévisions. Il s’érige en un leader à double face : d’un côté, l’homme qui se prétend nouveau ne respecte pas les règles, lève les tabous, multiplie les provocations, enfreint les règles du métier politique ; de l’autre, au contraire, celui qui se veut homme d’État, tutoyant ses collègues, s’occupant des affaires du monde, redonnant de la fierté à son pays.
Absence d’un adversaire de poids
Berlusconi s’est adapté à la montée en puissance de la démocratie de l’opinion et à la personnalisation de la vie publique. Il s’est révélé un vrai acteur politique, exploitant la crise de la gauche italienne incapable de se doter d’une identité, d’un projet, et de constituer une alternative crédible. Il a unifié les droites en un seul parti, le Peuple de la liberté, et scellé une solide alliance avec la Ligue du Nord à qui il donne en ce moment satisfaction sur presque tout. Il occupe ainsi un vaste espace politique qui va des confins de l’extrême droite au centre modéré. Berlusconi a su conquérir une hégémonie « culturelle », en occupant le vide laissé par la disparition de la Démocratie chrétienne et la faiblesse de la gauche. Il a mis ensemble des valeurs contradictoires, tradition et modernité, Europe et nation, libéralisme et protectionnisme, sécurité et compassion sociale, lutte contre l’immigration clandestine et réconciliation avec la Libye, etc. Cela lui permet de cimenter son bloc social composé de groupes très diversifiés : professions libérales et chefs d’entreprise (notamment dans le nord du pays), commerçants et artisans, mais aussi laissés-pour-compte de la modernisation, personnes apeurées par
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l’arrivée des immigrés, l’Europe, la mondialisation, gens de faible niveau d’instruction, catholiques pratiquants, bref un vaste électorat populaire. Sa popularité est-elle immuable ? Les sondages d’Ipsos enregistrent ses fluctuations (graphique 1). En 2004 et 2005, Berlusconi, au pouvoir depuis 2001, a déçu ses électeurs. L’approche de l’élection et sa campagne hyperactive font remonter sa cote de popularité, et il est battu d’une poignée de voix. Dans l’opposition, il se refait une santé, profitant de l’impopularité du gouvernement Prodi. Réélu en 2008, avec une majorité parlementaire absolue, il connaît un état de grâce vite rompu, entre autres, par l’adoption de la loi Alfano (qui donnait une immunité aux quatre plus hautes charges de l’État, mais qui vient d’être déclarée non conforme à la Constitution par la Cour constitutionnelle et qui est massivement rejetée par les Italiens). Sa popularité remonte au zénith au début de l’année 2009, en particulier au lendemain du tremblement de terre des Abruzzes alors qu’il se rend fréquemment sur place. Mais elle baisse avec les révélations sur sa vie privée. Berlusconi a perdu 6 points (tableau 3) en quelques mois. La chute est particulièrement prononcée chez les catholiques pratiquants, les habitants des petites villes, les Méridionaux, soit l’Italie traditionnelle, sans doute sensible aux critiques venues de l’Église, mais également chez les chefs d’entreprise et les professions libérales, préoccupés par la détérioration de l’économie italienne. Il perd aussi chez les jeunes de 25 à 34 ans et les personnes les plus âgées. À 73 ans, s’annonce sans doute l’automne de Berlusconi. Qui toutefois inspire toujours de la confiance à près d’un Italien sur deux. Et qui bénéficie pour l’instant de plusieurs atouts : le contrôle d’une bonne partie de la télévision et l’absence d’un adversaire de poids comme d’un candidat à sa succession dans son propre camp. Au royaume des aveugles…■
Impression L’Imprimerie, 79, rue de Roissy 93290 Tremblay-en-France Midi Print, 30600 Gallargues-le-Montueux Rédacteurs en chef ISSN 0182-5852 Debora Altman (Photo) Président-directeur général Commission paritaire n° 0411 C 83022 Graziella Boutet (Infographie) Pierre Conte Pour vous abonner Du lundi au vendredi de 7 h à 17h ; Frédéric Picard (Édition) samedi de 7 h à 12 h Tél. : 01 70 37 31 70 / Fax : 01 55 Direction, administration, rédaction 56 70 11 www.lefigaro.fr, rubrique abonnez-vous 14, boulevard Haussmann Directeur de la rédaction 75438 Paris Cedex 09 Tél. : 01 57 08 50 00 Formules d’abonnement pour 1 an du Figaro.fr Club : 395 €. Semaine : 229 €. Week-end : 195 €. direction.redaction@lefigaro.fr Luc de Barochez
Ce journal se compose de : Édition nationale 1er cahier 18 pages Cahier 2 Économie 10 pages Cahier 3 Le Figaro et vous 12 pages Édition IDF Supplément 4 Figaroscope 56 pages tabloïd
Études politiques Figaro-Cevipof 16
mardi 8 septembre 2009
!
Barack Obama: force et faiblesse d’une popularité encore élevée La politique économique et sociale commence à peser sur la cote de popularité de Barack Obama, passée sous le seuil des 60 % au début de l’été. Homme du renouveau de la gauche américaine, le premier président afro-américain doit compter aujourd’hui avec l’émergence d’un scepticisme croissant dans l’opinion alors que se profilent les élections de mi-mandat en 2010. Barack Obama perd notamment du terrain dans le domaine économique et social (couverture sociale universelle, plans économiques). Ce renversement de tendance est d’autant plus significatif pour « l’as » de la communication et de la pédagogie de masse qu’il avait fait la différence sur ce dossier lors de la campagne présidentielle. Toutefois, la cote de Barack Obama reste encore à un niveau élevé sans atteindre les sommets de celle de ses prédécesseurs George H. W. Bush, Ronald Reagan et Jimmy Carter. J. A.
A
Page réalisée en collaboration avec le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), centre associé au CNRS et dirigé par Pascal Perrineau.
Popularité de Barack Obama en 2009
Popularité des six derniers présidents
EN % DE CEUX QUI APPROUVENT*
Moyenne d'appréciation positive pour les présidents DEPUIS 1945, DATES DE MANDAT
SONDAGE SEPT MOIS APRÈS LEUR ARRIVÉE AU POUVOIR
Barack Obama
70
67
66
55 % Bill Clinton
George H. W. Bush
69 %
Lyndon Johnson (1963-1969)
55,1 %
Bill Clinton (1993-2001)
55,1 %
Ronald Reagan (1981-1989)
52,8 %
21-25 janvier
4-10 mai
52
49,4 %
Richard Nixon (1969-1974)
49 %
Gerald Ford (1974-1977)
47,2 %
Jimmy Carter (1977-1981)
45,5 %
Harry Truman (1945-1953)
45,4 %
60 % Jimmy Carter
60 %
17-23 août
Graphique 1
LA VICTOIRE de Barack Obama à l’élection présidentielle du 4 novembre 2008 a été marquée par un engouement populaire que le Parti démocrate n’avait pas connu depuis plusieurs décennies. Avec 53 % des voix, le courant de popularité en faveur du candidat démocrate a mobilisé des groupes qui jusqu’alors boudaient souvent les urnes : les jeunes, les Noirs, les Américains d’origine hispanique. Depuis son entrée en fonction à la Maison-Blanche le 20 janvier 2009, le nouveau président est resté à un haut niveau de popularité (voir graphique 1) mais les premiers signes d’une érosion se font sentir particulièrement sur le terrain économique et social. Depuis juillet 2009, la popularité, telle
George W. Bush (2001-2009)
Ronald Reagan
17-23 août
qu’elle est mesurée régulièrement par l’institut Gallup (1), est passée en dessous de la barre des 60 %. Depuis son entrée en fonction, fin janvier 2009, il a perdu 15 points et la chute est particulièrement sensible depuis le mois de juillet. Dans un premier temps, Barack Obama a su renouer avec des niveaux très élevés de popularité, que son prédécesseur démocrate, Bill Clinton, n’avait pas connus. Sept mois après son arrivée au pouvoir, sa popularité présidentielle est à 56 %, à 12 points devant celle de Bill Clinton mais au même niveau, peu ou prou, que celle atteinte par George W. Bush à l’été 2001 et en deçà des popularités enregistrées pour George H. W. Bush, Ronald Reagan ou encore Jimmy Carter(voir graphique 2).
60,9 %
George H.W. Bush (1989-1993)
44 %
*La question utilisée pour mesurer la popularité du président est la suivante : « Approuvez-vous ou désapprouvez-vous le travail que Barack Obama fait en tant que président ? » (do you approve or disapprove of the job Barack Obama is doing as President ?) % de ceux qui approuvent.
65 %
Dwight Eisenhower (1953-1961)
George W. Bush
60
70,1 %
John Kennedy (1961-1963)
56 %
Graphique 2
Mais il faut reconnaître que les temps ont changé, la crise économique et financière frappe durement la société américaine et érode sa capacité d’enthousiasme vis-à-vis des politiques. En dépit de ce contexte tumultueux, le président Obama garde une popularité nettement positive. On retrouve dans cette popularité élevée les caractéristiques de sa victoire électorale de 2008 : un soutien record chez les jeunes (64 % de job approvalchez les jeunes de 18 à 24 ans contre 48 % chez les plus de 65 ans), les minorités ethniques (76 % chez les nonBlancs contre 46 % chez les Blancs) et les Américains modestes (64 % chez les Américains dont le revenu mensuel est inférieur à 2000 dollars contre 50 % chez ceux qui disposent d’un revenu supérieur à 7 500 dollars) (2).
La société américaine reste inquiète Si cette popularité ne faiblit pas, Barack Obama pourra peutêtre intégrer le club des présidents américains populaires (Lyndon Johnson, Ronald Reagan, George H. W. Bush) sans prétendre rejoindre les stars de popularité qu’ont été, en leur temps, Dwight Eisenhower et John Kennedy. Ainsi, si la popularité de Barack Obama est élevée, elle n’est pas, contrairement à ce que l’on entend souvent en France, exceptionnelle au regard de l’histoire de la popularité des douze présidents nord-américains élus depuis l’après-guerre (voir graphique 3). La popularité du président Obama s’enracine à la fois dans la rupture avec G. W. Bush, qui atteignait, en fin de mandat, des plafonds d’impopularité (27 % seulement d’appréciations positives en novembre 2008). À cet égard, Barack Obama est « l’antiBush ». Mais sa popularité ne peut se résumer à ce seul rejet du président sortant. Il y a aussi l’impact d’un style Obama fait à la fois de fermeté, de vision et de proximité avec ses concitoyens. Alors que sa popularité globale a décliné, il garde en juillet 2009 une image personnelle et politique très forte qui en renforce la dimension charismatique. 67 % des Américains pensent qu’il est un « leader fort et capable de décider », 66 % qu’il comprend « les problèmes auxquels les Américains sont confrontés dans leur vie quotidienne » et 59 % qu’il peut « diriger le gouvernement avec efficacité ». Barack Obama a su redonner aux Américains confiance dans l’institution de la présidence (25 % seulement de confiance en 2007, 51 % en 2009) alors que la confiance dans les banques s’est effondrée (41 % en 2007, 22 % en 2009). Mais, globalement, le niveau de confiance dans les institutions politiques reste faible : 17 % pour le Congrès, 28 % pour la justice, 39 % pour la Cour suprême. La société américaine reste inquiète et même parfois très inquiète.
Photos : Le Figaro, Rue des archives
ÉTATS-UNIS
Graphique 3
En décembre 2008, 10 % seulement des Américains déclarent être satisfaits de« la manière dont les choses vont aux États-Unis ».Le déclin est vertigineux depuis le début des années 2000 : en décembre 2001, ils étaient 70 % à
Par Pascal Perrineau
être satisfaits, 50 % en décembre 2003, 45 % en décembre 2004, 36 % en décembre 2005, 30 % en décembre 2006 et 27 % en décembre 2007. Le rendez-vous de décembre 2009 sera décisif pour le destin de la popularité d’Obama et on verra si son action présidentielle réussit à inverser la courbe sans cesse montante des insatisfactions des citoyens américains de l’ère Bush. Ce n’est qu’alors que l’on pourra juger de la capacité de Barack Obama de pouvoir entrer au panthéon des présidents les plus populaires. Tout dépendra de la capacité du président actuel à inscrire sa présidence dans la lignée des grandes « présidences de transformation » (transformational presidency) que les États-Unis ont pu connaître dans le passé. James MacGregor Burns, dans son étude du leadership politique (Leadership, Harper and Raw, New York, 1978), a été le premier à introduire cette notion de transformational leadership, un leadership qui crée un changement significatif dans la vie des gens et des organisations et qui redessine les perceptions et les valeurs, qui change les attentes et les aspirations de ceux qui suivent le leader. Ce type de leadership rappelle la figure de la « présidence de reconstruction » que le politologue Stephen Skowronek, dans son remarquable ouvrage The Politics Presidents Make. Leadership from John Adams to George Bush (The Belknap Press of Harvard University Press, 1993) avait associée à Abraham Lincoln et à Franklin Delano Roosevelt. Le président reconstructeur est celui qui crée un « nouveau régime ».
Source : Gallup
maintenant dans l’âge d’Obama. (…) Il y a un nouveau progressisme. Même pendant les huit années de Bill Clinton, il était l’otage des politiques républicaines. Il faisait partie intégrante de l’ère Reagan. Aujourd’hui, c’est une nouvelle ère, l’ère la plus progressiste en matière politique depuis 1964 avec Lyndon Johnson. » Pour l’instant, le leader « transformationnel » semble emporter la conviction sur le terrain de la politique étrangère et sur celui du terrorisme, mais la résistance de l’ère ancienne est plus forte sur le terrain économique et social. Depuis le début de l’été, les difficultés s’accentuent et les reproches commencent à fuser particulièrement sur le terrain économique (efficacité du plan de relance, aide apportée à General Motors, coût des dépenses publiques…) et sur le terrain social (réforme du système de santé et de la couverture sociale). Si Barack Obama convainc une majorité parfois large d’Américains sur le terrain des affaires étrangères, sur la situation en Irak, sur la situation en Afghanistan ou encore sur le terrorisme, il est, depuis le début de l’été, en minorité sur les affaires économiques et sociales. 55 % des personnes interrogées le désapprouvent sur la question du déficit du budget fédéral, 50 % sur celle de la politique du Healthcare et 49 % sur celle, plus large, de la gestion de l’économie. Sur ce dernier point, la désapprobation a progressé de 19 points depuis début février.
L’économie, priorité des Américains Les « fondamentaux » de la politique étrangère, de l’image des États-Unis à l’étranger, des qualités personnelles restent au beau fixe, mais les nuages se profilent à l’horizon du paysage économique qui reste aux yeux des citoyens américains le terrain de bataille décisif où se feront les victoires et les défaites politiques de demain. En juillet (10-12 juillet), 69 % des Américains pensaient que l’économie en général est le problème le plus important auquel le pays est confronté aujourd’hui ; 38 % le chômage ; 19 % le manque d’argent, 16 % le système de santé. À l’été 2008, avant le déclenchement de la crise économique et financière, ils n’étaient que de 20 à 30 % à mentionner l’économie. C’est sur l’économie que Barack Obama s’est imposé il y a un an, c’est sur le terrain de l’économie et La fin d’une ère du social qu’il rencontre ses preouverte par Reagan mières vraies difficultés, que sa Le New Beginning de Reagan popularité, encore bien réelle, comme le New Deal de Roosevelt peut ternir et que les ambitions ont mis en place de nouveaux régi- d’une présidence « transformames au sens où l’entend Joseph tionnelle » rencontreront le plus Skowronek. Qu’en est-il de la pré- d’obstacles sidence Obama ? Douglas Brinkley, professeur d’histoire à Rice (1) Tous les sondages cités dans cet University et biographe de nom- article sont des sondages de l’instibreux présidents américains, dit tut Gallup que l’on peut consulter qu’il croit que l’élection d’Obama sur le site http://www.gallup.com/ a marqué la fin d’une ère ouverte home.aspx par Reagan. « L’âge de Reagan a (2) Sondage Gallup 27 juilletduré de 1980 à 2008. Nous sommes 2 août 2009 Obama Job Approval.
Études politiques Figaro-Cevipof 14
mardi 2 juin 2009
!
Nicolas Sarkozy ou le présidentialisme assumé Le chef de l’État a imposé, dans le style et la forme, un nouveau mode d’exercice du pouvoir. La personnalité du président, son activisme, son style et ses choix politiques révèlent une forme singulière de l’exercice du pouvoir présidentiel. Toutefois, « la fibre bonaparto-gaulliste qui constitue l’un des tempéraments majeurs de la droite française » innerve le « sarkozysme », affirme Pascal Perrineau. Tant dans l’exercice du pouvoir que dans l’usage de la médiatisation, le président a mis ses pas dans ceux de ses prédécesseurs : il n’a pas inventé l’hyperprésidentialisation, que pratiquaient déjà de Gaulle et Mitterrand, mais il l’a poussée plus loin. Il n’a pas innové « en articulant étroitement exercice du pouvoir présidentiel et maîtrise de l’agenda médiatique », mais il exploite un registre ouvert par Giscard d’Estaing. La modernité du sarkozysme réside, selon Pascal Perrineau, « dans la transgression des barrières qui séparent vie publique et vie privée, et même, au sein du privé, vie intime et non intime ». À l’aune de la place du libéralisme dans l’histoire de France, Lucien Jaume montre comment Nicolas Sarkozy s’emploie à adapter ses convictions libérales en phase avec la mondialisation au rôle de l’État, auquel les Français sont historiquement attachés. « Depuis son élection, note-t-il, la ligne Sarkozy apparaît comme un mixte d’étatisme ou d’esprit sécuritaire et de foi dans la liberté des individus. » J. A.
Considérez-vous que les qualificatifs suivants s'appliquent bien à Nicolas Sarkozy ? EN % DE RÉPONSES POSITIVES
85
Dynamique
75
Courageux Sait prendre des décisions difficiles A une stature internationale
66 64
Compétent Maîtrise bien ses dossiers Dans le temps long des cultures politiques françaises, on découvre des continuités et des ruptures permettant de cerner la réalité de l’exercice sarkozyste du pouvoir : pérennité et affirmation du présidentialisme, mariage intime de l’action politique et de l’action médiatique et adaptation de l’exercice du pouvoir à une société qui a changé.
Par Pascal Perrineau *
Un bonapartisme du XXIe siècle Le présidentialisme renforcé de Nicolas Sarkozy est décodé comme un signe d’une « dérive monarchique », au mieux, autoritaire, au pire. Or, la plupart des monarchies sont héréditaires et dynastiques. La référence, telle que l’avance Alain Duhamel, à un « bonapartisme du XXIe siècle » et à un « pouvoir consulaire » est plus pertinente dans la mesure où elle implique la conservation de la forme républicaine de la France et la suprématie du pouvoir d’un homme légitimé par le suffrage universel. Si Nicolas Sarkozy a poussé plus loin le processus que ne l’avaient fait ses prédécesseurs, l’hyperprésidentialisation n’a pas été inventée par lui. Souvenons-nous du général de Gaulle lors de la conférence de presse du 31 janvier 1964 : « Il doit être évidemment entendu que l’autorité indivisible de l’État est confiée tout entière au président par le peuple qui l’a élu, qu’il n’en existe aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciai-
54 54 52
Capable de réformer le pays Sympathique À la hauteur des événements
42 41 41
60
A le sens de l'État Sait où il va
50 48 46
Fait ce qu'il dit A un vrai projet pour la France Fait un bon président de la République
36
L'image de Nicolas Sarkozy
re, qui ne soit conférée et maintenue par lui, enfin qu’il lui appartient d’ajuster le domaine suprême qui lui est propre avec ceux dont il attribue la gestion à d’autres… » François Mitterrand a maintenu la lecture gaullienne des institutions en préservant les prérogatives du président. À peine élu, il déclarait le 2 juillet 1981 :« J’exercerai dans leur plénitude les pouvoirs que me confère la Constitution (…). Nul n’ignore, au sein du gouvernement comme ailleurs, que le président de la République peut à tout moment faire prévaloir l’opinion qu’il a de l’intérêt national. » Hyperprésidence ne veut pas dire omnipotence. Nicolas Sarkozy exerce une emprise sur l’État plus clairement affichée, par exemple, que celle de Georges Pompidou hier. Mais cette emprise n’est pas plus forte sur l’État de 2009, elle l’est incomparablement moins que sur l’État de 1969. Enfin, la réforme de la Constitution mise en œuvre à l’été 2008 revalorise beaucoup le rôle de contrepoids du Parlement.
L’omniprésence médiatique Nicolas Sarkozy n’est pas le premier président à articuler étroitement exercice du pouvoir présidentiel et maîtrise de l’agenda médiatique. Giscard faisant figurer sa fille sur les affiches de la campagne présidentielle de 1974, Mitterrand donnant en 1985 des leçons de modernité langagière et médiatique au journaliste très branché qu’était Yves Mourousi, Jospin poussant la chansonnette dans une émission de Patrick Sébastien… la « politique spectacle » est une vieille affaire. En revanche, enfant lui-même de la télévision, le président actuel a épousé plus étroitement les logiques de la communication audiovisuelle et les a poussées à leur point d’orgue. La communication accompagne intimement l’action politique à tous ses stades. Une des caractéristiques fortes de ce nouveau registre communicationnel réside
Proche des gens
30 26
dans la transgression des barrières qui séparent vie publique et vie privée et même au sein du privé, vie intime et vie non intime. La privatisation de l’espace public n’a, là aussi, pas attendu Nicolas Sarkozy pour s’épanouir. Famille et politique présidentielle ont pu être intimement mêlées sous François Mitterrand ou sous Jacques Chirac. En revanche, l’exposition d’une certaine intimité de la vie d’un président est davantage liée à la présidence Sarkozy. Elle comporte des risques car si l’intime est dévoilé, il y a transgression et cela peut troubler, après les avoir attirés, les citoyens qui y assistent. Ce dévoilement de la vie personnelle du président, particulièrement sensible dans l’année qui a suivi la victoire du 6 mai 2007, a pu coûter cher à Nicolas Sarkozy en termes d’image et de popularité.
Apporte des solutions aux problèmes des Français Suffisamment à l'écoute de tous les Français
Source : Sondage CSA/Le Parisien Mai 2009
EXÉCUTIF
LE FIGARO
interrogées ainsi que des qualités liées à la dimension la plus régalienne de la fonction (sens de l’État, stature internationale) sur laquelle il s’était nettement imposé face à Ségolène Royal et qui a été réactivée lors de sa présidence de l’Union européenne. Cependant, les attentes vis-à-vis de la fonction présidentielle ont évolué dans la société d’aujourd’hui. On l’avait déjà ressenti lors de la campagne présidentielle. Les électeurs hésitent entre un président en pleine « capacité », sachant manier l’autorité et éventuellement la distance qui sied à tout pouvoir suprême, et une autre figure, celle d’un président plus proche, plus « ordinaire », « sans qualités ». Ces deux figures de la « capacité » et de la « proximité » se sont affrontées en 2007, elles sont toujours à l’œuvre en 2009. Sur cette deuxième dimension plus empathique et moins verticale, Nicolas Sarkozy est moins bien placé. Les inquiétudes et fragilités liées à la crise redonnent à cette deuxième dimension un espace et expliquent la position plus difficile de Nicolas Sarkozy lorsqu’on demande à l’opinion de savoir si la notion de « bon président de la République » s’applique bien à lui. Dans le style et dans la politique, dans la forme et dans le fond, le sarkozysme, tout en étant très marqué par la modernité, s’inscrit selon René Remond, dans«cette combinaison de la référence au peuple souverain et de l’aspiration à un pouvoir fort, cette alliance de l’autorité et de la démocratie, assortie d’une tonalité sociale, le tout accompagné d’une intention ou d’une affectation de modernité », caractéristique de cette fibre bonaparto-gaulliste qui constitue un des tempéraments majeurs de la droite française. Comme tout pouvoir qui marque, Nicolas Sarkozy invente et perpétue.
Les deux corps du président Ce nouveau style d’exercice du leadership qui peut ignorer la part d’ombre et de distance qui participe de l’autorité présidentielle traditionnelle est à l’origine d’un processus de désymbolisation dont il est difficile de mesurer tous les effets. Pour reprendre les catégories de Kantorowicz (« Les deux corps du Roi »), le « corps naturel », prosaïque qui marque la proximité d’un président suractif, a envahi le « corps politique », hiératique qui symbolise la distance et la solennité de la République. Pour l’instant, le premier corps l’emporte sur le second. La « personne » a envahi la « fonction » et a perturbé le cérémoniel, davantage solennel, auquel la République gaullienne nous avait habitués. Il est frappant de voir que l’enquête CSA sur l’image de Nicolas Sarkozy (infographie ci-dessus)propulse au premier plan des qualités liées à la « personne » : le dynamisme, le courage, la capacité à prendre des décisions difficiles qui définis- * Directeur du Centre d’études sent l’activisme présidentiel lui sont accor- de la vie politique française (Cevipof)-Centre dés par plus des deux tiers des personnes de recherches politiques de Sciences Po.
Le chef de l’État est-il un libéral? Son pragmatisme n’est pas une rupture dans notre histoire.
Page réalisée en collaboration avec le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), centre associé au CNRS et dirigé par Pascal Perrineau
TOUT président est contraint à prendre en charge l’histoire de la France. À tra vers l’opinion publique et les institutions, le passé exerce une forme de présence. Pour savoir si Sarkozy appartient au libéralisme, il convient de comparer avec la culture de la liberté en France. Ce terrain est plus assuré que celui d’un « sarkozysme » hypothétique, étant donné qu’il est encore trop tôt et, surtout, compte tenu du pragmatisme foncier de ce président. Depuis son élection, la ligne de Sarkozy apparaît comme un mixte d’étatisme, ou d’esprit sécuritaire et de foi dans la liberté des individus. Telle est la culture de la
liberté en France ; c’est l’État qui, durant la monarchie, sous la Révolution, avec Napoléon, puis dans la continuité républicaine, a été le fabricant de l’unité nationale, le protecteur du lien social et le défenseur de valeurs universelles à l’extérieur. En même temps, par les droits de l’homme, le Code civil, l’école laïque et les voies de l’élitisme républicain, l’État favorise la liberté en l’encadrant. Ce n’est pas contraire aux principes libéraux, malgré ceux qui croient que le libéralisme est le désordre. Dans le cadre du libéralisme gouvernant, depuis Guizot jusqu’à Giscard d’Estaing ou Balladur, l’État a privilégié l’appel à une liberté organisée d’en haut, plus que la libre association des individus, des communautés locales et des intérêts
à la façon américaine. S’impose en effet cette mission de préserver l’égalité et de protéger les plus faibles qui témoigne de plus loin que l’idée républicaine du XIXe siècle : c’est la marque de la lutte contre l’Ancien Régime et les privilèges déclarés et officialisés par la loi.
Favoriser l’émergence de règles Sarkozy a des convictions libérales, en phase avec la mondialisation, mais il doit les adapter au rôle de l’État auquel les Français sont attachés, tantôt comme pacificateur dans nos guerres civiles tantôt comme protecteur des services d’intérêt général. Donner davantage la parole à la société, favoriser l’émergence de règles chez les acteurs euxmêmes, tel est et restera le pôle libéral ; en
revanche, réformer les institutions et le service public, lutter contre la crise appelle un volontarisme d’État assez voyant. Ce pragmatisme étatico-libéral n’est pas une rupture dans notre histoire, pas plus que la personnalisation du pouvoir destinée à dramatiser les changements. Sarkozy est républicain et libéral, partie par conviction, partie par devoir d’État : la prose de son action est de tradition française, son lyrisme ou son vedettariat participe à la mondialisation. Il faut distinguer les deux registres que l’acteur marie habilement sur la scène politique nationale et internationale. LUCIEN JAUME (Directeur de recherches Sciences Po Cevipof CNRS)
ÉVÉNEMENT ROLAND-GARROS SUR RENDEZ-VOUS PLACE DES MOUSQUETAIRES EN DIRECT ET EN PUBLIC Jean-Marc MORANDINI Lundi - Vendredi • 11h00 - 14h00
Alexandre DELPÉRIER et Fabrice SANTORO Lundi - Jeudi • 20h00 - 22h30
A
Alexandre RUIZ et Fabrice SANTORO Vendredi • 20h00 - 22h30 Samedi - Dimanche • 15H00 - 23H00
europe1.fr
Études politiques Figaro-Cevipof 16
mardi 26 mai 2009
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Le socialisme européen en panne de modèle ÉLECTIONS EUROPÉENNES
À l’aune du reflux de leur présence gouvernementale dans les États de l’Union où ils gouvernent dans huit pays contre onze en 2001, les sociaux-démocrates pourraient enregistrer une nouvelle perte d’influence le 7 juin, date du renouvellement du Parlement européen. En dépit de la crise et de leurs incantations au retour de l’État providence, les sociaux-démocrates peinent à se mettre en phase avec leur électorat historique. En France, le PS a toujours tenu ses distances avec les tentatives de « modernisation » de la social-démocratie notamment vis-à-vis du « blairisme ». Néanmoins, le PS n’est pas parvenu à enrayer la désaffection des ouvriers, employés et des personnels de la fonction publique. Sa nature profonde l’y empêche. C’est ce que démontre Marc Lazar, qui met au jour les principaux points d’achoppement. « Le PS, qui n’a jamais procédé à un vrai bilan historique de la gauche et du communisme, cède une fois encore à ses vieilles inclinations : il gauchit son discours contre le capitalisme sous la pression de la gauche radicale désormais plus trotskiste que communiste. » Pour Pascal Perrineau, le vote socialiste « n’est plus l’expression politique privilégiée des couches populaires ». En un quart de siècle de consultations politiques, sa base électorale s’est rétrécie. À preuve en 2007 « la proportion de bourgeois, cadres et professions intellectuelles ayant voté à gauche étant équivalente à celle des ouvriers qui ont fait de même ».
J. A.
Le PS dans les urnes depuis 1974 Les candidats du parti socialiste aux présidentielles
EN % DES SUFFRAGES EXPRIMÉS
1981 et 1988 François Mitterrand
1995 et 2002 Lionel Jospin
2007 Ségolène Royal
34,10
35
30
25,85
25
23,30
23,53
20
Européennes
25,87
Présidentielle
24,73
Législatives
16,18
19,1
15
28,9
Source : sondages post-présidentiels Sofres,
10
Cevipof, Ifop
1972
1975
1978
1981
1984
1987
1990
1993
1996
1999
2002
2005
2008 LE FIGARO
À l’instar de la gauche réformiste européenne, le PS est confronté à un vide d’identité. CHAQUE parti qui compose le socialisme européen présente des points communs avec les membres de cette famille et des particularités déterminées par une longue histoire et son insertion dans le système politique national. Le socialisme en France, quel que soit le nom que le parti ait pris au fil du temps, a néanmoins d’indéniables singularités au regard des partis sociauxdémocrates d’Allemagne, d’Autriche et des pays scandinaves. À la différence des puissantes machines sociales-démocrates, le PS, doté d’une fragile organisation, n’entretient que des liens lâches avec les confédérations syndicales, à l’exception de ceux noués avec les syndicats des enseignants. De même, il n’a toujours eu qu’un faible enracinement dans la société, hormis dans le Nord-Pasde-Calais. Son électorat était et reste moins important qu’ailleurs en Europe et la classe ouvrière y occupe une portion congrue.
Le tournant des années Mitterrand En outre, le PS a été confronté à la vive concurrence du PCF, qui, de 1945 à la fin des années 1970, l’a largement dominé. Cela a accentué ses propres caractéristiques idéologiques et politiques : l’obsession de ne pas avoir d’ennemi sur sa gauche, le refus du réformisme, la réticence au compromis, l’inclination à la radicalité, un goût prononcé pour l’intransigeance doctrinale, une propension à la division, la difficulté à
assumer l’exercice du pouvoir comme l’ont montré Alain Bergounioux et Gérard Grunberg dans L’ambition et le remords. Les socialistes français et le pouvoir. Les années Mitterrand, de 1971, lorsque celui-ci s’empare du nouveau PS, à 1995, date de la fin de sa seconde présidence, représentent un tournant. Dans un premier temps, la stratégie de l’union avec le PCF accentue ses traits avec sa volonté de rompre avec le capitalisme, son vaste programme de nationalisations et sa critique de la « timidité » sociale-démocrate. Pareille continuité coexista avec les ruptures introduites par François Mitterrand, comme l’assimilation de la logique présidentielle des institutions de la Ve République.
Crise du leadership Dans un second temps, à partir du tournant de la rigueur, en 1983-1984, s’amorce une conversion forcée à une culture pragmatique de gouvernement, assez semblable à celle des autres socialistes européens, et, de manière quasi honteuse, au réformisme comme référence identitaire. Débarrassé du défi communiste (le PCF s’est effondré en quelques années), le PS se rapproche alors des partis sociaux-démocrates. Un rapprochement facilité par sa pleine intégration au sein de l’Internationale socialiste et du Parti socialiste européen (PSE). La situation présente du PS est proche de celle du reste de la gauche réformiste européenne. Comme les autres partis, le PS est confronté à un dilemme de stratégie : faut-il s’allier avec les forces centristes
ou avec celles qui sont sur sa gauche ? Son électorat présente une structure comparable à celle de la plupart des autres partis de gauche : des salariés de plus de 50 ans, appartenant plutôt au secteur public, vivant dans des grandes villes, diplômés, partageant des valeurs « libertaires » ; en revanche, il ne comporte guère de jeunes, de catégories populaires, de précaires ou de salariés du privé. Le PS, à l’instar de toute la gauche européenne, est confronté à un vide d’identité : son réformisme ne s’avère guère tranchant ni mobilisateur et encore moins son socialisme. Enfin, il butte sur la question du leadership, non point par manque de talents mais parce que l’autorité du leader est affaiblie par sa traditionnelle culture des égaux et la compétition entre les ego.
Le poids considérable de la fonction publique Connaître des tourments comparables signifie-t-il pour autant que le PS est désormais un parti socialiste comme les autres ? Le PS conserve encore des traits qui le spécifient. Ses traditionnelles faiblesses organisationnelles continuent de le différencier comme son positionnement idéologique. La grande entreprise de rénovation de la gauche des années 1990, symbolisée par le blairisme, visait à relancer une social-démocratie en voie d’épuisement par l’assimilation du libéralisme, la reconnaissance de l’économie de marché sans approuver la dérégulation généralisée et le déploiement de politiques publiques innovantes,
notamment en matière d’éducation, de recherche et de formation professionnelle. Alors qu’elle a partout nourri discussions et controverses, le PS a majoritairement choisi de l’esquiver ou de la dénigrer. Aujourd’hui, avec la crise financière et économique, il pense que le « social-libéralisme » est mort et que le temps de l’État est de retour, ce qui lui donnerait rétrospectivement raison. Le PS, qui n’a jamais procédé à un vrai bilan historique de la gauche et du communisme, cède une fois encore à ses vieilles inclinations : il gauchit son discours contre le capitalisme sous la pression de la gauche radicale désormais plus trotskiste que communiste. Les autres partis socialistes et sociaux-démocrates cherchent quant à eux à inventer de nouvelles formes de régulation et à lutter contre les inégalités sociales qui se sont creusées sans renoncer à leur acceptation de l’économie de marché, à l’impératif de la réforme de l’État et au refus de l’esprit d’assistance. Enfin, le PS est plus dépendant du secteur public et de la fonction publique qui exercent un poids considérable et, en un certain sens, se servent désormais de lui pour imposer leurs propres intérêts. Ainsi, bien que le PS adhère au manifeste du PSE pour les élections européennes, il s’avère à la fois un parti socialiste comme un autre et irréductiblement différent. MARC LAZAR * Professeur des universités à Sciences Po.
Le PS perd son audience populaire En 1988, Mitterrand réunissait 41 % du vote ouvrier au premier tour de la présidentielle. En 2007, Royal n’en attirait plus que 25 %. DANS sa période de gloire, l’électorat socialiste a su agréger trois types d’électorats : l’électorat ouvrier et plus largement des couches populaires (ouvriers et employés), celui de la fonction publique et celui des bourgeois à haut niveau de diplôme dont une partie s’incarne dans la catégorie des bobos. En 1988, François Mitterrand attirait, au premier tour, 41 % du vote ouvrier, 37 % de celui des employés, 40 % de celui des fonctionnaires et 29 % du vote des cadres et professions intellectuel-
A
Par Pascal Perrineau *
Page réalisée en collaboration avec le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), centre associé au CNRS et dirigé par Pascal Perrineau
les. Vingt ans plus tard, en 2007, la candidate socialiste ne recueille que 25 % du vote ouvrier (– 16 %), 24 % du vote des employés (– 13 %), 29 % du vote des salariés du public (– 11 %) et 25 % du vote des cadres et professions intellectuelles (– 4 %). La chute d’influence dans les milieux populaires et dans le monde du public est sévère et dépasse en intensité l’érosion de l’influence nationale (Ségolène Royal a rassemblé 9 points de moins que François Mitterrand dans l’ensemble de l’électorat). Seuls les secteurs les plus bourgeois de l’électorat (cadres et professions intellectuelles) ont mieux résisté. Ces mouvements divers se sont traduits par un em-
Vote en faveur du PS au 1er tour de la présidentielle
35
Vote ensemble électorat
41 29
23
1988
Vote ouvrier
Vote des cadres et professions intellectuelles
26
25
21
16
1995
13
25
18
2002
25 Source : sondages post-présidentiels Sofres, Cevipof, Ifop
2007 LE FIGARO
bourgeoisement de l’électorat socialiste. Cette évolution est encore plus sensible quand on compare les seconds tours de 1988 et de 2007, où le candidat socialiste représente l’ensemble de la gauche : en 1988, François Mitterrand captait 75 % du vote ouvrier et 50 % du vote des cadres et professions intellectuelles, en 2007 Ségolène Royal rassemble seulement 48 % du vote ouvrier et 46 % du vote des cadres et professions intellectuelles. La chute est vertigineuse en milieu ouvrier (– 27 %) alors que l’érosion n’est que faible en milieu bourgeois (– 4 %). En 2007, la proportion de bourgeois, cadres et professions intellectuelles qui ont voté à gauche (46 %) est équivalente à celle des ouvriers qui ont fait de même (48 %). En 1988, le différentiel entre ces deux pourcentages était de 25 points, il n’est plus en 2007 que de deux points. La polarisation politique recoupait une forte polarisation sociale. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Une force de plus en plus imprévisible Le PS, au premier comme au second tour de l’élection présidentielle, ne peut plus se présenter comme l’expression politique privilégiée des couches populaires. Au premier tour, en 1988, le candidat socialiste faisait 12 points de plus en
En savoir plus - A. Bergounioux, G. Grunberg, L’Ambition et le Remords. Les Socialistes français et le pouvoir, Paris, Pluriel, 2007. - E. Külahci, La Social-démocratie et le chômage, Bruxelles, Éd. de l’Université de Bruxelles, 2008. - R. Lefebvre, F. Sawicki, La Société des socialistes. Le PS aujourd’hui, Bellecombes-en-Bauge, Éd. du Croquant, 2006.
milieu ouvrier qu’en milieu bourgeois, en 1995 il faisait 4 points de moins, en 2002, 5 points et en 2007 il faisait jeu égal (voir graphique ci-dessus). Ségolène Royal s’est contentée de stopper le processus d’embourgeoisement du PS, elle ne l’a pas du tout inversé. Cette perte massive des couches populaires est sensible dans l’ensemble de la famille socialiste en Europe. Ce qui a été politiquement et idéologiquement construit à la fin du XIXe siècle et pendant les premières décennies du XXe siècle, à savoir la représentation des couches populaires derrière le mouvement socialiste, est en train de se déstructurer. L’abstention, la droite et souvent la droite
extrême ainsi que la « gauche de la gauche » attirent autant sinon plus que le PS. Dans le dernier sondage d’intentions de vote pour les européennes réalisé par l’Ifop pour Paris Match, 19 % seulement des ouvriers annoncent un vote PS, 14 % un vote MoDem, 15 % un vote UMP, 24 % un vote pour les forces de « la droite de la droite » (FN et souverainistes) et 22 % un vote pour la « gauche de la gauche ». Le vote bourgeois en faveur du PS continue en revanche à prospérer : 35 % des cadres supérieurs et professions libérales s’apprêtent à voter en faveur des listes socialistes. Le « peuple » est électoralement une force de plus en plus indomptable et imprévisible, le Parti socialiste en souffre. * Directeur du Centre d’études de la vie politique française (Cevipof)-Centre de recherches politiques de Sciences Po.
■ Précision : dans l’article intitulé « D’où viennent les électeurs du MoDem » publié dans nos éditions du 19 mai 2009, le rapport de forces entre l’UMP et le PS faisait référence à l’enquête OpinionWay Fiducial pour Le Figaro. Ce sondage, paru dans nos éditions du 13 mai, l’estimait à 27 pour l’UMP et à 22 pour le PS.
Études politiques Figaro-Cevipof 14
mardi 19 mai 2009
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D’où viennent les électeurs du MoDem LE CENTRISME a toujours été une réalité électorale sous la Ve République, même si la logique très bipolaire des institutions lui a réservé une place plus ténue que sous la IVe République. En dépit de ce processus de laminage électoral, Jean Champions de l’intégration Lecanuet soutenu par le MRP en européenne, les démocrates1965 rassembla 15,6 % des suffrachrétiens des États fondateurs ges, Alain Poher, en 1969, en attira de l’Union peuvent 23,3 % ce qui reste le point d’orgue se targuer d’une expérience du centrisme sous la Ve République. gouvernementale François Bayrou reprit, en 2002, de plus d’un demi-siècle. l’héritage de ce centrisme aux velCe courant idéologique est né léités oppositionnelles mais n’agrédes clivages socio-économiques gea que 6,8 % des votes autour de sa et du clivage entre l’État personne. Ce n’est qu’en 2006et l’Église caractérisant 2007, après avoir mis fin à l’alliance la fondation de l’État moderne. qui le rattachait à la droite et créé Prenant l’exemple des partis cet « hypercentre » indépendant, « centristes agrariens » qu’il parvint à faire renouer le cendes pays Baltes et scandinaves, trisme avec un score à deux chifDavid Hanley ajoute un troisième fres : 18,6 % au premier tour de clivage opposant« le monde l’élection présidentielle de 2007. urbain à la ruralité ». Le MoDem reste la troisième À l’étroit dans les régimes force du paysage politique français bipolaires, le centrisme derrière l’UMP (27 %) et le PS s’épanouit dans le multipartisme (22 %). Le centrisme autonome de favorisé par les élections François Bayrou n’est pas encore à la proportionnelle. en position de bouleverser le rapSous la Ve République, après port de forces entre les grands parl’effondrement du MRP en 1967, tis de la gauche et de la droite. Il est le centrisme est ravalé au rang à 14points de l’UMP et à 9 points du de force d’appoint vouée à la PS dans un statut qui reste, jusqu’à recherche d’alliances qui lui nouvel ordre, celui de la plus grosse permettront de peser sur la vie des « petites forces » (quatre points politique. Le« centrisme devant les écologistes, six points autonome de Bayrou n’est pas en devant le NPA et le FN). position de bouleverser le rapport de forces entre les grands partis Devenir la deuxième force de la gauche et de la droite », Le paradoxe veut qu’un Franassure Pascal Perrineau. Pour çois Bayrou qui ne cesse de dénonouvrir une brèche électorale lors cer « l’hyperprésidence »et le « poude l’élection européenne, voir personnel »ne puisse compter François Bayrou doit marier que sur l’élection présidentielle et « l’héritage de la vieille tradition l’aventure personnelle consubstandémocrate-chrétienne à une tielle à la candidature à une telle sociologie plusmoderne de élection, pour envisager de« rebatcitoyens aisés, diplômés aspirant tre les cartes »et de passer du statut, à une alternative politique ». certes enviable mais marginal, de Même si on se souvient troisième force à la position de de son bon score à l’élection deuxième force autour de laquelle présidentielle de 2007 (18,6%), la donne politique se réorganise en cette tâche s’avère ardue. profondeur. Jusqu’à maintenant J. A. une telle ambition a toujours
La consultation du 7 juin sera un test sur la capacité de François Bayrou à coaliser un électorat hétérogène.
Les centristes aux présidentielles et aux européennes Jean Lecanuet
18,6 %
VOTE AUX PRÉSIDENTIELLES, en %
François Bayrou
VOTE AUX EUROPÉENNES, en %
15,6 % 20
Alain Poher
23,3 %
15
9,3 %
Simone Veil
10
12 %
8,4 %
6,8 %
5
François Bayrou
0
1965
1969
échoué : Lecanuet fut écarté du second tour en 1965 par un François Mitterrand, candidat de la gauche unie dès le premier tour, Alain Poher, qui avait pourtant atteint le second tour, fut sévèrement battu en 1969 par Georges Pompidou. En 2002, François Bayrou se contenta d’un modeste témoignage. Enfin,
Par Pascal Perrineau *
en 2007, il resta le « troisième homme », certes à un niveau conséquent (18,6 %) mais fut nettement dominé par Nicolas Sarkozy (31,2 %) et même Ségolène Royal (25,9 %). Il espère devenir en 2012 le « deuxième homme » et ne plus
1989
jouer le rôle du supplétif électoral qui jusqu’alors a été le sien. Cela exige qu’il domine le candidat socialiste, ce que seul Alain Poher avait réussi à faire en 1969 mais, à l’époque, le courant socialiste était exsangue. Et même cette éventuelle suprématie électorale n’est pas complètement garante de la victoire finale puisque Alain Poher avait été écrasé (41,8 %) par le candidat de droite, Georges Pompidou.
1999
déceptions est fragile et volatil. C’est souvent un électorat du dernier moment qui marie à la fois l’héritage de la vieille tradition démocrate chrétienne (parmi les départements qui ont offert à Bayrou ses meilleurs scores, on compte beaucoup de terres de forte pratique catholique : Finistère, Ille-etVilaine, Haute-Loire, Pyrénées-Atlantiques, Bas-Rhin, Haute-Savoie) et une sociologie plus moderne où nombre de jeunes électeurs et de citoyens aisés et diplômés disent, dans leur vote, leur volonté d’une « alternative ». Reste à l’homme qui tente de coaliser cet électorat hétérogène à organiser la fidélisation de ses soutiens et à amplifier le ralliement. La tâche est difficile, les législatives de juin 2007 et les municipales et cantonales de 2008 ont montré que le chemin était parsemé d’embûches et d’obstacles. Les européennes du 7 juin s’inscriront-elles dans cette continuité ou marqueront-elles l’ouverture de la brèche électorale pour le leader du MoDem ?
L’électorat du dernier moment Mais il est vrai que la gauche de l’époque était sous influence d’un communisme fort peu sensible aux sirènes du socialo-centrisme. Aujourd’hui l’espace du socialocentrisme est plus significatif : le PCF est marginal, le PS hésite sur ses stratégies d’alliance, des mobilités significatives se sont installées entre l’électorat de gauche et l’électorat centriste : en 2007, sur 100électeurs qui ont voté pour François Bayrou, 40 avaient choisi la gauche en 2002 contre seulement 26 la droite. Cet électorat capable de recueillir les frustrations et les * Directeur du Cevipof.
2002
2004
2007
Source : Cevipof Photo: ©Rue des Archives/AGIP, Sébastien Soriano, Derrick Ceyrac
ÉLECTIONS EUROPÉENNES
La palette centriste dans l’Union européenne Classification réalisée d’après le titre du parti, ou selon les critères des politologues. Les partis membres du PPE (Parti populaire européen) sont exclus. Bulgarie : Dvizenie za Prava i Svobodi (DPS)**. Chypre : Dimokratoko Komma (DIKO) ; Europaiko Komma (EK)*. Estonie : Eseti Keskerakond (EK)**. Finlande : Suomen Keskusta (Kesk)* (agrarien). France : MoDem*; Nouveau Centre. Lettonie : Latvijas Cels (LC) (agrarien)**. Lituanie : Darbo Partija *(DP) ; Liberalu ir Centro Sajunga (LiCS)**. Suède : Centerpartiet* (agrarien). * Membre du Parti démocrate européen. ** Membre du parti ELDR ou groupe Alde du Parlement européen.
A
1
Bayrou ou l’éternel dilemme du centre C’EST d’abord en termes négatifs que le centre se définit;il ne se veut ni de droite ni de gauche. Ces deux pôles idéologiques doivent être pris dans un sens socio-économique. Pour utiliser la terminologie du célèbre politologue norvégien Stein Rokkan, sur la genèse des clivages politiques en Europe au XIXe et XXe siècles, ils sont l’expression d’un clivage fondamental survenu dans le devenir de la société moderne lors de son industrialisation. La droite se portant davantage du côté des possédants, la gauche plutôt du côté de ceux qui n’ont pas de propriété. Traduite sur le plan des partis politiques, la droite rassemble donc les partis conservateurs, voire libéraux ; la gauche est socialiste ou communiste. Ce qui, a priori, laisse peu d’espace au centre, si ce n’est pour devenir un pôle de ralliement – provisoire ? – pour les déçus de droite ou de gauche. D’autres clivages politiques que le seul clivage socio-économique peuvent servir de base pour fonder un parti. Le clivage État/ Église a produit des partis de « défense religieuse », surgis en réponse à l’offensive « modernisante » portée par des partis de type libéral ou radical et devenus progressivement des partis démocrates chrétiens. En fait, quand on parle de centrisme, il s’agit le plus souvent de ces derniers, qui récusent souvent la classification à droite. Forts surtout dans les pays fondateurs de l’Union, les démocrates chrétiens ont une longue expérience gouvernementale depuis 1945. Partisans de l’économie mixte, d’une politique sociale généreuse, comme garante de la cohésion sociale, du dialogue entre partenaires sociaux, ces partis ont une pratique souple qui leur permet de gouverner tantôt avec la gauche, tantôt avec la droite. Ils furent, dès le début, champions de l’intégration européenne. Ce courant fut représenté en France par le Mouvement républicain populaire (MRP). D’autres partis dits centristes trouvent leur origine dans un
troisième clivage qui oppose le monde urbain à la ruralité. En Scandinavie et dans les pays Baltes, les centristes sont surtout des agrariens. De nombreux partis libéraux (LibDems britanniques, FDP allemand), victimes du système électoral de leur pays, qui accuse une forte tendance bipolaire, revendiquent l’étiquette centriste. Dans ces États, l’espace du centre est réduit alors qu’il est sensiblement plus large dans les pays où le multipartisme s’épanouit grâce à la proportionnelle.
Catholicisme électoral Ces différents centristes se retrouvent au niveau européen dans le Parti européen des libéraux, démocrates et réformateurs (ELDR) ou le PDE (Parti démocrate européen) ou le groupe commun au Parlement européen Alde (Alliance des libéraux et démocrates pour l’Europe). La plupart des démocrates chrétiens se retrouvent au Parti populaire européen (PPE), dont le centre de gravité s’est porté vers des positions plus droitières que celles qui étaient les siennes aux origines. Illustration, s’il en est, de la difficulté de bien cerner la réalité centriste. Le MoDem se situe dans la ligne de la Démocratie chrétienne française. Depuis l’effondrement du MRP en 1967, les démocrates chrétiens se sont organisés sous différentes étiquettes, depuis le Centre démocrate de Lecanuet jusqu’à Bayrou. Ces formations ont des traits communs sous leur changement – fréquent – de nom. Ils veulent élargir leur base au-delà du réservoir (en diminution progressive) des catholiques pratiquants, à l’instar de partis frères tel le Centre démocrate humaniste wallon. D’où la disparition de toute référence confessionnelle dans le nom et dans sa doctrine. Hormis cela, leur doctrine politique ressemble pourtant toujours assez bien à l’offre démocrate chrétienne classique. Nonobstant leur volonté de diminuer leur tonalité chrétien-
ne, ils obtiennent de tout temps leurs meilleurs résultats dans les terres classiques du catholicisme électoral. Leurs renforts politiques sont venus (un peu) des courants libéraux ou sociaux-réformistes, notamment pendant les années de l’UDF. Ils ciblent des électeurs proeuropéens surreprésentés dans les couches les plus qualifiées et diplômées de l’électorat. Le grand problème de ce centrisme vient de la nature du système politique de la Ve République, de plus en plus bipolaire quel que soit le niveau d’élection. À supposer que le noyau du vote centriste se situe autour de 8-10 %, le parti a évidemment besoin d’alliances pour peser ; jusqu’ici il a toujours pactisé avec la droite, ce qui lui permettait d’hériter de ministères et de bénéficier de l’absence d’un candidat de droite concurrent dans certaines circonscriptions réservées. Mais la percée de Bayrou en 2007 a mis au jour le paradoxe fondamental du centrisme français et souligné les limites de son éventuelle croissance. Son chef et ses idées peuvent séduire (et mordre sur la gauche et la droite à la fois). Mais comment avoir une majorité parlementaire avec un parti nain, réduit à quatre députés ? L’avenir du centrisme passe par le renforcement du MoDem. Les élections européennes devraient l’aider. Le vrai test sera en 2012. Si Bayrou accède au second tour, tout devient possible. Sinon, le centrisme sera réduit à la portion congrue qui, historiquement, semble être la sienne. DAVID HANLEY de l’Université de Portsmouth
Page réalisée en collaboration avec le Centre d’études de la vie politique française (Cevipof)-Centre de recherches de la vie politique de Sciences Po, dirigé par Pascal Perrineau
Étude politique Figaro-Cevipof 16
mardi 28 avril 2009
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France et Europe: les raisons d’une défiance Deux sondages sont effectués chaque année : au printemps POURCENTAGE DES FRANÇAIS CONSIDÉRANT QUE L’APPARTENANCE À L’UNION EST UNE « BONNE CHOSE » ACTE UNIQUE EUROPÉEN
PREMIÈRES ÉLECTIONS EUROPÉENNES AU SUFFRAGE UNIVERSEL DIRECT
75
TRAITÉ DE LISBONNE
CRISE DE LA « VACHE FOLLE »
74 %
PRÉSIDENCE DELORS À LA COMMISSION EUROPÉENNE
et à l’automne
RÉFÉRENDUM SUR LE TRAITÉ CONSTITUTIONNEL
GUERRE DU KOSOVO
68 EUROPE À 25
EURO
61
54
50 % 47 Source : Eurobaromètres
RÉFÉRENDUM MAASTRICHT
Par Pascal Perrineau *
J. A.
LA FRANCE a longtemps été dans le peloton de tête de l’europhilie. Interrogés dans les années 1970 par l’instrument de sondage européen qu’est l’Eurobaromètre, les Français répondent massivement que« l’appartenance de la France à l’Union européenne est une bonne chose »: ils sont entre 52 % et 68 % à partager cette opinion tout au long des années 1970. Au cours de la décennie 80, le niveau d’europhilie monte jusqu’à atteindre le sommet de 74 % à l’automne 1987. Aux yeux des Français, la présidence Delors (1985) et l’Acte unique européen (1986) ont redonné à l’Europe le visage d’une réalité et d’un avenir désirables. L’embellie dure jusqu’au début des années 1990. En effet, en 1992, la fracture du débat autour du référendum sur Maastricht politise et clive la question européenne qui jusqu’alors relevait d’un consensus mou que les meilleurs observateurs de la question européenne qualifiaient de« consensus permissif ». Les premiers signes d’une érosion durable et régulière se font sentir et, à partir de 1995, ce n’est plus qu’exceptionnellement
que la barre des 50 % d’opinions positives sera dépassée. Un retour éphémère de la confiance européenne est sensible à l’automne 2004 ou encore fin 2007 mais ces sursauts passagers ne changent rien à la perception que l’Europe n’est pas un rempart efficace contre de graves crises sanitaires (épisode de la vache folle) ou le retour de la guerre sur le théâtre européen (conflits et massacres dans l’ex-Yougoslavie). Sur vingtsix mesures de l’opinion effectuées de 1996 à 2008, seules six voient la barre des 50 % d’opinions positives franchie. Dans le contexte général de retour de la confiance que la France a connue en 2007, 60 % des personnes interrogées considèrent, fin 2007, que l’appartenance de la France à l’Union européenne est une bonne chose. La « lune de miel » est brève puisque dès le printemps 2008 la rechute est brutale : en quelques mois, l’appréciation positive de l’appartenance de la France à l’Union européenne passe de 60 % à 48 %. La France est avec la Grèce le pays où la chute de confiance est la plus sévère dans l’UE. L’opinion française se retrouve aux côtés d’opinions de pays traditionnellement plus réticents vis-àvis des vertus de l’Union et taraudés par l’euroscepticisme et l’europhobie : la Finlande (44 %), la Grèce (47 %), la République tchèque (48 %)… Sur les vingt-sept pays de l’UE, la France n’est plus au printemps 2008 qu’à la dix-neuvième place sur cette échelle d’europhilie. On est loin des années 1970 où la France était toujours dans le trio de tête des pays europhiles et même des années 1980 et 1990 où l’Hexagone figurait peu ou prou dans la moyenne européenne. Dans le dernier sondage Eurobaromètre de fin 2008, la situation reste la même : 49 % des Français considèrent que« le fait pour la France de faire partie de l’Union européenne est une bonne chose » (contre 53 % de l’ensemble des Européens qui pensent cela
2008
2007
2006
2005
2004
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2000
1999
1998
1997
1996
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1989
1988
1987
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1982
1981
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Les citoyens français projettent leurs inquiétudes sociales, économiques et identitaires sur l’Europe.
2003
43 %
40
1975
Dans le trio de tête des pays europhiles au cours des années 1970, la France se situe dans la moyenne des États de l’Union. Au tamis de trente ans d’études de l’opinion européenne, Pascal Perrineau montre comment « l’opinion française se retrouve aux côtés d’opinions de pays traditionnellement plus réticents vis-àvis des vertus de l’Union européenne et taraudés par l’euroscepticisme et l’europhobie ». Pour le directeur du Cevipof, l’Europe, « instance de paix et de croissance des trois dernières décennies, est passée au rang de bouc émissaire des difficultés françaises ». Les Français, explique-t-il, utilisent l’Europe comme « un écran noir sur lequel ils projettent leurs inquiétudes sociales, économiques et identitaires ». Rompant avec le « consensus mou », le désamour des Français pour l’Europe fait désormais clivage politique. Celui-ci s’étant fortement manifesté en 2005 lors du référendum sur la ratification du traité constitutionnel de l’Union européenne. Depuis 1979, la chute linéaire de la participation aux scrutins qui ont renouvelé le Parlement au suffrage universel conforte ces évolutions de l’opinion hexagonale. Ainsi, l’élection génère un « vote d’humeur » des électeurs qui entendent sanctionner la politique gouvernementale sans toutefois mettre en péril le pays. Appelant l’électeur à « voter pour ses idées » (Écologistes-Verts, mouvements ruraux tel CPNT) la consultation favorise, outre la multiplication des listes, l’émergence de listes protestataires (extrême gauche) ou de fortes personnalités (Bernard Tapie en 1999) voire le maintien de partis en voie de marginalisation (PCF, Radicaux de gauche).
Les attitudes des Français sur l'appartenance à l’Union européenne
1974
À six semaines du scrutin, les Français font montre d’indifférence à l’égard de l’Union.
1973
ÉLECTIONS EUROPÉENNES
pour chacun de leur pays respectif), 21 % Pour en savoir plus pensent que c’est une « mauvaise chose » (contre 15 % des Européens), 27 % se ralliant – Dictionnaire critique de l’Union européenne, à la position sceptique selon laquelle Yves Bertoncini, Thierry Chopinet al., dir., l’appartenance ne serait« une chose ni bonArmand Colin, 2008. ne ni mauvaise ».Fin 2008, la France est cou– Dictionnaire des élections européennes, pée en deux parts égales : les positions Yves Deloye, dir., Economica, 2005. eurosceptique et europhobique rassem– Parlement puissant, électeurs absents ?, blent 48 % de nos concitoyens, la position Pascal Delwit, Philippe Poirier, dir., europhile en attirant 49 % (3 % se réfugient Ed. de l’Université de Bruxelles, 2005. dans le « sans réponse »). La France reste loin – Le Vote européen 2004-2005, derrière les Pays-Bas (80 %), l’Allemagne De l’élargissement au référendum français, (64 %), la Belgique (65 %), le Danemark Pascal Perrineau, dir., Presses (64 %), l’Espagne (62 %), l’Irlande (67 %) et de Sciences Po, 2005. ne figure qu’à la seizième place de l’europhilie. C’est dans ce contexte de chute de ten- lequel ils projettent leurs inquiétudes sion européenne que vont se tenir les élec- sociales, économiques, identitaires. Partitions européennes du 7 juin. culièrement en France, l’Europe d’instance de projection positive des rêves de paix « Figures du mal » et de croissance dans les trois décennies La crise économique et financière imprè- qui suivirent le Traité de Rome est peu à gne désormais tous les domaines de la vie et peu devenue, pour certains, le « bouc marque tout du sceau d’un pessimisme cer- émissaire » des difficultés françaises. À tain. Mais celui-ci semble battre des records droite et à gauche et particulièrement à dans le cas français. Si déjà 69 % des Euro- l’extrême des deux camps, de nombreuses péens pensent que« la situation de (leur) éco- forces politiques en ont fait une arme stranomie nationale est mauvaise »,ils sont 85 % tégique et l’Europe prend place mainteen France. Si 69 % des Européens jugent« la nant dans l’arsenal des « figures du mal » : situation de l’emploi mauvaise dans (leur) mal bureaucratique, mal néolibéral, mal pays », ils sont 88 % en France. Si 34 % des cosmopolite, mal interventionniste… Européens disent que« d’une manière géné- L’Europe fait clivage et rejoint les figures rale les choses vont en ce moment, dans la de « l’ami » et de « l’ennemi » qui définismauvaise direction dans l’UE »,ils sont 51 % sent le cœur de la politique. Décidément, en France. Si 43 % des Européens sont l’Europe est entrée en politique, elle fait d’accord avec la proposition selon laquelle clivage, le consensus mou et permissif « l’Union nous aide à nous protéger des effets d’antan a laissé la place à un vrai combat négatifs de la mondialisation »(37 % n’étant politique qui partage le pays en profonpas d’accord), ils ne sont que 36 % en France deur. Il s’est exprimé avec force en 2005, il (56 % n’étant pas d’accord). Si 36 % seule- s’exprimera, sur un mode davantage ment des Européens estiment que « depuis mineur, en juin 2009. 2004, l’élargissement a affaibli l’UE»,ils sont 54 % à penser de même en France. (*) Directeur du Centre d’études de la vie Nombre de nos concitoyens semblent politique française (Cevipof)-Centre utiliser l’Europe comme un écran noir sur de recherches de la vie politique de Sciences Po.
L’inexorable chute de la participation au scrutin européen
A
Les abstentionnistes sont de plus en plus nombreux à cette élection : ils sont passés, en vingt-cinq ans, de 37 % des inscrits à 57,4 %.
Page réalisée en collaboration avec le Centre d'études de la vie politique française (Cevipof)-Centre de recherches de la vie politique de Sciences Po, dirigé par Pascal Perrineau.
DEPUIS 1979, date de la première élection du Parlement européen au suffrage universel, la participation électorale hexagonale se réduit comme peau de chagrin. Et les oracles sondagiers sont formels : au soir du scrutin du 7 juin, les abstentionnistes devraient encore constituer le premier parti de France(*). Au terme d’une croissance quasi linéaire depuis trente ans, l’abstention est passée de 37% des inscrits en 1979 à 57,4% en 2004. Désormais, plus d’un électeur sur deux boude les urnes. En 2004, la division du territoire en huit circonscriptions interrégionales, présentée comme un moyen de rapprocher du terrain les eurodéputés, n’a pas enrayé la désaffection des électeurs. Bien au contraire. La descente aux enfers de la participation va en s’accélérant. En tête du palmarès des records d’abstention, la consultation de juin 2004 a aggravé le score de 1999 (53,24 % des inscrits contre 57,4 % cinq ans plus tard).
Convaincus que leur vote ne changera rien, les Français estiment que le Parlement européen reste trop éloigné de leurs préoccupations quotidiennes. Toutefois, la géographie de l’abstention illustre l’opposition entre la France rurale, plus participative, et la France urbaine, plus abstentionniste. Avec des nuances entre départements « bourgeois », plus civiques, et départements « populaires » plus abstentionnistes : en 2004, la participation du Pas-de-Calais était de 28,3%. Fait nouveau : les électeurs ont nettement boudé les urnes en Moselle, dans le Haut-Rhin et le Bas-Rhin, trois départements jusque-là très civiques et très proeuropéens.
Le traumatisme de 2002 Paradoxalement, le scrutin génère un vote d’humeur contre la politique gouvernementale. Cette attitude électorale favorise l’émergence de forces protestataires ou thématiques (extrême gauche, mouvements ruraux, etc.) ; outre la « consécration » d’une personnalité (Bernard Tapie en 1999), elle encourage les velléités d’indépendance des petites formations (Verts, PCF, PRG), qui font alors campagne sur leurs propres thé-
matiques, alors que dans les scrutins purement hexagonaux ces petits partis recherchent des alliances avec des formations hégémoniques, notamment avec le PS. Cependant, le traumatisme de l’élection présidentielle de 2002 a contribué à réduire l’ampleur d’un mouvement où chacun fait campagne sur son programme. En 1999, les listes classées « divers », qui cumulaient 12,4% des suffrages exprimés, ont perdu la moitié de leurs suffrages (6,2 %) cinq ans plus tard. Cette tendance à la bipolarisation entre la gauche et la droite républicaine a laminé l’extrême gauche et Chasse Pêche Nature et Traditions. La gauche en général et le PS en particulier ont tiré les bénéfices de ce face-à-face. Avec 28,9 % des suffrages exprimés en 2004, le PS a assuré l’un de ses meilleurs résultats électoraux, asseyant sa domination sur un PCF marginalisé (5,2 %) et sur les Verts (7,4 %), en recul de deux points sur leur score de 1999. Le scrutin de 2004 a aussi transformé la droite, comparaison faite avec ses résultats de 1999. Certes, elle a pâti de l’affaiblissement des souverainistes à l’étiage : les listes MPF et RPF ont cumulé 8 % en 2004 au lieu
de 12 % cinq ans plus tôt. Cependant, avec 16,8 % des voix, l’UMP a amélioré de plus de quatre points le résultat calamiteux des listes RPR-DL de 1999 (12,5 %). Parallèlement, l’UDF a conforté son implantation, notamment dans des terres étrangères à la démocratie chrétienne (Ile-de-France, Sud-Ouest, Est). Elle a capitalisé 12 % des suffrages quand elle n’en recueillait que 9,2% au scrutin de juin 1999. Cinq ans après sa scission « mégrétiste », et malgré la concurrence des souverainistes, le Front national a reconquis la totalité de l’espace de l’extrême droite (9,8% des suffrages exprimés en 2004, contre 5,7 % des voix exprimées en 1999). Il conserve ses bastions du Nord-Ouest (12,9 %), du Sud-Est et de l’Est (12%). Sans parvenir, cependant, à s’affirmer en Ile-de-France dont la liste était menée par Marine Le Pen. JOSSELINE ABONNEAU (*)Le sondage Eurobaromètre, effectué dans les 27 États membres sur des échantillons représentatifs, État par État entre janvier et février 2009, prévoit une participation de 34 % pour l’ensemble des États de l’Union et de 47 % pour la France.