CLGB • issue 2• MONACO

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Š Hanania & Brunnquell "Black Chalk", 2008



Huh Huh DADA… Et les petits fours. Texte / Crapaud Mlle • Photo / © Crapaud Mlle • Tribute to Diane Arbus :)

L

’art contemporain, aire de liberté, est un lieu d’épanouissement magnifique pour l’intelligence, la sophistication, la contestation, mais parfois, en sortant de certaines expositions on a envie de paraphraser le texte « cuisine ornementale » de Barthes et de parler non pas de ce que l’on aurait dû voir ou ressentir mais des petits fours et de leur glacis, ou, de se contenter juste d’un « ouais bof » noyant l’ennui dans l’ivresse des bulles tout en braillant des onomatopées de fatigue. Alors peut-être pensez-vous qu’il est difficile de s’intéresser à l’art aujourd’hui ? Et bien, au même titre qu’il faut impérativement et définitivement éteindre sa télévision, il faut savoir tourner le dos à certaines galeries dont les motivations sont plus financières que passionnées et chercher son bonheur ailleurs en attendant une vague de départs à la retraite (65 ans à présent : oui c’est dur !) Voilà donc l’idée de ce numéro spécial : une réconciliation ! Les photographes de ce hors-série, hormis le fait d’être géniaux (terme complètement objectif ) ont un imaginaire, ils savent nous raconter des histoires, nous bouleverser, produire de l’étrange, nous faire voyager mais surtout ils savent partager ! Ils nous parlent avec une telle sincérité qu’on a envie de les croire sur parole même s’ils nous disent que Cendrillon a acheté ses chaussures à Pigalle et que son prince est un pervers narcissique qui ne se lave qu’une fois par semaine. De toute façon c’est vrai puisque c’est de l’art ! D’ailleurs revenons-en à l’art… on allait pas laisser la double posologie des stilnox / psychotropes s’en sortir comme ça ! Revenons-en à l’origine de l’art contemporain pour comprendre : à Duchamp donc, car en se référant au dire du critique d’art Pierre Cabanne le XIXe siècle se termine avec Picasso, le XXe commence avec Marcel Duchamp. Dans sa lettre à Hans Richter du 10 novembre 1962, Duchamp déclarait : « Ce Néo-Dada qui se nomme maintenant nouveau Réalisme, Pop Art, Assemblage, etc., est une distraction à bon marché qui vit de ce que DADA a fait. Lorsque j’ai découvert les ready-made, j’espérais décourager le carnaval d’esthétisme. Mais les néo-dadaïstes utilisent les ready-made pour leur découvrir une valeur esthétique. Je leur ai jeté le porte-bouteilles et l’urinoir à la tête comme une provocation et voilà qu’ils en admirent la beauté esthétique. » On a envie de terminer la citation par « ces cons-là » mais les codes de bienséance s’y opposent

fermement ! L’avant-gardisme de Duchamp, son concept (ou pas ?), sa provocation semblent avoir été frelaté par ce que l’on devrait aujourd’hui nommer l’Art du ready-fake ! Tout ceci malgré les avertissements qu’il avait lancés contre une contamination des ready-made alors que lui-même en avait ralenti la production dès 1961. Nous sommes aujourd’hui en droit de nous demander si cette pratique ne se trouve pas à la limite de la syncope masturbatoire. Cela peut être justifié par une opulence de prose, souvent brillante, mais au fond qu’est-ce qu’un« shopping bag » de Sylvie Fleury apportait de plus que le porte-bouteilles de 1914 ? En termes d’»avant-garde» Il semblerait que l’on tourne un peu autour du pot. Autant cette « énigme » faisait débat en 1917, autant à présent il semble qu’elle réponde plus à l’interrogation égocentrique et fantasmée qu’est : « suis-je un artiste ? » Maintenant, on peut toujours ruminer sur le thème des frontières entre art et non-art mais il serait de bon ton de changer de méthode de réflexion (voire de réflexion tout court), celle-ci étant quelque peu épuisée… Du reste, il faudra surement que ce champ de l’art évolue pour que l’on ait à se poser la question à nouveau ; en espérant que ce jour-là, on ait dépassé la notion de socle… Mais pour l’instant, qu’ils ne s’étonnent plus de voir tant de gens tourner le dos à l’art contemporain. Nous ne reviendrons donc pas sur les petits et arrière-petits fils du ready-made mais sur l’essence même de Fontaine : Le Joke, l’humour, la blague ! Car c’est bien de cela dont il est question ! Duchamp était un gamin provocateur en pleine phase du non, chantant, à qui veut bien l’entendre : « à DADA sur mon bidet ». Passons à autre chose, les plaisanteries les plus courtes étant les meilleures… Les photos de ce hors-série seront donc tout sauf des natures mortes hasardeuses :) Elles laissent des portes ouvertes à toutes autres formes d’expression, offrent un regard neuf, un véritable engagement et surtout font une grande place au ressenti cruellement en carence dans cette facette du conceptuel si eighties ! Et puisque cette petite, mais puissante, masse de dinosaures s’y oppose, laissons les stagner dans leurs balises <meta> que même Google.fr a délaissées… Une provocation soporifique n’est plus une provocation, l’art non-affranchi n’est plus de l’art et n’en déplaise à une certaine « élite intellectuelle », tous les Arts appliqués ont leur place dans l’Art !


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05 /// A. COLLINGE ///

© Annie Collinge Série Linda Leven

Texte / Oscar Queciny • Traduction / Frédérique Martin • Photos / © Annie Collinge

A

nnie Collinge fait partie de cette nouvelle génération de photographes, pour qui la photo est une œuvre, intellectuellement pensée, finement composée…à l’opposé des photographes se contentant de prendre des photographies basiques, sans âmes, « fonctionnarisées » à l’occasion d’une commande, souvent institutionnelle. Photographier l’environnement urbain, les personnes telles des caméléons se confondant avec le décor, sublimer les couleurs, les caractères, les (im)perfections, pour une photographie sensible et efficace. C’est ce que réalise la photographe new yorkaise, d’origine anglaise Annie Collinge. Née en 1980 et après avoir suivi des études supérieures à l’université de Brighton, elle s’installe à Brooklyn pour y développer son œuvre créative. Son travail ? Souvent décalé, un clin d’œil au kitsch et une recherche de l’expression la plus juste des personnalités capturées dans son objectif : une captation d’âme. Elle collabore avec de nombreux titres de la presse art & mode, notamment Art world magazine, Bloom magazine, Creative review, Elle décoration, Guardian week-end magazine, Independent review, Modern Painters magazine, Observer magazine, Saturday Times magazine, Sunday Times magazine et Tank magazine. Ses œuvres sont exposées dans de prestigieuses galeries, notamment en Angleterre, en Australie, en Espagne, en Italie, en France, en Malaisie, en Argentine…


06 /// A. COLLINGE ///

+ « ... J’aime explorer

Peux-tu te présenter en quelques lignes ? Je suis née et j’ai grandi à Londres, en Angleterre, mais je vis principalement à New York depuis ces trois dernières années. J’ai obtenu mon diplôme préparatoire à Central St. Martins à Londres et j’ai eu ma licence à l’Université de Brighton en 2002.

Could you tell us about yourself in a few lines ? Your work, your studies, where you live now… I’m was born and brought up in London, England but have lived mostly in New York for the last 3 years. I did a foundation course at Central St. Martins and did my degree at Brighton University, graduating in 2002.

l’interaction

entre le corps

humain et les

objets... » +

Comment es-tu arrivée à la photo ? Au départ, j’étais plus intéressée par le processus du développement ; mon père m’avait acheté une cuve et j’avais transformé notre cave en chambre noire. C’était très excitant de regarder le papier se développer dans la cuve et de voir l’image apparaître. Puis je me suis tournée vers la composition et je me suis rendu compte vers 17 ans que je voulais être photographe. En parallèle, j’ai toujours adoré collectionner des objets en tous genres, donc je pense que cette facette de ma personnalité s’est insinuée dans ma photographie.

morose qui contraste avec des couleurs intenses ; c’est ce conflit que je recherche.

What role does colour play in your work ? Colour plays a huge roll in my work, I think when I first got a medium format camera and started taking colour photographs there was no turning back. I having probably shot about 10 black and white films in 12 years. My work generally has a common theme of a sombre sort of, off mood, contrasted with intense colour, it’s that conflict that I look for.

How did you come to photography ? At first I was more interested in the developing process, my dad bought me a developing tank and made our cellar into a darkroom. I found the whole thing very exciting, watching the paper develop in the tray and seeing what came out on the film. Then I started getting more interested in the composition of things and realised, about age 17 that I wanted to be a photographer. Also, I have always been a collector of objects, so I think that started to creep into my photography.

Quelles sont tes sources d’inspiration ? L’inspiration me vient de toutes sortes de choses mais, en grande partie, elle me vient de mes visites répétées dans les marchés aux puces et les magasins de bricà-brac ; j’y vais presque tous les weekends, ce qui me vaut d’être considérée comme une vieille dame par mes colocataires. J’adore également regarder les photos des autres, des photos trouvées, des livres de photos grand format et même jeter un coup d’œil aux albums des gens sur Facebook. J’ai un côté voyeuriste et fouineur, ce qui fait de Facebook un instrument extrêmement dangereux pour moi ! J’ai tendance à ne pas prêter attention à mes propres conversations pour écouter celles d’autres gens à l’autre bout d’une pièce, ce qui rend mon petit ami fou de rage ! What are your influences and inspirations ? I get inspiration from all kinds of things. Mainly though I like to visit flea markets and junk shops, I go almost every weekend, my flatmates think I am like an old woman. I also love looking at other people’s photography, found photography, coffee table books and even snooping at peoples’ Facebook albums. I’m very voyeuristic and nosey so Facebook is incredibly dangerous for me! I’m constantly tuning out of my own conversations to listen to someone else’s at the other side of the room, it drives my boyfriend crazy. Quelle place donnes-tu à la couleur ? La couleur joue un rôle très important dans mon travail. Je pense qu’à partir du moment où j’ai eu un appareil photo de moyen format entre les mains et où j’ai commencé à prendre des photos couleur, je ne pouvais plus revenir en arrière. Je n’ai probablement pris qu’une dizaine de photos en noir et blanc en douze ans. Mon travail dépeint généralement un contexte à l’ambiance

www.collinge.com

Pour toi, le corps humain serait comme une toile vierge pour l’œuvre picturale ? Non, pas vraiment. Je suppose que je veux toujours ajouter des éléments à mes portraits mais le plus important reste que la personne doit être intéressante ; je pense que cela peut apporter un plus à l’histoire que j’essaie de créer. En revanche, je crois que je tends à penser les mannequins de mode comme des toiles vierges, mais mon travail consiste principalement à prendre des photos de gens ordinaires. Parfois le visage de la personne n’est pas dans le cadre car je préfère le mystère de ne pas connaître l’identité du modèle et le fait que le spectateur doive se faire sa propre opinion de temps à autre.

Do you see the human body as a blank canvas ? No not really, I suppose I do always want to add things into my portraits but its important for me that the person is also interesting, I think that can add to the story you are trying to create. I sort of think of fashion models as blank canvasses, and my work is mostly of normal people when I shoot people. Sometimes the face isn’t in the photographs as I sort of prefer the mystery of not seeing their identity sometimes and the viewer making up their own mind about the person.

Le déguisement/stylisme vampirise le modèle jusqu’à, parfois, le faire disparaître ? Que veuxtu exprimer par-là ? Je dirais que quand quelqu’un prend des photos, en particulier comme les miennes, elles parlent plus de moi que de leur sujet en tant que tel. Quand je les regarde toutes ensemble, je me vois complètement dedans. Je crois que j’ai toujours utilisé l’humour pour cacher certains moments malheureux de ma vie et c’est ainsi que j’exprime ces expériences de manière créative. J’utilise les objets et les gens pour exprimer mon impression d’une situation donnée. Je me rappelle avoir vu Sally Mann à une conférence l’année dernière à Londres où elle parlait du fameux portrait de J P Morgan par Edward Steichen ; c’est un très bon exemple du pouvoir qu’a un photographe sur son modèle : Morgan est assis sur une chaise dont les accoudoirs sont en métal et la manière dont la lumière tombe sur lui donne l’impression qu’il brandit un couteau vers l’appareil photo. La photo fut prise en

quelques minutes mais elle l’a entaché de la réputation de capitaliste sans-cœur pour le restant de sa vie. C’est assez incroyable mais Steichen avait manifestement ce point de vue et l’a complètement exprimé dans cette photo alors que Morgan n’en avait pas du tout conscience pendant la pose.

The disguises and styling you use often overwhelm the models, sometimes to the point that they disappear. What are you trying to express by this ? I would say that when you make photographs, particularly like mine, they are more about you than the subject. When I look at them all together I can completely see myself in them, I think I have always used humour to mask some unhappy points in my life and this is how I have expressed these experiences creatively and used the objects and people to act out my impression of a situation. I remember going to see Sally Mann give a talk last year in London and she talked about the famous portrait of J. P Morgan by Edward Steichen, it’s a very good example of how much power the photographer has over the sitter. For those not familiar with the picture ; Morgan is sat in a chair with metal arms and the way the light is falling on it looks like he is brandishing a knife at the camera. The shot was taken is only a few minutes but it tarred him with the «cut throat capitalist» brush for the rest of his life. It’s amazing that obviously Steichen had this view and has completely expressed this in the photograph with Morgan completely unaware during the sitting.

En même temps on ressent un fort sentiment de contrainte dans le vêtement, peut-on y voir un rapprochement avec certains codes vestimentaires religieux comme le tchador ou la burqa ? Non, je ne pense pas que la religion ait quoi que ce soit à voir avec mon travail. J’ai reçu une éducation totalement non religieuse donc je ne pense pas qu’elle ait même pu pénétrer mon subconscient d’aucune façon. Ceci étant dit, je viens juste de finir un shooting photo en quelque sorte basé sur les habits religieux, en collaboration avec les directeurs artistiques Jiggery Pokery, qui est publié dans le dernier 125 Magazine, mais c’était une commande donc je ne dirais pas que c’est un thème constitutif de mon travail personnel.

The clothes you use seem to constrain, is there a link to religious dress codes like the chador or the burka ? No, I wouldn’t say that religion has anything to do with my work. I have been brought up completely non religious so I’m not sure it has even entered my subconscious in anyway. Having said that, I have just shot a story sort of based on religious costumes with art directors Jiggery Pokery which is in the latest 125 Magazine, though that was commissioned so I wouldn’t say it was a theme in my own work.

Tu joues beaucoup sur la dualité personnage / décor, chacun devenant à la fois l’autre... les deux visages de Janus, comme un pont entre le passé et le présent, l’inerte et le vivant ? J’aime explorer l’interaction qu’il y a entre le corps humain et les objets. J’imagine que l’on peut percevoir le fait que j’aime utiliser le corps humain comme un objet dans une nature morte, mais j’aime aussi humaniser les objets inanimés, donc vous avez peut-être raison !

You play a lot on the notions of person and scenery - one keeps becoming the other. Just as the two faces of Janus link past and present, are you trying to build a bridge between the inert and the living ? I like explore the interaction between the human body and objects. I suppose there is a certain sense that I like to use the human body as an object in a still life, but I also like to anthropomorphise inanimate objects, so there’s maybe something to your theory !

On ressent une ambiance très enfantine dans ton travail, comme si l’on avait surpris une scène de jeu et fait un arrêt sur image… Quelle place tient le « joke » dans ton travail ? Comment le définis-tu ? C’est une observation très juste de mon travail. En tant qu’adulte, je me rends compte à quel point les illustrations de livres et les jouets que j’ai eus enfant ont influé sur mon travail actuel. Je crois que les livres que vous gardez en mémoire pour toujours sont ceux aux nuances sombres, ceux qui vous ont un peu fait peur dans votre enfance. L’un de mes livres préférés était le classique Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry ; bien qu’il contienne toutes ces merveilleuses illustrations pleines de couleur et une histoire très imaginative, c’est plutôt un conte sombre et triste.

Sometimes in your work it seems like someone has interrupted a childish game in full flow and pressed pause… To what extent should your work be regarded as playful ? How would you define this aspect of your work ? Yes, I think that is a very fair observation of my work. In my adult life I realise how much the illustrations in books and toys I had as a child have influenced my work now. I think the books you always remember, are the ones with the dark undertones that you were always left a little scared of. One of my favourites was the classic, The Little Prince by Antoine de Saint-Exupéry ; although it has these wonderful colourful illustrations and a very imaginative story-line, it’s really such a dark and lonely story.

Quels sont tes projets à venir ? J’espère travailler sur un projet de portrait de l’artiste Julie Verhoeven à propos d’elle, de ses objets et de son œuvre. Je suis également sur un petit projet de nature morte à partir des perruques de poupées aux cheveux humains que j’ai trouvées dans un marché aux puces à New York et je continue aussi mon projet avec Linda Leven car j’espère, à un moment donné, faire un livre des images que j’ai prises.

What are your next projects ? I am hopefully working on a portrait project of artist Julie Verhoeven about her, her objects and artwork. I’m also doing a small still life project based of some human hair doll wigs I found at a flea market in NY and also continuing my project with Linda Leven as I hope to at some point make a book of the pictures.

Annie Collinge


07 /// A. COLLINGE ///

© Annie Collinge Série Project with Sarah May


Disponible chez

29 rue de Millo, 98 000 Monaco. TĂŠl : +377 97 77 54 54 Open monday to saturday - 09h00 am 01h30 pm - 02h30 pm 07h00 pm www.lull.mc


09 /// A. DELORME ///

Totem #9, ©Alain Delorme 2010, courtesy Galerie Magda Danysz

Texte / Oscar Queciny • Traduction / Frédérique Martin • Photos / © Alain Delorme

P

rimitive, c’est ce que nous pourrions dire de notre civilisation industrialisée. Des enfants que l’on veut parfaits, tels des gravures de mode (« Little Dolls »), des individus sous le poids de la surexploitation du commerce (« Totems »), soumis à une effrénée consommation, sont au cœur de l’œuvre du photographe français Alain Delorme. Des hommes, des icônes, des totems…Un univers aux consonances primitives donc. Et du primitivisme il y en a, dans une société qui déforme l’image à l’extrême pour l’idéaliser, ou qui surexploite la force humaine. Ces individus de pays émergeants à l’économie courant après un capitalisme qu’ils ont jadis idéologiquement combattus, sont comme des bêtes de somme, chargées à l’extrême…pour survivre… ou mourir ! Avec un humour décalé sur ce fait de société, entre tradition (dés)ordonnée et modernité anarchique. Des images retravaillées, avec des fardeaux surmultipliés et exagérés, frôlant de leur instable équilibre, l’absurde de ce monde en total déséquilibre…précaire. Né en 1979, titulaire d’une maîtrise des sciences et techniques en photographie (Université Paris VIII) et diplômé des Gobelins (section photographique de l’école de l’image à Paris), il développe son travail artistique depuis le début des années 2000 et particulièrement depuis 2006. Un travail basé sur la prééminence des couleurs et sur l’aspect absurde des choses, qu’il expose notamment en France (Galerie Magda Danysz), au Japon, aux Pays-bas…


10 /// A. DELORME ///


11 /// A. DELORME ///

Totem #1, ŠAlain Delorme 2010, courtesy Galerie Magda Danysz


12 /// A. DELORME ///

+ « ... Exagérer

la réalité peut

Peux-tu te présenter en quelques lignes ? Alain Delorme, né en 1979, photographe basé à Paris. J’ai obtenu le prix Arcimboldo en 2007 (prix de la création numérique) pour ma série Little Dolls. Mon travail est représenté par la galerie Magda Danysz à Paris.

aussi susciter la

réflexion... » +

Could you tell us about yourself in a few lines ? I was born in 1979. I am a photographer who’s based in Paris. I was awarded the Arcimboldo Prize in 2007 (in digital creation) for my series Little Dolls. The art gallery Magda Danysz in Paris represents my work.

Comment es-tu arrivé à la photo ? J’ai commencé à faire des photos il y a une quinzaine d’années… Au lycée, je faisais du skateboard et il se trouve que j’avais un ami qui en faisait très bien. J’ai voulu faire des photos de ses sauts comme on en voyait dans les magazines spécialisés. Il me fallait un appareil équipé d’un moteur pour pouvoir faire des séquences. Je me suis acheté un Minolta 7xi qui prenait trois images à la seconde. Et c’est comme ça que j’ai eu mon premier reflex. Dans le même temps, en cours de 1ère, j’ai découvert lors d’un TP de physique/chimie le principe de l’agrandisseur et du développement de films argentiques. Comme il y avait tout le matériel à disposition, avec un ami nous avons monté le club photo du lycée.

How did you come to photography ? I started taking photos about fifteen years ago… In high school, I used to do skateboarding and one of my friends was very good at it. I wanted to take photos of his jumps like those you see in skateboard magazines. I needed a camera equipped with a motor so I could make sequences. I bought myself a Minolta 7xi that could take three images a second. And that’s how I got my first single-lens reflex camera. In the meantime, in my lower sixth form, I discovered the principle of enlargement and of non-digital film development during a physics and chemistry exercise. As all the equipment was available at any time, I set up a photo club with a friend at school.

Quelles sont tes sources d’inspiration ? Il y en a tellement, disons que là tout de suite, je vous dirais que j’aime bien le travail de Peter Beard. Ses carnets sont tout simplement magnifiques. J’ai été également très influencé par des photographes tels que Lawick & Muller, Aziz et Cucher… tous des artistes travaillant sur le corps mutant/l’hybridation des corps. J’apprécie également beaucoup le style d’autres photographes, qui n’ont pas pour autant eu d’influence sur mon travail : Gilbert Garcin, Desiree Dolron, etc. Who are your inspirations ? There are so many of them! Let’s say that, at the moment, I really like Peter Beard’s work. His notebooks are just beautiful. I have also been influenced by photographers such as Lawick & Muller, Aziz and Cucher…They are all artists who work with the body as a mutant or a hybrid. Though I also like a lot other photographers who haven’t influenced my work : Gilbert Garcin, Desiree Dolron, etc. Peux-tu nous parler de Totems ? Je voulais simplement donner ma propre vision de la Chine à l’heure de l’Exposition Universelle, au-delà des clichés traditionnels. Nous avons tous à l’esprit des images de foule, qui travaillent dans de grandes usines, par exemple. Je voulais donc mettre l’accent à l’inverse sur l’individu. De même, nous voyons habituellement Shanghai comme le New York de la Chine. C’est la ville la plus capitaliste du pays, où l’écart entre les riches et les pauvres est énorme. Pour une fois la primauté ne va pas aux gratte-ciel, mais aux

www.alaindelorme.com

migrants, qui sillonnent sans cesse la ville avec leurs fardeaux improbables. Pour moi, ils sont encore plus impressionnants. Les totems sont ainsi hautement symboliques : le migrant apparaît au premier abord un peu comme un super héros pour être en mesure de porter un tel chargement. Mais très vite nous avons le sentiment que les objets menacent plutôt de l’engloutir, qu’il est submergé par la multiplication du même ... tout comme le consommateur ? Mais nous pouvons voir dans mes photos d’autres questions. Je romps les règles du genre documentaire, par exemple: nous pouvons avoir le sentiment d’abord que l’image est réelle, mais en fait, les chargements sont exagérés pour attirer l’attention. Maintenant, avec Photoshop, nous sommes de plus en plus amenés à nous interroger sur ce qui est réel ou non dans une photo. Parfois même des images de reportage sont retouchées pour paraître plus propres, plus belles. Nous ne le réalisons pas nécessairement au premier abord, et cela pose 2 questions : comment pouvons-nous distinguer le faux du vrai ? Quelles sont les limites, quand la recherche d’une esthétique parfaite commence à cacher une partie de la réalité ? Exagérer la réalité peut aussi susciter la réflexion... c’est ce que j’essaie de faire avec mes totems. Et j’espère que les gens verront beaucoup plus de choses dans mes images, comme le fait que je montre les petits métiers da la ville de Shanghai, qui disparaitront bien un jour ou l’autre...

Can you tell us about Totems ? I just wanted to give my own vision of China at the time of the World Expo, beyond traditional photographs. For instance, we all have in mind images of masses of people working in big factories. I wanted to go in the opposite direction and focus on the individual. People also usually regard Shanghai as the New York of China. It is indeed the country’s most capitalist city, where the gap between rich and poor is huge. For once, the stress is not on the skyscrapers, but on the migrants who walk the length and breadth of the city with incredible loads. In my opinion, these migrants are even more impressive. My totems are therefore highly symbolic: the migrant appears in the first place like a superhero able to carry around this kind of load. But, very quickly, we have the feeling that the objects he is carrying are about to swallow him up, that he is overwhelmed by them… just like the consumer is. But you can see other questions raised in my work; for example, I break with the rules of the documentary genre as the loads the porter lifts are exaggerated in order to draw people’s attention, even though we could have the first impression that the picture is real. Nowadays, with Photoshop, we are more and more led to question what’s real or not in a photo. Sometimes, even photos from reports are touched up to look cleaner, more beautiful to the eye. We are not aware of it immediately, which brings about two questions: How can we distinguish truth from falsehood? What are the limits when the quest for perfection begins to alter reality? To amplify reality can also be thought provoking; that’s what I’m trying to do with my totems. And I hope people will see many more things in my images, like the fact that I’m showing the small jobs of Shanghai, the ones that will disappear one day or another.

été les différentes étapes de cette série ? J’ai eu cette idée lors de ma résidence artistique à Shanghai. Quelques jours après mon arrivée, j’ai ressenti comme une sensation de vertige, une nausée due à l’effervescence constante de la ville et à sa stimulation permanente de tous les sens. Cela m’a donné l’idée de créer une série sur l’accumulation. J’ai été également frappé par la sensation d’une Chine à 2 vitesses, oscillant entre l’éclatante modernité de ses tours et la simplicité – voire le dénuement – d’une partie de sa population dans les rues. Les chargements impressionnants des migrants me sont alors apparus comme une parfaite illustration de ces deux phénomènes et un bon angle pour aborder la question de l’accumulation/consommation.

The photo entitled Totem #1 is behind the project; can you tell us more about it? What were the different stages of this series ? I had the idea of Totems when I was artist in residence in Shanghai. A few days after I arrived, I felt kind of dizzy, sick with the constant turmoil of the city, the endless stimuli coming from all directions. That’s how I set my mind on a series on accumulation. I was also struck by the feeling of a two-tier China, fluctuating between the glorious modernity of its high buildings and the simple lives – even the deprivation – of some of the people in the streets. The impressive loads that the migrants carry around appeared to me like the perfect way to illustrate these two aspects, and also a good angle to raise the question of accumulation/consumerism.

Les couleurs vives des photos entrent en contraste avec ce que doit-être le quotidien de ces porteurs… Pourquoi ce choix ? Les couleurs font partie de mon style bien sûr, et permettent de souligner le contraste avec une certaine forme de réalité. Néanmoins, j’ai conservé de nombreuses couleurs de la ville, comme les murs bleus par exemple, qui sont omniprésents là-bas et servent à cacher les bâtiments en construction. Ces murs bleus ont également joué le rôle du fond vert en vidéo, notamment pour changer les couleurs, etc. Il faut savoir que ces murs étaient de la couleur de la mascotte pour l’expo universelle de 2010. Pour le gouvernement, ces murs bleus servent à cacher certaines zones de Shanghai qui serait traversé par les touristes durant cet événement.

The bright colours of the photos contrast with what the everyday life of these porters must be like… Why this choice ? Colours are part of my style of course, and enable to stress the contrast with a certain form of reality. Nevertheless, I kept a lot of the colours of the city, like the blue walls for example, that are omnipresent there and are used to hide construction sites. These blue walls functioned like the green background you find in video, especially when changing the colours… It must be said that these walls were the same colour as the mascot for the 2010 World Expo. For the government, these blue walls were very useful to hide certain areas of Shanghai so tourists could pass through them during the Expo.

Est-ce pour toi une autre vision du héros ? Au La photo intitulée Totem #1 est à l’origine du projet, peux-tu nous en dire plus ? Quelles ont

premier abord, ces migrants apparaissent effectivement comme des héros, pour être à même de por-

ter de tels chargements. À ce titre, ils mériteraient de figurer dans le Guinness book ! Mais on réalise très vite qu’ils sont comme avalés par tous ces objets… Mon objectif était ici moins de dépeindre une figure de héros que de questionner à travers la Chine notre société de consommation. D’une certaine manière nous sommes les serviteurs de tous ces objets que nous désirons et que nous souhaitons posséder, encouragés par la publicité. Nous sommes constamment à la recherche de quelque chose de nouveau. Même si nous sommes dans une quête de valeurs plus essentielles, je crois que nous restons une société très matérialiste.

Is it for you a different vision of the hero ? At first, these migrants indeed look like heroes, powerful enough to carry such loads : they deserve to be in the Guinness Book of Records ! But you quickly realize that all these objects are engulfing them. My aim was less to depict the figure of the hero than to question our consumer society through China. In a way we are the servants of all these objects that we desire and wish to own, prompted by adverts. We are constantly looking for something new. Even though we are all in pursuit of more essential values, I think that we remain a very materialistic society.

Contrairement au documentaire qui se doit d’être objectif, Totems surprend par une réalité augmentée. Quelle signification donnes-tu à cette accumulation ? Penses-tu que seule la démesure puisse encore faire réagir ? Non, simplement je me sers ici d’une imagerie populaire : nous sommes nombreux à avoir déjà vu, au moins en photo, ce type de chargements, donc en voir un simple reflet de la réalité n’aurait certainement pas le même impact. Dans ce cas précis, jouer sur l’accumulation permet d’offrir un nouveau regard à cette imagerie et de questionner sur sa symbolique. Au-delà, cela amène à s’interroger sur le genre documentaire, dont j’en emprunte les codes, et sur ses limites : dans quelle mesure pouvons-nous jouer sur la réalité pour susciter le questionnement ?

Contrary to a documentary that tends to be unbiased, Totems take the viewer by surprise with its augmented reality. What is the meaning behind this accumulation ? Do you think that only excessiveness can make people react now ? No, I’m simply using well-known imagery: a lot of us have already seen, at least in a photo, these kinds of loads, so just being confronted with a mere reflection of reality wouldn’t have had the same impact. Here, playing with the accumulation is exactly what enables me to shed new light on this imagery and to question what it symbolizes. Beyond that, it leads us to wonder about the documentary genre, of which I borrow the codes, and about its limitations: to what extent can we play with reality to get the viewer to ask questions ?

Hauteur démesurée, équilibre précaire, quantité exponentielle : est-ce une métaphore du regard que tu portes sur l’économie chinoise actuelle ? Mon sujet porte bien sûr sur la Chine actuelle, sur ses contradictions, mais aussi sur sa capacité à se réinventer constamment : ce pays communiste, devenu usine du monde, est à présent le nouvel eldorado de l’économie de marché. Mais c’est surtout le moyen de faire réfléchir sur la société de consommation via le phénomène du « made in China », tous ces objets identiques et interchangeables produits en grande quantité.

Extreme heights of the loads, precarious balance, exponential quantities: Is it a metaphor for the light you want to shed on the current Chinese


13 /// A. DELORME ///

Totem #3, ©Alain Delorme 2010, courtesy Galerie Magda Danysz

economy ? My topic is about China nowadays of course, about its inconsistencies, but also about its capacity to constantly reinvent itself: this communist country that has become the world’s factory is now the new Eldorado for the market economy. But it is above all a way to make people think about the consumer society we live in via the ‘Made in China’ phenomenon, with all its identical and exchangeable objects produced in big quantities.

Quelle place tient le « joke » dans ton travail ? Comment le définis-tu ? Joker… Il n’y a pas vrai-

as playful ? How would you define this aspect of your work ? Mmm. There is no joke really, only

ment de blague, juste parfois des situations cocasses qui peuvent faire sourire : fil de linge dans la rue, chiens, jeu de regards… toutes choses qui existent vraiment d’ailleurs, toutes ces images reposant sur ce que j’ai photographié à Shanghai.

sometimes comical situations that may bring a smile to your face: clothes lines across the street, dogs, exchanges of looks… all those things really exist as a matter of fact, all the images come from what I really saw and photographed in Shanghai.

To what extent should your work be regarded

Quels sont tes projets à venir ? Je prépare actuelle-

ment mes prochaines expositions et termine des projets que j’avais entamés avant Totems. On verra bien si je décide de les montrer un jour…

What are your upcoming projects ? I am getting ready for my next exhibitions and I am finishing some projects that I had started before Totems. We’ll see if I actually get to show them one day…

Alain Delorme


14 /// N. HARRIS ///

Texte / Oscar Queciny • Traduction / Frédérique Martin • Photos / © Naomi Harris

L

a banalité vecteur de liberté ? Peut-être… Du moins la liberté sans artifice qu’immortalise la jeune photographe canadienne Naomi Harris. Avec un état d’esprit distancié, une démarche proche du sociologue qui dissèque une pratique sociétale, Naomi Harris crée du lien par ses photographies, en immersion ethnologique. Après des études en photographie documentaire à l’international center of photographs, elle s’installe à New York pour développer ses projets artistiques. Rapidement elle se délocalise 2 ans ½ à Miami Beach pour réaliser des prises de vues puis se lance dans la réalisation de son premier travail monographique, consacré aux libertins dans la classe moyenne américaine. En 5 ans et de nombreuses soirées où l’ennui semble banni, elle livre son regard, en images, sur un monde sans fard et hédoniste au quotidien, dans une Amérique qui se donne un visage puritain. Ici, elle s’intéresse aux darons dans leur plus simple appareil, dont elle remarque que « ces gens ont définitivement une vie sexuelle bien plus épanouie que la notre ». Un regard acerbe et humoristique qu’elle décline dans ses divers clichés aux sujets sulfureux ou sages, quotidiens ou luxueux d’une population US célèbre ou inconnue, en immersion dans son environnement : un monde coloré et optimiste. Outre sa monographie « America swings » éditée chez Taschen, elle publie régulièrement pour de prestigieuses revues, dont Fortune magazine, GQ, Guardian weekend magazine, Life magazine, London observer, London Telegraph magazine, Marie Claire, Neon magazine, New York magazine, Newsweek, Sport illustrated, Time magazine, Vanity fair…


15 /// N. HARRIS ///

Š Naomi Harris


16 /// N. HARRIS ///

+ « ... Je pose un regard

humoristique sur les

Peux-tu te présenter en quelques lignes ? Je suis originaire de Toronto, Canada. Je vis à présent à Brooklyn, New York, USA. Enfin, en ce moment, je vis dans ma voiture pour mon projet actuel The Maple Highway (www.maplehighway.com) et je dors à droite à gauche grâce à la gentillesse d’inconnus qui m’accueillent chez eux ! Pour ce qui est de mes études, j’ai fait les beaux-arts à l’Université de York à Toronto. Ma spécialité était l’impression mais j’utilisais beaucoup de photos faites par d’autres pour mes impressions donc j’ai décidé de suivre des cours de photos en troisième année. C’était très basique. Mais au retour d’un voyage en Europe cet été-là, j’ai développé les photos que j’avais prises sur place et je me suis dit : « Oh, ça me plaît ! Je pourrais en faire mon travail ». Who are you ? Tell us about your work, your studies, where you live now, etc. I am originally from Toronto, Canada. Now I live in Brooklyn, New York, USA, but I’m currently living out of my car, going from one place to another, relying on the kindness of strangers, for my current project (The Maple Highway on www.maplehighway.com). I studied fine arts at York University in Toronto. My major was printmaking but I used a lot of other people’s photographs for my printmaking so I decided to take a photography class in my third year. It was very basic. But I went to Europe that summer and took pictures, and when I came back and developed my films, I thought « Oh, I like this! This is more like a possible occupation than being a printmaker ».

Comment y es-tu arrivée ? Je visitais une amie à New York et je suis allée au Centre International de la Photographie. Il y avait une annonce dans leur Newsletter pour un programme d’un an de photographie documentaire et il me restait un mois pour monter mon dossier avant la date limite. Il fallait faire un reportage photo et je ne savais même pas ce que cela voulait dire ! Je suis rentrée à Toronto et je suis allée prendre des photos chez un boucher casher près de chez moi ; j’y ai passé quelques jours à les photographier couper la viande. J’ai postulé pour le programme et ai été prise. Le reste appartient à l’histoire ! Parce que je suis canadienne, j’ai pu obtenir un visa, puis un autre, et j’ai finalement décroché la carte verte.

How did you come to photography ? I went to NY to see a friend and went to the International Centre of Photography ; they had an advert in their newsletter for a one-year documentary photography programme and the application deadline was one month off. I needed to make a photo essay ; I didn’t even know what that meant. So I got home and went to a kosher butcher’s near my house : I spent a few days there photographing them cutting meat. I applied and got into the school. And the rest is kind of history. Because I am a Canadian, I was able to get a visa and another visa, and I ultimately got my green card and that’s how I got into photography.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de photographier les Swingers ? Qui sont-ils ? Je suis partie vivre à Miami pour photographier Haddon Hall, le dernier hôtel qui fournit des repas aux personnes âgées de South Beach. Quand je ne travaillais pas, j’allais à Haulover Beach, une plage où les maillots de bain ne sont pas obligatoires. Je ne me considère pas nudiste mais il y a un temps et un lieu pour tout et je trouve assez naturel d’être nue sur une plage. Quoi qu’il en soit, c’était en janvier 2000. Beaucoup de nudistes sur cette plage étaient également des swingers et j’entendais régulièrement des conversations du genre : « Tu es allé à la soirée de la semaine dernière ? » ou « Tu y vas ce soir ? » Je m’asseyais toujours avec les mêmes

www.naomiharris.com

choses de la vie... » +

personnes parce qu’en tant que femme seule ça paraissait moins risqué d’être avec un groupe. En mars 2002, j’étais prête à repartir sur NY quand un des types du groupe, qui savait que j’étais photographe vu que je prenais des photos sur la plage nudiste, m’invita à venir à l’une de ces fêtes. Il me dit « Il faut que je sois accompagné. Et puis, ça ne t’engage à rien et je suis sûr que tu vas trouver ça intéressant ». Alors j’y suis allée ! C’était tellement drôle. Tous ces gens à la fête auraient pu être mon dentiste, mon comptable, ma voisine… Dans la quarantaine ou la cinquantaine, ils n’étaient pas attirants, plutôt très ordinaires, mais ils étaient accoutrés avec des tenues incroyablement sexy, les femmes juchées sur des hauts-talons de stripteaseuses et les hommes moulés dans des t-shirts brillants. La scène était vraiment cocasse. Il y avait un grand buffet et les gens mangeaient de la viande et des pommes de terre pour ensuite filer vingt minutes plus tard dans une backroom pour faire l’amour. C’était si bizarre. L’endroit se trouvait dans un horrible centre commercial désert. Je ne savais pas si quelqu’un avait déjà photographié ça avant donc je me suis dit que j’allais le faire. Je n’ai réellement commencé le projet qu’un an et demi plus tard en retournant à une fête en juillet 2003. En tout, j’ai travaillé sur le projet sur une période de plus de cinq ans, tout en travaillant sur des contrats en parallèle. La dernière fête à laquelle j’ai assisté eut lieu en janvier 2008.

What made you want to photograph the Swingers ? Who are they ? I moved to Miami where I was photographing Haddon Hall, the last hotel that catered to the senior citizens of South Beach. When I wasn’t working, I would go to Haulover Beach, a clothing optional beach. I wouldn’t call myself a nudist but there is a time and place and it seems right to go to beaches in the nude. Anyway, that was January 2000. Many of the nudists there also happened to be swingers and I would hear these conversations like « Oh, did you go to that party last week ? » or « Are you going tonight ? ». I always sat with the same people because as a young single lady it was safer to sit with a group. Just before I was about to leave in March 2002, one of the guys in the group who knew I was a photographer (as I was taking photos on the nude beach) invited me to come along to a party. « I can’t go alone » he said, « no strings attached, but I think you’ll find it interesting » so I went ! It was just the funniest thing. All those people at the party looked like my dentist, my accountant, my neighbour… They weren’t sexy people, they were in their 40s or 50s, really ordinary regular people, but they were dressed in these crazy sexy outfits, with the women wearing next to nothing with stripper high-heel shoes and the men wearing shiny shirts. It was a very funny scene. There was a big buffet with everyone eating meat and potatoes and then, 20 minutes later, going to the back room and having sex. It was such a bizarre scene. The place was in a horrible deserted strip mall. The whole thing was weird and funny, I didn’t know if anyone else had photographed it before so I thought « I’ll do that ». It took me about a year and a half before I actually started doing the project. The first party I went back to was in July 2003. Altogether, I photographed over 5 years while working on assignments at the same time. The last party I shot was January 2008.

Peut-on parler de ton travail comme d’un documentaire décalé ? Pour moi, ce projet est purement

documentaire en incluant des portraits. Je documente ce qu’il se passe. Je considère ce projet comme un projet documentaire photo mais comme les photos ne sont pas sexy, il a fallu que je le retire de mon site internet car je perdais des contrats ; sous prétexte que j’avais fait un projet sur les swingers, sur le sexe, certaines personnes n’ont pas aimé ce qu’ils ont vu parce que c’était trop réel : ces swingers ne sont pas jeunes, ni séduisants, mais c’est la réalité de ce milieu ! Contrairement à Terry Richardson (dont j’apprécie le travail), je ne peux pas photographier des gens qui font l’amour et ensuite travailler sur une campagne pour des boissons alcoolisées ! Tout ça parce que je photographie des gens réels et que nous ne voulons pas voir cet aspect de la réalité.

Can your work be regarded as some sort of twisted/unconventional documentary ? To me, it’s purely a documentary project with portraiture involved. I am documenting what’s going on. I considered the project to be a photo documentary project but because it’s not sexy I had to take it off my website because I was losing work : because I shot a project about swingers, about sex, some people didn’t like what they saw because it was too real : those people are not young, not attractive but it’s reality ! Unlike Terry Richardson (whose work I like), I can’t shoot people having sex and then get a liquor campaign ! This is because I shoot real people and we don’t actually want to see that part of reality.

Comment travailles-tu ? Seuls les portraits sont mis en scène. Tout le reste est ce qu’il se passe devant mes yeux, tel que ça arrive. Je devais tout d’abord obtenir la permission des organisateurs des fêtes mais une fois que c’était fait je pouvais aller où je voulais. J’étais très honnête : j’avais un appareil photo imposant équipé d’une grosse lumière, donc je ne passais pas inaperçue! Je demandais toujours en premier et faisais signer une décharge à chaque personne photographiée. Lorsqu’il y avait un thème, je me déguisais ; j’y allais parfois nue ; je faisais autant que possible partie du groupe sans pour autant en faire partie (je n’ai pas couché avec les participants) ! Les gens étaient très à l’aise en ma présence. Certaines personnes ne souhaitaient pas être prises en photos mais elles avaient toutes de bonnes raisons : l’un était chef d’établissement scolaire, un autre en plein divorce s’inquiétait que sa femme l’apprenne et l’utilise contre lui pour la garde des enfants. Je n’avais aucun problème avec ça. J’ai un grand respect pour tous ceux qui m’ont laissée les photographier et pour ceux qui ne l’ont pas fait car tous m’ont parlé quoi qu’il arrive ; je n’ai jamais été mise à l’écart.

What are your working methods ? Only the portraits are staged. Everything else is what’s going on in front of me as it happened. I had to get permission from the organisers first but when that was done, I could go where I liked. I would be very honest : I had a big camera with a big light on it, so I couldn’t hide ! I always asked first and got model releases from everyone I photographed. When there was a theme, I would dress up ; I would go nude at some parties ; I was as much part of the group without being part of the group (I didn’t have sex with the participants)! People were very comfortable around me. Some people said they didn’t want to have their photo taken but they had very good reasons like being the prin-

cipal of a school or being in the middle of a divorce and afraid their wife could take their kids away. I had no problem with that. I have tremendous respect for whoever did let me photograph them and for those who said no because they would still talk to me, I wasn’t ostracized.

Qu’as tu pensé ou appris de ce style de vie ? Ce sont des gens tout à fait normaux. Ce que j’ai remarqué et qui m’a quelquefois surprise, c’est qu’ils sont en général blancs, appartenant à la classe moyenne avec un revenu moyen voire élevé parce qu’il faut assez d’argent pour pouvoir aller aux conventions. Un grand nombre d’entre eux sont républicains et chrétiens pratiquants, du genre à aller à une fête le samedi et à la messe le dimanche ! Beaucoup sont un peu plus vieux que la génération hippie. Ce mouvement était très en vogue dans les années 70s et 80s mais, à cette époque, il fallait mettre sa petite annonce dans des magazines spécialisés et correspondre par le biais de boîtes postales jusqu’à la rencontre possible 5 mois plus tard alors que de nos jours, avec Internet, les gens peuvent avoir une vie privée secrète et rencontrer un nouveau partenaire dans la demi-heure. Je crois que le mouvement actuel est un mouvement grandissant à cause d’Internet ; il y a des swingers qui le deviennent pour la première fois, qui ont découvert ce milieu par curiosité avec Google. What did you think of or learn from the Swingers’ lifestyle ? They are very normal people. What I noticed and was sometimes surprised about was that they were generally white, usually middle-class with a middle to high income because you need a lot of money to go to the conventions. A lot of them tended to be Republican and active Christians, going swinging on Saturday and to church on Sunday ! A lot of them are a little older than the hippy generation. Swinging was really big in the 70s and the 80s but in those days you needed to put ads in swinger magazines and you would send letters back and forth to post office boxes and maybe meet up five months later whereas nowadays, with the Internet, people can have their secret private life and meet a new partner half an hour later. I think it is a growing movement now because of the Internet ; there are definitely more first-time swingers who discover swinging out of curiosity and google it.

Quel rôle joue l’apparence, l’image dans ce style de vie ? Un rôle très important. Il y a toujours un thème (Halloween, Pirates des Caraïbes) et tout le monde joue le jeu. Même si les gens sont en surpoids, parfois avec une quarantaine de kilos en trop, ils pensent être élégants et sexy. Ils sont finalement à l’image de la tendance actuelle des USA dont 1/3 de la population est obèse, donc être en surpoids n’a l’air de déranger personne. Mais je leur attribue beaucoup de mérite parce que je n’ai jamais eu des orgasmes comme ils en ont ! Les considérer sexy ou non est une autre histoire ; ces gens aime le sexe, ils savent très bien le pratiquer et ont un grand appétit sexuel.

How important is image and appearance in this kind of lifestyle ? Very important. There’s always a theme (Halloween, Pirates of the Caribbean) and everyone dresses up. Even if people are overweight, sometimes 100 pounds overweight, in their mind, they think they’re being elegant and sexy. People tend to reflect what the trend is in America and in a country where 1/3 of the population is obese, being overweight doesn’t seem to matter. But I give them a lot of credit because I’ve never had orgasms like they do ! To see them as sexy or not is another story, these people love sex, are good at it and are having lots of it.

Il y a toujours une touche de drôle quand on re-


17 /// N. HARRIS ///

© Naomi Harris

garde tes séries ? Comment l’expliques-tu? Est-ce le fait d’une situation ou le doit-on au cadrage, à la mise en scène ? J’aime les choses drôles. Il se passe

There is always something light-hearted about your work. Why this ? Is it due to the circumstances or to your framing, your direction ? I

tellement de choses atroces. Le sexe est quelque chose de drôle donc je l’ai photographié comme tel. En général, je pose un regard humoristique sur les choses de la vie. Je suis canadienne, les Canadiens sont des gens drôles ! Je ne me prends pas trop au sérieux, et je ne prends pas la vie trop au sérieux non plus. Je vois beaucoup de choses horribles, déguelasses mais je ne veux pas ajouter plus de négativité et de violence au monde qui nous entoure. Vous pouvez regarder les infos pour ça. À l’heure actuelle, je visite des coins affreux du Canada avec beaucoup de drogués et de sansabris mais je peux malgré tout rendre ces personnes belles même s’il leur manque toutes leurs dents.

like funny things. There are so many horrible things going on. Sex is funny so that’s the way it needs to be shot. Generally, I look at things with a funny eye. I’m Canadian, we’re funny people ! I don’t take myself too seriously, nor do I take life too seriously. I see a lot of crappy, horrid things but I don’t want to add more negativity or bitterness to the world. You can turn the news on for that. Right now, I’m visiting some horrible stretches of Canada with a lot of drug addicts and homeless people but I can still try to make someone look beautiful even if they’re missing all their teeth.

Quels sont tes projets à venir ? The Maple Highway (La Route du Sirop d’Érable) : je vais relier en voiture la côte ouest du Canada à la côte est en photographiant les Canadiens le long du chemin. Mon objectif est de faire un portrait du Canada parce que je pense que personne, les Canadiens compris, ne connaît grand chose de notre pays. Pour moi, ce projet repose sur les gens que je rencontre et les connections que j’ai. Je ne suis pas une bonne photographe de paysage. Je suis plutôt une photographe « environnementale » – ce sont les gens dans leur environnement qui m’intéressent. Je serai sur les routes jusqu’au 5 septembre. Et je suis déjà épuisée ! L’idée est d’en faire un livre mais aussi un site web multimédia. On peut atteindre tellement plus de gens avec un site web de bonne qualité. Tout dépendra de la matière que j’aurai au bout

bien sûr. On verra.

What are your upcoming projects ? The Maple Highway : I’m driving from the west coast of Canada to the east coast, photographing Canadians along the way, making a portrait of Canada, because I don’t think anybody, including Canadians, knows very much about their own country. To me, It’s all about people and connections. I’m not a good landscape photographer. Rather I’m an environmental photographer – what interests me are people in their environment. I’ll be driving until 5 September. And I’m already exhausted! The idea is to make a book but also a multi-media website. You can reach so many more people with a good-quality website. It all depends on what I come up with of course. We’ll see.

Naomi Harris


18 /// R. CUMMING ///


19 /// R. CUMMING ///

Texte / Alexis Jama-Bieri • Traduction / Frédérique Martin • Photos / © Robyn Cumming

S

’il existait une machine à faire sourire, si la vie de bureau était à ce point absurde pour que l’on puisse se noyer sur un tas de gobelets de café froid … C’est le monde et ses petits travers qui est illustré avec humour par la photographe canadienne Robyn Cumming. Elle révèle le sens comique des situations quotidiennes avec un état d’esprit à l’humour noir et pince sans rire proprement British, en digne sujet (iconoclaste ?) de Sa Majesté ! Elle invente tout un univers à partir d’une simple photo et peut notamment représenter une famille tout sourire et d’apparence idéale posant derrière un cadre doré. Une image idyllique en soi, sauf que hors cadre, ce sont des estropiés ; ou une femme dénudée telle Jane dans sa jungle, juchée sur un tas d’ordures ménagères dans un intérieur au décor traditionnel avec son papier peint à fleurs, telle un fauve urbain … Ou ces modèles qui posent, aux corps gracieux et aux visages remplacés pas des fleurs, des étoffes ou de la fumée… vacuité de l’apparence sur l’existence. Une intensité dramatique, ou presque !

© Robyn Cumming série «Lady Things» 2009 Lady 4


20 /// R. CUMMING ///

+ « ... Mon intention est de révéler

Peux-tu te présenter en quelques lignes ? Je suis Robyn, petite femme blonde au teint pâle. Je travaille comme artiste-photographe à Toronto, Canada. J’enseigne la photographie d’art aux Universités OCAD et Ryerson.

une version de la

réalité... » +

Who are you ? Tell us about your work, your studies, where you live now, etc. I am a little, blonde, pale female named Robyn. I work as a photo-based artist in Toronto (Canada). I also teach fine art photography at OCAD and Ryerson Universities.

Quelle est la place de l’émotion dans ton travail ? Je te répondrais pas si importante mais d’autres

J’aime ça. Qui n’aimerait pas être ça ?!

Comment es-tu arrivée à la photo ? J’ai suivi un

gens te diraient probablement énorme ; c’est difficile à dire.

In the game of “If I were”, you said for your answer on emotion that you would be ‘laughing that turns into coughing’. Why is that ? Well,

How much emotion do you put in your work ? I would tell you not so much but other people would probably tell you a whole bunch; it’s hard to say.

it turns into coughing and then crying. I like those uncomfortable and difficult to define emotions... Strangely, it’s a fairly comfortable place for me. Something that is laughter at first that then changes into something harsher and more uncomfortable that then evolves into something really intense and sad is a complicated thing: it has layers and each one is richer than the next... I like that. Who wouldn’t want to be that ?!

cours de photo au lycée ; j’étais plutôt bonne mais pas vraiment passionnée. À cette époque, je ne comprenais pas vraiment ce qu’on pouvait faire avec les photos, je trouvais ce médium assez limité. C’était ce qu’on pouvait en voir dans le National Geographic ou dans Vanity Fair, mais c’était quand même quelque chose que j’aimais assez pour en faire des études supérieures. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à prendre conscience du potentiel énorme de la photographie, de toutes les choses que l’on pouvait faire et manipuler jusqu’à en créer de toutes pièces.

How did you come to photography ? I took a photography course in high school and I was pretty good at it but not passionate about it. At the time, I didn’t really understand what you could do with photographs, I understood it as a pretty limited medium. Photography for me was the stuff you saw in National Geographic or Vanity Fair, but since I liked it enough I decided to take it in university. That’s where I started to realize that you could make all of these things whatever you wanted, and then take photographs of those things, just weird stuff that you’d think should exist but didn’t.

Quelles sont tes sources d’inspiration ? L’inspiration s’insinue souvent en moi sous la forme d’objets qui ont certaines particularités et un bagage émotionnel associé à eux. C’est très Proustien, avec des choses aux références multiples : des tissus, des motifs, des textures ou même un certain type de lumière. Je suis également assez attirée par la romance : les soap opéras, les vieux films avec Meryl Streep, les plages, des ongles vernis…

What/Who are your influences and inspirations ? Inspiration often creeps up on me in the form of objects with certain qualities that have a lot of baggage associated with them. It’s a very Proustian sort of inspiration, stuff with lots of references: fabrics, patterns, textures or even the quality of a type of light. I’m also quite attracted to romance : soap operas, older movies starring Meryl Streep, beaches, manicured nails...etc.

Robyn Cumming

Et celle du joli mauvais goût ? Je ne sais pas si l’on doit s’y référer comme quelque chose de joli, ni si l’on doit parler de mauvais goût. Qui peut dire ce qui est bien et ce qui mal ? Si on se laissait dicter nos codes par l’opinion populaire, on porterait tous des Crocs couleur magenta et on mangerait des kilos de donuts. Je pense que quelque chose peut être attirant sans pour autant être typiquement beau : l’attirance peut nous prendre au dépourvu et c’est ce moment là qui est merveilleux parce que cela peut nous faire un peu peur ou nous séduire tout en nous repoussant en même temps. C’est un problème intéressant à rencontrer que d’être confronté à un sentiment d’inconfort par le fait d’être séduit.

What about the pretty side of bad taste ? I don’t know if I would call it pretty and I also don’t know if I would call it «bad» taste ; who is really to say what is good or bad ? If it were up to the general population we’d all be wearing magenta coloured crocs and eating tons of donuts. But I do think something can be attractive without being typically beautiful ; attraction can catch us a bit off guard but that’s when it’s really sort of wonderful because maybe it creeps us out a bit or lures us in while repelling us at the same time. That’s a nice note to hit, one that makes someone feel a bit uncomfortable about being seduced.

Dans le jeu des « si j’étais » au paragraphe émotion, tu dis que tu serais « un rire qui se change en toux » ? Pourquoi vouloir changer le rire en toux ? En fait, il se transforme en toux pour devenir ensuite des larmes. J’aime ces émotions gênantes et difficiles à expliquer… Paradoxalement, ce sont des situations dans lesquelles je me sens à l’aise. Un rire initial qui mue par la suite pour se transformer en quelque chose de plus dur et incommodant pour ensuite évoluer en quelque chose de vraiment intense et triste à la fois est un processus compliqué : chaque couche d’émotion est plus riche que la précédente…

Il y a une forte notion de matérialité dans ton travail : le corps/objet. Quelle est ta relation à l’Objet, au matériel ? Il y a toujours cette oscillation entre sujet et objet parce que le propos est matériel mais un matériel qui fait quand même en grande partie de nous… donc ces choses et nous deviennent comme des entités interchangeables. Et cela me ramène à mon inspiration étant donné qu’une grande partie de celle-ci n’est composée que de cette matière qui nous définit mais aussi nous éclipse. Le matériel existe pour dissimuler d’autres choses, il n’est qu’une autre manière de cacher.

There is a strong sense of materiality in your work : body/object. What is your relation with the Object, the material ? There is always this oscillation between subject and object because it’s about stuff but stuff that tends to be very much a part of us... stuff and us become interchangeable as entities. And this brings me back to my inspiration as much of it is just all of that stuff that come to define us but also eclipse us. Material exists to cover other things up, it’s just another way to obscure something.

Est-ce que pour toi la société actuelle laisse une place libre à la singularité ? Je crois que oui. Internet a en grande partie permis de repousser les limites du possible.

Does today’s society leave enough room for the peculiar ? Oh I think so ; the Internet has pretty

phore d’une utopie ? Comme le refus d’une réalité qui passerait par une caricature gênante et monstrueuse mais tellement belle ? Je n’ai jamais vraiment voulu rejeter la réalité. Mon intention est de la révéler, ou tout du moins de révéler une version de la réalité. Donc je suppose que l’idée de caricature s’applique assez bien ; quelqu’un dessine un portrait de vous avec un énorme nez et vous vous retrouvez devant votre miroir pendant des heures à hocher de la tête par acquiescement et à pleurer.

Is the surrealist aspect of your photos a metaphor for a certain form of utopia ? By rejecting reality are you taking us through a disturbing and monstrous, yet beautiful, caricature ? I never really intended to reject reality. My hope is to reveal it, or a version of it. So I suppose the idea of a caricature works quite well ; someone draws a picture of you with an enormous nose and then you find yourself standing in front of the mirror for a few hours nodding and weeping.

Quelles-sont pour toi les limites du beau ? Étrangement, j’ai réfléchi longuement à cette question sans jamais réussir à trouver de réponse valable.

What are the limits of beauty for you ? For some reason, I thought about this question for so long and couldn’t come up with a suitable answer. Quelle place tient le « joke » dans ton travail? Comment le définis-tu ? Tout ce que j’entreprends, je le fais parce que je pense que c’est drôle. C’est la raison pour laquelle j’aime presque tout. S’il y a quelque chose qui me fait rire, je vais y aller – d’autant plus si ça me fait rire et ça me procure autre chose aussi, comme l’envie de vomir. Vois-tu un lien entre humour et espièglerie ?

To what extent can your work be regarded as playful ? How do you define this aspect of your work ? Everything I make, I make because I think it’s funny. This is why I like almost everything. If there is something about it that makes me laugh, I’m into it - even better if it makes me laugh and do something else, like feel nauseous. Would you relate humour to being «playful» ?

Quels sont tes projets à venir ? Je travaille en ce moment sur un projet de lettres d’amour. Les images seront en mouvement plutôt qu’immobiles. What are your next projects ? I’m working on a project about love letters. It will be moving pictures rather than still ones.

much made room for everything.

Le côté surréaliste de tes photos est-il la méta-

www.robyncumming.com


21 /// R. CUMMING ///

© Robyn Cumming série «Lady Things» 2009 Lady 9


22 /// F. MAIANI ///

Texte / Alexis Jama-Bieri • Traduction / Frédérique Martin • Photos / © Fulvio Maiani

U

ne ambiance glamour et feutrée, dans un décor d’exception. Les réalisations du photographe italien Fulvio Maiani, teintées d’un humour au second degré, mettent en scène des modèles aux acidulés corps de porcelaine et aux suaves accents métalliques, inondés de lumière à la limite céleste, dans un monde sublime et irréel. Un esprit glamour qu’on verrait bien tout droit issu des grandes heures du cinéma classique, au soleil d’Hollywood ou de Cinecitta, avec ses femmes fatales, icones sensuelles et dangereuses auxquelles on succombe tous. Fulvio Maiani sublime ses modèles, irradie l’image de leur classe, qu’il révèle : un des maîtres de l’élégance ! Fulvio Maiani réalise de nombreuses campagnes photographiques pour des marques telles que Diesel, L’Oréal, Roberto Cavalli, Nike, Citibank, Diners et Lufthansa et pour de prestigieux magazines de la presse fashion dont GQ UK, l’Uomo Vogue, ELLE et Grazia. Des œuvres parfaites, toutes en couleurs éclatantes, comme du noir et blanc.


23 /// F. MAIANI ///

© Ph. Fulvio Maiani Concept • Alessandro Castellucci-Jam Studio Styling • Elisabetta Cavatorta Hair • Noelia Corrall Make-Up • Aaron Henrikson Model • Tuanne at IMG Models


24 /// F. MAIANI ///

© ph. Fulvio Maiani styling - Annabelle Vilda make-up - Lorenzo Zavatta hair - Domenic DiCampo Model - Elena Mityukova

Peux-tu te présenter en quelques lignes ? Je suis né à l’été 1962. J’ai fait une école d’art à Urbino où j’ai suivi des cours en Animation de dessin animé. Par la suite, j’ai obtenu une licence en photographie à l’Institut Européen de Design de Milan ; puis, après quelques années en tant qu’assistant pour de nombreux photographes, j’ai commencé ma propre carrière de photographe. J’habite à l’heure actuelle en Italie, au nord de Milan, mais je travaille habituellement à Londres. Je travaille principalement dans le monde de la mode et pour des publications éditoriales.

Who are you ? Tell us about your work, your studies, where you live now, etc... My name’s Fulvio Maiani. I was born in the summer of 1962, went to art school in Urbino where I studied Cartoon Animation. After that I graduated in photography at the European Institute of Design in Milan and after a few years as an assistant to various photographers, I started my own career. I live currently in the countryside, to the north of Milan, and I usually work in London. Most of my work is within the fashion and fashion/ editorial industry.

Comment es-tu arrivé à la photo ? Ce n’est pas

www.fulviomaiani.com

quelque chose que j’ai décidé comme ça un matin au réveil : « Tiens, je veux devenir photographe ! ». C’était plus de l’ordre de la nécessité ou d’un besoin de m’exprimer, comme de parler ou de respirer. Tout le monde ressent le besoin de s’exprimer mais la plupart du temps ils le font par la parole ou en écrivant ; moi, j’utilise la lumière pour m’exprimer (phos-graphis = écrire avec la lumière).

How did you come to photography ? It wasn’t something I decided, like one day you wake up and say, «I want to be a photographer». Let’s say that it was more like a necessity or the need to express myself, like talking or breathing. Everyone has the need to express themselves, mostly by talking, or by writing ; I use the light... (phos - graphis - writing with light)

Quelles sont tes sources d’inspiration ? Quelles sont tes influences ? Comment travailles-tu ? Tout ce qui est en mouvement m’inspire (mais aussi les objets inanimés), ce qui veut dire que l’on peut trouver l’inspiration dans chaque instant de sa vie. Mais, en général, quand je recherche la créativité, je regarde à l’intérieur de moi, de mes racines, ma famille, mes études, voyages, amitiés, accomplissements et

illusions. Donc ça implique que ce que j’entreprends doit en priorité me plaire. Pour ce qui sont de mes méthodes de travail, elles varient : il y a tellement de paramètres imprévisibles quand tu essaies d’organiser un shooting photo que j’essaie donc toujours de tirer le meilleur résultat à partir des conditions auxquelles je dois faire face.

What are your influences and inspirations ? What are your working methods ? Everything that moves inspires me (also objects that are still...), which means that you can find inspiration from every single moment of your life ; but mostly when I look for creativity, I look inside myself, my roots, my family, my school background, travels, friendship, achievement, delusions. So it means that the things I do have to please me first. My working methods vary ; there are so many unpredictable conditions when you try to organize a shoot that I always try to get the best result from the conditions I have.

ne peut pas être caractérisé. Je veux avoir la liberté de pouvoir changer d’avis.

How could your work be characterized ? A style can’t be reasonably explained with words ; it has to show my personality, my fantasy and dreams, my standards of beauty, it can’t be characterized. I want the freedom to change my mind.

Comment définis-tu une photo réussie ? esthétique, dérangeante, lyrique... ? Je pense avoir réussi une photo quand son résultat final va au-delà de mes propres attentes. Esthétiquement bon, dérangeant ou lyrique sont des notions qui diffèrent en fonction des points de vue des gens ; c’est la raison pour laquelle je ne me réfère qu’à mes propres standards. Les éléments que j’essaie d’intégrer dans mon travail sont la beauté, un certain sens d’humour, un côté sexy, mais j’essaie aussi de placer des éléments de confusion.

Qu’est ce qui pourrait caractériser ton travail ?

What is a successful photo for you ? Has it got to be aesthetically good, disturbing, lyrical…? I feel

Un style ne peut raisonnablement pas être expliqué par des mots ; il doit exprimer ma personnalité, mes fantasmes et mes rêves, mes standards de beauté ; il

successful when the picture that I got goes beyond my expectations ; aesthetically good, disturbing, lyrical are all aspects that vary according to people’s points


+ « ... J’utilise la

lumière pour

m’exprimer... » + of view, that’s why I always refer to myself as the standard. Elements that I try to put in all my work are beauty, a sense of humour, sexiness, but also I try to put some elements of distraction.

son cage ; marriage can sometimes be a prison, but it’s a prison we build around ourselves... Simply, the white clothing symbolizes ingenuousness and purity and the cage symbolizes the woman as a bird.

Comment procèdes-tu pour conférer de la plasticité à une photo ? Les lumières sont primordiales.

Quel est ton regard sur la mode ? J’aime l’im-

How do you give plasticity to a photo ? With lights.

Où trouves-tu le plus de liberté pour créer ? Tout part de moi. Je ne supporte pas les gens qui s’auto-censurent. Cela m’énerve quand les gens disent « On ne peut pas faire ça » parce que certaines personnes n’aiment pas ou ne comprennent pas. Donc je m’arrange toujours pour me rendre libre de créer ce que je veux, ou je quitte le shooting.

Where do you feel the most free to create ? Everything starts inside me. I can’t stand self-censored people. I’m sick of it when people say «we can’t do this» because people don’t like it or people don’t understand it. So I always try to make myself free to create what I want, otherwise I leave the shoot.

Dans ta série pour le Magazine Love Sex Dance on y voit une femme à 4 pattes. Est-ce un clin d’œil aux femmes-objets d’Allen Jones ? Quel est le rôle de l’attelle ? Non, je ne voulais pas faire de ce modèle un meuble humain, mais c’est vrai que le travail artistique d’Allen Jones est clairement présent dans mon esprit. En fait, je voulais montrer l’élégance et la beauté du corps d’une femme même s’il est enfermé à l’intérieur d’un échafaudage ; comme je l’ai déjà dit, j’aime contrebalancer la beauté avec une certaine confusion.

In your series for the Magazine Love Sex Dance, we can see a woman on all fours; was it a reference to Allen Jones’s women turned into items of human furniture ? What is the purpose of the splint ? No, it wasn’t meant to be like human furniture, but the art of Allen Jones is clearly present in my mind. Though I wanted to show the elegance and beauty of a woman’s body, even if it’s caged inside scaffolding, as I said before, I like to counterbalance beauty with a disturbing twist.

En même temps, dans ta série Birdcage se mélangent les codes du mariage, de l’emprisonnement et de la mode… l’image féminine, le mariage peuvent-ils être une prison aujourd’hui ? Ou bien est-ce la mode qui en est une ? C’est drôle de constater comme chacun voit des significations différentes dans mes photos… Non, je ne considère pas l’image féminine comme une cellule de prison ; le mariage peut parfois être une prison mais seulement celle que l’on construit autour de soi… C’est tout simplement que le vêtement blanc symbolise la candeur et la pureté et la cage symbolise la femme en tant qu’oiseau.

In your series entitled Birdcage, the codes of marriage, imprisonment and fashion blend together; Can the feminine image or marriage be a prison nowadays ? Or is fashion one ? It’s funny how everyone sees different meanings in my works... No I don’t see the feminine image as a pri-

plication sociale de la mode. Il m’importe peu de savoir qui est le designer, j’aime comprendre quelle est l’histoire derrière la femme habillée de cette manière-ci ou celle-là. La mode fait partie de notre culture et de notre histoire si l’on pense que même les guerres ont toujours été menées entre deux différents styles vestimentaires (les uniformes). Par ailleurs, il y a tellement d’autres implications à l’emploi de la mode : dans la religion, les catégories sociales, les idéologies politiques, la musique, l’art. Quand tu t’habilles, tu envoies de nombreux messages visuels, et cela se produit dans une photo de mode aussi. Au bout du compte, une photo de mode est un manifeste social ; elle donne tant d’informations concernant la période dans laquelle on vit, même si ce n’est pas une photo de mode : si la personne y est habillée, quelque que ce soit la photo, elle restera un témoignage d’une certaine époque.

What is your view on fashion ? I like the social implication of fashion. I don’t care who the designer is ; I like to understand what the story is behind the woman dressed in this way or that way. Fashion is part of our culture and history, if you think that wars have always been fought between two different fashion styles (military uniforms). Also the use of fashion can have so many other implications : religion, social class, political ideology, music, art. When you dress yourself, you send a lot of visual messages, and that happens in a fashion picture too. In the end, a fashion picture is a social statement, it contains so much information about the moments we live, even if it’s not a fashion picture : if there’s a person dressed up in it, it’s still a fashion statement. Quelle place tient le « joke » dans ton travail ? Comment le définis-tu ? Mon travail est tout ce qu’il y a de plus sérieux, mais il est vrai qu’il peut être à bien des égards ludique. Comme je l’ai déjà dit, j’essaie toujours de faire en sorte que les choses se passent devant l’appareil photo et, pour obtenir cela, je dois recréer une image fantasmée par le biais d’un cadre badin ; en général, je veux qu’il y ait une bonne atmosphère sur mon plateau.

To what extent can your work be regarded as playful ? How do you define this aspect of your work ? It’s a damn serious job that I do, but then yes it’s playful in many ways. As I said, I always try to let things happen in front of the camera, and to obtain this I have to recreate a fantasy through a playful attitude. I always like to have a good vibe on my set.

Quels sont tes projets à venir ? Je pense que mon seul et unique projet est de poursuivre ma carrière photographique. Et puis, je n’aime pas appeler ça des projets, ce sont des shootings photos.

What are your upcoming projects ? I think my only project is to be projected forward on my photographic career, then I don’t like to call them projects, I call them photoshoots...

Fulvio Maiani


26 /// C. MC GIBBON ///

© Clare McGibbon fhmtphoto.com

Texte / Oscar Queciny • Traduction / Frédérique Martin • Photos / © Clare McGibbon / fhmtphoto.com

L

e kitsch serait-il le révélateur de personnalités cachées ? Peut-être est-ce une marque de distinction, par la non distinction, la vulgarité ou l’aspect fade qu’il peut véhiculer. Un kitsch qui rappelle toujours celui des 70’s avec ses couleurs bronzes, oranges…issues d’un improbable mélange, tirant tout vers un kaki qui ne dirait pas son nom…Uniforme. Uniformisation, dépersonnalisation, du moins en apparence dans un monde désert abandonné aux caméras. Clare Mc Gibbon exploite l’essence même de ce monde terne, digne parent des photos de classe ou des photomatons, en mettant l’accent, avec dérision, sur l’humanité cachée, apparaissant derrière un sourire, peut-être figé, ou des yeux démesurément grands derrière des lunettes à montures et verres imposants… Une allégorie de la solitude humaine et de ses reliques vivantes dans un monde moderne désincarné, où l’image d’Épinal transcende sa banalité pour en faire une œuvre.


27 /// C. MC GIBBON ///

© Clare McGibbon fhmtphoto.com

© Clare McGibbon fhmtphoto.com

+ « ... J’aime que les Peux-tu te présenter en quelques lignes ? J’ai étudié à l’ESAD de Reims et à l’École de l’Image aux Gobelins à Paris où j’ai obtenu mon diplôme à l’été 2009. Je vis maintenant à Paris, en France.

Tell us about your studies, where you live now.

choses restent

simples... » +

I studied at ESAD Reims and at Gobelins, l’Ecole de l’Image, where I graduated in the summer of 2009. I am now based in Paris, France.

Comment es-tu arrivée à la photo ? De nos jours, les images et les concepts peuvent être diffusés si vite, particulièrement en cette ère du tout numérique. L’un des moyens les plus efficaces pour communiquer une idée est grâce à la photographie. La plupart du temps, les photos sont l’exacte représentation en 2D de notre espace commun en 3D. Les gens peuvent y avoir accès très facilement et créer du lien ; je pense que c’est la raison principale de mon choix de devenir photographe.

am influenced by my close friends, my surroundings, world events, and past experiences. I think that my interest in objects and my need to directly manipulate materials has definitely impacted the outcome of my photography. I also tend to be influenced by the notion of «what you see is what you get» that you find in film-based photography. I try to keep the post production on my images to the bare minimum, mostly working on the colours to convey the feeling of traditional photography.

Peux-tu expliquer ton travail ? Je me concentre How did you come to photography ? Today, images and concepts can be communicated at such high speeds, especially with the digital era upon us. One of the most efficient ways to convey an idea is through photography. Most of the time, photographs are an exact 2 dimensional representation of our 3 dimensional space. People can easily access it and relate to it, I think that’s a main factor in my choice of becoming a photographer. Quelles sont tes sources d’inspiration ? Mes amis proches, ce qui m’entoure, ce qu’il se passe dans le monde, mes expériences passées. Je crois que mon intérêt pour les objets et mon besoin de manipuler directement les matières ont sans aucun doute eu un impact sur ce qu’il ressort dans mes photos. J’ai également tendance à être influencée par la notion du « ce que tu vois est ce que tu obtiens » que l’on trouve dans la photographie argentique. J’essaie de réduire la post-production de mes images au minimum, en retravaillant juste les couleurs, de manière à recréer la sensation de la photo traditionnelle. What are your influences and inspirations ? I

www.claremcgibbon.com

principalement sur la présence humaine et sur les interactions que l’on a avec les objets via la photographie de nature morte. Si je prends une photo de portrait, le point central de mon attention se portera sur les vêtements que la personne porte ou sur l’espace environnant et son impact sur la façon dont ce modèle est représenté.

What is your work about ? My work mainly focuses on the human presence and the interactions we have with objects through still life photography. If I shoot a portrait, the main focus will be the clothing that person is wearing or the surrounding volume and its impact on the way the model is portrayed. Ingres prônait l’exagération de la ligne par ce qu’il nommait « corriger la nature par ellemême » et disait à ses élèves « insistez sur les traits dominants du modèle… poussez-les s’il le faut jusqu’à la caricature. Je dis caricature afin de mieux faire sentir l’importance d’un principe si vrai. » Peut-on faire un rapprochement avec ta série de portraits aux yeux exorbités ? Dans mes portraits aux yeux exorbités, je me concentre

essentiellement sur le design des vêtements vintage que portent les modèles plus que sur les modèles euxmêmes. Je voulais évoquer plusieurs différentes générations à travers une génération. Je suppose que tous ces portraits sont ce que l’on pourrait appeler une forme de caricature du « geek vintage ».

Ingres advocated the exaggeration of the line, what he called « correct nature by itself ». To his students, he advised : « Emphasize the dominant features of the model ... push them if necessary into a caricature. I say caricature to better feel the importance of a principle so true. » Is there a link to your series of portraits with bulging eyes ? In my big eyes portraits I mostly focused on vintage fashion design rather than the models. I wanted to evoke different generations through one generation. They are all what you could call some form of caricature of a « vintage geek ».

Beaucoup de choses passent par ces regards, Quelle(s) réalité(s) as-tu souhaité mettre en avant ? Je crois que l’association des lunettes de vue, de l’acné et de l’arrière-plan en simili-bois exprime l’attirance que l’on a aujourd’hui envers la mode des générations passées et envers la photographie de portrait « vieille école ». Le vintage fait de plus en plus partie de notre quotidien et je pense que ces photos dépeignent ce mouvement.

A lot can be expressed through these eyes. What kind of reality, or realities, did you wish to highlight ? I think that the mix of prescription glasses, acne, and faux-wood backgrounds conveys the attraction we have today towards different generations of fashion design and old-school portraiture photogra-

phy. Vintage is becoming more and more a part of our daily lives and I think that these images portray that movement.

Un fort sentiment de discrétion ressort de ton travail. Même sur ton site web on n’a aucune info, bio,… Comment l’expliques-tu ? J’aime que les choses restent simples dans mes photos et dans la représentation de ce que je suis aussi. Une image simple est un moyen formidable de communiquer sur qui l’on est et ce dont il retourne. J’aime laisser mon travail ouvert aux spectateurs et à leurs conclusions sur sa signification et sur la personne qui se trouve derrière.

There is a strong sense of inconspicuousness about your work or even in your website – there is no information about you, no biography… Why is this ? I like to keep things simple in my photography and in my representation of myself. The simplicity of an image is a great way to convey who you are and what you are about. I like to leave my work open to its viewers and let them come to conclusions about the meaning and the person behind it.

Quelle place tient le « joke » dans ton travail ? Comment le définis-tu ? Je crois que certains aspects de mon travail sont teintés d’un petit peu d’humour noir et je sais quelle idée j’essaie alors de faire passer, mais je trouve que la curiosité peut être ludique et qu’elle permet au spectateur de décider de la direction qu’il choisit de prendre.

To what extent can your work be regarded as playful ? How do you define this aspect of your work ? I believe that I sometimes have a little bit of black humour (humour noir) in certain aspects of my work, and I know what idea I am trying to put out, but I find that curiosity can be playful, it lets the viewer decide which way to go. Clare McGibbon est représentée par l’agence FHMT (7 rue d’Argout 75002, Paris • 01 42 33 13 14) www.fhmtphoto.com

Clare Mc Gibbon


28 /// E. HANANIA ///

Texte / Jens Andersson • Traduction / Frédérique Martin • Photos / © Estelle Hanania

N

ature libre et civilisation ordonnée, archaïsme et modernité – les œuvres de la jeune photographe française Estelle Hanania invitent au songe, d’un monde étrangement réel, tiraillé entre ses craintes et ses certitudes…Un monde de folklore, ritualisé, qui rassemble les groupes humains pour vaincre l’adversité et maîtriser l’immaîtrisable : l’aléa. Et c’est de l’aléa dont (se)joue Estelle Hanania, avec justesse… Une photographie sobre, en filigrane d’une société complexe, pour cette artiste parisienne formée à l’école Estienne puis à l’école nationale des beaux-arts de Paris. Lauréate dès sa fin d’études en 2006 du prestigieux prix photographique du festival d’Hyères, elle collabore avec plusieurs éditions et marques liées à la mode et à la culture dont Vice, Sang bleu, Another magazine, Capricious, Le monde 2, Blast, Maison Martin Margiela, Urban outfitters, Issey Miyake…et expose, outre en France, en Suisse, aux Pays bas, au Danemark, aux USA, au Japon…


29 /// E. HANANIA ///

Š Estelle Hanania Parking Lot Hydra 2009


30 /// E. HANANIA ///

+ « ... J’aime trouver des choses qui

Peux-tu te présenter en quelques lignes ? Photographe, je travaille et habite à Paris.

Who are you ? I am a photographer. I live and work in Paris.

Comment es-tu arrivée à la photo ? Au collège je faisais de la photo dans un genre d’atelier à la pause déjeuner avec ma sœur jumelle et une dizaine d’autres élèves. On sortait dans la rue près du collège de banlieue et on improvisait en se prenant en photo. Première expérience photo à proprement parler. Mais je suis arrivée à la photo en empruntant des chemins assez variés : j’ai d’abord fait l’école Estienne, une école d’arts appliqués et de communication visuelle, puis les Beaux Arts de Paris. Pendant que j’étais étudiante aux Beaux Arts je travaillais aussi en tant que directrice artistique free-lance dans une agence de publicité parisienne. C’est seulement après avoir passé mon diplôme en 2006 que j’ai décidé de concentrer toute mon énergie à ma propre production photographique.

How did you come to photography ? There was a sort of photography class in my secondary school that I would go to during my lunch break with my twin sister and a dozen other pupils. We would go out and take improvised photos of one another on the street near our suburban school. It was, strictly speaking, my first photography experience. But I finally came to photography in a round about way : first I went to Estienne School, a school for art and design and visual communication, then I went to the Beaux Arts in Paris. While I was a student at the Beaux Arts, I also worked as a freelance art director for a Parisian advertising agency. It was only after graduating in 2006 that I decided to focus all my energy on my own photos.

Peut-on parler d’influence tribale ou cérémonielle dans ton travail ? Pourquoi cette fascination ? Est-ce un moyen de placer la société contemporaine devant ses contradictions ? Ce n’est pas tant le côté cérémoniel ou tribal qui m’a poussée vers ces sujets là au départ. J’ai d’abord été séduite par l’incroyable force visuelle et le potentiel de mystère, de rêve qui se dégagent de ce genre de parade et de rituel. J’y ai trouvé pas mal d’ingrédients que je cherche à insuffler dans mon travail : une part de mystère difficile à percer et d’inconnu mêlée pourtant à quelque chose de familier et d’universel. Pour ça, j’aime trouver des choses qui vont m’extraire totalement d’un certain quotidien. Je ne sais pas s’il s’agit de mettre en valeur des contradictions qui peuvent exister au sein de la société contemporaine. Il est vrai en tout cas que le « clash » est intéressant. C’est ce que j’ai aimé travailler dans ma série Parking Lot Hydra photographiée dans un village bulgare où le communisme a laissé une forte empreinte, tant au niveau de l’architecture que d’un certain esprit qui pouvait régner lors de la fête. C’est intéressant de voir comment la tradition vient se heurter à des contingences politiques et sociales qui font alors muter l’esprit premier de l’évènement en autre chose.

Can we talk about tribal or ceremonial influences in your work ? Why this fascination? Is it a way for you to confront today’s society with its contradictions ? It is not really the ceremonial or tribal side of it that spurred me towards these subjects at first. I was initially attracted to the amazingly powerful visuals and the potential for mystery and dream that springs from this kind of ceremony and ritual. I found a lot of ingredients there that I wanted

www.estellehanania.com

vont m’extraire

totalement d’un

certain quotidien... » + to instil in my work: elements of impenetrable mystery and of the unknown mixed with something familiar and universal. To achieve this, I like to find things that totally take me out of my routine. I don’t know if I do this to highlight the contradictions that can exist within modern society. But it’s true in any case that the clash between the two is interesting. That’s what I liked working on for my series Parking Lot Hydra which was photographed in a Bulgarian village. Communism had left a strong imprint there, both in terms of architecture as well as in terms of a certain spirit that could predominate during the party. It was interesting to see how tradition could clash with political and social realities, which then transformed the initial nature of the event into something else.

Dans tes séries (Parking Lot Hydra, Dondoro, Hellga), on ne sait pas très bien s’il s’agit d’un reportage sur de véritables rituels ou de mises en scène. Le regard semble perdu... Parking Lot Hydra et Demoniac Babble peuvent être vus comme des « reportages » dans la façon dont j’ai procédé pour les réaliser : me rendre sur place et photographier un événement réel. Mais je ne considère pas ces séries comme des reportages car à aucun moment je ne cherche à décrire ou expliquer ou témoigner de quoi que ce soit. Je veux plutôt immerger le spectateur dans un univers assez flou et tenter de transmettre un esprit de découverte naïf et presque enfantin qui m’a parcourue lorsque je découvrais les choses sur place. Tant mieux si le regard est perdu. C’est du regard de chacun sur des choses à priori communes et de la façon dont on va présenter cela au spectateur que va réellement émerger une vision artistique et éventuellement se dégager une écriture que le spectateur aura envie de déchiffrer. Quand à Hellga, il s’agit d’un travail de collaboration totalement inventé et improvisé que je réalise depuis 2008 avec l’artiste Christophe Brunnquell et différents modèles (pour Hellga, la danseuse Helga Wretman). Le travail de dessin de Christophe ne cesse de m’inspirer et travailler ensemble génère en nous un enthousiasme addictif. Nous préparons plusieurs projets en ce moment même. Dondoro est une série d’images réalisées en 2008 en collaboration avec le marionnettiste japonais Hoichi Okamoto, décédé cet été malheureusement, et cette série vient de faire l’objet d’une publication aux éditions Kaugummi qui j’espère lui rend hommage ; je sais qu’il avait beaucoup apprécié notre rencontre et les images qu’on avait réalisées ensemble.

In your series (Parking Lot Hydra, Dondoro, Hellga), we don’t really know if they are photo reports about real rituals or if they are staged. It is very confusing... Parking Lot Hydra and Demoniac Babble can be seen as “photo reports” in the way I made them : I went there and took pictures of real events. But I don’t regard these series as reports because I never intended to describe or explain or bear witness to anything. I rather wanted to immerse the viewer in a rather hazy universe and try to pass on a sense of naïve and almost childlike discovery that I

I was always very happy and excited to see the lights on the motorway and the lit up suburban towers as we headed back to Paris and got stuck in the evening traffic.

Chacune de tes séries semble raconter une histoire, il est presque impossible de séparer une photo de son ensemble. Penses-tu la narration comme un ensemble d’images ? Pratiques-tu toujours la série ? Je n’ai aucune histoire prédéfi-

felt when I discovered these things myself. So much the better if you feel confused. A true artistic vision arises both from the viewers’ perception of things they have in common and from the way artists present their work ; that’s when a style emerges that viewers will feel like making sense of. Hellga on the other hand comes from an utterly made up and improvised work I have been doing since 2008 with the artist Christophe Brunquell and different models (the danser Helga Wretman on Hellga). Christophe’s drawings never stop inspiring me and we find working together very addictive. We are working on several projects right now. Dondoro is a series of images made in 2008 with the Japanese puppeteer Hoichi Okamoto, who sadly died this summer ; this series has just been published by Kaugummi Editions and pays tribute to him, I hope. I know that he really appreciated our meeting and the images we worked on together.

nie avant de photographier, je me laisse imprégner par les sujets. Et c’est ensuite en regardant le résultat que commence le vrai travail je pense. C’est la phase d’editing, de sélection et d’organisation qui m’excite le plus. C’est là que naît réellement la « narration », la direction que je vais donner à une série d’images. Par contre je pense au contraire que mes images peuvent être séparées, réagencées de façon quasi infinies. J’aime que le tout soit flexible. En été 2010, j’ai présenté une exposition personnelle dans une galerie parisienne, et je me suis vraiment amusée à mélanger deux séries, Dondoro et Parking Lot Hydra, le Japon et la Bulgarie, qui a priori ne font pas forcément un mariage évident. Je pense que ça fonctionnait plutôt bien au final. Et pour répondre à la question de la série, j’avoue ne pas aimer le côté réducteur et figé du mot « série » mais malheureusement je vois mal comment décrire un ensemble d’images réunies sous un même titre… donc oui je produis des séries, mais flexibles et malléables.

La nature nous raconte quelque chose de très poétique dans plusieurs de tes séries. Quelle place lui donnes-tu ? Occupe-t-elle une place majeure dans ton univers ? La nature est une matière

Your series seem to be telling us stories. It is almost impossible to take a photo out of its set. Do you think of your narration as a body of images ? Do you always work in series ? I never have a

centrale dans mon travail, de façon évidente dans la série Demoniac Babble puisque tout est recouvert de végétation et les personnages photographiés sont de véritables morceaux de paysages ambulants. Parking Lot Hydra montre un rapport à une nature plus violente, moins idéalisée, plus sanglante. Les animaux sont devenus des totems effrayants, impressionnants et la présence de la mort est assez forte aussi. C’est assez paradoxal quand je me penche sur la question de mon rapport à la nature car pourtant je suis vraiment « une fille de la ville » : j’ai toujours été à la campagne en vacances depuis toute petite, dans le centre de la France, dans un endroit très sauvage où mes parents aimaient aller. Mais avec ma sœur je me souviens qu’on avait souvent peur de la forêt la nuit, des bruits et des formes des arbres, du silence, des insectes, et j’étais toujours très contente et excitée à la vue des lumières de l’autoroute parisien et des tours de banlieues illuminées en revenant vers Paris dans les embouteillages du soir.

predefined story in mind before starting shooting, I rather immerse myself in the subjects I have chosen. And it’s only afterwards, looking at the results, that the real work starts. Editing, selecting and organizing the photos gives me the most excitement. That’s when the narrative truly comes into existence, when I choose the direction I am going to give to a series of images. But, contrary to what you might believe, I think that my images can be separated, laid out again in infinite different ways. I like the fact that a collection of photos can be flexible. In summer 2010, I had a personal exhibition in a gallery in Paris and I really had fun putting two series together, Dondoro and Parking Hydra Lot, Japan and Bulgaria, which at first glance don’t make an obvious match. I think it worked quite well in the end. And to answer your question about working in series, to be honest, I don’t really like the restrictive and confined side of the word “series” but unfortunately I can’t seem to find another way to describe a set of images gathered under a common title… so I have to accept the fact that I work in series – but flexible and variable ones.

Nature tells us very poetic things in a few of your series. What importance do you give to it ? Does nature play a major role in your universe ? Nature is a main subject matter in my work. This is clearly apparent in my series Demoniac Babble as everything is covered with vegetation and the models photographed are like true walking landscape. Parking Lot Hydra shows a connection with a more violent, less idealized, crueller nature. The animals in it have become frightening and intimidating totems and the presence of death is pretty imposing too. It is quite paradoxical when you think about it because I am not at all a country girl : I used to go a lot to the countryside on holiday as a child, in the centre of France, in a very wild place where my parents loved to go. But I remember my sister and I would often be scared of the forest at night, of the noises and shapes of the trees, of the silence and the insects, and

La série « Éternelle Idole » sort un peu du lot ; les codes sont différents…Peux-tu nous parler de cette série ? Le costume / l’uniforme est-il un fil conducteur ? Éternelle idole est le titre d’une pièce de Gisèle Vienne, une metteur en scène franco-autrichienne passionnante et inspirée, également créatrice de marionnettes et chorégraphe. Les photos que l’on peut voir sur mon site sont issues d’une séance de prise de vue réalisée juste après la dernière représentation du show à la patinoire de Gennevilliers. Gisèle m’a proposé de venir photographier ses modèles et toute la troupe de façon improvisée. En effet les costumes et l’univers de la patinoire étaient très inspirants.

The series entitled “Éternelle Idole” stands out a little from the rest; its codes are different…


31 /// E. HANANIA ///

© Estelle Hanania Demoniac Babble 2007

Can you tell us more about it ? Is the costume / the uniform the common theme that links it together ? Éternelle Idole is the title of a play by Gisèle Vienne, a fascinating and very inspired Franco-Austrian stage director who is also a creator of puppets and a choreographer. The photos that you can see on my website come from an improvised shoot that I did just after the last performance of the show at an icerink in Genevilliers. Gisèle said I could come and photograph her models and all the company so I turned up. The costumes and ambiance at the ice-rink were indeed very inspiring.

Quelle place tient le « joke » dans ton travail ? Comment le définis-tu ? L’humour est une compo-

mon travail en contient une certaine dose, mais ce serait un peu malgré moi car je n’ai pas cet objectif en tête quand je travaille. Je me souviens d’un ami me disant qu’il avait vraiment bien rit en regardant ma série Demoniac Babble, il la trouvait hilarante ! Je trouve ça génial, même si moi je vois quelque chose de plutôt très solennel dans ces images. En revanche, j’ai beaucoup de mal avec les photos « gag » : leur portée me semble très réduite, anecdotique. A moins de s’appeler Roman Signer, Fischli et Weiss et de le faire de façon brillante. Mais toute la vague des « photos drôles » du genre « Et si on te mettait un chou-fleur dans la bouche, qu’on recouvrait ton visage avec du scotch transparent et qu’on faisait une photo », j’avoue que je passe mon chemin tout de suite.

To what extent can your work be regarded as playful ? How do you define this aspect of your work ? Humour is an important component of my work. I hope my work contains some of it, but it would be a little bit in spite of me because I don’t have it in mind when I work. I remember a friend telling me he had a good laugh when he saw my series Demoniac Babble, he found it hilarious ! I think that’s great, even if I find this series very solemn in some way. On the other hand, I really don’t like “joke” photos : they are so limited and anecdotal. Unless you are Roman Signer, Fischli and Weiss and you do it in a brilliant way. But this trend of “fun photos” such as « Let’s put a cauliflower in your mouth, cover your face with Sellotape and take a picture », I can’t say I agree at all.

Quels sont tes projets à venir ? Une série d’images pour un livre sur le skateboard qui sortira en septembre 2011. On m’a donné carte blanche et je me suis bien amusée sur ce thème qui ne m’est pas très familier au départ. Plusieurs collaborations en cours avec Christophe Brunnquell. Un voyage en Afrique du sud, et des séries personnelles en cours. What are your next projects ? A series of images for a book about skateboarding that will be released in September 2011. I was given carte blanche and I really enjoyed myself on this project, which I didn’t know anything about to start with. I am currently working on several projects with Christophe Brunnquell, a trip to South Africa, and some projects of my own.

sante importante dans une production. J’espère que

Estelle Hanania


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Texte / Jens Andersson • Traduction / Frédérique Martin • Photos / © Elene Usdin

L

e règne du paraître, c’est un peu une réminiscence de la cour du Roi, où il fallait «paraître» pour exister (ou du moins le croire). Paraître ce que l’on n’est pas : des illusions, des fantômes arrogants et sublimes, aux reflets absents des miroirs…poudrés à en étouffer. Un monde de taffetas, de tentures et de préciosité révolu… presque. Déguisée et accessoirisée, la jeune photographe Elene Usdin, se met en scène et questionne justement sur le paraître, sur le rôle que l’on joue dans le théâtre humain, et ici sur le rôle du modèle devant l’objectif… Un objectif froid comme celui du regard du courtisan, incisif. Pseudo masqué, le modèle s’abandonne aux désirs du photographe… et surtout à l’œil du spectateur. Après des études à l’École Nationale des Arts Décoratifs de Paris, Elene Usdin se lance dans la création, d’abord dans l’illustration pour la presse et l’édition, puis, en 2003 sur des projets d’œuvres personnelles, à la suite d’une série d’autoportraits photographiques : une révélation pour la photographie ! De véritables rêves éveillés, cristallisation des fantasmes de la photographe plongeant dans son histoire intime. Un détournement de bonheurs pour le plaisir du spectateur.


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© Elene Usdin Tears série «La barbe bleue»


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© Elene Usdin Falstaff série «Opéra du Rhin»


+ « ... Les sentiments peuvent aussi être

Peux-tu te présenter en quelques lignes ? J’habite Paris, je suis dessinatrice et photographe. J’ai étudié à Paris à l’École Nationale des Arts Décoratifs. Je partage un atelier avec mes amis graphiste, illustrateur et designer. J’ai un fils Joseph de treize ans. J’aime partir en voyage, j’adore quitter ma ville, mon appartement, j’aime travailler en extérieur. Could you tell us about yourself in a few lines ? I live in Paris. I am an illustrator and a photographer. I studied at the École Nationale des Arts Décoratifs (known as Arts Decos) in Paris, France. I share my studio with three friends who are a graphic artist, an illustrator and a designer. I have a 13-year-old son, Joseph. I love travelling, going away from Paris, from my flat; I also love working outdoors.

Tu es également illustratrice, comment es-tu arrivé à la photo ? Vers 2003, j’étais arrivé un peu au bout de mes ressources en illustration, j’avais l’impression de ne faire que me répéter, de refaire toujours les mêmes commandes. Ca marchait plutôt bien, je faisais beaucoup de livres, de commandes pour la presse en France et aux États-Unis. Mais je m’ennuyais terriblement et ne prenais plus de plaisir à chercher ce que j’allais raconter sur mes feuilles de dessin. A l’époque je partageais ma vie avec un photographe qui m’a plus qu’intrigué avec ses appareils photo, ces journées passées à tirer les photos... C’est grâce à lui que j’ai commencé à expérimenter la photo. Ca a été un vrai déclic ! Plein d’idées et d’envies me venaient, c’était la même démarche que pour le dessin, je voulais raconter des histoires, mais c’était un jeu avec la réalité très diffèrent. Et comme j’ai toujours aimé fabriquer des choses, des accessoires ou des déguisements, je me suis lancée dans la réalisation de décor ou parure pour ces photos.

Being an illustrator too, how did you come to photography ? Around 2003, my possibilities in illustration had kind of come to an end ; I had the feeling of repeating myself, of doing the same orders over and over again. I was doing fine, getting published in a lot of books and being commissioned for the press in France and the USA. But I was terribly bored and didn’t enjoy looking for stories I wanted to tell in my drawings any more. At that time, I was with a photographer, whose numerous cameras and days spent developing photos intrigued me. Thanks to him, I started to experiment with photography. That’s when things suddenly fell into place! I was full of ideas again. It was the same approach as for illustration : I wanted to tell stories, but playing the game with reality was very different. And as I’ve always liked making things, props or costumes, I took the plunge and created décors or accessories for these photos.

Tu pratiques l’autoportrait… C’était au départ le moyen que j’avais trouvé pour expérimenter la photo. Comme je débutais je devais apprendre, la lumière, le cadrage, les poses... En pratiquant l’autoportrait je n’avais rien a demander à personne, je pouvais gérer tout seule. Et puis petit a petit, l’autoportrait est devenu un moyen de marquer ma présence dans les lieux, et de dire, d’une certaine manière : j’étais ici, donc j’existe ! INTROSPECTION : C’est comme une parade solitaire, en huis clos. Pendant ces séances photo il n’y a pas de paroles, c’est assez instinctif, tout se passe dans ma tête. Et du coup il n’y a de limites imposées que celle que je peux supporter, (posture, nudité etc...) je me fixe mes propres règles. Ce qui est différent d’avec un modèle. JE SUIS ICI : C’est une manière aussi de m’inscrire dans les lieux où je me trouve : «je suis passée par

www.eleneusdin.com

représentéS en

images... » +

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la série ? Est-il ou a-t-il été pour toi une source de cauchemar ? C’est en référence au conte de Perrault Barbe Bleue. C’était une véritable source de cauchemar quand j’étais petite. Aujourd’hui je continue à faire des cauchemars qui pourrait s’y rattacher, avec des ogres mangeurs de lumière : il mange toute lumière autour de lui, et plonge le monde dans les ténèbres. Ce qui est passionnant avec les contes, c’est qu’ils sont très visuels, ce qui permet d’imaginer beaucoup d’images en les lisant, c’est d’ailleurs le même travail qu’un illustrateur.

ici» je laisse une trace photographique de ma présence dans cet endroit. Une façon de prouver que je suis bien réelle : je peux me voir sur la photo.

me any more, and the girl on them is sort of unfamiliar to me, she’s there to seduce and give herself to the viewer’s eye.

TRANSFORMATION : Quand je fais des autoportraits j’ai la sensation de me retrouver dans ma peau d’adolescente : vers 16 ans, on passe du temps à s’observer, à jauger son corps qui change, on joue avec ces changements en se transformant : à se changer quinze fois par jour de vêtements, à se chercher un style... On se camoufle aussi des fois par honte de son corps, ou alors on s’exhibe exagérément… On regarde un corps, un visage qui nous semble étranger, c’est comme si on était hors de soi-même.

Quelles sont tes sources d’inspiration ? Mes rêves sont réellement ma première source d’inspiration, je note dans mes carnets le récit de mes rêves, je dessine de mémoire les personnages et endroits que je vois dans mes rêves. Ensuite il y les contes de fées, parce qu’il y a énormément de choses à y puiser, du fantastique, de la peur, des drames, de la poésie... Il m’arrive aussi d’avoir des visions qui arrivent sans prévenir, en me promenant dans les rues, à cause d’une lumière, d’un amas de meubles dans la rue, de personnes avec une attitude qui m’interpelle, c’est difficile à expliquer.

Why give the title Bluebeard to your series? Is he or was he a source of nightmare for you ? It

Who or what are your inspirations ? My dreams

!! Pour l’image de Falstaff c’est moi qui suis déguisée, comme si du coup j’apprivoisais le méchant en me mettant dans sa peau. J’aime aussi tout ce qui est masque de sorcière. C’est un peu la même fascination qu’en lisant Le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde.

PLAISIR : Ce n’est pas le plaisir de s’exhiber mais plutôt une curiosité un peu effrayante : comme quand on observe une scène interdite dans un trou de serrure, ou qu’on surprend une conversation qu’on n’est pas censé entendre. C’est comme si je violais ma propre intimité ou que je me volais à moi-même un secret. C’est un peu absurde... GESTUELLE : Nue ou déguisée, l’expression du corps, la pose que je recherche comme étant la bonne, me rappelle quand j’étais enfant et qu’au cours de danse on se regardait dans le miroir pour se voir évoluer et trouver la posture juste dictée par des règles données censées être celle de l’harmonie ou de la grâce... SÉDUCTION : Tant que les photos ne sont pas développées, tirées et montrées, cela reste un jeu solitaire. Ensuite, ces images ne m’appartiennent plus totalement. La fille que je vois en photos m’est devenue étrangère, et il me semble effectivement là pour séduire et se donner à voir.

are actually foremost source of inspiration. I write them down in my notebooks, I draw characters and places from memory. I take my inspiration from fairy tales too, because there are a lot of things to get from them: fantastic, scary, dramatic or poetic elements. I also happen to have visions that come randomly while I’m walking in the street, because of a light, some stack of furniture in a corner, some people’s attitudes…

Quelle(s) histoire(s) cherches-tu à raconter ? Des histoires un peu fantastiques, comme si les personnes représentées essayaient de dire quelque chose de sortir d’elle-même, de se représenter en autre chose : en elfe, en oiseau, en super héros etc... C’est comme vouloir sortir de son corps, ou vouloir le transformer, le rendre spectaculaire C’est comme des fables, pour extirper de la poésie du monde où l’on vit, aussi essayer de mettre mon empreinte sur ce que je vois, en le modifiant en jouant avec.

Tell us more about your self-portraits. At first, for me, it was the only way I had found to experiment with photography. As I was just starting, I had to learn everything: light, framing, poses… By working on self-portraits, I didn’t need to ask anyone for anything. And then, little by little, it became a way for me to mark my presence in places, and to say in a way : I was there, so I am real! Self-portrait also enables you to have that special time with yourself where you set your own rules, your own limits. It is a lonely, very instinctive and introspective process. When I do self-portraits, I have the feeling I am a teenager again, at that period of your life when you spend your time examining yourself, scrutinizing your changing body, transforming yourself in order to find your own style. You also sometimes even hide your body out of shame, or on the contrary you show too much of it. You look at your body, and at your face, as if they were a stranger’s. Self-portrait leads you to a kind of frightening curiosity, like when you happen to see something intimate through a keyhole, or when you overhear a conversation that you were not meant to hear: it’s as though I was intruding my own privacy or stealing my own very personal secrets. As far as posing is concerned, looking for the right pose reminds me of my ballet lessons as a child when you looked at your reflection in the mirror to find the right posture dictated by the rules of what harmony and grace were supposed to be. But, paradoxically, after all that introspection, when the photos are developed and shown to the public, they don’t belong to

What kind of a story/stories do you seek to tell ? Kind of fantastic stories, as if the characters depicted were trying to say something, to come out of themselves, to turn into something/someone else: an elf, a bird, a superhero… They are like fables to extract poetry out of the world we live in, also to try to put my imprint on what I see by altering things, playing with them.

La photographie est-elle pour toi un moyen de sublimer, de dépasser le réel pour montrer l’invisible ? oui exactement, et surtout jouer avec ce qui fait notre réalité : les objets par exemple, transformer un objet ultra connu comme un abat jour et lui attribuer un autre rôle pour surprendre et aussi pour regarder d’un œil neuf ces objets. Les sentiments aussi peuvent être représentés en image, la tristesse avec des larmes qui sont faites de perles et de fils.

Is photography a means for you to magnify, to go beyond the real to show the invisible ? Yes indeed, and above all to play with what our reality is about: I like to turn a very well-known object, like a lampshade, into something else by assigning it another role in order to disconcert people and also to take a fresh look at it. Feelings can also be represented by images, with tears of sadness being pictured with pearls and pieces of thread for instance.

refers to Perrault’s fairy tale. It gave me nightmares as a child. Today, I still have nightmares connected to it, with light-eating ogres: they swallow up all the light around them and plunge the world into darkness. What’s fascinating with fairy tales is that they are very visually descriptive, which allows you to use a lot of imagination while reading them.

Falstaff, Barbe Bleue, tu sembles chercher à donner une autre dimension aux méchants et/ ou bouffons, pourquoi ? Parce qu’ils me font peur

Falstaff, Bluebeard, it seems that you are trying to give another dimension to baddies and/or buffoons. Why that ? Because they scare me ! For Falstaff, I am the one dressed up, as if, as a result, I could tame the baddy by putting myself in his shoes.

Quelle place tient le « joke » dans ton travail ? Comment le définis-tu ? Le jeu, l’amusement est un moyen pour détourner la réalité. Comme on joue à se déguiser et à se croire quelqu’un d’autre quand on est enfant, comme on fabrique une ville en lego... L’humour permet de véhiculer du sens, de la poésie. Dans les rêves aussi il y a du jeu, du semblant, du faux.

To what extent should your work be regarded as playful ? How would you define this aspect of your work ? Playing, not taking things seriously are ways to distort reality. Like when you dress up and pretend you’re someone else when you’re a kid, or when you build a whole city out of Lego bricks… A sense of humour enables you to convey meaning, poetry.

Quels sont tes projets à venir ? Chambre d’essayage : Une exposition à Paris à la galerie Esther Woerdehoff, en septembre. Vernissage le 15 septembre. C’est une série de photos réalisée dans les hôtels paris rive gauche, et en réponse à la carte blanche PHPA 2011. Cette série est composée de portraits, d’autoportraits et d’animations. Je me suis attachée aux personnages de 5 femmes célèbres chacune à leur époque et de forte personnalité : Georges Sand, Simone de Beauvoir, Joséphine de Beauharnais, Isadora Duncan, Juliette Récamier.

What are your upcoming projects ? Chambre d’essayage (“Fitting room”), an exhibition in the Esther Woerdehoff gallery in Paris in September (Opening 15th September). It is a series of photos taken in Paris’s left bank hotels. It is composed of portraits, self-portraits and animation films. I focused on five strong-tempered women, each one of them famous in their own time : Georges Sand, Simone de Beauvoir, Joséphine de Beauharnais, Isadora Duncan, and Juliette Récamier.

Pourquoi avoir donné le nom de Barbe Bleue à

Elene Usdin


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© Nicole Tran Ba Vang Série «Collection Automne/Hiver 2003/04» Anne-Claire, 2003 Photographie couleur 160cmx120cm

Texte / Alexis Jama-Bieri • Traduction / Frédérique Martin • Photos / © Nicole Tran Ba Vang

O

n dit communément qu’un habit sied comme un gant ou qu’il est comme une seconde peau. Une vision de second épiderme, un côté charnel qui pourrait sous tendre un besoin primitif de s’affranchir de toute contrainte vestimentaire : être nu sans l’être physiquement (le regard de la société ne le permettrait pas?). Car en effet, le vêtement isole autant qu’il rassemble les individus. Élément identitaire et marque de différences, de classe, de goût… Peut être est ce tout simplement un outil de dépersonnalisation qui voudrait nous dire le contraire : un instrument de possession, à y perdre l’âme et le corps. C’est donc sur le culte de l’apparence et de ce qu’il suggère quant à son aspect social et identitaire qu’interrogent les œuvres de la photographe française Nicole Tran Ba Vang. Issue du milieu de la mode, elle rythme ses créations en « collections », comme pour ponctuer son interrogation quant à une certaine superficialité de l’habit. Avec des images paradoxales, elle propose plusieurs niveaux de lecture, pour une subtile interpellation quant aux dimensions sociales et pédagogiques de l’apparence. Nicole Tran Ba Vang compose alors une large gamme qui se définirait par une simple maxime : « être ou ne paraître ».


+ « ... La beauté est un

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concept et un outil

Peux-tu te présenter en quelques lignes ? Mon parcours est très atypique. J’ai passé une licence d’AES (administration économique et sociale) à la Sorbonne, sans aucun rapport avec l’art. Mes origines sociales ne me permettaient pas d’envisager des études artistiques. Il me fallait un métier sûr, un métier pour subvenir à mes besoins. Tout le contraire se déroula puisque je m’orientai finalement vers une voie créative, concevant des collections de mode qui, à mon grand étonnement, m’offrit des conditions de travail luxueuses. Je me disais que ça devait être ça la réussite ! J’aimais bien ce métier mais je n’arrivais pas à lui donner un sens dans ma vie. J’ai alors décidé de tout quitter pour me lancer dans une aventure plus personnelle. Cette expérience professionnelle m’a permise de créer mon propre vocabulaire, ma propre écriture. Je me suis appropriée les codes de la mode, de la pub et des magazines pour interroger notre identité directement liée au monde de l’apparence et de la représentation mais aussi les standards de beauté traduisant des implications sociales, culturelles et politiques fortes. La beauté est un concept et un outil de manipulation puissant. «Être ou ne Paraître ?» telle devenait ma question. Can you briefly introduce yourself ? My academic and professional backgrounds are very unusual. I graduated in Social and Economic Administration at Sorbonne University in Paris, with no link whatsoever to the art world. My social origins didn’t allow me to even think about artistic studies. I had to have a safe, sustainable job. The exact opposite happened as I went for a creative career. I started designing fashion collections, which to my great surprise gave me luxurious working conditions. I thought this was success! I liked it, but I didn’t find this job gave my life enough meaning. So I decided to pack it all in and embark on a more personal journey. This experience has enabled me to create my own vocabulary, my own style. I have appropriated the codes of fashion, advertising and magazines, so as to better question our identity, directly linked to the world of appearance and representation, and also standards of beauty that are the expressions of social, cultural and political factors. Beauty is a powerful concept and a manipulative instrument. “To be or not seeming to be?” That should be the question.

Quelles sont tes sources d’inspiration ? Je fais partie de ces artistes dont le travail est basé sur l’appropriation et le détournement. Comme pour le Pop Art, je m’inspire beaucoup de la culture populaire, la publicité et les magazines où sont véhiculés stéréotypes et préjugés. Quel est notre degré de conscience et de liberté face à la fascination de la beauté, la volonté de nouveauté à tout prix et le désir de perfection lié au pouvoir de séduction ? Quel est notre degré d’aliénation que nous soumettent les images transmises à travers tous ces médias ? La mode exprime le plus cette quête vaine de la jeunesse et de la perfection, elle révèle notre vulnérabilité.

What are your sources of inspiration ? I belong to a family of artists whose work is based on appropriating and distorting other works. Just like Pop Art, I get a lot of my inspiration from popular culture, adverts and magazines where a lot of stereotypes and preconceived ideas are conveyed. To what extent are we aware and free when we are confronted with our fascination for beauty, our desire for novelty at all costs and our wish for perfection linked to the power of seduction ? How subjugated are we by the images conveyed by the media ? The fashion industry most blatantly expresses this shallow quest for youth and perfection; it brings our own vulnerability to light. Comment es-tu arrivée à la photo ? J’ai d’abord peint sur des pages de magazine un travail intitulé

de manipulation

puissant... » +

Collection Icônes dénudant les modèles d’un geste paradoxal de recouvrement et créant un jeu de collision intriguant entre icône religieuse, icône photographique et icône de mode où le culte de l’image flirte avec l’idée de propagande et de dictature. Ce travail ne fut présenté qu’après mes séries de photos. Je voulais introduire davantage d’ambiguïté entre le corps et le vêtement, que le vêtement devienne corps et le corps vêtement. C’est ainsi que je suis arrivée à la photo. Je n’en avais encore jamais fait, je considère ce medium comme un autre. Je ne me revendique pas comme une photographe, je fais toujours appel à des assistants pour régler le matériel et les lumières. J’ai utilisé de nombreux autres mediums comme l’installation, la sculpture et la vidéo.

rance and fashion ? My first series of photos were indeed entitled like that. Collections imply absurdly frantic speeds and encourage our never-ceasing and unnecessary desire to buy; they question our consumer society. I am much less interested in fashion than in the culture of appearances, the cult of image, and clothing as a way to find your own identity, to assert yourself and to socially mark yourself; I’m more interested in the socio-cultural aspect of fashion than in the aesthetic side of it. I take great interest in the surface of things but surface doesn’t mean superficiality. I like to quote Paul Valéry when he said, “the deepest thing in a man is his skin”. Guy Debord broached the subject of fashion too in The Society of the Spectacle. He wrote about how ‘having’ has shifted into ‘seeming to be’: “The real world is becoming simple images; and images become real things.” In our obsession with appearances, fashion and photographic icons have replaced the religious icon and I play with this ambiguity, intermingling all these concepts. I worked on these series according to the same protocol as for magazines : I organized a casting with a model agency, I rented a studio with a hairdresser and make-up artist, and I used nude clothes that neutralise the notion of branding. I like to insinuate myself into equivocation because it prevents us from having certainties, it makes you lose your bearings and that’s when questions spring up.

How did you come to photography ? I first painted on pages from magazines ; the work was entitled Collection Icônes : paradoxically I unveiled models by covering them, thus creating a puzzling system where religious, photographic and fashion icons would collide with one another, fashion being the place where the cult of image flirts with the ideas of propaganda and dictatorship. This work was only exhibited after my photo series. I wanted to introduce more ambiguity to the division between body and clothes, with the garment turning into body and vice versa. This is how I came to photography. I had never done it before. I consider it to be one medium among others. I don’t consider myself a photographer. I still need assistants to deal with the equipment and the lights. I use numerous other media such as installations, sculpture and video.

Dans tes séries fais-tu un clin d’œil au mouvement naturiste, nu à l’extérieur, mais avec une consistance interne, des valeurs comme un habit sous la nudité ? Je ne fais aucun clin d’œil au mou-

Tu donnes systématiquement le nom de collection été, collection hiver…à tes séries, pourquoi ce choix ? Tes photographies sont-elles une critique du diktat de l’apparence, de la mode ?

vement naturiste ! L’habit de nudité est un concept paradoxal me permettant d’interroger le corps comme un vêtement et le vêtement comme une seconde peau. Lorsqu’on est nu ne restons-nous finalement pas toujours habillé, par notre corps ?

Mes premières séries de photos sont en effet titrées ainsi. L’absurdité du rythme imposé par les collections entrainant un désir de consommation chaque fois renouvelé sans réelle nécessité interroge la société de consommation. Ce n’est pas tant la mode qui m’intéresse mais davantage la culture des apparences, le culte de l’image, le vêtement en tant que recherche identitaire, affirmation de soi et/ou marqueur social donc moins pour des raisons esthétiques que pour des raisons socioculturelles. La surface m’intéresse et la surface ne signifie pas superficiel. J’aime reprendre Paul Valéry lorsqu’il dit «Ce qu’il y a de plus profond dans l’homme c’est la peau...». Guy Debord aborde aussi la mode dans La Société du Spectacle. Il parle de glissement de l’avoir au paraître «Le monde réel se change en simples images, les simples images deviennent des êtres réels ». Dans le culte de l’apparence, l’icône de mode et l’icône photographique se substituent à l’icône religieuse et je joue sur cette ambiguïté où toutes ces notions se télescopent. J’ai élaboré ces séries selon le même protocole de réalisation que pour celui des magazines, en faisant un casting dans une agence de mannequins, en louant un studio avec coiffeur maquilleur et en présentant des vêtements de nudité neutralisant ainsi toute marque. J’aime me glisser dans l’ambiguïté car elle nous empêche d’avoir des certitudes, elle provoque une perte de repères et c’est à moment là que surgissent les questions.

You entitle your series summer collection, winter collection… without fail. Why is this ? Are your photos a criticism of the diktats of appea-

In your series, do you reference the naturist movement in which people are naked on the outside but with an inner substance equivalent to a piece of clothing under their nudity ? No ! Nude clothes are for me a paradoxical concept that enables me to question the human body as a piece of clothing and the piece of clothing as a second skin. When we’re naked, are we not still dressed but with our own bodies ?

Le vêtement ne permet-il plus de refléter une personnalité ? Penses-tu qu’il puisse être conditionné par un besoin de représentation ? Le vêtement permet une quête identitaire et sociale guidée certainement par un souci de représentation ou de volonté d’affirmation de soi. Le corps devient luimême corps social. Je ne suis pas là pour juger mais plutôt pour questionner les pouvoirs et les effets de la toute-puissance des médias de notre société sur notre esprit. De quelle manière notre apparence modifie telle notre perception du monde et notre rapport aux autres ?

Aren’t clothes no longer able to reflect people’s personalities ? Do you think they are chosen by people in order to fulfil their need for representation ? Clothes enable people to go on an identity and social quest certainly guided by a need for representation or for self-confirmation. The body itself becomes a social body. I’m not here to judge but rather to question the powers that be and the effects of our

society’s omnipotent media over the mind. To what extent does our appearance alter our perception of the world and our relations to others ?

Tu définis ton travail par un jeu de mot « Être ou ne Paraître ». Vivre pour l’apparence seraitil une non-existence ? En même temps, penses-tu qu’il soit encore possible aujourd’hui d’exister en refoulant cette dictature de l’image ? Pour Warhol, la personnalité se résume à une image dont on peut changer à son gré. Il s’est d’ailleurs beaucoup inspiré de la mode qui permet de se réinventer sans cesse. «Qui souhaite la vérité ? C’est à ça que sert le show business, à prouver que ce n’est pas ce que vous êtes qui compte, mais ce que vous croyez être.» Schopenhauer dit que nous sacrifions notre individualité à la société. En société, il faut toujours plaire, être conforme à une certaine image sociale, finalement comment arriver à être soi-même ? Il est difficile d’être en phase avec ce que l’on est, ce que l’on voudrait être et l’image que les autres ont de soi. Barthélémy Toguo a réalisé dans Transit 6, une performance déguisé en éboueur et voyagea en première classe. Figurez-vous que des passagers ont demandé au contrôleur de le faire sortir du wagon malgré son billet en bonne et due forme ! L’apparence n’est pas seulement liée au vêtement. L’âge est aussi un facteur très important dans notre rapport social. D’où cette nécessité dans la société moderne de toujours vouloir être jeune. Le décor et l’architecture dans lequel chacun évolue participe également à cette apparence sociale. Il me semble impossible d’échapper et se libérer de tous ces a priori à moins de vivre seul et en dehors de la société, mais est-ce vraiment possible ?

You define your work with a play on words: “To be or not seeming to be”. Would living for one’s appearance be a non-existence ? And at the same time, do you think it still might be possible to exist today without this cult of image ? For Warhol, your personality reduces itself to an image that you can change as you please. For that matter, he drew a lot of his inspiration from fashion, a world that allows you to reinvent yourself continually. “Who wants the truth ? This is what show business is for, to prove that it is not who you are that matters but what you think you are.” Schopenhauer said that we have sacrificed our individuality to society. In society, you always have to please, to conform to a certain social image, so how do you manage to be yourself in the end ? It is difficult to be consistent with what you are, what you would like to be and what people see of you. In Transit 6, Barthélémy Toguo dressed as a dustman and took the train in first class. Surprising as it may seem, some passengers complained to the ticket inspector and asked him to make him leave their carriage in spite of his valid ticket ! Appearance is not just connected to clothes ; age is also a very important factor in our social relations. Thus this necessity in our modern society : we have to want to remain young forever. The décor and environment in which each one of us evolves contribute to this social appearance as well. To me it seems impossible to escape and to free yourself from all these preconceptions unless you live on your own and outside society, but is this really possible ?

Il y a dans tes « Collections » une réelle ambiguïté entre la beauté de l’image et une lourdeur qui s’impose dans cet effeuillage comme une option funeste… Elle est sans doute liée à cette notion d’attraction/répulsion que l’on retrouve à travers mon travail. Toujours à mi-chemin entre le monstrueux et la belle image, il s’agit d’une critique sociale de l’univers artificiel de la mode et de l’avenir aseptisé qu’il met en avant par le biais d’un culte extrême de la perfection explorant l’ambiguïté entre l’être et le paraître pour une vision à la fois trouble et critique du corps par opposition à son mode de représentation.


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/// N. TRAN BA VANG ///

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© Nicole Tran Ba Vang Série «Collection Printemps/Eté 2001» Sans Titre 06, 2001 Photographie couleur 120cmx120cm

In your “Collections” there is a real confusion between the beauty of the images and the heavy funereal feeling we get from the models’ stripping off… It is probably linked to this notion of attraction/repulsion that you find throughout my work. It is always halfway between the monstrous and the beautiful; it is a social criticism of the artificial universe of fashion and its vision of a sanitised future. My work depicts this via an extreme search for perfection exploring the ambiguity between ‘being’ and ‘seeming to be’ which gives a disturbing and critical vision of the body, unlike its mode of representation.

Quelle place tient le « joke » dans ton travail ? Comment le définis-tu ? Te permet-il de révéler une vérité que l’on masque ? Je préfère l’humour plus que le «joke». Qui n’apprécie pas l’humour ? Estce que l’humour se rapproche de la beauté comme un moyen de séduction ? J’emploie les mêmes techniques que celles utilisées par les médias qui peuvent susciter la connivence mais aussi la manipulation. Je n’affirme aucune vérité. J’interroge la vacuité de l’image en élaborant un langage issu du vide ainsi que notre rapport au monde au travers de ce qui nous paraît le plus futile pour nous ramener à notre propre condition humaine.

To what extent can your work be regarded as playful? How do you define this aspect of your work ? Does it enable you to unveil a truth that is concealed ? I’d rather use the word humour. Who doesn’t like humour ? Is humour similar to beauty in that they are both means of seduction ? I use the same techniques as the media, and they can arouse complicity as well as manipulation. I don’t assert any truths. I question the vacuousness of images by developing a language from emptiness, as well as questioning our relation to the world through what seems the most futile to us, in order to bring us back to our initial human condition.

Quels sont tes projets à venir ? Je travaille actuel-

REVUE joue à la fois sur un jeu de mots et sur un concept de magazine de manière volontairement équivoque. Ce projet s’intègre comme une vraie pièce venant s’articuler dans mon travail et non pas comme un simple livre monographique. Comment parler de la représentation et de la culture des apparences en utilisant les mêmes codes et langage que ceux utilisés dans la mode sans s’exposer aux mauvaises interprétations? En m’appropriant l’idée du magazine, j’assume l’image mode et très réductrice parfois donnée à mon travail afin de le renvoyer vers un autre territoire de réflexion. Un sommaire proposera des rubriques à la manière d’un magazine où seront présentés mes détournements d’images et de publicité ainsi que l’ensemble de mes différentes collaborations artistiques comme celle avec le chorégraphe Angelin Preljocaj pour la scénographie et les costumes d’Eldorado pour une rubrique danse ainsi qu’une nouvelle série de photos effectuées avec lui, Olivier Assayas pour le film réalisé sur Eldorado pour la rubrique cinéma, plusieurs textes dont une nouvelle écrite à partir de mon travail de l’écrivaine Marie Darrieussecq pour la rubrique littérature, le groupe pop Daisybox pour la rubrique musique, NIP/TUCK pour la rubrique séries TV etc… J’aimerais plus tard compléter ce projet avec un tiré à part pour le distribuer en supplément d’un vrai magazine. J’ai également commencé une nouvelle série de photos, ironiquement intitulée You Will Never Die où j’aborde le temps en revisitant les grandes icônes de l’histoire de l’art de l’antiquité à nos jours. Le fantasme de modifier notre paraître et de lutter contre l’irréversibilité du temps est devenu en partie réalité depuis l’avènement de « l’industrie de la beauté corporelle » (Michaud). Associé à un idéal de jeunesse, le culte de la Beauté touche aujourd’hui l’ensemble de la vie moderne et conditionne les us et les coutumes de notre société. « Vivre son corps est aussi découvrir sa faiblesse, la servitude tragique et impitoyable de sa temporalité, de son usure et précarité, de prendre conscience de ses fantasmes, qui ne sont eux-mêmes que le reflet des mythes crées par la société » (Gina Pane)

What are your next projects ? I am currently working on a book whose generic title REVUE plays both with the word’s double meaning and with the concept of a magazine in a deliberately equivocal way. This book fits into my work as a true piece of it, and not as a mere standalone text. How can one speak of representation and of the culture of appearances by using the same codes and language as those used in fashion without exposing oneself to misinterpretation ? By appropriating the idea of a magazine, I accept full responsibility for the “fashion” and very reductive image sometimes attributed to my work so as to send it towards another area of reflection. A table of contents will offer columns like in a magazine in which will be presented my détournements of images and adverts as well as the entire collection of my different artistic collaborations. The choreographer Angelin Preljocaj with whom I worked on Eldorado’s stage production and costumes, as well as a new series of photos, will represent the dance column ; Olivier Assayas for his film on Eldorado will be the cinema column ; several texts inspired by my work, including a short story written by the writer Marie Darrieussecq in the literature column ; the pop band Daisybox in the music column ; NIP/TUCK in the TV series column… I would like to complete this project by printing it up to distribute as a pull-out supplement in a real magazine. I have also started a new series of photos ironically entitled You Will Never Die in which I broached the subject of time by revisiting famous icons of the history of art from Antiquity to the present day. Our fantasy of changing our appearance and fighting against the irreversibility of time has become part of reality since the advent of “The industry of physical beauty” (Michaud). Associated with an ideal of youth, the cult of Beauty today touches the whole of modern life and influences our society’s habits and customs. “Living in your body is also discovering its weaknesses ; the pitiless and tragic servitude of its temporality; its wearing and precariousness ; understanding its fantasies, which themselves are just the reflection of myths created by society” (Gina Pane).

lement sur un projet de livre dont le titre générique

www.tranbavang.com

Nicole Tran Ba Vang

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