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De l'information à l'action

Carrefour d'échanges entre décideurs

Mai 2014 - N°2

Le renseignement, une fonction stratégique Preuve de son actualité comme de son intérêt éditorial, le renseignement constitue le sujet central du dernier numéro de la revue de l'Institut de Stratégie Comparée (ISC), Stratégique. Le renseignement y apparaît dans sa nature duale : s'il est nécessaire de se doter d'une "stratégie du renseignement", celui-ci est étroitement imbriqué aux différents niveaux et domaines de la stratégie globale. Dès lors, il ne se limite pas à la sphère militaire ou étatique. Il devient indispensable au pilotage de toute organisation.

"Une armée sans agents secrets est un homme sans yeux ni oreilles." Ainsi s'achève L'Art de la guerre de Sun Tzu, un ouvrage davantage cité que lu, et qui constitue un vibrant hommage à "l'intelligence en guerre". Alors que s'exacerbent les tensions concurrentielles, il n'est pas surprenant que le stratège chinois inspire aussi la littérature managériale. En attestent en particulier les travaux de Pierre Fayard, professeur des universités à l'IAE de Poitiers : Sun Tzu, Stratégie et séduction (Dunod, 2009) ou Comprendre et appliquer Sun Tzu, 36 stratagèmes de sagesse en action (Dunod, 2011, 3e édition). Si les entreprises comme les États sont invités à se doter d'une vision stratégique, quel rôle attribuer à la "fonction renseignement" ? Pourquoi se retrouve-t-elle au cœur de toute stratégie ?

"Stratégie du renseignement" : De quoi s'agit-il ?

Pourquoi cette lettre Dans un monde en pleine mutation, où la compétition est générale et la guerre polymorphe, l'information est plus que jamais une arme. Mais elle n'a de valeur que transformée en connaissance, ce qui suppose de confronter les points de vue, de décloisonner les savoirs. C'est l'objectif de cette lettre mensuelle de la brigade de renseignement de l'armée de Terre. Par sa fonction de veille et de "décodage" de l'actualité du renseignement, appliqué à l'ensemble des activités humaines, elle entend bâtir des ponts entre décideurs politiques, militaires et économiques conscients de la nécessité de "connaître" et "anticiper" pour conduire leur stratégie.

Membre de l'Institut et président de l'ISC, le professeur Georges-Henri Soutou, dans l'article qu'il consacre à "la stratégie du renseignement", propose de définir la stratégie comme "l'art de la dialectique des volontés et des intelligences employant aussi la coercition ou la force, ou la menace du recours à la coercition ou à la force, pour résoudre leurs conflits". Vaste mais précise, cette définition a le mérite d'inclure l'ensemble des aspects du sujet, "de la dissuasion nucléaire à toutes les stratégies indirectes, y compris les stratégies révolutionnaires, les stratégies du renseignement et de l'action clandestine, les ‘démonstrations’ navales, aériennes, etc., ainsi que le soutien aux mouvements de résistance, donc tous les aspects de la notion de force ou de menace du recours à la force". Si la "force" et la "coercition" restent essentielles, elles intègrent ici l'ensemble des "moyens de pression non violents" et débordent donc largement le cadre strictement militaire. G.-H. Soutou rappelle ainsi le cas de la déstabilisation des banques suisses en vue de leur faire renoncer au secret bancaire : "L'offensive des ÉtatsUnis, de l'Allemagne et de la France a été rendue possible au départ par l'acquisition (illégale et par des moyens clandestins) de données confidentielles sur les comptes bancaires de leurs nationaux en Suisse, ce qui a forcé, ensuite seulement, les autorités helvétiques à collaborer, face aux mesures de représailles et aux pressions de toute nature mises en œuvre ou annoncées."

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La justification du renseignement tient à son apport au processus décisionnel qu'il informe, à sa capacité à servir en information ses "clients".

Soutou insiste également sur le fait que toute "stratégie du renseignement" repose sur une capacité à recueillir, analyser et exploiter l'information en continu, au plus près des besoins : "L'information de toute nature au plus haut niveau contribue au processus de prise de décision et de planification d'éventuelles opérations, à travers toute la structure de commandement, jusqu'au niveau tactique. Inversement, les informations obtenues au niveau local ou tactique (observations sur le terrain, rapports d'agents, interrogatoires, documents saisis, écoutes de toute nature) peuvent utilement compléter ou réorienter le tableau des analyses élaboré au niveau supérieur." Cette fonction est précisément celle des unités de la brigade de renseignement de l'armée de Terre déployées sur les théâtres d'opération, autour d'un "système multicapteurs" apte à y traiter les informations de toutes origines (humaine, géographique, électromagnétique et image). Quels que soient les environnements et la manœuvre à conduire, la justification du renseignement tient ainsi à son apport concret au processus décisionnel qu'il informe, c'est-à-dire sa capacité à servir en information ses "clients".

Différentiel de connaissance et avantage compétitif

"Le dirigeant ne peut plus décider sans l'appui d'une analyse stratégique approfondie obtenue à partir d'une pratique modernisée de l'acquisition et du traitement de l'information."

Ancien Haut responsable à l'intelligence économique (HRIE) auprès du Premier ministre, Alain Juillet insiste sur ces aspects opérationnels dans une récente livraison de la Revue Défense Nationale. Si l'analyse de l'information est prééminente, il convient de ne pas "négliger l'importance des capteurs, outils et logiciels utilisés à tous les stades du renseignement. Ils sont devenus un enjeu majeur de la guerre technologique que se livrent les principaux acteurs pour bénéficier d'un avantage technique temporaire tout en neutralisant ceux des adversaires". Car le différentiel de connaissance est devenu un avantage compétitif décisif, ce qui s'observe notamment dans "le financement de projets, l'acquisition de brevets, le rachat de ‘start-up’ et le débauchage de chercheurs à l'échelle internationale". Ainsi abordée, la fonction renseignement apparaît indispensable à toute organisation. Comme le conclut Alain Juillet : "Nous vivons une période de rupture dans l'approche et la pratique du renseignement. Dans un monde en pleine mutation où la compétition est générale, le dirigeant, pour avoir une chance de réussir son action, ne peut plus décider sans l'appui d'une analyse stratégique approfondie obtenue à partir d'une pratique modernisée de l'acquisition et du traitement de l'information." Aller plus loin : revue Stratégique n°105, dossier "Stratégie et renseignement", ISC, 1er trimestre 2014, 238 p., 20 € ; Revue Défense Nationale (RDN) n°755, "Du renseignement", décembre 2012, 124 p., 15 € en version numérique sur www.defnat.fr.

Extrait Guerre économique : du renseignement à la connaissance. "À l'heure où il est de plus en plus difficile de se différencier par le niveau des hommes ou celui des machines du fait d'une globalisation et d'une activité concurrentielle poussant à l'uniformité, le différentiel de connaissance reste le meilleur moyen de s'assurer un avantage compétitif. Face à la complexité du monde et à la multiplicité des cibles, seule l'information acquise, traitée et diffusée en temps utile permet au décideur de prendre la moins mauvaise des décisions. Ayant par l'analyse une connaissance précise de la cible, il peut, dans le délai de plus en plus réduit qui lui est imparti, sélectionner le mode d'action lui paraissant le mieux adapté à la réalité du moment. En corollaire, on peut ajouter que la détention de la bonne information permet une appréciation exacte des moyens humains et matériels nécessaires avec pour conséquence une utilisation optimale des budgets concernés."

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Alain Juillet, Senior Adviser au sein du cabinet Orrick Rambaud Martel Revue Défense Nationale n°755, op. cit., p. 27-28 De l'information à l'action

Carrefour d'échanges entre décideurs

Une publication de la brigade de renseignement Directeur de publication : Général Frédéric Hingray Contacts et abonnements : offcom.brens@gmail.com www.defense.gouv.fr/terre Mai 2014 - N°2


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