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Titre
Un douanier sous couverture
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Titre
Jean-Pierre Cazé
Un douanier sous couverture L’infiltration des filières de drogue Essais et documents
Éditions Le Manuscrit
© Éditions Le Manuscrit, 2007 www.manuscrit.com ISBN : 2-7481-8450-5 livre imprimé ISBN 13 : 9782748184501 livre imprimé ISBN : 2-7481-8450-5 livre numérique ISBN 13 : 9782748184501 livre numérique
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Je remercie Richard qui m’a apporté une aide des plus précieuses dans la mise au point du manuscrit, ainsi que tous mes collègues douaniers et amis qui m’ont apporté leur soutien lors de moments très pénibles. Je dois tout particulièrement exprimer ma reconnaissance envers Guy qui nous a quittés, Joël, Patrick, Jean-Marc, Charles et Denis. Je dédie ce livre à mes fils, Olivier et Pierre-Yves.
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Avant-Propos
AVANT-PROPOS Le 6 mars 1991, j’ai été arrêté et mis en détention pour des opérations spéciales d’infiltration de réseaux de trafic de drogue commandées par l’administration des douanes. Quelques jours plus tard, trois autres collègues étaient à leur tour placés dans la même situation. Au terme d’une instruction qui dura trois ans, nous avons été jugés par un tribunal correctionnel et avons fait l’objet d’un non-lieu. Fin 1991, une loi d’amnistie votée par l’ensemble des groupes parlementaires promulguait l’extinction de nos chefs d’inculpation. Elle autorisait en outre, sous certaines conditions d’encadrement judiciaire, l’utilisation de nos nouvelles méthodes d’investigation, de livraison contrôlée et surveillée, ainsi que l’infiltration. Ces missions qui sortaient du cadre juridique de la loi française ont fait l’objet, dans les années 1990, d’articles et même d’ouvrages qui ont parfois travesti la réalité des faits et ignoré le contexte opérationnel dans lequel elles furent
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exécutées. C’est pourquoi, sans manquer à mon obligation de réserve ni au secret professionnel, j’ai décidé de rétablir la vérité et de raconter cette expérience : la recherche initiale de méthodes de travail inédites aux frontières de la légalité, les succès obtenus, les risques encourus, les dérapages dans lesquels nous avons été impliqués, jusqu’à la catastrophe finale et à l’abandon par l’administration d’agents qui s’étaient engagés corps et âme dans un combat contre les trafiquants de drogue. En m’inspirant de plusieurs faits réels vécus au cours de certaines actions, j’ai voulu relater les exemples-types de missions que j’ai réalisées avec mon équipe. Bien sûr les noms, les lieux et tous les détails trop précis susceptibles de permettre l’identification de ces opérations ont été volontairement changés, mais les faits racontés sont authentiques. Ce témoignage met en cause la cohérence des services au plan de l’action, l’engagement des administrations à l’égard de leurs agents et la détermination de l’État à payer le prix nécessaire pour enrayer un des grands fléaux de la société actuelle. Je remercie plusieurs de mes collègues de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) qui ont accepté, parfois, de m’accompagner ou d’assurer ma
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Avant-Propos
protection lors d’opérations très délicates et périlleuses. En souvenir, je leur dédie ces quelques pages et particulièrement à trois d’entre eux qui, pendant quelques semaines, ont été détenus comme moi. Grâce à ce récit, mes enfants, ma famille, mes ex-collègues et mes amis sauront quelle était ma profession exacte. Ce livre apportera certainement beaucoup de réponses à leurs interrogations. Enfin, j’adresse un grand coup de chapeau à ces femmes et ces hommes qui travaillent « dans l’ombre ». Qu’ils soient militaires, policiers, gendarmes, douaniers, ces anonymes échappent entièrement à l’attention des médias, mais ils accomplissent chaque jour des missions à hauts risques que leurs concitoyens ignorent totalement.
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La guerre des chefs
LA GUERRE DES CHEFS Fonctionnaire de l’État depuis 1968, et plus précisément, à l’époque des faits, de 1983 au début des années 90, contrôleur divisionnaire des douanes à la Direction des Enquêtes de Lyon (DED), j’étais chargé, à la tête d’une équipe de cinq agents, de traquer par tous les moyens les trafiquants de drogue, de démanteler les filières internationales et de mettre au jour leurs circuits financiers frauduleux. En 1984, date de la création de notre unité, tout était à inventer. Notre service lyonnais, appelé « Échelon », qui était à l’époque dirigé par un Directeur adjoint, ancien « para » et rugbyman, surnommé par ses hommes « le Patron » ou « le Boss », faisait partie intégrante d’une structure douanière nationale : la DNRED (Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières) chargée de la recherche et de la répression des grands trafics internationaux (stupéfiants, armes, capitaux, contrefaçons, tabacs, alcools, anabolisants, etc…). Cette structure regroupait sept échelons
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DED situés dans les principales villes de province et une direction parisienne. Le siège parisien de notre Direction administrative et opérationnelle très particulière était placé sous l’autorité d’un Directeur Interrégional, ancien légionnaire, surnommé « Le Colonel », qui menait ses troupes dans le plus pur style d’un véritable commandement militaire. De Paris, nous avions reçu l’ordre d’investir tout notre capital de savoir et toute notre bonne volonté et de nous engager totalement dans la mise en œuvre de méthodes dont nous ne connaissions pas toutes les subtilités, sans pouvoir recourir ni à la couverture légale, ni à une infrastructure solidement établie. Le premier objectif que se fixa la Direction des Enquêtes de Lyon (DED) était de recruter des informateurs, des aviseurs comme nous disons dans l’administration des Douanes. Pour faire face à notre mission, le renseignement était en effet la condition préalable à toute action. Il fallait donc recruter des informateurs qui nous donneraient accès aux réseaux que nous souhaitions démanteler, puis exploiter systématiquement ces informations. Nous avions entrepris d’exercer notre action dans certains quartiers lyonnais où sévissait la petite et moyenne délinquance, notamment la nuit. Très rapidement notre décision s’avéra
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payante. Trop rapidement peut-être. En effet, les nombreuses arrestations en flagrant délit que nous réalisions sur la voie publique irritaient des services concurrents. Le Parquet s’interrogeait sur les brillants résultats régulièrement obtenus par les douaniers, alors que le patron du Service des stupéfiants de la Police judiciaire de Lyon à l’époque se targuait d’avoir jugulé le trafic des stupéfiants dans la région. Quelques mois plus tard, un groupe composé d’une trentaine de fonctionnaires de la P.J. fut créé et chargé d’accomplir des missions de recherche similaires à celles que nous menions depuis plusieurs mois. Dans le même temps, nous étions poliment, mais fermement, invités à ne plus exercer notre action sur la voie publique lyonnaise. N’étaient-ce point déjà les prémisses d’une guerre des services ? Brusquement, nous comprenions que le pouvoir ne se partage pas, même lorsqu’il s’agit de lutter contre le trafic des stupéfiants. Nous nous étions cependant résignés à travailler dans ce climat dégradé. Il n’était pas dans notre intention de rivaliser avec ce service. Nous cherchions simplement à apporter nos compétences, nos moyens, notre expérience dans une entreprise que nous savions très difficile, à nous montrer efficaces dans une action complémentaire.
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Je dois dire d’ailleurs que nous entretenions de très bonnes relations avec certains de nos collègues policiers, enquêteurs, inspecteurs des stups. Ils comprenaient le bien-fondé de notre travail de terrain. Nous faisions parfois l’objet de confidences qui nous laissaient penser que tout ne marchait pas très bien au niveau de leur commandement. Leurs résultats s’en ressentaient. Plus tard, sans étonnement d’ailleurs, nous apprenions que ces fonctionnaires ne faisaient plus partie de ce service. Peut-être rêvaient-ils trop, eux aussi, de complémentarité et de solidarité dans la lutte commune contre les stupéfiants. De telles pensées utopiques manifestement incommodaient. Ce n’était pas une querelle des services, mais une guerre des chefs. Malgré de nombreux coups de freins identiques et répétés imposés à notre action, nous réussîmes à tisser, dans toute la région RhôneAlpes, une véritable toile d’araignée où de nombreux “correspondants” étaient venus apporter leur concours. Nous réalisions environ 80 % des saisies de stupéfiants sur la totalité des affaires constatées par toutes les administrations chargées de cette mission. En 1984, à l’époque de la création de mon unité, nos premières prises se limitaient à quelques grammes de résine de cannabis. En 1988, grâce à un travail de fourmi et à l’utilisation de
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nouvelles méthodes d’investigation, nous comptions nos saisies par centaines de kilos. Notre travail et notre persévérance payaient enfin. Nous étions bien structurés, entraînés, disponibles et efficaces. Mais c’était le cas aussi des concurrents d’autres services de l’État et notamment de ceux de la Police judiciaire ! La hache de guerre n’était pas enterrée. Les coups bas étaient fréquents. C’était presque la guerre. La guerre non pas contre les trafiquants, mais entre fonctionnaires, douaniers et policiers. Je me souviens d’un exemple parmi tant d’autres où notre service avait saisi une importante quantité d’héroïne et interpellé la totalité des fraudeurs. C’était une très belle affaire pour laquelle nous avions demandé et obtenu l’assistance de la P.J. locale. Plusieurs jours de planque et de filature avaient été nécessaires. Nous avions pris des risques importants, mais avions finalement le sentiment d’un travail bien fait. Alors que nous prenions, tous ensemble, douaniers et policiers, le verre de l’amitié au terme d’une collaboration exemplaire, les deux administrations se mirent d’accord pour publier en commun un communiqué de presse. Rendez-vous fut pris pour le lendemain midi. A notre grande stupéfaction, nous apprenions le lendemain matin, par voie de presse,
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que la Police avait réalisé une saisie record de stupéfiants. La Douane avait été évincée et son rôle décisif complètement ignoré. Comment réagir face à de tels comportements où nous nous sentions bafoués ? Certes nous, agents de terrain, ne travaillions pas pour la publicité, mais nous revendiquions tout de même un peu plus de justice, de reconnaissance, et souhaitions une meilleure entente. Les nombreuses tentatives de réconciliation se soldèrent par des échecs. Les seules collaborations qui étaient parfaites et sans ambiguïté étaient celles où nous devions apporter, dans certaines circonstances, notre logistique ou notre aide financière pour mener à bien une enquête menée par la P.J. En effet, ce service, ou plutôt certains de ses responsables, ne reconnaissaient l’utilité de notre administration que lorsque cette dernière permettait de payer les informateurs recrutés par la Police. Nous devenions un atout financier, une “pompe à fric”, un joker de service. Il était donc inévitable que dans ces conditions, compte tenu du potentiel humain, matériel et financier qui était à la disposition de notre administration, nous soyons tentés d’œuvrer seuls et pour notre propre compte. Entre les services l’atmosphère se tendait un peu plus chaque jour. Les missions dites d’étroite colla-
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boration Douane/Police devenaient de plus en plus rares, voire quasiment inexistantes. Ces relations qui se dégradaient entre les deux administrations étaient encore envenimées par le fait que les douaniers continuaient à réaliser des saisies spectaculaires, jamais égalées par la P.J. lyonnaise. En 1988, soutenus et encouragés par notre haute hiérarchie, nous décidâmes d’innover encore un peu plus dans notre action et de recourir à des méthodes nouvelles : Les livraisons contrôlées et surveillées de stupéfiants avec utilisation de l’infiltration des filières. Jusque dans les années 80, c’est-à-dire avant l’utilisation de ces nouvelles techniques de lutte contre les trafics de stupéfiants, les saisies de drogue réalisées en France par la Douane étaient le fruit ou bien d’une découverte inopinée – on appelait cela le « flair » douanier –, ou bien d’un renseignement communiqué par un informateur. Dans les deux cas, bien sûr, les stupéfiants étaient saisis et les propriétaires ou détenteurs des marchandises arrêtés. Mais souvent seuls les passeurs étaient interpellés. Par contre, il était très compliqué, voire même impossible, d’appréhender les véritables responsables des trafics c’est-à-dire les commanditaires, les financiers, et plus largement tous les
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membres impliqués dans de telles organisations de fraude. C’est pourquoi, afin d’avoir la possibilité de démanteler entièrement ces filières, nous décidâmes de mettre en application notre nouveau plan d’action, en procédant en plusieurs étapes : infiltrer les filières, c’est-à-dire entrer dans le circuit de fraude afin de le contrôler de l’intérieur, identifier et surveiller les agissements des trafiquants, puis suivre les déplacements des stupéfiants jusqu’à la conclusion finale de l’affaire où la drogue était saisie et tous les trafiquants arrêtés. Depuis des décennies les services américains utilisaient l’arme efficace de l’infiltration pour démanteler les filières de drogue. Cette méthode pour nous inédite d’identification, de contrôle et de destruction des organisations de contrebande de produits stupéfiants remplaçait ou renforçait les moyens classiques d’investigation : écoutes téléphoniques, filatures, surveillance etc… Elle permettait de contrôler, de l’intérieur, par l’entremise d’un ou de plusieurs agents, les agissements des membres d’un réseau, mais également de mettre à jour et de cerner leurs complicités logistiques et financières. C’était un moyen redoutable qui permettait parfois de découvrir des ramifications ou encore des relations quasiment insoupçonnables entre les auteurs présumés
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d’importations illicites et les véritables organisateurs. Les découvertes faites en cours d’infiltration étaient parfois surprenantes. C’était peut-être ce qui expliquait en France certaines hésitations à procéder à un type de recherche qui risquait, dans certains cas, de mettre à jour des complicités ou des relations douteuses et de conduire à des révélations impliquant certaines personnalités ou de remettre en cause certains engagements diplomatiques. L’infiltration était pourtant la mission qui m’avait été confiée ainsi qu’à quelques agents surnommés les « James Bond » des Douanes, appartenant à la DNRED placée sous le commandement suprême à l’échelle nationale du « Colonel », surnommé le « légionnaire ». Cependant, en la matière, nous étions des novices. Nous avions tout à apprendre. A cette époque, c’est-à-dire jusqu’à la fin des années 80, nous n’avions que pour objectif de mener à bien nos nouvelles missions dans le seul souci de lutter plus efficacement contre les trafics de drogue. Nous n’avions pas conscience du danger bien réel que présentaient nos nouvelles missions. C’est ainsi, par exemple, que pour infiltrer des organisations pourtant criminelles nous n’utilisions, afin de « travailler sous couverture » c’est-à-dire d’agir en dissimulant
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nos véritables identités, que des noms d’emprunt fictifs trouvés dans le bottin téléphonique. Nous prenions des risques insensés. En effet, n’importe quel trafiquant quelque peu soupçonneux aurait pu aisément découvrir nos véritables identités administratives. Nous avons eu en fait beaucoup de chance, car pendant plusieurs années nous avons œuvré de la sorte et sans incidents majeurs.
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L’aviseur
L’AVISEUR Dans nos services de la Douane on appelle « aviseur » la personne qui se propose par civisme ou par intérêt de collaborer avec le service des Douanes. Les termes d’ « informateur », « ami », « correspondant », « auxiliaire », « tonton », etc… sont également courants. Bien sûr les motivations de cet « ami » peuvent avoir pour origine une multitude de raisons qui l’incitent à dénoncer un acte délictueux, à désigner des complices ou des rivaux. S’il arrive encore que la jalousie ou la vengeance entraînent de tels comportements, la motivation la plus fréquente reste le profit financier que procure à l’aviseur une rémunération calculée en fonction de l’importance et de l’impact des informations communiquées. Si les techniques anciennes de recherche de renseignements (pressions psychologiques, chantage déguisé, services rendus, échanges, etc.) sont encore utilisées, il semble que « l’appât du gain » (climats économique et social moroses aidant) soit une des raisons et des
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motivations principales d’une telle collaboration. Issu de toutes les couches sociales de notre société et pour des motifs très variés, l’informateur apporte, moyennant une rétribution financée par un compte administratif spécial prévu à cet effet, son concours aux services chargés de rechercher, découvrir, percer et démanteler des filières parfois très bien structurées. Afin d’accomplir mes missions d’infiltration, tant en France qu’en Afrique du nord, j’avais besoin de la collaboration « d’aviseurs » en qui j’avais une assez grande confiance. J’étais cependant toujours un peu réservé sur la fiabilité de ces personnages. Je ne leur laissais jamais carte blanche. C’est pourquoi, même si leur « recrutement » avait été assuré par la douane ou par une autre administration (police, gendarmerie, impôts, etc.), chacun faisait systématiquement l’objet d’enquêtes personnelles très poussées. Avant de m’aventurer en terre étrangère par exemple afin d’accomplir une mission d’infiltration où j’étais présenté incognito aux trafiquants par une de nos « recrues », je tenais à être absolument certain que ce collaborateur avec qui je travaillais pour la première fois ne serait pas tenté de me « doubler ». C’était là un réel danger toujours présent.
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L’aviseur
C’est pourquoi, je devais connaître le maximum de détails sur leur passé et avoir approfondi toutes les facettes de leur personnalité. Afin d’être certains qu’ils respectent bien leurs engagements, c’est-à-dire les objectifs que mon Service et moi-même avions définis avec eux, nous étions parfois contraints de prendre certaines garanties à leur encontre. Ces « assurances » de confiance pouvaient revêtir différentes formes eu égard aux circonstances du moment, à leur situation familiale, leur profession, leurs relations privées, leurs antécédents judiciaires, etc. Chaque correspondant avait nécessairement un point faible et nous devions être capables, en cas de besoin, de pouvoir sortir ce joker d’urgence. Parmi tous nos « tontons », ce sont certainement Jean, Victor, Riton, Claude et Gilles qui me rendirent les services les plus remarquables. Sans eux, sans leur collaboration, je n’aurais jamais pu accomplir mes missions. Même si leurs motivations à prendre des risques ont été différentes pour chacun d’entre eux, ils respectèrent leurs engagements initiaux. Nous les avions recrutés comme ils étaient, c’est-à-dire à l’état brut, seulement pour ce qu’ils pouvaient nous apporter de positif.
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Jean avait tout perdu. Sa vie n’était faite que de rebondissements désagréables. De véritables malédictions. Son épouse l’avait quitté. Sa petite société située en banlieue parisienne avait été placée en liquidation judiciaire. Il ne lui restait plus que sa vieille mère. Ruiné, il était parti en aventurier dans des pays lointains où il fit de nombreuses connaissances, mais où il eut parfois de mauvaises fréquentations. Il tenait à refaire sa vie et à repartir à zéro, mais il manquait de moyens financiers. Il était venu à nous, seul, sans référence, sans recommandation. Il tenait à nous apporter les informations qu’il détenait sur un important trafic de cannabis qui s’exerçait dans le sud de l’Espagne. Sa démarche était purement financière. Par la suite, il nous communiqua également d’autres informations essentielles qui nous permirent de comprendre les mécanismes d’acheminement du cannabis du Maroc vers la France et le reste de l’Europe par le moyen de transports routiers internationaux de marchandises de fret. Il fut légitimement et copieusement rémunéré en conséquence. En revanche, son empressement à dilapider ouvertement son nouveau capital financier et son manque de prudence lors de certaines conversations privées en rapport avec ses agissements passés lui
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valurent bien des ennuis. Il avait trop parlé. Personnellement, je ne le revis jamais. Victor, était un personnage totalement différent. Français d’origine, établi à Tanger, il vivait en concubinage avec une ressortissante de ce pays, mais possédait encore des attaches affectives et familiales en France. Très largement motivé par l’appât du gain, et très bien placé dans le milieu particulier du grand trafic international de stupéfiants, il correspondait exactement au profil type du correspondant dont la mission était de préparer à l’étranger une opération spéciale d’envergure. Il apportait des renseignements et fournissait, sur place, une aide logistique ainsi qu’une position de repli aux agents chargés d’infiltrer les filières. La rémunération financière qu’il pouvait espérer en travaillant avec nous n’était pas sa seule motivation. En effet, quelques mois auparavant, je lui avais rendu un immense service. Sans mon intervention il aurait connu la prison de très longues années. Il m’était redevable. C’était donnant-donnant. Il avait accepté le « deal » que mon service lui avait proposé : nous renseigner sur les filières de cannabis en partance pour l’Europe et, le moment venu, préparer l’introduction d’agents
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de la DNRED au sein des organisations de fraude. Il respecta le contrat et nous apporta une aide prodigieuse, facilitant la saisie de plusieurs tonnes de résine de cannabis, le démantèlement de plusieurs filières internationales de produits stupéfiants et l’arrestation de trafiquants, des financiers liés à des groupuscules révolutionnaires, voire terroristes. Avec la première affaire d’une tonne de stupéfiants qu’il nous avait fait réaliser, il avait éteint sa dette envers nous. Pour les suivantes, il fut rémunéré très largement par notre service en milliers d’euros. A ma connaissance, il coule actuellement des jours heureux. Riton, quant à lui, ne pouvait que laisser de côté l’aspect financier de sa collaboration avec notre service. Ex-braqueur, il venait de commettre une nouvelle bêtise. Il redoutait la prison qu’il avait déjà longtemps connue. Il préférait opter pour un statut de « repenti ». Il apportait sa contribution dans le démantèlement d’un trafic d’héroïne dont il avait eu connaissance dans le milieu de la délinquance qu’il fréquentait, en échange d’un éventuel allégement de sa peine dans une vraisemblable prochaine condamnation. Bien que n’étant pas répertorié au grand banditisme, son passé criminel était cependant
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déjà très éloquent. Il n’avait pas le choix. D’ailleurs, c’était lui-même, par l’intermédiaire d’un service de Gendarmerie, qui nous avait spontanément proposé sa collaboration. Il nous parla d’un certain Augun… Nous partîmes sur la piste. Riton joua son rôle. Il prit des risques. L’opération que nous avions menée sur la base de ses renseignements connut un grand succès. Nous fûmes satisfaits. Par la suite, nous avons très vite perdu le contact avec lui. Il s’évapora dans la nature. Nous ne l’avons jamais revu. Claude, ex-braqueur, insaisissable, très peu fiable et même dangereux, jouait le double jeu. Fiché au grand banditisme, sa fiche signalétique était éloquente. Il avait déjà purgé plusieurs peines de prison. Ses rencontres, ses amitiés établies au cours de ses séjours derrière les barreaux avaient contribué à renforcer la dureté de son caractère et à lui faire franchir plusieurs étapes dans l’échelle de la criminalité. Il avait côtoyé tellement de grands délinquants qu’il possédait une véritable « culture » de voyou redoutable. Il s’était fait de nouveaux amis, de nouvelles connaissances, mais également des ennemis. Il nous racontait que dans l’univers carcéral, chacun défendait sa place. Le plus fort imposait son pouvoir et marquait son territoire. Il se souvenait de Dédé, un ami de longue date et compagnon de cellule, avec qui il
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avait eu quelques altercations et devant lequel il avait dû se soumettre. Claude avait juré de se venger un jour. Pour nous, c’était l’homme de la situation. En effet, nous devions préparer une opération inhabituelle qui demandait que je sois assisté par un collaborateur gravitant dans la grande délinquance, peu scrupuleux et désireux d’assouvir une vengeance personnelle. Claude était tout désigné. Pour lui c’était également une situation inespérée. En fait, il était très heureux de me rendre service. Au cours de cette mission qui d’ailleurs se solda par un échec, il me sauva certainement la vie. Il eut un très bon réflexe humain et adopta une très belle attitude. Il ne se « rangea » pas pour autant. Quelques mois plus tard il « retomba » pour un nouveau braquage. Enfin Gilles. Gilles était une vieille connaissance de notre service. Transporteur indépendant, il sillonnait les routes de la terre entière. Baroudeur aguerri, tête brûlée sans foi ni loi, il affectionnait plus particulièrement les contrées nord-africaines. Le sable chaud lui rappelait des souvenirs lointains. L’appât du gain était sa seule et unique motivation pour nous apporter sa collaboration. Nous l’avions donc recruté pour sa qualité de chauffeur routier interna-
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tional et sa connaissance de l’univers parallèle du transport de marchandises frauduleuses. Nous avons utilisé bien des fois ses services et nous l’avons légalement rémunéré avec des fonds prévus à cet effet. Par contre, nous avons immédiatement interrompu cette collaboration lorsqu’au cours d’une mission dans laquelle j’étais infiltré j’ai découvert qu’il encaissait également de l’argent des trafiquants que nous étions sur le point d’interpeller. Gilles « jouait sur les deux tableaux ». Il nous doublait. Il était très dangereux. Bien sûr nous nous en sommes aussitôt séparés. Tous ces personnages étaient des gens à manipuler avec précaution. Certes ils détenaient des informations très importantes sur les trafics de drogue, mais, pour certains, leur parcours de grands délinquants était tel que nous devions constamment surveiller leurs moindres faits et gestes, leurs déplacements, leurs contacts et vérifier bien sûr la véracité de leurs renseignements. Et pourtant, c’est en compagnie de ce genre d’individus que j’ai entrepris d’infiltrer les filières internationales de drogue. C’était avec leur aide que j’ai pu m’introduire au sein d’organisations criminelles très structurées et découvrir, de l’intérieur, leurs modes de fonctionnement.
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La naissance de l’agent…
LA NAISSANCE DE L’AGENT « SOUS COUVERTURE » Jusqu’au début 1990, c’est-à-dire avant la mise au point de cette véritable infrastructure par ma hiérarchie du moment, j’avais utilisé divers subterfuges pour ma transformation physique, mais j’avais agi sous un nom d’emprunt fictif, c’est-à-dire sous un faux nom certes, mais qui était dépourvu de bases solides d’identité, c’està-dire sous de fausses identités qui n’étaient pas soutenues par des papiers administratifs valables. A cette époque, c’est-à-dire aux premiers temps des « livraisons surveillées avec infiltrations », je n’étais pas « couvert » par une vraie/fausse identité. C’est ce qui explique que plusieurs missions se sont presque terminées en drame. C’est ainsi que la saisie début 1990 à Lyon d’une tonne de résine de cannabis permit aux services de Police et à la Justice de cerner plus précisément l’affaire et de procéder à mes identifications personnelles et administratives Les ennuis judiciaires commençaient. La Douane était placée dans le « collimateur ».
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A partir de ce cette époque et de ce fait regrettable, la logistique de mon service dut se montrer encore plus vigilante envers les voyous, mais également à l’égard des services policiers et judiciaires de notre pays. En général, pour nous, agents chargés de l’exécution de ces ordres particuliers, nous considérions que c’était un comble que de devoir nous méfier de nos collègues ou de la Justice. Mais il est vrai que, pris par notre passion et par notre engagement administratif, nous ne percevions pas toujours très bien les implications juridiques de notre situation. Cependant je reconnais volontiers que, dans certains cas, les missions qui m’étaient confiées devenaient de plus en plus secrètes et surtout encore plus illégales. Pourtant certaines unités spécialisées de Police ou de Gendarmerie chargées de la lutte contre les trafics internationaux de stupéfiants utilisaient parfois, ponctuellement, mes compétences pour certaines opérations très délicates. Il est vrai qu’elles avaient fait leurs preuves. La multiplication de mes différentes missions, toujours plus périlleuses, délicates et sensibles, avait fait prendre conscience au « Colonel » que j’étais exposé à bien des dangers. C’est pourquoi j’entrepris à cette époque une véritable métamorphose de ma personnalité afin de réaliser une nouvelle
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La naissance de l’agent…
approche de l’infiltration. Je devais disparaître, puis renaître en véritable « agent sous couverture ». Un agent sous couvert, sous couverture, undercover, est une personne, fonctionnaire ou civile, recrutée par les services, qui, en mission, vit sous une fausse identité, une fausse profession, une fausse adresse, ainsi qu’une fausse famille. La création de ce nouveau personnage a pour objectif de former un véritable écran entre les trafiquants et l’agent chargé d’infiltrer leurs structures. Les dirigeants des organisations criminelles qui s’entourent de mille précautions font effectuer discrètement des recherches sur les origines et le passé des nouveaux arrivants, des nouveaux contacts qui leur sont présentés et n’ont pas encore fait leurs preuves à leurs côtés. Pour un agent infiltré, travailler sous sa propre identité serait impensable. Identifié et donc repéré en qualité de fonctionnaire de l’État par les trafiquants, sa vie serait rapidement en grand danger. C’est pourquoi notre service ne pouvait plus se permettre d’exposer aussi dangereusement ses agents et de les voir confrontés à de telles situations. En effet, découvert par les voyous, cet agent infiltré eut été très certainement et immédiatement éliminé par ceux-ci. C’est
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pourquoi la « couverture » du fonctionnaire devait être impeccable. La préparation de ma fausse identité de JeanPhilippe C. fut minutieuse. Je devais changer d’apparence, me confectionner un nouveau look tant physique qu’identitaire ou psychologique. Je m’étais laissé pousser la barbe, les cheveux et portais désormais un petit diamant au lobe de l’oreille. Je ne possédais plus d’attaches familiales. Tout mon entourage proche avait disparu. Je devais être seul. Question de sécurité. C’est pourquoi lorsque je recevais un ordre pour une mission particulière je devenais « un autre » et en quelque sorte un électron libre en service commandé. Bien sûr je n’étais plus fonctionnaire des Douanes. J’exerçais, pour ma couverture, une profession libérale en relation avec mes missions à venir. Pour l’état civil, je devins Jean Philippe C… né le 10 mai 1949 à Abidjan (Côte d’Ivoire), profession : transporteur, domicilié fictivement dans une rue très discrète du 7 e arrondissement de Paris. Bien sûr, l’appartement n’existait pas. Seule une boîte à lettres placée parmi une vingtaine d’autres et portant une étiquette à mon nouveau nom signalait que j’étais bien un des locataires des lieux.
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La naissance de l’agent…
Pour obtenir un vrai/faux passeport au nom de C… j’eus à effectuer un véritable parcours du combattant. Muni d’une fausse carte d’identité au nom de C… confectionnée au moyen d’une de mes photos d’identité avec barbe puis vieillie au moyen du procédé dit de la « machine à laver » et qui me fut discrètement remise par une personne dont j’ignorais le service d’appartenance, je contractai aisément une police d’assurance et obtins le plus légalement du monde une facture EDF/GDF. Ces deux documents attestaient de ma présence dans mon pseudo-appartement. En possession de ces documents je reçus des services du secteur préfectoral adéquat un vrai/faux document administratif d’identité. Dans le jargon du métier j’étais neuf. Ensuite je réalisai quelques essais aux passages de frontières terrestres et aériennes tant en France qu’à l’étranger pour tester la fiabilité du nouveau passeport. Ma « couverture » documentaire fonctionnait à merveille. Je pouvais désormais infiltrer sans trop de risques. Aucune interrogation de fichiers de Police voire de Douane ou de Gendarmerie tant en France qu’à l’étranger, n’était susceptible de découvrir mon appartenance administrative et surtout bien sûr la véritable motivation de mes déplacements.
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Un douanier sous couverture
A chaque fin de mission je remettais aussitôt le passeport à mon Directeur, adjoint logistique au Colonel, lequel le plaçait directement à l’intérieur du coffre de son bureau. Ce nouveau document possédait plusieurs avantages. Certes il me permettait de ne pas m’exposer en révélant ma véritable identité aux trafiquants, mais il m’autorisait également à disparaître irrémédiablement à la fin d’une mission, alors que les trafiquants, voire parfois certains services de Police (oui, c’est arrivé…), étaient à la recherche d’un « barbu » porteur d’une mallette ou d’un sac. Il arrivait que Jean-Philippe C. prît la fuite au moment de la saisie de drogue et de l’arrestation des acheteurs par la Douane. De retour dans les locaux administratifs, je me rasais la barbe, « passais » chez le coiffeur ou retirais tout simplement mon complément capillaire. Je devenais méconnaissable, donc introuvable. Fin 1990, j’obtins ainsi une véritable « couverture » adaptée. J’avais la possibilité d’infiltrer avec un maximum de sécurité. Mais il était déjà trop tard. Je ne pus réaliser que quelques missions dites de « rodage ». J’étais déjà repéré, connu et identifié depuis longtemps, non par les voyous, mais par la police et la justice françaises. Ironie du sort, ce fut lorsque j’eus la possibilité d’accomplir mes missions avec plus de sérénité face aux trafiquants que mes ennuis commencèrent.
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L’entrée dans le circuit
L’ENTRÉE DANS LE CIRCUIT Pour entrer dans un réseau de drogue bien structuré, il ne suffit pas de le vouloir. Il est essentiel d’être bien présenté. On dit que l’agent est “introduit” (mission sous couvert ou undercover). Généralement cette première étape, qui est une des phases déterminantes du bon déroulement de la mission, est réalisée avec la complicité d’un correspondant. Cet « ami », bien placé dans le circuit frauduleux, présente l’agent que l’on veut infiltrer à certains membres de l’organisation, en tenant cachées les véritables identités et fonctions de ce dernier. Le correspondant traite d’égal à égal avec ses complices. Souvent il ne connaît pas lui-même les fournisseurs ou commanditaires. Il reviendra plus tard à l’agent de renforcer la confiance des trafiquants à son égard pour les amener à lui livrer sans méfiance les renseignements recherchés. Pour mener à bien cette phase essentielle, l’agent doit préalablement déterminer son prétexte ou alibi d’entrée, la clef lui permettant
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d’entrer dans le milieu. Ce prétexte d’entrée doit être judicieusement choisi en fonction des aptitudes et des connaissances pratiques de l’agent. Il doit permettre d’ouvrir le plus grand nombre de possibilités facilitant son insertion au sein du réseau. Pour ma part, je me suis présenté tantôt comme transporteur, tantôt comme employé de banque, chauffeur ou encore “homme de main”. Parmi mes nombreuses missions, mon meilleur alibi d’entrée fut certainement celui d’un personnage s’exprimant très bien en allemand. L’“ami” qui devait permettre mon infiltration savait qu’une bande organisée s’apprêtait à conclure une affaire importante avec des intermédiaires s’exprimant en allemand. Ma présentation à certains membres de ce réseau s’étant déroulée sans incident, on me confia la seule responsabilité de répondre aux différents appels téléphoniques reçus au point de chute d’un des organisateurs d’une importante opération portant sur plusieurs tonnes de résine de cannabis. Je recevais les appels des correspondants complices, leurs noms ou surnoms, et surtout les numéros de téléphone où l’on pouvait les rappeler. Plus tard, étant parfaitement accepté et ayant accompli mon travail de confiance avec assiduité, on me présenta en personne à quelques membres importants de la structure frauduleuse.
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L’entrée dans le circuit
Au cours de cette mission, je surpris quelques conversations téléphoniques et découvris que des relations très étroites, presque amicales, existaient entre la personne que je surveillais de près (trafiquant de drogue international récidiviste) et un magistrat parisien. Ce dernier, qui avait eu connaissance de la « mise en observation » du trafiquant par la Douane, par le biais, mais à son insu, d’un fonctionnaire responsable d’un de nos services administratifs chargés du contentieux et du recouvrement, avait communiqué « maladroitement » cette information à notre « cible ». Ce magistrat, juge d’application des peines qui avait vraisemblablement passé un « deal » avec notre « client », ancien détenu susceptible de lui fournir de précieux renseignements sur les milieux de la drogue ou des groupes terroristes, n’était sans doute pas très heureux que notre service s’intéresse de trop près aux agissements de son « protégé » et perturbe l’évolution des dossiers en cours concernant l’individu en question. Quelques jours plus tard, j’étais discrètement informé par mes collègues auxquels j’avais transmis cette troublante constatation et qui avaient procédé à un complément d’enquête auprès de certains de nos contacts privilégiés que cette indiscrétion malencontreuse avait permis au délinquant de découvrir ma véritable identité. Oui, notre « cible » avait des relations !
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Je fus immédiatement condamné à mort par le voyou. Je n’échappai à ce sort que grâce aux réflexes de mon correspondant qui me prévint à temps de ces faits et à mon départ précipité. Dans ce cas particulier ma seule défense était la fuite. Je n’étais pas de « taille » à lutter. Un tel combat aurait été perdu d’avance. Et puis pas question de riposte par arme interposée. D’ailleurs, Je n’en portais jamais lors de ces missions spéciales. De toute façon une arme ne m’aurait pas rendu service, m’eût au contraire handicapé par son encombrement et je détestais et déteste toujours les armes à feu… Ça fait trop de bruit. Toujours œuvrer avec un souci de parfaite discrétion, telle était et demeure toujours la règle en la matière. Ma mission, bien sûr, s’interrompit aussitôt. Heureusement d’autres infiltrations furent menées à terme et les résultats se révélèrent spectaculaires.
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Comment vivre dans le circuit ?
COMMENT VIVRE DANS LE CIRCUIT ? Les phases de présentation et d’acceptation réalisées, l’agent infiltré doit s’identifier entièrement à sa nouvelle couverture. Généralement il ne doit ni porter une étiquette trop humble (simple porte-serviettes ou affecté à des tâches trop subalternes, il n’accédera jamais aux niveaux hiérarchiques supérieurs de l’organisation) ni trop prétentieuse (banquier influent, grand PDG, etc., il ne pourra pas apporter la preuve de son niveau social, grand train de vie, argent facile, voitures de luxe, etc.). Cependant il n’est pas gênant d’avouer des difficultés financières passagères, à condition toutefois de conserver une marge de notoriété permettant de jouer le rôle du “flambeur”. La couverture de chef d’entreprise au bord de la faillite financière, prêt à tout pour collaborer avec ses nouveaux “amis” en leur apportant une aide matérielle ou logistique, a été utilisée maintes fois avec succès. Si cette couverture paraît judicieuse et a fait ses preuves, elle demande toutefois pour l’agent
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infiltré des moyens adaptés à ses nouvelles fonctions. S’il doit, dans son comportement psychologique, ses attitudes, ses gestes, exclure toute réaction administrative caractéristique de sa vie de fonctionnaire, il doit également posséder les facilités financières et les signes extérieurs de sa nouvelle identité. L’investissement financier peut parfois être important, mais il ne faut pas hésiter à se donner les moyens pour lutter d’égal à égal avec des trafiquants de haute volée. La lutte contre la grande contrebande des produits stupéfiants ne doit pas souffrir d’économies de bout de chandelle. Au départ, le combat est déjà trop inégal. Et puis, on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. Il faut donc se donner les moyens, tous les moyens (juridiques et financiers), pour lutter efficacement contre ces adversaires. La transformation de l’agent infiltré, outre celle de son comportement psychologique, doit être totale. Son physique, sa tenue vestimentaire notamment, doivent être adaptés à sa couverture. Cheveux bien peignés, vêtements élégants, briquets de marque lorsqu’il revêt l’étiquette de financier, blouson cuir, santiags, jeans, barbe naissante pour le chauffeur, l’homme de main ou le baroudeur. Le langage, le comportement gestuel, le style de vie doivent également être adaptés à sa nouvelle identité.
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Comment vivre dans le circuit ?
Gare aux dérapages, aux oublis, enfin à tous les signes extérieurs, dans la manière de vivre, susceptibles d’engendrer de la part des membres du réseau placés sous surveillance une certaine méfiance et de révéler les véritables intentions du nouvel “ami” présenté. L’agent infiltré doit posséder un sens inné de la comédie. Il doit sans cesse jouer, se dédoubler, se projeter comme un véritable acteur. Sur le terrain, face aux trafiquants ce comportement est son principal atout. La mission essentielle de ce personnage, la plus critique et la plus dangereuse, est la communication à son service et à son commandement des différentes informations recueillies pendant son séjour dans le circuit. Cela s’appelle “l’exfiltration momentanée ou temporaire”. L’agent doit, en évoquant un prétexte “en béton” dit “l’alibi”, sortir pendant un court moment du réseau afin d’apporter, au coup par coup et régulièrement, les renseignements concernant l’évolution de sa mission. Ces comptes rendus succincts mais essentiels seront déterminants pour la conduite à tenir des collègues placés à l’extérieur et chargés, plus tard, d’intervenir avec efficacité et rapidité. Pour réaliser une sortie de ce type, il faut avoir été bien entraîné à vérifier que l’on n’est pas suivi et, dans chaque cas, préparer avec minutie le déroulement de l’opération. A ce
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niveau, l’agent et son commandement ne peuvent pas faire preuve d’amateurisme. C’est la vie du fonctionnaire qui est en jeu et pas seulement la réalisation de l’affaire.
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La sortie du circuit
LA SORTIE DU CIRCUIT La dernière phase de l’infiltration est l’exfiltration définitive. L’agent sort du réseau, car sa mission est terminée. La plupart du temps il a fourni discrètement assez de renseignements à ses collègues pour que ces derniers interviennent rapidement, procèdent à la saisie des stupéfiants et interpellent les organisateurs. Parfois, cependant, il peut-être découvert et reconnu par les trafiquants, ce qui augmente les risques qu’il encourt. Je me souviens, par exemple, qu’au stade final d’une affaire importante et alors que mes collègues s’apprêtaient à appréhender trois grands trafiquants ainsi qu’un lot de marchandises volées d’une valeur d’un demi million d’euros (tableaux, icônes, statuettes, etc.), l’un des individus me menaça dans le dos avec une arme de gros calibre et m’intima l’ordre de le suivre jusqu’à la conclusion définitive de la livraison. Ne pouvant être mêlé à ces arrestations, je décidai de m’éloigner malgré ses
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menaces en attendant sa réaction. Heureusement il décida de ne pas tirer. C’est lorsqu’il retrouve sa vie normale de fonctionnaire que l’agent est le plus vulnérable et en situation dangereuse. Il doit reprendre sa véritable identité et oublier sa cohabitation avec les trafiquants, parfois son mode de vie hors des lois, ses agissements clandestins. C’est à ses supérieurs qu’il appartient de le prendre en charge, lui et sa famille, afin de l’écarter de tous risques de représailles éventuels et de le ressourcer psychologiquement. C’est ce que l’on appelle “la mise au vert” ou la “mise à l’abri”. Il doit disparaître rapidement et recevoir de son service de tutelle tous les moyens nécessaires lui permettant de reprendre une vie normale en toute tranquillité. C’est au cours de cette phase finale que sa hiérarchie doit faire la preuve de son engagement total dans ce type d’action et de son véritable professionnalisme. Aux U.S.A., 20 % environ des agents du Drugs Enforcement Agency (agents qui luttent contre les trafics de stupéfiants) infiltrés en Amérique du Sud notamment pour combattre les trafics de cocaïne ne peuvent pas psychologiquement reprendre une vie normale après une longue période d’infiltration. Et pourtant ce sont des hommes bien entraînés, suivis médicalement et solidement encadrés par une hiérarchie très compétente en la matière.
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La sortie du circuit
L’infiltration est une méthode nouvelle et redoutable de lutte contre tous les grands trafics et notamment celui de la drogue. Il est souhaitable d’utiliser ce moyen efficace, mais en prenant toutes les garanties nécessaires pour protéger la vie des agents qui mènent ce dur combat.
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Une première approche de l’infiltration
UNE PREMIÈRE APPROCHE DE L’INFILTRATION A l’occasion d’un contact avec Jean, l’un de mes informateurs, j’appris qu’un trafiquant international de résine de cannabis, un certain Robert, opérant entre le Maroc et l’Espagne et peut-être la France, était localisé dans le sud de l’Espagne dans la zone Malaga/Marbella. Mon service décida avec l’autorisation des autorités ibériques de mettre en place un dispositif permettant d’établir un contact physique avec cet individu dont nous ne connaissions ni l’identité ni le lieu du « repère ». La mission de mon équipe était donc de réaliser une approche en douceur et de découvrir quel rôle exact jouait notre cible. Nous menâmes cette action dans le pur style « commando ». La rapidité d’exécution de cette mission était déterminante pour le succès de notre opération. Notre expérience nous avait maintes fois démontré que ce genre de personnage changeait très souvent de point de chute. De toute évidence en sollicitant une
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enquête administrative internationale classique nous perdrions sa trace. Accompagné et présenté par mon « ami Jean », je fus chargé d’établir le contact et de procéder à l’infiltration du réseau de Robert. C’était ma première immersion dans le milieu. Mon baptême du feu. Les gars de mon équipe assuraient ma protection à distance et procédaient au cours de leurs surveillances à de multiples manœuvres techniques de prises de vues et d’identifications. Bien sûr, les collègues espagnols étaient très intéressés par cette affaire et par les méthodes nouvelles que nous mettions en œuvre. Leur étroite collaboration nous apportait également une logistique parfaite pour le bon déroulement de l’opération. Le premier contact à Malaga fut rapide et surprenant. Le rendez-vous avec Robert avait été fixé par Jean à la terrasse d’un bar placé au bord d’une grande avenue et situé face à un immeuble de standing où mes collègues avaient pris soin de louer un appartement dont les ouvertures donnaient sur le bar. Ils occupaient donc une position parfaite d’observation afin d’assurer une surveillance appropriée du lieu où nous nous trouvions. Notre interlocuteur était très détendu. Il se comportait dans le plus pur style du vacancier moyen. Personne ne pouvait imaginer sa
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véritable personnalité. Moi-même, je doutais encore des confidences que m’avait faites mon informateur. Jean ne tentait-il pas de me manipuler dans le seul but de faire procéder à ma propre identification par une organisation criminelle ? Ne jouait-il pas un double jeu ? Cette possibilité ne pouvait être écartée. Parfois dans ce milieu particulier on ne savait plus qui manipulait qui. Je me tenais donc sur mes gardes. Je décidai de m’immiscer dans la conversation entre Jean et Robert, dont je ne percevais que quelques bribes et de mener cette entrevue en respectant le plan que nous avions minutieusement préparé auparavant. Prétextant le mauvais état de ma chaise et pour favoriser l’engagement d’un dialogue plus aisé je fis déplacer Robert afin qu’il se situât de face par rapport à l’angle idéal pour les prises de vue photographiques. Cette manœuvre lui parut naturelle. J’entrai directement dans le débat. Il se présenta aussitôt sous le prénom de Robert, puis m’informa que notre ami commun (Jean) m’avait vivement recommandé auprès de lui. Il se vanta presque aussitôt comme pour se donner de l’importance d’avoir mis en œuvre quelques jours auparavant dans le sud de l’Espagne une importante importation fraudu-
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leuse de haschich, mais ajoutait que cette entreprise s’était soldée par un échec. Les douaniers espagnols avaient intercepté la cargaison en mer. Je m’attachai aussitôt à le questionner par des moyens détournés afin de recueillir le maximum d’informations sur le déroulement de cette opération. Mes collègues seraient certainement très heureux de connaître ces renseignements de « première main ». Dans la soirée Robert nous invita à l’accompagner à Marbella dans une superbe villa située au cœur d’une somptueuse propriété. L’ensemble était placé sous surveillance électronique et ressemblait à une véritable forteresse. Il fallait montrer patte blanche pour pénétrer en ces lieux. J’attendis avec impatience et anxiété le moment ou je découvrirais le but réel de notre visite. Conduits à l’intérieur d’un vaste salon feutré, Jean et moi-même fûmes présentés à plusieurs gaillards dont les mines patibulaires ne nous rassurèrent guère. Pourtant l’atmosphère se détendit presque aussitôt. Les présentations réalisées, nous fûmes invités à choisir une boisson parmi un stock impressionnant d’alcools de luxe. Le prétexte d’entrée que je m’étais donné c’est-à-dire ma condition d’homme de mains, d’homme à tout faire, paraissait convenir à mon
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entourage. A leurs yeux, j’étais la nouvelle recrue qu’ils pouvaient utiliser le moment venu à des tâches ponctuelles qui demandaient cependant une certaine connaissance de l’organisation. Au cours des conversations je découvris que mes acolytes appartenaient à une bande organisée perpétrant des importations illicites de stupéfiants du Maroc vers l’Espagne et ce par l’intermédiaire du fameux Robert. Dans la nuit, je fus présenté à un marocain qui s’affairait en discussions très vives avec deux hommes originaires du sud de la France, « mis au vert » dans un village voisin. Ces deux individus expliquèrent dans le détail leur façon d’opérer pour importer de la drogue d’Espagne en France au moyen de véhicules 4 x 4. Ils disaient emprunter les chemins de montagne serpentant à travers la chaîne pyrénéenne. Je ne perdis rien de leurs conversations. Lorsque ma mission fut terminée, je rapportai ces informations détaillées à mes collègues chargés de surveiller cette frontière. Mes renseignements étaient bons. En effet, quelques semaines plus tard un « tout terrain » fut intercepté. Il transportait 50 kilos de cannabis. Ma mission principale continuait. Tout se déroulait à merveille quand tout à coup je fus invité à me diriger à l’intérieur d’une pièce plongée dans la pénombre où seule la lumière
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de quelques rares ampoules de couleur rouge permettait de se frayer un passage. L’odeur qui régnait en ce lieu était très chargée. Plusieurs personnes consommaient des « joints » dont la fumée envahissait complètement cet espace réduit. J’étais convié à ces réjouissances. J’évitai cette quasi-obligation prétextant une trop forte absorption d’alcool. A côté de moi, je remarquai que mon voisin s’adonnait à la recherche de paradis artificiels par aspiration nasale de plusieurs « lignes de coke ». Bien sûr, d’aucune façon et en aucun cas un agent, bien qu’infiltré, ne peut et surtout ne doit, même pour un motif légitime, déroger à la stricte règle d’interdiction de participer personnellement à de telles pratiques. La réalité de terrain n’est certainement pas la fiction du cinéma. C’était en quelque sorte des tests destinés à contrôler mon degré d’appartenance et d’engagement sans restriction dans ce milieu réservé à l’interdit et à la grande délinquance. Le refus systématique de toutes ces propositions risquait d’alerter la méfiance de mon entourage. J’évitai une nouvelle fois les nombreuses sollicitations prétextant préférer un « Bourbon » supplémentaire et bien tassé. Au cours de cette nuit, j’appris des noms, je retins des prénoms, je photographiai visuelle-
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ment quelques visages et cernai approximativement les rôles respectifs de chacun. A l’aube, de retour vers mes collègues, c’est avec une grande satisfaction que je transmis aux fonctionnaires espagnols assez de précisions pour leur permettre d’identifier et de localiser tous les protagonistes composant cette organisation frauduleuse et notamment le dénommé Robert. Ma mission était terminée. Bien qu’elle ne nous eût pas apporté de résultats personnels concrets et immédiats nous avions tout de même le sentiment d’avoir participé à la lutte internationale contre les trafics de stupéfiants. D’ailleurs quelques semaines plus tard nous apprîmes que Robert, qui vivait sous plusieurs fausses identités, avait été interpellé pour avoir tenté d’importer en Espagne plusieurs tonnes de résine de cannabis. La « gratuité » de notre participation dans cette action nous valut la profonde reconnaissance de nos collègues espagnols avec lesquels nous avions œuvré en parfaite harmonie. Déjà à cette époque nous pensions que l’entente et la collaboration européennes voire internationales dans la lutte contre la grande délinquance étaient une nécessité absolue. Ce premier succès nous encouragea à aller de l’avant et fut certainement le déclic qui nous incita à un investissement total dans l’action que nous avions entreprise.
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Aventures d’une mission…
AVENTURES D’UNE MISSION D’INFILTRATION DOUANIÈRE En 1989, après plusieurs mois d’études préliminaires, nous avions décidé de faire porter nos missions d’infiltration sur les filières de cannabis prenant naissance en Afrique du Nord. L’importance économique d’un tel trafic ne saurait être sous-estimée. Le haschich ou résine de cannabis ne possède pas la même valeur en Afrique du nord qu’à l’intérieur d’un pays européen. Les prix pratiqués par exemple entre le Maroc et la France sont multipliés par 10 au premier stade du “commerce de gros”. Au départ des lieux de production et de récolte en montagne marocaine, le hasch est vendu au prix dérisoire d’environ 0,10 euro le gramme. Son transport et son stockage à Tanger et Casablanca provoquent une augmentation de 0,16 euros, soit un total de 0,26 euros. Son passage frauduleux à l’entrée en Espagne le situe aux alentours d’1 euro. Le franchissement de la frontière française le rehausse entre 1,20 et
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1,50 euro, soit environ 1500 euros le kilo. Une tonne de marchandise livrée sur le territoire français représente donc une somme de quelque 1.500.000 euros (près de 10 millions de francs). Le coût du transport maritime et routier représente environ 10 % du coût total de la marchandise. Le transport d’une tonne de haschich coûte environ 150.000 euros, généralement payé au transporteur au moment de la livraison au destinataire. Cette même marchandise qui est importée en quantité importante à chaque opération (plusieurs centaines de kilos, voire des tonnes), est reconditionnée, puis recoupée en petites quantités dont les dealers locaux proposent aux consommateurs des barrettes au prix fort de 10 euros le gr. Il est aisé de constater les bénéfices énormes réalisés par la contrebande des produits stupéfiants. Le prix à la « consommation » est donc multiplié par 100 par rapport à celui pratiqué à la production. Ces profits faciles et gigantesques ont provoqué la mutation de nombreuses organisations relevant du grand banditisme classique (attaques de banques par gangs organisés par exemple) vers le trafic de drogue où les risques sont moindres. Selon les statistiques, toutes sources d’information confondues, et en étant optimiste, il n’y
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a environ que 10 % des stupéfiants importés frauduleusement qui sont interceptés. On considère que pour une tonne saisie, dix tonnes passent entre les mailles du filet et sont commercialisées. En 1988, c’est à ce trafic que nous avions décidé de nous attaquer avec un maximum d’efficacité. Les services douaniers placés en frontière réalisaient souvent de belles “prises” de stupéfiants, mais ce qui nous importait le plus était de découvrir les sources d’approvisionnement des marchandises de fraude, les modalités de leur acheminement et les différents systèmes de distribution en France et en Europe. Le temps pressait. Les trafics de drogue se multipliaient. Le blanchiment de l’argent sale était difficile à appréhender, les chiffres de la toxicomanie augmentaient de manière alarmante. Nous devions enrayer ce fléau et utiliser tous les moyens, comme ceux que l’on se permet d’utiliser en période de guerre. Oui, notre service avait décidé de déclarer la guerre aux trafiquants. De 1984 à 1989 j’avais procédé à plusieurs reprises à des « coups d’achat » : le vendeur montrait la marchandise et je montrais l’argent correspondant. Ces infiltrations restaient ponctuelles, ne duraient que quelques jours et je
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n’avais pas la possibilité d’identifier toutes les personnes qui gravitaient autour de l’affaire ni ses tenants et aboutissants. A l’automne 1989, il fut décidé que je tenterais de pénétrer plus profondément dans le circuit. Je reçus un “feu vert”, une véritable “carte blanche” pour mettre en application cette décision et entrer dans l’action. Mon souci majeur était donc de découvrir une clé d’entrée, concrètement un “ami” qui me permettrait de mettre un pied dans la filière. Je me rappelai au bon souvenir d’un ancien correspondant du service qui, bien que n’approchant plus de près ses anciens amis, était susceptible de m’apporter une aide appréciable pour mon entreprise. J’avais visé juste. Cet exinformateur me recommanda d’entrer en relation avec une personne de ses connaissances qui effectuait régulièrement le transport de marchandises commerciales entre la France et l’Afrique du Nord. Le contact fut rapidement réalisé. A l’occasion de cette première entrevue, je pus constater que cet “ami” était tout à fait disposé à m’aider et qu’il me fournirait le prétexte idéal tant attendu pour enfin entrer totalement en activité d’infiltration et de renseignement. Victor (c’était son nom de code) m’apportait de riches informations pouvant faciliter ma mission, me révélant notamment les endroits où
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j’étais susceptible de faire des rencontres intéressantes. Il n’agissait de la sorte que par appât du gain, sachant que notre service rémunérait largement ses correspondants. Dans la conversation, il m’avait parlé d’un certain Ahmed, un de ses amis marocains de Tanger, avec lequel il avait entretenu, plusieurs années auparavant, des relations étroites concernant des transactions dont j’imaginais très bien la nature. Je ne pouvais cependant afficher des états d’âme de moraliste, mais au contraire devais mettre tous les atouts de mon côté. La piste Ahmed paraissait judicieuse, l’envergure du Tangérois correspondait à notre ambition. Quand nous eûmes décidé d’intervenir, Victor reprit contact avec Ahmed et lui annonça l’arrivée d’amis français qu’il lui recommandait personnellement. Nous avions découvert notre fameuse “clé d’entrée”.
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Premiers contacts
PREMIERS CONTACTS Nous étions convaincus qu’il était possible d’infiltrer les filières internationales de résine de cannabis. Nous voulions mettre à jour les circuits de distribution, identifier les fournisseurs, les commanditaires, les financiers, et démanteler les processus de transfert et de blanchiment de capitaux provenant de cette grande contrebande. C’était un travail de longue haleine. Nous avions besoin de temps, de coups d’essai, d’affaires avortées ou interrompues brusquement en cours d’élaboration afin de protéger nos sources et d’avoir la possibilité de continuer toujours plus loin sans nous découvrir. Notre qualité de “voyageurs particuliers” ne pouvait pas nous assurer une couverture juridique internationale. Nous ne pouvions compter que sur nous-mêmes et résoudre les problèmes au fur et à mesure, sans attendre aucune aide extérieure. C’était un travail “en solo”. Nous étions psychologiquement préparés pour ce genre d’action. Nous avions calculé nos risques,
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pesé nos responsabilités, et étions convaincus que notre démarche pouvait sensibiliser nos concitoyens au problème de la contrebande des stupéfiants. Notre participation active ou passive au trafic que nous voulions démanteler, notre infiltration dans ce milieu, étaient motivées par le souci de faire prendre conscience à la société française – parfois en retard sur les réalités nouvelles – que notre pays offrait toutes les positions géographiques et logistiques positives pour lutter efficacement contre la contrebande entre les pays d’Afrique du nord et d’Europe. En tant qu’agents de la DNRED, service qui n’avait rien à voir avec les autres administrations classiques chargées de la répression courante et habituelle du trafic, souvent local, des stupéfiants, nous travaillions en profondeur, cherchions à découvrir les tenants et les aboutissants, ne calculant pas les heures, sacrifiant notre vie familiale, œuvrant toujours dans la même direction : connaître les circuits de A à Z et les démanteler. Mais comment mettre à jour tous ces paramètres sans travailler à la limite de la loi, parfois hors la loi (disons de nos lois) ? Qui nous reprocherait la finalité visée ? Des tonnes de stupéfiants saisies, des circuits complets démantelés. Mais pour en arriver là, quelle somme d’investissements ! Quelle bagarre avec les
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Premiers contacts
autres services nationaux ! Quel travail en secret à peine imaginable ! Quels risques encourus ! Mais nous déclarions la guerre, la guerre aux narcotiques, aux narco-dollars. Ce fut avec mon collègue Marc que je partis en « binôme » pour accomplir cette mission en terre étrangère. La traversée, en bac, du détroit de Gibraltar entre Algésiras au sud de l’Espagne et Tanger au Maroc, s’était déroulée sans incident. Dès notre arrivée, nous avons pris contact avec Victor. Il était bien au rendez-vous fixé quelques jours plus tôt par téléphone. Il semblait heureux de nous rencontrer et nous invita aussitôt à prendre une boisson désaltérante. Il faisait un soleil de plomb. Son offre nous ravit. Nous acceptâmes bien volontiers cette collation. Au cours de ces quelques instants de repos, Victor nous informa qu’il tenait à nous imprégner de l’ampleur des trafics qui prenaient leur source dans le Nord marocain. Il nous proposa une visite guidée de certains lieux où les transports et les expéditions de stupéfiants étaient organisés. Bien sûr nous acceptâmes et partîmes aussitôt, tous les trois, à bord du véhicule de notre « ami ». Au cours de notre périple effectué dans les faubourgs de la ville, Victor nous désigna tantôt
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un hangar où des camions et autres moyens de transports commerciaux subissaient quelques transformations pour dissimuler du cannabis, tantôt des entrepôts où des chargements clandestins étaient réalisés. Puis il nous invita, à la nuit tombée, à constater, de visu, ce qui lui paraissait être une manœuvre des plus significatives, afin de nous convaincre de l’ampleur du trafic marocain de cannabis. Stationnés dans un petit chemin sablonneux et dissimulés derrière quelques rares arbrisseaux, nous regardâmes discrètement en direction d’un lieu que Victor nous avait désigné : une immense propriété de très grand standing. Nous constatâmes une grande activité dans le site et nous écoutâmes attentivement les commentaires fournis par notre « ami ». La résidence de la Princesse N… au C. était bien organisée. En plus de la villa somptueuse, le port privé offrait toutes les garanties nécessaires au transbordement, dans les eaux internationales, de plusieurs tonnes de résine de cannabis. La garde personnelle qui surveillait étroitement l’opération, paraissait accomplir son travail avec une certaine routine. Descendus la veille de Fez, les camions chargés de marchandises étaient pris en charge,
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presque normalement, par une cohorte de manutentionnaires miséreux. Les petites embarcations de pêcheurs affrétées de deux à trois cents kg de marchandise, effectuaient un ballet incessant entre la côte protégée et un voilier de fort tonnage battant pavillon hollandais ancré à une trentaine de miles de la côte ouest de Tanger. Cette nuit-là, il était à peu près une heure du matin, environ trois tonnes de “chocolat” étaient acheminées sous haute surveillance en plein océan Atlantique avec la protection et le consentement de certaines autorités locales. Chacun touchait son dû en fonction de son rang. La prise de contact avec Ahmed s’était déroulée sans aucune difficulté. Victor avait bien préparé le terrain et nous avait ouvert une voie royale. Lors de notre première rencontre, Ahmed nous avait longuement expliqué qu’il était impossible de réaliser un trafic de grande envergure sans l’accord ou du moins le consentement de certains membres d’une famille respectable, qui avaient mainmise sur la quasitotalité de la production de haschisch du Nord du Maroc. Les quelques prises réalisées à la frontière du pays n’étaient dues qu’aux informations trans-
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mises par ces hauts personnages aux douaniers locaux, dans le seul but de faire comprendre aux contrebandiers voulant travailler en “solo” que seuls le bakchich et leur tutelle protectrice pouvaient résoudre leurs problèmes. Loin d’être sot, mais opprimé, soumis aux pressions politiques et pensant pouvoir tirer profit de ses nouvelles relations « d’affaire », notre nouveau contact s’était pris d’amitié pour nous, Français arrivant du pays des libertés et de la démocratie. Il était cependant à cent lieues de connaître nos véritables identités et l’objectif réel de notre séjour. En effet, Victor nous avait présentés à Ahmed comme des personnes intéressées à réaliser une opération commerciale particulière portant sur du cannabis. Pendant plusieurs mois, nous avions exécuté un travail en profondeur, en “sous-marin”, sur les différents circuits d’exportation de résine de cannabis du Maroc vers l’Europe. De Tanger à Casablanca, en passant par Rabat et Marrakech, nous commencions à cerner un peu mieux ce que personne en France n’avait pu encore appréhender de près. Ahmed nous téléphonait presque tous les jours. Nos contacts avec lui nous apportaient au coup par coup un peu plus d’informations et renforçaient notre conviction. Nous devions entrer complètement, physiquement, dans le
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circuit de la contrebande internationale des stupéfiants : il n’y avait aucun résultat à espérer sans procéder à l’infiltration des réseaux. Décidés à accomplir notre mission, mon collègue Marc et moi-même étions engagés entièrement dans notre action. Nous avions emprunté de nouvelles identités, appris les coutumes locales, nous nous étions adaptés à la vie marocaine pour percer des mécanismes jusque-là inaccessibles. Nous avions revêtu la personnalité de transporteurs, couverture idéale au Maroc, étant entendu que le seul souci de certaines personnes de ce pays est d’exporter les marchandises dites “commerciales”, mais également les produits illicites que notre service était chargé d’intercepter en France ou dans la Communauté européenne. C’était notre alibi, notre clef d’entrée. Nous attendions leurs réactions. Nous fûmes tout de suite acceptés et sollicités de toutes parts. Nous entendions parler de tonnes de marchandises destinées à la France, à l’Espagne, à la Hollande, enfin à l’Europe entière. Cela dépassait l’imagination. Pourtant ce n’était pas de la fiction, et cela paraissait trop facile. Nous restions sur nos gardes. La confiance d’Ahmed n’allait pas sans risques. Nous comprîmes très vite que sa démarche n’était pas gratuite. Il nous présentait aux fournisseurs, réglait les problèmes de
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chargement, mais en contrepartie il était très intéressé par les apports financiers que tout cela pouvait représenter pour lui. C’était en quelque sorte sa revanche personnelle. Mais en définitive, c’était la loi de l’offre et de la demande. Au Maroc, tout se négocie, tout s’achète, tout n’est que parole et tout est conclu avec la bénédiction, la protection et le soutien divin. Nous étions acceptés, respectés, invités, protégés. Nous avions déjà accompli la moitié de notre mission. De son côté, Ahmed avait déjà « flairé » la bonne affaire. Très rapidement, il nous avait déjà programmé un premier rendez-vous dans les salons de notre hôtel avec des personnes de sa connaissance.
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EXAMEN DE PASSAGE J’étais descendu avec mon collègue Marc à l’Hôtel M… de Tanger. Le prix des chambres ou des suites nous semblait exorbitant et l’atmosphère qui y régnait était bien à la hauteur de cet établissement. Accueillis par des grooms en habits traditionnels, nous percevions déjà la pression dont nous faisions l’objet. « Paranos » ou simplement trop méfiants ? Il nous semblait que tous les yeux des clients étaient braqués sur nous et, malgré tout le luxe qui nous entourait, la peur nous restait collée au ventre. Nous nous savions épiés, toisés, jugés à distance. Nous subissions notre examen de passage, notre concours d’entrée dans le monde réservé de la grande contrebande des produits stupéfiants. Nous ne devions laisser paraître aucune hésitation, nous intégrer doucement et nous transformer tels des caméléons. C’était certainement le stade le plus compliqué et le moment décisif de l’infiltration. C’était la mise à l’épreuve, les questions, pour obtenir d’être acceptés.
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L’attitude du groom, qui nous suivait pas à pas, semblait cordiale, voire amicale, trop peutêtre. Nous n’étions pas des habitués des lieux. Il paraissait vouloir savoir qui nous étions et quels étaient les véritables motifs de notre séjour : loisirs, affaires… Peut-être était-il tout simplement un honorable correspondant de la Police locale. Son comportement cachait certainement une envie irrésistible de percer le “pourquoi” de notre présence en ce lieu bien connu comme l’endroit où se réglaient de nombreuses transactions douteuses et clandestines. Avant de sortir de notre chambre, nous prîmes le soin de “marquer” systématiquement notre position par des signaux de repères opérationnels : quelques petits points de colle sur les systèmes d’ouverture des valises et des sacs de voyage, ainsi que du fil adhésif sur la porte d’entrée. Cette précaution élémentaire de contrôle nous permettait de vérifier si des visites et des fouilles étaient réalisées en notre absence. Dans cet hôtel de grand luxe, pourtant placé à deux pas de la mosquée, le thé n’était pas la boisson de circonstance. Le whisky coulait à flots. On remarquait très rapidement que les salons particuliers, accueillants, tout en velours, meublés dans le pur style marocain, respiraient
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autant la richesse que les hôtes qui y séjournaient. Notre arrivée ne passa pas inaperçue. Nous étions nouveaux en ce lieu. Toutes les autres personnes présentes semblaient se connaître et avoir l’habitude de fréquenter ces salons feutrés où l’on ne parle que business. Les têtes se détournaient sur notre passage. Les regards étaient braqués sur nous. Serions-nous à la hauteur pour entrer en contact ? La réponse ne devait pas se faire attendre. Il ne fallait pas donner à nos futurs interlocuteurs l’occasion de prendre de l’ascendant sur nous. Nous devions faire le premier pas, lever très haut la tête, nous situer à leur niveau, discuter et traiter d’égal à égal avec eux. Deux hommes étaient au rendez-vous organisé la veille par Ahmed. Ils semblaient détendus, heureux de faire notre connaissance, mais paraissaient déjà imprégnés de quelques verres d’alcool. Cette situation nous détendait nerveusement. Notre stress, nos angoisses commençaient à s’estomper. Le cœur reprenait son rythme normal. Nous pouvions entreprendre la conversation en sachant que nous étions psychologiquement en position de force. Nos réflexes, notre maîtrise de soi étaient optimums. Leurs langues se délieraient certainement plus facilement. Nous n’avions pu, en
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revanche, éviter le premier verre servi aux “nouveaux amis”. Ces deux Français aux allures banales, de joyeux touristes, engageaient l’entretien en testant nos connaissances sur les différents circuits de transport, les dépôts et la qualité de la résine de cannabis. Nous avions affaire à des contrebandiers redoutables et de haute volée. Tout y passait : les couleurs, les formes, les poids, les conditionnements des produits. Nos réponses devaient être automatiques, mais non précipitées. Nous ne devions pas donner l’impression de réciter une leçon ou un texte appris par cœur. Nos gestes, nos réactions devaient ressembler aux leurs. Nous devions nous identifier à nos personnages, nous dégager de notre carcan administratif, être d’autres hommes, oublier notre passé, notre environnement familial, enfin nous confondre avec eux, prendre une nouvelle forme de vie, nous laver le cerveau, entrer dans la peau des personnages dont nous jouions les rôles. Albert, “le gros” à moustaches, les cheveux grisonnants bien coiffés, parlant avec un fort accent marseillais, semblait, par sa position de retrait, être le tuteur ou la tête pensante de l’organisation. Il nous scrutait par en dessous, sirotant son J&B par lampées répétées. Ses yeux marron surmontés d’épais sourcils, oscillaient de gauche à droite, jugeant nos réflexes,
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nos moindres réactions. Il ne prenait que très rarement part à la discussion, glissant parfois un point de détail ou une interrogation susceptible de nous déstabiliser. Le cigare qu’il mâchait goulûment, était le signe d’une certaine nervosité intérieure, mais il savait conserver une grande maîtrise de soi. C’était un homme impénétrable qui alliait à la fois la force d’un caractère hors du commun et une psychologie redoutable. Comment l’aborder ? Comment le mettre dans notre “poche” ? Comment le manipuler ? Ce n’était certainement pas celui que nous devions aborder directement et qui tomberait rapidement dans le scénario que nous avions monté. Il faudrait plusieurs rendez-vous pour qu’il nous accepte et se confie. Dans un regard discret mais complice, nous avions décidé, Marc et moi, de déplacer notre attention vers Antoine. Plus abordable et surtout plus loquace, racontant des blagues et absorbant verre sur verre, il paraissait en vacances, confiant. Son caractère nous convenait à merveille. Nous avions décidé qu’il serait notre cible, notre passeport, notre visa d’entrée dans le grand circuit. Antoine parlait énormément, mais ne nous posait aucune question. Il ne nous interpellait que rarement. Nous étions satisfaits de n’avoir aucune réponse à fournir. Nous
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reprenions nos marques et nos forces intérieures. C’était la situation idéale. Ce petit bonhomme d’une quarantaine d’années, à l’allure chétive, vêtu d’une façon très décontractée qui détonait d’ailleurs en ce lieu, nous paraissait être le personnage sur lequel nous devions focaliser notre intérêt. Il remplissait toutes les conditions et les paramètres de la vulnérabilité. C’était notre homme, nous le “sentions”. Nous devions l’écarter de son complice, le prendre à part, le “traiter” différemment, afin qu’il subisse notre influence, qu’il soit à notre merci, que nous puissions le manipuler sans que notre approche délicate soit perturbée par les remarques, coups de frein et interférences de son associé. A ce stade préliminaire de notre action de pénétration, nous devions découvrir et associer à notre approche mentale des éléments extérieurs qui nous permettraient de faire éclater ce duo, voire, si cela était possible, de les faire s’opposer insidieusement l’un à l’autre, sans toutefois aller trop loin. Leurs failles, leurs faiblesses, leurs travers, leurs habitudes, nous devions les découvrir, les utiliser au moment opportun, tout en prenant garde de ne pas choquer. Cela devait sembler la suite normale de notre rencontre, de notre voyage, et de nos affaires.
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Vers deux heures du matin, alors que les conversations convergeaient vers leur passé, leurs antécédents, que leurs langues se déliaient un peu plus, qu’ils se confiaient, nous commencions à tendre notre souricière, leur identification pouvait déjà être réalisée. La chaleur lourde, l’air humide, l’ambiance enfumée nous décidèrent à prendre congé de nos amis, invoquant la fatigue due au changement climatique, ce qui paraissait fort naturel dans notre situation. Nous ne devions pas donner l’impression de vouloir en apprendre trop en une première rencontre. Ils semblaient sereins, voire enthousiastes. Nous l’étions également mais certainement pas pour la même raison. Les différents signaux de contrôle et les pièges placés auparavant dans notre chambre avaient fonctionné à merveille. Le fil adhésif de la porte ainsi que les points de colle appliqués sur les bagages étaient rompus : on avait effectué des recherches en règle, rien n’était bouleversé ou dérangé, un travail de “pro”, net, sans bavure, sans trace et certainement réalisé avec une rapidité de professionnel. Nous étions au moins certains que l’on s’intéressait à nous, mais conscients que cette vérification approfondie devait conforter ou détruire notre couverture. Mais qui avait intérêt à connaître le véritable but de notre visite ou nos identités ?
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La police qui dans ce pays a ses entrées dans tous les hôtels et les lieux de rencontre, ou bien des relations de nos “nouveaux amis” ? Le lendemain, nous saurions si nous avions réussi notre examen de passage. Le travail “de touristes” à l’étranger exige une attention de tous les instants, dirigée aussi bien vers les cibles à infiltrer que vers les services du pays chargés de la sécurité en général ou du renseignement. La climatisation positionnée au maximum, nous effectuâmes le point sur notre première journée. Tout semblait normal, aucun événement important ou exceptionnel ne s’était présenté. La routine de la prise de contact, la recherche de l’identification s’étaient déroulées normalement. Tout paraissait, après réflexion, avoir fonctionné. Nos plans étaient élaborés pour les suites à donner, rendez-vous avait été pris pour treize heures, heure locale. Un cachet pour dormir, un grand verre d’eau minérale et le sommeil réparateur. La fatigue, le stress devaient disparaître rapidement. Après une bonne nuit de sommeil, inondée cependant d’une moiteur cauchemardesque, un déjeuner copieux et quelques exercices physiques, nous envisagions cette journée avec sérénité. Nous allions plus tard découvrir qu’elle serait en effet exceptionnelle.
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DANS LA MÉDINA A l’heure fixée, nous rejoignîmes nos deux inconnus à l’endroit convenu dans le salon de l’hôtel. Après les salutations habituelles et banales de courtoisie, nous fûmes rejoints par un marocain portant une djellaba impeccable. C’était cependant un homme insignifiant d’apparence portant une barbe de quelques jours et chaussé de sandales en cuir déjà bien éculées. Rien ne pouvait laisser supposer, au premier coup d’œil, que nous avions affaire à l’un des plus importants personnages de Tanger. Les présentations et la tasse de thé traditionnelle nous révélèrent qu’il s’appelait Mohamed. Il était chef et responsable d’une grande famille locale et désirait s’entretenir avec nous en un lieu discret. Nos qualités de transporteurs français semblaient l’intéresser énormément. Ahmed, notre correspondant avait bien préparé le terrain. Accompagnés de près par les deux Français et Mohamed, nous fûmes conduits, dans une Mercedes blanche climatisée, sur les hauteurs de
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la ville. Le chauffeur connaissait parfaitement son chemin. Le véhicule semblait être identifié par les policiers aux carrefours et son propriétaire respecté. Les rues de la ville s’ouvraient automatiquement à notre passage. Notre angoisse revenait. Les battements accélérés de notre cœur, la moiteur de nos mains nous invitaient à une remise en condition psychologique. Rester concentrés et vigilants. Enregistrer tous les détails. Nous entrions au cœur de notre mission. Nous avions conscience que nous serions à nouveau mis à l’épreuve avant d’accéder au stade supérieur. Sur les ordres de Mohamed, la Mercedes stoppa tout à coup et nous fûmes invités à pénétrer, encadrés de près, dans les dédales de la médina. Un labyrinthe de ruelles malodorantes inondées d’un curieux mélange nauséabond de poisson et de cuir séchés. La viande suspendue aux étals provoquait l’attroupement de milliers de mouches que les boutiquiers chassaient d’un revers de la main. La chaleur torride, étouffante, que nous supportions que difficilement, contribuait au malaise que nous ressentions. Après une vingtaine de minutes de marche à bonne cadence, nous étions incapables de nous situer géographiquement dans la ville. Cependant il nous semblait reconnaître parfois une boutique déjà remarquée auparavant ou encore
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un cul-de-jatte miséreux posé sur sa paillasse miteuse, une chéchia enfoncée jusqu’aux oreilles. Enfin, nous pénétrâmes, par une étroite ouverture, à l’intérieur d’un dépôt où se trouvaient des centaines de tapis de laine sans doute d’origine berbère. Les quelques ouvriers présents furent rapidement et énergiquement priés de disparaître. Un seul mot de Mohamed semblait avoir semé la terreur autour de nous. C’était un maître respecté auquel le poids de ses « affaires » conférait une autorité incontestée. La suite nous prouva que nous étions encore très loin de la réalité. On nous fit prendre place sur des poufs. Le thé coutumier servi aussitôt nous laissa présager que la discussion avec Mohamed était sur le point d’être engagée. Les deux Français restaient à l’écart. Leur comportement était différent de celui de la veille ; ils semblaient tendus comme si eux aussi subissaient leur examen de passage. Nous apprîmes plus tard qu’à chaque fois qu’ils présentaient de “nouveaux amis”, ils se retrouvaient en position inconfortable. L’échec de notre entretien avec Mohamed aurait pu leur valoir un discrédit certain, voire entraîner leur bannissement de l’organisation avec toutes les conséquences désagréables que cela pouvait comporter.
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Après quelques palabres d’usage et les rites à respecter en toutes circonstances, notre hôte engagea la conversation dans un français parfait. Il nous apprit qu’il avait étudié notre langue dans un établissement français de haute renommée. A notre grande surprise, il détendit l’atmosphère par quelques jeux de mots qui, dans ce contexte très particulier, nous permirent de reprendre de l’assurance et nous redonnèrent confiance. Il entra tout à coup dans le vif du sujet et nous prodigua quelques confidences très intéressantes. Il se présenta comme le tuteur d’une famille très respectée de Tanger qui couvrait et contrôlait, à elle seule, environ le tiers des exportations, vers l’Europe et le Canada, de résine de cannabis provenant des plantations des montagnes de Fez, chiffre représentant des dizaines et des dizaines de tonnes de stupéfiants. Si les transports maritimes ne semblaient pas lui causer de problèmes, il paraissait en revanche être démuni de logistique pour assurer l’acheminement de sa marchandise des côtes atlantiques ou méditerranéennes vers l’intérieur des pays d’Europe de l’Ouest. C’était à ce stade de la filière que nous étions appelés à entrer dans les réseaux. Il nous expliqua que le Maroc exportait peu de produits et manquait d’une logistique de transport lui permettant de procéder à des
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échanges internationaux ; il était donc contraint d’utiliser les formules de “retours de marchandises” importées d’Europe dans son pays sous forme de matière première brute, en vue de procéder à leur fabrication en employant une main d’œuvre très bon marché. L’utilisation de ce système, pour couvrir ses chargements frauduleux, lui faisait encourir de grands risques. Il expliqua, en effet, que s’il lui était aisé de soudoyer quelques douaniers ou gendarmes au départ de Tanger ou Casablanca, les difficultés étaient énormes à l’étranger, notamment à l’entrée dans un des pays de la C.E.E. Il avait donc décidé de rompre avec ce système et n’utilisait plus que celui de la “mer/route”. L’exportateur n’avait la responsabilité de la marchandise que jusqu’à la livraison en mer, éventuellement dans les eaux internationales côtières d’un pays européen. De toute manière, la marchandise étant intégralement payée au départ, au moins à 70 % dans le cas des contrats signés avec les bons clients (le reste étant payable 15 jours après la livraison), les risques financiers étaient minimes et l’entreprise fort rentable, même si un ou deux chargements sur dix étaient interceptés. Ce système impliquait de trouver une voie d’acheminement par route après le passage de la Méditerranée. Nos qualités de transporteurs européens l’intéressaient donc au plus haut
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point. Nous étions susceptibles de lui apporter une logistique et un moyen de transport à l’arrivée de sa “marchandise” sur les côtes françaises. Il nous demanda aussitôt si nous étions structurés et quels étaient éventuellement les moyens dont nous disposions. Heureusement nous avions appris notre leçon par cœur avant le départ en mission. Les couvertures de transporteur, pour infiltrer les filières, ne devaient souffrir d’aucune lacune, les risques étaient trop importants. Nous avions donc préalablement pris le soin de rassembler une riche documentation technique concernant les marques, les genres, les catégories et les tonnages de camions, semi-remorques ou ensembles articulés. Aucun élément théorique ou pratique ne nous échappait, même pour les questions mécaniques : les moteurs, les puissances, les vitesses n’avaient plus de secret pour nous. Nous étions devenus, mentalement, de véritables professionnels des transports routiers. Chaque question qui nous était posée, même et surtout sur des points de détail, recevait des réponses précises de spécialistes, praticiens mais non théoriciens. Un connaisseur aurait su trouver la faille entre la leçon apprise par cœur et la rude complexité de la pratique de ce métier. Quelques amis routiers nous avaient appris d’ailleurs certaines combines ou astuces particulières entourant le monde du transport.
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Les questions posées par Mohamed fusaient de toutes parts. Il testait à la fois nos connaissances et notre résistance au dialogue. Il observait chacune de nos réactions et paraissait heureux de nos réponses. A la fin, il sourit et comme pour sceller un accord ou faire connaître sa satisfaction, appela, en frappant dans ses mains, un serviteur qui s’empressa de servir un nouveau thé à la menthe avant de disparaître discrètement. Les deux Français nous rejoignirent alors. Mohamed leur lança un regard noir et complice, auxquels ils réagirent aussitôt. Le marocain les dominait de la tête aux pieds. Ils étaient “au service”. Nous commencions à mieux cerner la position hiérarchique de chaque individu au sein de leur association. Un signe approbateur de Mohamed adressé à nos compatriotes détendit aussitôt l’atmosphère. Il nous informa qu’il serait heureux de nous présenter, dans la soirée, un stock de “chocolat” de haute qualité, qu’il destinait à un client français. Il ne fournit pas d’autre explication, mais cela nous suffisait déjà amplement. Nous essayions de contenir notre joie. Ce qui était élaboré et espéré depuis des mois allait enfin se réaliser. Nous allions pénétrer dans ce monde réservé et restreint des grandes filières internationales de la drogue. Nous étions
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convaincus d’avoir obtenu une bonne note à notre examen. Un rendez-vous fut fixé vers 20 heures sur la terrasse du restaurant El J… En conclusion, nous eûmes droit aux accolades et aux poignées de mains d’Albert et d’Antoine en signe d’amitié. Mohamed pratiquait une révérence, main sur le cœur, en invoquant Allah. L’affaire était presque gagnée. Notre retour guidé au “grand air” se déroula sans problème. La Mercedes blanche attendait, chauffeur au volant. Ce dernier nous salua en courbant l’échine et se présenta sous le prénom d’Abdel. Tout était calculé, programmé. Quel sort nous avait-on réservé pour le cas où le contact aurait échoué ? Il était préférable de ne pas trop y penser. La limousine filait à vive allure, se faufilant énergiquement à coups de klaxon répétés entre les malheureux piétons qui s’aventuraient sur la chaussée. Nous avions l’impression de participer à une « chasse aux lapins ». Arrivés à hauteur de la plage, côté atlantique, le véhicule stoppa dans un crissement épouvantable de pneus. Plusieurs gamins en guenilles s’agglutinèrent aussitôt autour de nous comme des dizaines d’abeilles près d’une ruche. En deux mots prononcés de façon autoritaire, Abdel les informa que nous n’étions pas des touristes à “déplumer” et invita deux des leurs à
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cirer nos chaussures. Cette situation nous mit mal à l’aise, mais nous comprîmes bientôt que ce qui, chez nous, en France était perçu comme une servitude était dans ce pays un signe de reconnaissance sociale. Une telle prestation permettait à son praticien de manger presque à sa faim. A la limite de la décence, nous leur rendions service.
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UNE DÉTENTE PROFITABLE Le restaurant européen placé au bord de la plage et que nous avions repéré précédemment, était le bienvenu. Habitués à déjeuner à 12 heures, nos estomacs commençaient à crier famine. Il était 15 heures 30 (heure française). A cet instant nous changeâmes à nouveau de “casquette” et prîmes l’apparence de deux parfaits touristes prêts à se faire gruger. Nous ressentions intérieurement un vif besoin de nous ressourcer. Malgré nos efforts pour nous détendre et oublier notre mission pendant quelques heures, alors que nous savourions une sole grillée à merveille, agrémentée d’un bon vin frais marocain, l’attention de Marc restait en éveil. Le patron de l’établissement, un grand gaillard hollandais, d’une soixantaine d’années, nous interrogea en anglais sur la qualité du service et des plats présentés. Nous répondîmes en français, feignant de ne pas comprendre l’anglais, ce qui nous permit d’abréger la discussion, mais également de convaincre nos voisins de table
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que leur conversation en anglais nous échappait totalement. Je remarquais en effet que Marc tendait ostensiblement l’oreille du côté gauche. Deux hommes, un Britannique d’environ 50 ans, les cheveux blancs, portant une tenue très soignée, et un marocain de bonne allure s’entretenaient en tête à tête et ponctuaient certaines de leurs phrases par des poignées de mains. Leur dialogue paraissait intéresser Marc qui en avait même oublié de manger et semblait très surpris mais heureux, à ce moment précis, d’exceller dans la langue de Shakespeare. Ses coups d’œil adressés à mon intention, me laissaient entrevoir que ce qu’il saisissait était d’une haute importance. Cependant, nous reprîmes rapidement un comportement normal et engageâmes entre nous un bavardage à propos de tout et de rien. Toutes les banalités y passaient. Nous devions tuer le temps et “couvrir” notre présence. Un café serré clôtura notre repas. L’addition, beaucoup plus salée encore que les soles grillées, semblait à la hauteur du renseignement que Marc avait attrapé au vol. Il s’empressa de régler la somme et laissa un pourboire « royal ». Au sourire complice qu’il m’adressa, je perçus son énorme satisfaction. Aussitôt, nous engageâmes une promenade sur la plage et Marc s’empressa de faire exploser
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sa joie. Il me tenait en haleine, savourait son exaltation. J’avais soif de savoir, de partager son allégresse. Finalement, nous nous sommes assis en tailleur sur le sable. Marc ému me regarda dans les yeux, me tendit une main ferme mais nerveuse que je m’empressai de serrer. Il me déclara aussitôt, sans détour, que notre mission faisait coup double et que les heures prévues pour notre récupération physique devaient être employées à tirer profit de ce qu’il avait appris au restaurant. J’appris enfin que le Britannique aux cheveux blancs était propriétaire d’un voilier ancré dans le port local à deux pas de nous et qu’il était question d’une transaction portant sur deux tonnes de résine de cannabis. Je ne pouvais contenir ma joie. Une accolade rapide, peut-être inspirée des coutumes locales qui commençaient à nous imprégner, en disait long sur notre satisfaction. L’euphorie nous envahissait. Nous étions regonflés à bloc et nous décidâmes que la sieste serait remplacée par une séance de photographies. Bardés du matériel sophistiqué récupéré à l’hôtel, avec les télé-objectifs placés en bandoulière, nous espérions mettre à profit le temps dont nous disposions pour retrouver la trace de l’anglais.
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Nous le retrouvâmes rapidement sur le quai du port de plaisance. Son allure, sa démarche, ses vêtements étaient pour nous une cible idéale. Le “British” disparut presque aussitôt à bord d’un magnifique yacht blanc battant pavillon anglais. Nous décidâmes que je servirais de prétexte aux prises de vue. Alors que je flânais sur ce quai, m’approchant prudemment mais sûrement de la cible, je repérai rapidement l’Elisabeth 3, puis je “marquai” la position et allumai une cigarette. C’était le signe et le “top” du repérage. Marc, placé à distance respectable s’en donna à cœur joie. Le matériel de prise de vue automatique “flashait” sous tous les angles. Tout à coup, l’anglais réapparut sur le pont accompagné d’un individu que j’identifiai aussitôt : Antoine. Quelle surprise ! Quel coup de chance ! Je tournai doucement les talons profitant de ce qu’ils étaient occupés à bavarder ensemble. Je pensais à Marc qui continuait à photographier. Il devait jubiler intérieurement. La situation était sensationnelle car totalement imprévue. Je le rejoignis avec précaution et nous continuâmes à effectuer encore quelques photos en prenant comme toile de fond la beauté pittoresque des hauteurs de Tanger. Au retour dans notre chambre, nous prîmes la précaution de retirer la précieuse pellicule et
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de la placer en lieu sûr. Le démontage de la colonne d’ornement placée sous le lavabo de la salle de bains nous offrit une cache appropriée. Réjouis et rassurés, nous décidâmes, enfin, de nous accorder deux heures de repos. La sonnerie du réveil placée sur 19 heures nous arracha plus à nos rêveries qu’à notre sommeil. La journée avait très bien commencé ; elle avait même dépassé toutes nos espérances. Mais que nous réservait cette soirée où nous devions franchir une nouvelle étape décisive ? Une douche réparatrice nous redonna une forme excellente, un moral d’acier, une euphorie que nous essayions de contenir et ne pas extérioriser. Nous devions garder la tête froide, ne pas fantasmer, rester sur nos gardes.
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UNE SOIRÉE DANS LA MONTAGNE La terrasse de L’El J… était presque déserte. Seuls quelques touristes esseulés tentaient de profiter des derniers rayons du soleil couchant. L’atmosphère était toujours aussi lourde. La chaleur envoûtante de cette fin de journée était l’annonce d’une soirée pleine de rebondissements et de surprises. Antoine fut le plus ponctuel. Sa silhouette presque malingre se faufilait parmi les tables et les fauteuils disposés avec soin. Un signe de sa main nous signalait de loin sa présence. Le sourire aux lèvres, la démarche nonchalante, étaient les signes annonciateurs que tout marchait comme prévu. Après une poignée de mains amicale, il commandait un whisky, sans glace, accompagné d’une bouteille d’eau minérale bien fraîche. Il s’incrustait littéralement dans son siège, sortait machinalement de la poche de son blouson en cuir vieilli et râpé un paquet de Marlboro, en extirpait une cigarette qu’il évidait aussitôt. Antoine réalisait prestement un curieux
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mélange de tabac et de haschich qu’il plaçait dans le “joint” exécuté avec dextérité. Aux premières goulées, il semblait encore plus détendu, serein, ailleurs, enfin à notre merci. La faille, sa faille, que nous avions entrevue, sur laquelle nous avions spéculé était présente, à portée de mains. C’était le moment idéal que nous choisîmes pour porter notre première attaque. Toutes les conditions étaient réunies. Il était heureux, à l’aise, rêveur, loquace, décontracté. Nous pouvions l’interroger de façon détournée. L’absence momentanée d’Albert nous convenait à merveille, mais nous avions conscience que cela ne durerait pas très longtemps. Nous devions accélérer la discussion, la diriger, enfin manipuler notre interlocuteur. Alors que nous allions aborder un point important et crucial à élucider, Antoine éclata d’un rire grandiose et libérateur. Il nous confia que ses affaires marchaient “sur les chapeaux de roue” et qu’il préparait actuellement une transaction importante avec l’Angleterre. Notre attention était piquée au vif. Nous tendions l’oreille tout en feignant de dédaigner ses paroles. Notre attitude l’irritait mais l’invitait à se livrer, à se libérer, à faire le “beau”. Il nous donnait des précisions que nous attendions avec impatience. Il était chargé, le lendemain en soirée, d’accompagner un voilier dans les eaux internationales situées en face d’une immense
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propriété située à l’ouest de Tanger, afin d’effectuer une opération de grande importance. Il nous confia que de telles prestations lui avaient permis d’acquérir dans le Sud de la France et de l’Espagne, plusieurs établissements de nuit et des restaurants qu’il finançait par l’intermédiaire de prête-noms au-dessus de tout soupçon. Nous réalisâmes tout à coup, de façon brutale, que nous mettions les pieds, jusqu’aux genoux, dans le circuit de la contrebande alliée au blanchiment de capitaux. C’était là une piste que nous devions remonter et suivre jusqu’au bout et coûte que coûte. L’occasion tant attendue était trop belle. Heureux, nous l’étions. Le navire contrebandier était identifié, le jour, l’heure et le lieu de chargement localisés, le pays de destination déterminé et, surtout, le commanditaire et financier de l’opération “placé” sur support photographique. Les collègues anglais qui ignoraient notre découverte pouvaient déjà se réjouir. Nous connaissions même la quantité : 2 tonnes. Quelques jours plus tard, nous sûmes que nous avions raison et que notre renseignement était en “béton”. L’arrivée d’Albert interrompit brusquement nos réflexions silencieuses, sans doute convergentes. Sa haute stature nous paraissait encore plus impressionnante que quelques heures
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auparavant. Il ne prenait même pas soin de nous saluer, ni d’accepter notre invitation. D’un geste furtif, mais décidé, il nous invitait à le suivre immédiatement. Les quelques mots qu’il échangea avec Antoine nous laissèrent percevoir son mécontentement. Il était évident que son associé ne remplissait pas, à cet instant, toutes les conditions requises pour affronter la soirée qui s’offrait à nous. La même Mercedes, le même chauffeur. Mohamed, avachi tel un Seigneur sur la banquette arrière droite, nous toisait négligemment à distance d’un regard malicieux et perçant. Notre approche semblait le décontracter. Il hocha la tête en signe d’approbation et de satisfaction. Alors que nous prenions place à bord du véhicule, Marc à l’avant entre Abdel et Antoine, moi-même à l’arrière entre le marocain et Albert, je devinais que la situation évoluait très rapidement. Le “climat” était lourd et tendu. Albert, toujours impressionnant et réservé, nous fit comprendre que ce voyage nocturne était tout à fait confidentiel et ne devait souffrir, plus tard, d’aucune révélation. Son souhait ressemblait plus à une menace qu’à une recommandation. Il nous pria aussitôt de baisser la tête et de regarder le plancher recouvert d’une épaisse moquette qui s’écrasait sous nos pieds. Nous
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nous exécutâmes aussitôt. Il en profita pour nous informer que son 357 Magnum placé sous son aisselle gauche était également un atout dissuasif pour le cas où nous ne respecterions pas les conditions de notre engagement. Nous acquiesçâmes sans discuter bien entendu. Albert pouvait être rassuré : nous ne bougerions pas. D’ailleurs, l’endroit précis où nous étions conduits ne nous intéressait qu’accessoirement. Notre curiosité était beaucoup plus attachée à vérifier de visu si la potentialité du trafic correspondait à l’ampleur que Mohamed avait évoquée. Notre voyage qui durait déjà depuis plus d’une heure, fut parsemé de cahotements répétés et de virages en épingle, ce qui “corsait” un peu plus notre inconfortable position. Abdel ne ménageait pas sa conduite et, malgré le confort du puissant véhicule, la nausée commençait à nous envahir. Nous avions hâte d’arriver au but et évaluions mentalement l’importance de notre découverte. Alors que depuis quelque temps nous étions engagés sur un chemin montant au revêtement que nous devinions rudimentaire, Mohamed s’entretenait avec son chauffeur. La langue arabe nous échappait totalement, mais nous comprenions, eu égard au ton utilisé, que notre point de destination était proche. En effet, la Mercedes ralentit et, après quelques soubresauts
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et un brusque freinage, nous fûmes priés de descendre. La nuit totale, noire, épaisse, ne nous permit pas de reprendre immédiatement nos esprits. Nous étions étourdis, envahis d’un sentiment d’infériorité et d’asservissement. Notre marche guidée, dans un étroit chemin sablonneux sillonnant à travers des broussailles pêle-mêle, nous parut un calvaire. Bien que l’allure fût lente, nous éprouvions le besoin de souffler, de reprendre conscience, de nous retrouver mentalement et physiquement. Notre requête fut cependant rejetée par nos accompagnateurs, sauf par Antoine qui, lui, traînait lamentablement à l’arrière, mais qui n’avait pas droit au chapitre. Ils craignaient en effet que nous puissions à ce moment précis repérer certains indices susceptibles de nous permettre de reconnaître les lieux. Le temps nous paraissait interminable et nous marchions tels des automates. Notre chemin de croix s’acheva sur le sommet d’une colline au terrain planté d’arbres. Nous fûmes accueillis par le braillement de dizaines de mules qui contribuèrent à apporter une touche lugubre à notre situation. L’odeur piquante, fétide et envoûtante, provenant des excréments d’animaux, devenait presque suffocante. Nos “amis” ne semblaient pas souffrir de cet environnement.
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Tout à coup, nous vîmes surgir de toutes parts plusieurs autochtones, dont nous n’avions absolument pas soupçonné la présence. Armés de fusils rocambolesques, mais que nous devinions en état de marche, ils se placèrent à quelques mètres de notre groupe. Mohamed leur adressa un ordre et ce fut une véritable haie d’honneur ponctuée de salutations redoublées qui nous ouvrit le chemin. Les sentinelles semblaient reconnaître Antoine et Albert. Leurs visages leur étaient certainement familiers et des gestes de bienvenue et de sympathie leur étaient également adressés personnellement. Leur comportement était tout à fait différent à notre égard. Leur méfiance, certainement due à l’absence des présentations officielles et rituelles, nous paraissait profonde. Leurs regards étaient fixés, braqués sur nous. Et si nous étions attirés dans un piège, un traquenard ? Avions-nous commis une maladresse ? Serions-nous découverts ? Marchions-nous vers un lieu d’interrogatoire, voire d’exécution ? Les lieux en remplissaient toutes les conditions. Tout à coup, la peur nous tenaillait le ventre. Un regard à Marc me permit de percevoir qu’il ressentait la même angoisse. Seule la découverte de l’intérieur des lieux où nous nous rendions pouvait apporter la réponse à nos interrogations. C’était le jeu du tout ou rien. L’heure de vérité.
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Après avoir franchi sous escorte une porte discrète, nous découvrîmes ce que nous n’avions, jusqu’ici, même pas soupçonné. Le hangar immense qui s’ouvrait à nos yeux dépassait les bornes de notre imagination. L’entrée étroite et rabaissée, caillouteuse et glissante semblait se dérober sous chacun de nos pas. Le sillon creusé sur le passage devait certainement être régulièrement emprunté par les bêtes de charge parquées à proximité. Le sol était jonché d’immondices et de déjections animales. Nous imaginions des va-et-vient réguliers et fréquents entre l’intérieur du bâtiment et le chemin que nous venions d’arpenter. Les lumières blafardes qui limitaient notre champ de vision, laissaient apparaître, par ci par là, telles des ombres furtives, quelques manutentionnaires en pleine activité. Plus nous pénétrions à l’intérieur, plus l’odeur ou plutôt les odeurs devenaient insupportables. C’était comme un mélange malsain, entêtant de pourriture… et de “merde”. C’est peut-être là l’origine de l’emploi de ce terme pour désigner le haschich dans le langage de ses consommateurs. A présent, nous étions au cœur d’un bâtiment gigantesque transformé en dépôt. Ses dimensions impressionnantes, que nous ne devinions qu’à moitié, permettaient aisément de garer au moins quatre semi-remorques de fort
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tonnage. Les murs, d’une hauteur d’environ 6 mètres, servaient de support de rangement à des centaines de paquets et de colis parfaitement empilés. Au centre, plusieurs tréteaux de bois installés bout-à-bout, formaient une immense table de travail où s’affairaient une douzaine de personnes dont la plupart étaient des femmes. Un véritable travail à la chaîne, méthodiquement réglementé, dirigé, surveillé. Le début de l’ouvrage, largement encombré par une presse rudimentaire à bras, était effectué par deux femmes. Elles s’empressaient de transférer d’un récipient indéfinissable une pâte noirâtre et épaisse qu’elles disposaient à l’intérieur d’un moule pourvu d’une empreinte qui disparaissait presque automatiquement à l’intérieur de la machine. Puis, d’un mouvement sec et énergique, l’une d’elles actionnait le bras du levier permettant de réduire fortement et fermement le produit en une matière compacte aux dimensions d’une savonnette. Le débit de ce travail nous stupéfiait. Aussitôt, les morceaux ainsi moulés étaient précautionneusement emballés sous cellophane, puis, enfin, conditionnés en colis à l’aide d’un large et solide ruban adhésif qui rendait l’ensemble hermétique. Nous évaluions le poids de chaque paquet à environ 25 kg. Grâce à un rapide calcul, nous estimâmes que nous avions autour de nous plus
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de 5 tonnes de résine de cannabis prêtes à l’exportation frauduleuse. Ce rapide tour d’horizon ne dura que quelques minutes, alors que Mohamed et Albert parlementaient avec les “ouvriers”. Antoine, quant à lui, toujours aussi indiscipliné, en profita pour chaparder une “savonnette” qu’il plaça subrepticement dans la poche intérieure de son blouson. Notre moment de stupeur, mêlé d’euphorie intérieure, fut tout à coup interrompu par un éclat de voix suivi d’un ordre de Mohamed. La chaîne de travail s’arrêta immédiatement. Les serviteurs, leurs regards fixes remplis de soumission, n’avaient d’yeux que pour leur maître. Quelques mots en arabe leur avaient fait comprendre que leur “Seigneur” prenait la maîtrise de la situation et que quelques minutes de repos leur étaient gracieusement accordées. Mohamed profita de cette pose pour nous faire effectuer une visite guidée et commentée des lieux. Il semblait fort et dominateur, heureux et grandi de nous faire découvrir sa puissance. Nous étions de fait impressionnés et éblouis. Au fur et à mesure de ses explications, nous apprîmes quelques détails techniques sur les pratiques utilisées. Un stock important qu’il nous désignait était préparé de façon telle qu’il puisse être immergé en haute mer si des difficultés imprévues étaient rencontrées lors
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des transports maritimes clandestins. Nous remarquâmes que la poignée qui ornait chaque colis était munie d’un long filin de nylon terminé par une boucle réalisée sous forme de nœud marin. D’autres paquets, recouverts de toile de jute, étaient principalement destinés au transport routier ou encore à celui du système mer/route. A l’intérieur de chaque “valise”, les confectionneurs avaient pris le soin de placer intelligemment plusieurs petits sacs en toile renfermant du poivre, des clous de girofle, et des graines de moutarde, destinés à détourner le flair des chiens douaniers chargés de la détection des produits stupéfiants. Toutes ces informations apportaient des éléments nouveaux à notre connaissance des pratiques du monde des stupéfiants et nous allions pouvoir les transmettre à nos collègues chargés de la diffusion de la documentation et du renseignement à l’intention des postes frontières. Alors que j’attirais l’attention de Mohamed et Albert, et les pressais de questions pertinentes qui semblaient les passionner et les intéresser, Marc en profita pour isoler Antoine du groupe afin d’obtenir des renseignements précis sur les éventuelles destinations de l’énorme quantité de marchandises que nous pouvions toucher du doigt. En utilisant quelques moyens détournés,
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prétextes et flatterie, Marc avait réussi à toucher la corde sensible de “son ami”. Antoine, toujours aussi confiant, volubile, beau parleur et seigneur – ce qu’il voulait apparaître mais n’était certainement pas –, ne pouvait s’empêcher de s’exhiber et d’exagérer sa position dans l’organisation. Comme pour confirmer ses déclarations il désigna à mon collègue un stock de “valises” portant l’inscription Rachida et lui confia qu’elles composaient le chargement prévu pour le lendemain en soirée et dont il devait assurer l’exécution. Cette révélation lui conférait de l’importance. Marc était satisfait. Il ne manquait aucune pièce au puzzle que nous avions à demi découvert. Ce complément d’information paraissait même superflu à nos yeux. La boucle était bouclée concernant cette mission imprévue, accessoire à la principale sur laquelle nous travaillions depuis si longtemps. Sur ces indications précises, que nous allions communiquer le moment venu, nos collègues pourraient œuvrer avec précision et finesse. Tous les “employés” avaient regagné leur place et s’agitaient de nouveau autour de leur poste de travail. Mohamed, convaincu de nous avoir fortement impressionnés, nous invita à sortir et à réintégrer le véhicule. Le voyage de retour, aussi inconfortable que celui de l’aller, s’effectua dans
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les mêmes conditions. Aucun mot ne fut échangé et l’heure avancée de la nuit incita notre hôte à s’accorder un moment de sommeil. Albert et le chauffeur veillaient pour lui. Quant à Antoine, il s’était assoupi depuis fort longtemps et s’adonnait même parfois à quelques ronflements révélateurs de son inconscience en de telles circonstances. Vers trois heures du matin, nous fûmes déposés devant notre hôtel et invités par Mohamed à participer au déjeuner traditionnel qu’il organisait pour treize heures. Il nous salua et ajouta que vers douze heures trente Abdel passerait nous prendre en charge. Mohamed souhaitait profiter de ce repas pour que nous puissions trouver ensemble un terrain d’entente sur le rôle qu’il nous avait réservé dans son organisation. Dans la chambre d’hôtel, le “point” réalisé avec Marc nous laissa entrevoir une suite très favorable à notre mission. Nous avions placé en douceur mais concrètement les premiers jalons de notre infiltration dans cette organisation internationale dotée d’une réserve impressionnante de produits stupéfiants destinés à inonder notre pays et l’Europe entière. Nous nous sommes endormis tranquillement ce soir-là, fiers du travail accompli, convaincus de l’utilité de notre mission. Les risques étaient tout à coup effacés par les résultats prometteurs que nous pouvions espérer.
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Chez Mohamed
CHEZ MOHAMED La demeure de Mohamed s’offrait à nous tel un palace. Les hauts murs qui l’entouraient et les gardes armés en patrouille devaient décourager tous les curieux. Entourée de palmiers, la piscine, aux dimensions gigantesques, en forme de cœur, était le théâtre d’un formidable lunch où des dizaines de convives, formant de petits groupes, s’adonnaient à des palabres interminables. La plupart des hauts dignitaires, que nous reconnaissions par leurs vêtements méticuleusement apprêtés, roucoulaient à mi-voix en ponctuant leurs discussions sans fin par des gestes de reconnaissance adressés à la puissance céleste. Les allées, bordées de milliers de fleurs multicolores et odorantes, contribuaient largement à cette ambiance enchanteresse. Nous étions comme envoûtés par un luxe que nous n’avions encore jamais approché. L’intérieur de la résidence à l’espace aéré, construite entièrement de marbre, ce qui procurait une sensation de fraîcheur vivifiante, était
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agrémenté à chaque détour par une multitude de patios décorés d’herbiers méticuleusement disposés. Mohamed nous avait directement conduits dans un grand salon particulier recouvert de tentures aux couleurs vives qui assuraient une atmosphère feutrée et donnaient une sensation de bien-être. L’air conditionné apportait la dernière touche à ce luxe. Alors que nous occupions chacun la place que notre hôte nous avait désignée, un serveur s’empressa de nous offrir avec distinction quelques rafraîchissements et plusieurs petits fours fortement épicés que nous goûtâmes avec délices. Le maître de céans nous informa qu’il désirait nous présenter une personne en laquelle il avait une confiance absolue et qui était chargée, si nous étions d’accord sur certains principes, de nous utiliser dans un plan d’acheminement de “chocolat” sur le territoire français. Enfin, nous approchions de notre but. Nous allions être sollicités et entrions directement, brutalement dans le grand circuit. Quelle aubaine ! Avoir la possibilité de contrôler depuis son origine, l’importation frauduleuse de résine de cannabis, suivre son acheminement, découvrir les mécanismes. Nous nous doutions cependant que cela ne devait certainement pas se réaliser sans que
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nous soyons à nouveau mis à l’épreuve. Nous en savions trop. Nous allions être contraints de faire nos preuves à moins de trouver une solution appropriée qui permette de poursuivre notre mission sans nous “griller”. Soudain, la courtine de la porte se déplaça et laissa apparaître dans son entrebâillement, un personnage que nous reconnûmes aussitôt avec surprise : le British. Oui, celui de l’Elisabeth 3. Les présentations de circonstances nous révélèrent qu’il se prénommait Philips. Un faux nom sans doute, mais cela importait peu. Mohamed nous pria de bien vouloir l’excuser de ne pouvoir participer à notre entretien et s’effaça discrètement pour rejoindre ses convives. Philips parlait très bien le français, avec un léger accent anglais naturellement. Nous nous félicitions d’avoir été très discrets lors de notre repas pris au bord de la plage deux jours auparavant, lorsque Marc avait saisi au vol une conversation très intéressante. Notre “nouvel ami” ne nous reconnaissait pas. Nous n’avions donc pas attiré son attention. Nos comportements de parfaits touristes avaient merveilleusement bien fonctionné. Dès ses premiers mots, nous réalisâmes que nous avions été très bien présentés par notre correspondant Ahmed et par voie de conséquence par Mohamed. Le sujet fut abordé directement, sans détour ni précaution.
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Il nous demanda aussitôt si nous pouvions être prêts, dans une semaine environ, à prendre en charge en France une cargaison importante qui partait par bateau des environs de Tanger et devait être débarquée sur la côte méditerranéenne de notre pays. Le temps pressait et les transporteurs routiers qu’il utilisait habituellement en France n’étaient pas disponibles momentanément. Il précisa que les jours, heures, lieux d’arrivée nous seraient communiqués ultérieurement par un de ses associés que nous rencontrerions au moment opportun. Il ajouta, enfin, que nous serions chargés d’acheminer la marchandise dans une ville qu’il nous désigna et où nous devions prévoir un lieu d’entreposage. Le système de cloisonnement de leur organisation semblait parfait, bien réglé, routinier, mais très élaboré. Combien de fois ce système avait-il déjà été utilisé ? Combien de tonnes de haschich avaient déjà transité par ce circuit ? Pendant combien de temps aurait-il continué si nous ne nous étions pas investis, si nous n’avions pas percé cette filière ? Les fournisseurs et les expéditeurs de ce pays ne prenaient aucun risque, ni physique, ni financier d’ailleurs. Ils ne pouvaient jamais être inquiétés. Leur notoriété, leur noblesse, leur protection étaient inaltérables, intouchables.
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Mais notre mission n’était pas de nous ériger en justiciers voulant tout révolutionner. Non, nous avions conscience de notre but, de nos limites. Nous n’espérions pas transformer radicalement la planète à nous deux, éliminer tous les commerces de drogue, toutes les filières, mais seulement contribuer efficacement au démantèlement des circuits frauduleux, appréhender les organisateurs européens et détruire le maximum de produits stupéfiants avant qu’ils ne contaminent notre jeunesse. Philips nous communiqua un numéro de téléphone et nous invita à le contacter sous huitaine entre 20 heures et 22 heures (heure locale). L’entretien fut donc bref mais précis. Le “courant” était passé. L’opération était engagée. Notre sortie fut saluée, de loin, par Mohamed qui semblait, à présent, se désintéresser de nous. Nous n’avions rencontré ni Albert, ni Antoine. Peut-être étaient-ils occupés à d’autres tâches. Nous revivions inconsciemment notre visite du dépôt, les confidences d’Antoine à Marc et nous les imaginions préparant leur chargement frauduleux qui devait être effectué dans quelques heures. D’un commun accord avec Marc, nous décidâmes d’emprunter le dernier ferry reliant Tanger à Algésiras. Le départ avait lieu à 23 heures.
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Un dernier contact discret, préparé et prémédité avec notre correspondant Ahmed nous confirma que ses “sources” l’avaient informé que nous étions acceptés et “placés” en confiance. C’est avec le cœur serré que nous franchissions les différents contrôles afférents aux formalités d’embarquement au départ de Tanger. Le verre de l’amitié que nous nous accordâmes pendant la traversée de trois heures, nous requinqua, dissipa toutes nos craintes ou angoisses et nous redonna un moral en béton. Notre retour à la “Base”, effectué tant en taxi qu’en avion et entrecoupé d’attentes aux aéroports de Séville et Madrid, se déroula sans encombre. D’ailleurs, depuis Algésiras, nous étions en Espagne, en Europe, autant dire presque chez nous. A présent, il nous incombait de rendre compte avec précision de notre mission, puis de préparer, si l’autorisation nous était accordée, une opération inédite d’infiltration et de démantèlement d’un réseau international de résine de cannabis. Nous nous interrogions. Notre hiérarchie délibérait. Un cas de conscience nous était posé. Nous savions qu’une très importante quantité de drogue allait inévitablement, avec ou sans notre intervention, être acheminée en France et
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vendue clandestinement. Devions-nous nous engager encore plus avant ? A l’occasion de notre contact, Ahmed nous avait confié que les commanditaires qui étaient français, mais dont il ignorait les identités, avaient déjà réglé, à Mohamed, les 3/4 de la valeur de la marchandise, soit environ 2.500.000 euros. Le solde, soit environ 750.000 euros, devait être versé dans un délai de 15 jours après la livraison. La transaction financière avait eu lieu un mois auparavant par l’intermédiaire d’une banque parisienne et d’une agence située à Casablanca. Le système de compensation afférent au règlement était couvert par la majoration des valeurs de marchandises commerciales exportées du Maroc par Mohamed à une entreprise parisienne. La différence des valeurs, faussement déclarées à la hausse au départ du Maroc, des produits exportés par rapport au coût réel, permettait au réceptionnaire français de transférer, en toute légalité et avec justificatifs, sur une agence marocaine, une somme équivalant environ au double de la valeur réelle des marchandises. L’entreprise française créditait ainsi à Casablanca un compte qui lui servait à financer ses opérations frauduleuses de stupéfiants. Le système était parfait. Aucune exportation physique de capitaux n’était réalisée aux fron-
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tières et l’opération échappait donc à tout contrôle douanier. Les données du problème étaient donc arrêtées : les stupéfiants étaient achetés, payés et prêts à être exportés clandestinement. Que devions-nous faire ? Accepter le marché en étant conscients que nous dérogions un peu à nos lois en utilisant des méthodes nouvelles, ou bien nous abstenir et constater, avec un sentiment d’impuissance, que nous ne pouvions saisir ces stupéfiants et interpeller les responsables ? Respectueux de notre mission de salut national de lutte contre la drogue et de protection de la santé publique, nous étions convaincus que notre démarche était salutaire. La décision fut donc prise de tout mettre en œuvre pour saisir les stupéfiants et procéder à l’arrestation des commanditaires. Nous étions contraints, en revanche, d’entrer à nouveau dans le circuit et de prendre part de manière active à l’opération frauduleuse. Ce n’était là que la suite logique de l’infiltration. Nous avions déjà accompli le travail le plus ingrat et le plus dangereux. Nous savions que nous allions gagner, enfin, et remporter une grande bataille dans la guerre que nous avions déclarée aux trafiquants de drogue. Tout nous encourageait. Les spots publicitaires contre la drogue, les émissions ou débats
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télévisés où s’exprimaient des spécialistes de la lutte contre les stupéfiants tels les policiers, les magistrats, les douaniers ou les gendarmes, mais encore et surtout les médecins, les associations ; nous entendions également les témoignages personnels de parents de jeunes toxicomanes que nous avions si souvent vus découragés, désarmés face à ce fléau. Toutes ces manifestations et l’encouragement de notre hiérarchie nous poussaient à agir. Nous devions foncer, utiliser tous les moyens pour lutter efficacement. Nous avions déclaré la guerre à cette grande délinquance. Après quelques jours de réflexion, il fut décidé que nous endosserions à nouveau l’étiquette de transporteurs et accéderions, de ce fait, à la demande de Philips le “British”. Nous avions donc la possibilité de contrôler et surveiller, du dedans, l’opération frauduleuse qui devait se perpétrer à partir de notre côte méditerranéenne, et de la suivre jusqu’à son terme.
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La réception
LA RÉCEPTION Le lendemain de notre retour en France, notre correspondant marocain nous avait signalé que l’Elisabeth 3 avait quitté le port de Tanger et s’était dirigé en haute mer dans les eaux internationales. Depuis, Ahmed n’avait plus de nouvelles. Le renseignement fut immédiatement communiqué aux collègues anglais qui s’empressèrent de nous remercier et nous assurèrent que le maximum de recherches serait entrepris. Cela faisait déjà quatre jours que nous préparions méthodiquement notre opération. Un camion de petit tonnage et un lieu de dépôt sommaire mais remplissant toutes les garanties de stockage et de surveillance avaient été mis à notre disposition. Les exigences de Mohamed étaient respectées. Ce mardi soir du mois de juillet n’était pas un jour comme les autres. A la troisième sonnerie du téléphone, Philips décrocha et répondit dans un anglais très “collet-monté”. Je me présentai. Il se reprit aussitôt en français. D’après le son
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de sa voix, il paraissait excité, soucieux, pressé. Cela ne lui ressemblait guère. Ses phrases étaient courtes, mais les mots précis. Il interrogeait à distance. Notre acceptation de l’offre qu’il nous avait proposée quelques jours auparavant, paraissait subitement le soulager. Sur un ton précipité, il nous confia, tout à coup, que l’opération avait pris de l’avance et que nous devions être prêts pour jeudi après-midi. Il ajouta que son représentant arrivait mercredi par le vol Casablanca-Marseille de fin de journée. Nous étions chargés de l’accueillir ; nous le reconnaîtrions au sac de sport de couleur blanche qu’il porterait en bandoulière. Tout fonctionnait à merveille. Cependant, nous étions soucieux et inquiets de ne pouvoir entrer en relation téléphonique avec Ahmed. En effet, nos appels répétés restaient sans réponse et de son côté il ne s’était pas manifesté depuis plusieurs jours. Cela ne lui ressemblait guère. Le lendemain, nous allions apprendre que nos craintes étaient justifiées. Notre propre service douanier, renforcé d’autres unités spécialisées, était sur le pied de guerre. Rien ne devait nous échapper et nous devions garder la maîtrise de l’opération. Cette fois, nous intervenions sur le territoire français et, à nos yeux, nous agissions dans le cadre de nos fonctions et pour la sécurité de notre pays.
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Marc et moi-même étions à la fois détendus et anxieux de faire la connaissance de notre nouveau contact. En revanche, cette fois, les rôles étaient inversés. C’était lui qui venait à nous, sur “notre terrain”, et nous n’étions plus seuls face à l’adversaire. Les collègues avaient pris place autour et à l’intérieur de l’aéroport et nous assuraient une protection rapprochée. A partir de cet instant, les dés étaient jetés. L’opération pouvait démarrer, être contrôlée, surveillée. L’avion de la Royal Air Maroc se posa à l’heure prévue. A l’arrivée des passagers, nous remarquâmes, au loin, empruntant le filtre vert douanier, la silhouette d’un homme trapu se fondant dans la foule, mais qui se démarquait par le signal de reconnaissance. Nous laissâmes quelques instants le voyageur se rapprocher et découvrîmes avec surprise qu’il s’agissait du marocain que nous avions surpris dans le restaurant de Tanger en pleine conversation avec Philips. Nous hésitions. Nous l’avions repéré. Lui non, apparemment. Nous devions entrer en contact. Nous avait-il remarqués alors que nous déjeunions côte à côte ? C’est Marc qui l’aborda le premier. Je restai à l’écart pour vérifier ses réactions. Ne constatant aucun mouvement particulier de sa part, je m’approchai et me présentai à mon tour. A
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priori, il paraissait très heureux de faire notre connaissance, nous adressait les salutations de Philips et Mohamed et déclarait se prénommer Tarik. Nous le remercions et l’informons que nous nous tenons à sa disposition comme convenu. Très satisfait et joyeux, il s’empresse de téléphoner à Tanger afin d’informer ses partenaires que la liaison est réalisée. Nous attendions ses directives avec impatience. Nous souhaitions connaître la suite des opérations envisagées et découvrir les subtilités, les astuces dont cette organisation était coutumière. Rassuré, décontracté, Tarik nous demanda de bien vouloir le conduire dans une petite ville à quelques kilomètres au bord de la mer où une chambre d’hôtel était réservée à son nom. Au cours du trajet, effectué à bord de notre véhicule banalisé, notre passager nous expliqua que le bateau attendu avait profité de vents favorables et que son arrivée était prévue pour le lendemain en fin d’après-midi dans un petit port méditerranéen. Il nous indiquait lui-même le chemin, nous guidait, comme s’il était en terrain de connaissance. Il effectuait son déplacement de façon routinière et devait être habitué à ce genre de travail. Combien de fois avait-il pratiqué de la sorte ? Combien de navires avait-il accueilli et pris en charge ? Combien de tonnes de stupéfiants avait-il réceptionné et combien de
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livraisons illicites avait-il effectué ? Nous réalisions encore plus le bien-fondé de notre action. A notre arrivée dans une petite bourgade pittoresque du littoral méridional, il nous pria de stopper devant un hôtel de moyen standing et nous invita à prendre le dîner en sa compagnie. Alors que la discussion allait bon train sur les diverses modalités de réception, transport, dépôt, contacts et livraison, Tarik nous informa spontanément, sous forme de mise en garde, que notre ami Ahmed était placé en résidence surveillée jusqu’à la fin de l’opération. Il était la garantie, le gage, l’otage du bon déroulement de l’affaire. Nous avions donc eu raison de supposer qu’il se passait quelque chose d’anormal chez notre correspondant et devions maintenant analyser rapidement l’état de la situation. Comment réaliser notre mission sans compromettre la vie de notre contact ? La confiance de l’organisation à notre égard n’était donc pas absolue. Tarik devait lire dans nos pensées, car il précisa que Ahmed, “notre ami”, ne serait libéré que lorsque les destinataires lui auraient acquitté les frais de transport maritime et que les clients seraient entrés en possession de la marchandise. Nous allions découvrir, plus tard, qu’un autre test de sécurité nous serait imposé. Un test décisif susceptible de dévoiler prématurément
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nos véritables professions et d’interrompre notre remontée vers les véritables organisateurs. Ils avaient pensé à tout et s’entouraient de mille précautions. Le marocain, prétextant la fatigue, décida de monter dans sa chambre pour se reposer. Il nous donna rendez-vous pour le lendemain matin, à 10 heures, au salon de l’hôtel. Nous profitâmes de ce moment de répit pour rejoindre nos collègues et réaliser un briefing détaillé. La soirée fut consacrée à la mise en place du dispositif de surveillance, terrestre, naval et aérien, destiné à repérer un éventuel bateau remontant vers nos côtes depuis le détroit de Gibraltar en empruntant le passage entre les Îles Baléares et la côte espagnole. Nous étions surpris que nos collègues anglais ne se manifestent pas de leur côté suite au renseignement précis que nous leur avions communiqué sur l’Elisabeth 3 chargé d’une livraison vers l’Angleterre. Nous savions en effet qu’ils avaient mis en œuvre tous les moyens appropriés pour repérer l’objectif. Une communication téléphonique avec notre représentant douanier à Londres nous apprit que toutes les recherches étaient demeurées vaines, mais que les services redoublaient de vigilance. Les calculs maritimes effectués par nos unités aéronavales convergeaient tous vers une solution identique : l’Elisabeth 3 aurait dû
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toucher les côtes britanniques depuis au moins 48 heures. Le mystère restait entier. A dix heures, Tarik, que nous avions retrouvé comme convenu, lisait tranquillement et attentivement le Figaro. Ce quotidien était un des seuls journaux à paraître en même temps à Paris et à Casablanca, donc en France et au Maroc. A Tanger, par exemple, c’était la première lecture de certaines personnes assoiffées de renseignements concernant l’actualité française et notamment des résultats des services chargés de la recherche des stupéfiants. Tarik avait téléphoné plusieurs fois à Philips. Il nous confia que l’arrivée du voilier était prévue vers seize heures dans un minuscule port de plaisance situé à quelques kilomètres et nous le désigna sur une carte maritime très détaillée qu’il avait dépliée à notre intention. Tarik nous demanda avec insistance si nous étions prêts, dès à présent, à “faire notre travail”. Il insistait même lourdement comme s’il était décidé à précipiter notre intervention. Marc prétextant une vérification technique du camion, en profita pour entrer en contact avec nos collègues placés en couverture et les informer que le navire était un voilier attendu vers seize heures dans le port indiqué. Aussitôt, les services du Bureau aéronaval douanier entreprirent les recherches de localisation tant en mer que sur la
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côte, et un dispositif terrestre fut mis en place autour du point d’accostage prévu. Le retour de mon collègue fut applaudi par Tarik qui s’impatientait et déclara soudainement que nous devions prendre immédiatement la route. Nous ne comprenions pas très bien cette précipitation, mais nous nous exécutâmes. N’étions-nous pas, en fait, à son service ? Le marocain prit place à bord de mon véhicule, alors que Marc pilotait le camion qui était chargé de nous suivre à vue. Cette fois, nous étions sous les ordres de Tarik qui dirigeait notre déplacement avec beaucoup de précision. Alors que nous évoluions ainsi depuis plus d’une heure, mon passager m’informa qu’une modification était intervenue au programme établi. Le voilier était déjà à quai dans un port différent de celui initialement prévu et distant d’environ cinquante kilomètres. Mon sang ne fit qu’un tour. L’organisation avait tout prévu, même “l’intox” au cas où… Nous savions qu’ils étaient très forts, puissants, mais à ce point là, quelle surprise ! Leur plan se déroulait à merveille. Lors de notre réunion de la veille au soir avec nos collègues, nous avions cependant pris le soin d’assurer la protection de nos déplacements depuis l’hôtel par une surveillance motocycliste. Nous savions donc, sans les remarquer mais en les devinant, que les motards veillaient
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à ne pas nous perdre de vue et informèrent le dispositif de notre brusque changement de direction. Nous étions assurés que nos collègues sauraient s’adapter à toutes les situations et notamment à celles sortant du cadre rigide du dispositif administratif prévu. C’était d’ailleurs cela qui faisait la force du service : la mobilité, l’opiniâtreté et la responsabilité dans l’action. Arrivés à proximité d’un semblant de petit port enfermé dans une crique et dont nous ne soupçonnions même pas l’existence, nous découvrîmes subitement la présence d’un voilier qui ressemblait étrangement et en tout point à l’Elisabeth 3. Même silhouette, même couleur. Nous allions vraiment de surprise en surprise. Cette mission était remplie de rebondissements. Plus nous avancions, plus nous étions convaincus que le navire était bien “notre” voilier. Par contre, son nom, que nous ne pouvions encore découvrir qu’indistinctement, ne semblait pas correspondre. Il paraissait plus court. En effet, en nous rapprochant nous découvrîmes qu’il s’agissait du Queen 2. Nous n’étions pas convaincus et présumions que l’Elisabeth 3 avait été rebaptisé en Queen 2. Les photographies réalisées par nos soins à Tanger nous donneraient raison plus tard. Mais qu’importait ? Notre objectif n’était pas d’intercepter ce voilier mais de suivre la marchandise qu’il transportait frauduleusement afin de remonter la filière le
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plus loin possible. Interpeller un passeur, c’était bien. Placer hors d’état de nuire ceux qui tiraient les ficelles nous semblait plus judicieux. Nous avions déjà découvert une pièce du mécanisme de fraude : ses subtilités, ses coupures c’est-à-dire le cloisonnement du système d’acheminement des marchandises. Arrivés à hauteur du Queen 2, Tarik me demanda de stopper le véhicule et de faire placer le camion dans un petit chemin sablonneux dissimulé à l’intérieur d’un épais bois de pins maritimes et de garrigue. Alors que nous exécutions ses consignes, il se dirigea vers le voilier qui mouillait à environ cinquante mètres de nous. Son approche fut saluée par un couple (un homme et une femme) d’allure jeune, portant des vêtements de bain, tels de véritables touristes en quête d’évasion et d’aventure solitaires au grand large. Comment supposer que ces paisibles navigateurs transportaient une telle cargaison ? N’importe quel service de surveillance les aurait placés audessus de tout soupçon. En quelques instants, Tarik et le jeune couple avaient disparu dans la cabine. Nous attendions, le cœur serré, mais confiants et avides de découvrir le pot aux roses. Tarik réapparut presque aussitôt et se dirigea précipitamment vers nous en exécutant des signes qui nous invitaient à conduire le camion à côté du voilier.
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Nous nous exécutâmes. Lorsque nous arrivâmes au point désigné, il nous demanda de descendre dans la cale et de procéder rapidement, avec son aide, au transbordement de dizaines de “valises” recouvertes de toile de jute. Nous ne pouvions qu’acquiescer à sa demande. A la vue de cette cargaison nous dûmes faire effort pour ne pas marquer notre stupéfaction, surtout lorsque nous découvrîmes que chaque paquet était revêtu du prénom Rachida. L’infraction était perpétrée. Nous pouvions entreprendre le contrôle et la surveillance de la livraison. Nous effectuâmes en réfléchissant un rapide retour en arrière. Les confidences d’Antoine étaient fausses. Le chargement qu’il avait effectué lorsque nous étions encore à Tanger n’était pas destiné à l’Angleterre comme tout le laissait supposer, mais à la France. Pourtant, Antoine n’était pas assez rusé et futé pour vouloir nous induire en erreur par simple mesure de précaution. Même lui ne devait pas connaître la véritable destination. Oui, l’organisation maintenait un cloisonnement maximal et n’avait confiance qu’en un nombre très restreint de collaborateurs. C’était encore une preuve de sa puissance et de sa grande expérience. Les deux “touristes” navigateurs avaient disparu dans la cabine. Ils ne tenaient certai-
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nement pas à être identifiés. Notre pénible besogne dura environ une demi-heure. Nous étions convaincus que nos collègues avaient “recollé” et qu’ils assistaient de loin, en protection, aux différentes manipulations. Le travail terminé, nous avions dénombré 80 colis, soit un poids total de 2 000 kg. Tarik ne prit pas le temps d’adresser un au revoir à ses complices. Il s’engouffra aussitôt à bord de mon véhicule et signala à Marc d’un geste de la main de mettre le camion en marche et de nous suivre à bonne distance. Tout se déroulait à peu près comme nous l’avions imaginé. Après quelques kilomètres, parcourus à vitesse respectable, un rapide coup d’œil dans le rétroviseur m’indiqua qu’au loin le dispositif douanier était présent. La livraison était donc bien contrôlée et surveillée comme nous l’avions prévu. Le piège se refermait doucement. En cours de route, Tarik me demanda de ne pas prendre de risques, de rouler à vitesse modérée et insista sur le fait que, si le camion était contrôlé, nous devions disparaître immédiatement et nous éclipser dans la nature. Il était courageux, mais pas téméraire. Je comprenais son angoisse. Pour ma part, j’étais serein et confiant. A présent les rôles étaient inversés.
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La réception
Notre convoyage sur la ville que nous avait désignée Philips se déroulait sans incident. Les véhicules banalisés de nos collègues ainsi que l’avion de l’une de nos bases aériennes surveillaient étroitement ce transport insolite. Nous craignions, en effet, d’être “doublés” par l’organisation. Un piège pouvait nous avoir été tendu dans le but de récupérer les stupéfiants de manière forte, sans ménagement et certainement le tout réalisé en un éclair et sans laisser de trace. C’est pourquoi tout était prévu pour parer à cette éventualité et le dispositif douanier était en mesure de réagir immédiatement avec la grande fermeté de son professionnalisme. Quand nous fûmes arrivés à destination, Tarik me demanda de le déposer devant un hôtel où il avait pris soin de réserver une chambre par téléphone depuis son dernier lieu de séjour. Il nous recommanda de stocker la marchandise dans le lieu sûr que nous avions prévu pour le stockage de marchandise et les manipulations à venir. Il ajouta volontairement avec un sourire narquois qu’Ahmed devait certainement penser à nous en ces moments particuliers. Rendez-vous était pris pour le lendemain midi à l’hôtel. Nous avions conscience que la “santé” de notre correspondant était étroitement liée à notre intervention. Notre déontologie doua-
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nière nous interdisait administrativement et personnellement de dévoiler ou sacrifier un correspondant, un aviseur, une personne qui permettait d’apporter au service, même inconsciemment, les éléments nécessaires à notre action. Nous le protégerions coûte que coûte et éviterions, en toutes circonstances, de placer notre “aide” en mauvaise posture. Nous ne pouvions jouer avec la vie et la liberté d’un individu. Notre cause était noble, certes, mais le respect de la personne humaine restait notre priorité. Les quatre-vingts paquets furent stockés en lieu sûr, très sûr, et placés sous la haute surveillance de plusieurs collègues très vigilants… Aucune personne ne pouvait pénétrer dans ce local transformé pour la circonstance en une véritable forteresse. La marchandise de fraude attendait sagement d’être prise en charge par les véritables commanditaires que nous voulions identifier et interpeller. Nous savions que nous allions très loin dans nos recherches, mais nous étions convaincus que c’était la seule et unique solution pour anéantir le réseau. Sans cet investissement réalisé en profondeur, même l’arraisonnement du voilier n’aurait certainement pu être réalisé. En effet, sans ce travail entrepris par quelques innovateurs, aucun renseignement n’aurait filtré,
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La réception
la route du cannabis n’aurait pas été découverte et seules les saisies ponctuelles, inopinées, réalisées sur des passeurs aventuriers, très mal rémunérés d’ailleurs par leurs « employeurs trafiquants », auraient continué à être réalisées. Les véritables auteurs, les cols blancs, les dirigeants, ceux qui tiraient les ficelles des pauvres marionnettes, n’étaient jamais inquiétés. Ils excellaient dans l’art d’employer des intermédiaires. Ils étaient intouchables. Mais nous avions découvert un moyen efficace de détecter et de mettre en cause directement les principaux protagonistes et instigateurs de cette contrebande particulière, en les faisant sortir de leur tanière. Nous étions fiers d’avoir la possibilité, enfin, de frapper à la tête.
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La livraison
LA LIVRAISON A douze heures, comme prévu, Marc et moimême nous nous présentâmes à la réception de l’hôtel. Tarik avait donné des ordres bien précis. A notre arrivée, nous devions immédiatement nous rendre à la chambre 215 où notre ami nous attendait. Nous profitâmes de la montée des deux étages pour nous concentrer intérieurement une dernière fois avant d’affronter les nouvelles conditions et contraintes que nous imposait Tarik. Nous ressentions tout à coup un malaise ou plutôt une appréhension indéfinissable. Seraient-ce les signes annonciateurs de nouvelles découvertes ? La réponse fut immédiate. Nous étions accueillis par Tarik qui s’effaçait aussitôt derrière la porte et nous invitait à pénétrer au fond de la chambre. Deux gaillards, aux mines patibulaires, décidés et durs, deux porte-flingues aux carrures d’athlètes impressionnantes encadraient, debout, un personnage qui trônait dans le seul fauteuil meublant la pièce. La protection
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rapprochée de ce personnage nous laissait présager que nous avions devant nous un homme respecté et doté d’un pouvoir despotique, auquel il soumettait son entourage. L’autorité qu’il dégageait par sa situation de retrait, visait à nous placer en état d’infériorité psychologique. Nous étions confrontés à “la Tête”. Tout à coup, d’un bond il se leva et nous tendit vigoureusement la main accompagnant son geste d’un large sourire dans lequel nous ne percevions pas une grande sincérité ni une grande sympathie. L’homme qui se dressait devant nous, la cinquantaine avancée mais aux traits du visage détendus par l’utilisation de soins esthétiques que nous devinions, ne semblait avoir souffert d’aucune privation ni de travaux astreignants et pénibles. Sa tenue était soignée. Son costume d’un tissu léger, ajusté et certainement réalisé sur mesure par un grand couturier, apportait une touche supplémentaire à sa prestance. Le pantalon, au revers cassé, tombait parfaitement sur des chaussures méticuleusement cirées. L’homme était “tiré” à quatre épingles. Cette prise de contact, transformée en confrontation muette durait depuis quelques minutes qui nous parurent une éternité. Notre hôte se décida enfin à rompre ce silence pesant et ordonna à ses anges gardiens
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ainsi qu’à Tarik de se placer à l’écart au fond du couloir, non sans les avoir invités auparavant à nous servir les apéritifs de notre choix. L’atmosphère se détendait. Nous attendions avec frénésie et fébrilité qu’il engage la conversation pour que nous puissions enfin entrer dans le vif du sujet. Nous étions soudainement pressés d’en finir, tentés d’accélérer l’allure. La réserve de notre vis-à-vis et surtout son peu d’empressement à nouer le dialogue contribuaient à alourdir l’air ambiant. Il ne s’était pas présenté personnellement, comme s’il dédaignait de nous adresser un signe d’amitié susceptible de faire descendre “la pression”. Le seul dialogue qu’il entreprit et pendant lequel nous répondîmes aux multiples questions formulées sous forme d’interrogations pernicieuses, portait sur notre séjour au Maroc et nos qualités de transporteurs. Il tentait de s’assurer personnellement que nous étions bien des collaborateurs de la filière et non pas, peut-être, des informateurs, voire des agents infiltrés dans le réseau. Il était sur ses gardes. Avait-il l’intuition d’être traqué ? Nous comprîmes plus tard la raison pour laquelle il prenait toutes ces précautions. Il nous confia en effet que ses hommes s’occupaient de prendre en charge la marchandise et qu’il supervisait à distance le bon déroulement de l’opération. Il n’entrait donc jamais en contact
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direct avec la marchandise de fraude. Il ne voulait pas se mouiller, cloisonnait également au maximum les différentes opérations et ordonnait à ses hommes de main d’exécuter les tâches ingrates du chargement, du transport et de la distribution. Ses anges gardiens l’appelaient Monsieur Georges. C’était la seule et maigre information que nous avions recueillie et qui permettait de l’identifier pour le moment. Nous comptions donc sur le savoir-faire de nos collègues pour localiser “Monsieur Georges” dans son repaire et apporter plus tard les preuves suffisantes justifiant son interpellation et sa mise en cause. En effet, Marc et moi-même qui étions en contact physique avec cet individu, ne pourrions témoigner après son arrestation sur sa position d’instigateur du trafic et de financier de l’opération. Certes, nos dépositions auraient servi l’enquête, mais elles auraient permis aux autres organisations de fraude de nous identifier, de découvrir nos nouvelles méthodes et d’anéantir le travail en profondeur que nous avions entrepris. Toutefois, nous étions confiants et convaincus que notre “homme” allait commettre à un moment ou à un autre une erreur susceptible de le confondre sans que nous ayons à nous manifester ni à dévoiler nos méthodes.
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Alors que nous plongions dans nos réflexions silencieuses, il s’était dirigé vers ses trois acolytes et discutait à voix basse. Il semblait régler minutieusement une intervention tel un chef d’orchestre, le doigt tendu, pointé tour à tour sur chacun de ses complices. Il distribuait les tâches respectives. Nous mettions à profit ce laps de temps pour dresser en pensée des plans concernant le déroulement final de notre mission. Un rapide coup d’œil à Marc me laissa percevoir qu’il attendait, comme moi, impatiemment la suite des événements. M. Georges revint se placer à nos côtés et décida enfin d’engager la conversation. Nous l’écoutions, attentifs, et attendions ses directives. Tout à coup son explication devint plus précise et nous découvrîmes qu’il nous demandait de nous engager encore davantage dans l’opération. En effet, Monsieur Georges nous imposait amicalement mais fermement de prouver que nous œuvrions bien dans la même direction que lui. Il avait décidé que l’un d’entre nous deux devait procéder à la livraison d’une “valise” prélevée sur le stock et que ce serait la démonstration de notre bonne foi. Il avait toujours des doutes sur nos personnes et s’entourait d’une précaution supplémentaire.
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Il nous fallait gagner du temps et surtout entrer en contact avec notre hiérarchie qui devait gérer cette situation qui allait à l’encontre de notre déontologie. Mais que faire ? Actuellement, nous étions les otages de personnes déterminées à commettre les pires représailles si nous refusions d’accéder à leur demande. Elles n’auraient pas compris notre refus. Monsieur Georges savait que nous n’avions pas le choix et il décida de nous compromettre par cette manœuvre. Notre réaction allait être déterminante pour la suite de l’opération. Monsieur Georges avait décidé que Marc resterait dans la chambre en leur charmante compagnie et que je procéderais seul à la livraison d’un véhicule chargé d’une valise que je devais préalablement placer dans le coffre. Monsieur Georges insista pour que tout se déroule comme convenu et ajouta qu’il attendait mon retour en compagnie de Marc. Ses deux anges gardiens me lançaient des regards qui en disaient long sur leur détermination. A 14 heures, en possession d’un trousseau de clefs que Monsieur Georges m’avait remis, je me rendis au deuxième sous-sol d’un parking situé à quelques centaines de mètres et entrai en possession d’un break de couleur rouge dont le numéro d’immatriculation m’avait été auparavant communiqué par un des “gorilles”.
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Le dispositif douanier placé autour de l’hôtel avait observé mon déplacement. Tandis que deux équipages assuraient ma protection et ma progression, plusieurs escouades surveillaient étroitement le lieu où Marc était retenu. J’avais deux heures pour accomplir cette manœuvre et déposer le véhicule avec son chargement sur un parking situé en bordure d’autoroute. J’étais invité à téléphoner à 15 h 30 à un numéro (qui s’avéra être celui d’une cabine téléphonique) que m’avait transmis Monsieur Georges et d’où on me communiquerait le lieu exact de livraison du break. Après plusieurs détours et recoupements de sécurité je rejoignis ma base. Je rendis compte immédiatement à mes supérieurs de la situation critique dans laquelle Marc était placé et des démarches que le commanditaire avait exigées. Le temps pressait. La décision devait être prise très rapidement. La vie d’un agent était en jeu. A ce moment précis, les deux tonnes ellesmêmes de stupéfiants nous paraissaient dérisoires. Il est important ici de préciser que la démarche qu’on m’imposait présentait une gravité plus grande que les autres manœuvres de réception et de transport que nous avions réalisées jusque-là. Il s’agissait d’un acte de cession de marchandise illicite qui soustrayait
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une partie du stock à la saisie finale qui était prévue. Dans le cas présent, ce test était la condition indispensable à la conclusion de toute l’affaire, ainsi qu’à la sauvegarde de notre agent et de celle de notre correspondant. Après quelques instants d’attente, je reçus l’autorisation de réaliser l’opération. Notre collègue Marc “pesait” beaucoup plus qu’une valise de 25 kg de cannabis. L’importante décision qui était prise permettait à cet agent d’éviter de subir un sort cruel et nous autorisait à atteindre l’objectif qui était fixé. Que représentait cette valise comparativement aux dizaines de tonnes de résine de cannabis qui avaient précédemment transité par cette filière ? Une goutte d’eau dans la mer ! La finalité de notre mission ne justifiait-elle pas cet acte illégal ? Notre démarche relevait en fait de “l’état de nécessité” et nous étions convaincus de ne réaliser aucune provocation, aucune incitation à la fraude, ni d’entretenir aucune complicité avec elle. Par cette action, nous nous placions cependant en marge de nos lois vieillottes qui contribuaient, avec leur manque d’adaptation à l’évolution de notre société, à donner tacitement toutes les protections permettant aux trafiquants de haute volée d’œuvrer à leurs entreprises en toute tranquillité.
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A 15 h 30 comme prévu, j’entrai en contact avec un correspondant qui répondait au numéro de téléphone que j’avais composé. Il m’ordonna de conduire le véhicule contenant la valise sur un parking situé à quelques kilomètres de la ville de départ et de laisser la clef sur le contact. L’opération fut réalisée selon ses directives. Il n’était pas question d’entreprendre une quelconque filature ultérieure du véhicule après sa prise en charge afin de l’intercepter. Les risques étaient trop importants. Le jeu n’en valait pas la chandelle. Et puis, il y avait Marc auquel nous pensions continuellement. Grâce à cette décision que certaines personnes qualifieraient, plus tard, d’erreur grave et que l’on nous reprocha vivement, nous parvînmes au but fixé. Nous n’étions pas fiers de ce contretemps, mais étions contraints de gérer, sur le terrain, une situation très délicate. Après coup, dans un bureau feutré, il fut très aisé de critiquer notre choix, mais je suis convaincu que, dans le feu de l’action, cette décision était celle qui s’imposait. Pour regagner l’hôtel, j’utilisai un taxi. A mon arrivée, je remarquai que Marc souriait et paraissait détendu. Monsieur Georges semblait subitement aimable. L’atmosphère était transformée.
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Le redoutable personnage assisté de son escorte et de Tarik devenait loquace, bavard même. Devant nous, il téléphona au Maroc, obtint Philips et le félicita de son recrutement. Cette fois, nous avions la conviction, voire la certitude, d’être acceptés. Nous avions certainement passé le cap le plus critique de l’infiltration. Le reste devait suivre irrémédiablement. Plus tard, Marc nous confia qu’à seize heures Monsieur Georges avait été contacté par téléphone, que son correspondant lui indiqua qu’il avait trouvé le break à l’emplacement prévu et qu’il avait pu le récupérer sans incident. Le commanditaire nous invita à le retrouver le lendemain à dix heures au même endroit afin d’élaborer le système de livraison définitive. C’était pour Marc et moi-même, un grand soulagement. Nous pouvions retrouver nos collègues et amis, afin d’élaborer ensemble le dernier plan d’attaque de notre intervention. Les vérifications réalisées par nos collègues sur une éventuelle filature entreprise, à notre endroit, par ces clients peu ordinaires s’avéraient négatives. Nous étions donc tranquilles et détendus. La phase finale de notre plan d’action fut minutieusement réglée. Tout ce beau monde était à notre merci et la marchandise pourrait, dans quelques heures, être saisie et détruite.
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Nous ne devions cependant pas oublier Ahmed qui attendait sa libération avec impatience. Marc nous remercia mille fois de la décision qui avait été prise. Il nous raconta comment ses “gardiens” avaient fait “monter” la pression. Cependant il avait confiance en nous et n’avait pas craqué. Il avait connu d’autres moments plus pénibles et s’en était souvenu. Cette nuit réparatrice nous apporta tout le bien-être et la détente tant espérés depuis si longtemps. La mission de Marc et de moimême était presque terminée. Le reste n’était plus, à nos yeux, qu’une formalité. Tous les services douaniers disponibles étaient mobilisés. Nous avions également fait appel à d’autres unités qui exerçaient en tenue et devaient établir les barrages. Toutes les routes, autoroutes, tous les carrefours et les péages étaient surveillés, gardés. Le dispositif était mis en place telle une gigantesque toile d’araignée. Chaque agent chargé soit des filatures et des planques, soit de l’intervention, était motivé par l’importance de l’affaire qui devait être exécutée au “top niveau”. Un piège redoutable se refermait sur nos cibles. Dans la soirée, les collègues chargés de la surveillance de l’hôtel où se retranchaient “nos amis”, remarquèrent que Monsieur Georges prenait place à bord d’un taxi et se dirigeait vers
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le centre-ville où il pénétra dans un hôtel de grand standing. Enfin, son repère était découvert. Il ne pouvait plus nous échapper. A dix heures précises, comme prévu la veille, tendus mais très forts moralement et physiquement, nous assurions notre rendez-vous. Nous remarquions immédiatement l’absence de Monsieur Georges. Cela ne nous surprenait absolument pas. Nos collègues qui “logeaient” l’individu n’avaient observé aucun déplacement de sa part. Tarik semblait détendu, les deux “gorilles” plutôt nerveux. A présent, le marocain s’effaçait de la conversation comme si sa tâche était terminée. Il nous confia que la rémunération du transport maritime lui avait été réglée par Monsieur Georges, mais qu’il désirait assister personnellement à la remise de la marchandise aux clients. Les deux autres gaillards qui nous entouraient abrégèrent brutalement la conversation de Tarik et nous intimèrent l’ordre de les écouter de manière attentive. A présent le plus grand semblait diriger l’opération et prenait l’affaire en mains. Il regarda sa montre, contrôla l’horaire. Le temps paraissait le presser subitement. Nous percevions que notre but approchait à grands pas. Il nous confia qu’un moyen de transport aménagé était prêt à prendre en charge la totalité des paquets et qu’il nous accompagnait avec son ami à l’entrepôt.
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Nous avions pensé agir autrement. Il était prévu que notre lieu de stockage temporaire ne serait pas dévoilé. Mais la situation nouvelle nous offrait, en définitive, la possibilité de les confondre encore plus facilement ultérieurement et de limiter notre investissement personnel. Et puis, nous ne pouvions refuser une demande qui, d’ailleurs, était conforme à la suite normale de leur opération. Un refus de notre part leur aurait certainement paru suspect. Les deux hommes de main et Tarik prirent donc place à bord de notre véhicule. Marc conduisait lentement permettant à nos collègues de nous assurer une protection rapprochée mais non repérable. Au cours du trajet que nos passagers nous avaient indiqué, celui qui paraissait avoir la maîtrise des opérations nous ordonna de nous diriger vers une place située aux abords de la ville. Sa connaissance du parcours et des lieux nous surprit. Il avait certainement repéré plusieurs fois le trajet, car il ne faisait montre d’aucune hésitation. Lorsque nous arrivâmes à un carrefour, il me demanda de stopper, descendit de la voiture et nous confia qu’il nous suivrait à bord d’un petit fourgon de couleur bleue qu’il nous indiqua à une vingtaine de mètres. Le convoi reprit la route. Nous empruntâmes, enfin, le parcours que nous
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avions élaboré la veille et parvînmes à nous frayer un chemin dans la circulation dense des “bouchons” bien connus de l’intermède de midi. Arrivés au lieu prévu d’entreposage et alors que Tarik et le deuxième individu étaient toujours en notre compagnie, nous remarquâmes à certains endroits définis plusieurs de nos véhicules de service banalisés depuis lesquels nos collègues observaient notre arrivée et informaient, par radio, notre poste de commandement qui déplaçait judicieusement et stratégiquement le dispositif d’intervention. Bien sûr, nos deux passagers n’avaient rien remarqué. Alors que la lourde porte du hangar terminait sa montée automatique, le fourgon ralentit à notre hauteur puis accéléra aussitôt pour s’engager rapidement dans la remise. Notre passager se précipita avec détermination vers l’entrée puis actionna la manette de fermeture. Le conducteur du petit camion se précipita vers nous et demanda à reconnaître les paquets. Nous accédâmes immédiatement à sa requête. A la vue de la cargaison, son visage arbora un large sourire. Il retourna une valise et contrôla la présence de l’inscription Rachida. Il appela Tarik et son ami qui constatèrent également la présence de la marchandise et parurent très satisfaits. C’était la première fois que nous percevions chez ces individus un semblant d’humanité.
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Ayant pris la précaution de se ganter les mains et sans perdre une minute, ils procédèrent tous les trois au transbordement de leur chargement. L’intérieur de leur fourgon était parfait. Les “planques” aménagées dans les doubles parois latérales, le toit et le plancher ne pouvaient être détectés par aucun contrôle même approfondi. Les chiens douaniers dressés pour la recherche des stupéfiants n’auraient pu que difficilement repérer cette marchandise. N’avions-nous pas découvert, au Maroc, que chaque “valise” renfermait plusieurs petits sachets remplis de poivre ou d’autres produits destinés à déjouer le flair de nos auxiliaires canins ? Leur besogne durait depuis environ une heure. Les valises étaient méticuleusement rangées, empilées. L’épaisseur de chaque colis correspondait exactement aux excavations élaborées par l’agencement de caissons dissimulés dans les cloisons du véhicule et recouvertes d’une épaisse moquette. La totalité de la marchandise avait magiquement disparu à l’intérieur de ces cavités. Tout était calculé avec une minutie parfaite. Aucune place n’était perdue. L’ensemble était bien calé et ne formait qu’un bloc très compact. Nous constations avec beaucoup d’intérêt que les volets en tôle destinés à dissimuler ces anfractuosités étaient méticuleusement rivetés puis
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recouverts de la même moquette que les caissons. Ils employaient une colle spéciale, très forte à prise rapide et qui ne dégageait aucune odeur. C’était vraiment un travail de “Pros”. Nous étions subjugués par cette démonstration. Quelle organisation ! Quelle méthode ! Notre investissement payait, enfin. Nous assistions de visu à ce que personne, et surtout aucun fonctionnaire, n’avait jusqu’à présent encore approché. Nous étions heureux d’avoir percé le système. Leur travail terminé, les deux hommes attendirent encore environ une heure grillant cigarette sur cigarette et regardant nerveusement leur montre. Nous nous interrogions sur leur comportement quand, tout à coup, ils décidèrent de nous saluer d’une ferme poignée de main, s’engouffrèrent à bord de la cabine du fourgon et nous invitèrent à procéder à l’ouverture du large rideau métallique qui obstruait la sortie. Leur départ fut aussitôt signalé par le dispositif douanier qui prit en filature ce “convoi exceptionnel”. Après quelques centaines de mètres, le petit camion stoppa. Le passager descendit puis se précipita à l’intérieur d’une cabine téléphonique. Très rapidement il composa un numéro mémorisé, engagea une brève conversation puis rejoignit son complice à bord du véhicule qui reprit aussitôt la route.
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Nous observions ce dernier événement à distance, en compagnie de Tarik qui vérifiait que tout se déroulait sans problème. En ce qui nous concernait, notre mission était terminée. Afin que notre action réussisse à 100 %, nous avions prémédité la combinaison de plusieurs données : l’interception du fourgon, l’interpellation des convoyeurs, la saisie des stupéfiants , enfin, et surtout, l’arrestation de Monsieur Georges. Nos collègues s’occupaient à refermer le piège. Nous leur avions passé le relais. Tarik, heureux et détendu nous demanda de le conduire vers un téléphone afin d’avertir Philips que tout s’était bien passé. Tout à coup, nous pensions à Ahmed. Il serait libéré et dégagé de tout soupçon. Tarik nous rejoignit hilare et nous pria de bien vouloir le transporter à la gare S.N.C. F. la plus proche. Il devait, le soir même, gagner un aéroport puis rejoindre son pays d’origine. Il nous échappait. Nous ne pouvions intervenir sans nous découvrir. Nous étions frustrés, mais, après réflexion, ce personnage nous importait peu. L’avenir nous donna raison d’avoir su attendre. Quelques mois plus tard, il fut interpellé ainsi que l’équipage de l’Elisabeth 3, arraisonné par les douaniers anglais qui découvraient à bord une tonne de résine de cannabis.
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Ayant mené à bien notre mission, il importait à mon service de ne pas couper le lien qui nous avait permis de rentrer dans le circuit. Nous devions assurer, à distance, la protection d’Ahmed, notre correspondant, et éviter qu’il soit coupé de ses contacts. Aux yeux des organisateurs de fraude, cette opération qui se soldait par un échec, devait être perçue comme un manque de chance ou un coup raté. La livraison ayant été effectuée et les destinataires étant entrés en possession de leur marchandise, nous avions rempli notre contrat de transporteur et Tarik pouvait regagner son pays d’origine. Il n’avait jamais soupçonné avoir été manipulé, utilisé, et fait l’objet d’une possible interpellation. De plus, l’intervention pratiquée par nos collègues en uniformes accréditait une fois encore la thèse d’une saisie fortuite. D’autres opérations d’envergure sur cette même filière purent d’ailleurs être réalisées avec le même succès dans les mois qui suivirent.
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UN CONTRÔLE DE ROUTINE… La suite de notre affaire nous fut rapportée par nos collègues chargés du règlement final de l’opération. Le fourgon avait traversé la ville, puis emprunté l’autoroute. Sa vitesse ne pouvait attirer l’attention. Ses occupants, affichant le comportement de parfaits employés d’entreprise, échappaient à toute suspicion. Même un contrôle de routine ne pouvait apporter un indice susceptible de provoquer une visite approfondie. Ils évoluaient en toute tranquillité, en toute confiance. Qui aurait pu les inquiéter ? Qui aurait pu imaginer le contenu de leur transport ? Personne, hormis les hommes qui les prenaient en filature, les surveillait, attendait le moment opportun, idéal, de l’interception où Monsieur Georges serait également compromis. Les collègues qui surveillaient Monsieur Georges avaient remarqué que l’intéressé était sorti de son hôtel quelques minutes seulement après que les collègues, qui surveillaient le départ du petit camion de l’entrepôt, ont
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remarqué et signalé l’épisode de la cabine téléphonique. L’homme avait récupéré une BMW immatriculée en région parisienne, soigneusement stationnée au deuxième sous-sol du parking de son hôtel. Sa sortie s’effectua à grande vitesse mais avec énormément de précaution. Il parcourut la ville de long en large, procédant à des “coups de sécurité”, empruntant des sens interdits, brûlant des feux rouges, effectuant des marches arrières. Il réalisa des manœuvres susceptibles de découvrir une éventuelle filature. Le “travail” des collègues, réalisé avec finesse et expérience permit à Monsieur Georges d’obtenir l’assurance qu’il n’était ni repéré ni suivi. La BMW se lança puissamment sur l’autoroute et sembla démarrer tel un avion qui prenait son envol. Les nombreux chevaux placés sous le capot étaient sollicités et le moteur donnait le maximum de son régime. La filature terrestre avait peine à suivre cette allure, mais l’équipage aérien surveillait cette rapide progression et signalait chaque changement de direction. Après plusieurs kilomètres parcourus à une vitesse suicidaire, la puissante limousine bifurqua brusquement sur une aire de repos. Monsieur Georges descendit, contourna le véhicule, effectua rapidement de nombreux
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Un contrôle de routine…
contrôles visuels, s’appuya sur le coffre arrière, alluma une cigarette puis scruta fixement l’horizon. Il attendait le contact, guettait, tirait nerveusement sur sa cibiche qu’il écrasait presque aussitôt, bien que n’en ayant consommé que la moitié. Le dispositif qui avait “recollé” devina que l’intervention était proche. Chaque véhicule douanier était disposé selon la technique d’approche et d’affût. Chacun était tendu, le cœur battant. Le dénouement était proche. La filature du camion signala aussitôt que ce dernier empruntait l’aire d’autoroute où stationnait la BMW. L’attente fut donc brève. Quelques minutes seulement. Vraiment, l’organisation frauduleuse utilisait des méthodes, des procédés très élaborés, le tout réglé avec une précision méticuleuse. Le fourgon approcha lentement puis stoppa sur un emplacement situé à environ trente mètres de la BMW. Les deux convoyeurs descendirent aussitôt et adressèrent à Monsieur Georges un signe de la main en forme de victoire qui leur fut immédiatement rendu. Monsieur Georges rejoignit les deux hommes. Les longues poignées de main qu’ils échangèrent en disaient long sur leur satisfaction.
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A ce moment précis, tous les paramètres, toutes les conditions d’interpellation étaient réunis. Monsieur Georges était susceptible, après ce bref contact, de se dissocier du convoi et d’échapper à sa mise en cause directe, à son contact physique avec la marchandise. C’était l’instant idéal de l’intervention. Tous les agents chargés de la phase terminale bondirent de leurs véhicules judicieusement dissimulés, se dirigèrent précipitamment vers les trois hommes, déclinant leur identité et exhibant leurs commissions d’emploi des Douanes. Toujours aussi solide, inébranlable, Monsieur Georges s’étonna de ce contrôle et déclara aussitôt que c’était une grave méprise, qu’il déposerait plainte en haut lieu et ferait jouer ses relations. Les collègues connaissaient bien ce système de défense systématique qui visait à les intimider. Les deux hommes de main restaient imperturbables et ne montaient par sur leurs ergots. Ils paraissaient simplement béats, surpris, mais conservaient un mutisme étonnant. Monsieur Georges prit tout à coup la parole et justifia sa présence auprès de ces deux personnes en expliquant qu’il était venu leur demander la route à prendre. Prêts au sacrifice extrême, les deux anges gardiens acquiesçaient et confirmaient ces déclarations.
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Un contrôle de routine…
Les palpations obligatoires de sécurité permirent de découvrir que chacun des convoyeurs du fourgon était porteur d’une arme de poing de fort calibre. Quant à la visite douanière du petit camion, elle entraîna la découverte de la marchandise de fraude. Les deux convoyeurs restaient de marbre. Pas un geste, pas un mouvement, une attitude dure mais respectueuse et respectable. Ils reconnurent aussitôt les faits et assumèrent seuls la responsabilité de ce chargement écartant absolument toute relation avec Monsieur Georges. Ils n’avaient jamais d’ailleurs prononcé son nom ou prénom ou adressé à leur complice ne serait-ce qu’un regard. Ils feignaient de ne pas le connaître, le protégeaient, se dévouaient corps et âme pour leur chef. Monsieur Georges le savait. C’était la règle du jeu dans leur organisation. Ses hommes ne parleraient pas. Il pouvait en être assuré. Tout à coup, cependant la prestance et la grandeur de Monsieur Georges semblèrent s’effondrer, alors que les agents procédaient à son contrôle sommaire de sécurité. La visite de la poche de sa veste permit en effet de découvrir la carte grise et l’attestation d’assurance correspondant au fourgon ! Brusquement, l’homme perdit de sa splendeur, bafouilla. Il était confondu, perdu. Il baissait la tête, abattu, défait. Sa verve, son
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standing étaient anéantis. Une dernière fois il détourna son visage. En signe de remerciement, il adressa cependant un regard furtif mais reconnaissant à ses complices. Pourquoi avait-il oublié de leur remettre ces documents compromettants ? Il avait commis l’erreur qu’il ne se pardonnerait jamais. La mission avait été accomplie avec délicatesse, en douceur et avec un degré de réussite inespéré. Au cours des recherches réalisées les jours suivants, nous apprîmes que Monsieur Georges vivait sous une fausse identité et qu’il était recherché par les polices espagnole et allemande depuis plusieurs années. Il était soupçonné d’être l’instigateur et le commanditaire de l’importation frauduleuse dans plusieurs pays européens de quelques dizaines de tonnes de produits stupéfiants. Faute de preuve, il n’avait jamais pu être inquiété. L’enquête approfondie, remonta, à partir de nos informations initiales, la filière des transferts illicites de capitaux et de leur blanchiment.
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IL NEIGE DANS LES ALPES Le « Boss » m’avait accordé quelques jours de vacances. J’étais rentré d’une mission de plusieurs semaines en Afrique du Nord et j’avais besoin de « décompresser ». Toutefois mon patron m’avait prévenu : « Restez toujours en relation téléphonique avec le bureau au cas où… ». Je ne me faisais aucune illusion. D’ailleurs avant de partir avec ma famille dans une petite station de ski jurassienne j’avais déjà le pressentiment que mon repos et mon séjour de réoxygénation ne seraient que de courte durée. A chaque fois c’était la même chose. La disponibilité 24 h/24 était la règle et la condition première pour un agent chargé de l’infiltration des réseaux. Les congés annuels administratifs n’existaient pas. Ils étaient pris « à condition que… ». Deux jours. Ceux-ci n’avaient duré que deux jours. Comme tous les jours vers 18 h j’avais contacté mon service. Le Patron semblait attendre avec impatience que je me manifeste.
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D’ailleurs je n’avais même pas eu le temps d’échanger quelques mots qu’il m’interrompait et m’invitait à être présent au bureau le lendemain matin à 8 h au plus tard. Discuter n’aurait servi à rien. Je connaissais parfaitement les règles. A présent, je devais informer femme et enfants de ce nouveau contretemps. Je comprenais leur déception. Une de plus. Le Boss m’accueillit les bras ouverts, souriant, heureux de me revoir. Son bureau était baigné d’une odeur de café réconfortante. Un sac en papier renfermait plusieurs croissants au beurre et des petits pains au chocolat. Il avait certainement quelque chose de très important à me confier. La mise en scène était parfaite. C’était celle des grands jours. Celle qui vous promet l’annonce d’une mission exceptionnelle. Le patron n’attendit que quelques minutes pour entrer dans le vif du sujet : « Vous devez immédiatement contacter la section de recherche de gendarmerie de l’Isère. Ils ont un informateur qui leur signale un trafic d’héroïne portant sur plusieurs kilos. Problème majeur, la personne mise en cause qui est d’origine turque et possède un bar-restaurant réside dans une station alpine où elle met parfois sa salle de restaurant à disposition de fonctionnaires de diverses administrations afin qu’ils y tiennent des réunions ou des repas de fin d’année. Cet individu est très honorablement connu locale-
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ment et a pignon sur rue. Le résumé de la situation était concis et bref. En conclusion je devais m’apprêter à marcher sur des œufs. La discrétion était donc de mise. Les moyens classiques d’investigation ne pouvaient pas être utilisés. Le système de renseignements directs ou indirects que nous sollicitions généralement auprès de collègues administratifs était à proscrire dans le cas présent. Une fuite « accidentelle » était toujours possible. Les deux Patrons (Gendarmerie et Douane) avaient donc décidé que l’infiltration serait utilisée dans ce cas particulier. Un juge d’instruction avait été informé de la méthode particulière qui serait mise en place. Il avait accepté. Bien sûr, il devait être tenu informé, jour par jour, voire heure par heure, du déroulement de cette mission. C’est ainsi que le jour même vers 14 heures à Grenoble deux collègues gendarmes me présentaient Henri dit « Riton ». La trentaine, athlétique, Riton avait déjà un lourd passé de braqueur. Il venait de commettre une nouvelle bêtise susceptible de le renvoyer quelque temps derrière les barreaux. Le « deal » était simple : il donnait un bon renseignement et son dossier était enterré ou il n’avait rien à dire et la procédure judiciaire était mise en route. Il n’eut pas à réfléchir bien longtemps.
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Dans le milieu où il gravitait, il connaissait un certain Augun, restaurateur dans un superbe village des Alpes du Sud. Ce français d’origine turque, honorable commerçant, pratiquait selon lui et en toute impunité le trafic d’héroïne. A ses dires, Riton ne touchait pas aux stupéfiants. Il déclarait : « Les vols, les braquages d’accord ; je reconnais mes erreurs ; en revanche, la “dope” ça jamais ». Notre enquête fiscale réalisée sur Augun nous avait permis de découvrir que ce dernier, arrivé en France dix ans auparavant, avait acquis une maison, un restaurant, puis deux appartements situés dans le même immeuble, juste audessus de l’établissement, et s’apprêtait à acheter le troisième étage de la résidence. Certes, son restaurant fonctionnait bien, mais les revenus déclarés au service des impôts ne lui permettaient pas à eux seuls d’investir de telles sommes d’argent. A moins d’avoir hérité ou gagné à certains jeux, la provenance des fonds était plus que douteuse. Nous avions donc pris le renseignement au sérieux. Nous devions vérifier en prenant certaines précautions. Riton nous confirmait à nouveau que le restaurant était le point de ralliement pour l’apéritif de fonctionnaires locaux. Augun était très sympathique et l’ambiance de son établissement conviviale.
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Il ajoutait que pour acquérir le troisième appartement Augun était sur le point d’importer de Turquie une importante quantité de stupéfiants. Mais il ne savait ni quand, ni par où, ni comment. Tout cela se tenait, mais restait vague et imprécis. Nous devions approfondir. D’un commun accord entre nos deux services, il fut décidé d’utiliser la méthode de l’infiltration avec « coup d’achat ». Ma mission consistait donc à entrer en contact avec Augun, à infiltrer son existence et à pratiquer un coup d’achat, c’est-à-dire à faire semblant d’être intéressé à acheter la marchandise. Dans le cas présent, et avant que j’entre en contact avec lui, le trafiquant avait déjà l’intention de procéder à une importation frauduleuse en France de stupéfiants. Je n’avais donc pas incité l’individu à commettre une infraction. Par contre, nous avions décidé de contrôler ses actes afin de procéder, au moment opportun, à une tentative d’achat de la marchandise dans le but d’interpeller Augun en flagrant délit. Sans notre intervention, celui-ci aurait revendu la drogue sans que nous ne sachions à qui, quand et où. Riton et Augun paraissaient bien se connaître. Entre eux le courant passait à cent pour cent. Comment s’étaient-ils connus ? Qu’a-
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vaient-ils vécu ensemble de si important pour que leur confiance réciproque soit aussi profonde ? J’espérais que Riton ne nous avait rien caché et qu’il ne nous conduisait pas sur des chemins tortueux et sans issue juste pour sauver sa tête dans sa dernière affaire. Le rendez-vous fixé entre Augun et moimême par Riton dans une brasserie située à l’extérieur de la ville permettait à mes collègues, placés discrètement à proximité, d’identifier visuellement l’intéressé ainsi que son moyen de transport. Augun était ponctuel. Il entra puis se dirigea directement vers Riton auquel il tendit la main. Il semblait m’ignorer, bien qu’il fût prévenu de ma venue et des raisons de celle-ci. Auparavant, par téléphone, Riton m’avait très fortement recommandé à lui. Je venais de réaliser, lui avait-il dit, une opération financière qui m’avait permis de récupérer une très importante somme d’argent liquide. Enfin, je souhaitais investir dans l’achat d’une marchandise que je pouvais très facilement écouler dans le milieu lyonnais. Tout était discuté à mots couverts. Augun savait déjà de quoi je voulais parler. La nature de la marchandise n’avait aucun besoin d’être évoquée. Il me regarda, plissa ses yeux, sourit et son visage arrondi orné d’une fine moustache dégagea une impression de bonne humeur et,
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c’est vrai, de grande convivialité. Cet individu paraissait très sympathique. Qui, derrière ce sourire débonnaire pouvait deviner qu’Augun était un trafiquant de drogue ? Personnellement j’aurais vu en lui un bon père de famille et un honorable commerçant. Riton l’avait déjà informé que je disposais d’une somme de 100.000 euros et que j’étais intéressé par l’achat de 2 kg d’héroïne. Augun m’informa qu’il devait partir dans quelques jours en vacances avec sa famille dans son pays d’origine et qu’il me contacterait dès son retour. Le scénario que nous avions imaginé était tout autre. Je devais absolument découvrir si Augun travaillait seul ou s’il avait des complices. J’étais également missionné pour savoir quel était le niveau d’amitié qu’il entretenait avec ses clients habituels et réguliers. Enfin, en quelque sorte, j’étais chargé d’effectuer une enquête interne dans son restaurant et sur son environnement. Aidé par Riton que nous avions « briffé » auparavant, je demandai à Augun s’il pouvait m’offrir l’hospitalité pendant quelques jours. Je prétextai que l’opération qui venait de me rapporter une certaine somme d’argent me contraignait à rester « au vert » pendant un certain temps. J’ajoutai que je pouvais lui rendre de menus services et par exemple faire la plonge
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derrière le bar de son établissement. Augun ne vit aucun inconvénient à ma demande et ajouta même « il faut bien se rendre service ». Je sentais que je l’intéressais au plus haut point. En effet, il allait profiter de ses vacances pour acheter la drogue. A son retour, au passage de la frontière, il serait accompagné de femme et enfants en bas âge. Quel douanier se douterait que ce père de famille était un trafiquant d’héroïne ? Et puis il savait qu’à son arrivée en France je serais là pour réaliser la transaction d’achat. Pour lui tout marchait à merveille : le voyage serait réalisé sans problème et il avait déjà un acheteur pour la drogue. C’est ainsi que je découvris le métier de « plongeur » et que je fis la connaissance des très nombreux clients du bar et du restaurant. Au cours de mes différentes missions j’avais exercé bien des métiers utilisés « en couverture », mais c’était la première fois que je me retrouvais derrière un comptoir de bar à faire la plonge. Parfois l’infiltration mène à tous les métiers. Il est vrai que j’étais aux premières loges pour écouter les bruits et les conversations de comptoir. J’étais aux aguets chaque fois qu’Augun saluait très amicalement une personne qui prenait un apéritif et qui s’avérait être un collègue d’une administration. Parfois il lui arrivait même d’acheter des cartes de membre
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bienfaiteur pour telle ou telle association de fonctionnaires. Et puis il remettait sa tournée. Il était très commercial et très malin. L’enquête interne démontra en fait qu’il n’y avait aucune complicité ou entente tacite entre ces clients privilégiés et Augun. Son établissement était calme et ses relations paraissaient saines. Je restai une semaine dans les lieux. Je ne vis, n’entendis ou ne constatai rien de particulier ou d’anormal. Je savais qu’il était sur le point de prendre la route pour son périple. Il avait soigneusement préparé une affiche de fermeture qu’il apposerait avant de partir sur la porte d’entrée du restaurant. Plusieurs jours à l’avance il avait déjà informé la majorité de ses « habitués » que son établissement serait fermé pour une quinzaine. Avant de quitter les lieux et de prendre congé de mon hôte, je pris soin de lui communiquer un numéro de téléphone où il pourrait me joindre lorsqu’il en éprouverait le besoin c’est-à-dire à son retour. A présent, il était en confiance. Pour lui l’affaire prenait une très bonne tournure et c’est par une accolade très amicale qu’il me salua et me dit « à bientôt ». Je réintégrai aussitôt ma base et rendis compte au Boss, fis le point avec mon équipe et les collègues gendarmes. Nous avions deux
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possibilités pour conclure cette affaire : diffuser un message aux frontières en communiquant toutes les caractéristiques du véhicule appartenant à Augun (une très très vieille Mercedes), ainsi que son identité et celles des personnes l’accompagnant et faire procéder à son contrôle à son retour de vacances, ou bien attendre qu’il se manifeste au téléphone. Nous optâmes pour la première solution. En effet, dans ce cas particulier réaliser un « coup d’achat » présente toujours des risques, car le trafiquant ne montrera bien sûr que la quantité de marchandise faisant l’objet de la transaction initialement prévue. Dans ce cas particulier : 2 kg d’héroïne alors qu’il pouvait être en possession de plusieurs autres kg. Les jours passèrent. Sans nouvelle. Quinze jours passèrent. Toujours sans nouvelle d’Augun. Et puis un beau matin son restaurant rouvrit. Il était de retour. Nous avions été informés par nos collègues gendarmes qui avaient observé ces faits lors d’une patrouille de surveillance générale. Nous ne saurons jamais si Augun avait ramené des stupéfiants. Riton n’avait aucune nouvelle d’Augun. Moi non plus. Bien que nous sachions que ce dernier était rentré de l’étranger nous avions décidé que je ne devais pas me manifester. C’est
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lui qui avait proposé la vente. Je devais observer une position d’attente afin qu’il fasse le premier pas et donne le premier signe. Plusieurs semaines passèrent ainsi. Toujours sans nouvelles d’Augun. Nous étions un peu contrariés, car aucun bureau de Douane frontière n’avait signalé son passage lors de son retour. Nous avions pourtant bien insisté sur les deux derniers jours de sa quinzaine de vacances. D’ailleurs il était bien rentré comme prévu au cours de cette période. Une surveillance très discrète réalisée par mes collègues permit de constater que l’intéressé vaquait normalement à ses occupations. Aucun contact particulier ou rendez-vous anormal. La routine. Plus tard nous devions comprendre que nous avions eu énormément de chance que son véhicule ne soit pas intercepté et contrôlé à la frontière. Nous allions également découvrir que pour ce voyage, Augun avait procédé, par mesure de sécurité, à un « coup à blanc ». Nous pensions que Riton nous avait communiqué « un tuyau percé », comme on dit dans le jargon du métier. Et puis Augun avait peut-être tout simplement tenté de faire le fanfaron auprès de certains amis de Riton, d’où l’enchaînement de
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quiproquos laissant supposer qu’il était un trafiquant de grande envergure. Enfin, Riton qui tentait à tout prix de « sauver sa tête » avait peut-être grossi les traits du tableau. Deux mois passèrent. Nous avions repris d’autres occupations bien sûr. Nous avions même complètement oublié Augun. Nous étions convaincus que nous pouvions classer le dossier une fois pour toutes. Afin d’obtenir confirmation de ce que nous savions sur Augun nous avions décidé de placer une « sentinelle » de présence sur l’intéressé. En résumé nous avions mis en action quelques moyens techniques d’écoutes téléphoniques. Le but principal n’était pas « d’écouter » des conversations, mais de contrôler tous les jours qu’Augun était bien présent dans son établissement. Un matin nous fûmes contactés par l’agent chargé de l’exploitation de cette surveillance. Il nous apprit que l’intéressé ne s’était pas manifesté depuis quatre jours. Nous décidâmes immédiatement d’envoyer Riton sur place afin d’obtenir plus de précisions. Nos soupçons étaient fondés. Riton constata que le bar restaurant était tenu par un couple d’origine turque qu’il ne connaissait pas. Il était entré en contact avec eux en leur déclarant qu’il était un ami d’Augun et qu’il désirait le saluer. Il
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apprit que ce dernier, accompagné de sa famille, avait pris quelques jours de vacances, car sa femme avait « le mal du pays ». Riton n’insista pas pour en connaître la durée. Il eut raison, car cela aurait pu éveiller leur méfiance. Nous savions donc à présent qu’Augun était reparti en Turquie, certainement pour quelques jours seulement, et qu’il avait pris la précaution de ne pas fermer son restaurant afin de ne pas attirer l’attention. Cette fois, nous pensions vraiment que quelque chose allait se passer dans les jours à venir. Nous n’attendîmes pas très longtemps. Une huitaine de jours tout au plus. Il était dix heures du matin. J’étais au bureau avec mon équipe au complet. Nous faisions le point sur les différents dossiers en cours, la routine d’une période d’accalmie, lorsqu’un de mes collègues m’avertit que la sonnerie de mon téléphone « particulier », c’est-à-dire réservé à l’usage exclusif des actions spéciales, retentissait. Je me rendis aussitôt vers l’appareil, décrochai et attendis que mon correspondant se manifeste. En effet, ce poste téléphonique spécialement « branché » ne permettait à personne, même pas à un service administratif, d’identifier l’abonné. Le numéro d’appel correspondant n’était donc communiqué qu’aux trafiquants lors d’opéra-
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tions spéciales. Question de sécurité bien sûr. Ces derniers ne pouvaient absolument pas faire identifier le numéro d’appel ni découvrir qui se cachait réellement derrière leur correspondant. C’était ce numéro que j’avais communiqué à Augun. Immédiatement je reconnus sa voix. Il parlait français, mais avec un fort accent étranger. Je ne pouvais pas me tromper. Il demanda aussitôt si j’étais bien Jean-Philippe. Ma réponse le rassura. Aussitôt et d’un trait il me déclara : « Veux-tu toujours refaire ton appartement, car j’ai reçu le plâtre ? » L’habitude de ce genre de discussion téléphonique m’indiquait très clairement qu’Augun était en possession de la drogue, mais je devais absolument déterminer quelle en était la quantité exacte. Je lui répondis que les réparations que j’avais à réaliser étaient importantes. Avant que j’eus eu le temps de terminer ma phrase, il ajouta : « J’ai tout ce qu’il faut ». A présent j’avais compris. La quantité dont nous avions parlé lors de notre première rencontre était bien là : 2 kg d’héroïne. Je lui fixai aussitôt rendez-vous à son restaurant pour le lendemain matin à 10 heures. Il tomba tout de suite d’accord. Autour du restaurant, mon service mit en place un important dispositif de surveillance et
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de soutien commun avec la section régionale spécialisée de la gendarmerie. Véhicules banalisés. Agents en tenue civile, motards, etc… Augun se tenait derrière son bar, souriant comme d’habitude. Il me tendit la main, me demanda si j’avais fait bonne route et m’offrit un café. Qui aurait pu imaginer qu’une importante transaction de drogue allait avoir lieu en cet endroit situé dans un restaurant d’un très paisible bourg de montagne ? Des touristes randonneurs s’apprêtaient à prendre leur petitdéjeuner et Augun en toute décontraction leur servait des « petits crèmes » accompagnés de tartines beurrées. Il possédait un sang froid et un aplomb extraordinaires. Après avoir vaqué à ses occupations, il revint se planter devant moi, derrière le comptoir et entreprit de laver quelques tasses à café. Il me regarda droit dans les yeux puis baissa la tête, la releva à nouveau, puis sans transition me dit : « As-tu toujours ce qu’il faut ? ». J’acquiesçai et l’invitai à me suivre jusqu’à mon véhicule placé sur une place située à quelques dizaines de mètres de là. Il accepta, informa son employé qu’il s’absentait quelques instants, puis me suivit. J’actionnai à distance l’ouverture du coffre de ma BMW de location. Lorsque nous fûmes
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arrivés sur place, je saisis la mallette confectionnée par mon administration, l’ouvris, ce qui permit à Augun, d’un seul coup d’œil, de constater la présence de nombreuses liasses de billets représentant une somme équivalant à 100.000 euros Il saisit deux paquets au hasard, compta le nombre de billets, replaça soigneusement le tout à l’intérieur de la mallette, la referma luimême comme pour être bien sûr que personne ne toucherait à cette petite fortune, puis rabaissa le hayon du coffre. Il semblait heureux et soulagé. Pour moi, l’opération débutait seulement à ce moment précis. Le plus compliqué restait à venir. Je devais impérativement et juridiquement faire sortir la drogue à l’extérieur de l’appartement, c’est-à-dire sur la voie publique et Augun devait obligatoirement en être le porteur. Ces conditions devaient absolument être réunies pour que l’infraction puisse être légalement constatée. En effet, à ce stade de la mission mon service n’aurait jamais obtenu l’autorisation d’effectuer une visite domiciliaire (perquisition) au domicile d’Augun. De retour au restaurant et d’un geste de la main il m’invita à le suivre vers une porte donnant sur un couloir. Il me précéda. Nous empruntâmes un escalier en bois puis arrivâmes au premier étage du bâtiment. En complète
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rénovation l’espace ressemblait à un vaste chantier où des bouteilles vides, des poubelles pleines de détritus côtoyaient des sacs de ciment éventrés, des morceaux de plaques de placoplâtre et des restes de nourriture. Il me conduisit vers un fût en fer d’une contenance approximative de 100 litres qui renfermait une multitude de déchets. Il plongea la main à l’intérieur puis tout le bras, en ressortit un sac plastique portant le nom d’une grande surface bien connue dans le commerce alimentaire et dit : « Il y a 2 kg ». Posément, tranquillement, il déposa le paquet à même le sol, l’ouvrit et m’invita à en regarder le contenu. Je constatai immédiatement la présence de deux sachets. Augun me demanda si je désirais contrôler la marchandise. Je lui répondis par l’affirmative et prélevai avec la pointe de mon couteau environ un gramme du produit que je plaçai à l’intérieur d’un morceau de papier plié en quatre et ouvert en cornet. A ce stade de la mission je devais faire diversion. En effet, bien que l’échantillon me semblât être effectivement de l’héroïne, je ne pouvais pas matériellement en préciser la pureté. Depuis le début de notre rencontre Augun m’avait assuré que la drogue serait pure à 80 % et c’était d’ailleurs pour cette raison qu’il avait exigé la somme relativement élevée de 100.000 euros. Dans le cas où la marchandise
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serait de moins « bonne » qualité, le prix serait bien sûr revu à la baisse. Tout cela m’arrangeait à merveille car je devais impérativement ressortir des lieux, seul. Non seulement il était primordial de faire analyser la petite quantité de poudre qu’il m’avait confiée, mais il était nécessaire que je rencontre mes collègues afin de leur faire part de la situation et que nous élaborions tous ensemble une stratégie d’interpellation. J’informai Augun que je reviendrais une heure plus tard, car je devais effectuer quelques vérifications avec du matériel que je détenais à bord de mon véhicule. Il trouva cela normal et ne posa pas de questions. Tout devait aller très vite. Augun m’attendait. Impossible de remettre l’échange à plus tard. Remis à mes collègues, l’échantillon fut rapidement analysé. Le résultat était très positif. Nous avions convenu que lorsque je ressortirais du restaurant en compagnie d’Augun et que je serais certain que ce dernier transportait effectivement la drogue afin de l’échanger dans mon véhicule contre la somme d’argent, je retirerais l’écharpe que j’avais placée autour de mon cou. A cet instant ils n’avaient plus qu’à intervenir, interpeller Augun, saisir la drogue, et moi à disparaître rapidement. Comme souvent cela ne marcha pas comme on l’avait prévu. Et là, le scénario mis en place
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ne fonctionna vraiment pas bien. J’ai dû improviser dans l’urgence. A l’heure prévue j’étais de retour auprès d’Augun. Depuis le bar, nous prîmes le même chemin que la première fois pour accéder au premier étage du bâtiment. Mais lorsque nous fûmes arrivés en ce lieu, il me fit signe de le suivre à l’étage supérieur. Cela n’était pas prévu. Il modifiait la situation initiale. Je n’étais pas rassuré. En effet, à présent il connaissait mon véhicule, son emplacement et bien sûr le contenu de la mallette. Je craignais qu’il ne m’attire dans un guet-apens où m’attendraient ses complices dans le but de me dérober les 100.000 euros. Je gambergeais énormément. En réalité, la raison était tout autre, car lui aussi pensait au moindre détail. Depuis le début de cette affaire j’avais bien pressenti qu’il était très futé et rusé. Une fois au deuxième étage il se dirigea immédiatement vers un placard placé sous un lavabo et en retira le fameux sac contenant les deux sachets. Il venait d’effectuer un « coup de sécurité ». En effet lorsque j’étais ressorti la première fois avec mon échantillon j’aurais pu, si j’avais été trafiquant, revenir sur les lieux accompagné de complices et dérober la drogue.
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En fait, à présent, nous étions rassurés tous les deux. En réalité, pour ma part pas tout à fait, car je devais m’assurer une nouvelle fois que la drogue proposée actuellement était bien la même que celle présentée précédemment. Tout cela était logique. D’ailleurs Augun n’en prit pas ombrage. Je prélevai quelques grammes de poudre, la plaçai sur une feuille de papier puis analysai visuellement sa texture. Aucun doute, le produit était identique. Je pliai la feuille de papier renfermant l’héroïne et plaçai le tout à l’intérieur de la poche de mon blouson. A présent Augun devait se saisir du sac, puis m’accompagner jusqu’à mon véhicule afin que, comme prévu, nous échangions la drogue contre l’argent. Alors que je m’apprêtais à le quitter du regard, je m’aperçus qu’il se saisissait d’un autre sac plastique paraissant contenir une marchandise d’un même volume et d’un même poids que les deux sachets d’héroïne. A ce stade de la transaction je devais continuer comme si je n’avais rien vu. Faire comme si tout était normal, mais trouver rapidement une solution. Je ne pouvais plus faire marche arrière. J’étais certain qu’il désirait s’assurer qu’il n’y aurait pas de problèmes à l’extérieur, c’est-à-
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dire qu’il ne serait pas attendu par un service de Police, de Gendarmerie ou de Douane. Cette fois, je découvrais vraiment la véritable personnalité d’Augun. Il n’en était certainement pas à son coup d’essai. Il « travaillait » en véritable professionnel. Alors qu’il me précédait en descendant l’escalier je pris une décision très rapide. Une décision qui ne demande que quelques dixièmes de seconde de réflexion. Une décision qui peut tout faire basculer aussi bien du bon côté que vers une catastrophe. En un tour de main je déplaçai de la poche de mon blouson à l’intérieur de la poche de son imperméable le papier plié qui renfermait quelques grammes d’héroïne. Nous sortîmes normalement sur le trottoir. Il agitait nerveusement le sac plastique qu’il portait à la main comme pour provoquer ou plutôt pour attirer l’attention sur lui, sachant pertinemment que ce sac ne renfermait aucune marchandise compromettante. Fier, la tête haute il ne pouvait absolument pas se douter qu’un piège redoutable était en train de se refermer sur lui. J’avais pris soin de suivre Augun à distance. Environ dix mètres. Arrivé à un point que nous avions défini avec mes collègues je dénouai lentement mon écharpe. Lorsque j’eus terminé cette « manœuvre » je vis, telle une meute, une
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cohorte d’agents munis de brassards d’identification de « Douane » se précipiter sur Augun, le saisir, le maîtriser à terre, puis lui passer une paire de menottes dans le dos. J’observais la scène à quelque distance de là dissimulé au sein d’une foule de passants déjà nombreuse. Je vis qu’un de mes collègues ouvrait le sac plastique porté par Augun et qu’il en retirait deux paquets dont les emballages me parurent ressembler à ceux contenant habituellement du sucre cristallisé. Moment d’émotion pour tous les intervenants jusqu’à ce qu’un de mes fidèles lieutenants quitte les lieux de l’interpellation et vienne discrètement me rejoindre. Il arriva vers moi tout essoufflé et me lança : « Il n’y a rien ». Je lui plaçai la main sur l’épaule et lui répondis : « Vous avez tous mal cherché. Regardez dans la poche droite de son imper. » Il n’avait pas très bien saisi ma réponse, mais sans demander d’explications il retourna vers Augun qui arborait un large sourire narquois. Mon collègue entreprit d’effectuer une palpation sommaire de sécurité et découvrit à l’endroit indiqué une boulette de papier renfermant environ dix grammes de poudre blanche que tous les collègues identifièrent immédiatement comme étant de l’héroïne. Cette fois le flagrant délit était constaté.
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Entre temps j’avais eu la possibilité d’entrer en contact avec le responsable logistique de l’intervention et lui avais indiqué l’endroit exact où étaient entreposés les 2 kg d’héroïne. La visite domiciliaire (perquisition) réalisée dans la foulée permit effectivement de découvrir les deux paquets de drogue. Ahuri, piégé, cassé, Augun ne fit aucune déclaration immédiate. La visite de sa Mercedes, garée à proximité dans une arrière-cour, amena la découverte, sous la banquette arrière, d’une « cachette » spécialement aménagée. Plus tard, au cours des différents interrogatoires et auditions, Augun reconnaîtrait que c’était à cet endroit que l’héroïne fut dissimulée pour son transport de Turquie en France. Enfin, il ajouta que lors de son précédent voyage il avait placé les deux paquets de sucre qu’il transportait lors de son interpellation, à l’intérieur de la « cachette ». Il tenait à pratiquer « un coup d’essai ou coup de sécurité » afin de vérifier que les Services douaniers français n’étaient pas informés de ses agissements. L’enquête ultérieure démontra que tous les biens dont Augun était propriétaire avaient été acquis avec l’argent de la drogue. Il fut condamné à une très lourde peine de prison et tous ses biens mobiliers et immobiliers, représentant plusieurs millions d’euros, furent saisis.
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Ma mission et mon action ont-elles été légales et morales dans cette affaire ? Je ne me risquerais pas à avancer de réponse, mais je puis seulement dire que ce trafiquant international de drogue dure a été mis hors d’état de nuire et de cela je suis très satisfait.
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LE COUP TORDU MONTÉ CONTRE DÉDÉ Mes missions d’infiltration des filières de stupéfiants s’étaient très vite dirigées vers des secteurs plus éclectiques et variés. C’est ainsi que je m’étais également « immergé » au sein de trafics d’armes et d’œuvres d’art. Les méthodes utilisées étaient identiques, mais avec des techniques différentes et appropriées. En revanche, l’approche de l’infiltration de membres de l’IRA ou de l’ETA était complètement différente de celle d’ex-braqueurs reconvertis dans la contrebande de stupéfiants. C’est pourquoi mon adaptation au milieu ciblé, ainsi qu’à la nature des marchandises, m’obligeait à chaque mission à repenser la manière d’aborder tel ou tel objectif. Enfin, bien que fonctionnaire du Ministère des Finances, j’étais très souvent « envoyé » sur des missions pour le compte d’autres administrations. C’est ainsi que j’exécutai certaines missions pour le compte de la Police Judiciaire régionale (la Crime), de l’Office central de répression des trafics illicites de stupéfiants
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(l’ORCTRIS), des sections régionales (SR) ou brigades régionales (BR) de gendarmerie. J’étais devenu l’agent spécialisé de la méthode dite de « l’infiltration », voire même parfois l’exécuteur de certains coups dits « tordus ». Aujourd’hui je m’interroge sur le bien fondé de certaines de ces missions particulières ou plutôt de l’exécution de certains ordres. Je ne suis pas particulièrement fier de la réalisation de ces actions spéciales qui, après réflexion, relevaient plus de la provocation et de l’exécution, par des fonctionnaires, de faits délictueux que d’une véritable politique de lutte contre la grande délinquance. Afin de réaliser une telle mission le « staff » avait décidé de créer de toutes pièces une véritable organisation de fraude. L’affaire fut bâtie en trois temps : – sa naissance par détournement d’une importante quantité de stupéfiants, – sa construction par des opérations de transport et stockage, – sa conclusion par le recrutement d’acheteurs potentiels de la marchandise. Les frais occasionnés par ces différentes manipulations étaient fixés préalablement. Le tout fut mené dans une profonde illégalité. Ce fut un véritable travail de barbouzes.
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Plusieurs mois auparavant, dans un port situé au sud de la France, un container arrivé d’un pays africain avait été repéré par des collègues lors du déchargement d’un navire. Selon mes informations, il renfermait sept tonnes de résine de cannabis. Toutes les surveillances mises en place pendant plusieurs semaines tant par la Douane que par la Police n’avaient permis d’identifier et d’appréhender aucun des acheteurs potentiels de la marchandise. Ce type d’échec arrivait parfois lorsque les trafiquants craignaient d’être surveillés. Dans ces cas particuliers, c’est-à-dire en l’absence d’interpellation, les droits douaniers et pénaux dictaient aux fonctionnaires que la drogue soit saisie, qu’un procès-verbal soit établi contre des personnes inconnues et que les stupéfiants soient détruits par incinération. Bien sûr une telle procédure administrative ne pouvait être mise à exécution que suite à information et autorisation judiciaires. Dans ce cas précis, il semble bien qu’aucun magistrat ne fut alerté initialement de la découverte des marchandises. Il aurait donc été décidé, au niveau des différents services administratifs impliqués dans ce dossier, de conserver la résine de cannabis et de créer une opération particulière dite dans le jargon interne du métier : la mise en place d’un coup tordu ou coup de vente ou provoc à la vente.
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La marchandise devait être acheminée sous bonne escorte du sud de la France jusqu’en région parisienne, placée en lieu sûr, puis étroitement surveillée par une société de gardiennage privée qui bien sûr ignorait absolument tout de la nature des marchandises placées à l’intérieur du container. (Je n’eus connaissance des circonstances exactes concernant l’origine de la marchandise et de la mise en place de cette opération qu’inopinément plusieurs années plus tard.) C’est après cette deuxième phase de préparation que je fus sollicité par le « Colonel » : j’entrai en action. Les ordres furent simples, nets et précis : « Démerdez-vous comme vous voulez, mais trouvez des acheteurs pour plusieurs tonnes de merde. Il faut faire sortir des loups du bois coûte que coûte ». Par le passé, à plusieurs reprises j’avais travaillé avec un certain Claude, un contact qui me paraissait correspondre en tout point à la personne que je recherchais afin de permettre mon introduction dans une organisation mafieuse, voire terroriste, possédant le potentiel financier et logistique pour l’achat de cette importante quantité de marchandise. Mon contact qui avait quelques comptes personnels à régler me mit en relation avec un de ses anciens « amis », un certain Dédé dont il
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avait fait la connaissance quelques années plus tôt au cours d’un séjour derrière les barreaux. Bien que les deux personnages se soient liés d’amitié, un jour l’un des deux avait choisi de collaborer avec mon service. Claude m’avait fait comprendre que quelque temps auparavant, sur un « coup foireux », Dédé n’avait pas été très régulier à son encontre. Il tenait à le lui faire payer et voulait qu’il « tombe ». A présent Dédé semblait « rangé ». Une femme, des enfants, une maison. Une activité professionnelle comme monsieur tout le monde. L’ex-braqueur, proche d’une organisation séparatiste, reconverti dans le trafic des stupéfiants, et qui venait de purger une longue peine d’emprisonnement, paraissait à présent avoir définitivement « raccroché ». Cependant, préalablement informé par téléphone par Claude de mes propositions et de mon arrivée, il semblait m’attendre avec impatience. Il m’accueillit en effet les bras ouverts. Il est vrai que Claude était un très bon manipulateur. Il savait parler, convaincre. Il m’avait vivement recommandé et présenté à Dédé en qualité de représentant de fournisseurs marocains. Il ajouta bien sûr que je détenais sur le sol français une très importante quantité de résine, d’une qualité exceptionnelle, qui pouvait tout de suite être mise à sa disposition.
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Dédé encore psychologiquement fragile, attiré par l’argent facile, aux aguets, mais intéressé peut-être à faire « un dernier gros coup » et détenteur d’un carnet d’adresse impressionnant, se mit immédiatement à l’œuvre. Il était encore respecté par ses anciennes relations du monde de la grande criminalité. La proposition était trop alléchante. Je restai immergé chez lui, dans sa famille, pendant près de 15 jours. Pour meubler le temps j’accomplis de menus travaux d’entretien ou me proposai pour effectuer les courses nécessaires aux repas que son épouse préparait avec attention. Je rendais service. Dédé appréciait. Je l’aidais dans son entreprise. Il m’acceptait un peu plus chaque jour. Depuis l’instant de mon arrivée je cherchais absolument un prétexte – et un excellent prétexte – de sortie, c’est-à-dire d’exfiltration temporaire. En effet, ce que je voyais, entendais, pressentais, constatais devait être aussitôt transmis à mes supérieurs pour analyse. Des collègues placés à des endroits prédéfinis recueillaient dans la plus totale discrétion mes observations et renseignements. Auparavant, plusieurs stages spécialisés dans le renseignement et dispensés par des agents particuliers dont j’ignorais le Service administratif d’appartenance m’avaient formé aux techniques à utiliser.
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Alors que Dédé accompagné de mon contact recrutait des financiers prêts à investir dans l’achat de la marchandise, je recevais de mon nouvel « ami » la consigne de répondre, en son absence, aux appels téléphoniques reçus à son domicile. Je considérai cela comme une reconnaissance et une marque de confiance, ce qui également contribuait à diminuer mon stress intérieur. Et puis cette responsabilité qui m’était confiée me permettait de mieux comprendre l’environnement, les relations et presque la vie intime de Dédé. Au cours de ces veilles je découvris que mon nouvel hôte appartenait à une organisation du sud-ouest de la France et qu’il possédait encore des relations d’affaires dans la région de Marseille et de Toulon. Je parvins à identifier certains de ses contacts et je découvris qu’il possédait également des liens quasi amicaux avec un fonctionnaire parisien de la magistrature. Au cours d’une exfiltration j’en informai immédiatement mes supérieurs. Tous les jours Dédé s’absentait. Il pratiquait ce qu’il appelait la tournée « des cabines téléphoniques », c’est-à-dire qu’il relevait minutieusement les numéros d’appels potentiels situés dans un périmètre de 50 km autour de son habitation. Plus tard, lorsqu’il désirait s’entretenir avec un de ses correspondants, il lui suffisait de fixer à celui-ci un jour, une heure et
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de lui communiquer un numéro d’appel. Aucune conversation téléphonique concernant une affaire en cours n’était réalisée depuis son habitation personnelle. Les éventuelles écoutes téléphoniques susceptibles d’être placées à son domicile seraient donc demeurées infructueuses. Dans le passé, pour avoir été déjà inquiété, interpellé puis condamné pour un trafic portant sur plus d’une tonne de cannabis et pour différents braquages, Dédé avait appris à être très prudent. Un soir, il m’informa être parvenu à réunir sur parole, auprès de ses relations, la coquette somme de 1.500.000 euros correspondant à l’achat des stupéfiants. Heureux, fier de lui, il déboucha aussitôt une bouteille de champagne et sniffa une ligne de « coke ». L’ambiance devenait euphorique. Le départ pour Paris était fixé pour le lendemain à 8 heures. Dédé monterait avec un véhicule qu’il avait pris soin de louer auprès d’une agence située loin de son département de résidence. Question de sécurité. Il aimait flamber, paraître, voulait en imposer. Surtout auprès de Claude. Il avait opté pour une BMW flambant neuve de couleur noire. J’étais parvenu à faire « remonter » toutes ces informations à mes collègues de liaison qui préparaient tout de suite une logistique pour
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notre arrivée : location d’un appartement double dans un grand hôtel de la capitale, surveillance discrète des lieux et mise en place de moyens techniques d’identification. Tout était prévu. Mon service avait mis tous les moyens nécessaires. J’avais informé Dédé que pour finaliser la transaction je pouvais l’accueillir, lui et ses amis, dans un appartement spacieux situé dans un quartier chic de Paris. Il sembla ravi de ma collaboration et de ma démarche. Le lendemain en fin d’après-midi nous étions sur place. Les acheteurs marseillais recrutés par Dédé arrivèrent comme prévu. Ils semblaient très alléchés. Pour eux, Dédé était une référence et puis je leur proposais une vente à un prix par tonne défiant toute concurrence et bien en dessous du cours du marché. Je prétextai que ce stock de drogue qui me restait sur les bras provenait d’une transaction avortée avec des Hollandais. Enfin, ils savaient que la marchandise était déjà sur le sol français : ils ne prenaient donc aucun risque pour d’éventuels passages aux frontières. Le plan mis en place par les patrons parisiens de mon service de rattachement, la DNRED, fonctionnait à merveille. Afin d’activer la transaction, j’offris même à mes interlocuteurs la possibilité de ne verser au
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moment de l’échange c’est-à-dire lors de la remise de la drogue contre des fonds, que le prix des frais de transport et de stockage de la marchandise. Cette exigence était inévitable J’étais contraint, pour rester crédible, de demander au minimum une partie de la somme d’argent en jeu. En effet, si j’avais été un véritable trafiquant, j’aurais remis la drogue, mais en demandant une contrepartie financière. Dans le cas présent, ne pas exiger cette somme aurait été le meilleur moyen d’éveiller leurs soupçons et de me faire démasquer. C’était un « passage obligé » des opérations d’infiltration. En fait, le montant avait été préalablement déterminé par le « Colonel » : 450.000 euros. Pour ma part je ne prenais aucun risque. En effet pour la mission que j’accomplissais, la réunion de tous les fonds correspondant au prix des stupéfiants importait peu. Le but à atteindre étant prioritairement que des acheteurs prennent en charge la marchandise et que leurs interpellations soient réalisées en un lieu et à un moment précis. Il faut bien reconnaître qu’avec la saisie sur le territoire français de cette quantité impressionnante de drogue les retombées de l’affaire eussent été administrativement et politiquement très positives et ce à plusieurs titres. La réaction des médias eût été immédiate :
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Démantèlement d’un vaste réseau de trafiquants de stupéfiants. Résultats d’une enquête longue et difficile. Arrestation de plusieurs membres d’une organisation mafieuse. Saisie de quelque 7 tonnes de résine de cannabis Etc… A l’époque j’avais accepté la mission et j’étais entièrement accaparé par mon action. Je n’entrevoyais évidemment pas une seconde les objectifs publicitaires, voire de pure propagande, réellement recherchés par mes supérieurs. C’est avec le temps que j’appris et compris. La confiance était donc solidement établie entre tous les protagonistes de l’affaire. Nous étions tous de bonne compagnie. C’est vrai qu’à ce niveau d’imprégnation dans la haute délinquance la parole donnée était respectée. Nous étions réunis à sept dans l’appartement : Dédé, son amie Lynda, Claude, trois financiers et moi-même. Tout se déroula à merveille jusqu’à l’instant où les financiers exigèrent de voir un échantillon de 100 kg de marchandise. Tout se compliquait. Claude tenta bien de m’aider en faisant diversion, c’est-à-dire en se portant personnellement garant des quantités et de la qualité de la drogue
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proposée, mais les « banquiers » demeuraient exigeants et pressants. Pour ma part, j’étais contraint d’improviser et de trouver une issue rapide à ce contretemps très fâcheux. Bien sûr il était hors de question que j’accède à leur demande. J’étais pris entre plusieurs feux. Mon service aurait dû prévoir cette situation délicate à laquelle j’étais confronté à présent. Généralement, lorsque de telles transactions étaient réalisées entre de véritables trafiquants et même pour des quantités de drogue moins importantes, il y avait toujours soit présentation simultanée de la totalité des marchandises et de l’argent, soit présentation d’un échantillon assez représentatif, c’est-à-dire proportionnel au stock entier proposé à la vente. Dans cette affaire relativement importante, portant sur une telle quantité de stupéfiants, comment pouvais-je, sans perdre la face ou éveiller leurs soupçons, refuser cette demande logique ? Leurs démarches comportaient plusieurs buts. Le premier était de me tester. Dans le jargon du métier on appelait cela la mise à l’épreuve. En effet, j’étais entré en contact avec ces personnages en trois étapes : au départ Claude, puis Claude qui me présenta à Dédé, puis Dédé qui à son tour me présenta à eux.
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Autrement dit, ces personnes ne me connaissaient que par des intermédiaires. Les sommes en jeu étaient colossales et les risques encourus considérables. Ils prenaient donc toutes leurs précautions. Ils savaient que si j’étais un agent infiltré je ne pourrais pas accéder à leur demande de présentation des 100 kg et dans ce cas je serais contraint à me découvrir et à assumer les représailles. Si j’étais sincère, c’est-à-dire si j’appartenais à leur milieu et si j’étais dépositaire d’un stock qui, une première fois, n’avait pas trouvé preneur, je n’opposerais aucune difficulté à exécuter leur demande. Le dilemme était quasiment insoluble. J’optai pour la solution dite du « retournement ». Ne dit-on pas que la meilleure défense est l’attaque ? Je décidai de prendre la direction des opérations et à mon tour d’imposer ma volonté. En effet, c’était moi en qualité de vendeur et en possession de la drogue qui prenais le plus de risques. Je devais inverser les rôles. Et si ces trois personnes étaient des fonctionnaires infiltrés chargés de réaliser une action dite du « coup d’achat », c’est-à-dire faisant semblant de vouloir acheter des stupéfiants pour interpeller le vendeur ? Personnellement auparavant j’avais déjà pratiqué à plusieurs reprises ce type d’opérations sur des trafiquants. Je connaissais
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donc bien le système. Nous participions à une véritable partie de poker menteur. A mon tour je leur signifiai donc ma méfiance. Ainsi tout à coup je « renversai la vapeur », repris la direction de notre affaire et imposai mes conditions. Je prétextai que la marchandise était placée en un lieu éloigné d’où nous nous trouvions, qu’elle n’était accessible que de jour, que je ne voulais pas prendre de risques inutiles et leur signifiai que mes associés devaient être informés de la tournure que prenaient les événements. J’avais gagné une manche. La partie put reprendre. En fait j’avais atteint deux objectifs : reporter les discussions au lendemain et trouver le prétexte de ma sortie de l’appartement, c’est-àdire mon exfiltration dans le but de rendre compte des dernières péripéties à ma hiérarchie. Ce fut réalisé au cours de la nuit. Il fut décidé que je devais maintenir ma position vis-à-vis des trafiquants. Aucune remise d’échantillons ne pouvait avoir lieu. Il y avait trop de risques. Le lendemain, dans la matinée je revins à l’appartement. Je ne savais pas si Claude avait su se montrer persuasif durant mon absence, mais l’atmosphère était à nouveau détendue. Plus question des 100 kg. Aucune allusion. A présent tous semblaient moralement très « remontés » et pressés de conclure rapidement
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cette affaire. Mon attitude ferme, déterminée et non complaisante avait séduit. J’étais accepté par tous. Les conversations qui, auparavant, étaient effectuées à mots couverts se déroulaient à présent à bâtons rompus et ouvertement. Deux des financiers avançaient même le nom d’une agence de change bancaire située dans une grande avenue de la capitale et qui était susceptible, de suite, de mettre à leur disposition plusieurs millions d’euros en contrepartie de valeurs étrangères. Quelques heures avant la remise des stupéfiants, Dédé devenait de plus en plus nerveux et méfiant. Il faisait les cent pas dans le salon et la salle à manger. De temps en temps il écartait le rideau d’une des fenêtres qui donnaient sur l’extérieur et jetait un coup d’œil furtif. Soudain son attention fut attirée par la présence d’un homme placé à l’intérieur d’une cabine téléphonique située dans la rue en bas de l’appartement. Son sang ne fit qu’un tour. Il demanda à son amie Lynda qui l’accompagnait sur tous les coups de descendre, de se placer à côté de l’individu douteux afin d’écouter la conversation. Le retour de Lynda et le rapport qu’elle fit figèrent le visage à Dédé. Tout à coup il devint blême et tendu. Elle raconta que la personne de la cabine parlait « d’une BMW de couleur noire
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qui était toujours garée au même endroit et que les agents placés en surveillance ne devaient pas bouger ». J’appris plus tard qu’un de mes collègues responsable d’un véhicule de surveillance appelé « sous-marin » stationné sur un parking situé à proximité de l’appartement avait décidé de quitter son poste d’observation afin de rendre compte de ses observations par téléphone. La radio administrative était en panne. Je n’étais plus rassuré du tout. Dédé avait « reniflé » qu’un dispositif douanier ou policier était placé sur lui. Il ne voulait plus bouger. Il désirait « faire le mort », mais, comme mu par une hargne profonde émanant d’une grande détermination, il voulait savoir d’où provenait la « fuite ». Il décida de reporter la transaction à plus tard, dans quelques jours. C’était un nouveau contretemps. Prétextant des impératifs de stockage de la marchandise, je m’exfiltrai, rendis compte à mes collègues des derniers événements, puis louai à l’écart de l’appartement une chambre d’hôtel dont je communiquai à Claude le numéro de téléphone au cas où… Mais je ne me faisais plus beaucoup d’illusions sur les suites de ma mission. J’avais demandé à mon informateur de rester en compagnie de Dédé. Ce jour-là j’avais pris une très sage décision. En fin d’après-midi, vers
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18 heures, le téléphone retentit. C’était Claude. Affolé, il me lança ces quelques mots : « Fous le camp, dégage, Dédé dit que tu es un flic ; ils sont devenus fous, ils veulent t’embarquer et te faire la peau ». Je raccrochai le combiné et partis aussitôt. Je fus « récupéré » par des collègues placés en soutien et conduit en lieu sûr. Cependant je n’étais pas susceptible d’avoir été informé par Claude de ce dernier événement. C’est ainsi que le lendemain matin je contactai normalement Dédé et lui fixai un rendez-vous à l’extérieur pour parler de l’évolution de notre affaire. Il arriva à l’heure prévue, ponctuel comme toujours puis me salua. Il paraissait décontracté, mais je devinais des yeux perçants et tueurs qui me fixaient. J’éprouvais de la peine à croiser son regard. Il s’assit à côté de moi et commanda une boisson. Alors que je m’apprêtais à engager la conversation, il m’interrompit brusquement, puis d’un ton sec et bref me regarda droit dans les yeux et me lança : « Tu es flic, je le sais. J’ai des relations en haut lieu. Tu es mort ». J’étais tenté de faire volte-face, mais je constatais que ma défense était vaine. Il se leva, fit deux pas, se retourna, pointa son doigt sur moi et m’adressa un signe dont je perçus toute
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la signification, puis disparut dans la foule des passants. Bien sûr l’affaire avait échoué, mais Dédé, Lynda, les trois banquiers et consorts étaient tous identifiés par mes collègues. L’agence de change « véreuse » fut placée sous surveillance et fit l’objet d’une attention toute particulière de la part de TRACFIN, notre service spécialisé chargé de la lutte contre le blanchiment de l’argent « sale » provenant de divers trafics et notamment celui des stupéfiants. Plusieurs années plus tard, je me demande encore d’où pouvaient bien provenir les fameuses informations reçues par Dédé. Qui l’avait renseigné ? Quoi qu’il en soit, quelques mois après ce cuisant échec, j’appris que le fameux stock de résine de cannabis avait trouvé preneur auprès d’autres acheteurs, piégés avec le même mode opératoire. Aujourd’hui, de nombreuses questions me trottent toujours dans la tête. Si l’affaire avait réussi, j’étais inévitablement contraint, pour rester crédible auprès des trafiquants, de récupérer les 450.000 euros. Alors, vers quelle destination mon service aurait-il dirigé ces fonds ? En effet, admi-
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nistrativement et juridiquement je n’existais pas, puisque ma mission n’était pas légale. Par contre, comment être assuré et persuadé que le Magistrat qui aurait été en charge du dossier n’aurait jamais découvert le paiement de cette somme par les trafiquants qui auraient été interpellés ? Bien sûr il n’y aurait aucune certitude. C’est pourquoi après ma « prestation », j’aurais disparu, je me serais évaporé dans la nature. Mais alors : Comment, de quelle façon et sur quelles bases légales la saisie de cet argent sale aurait-elle pu être administrativement réalisée ? Je ne vois toujours pas. Sur le fond, cette affaire pose la question, délicate mais fondamentale, de savoir si les unités spécialisées en charge de la répression de la haute criminalité peuvent utiliser n’importe quelles méthodes dans le but d’interpeller des trafiquants potentiels placés dans le collimateur des services enquêteurs. Il est vrai que, parfois, faute de preuves flagrantes certaines personnes qualifiées de voyous dont l’intelligence et la méfiance sont toujours en éveil passent systématiquement à travers les mailles du filet. Dans l’affaire Dédé, on péchait contre la morale et la déontologie. En effet, sans notre sollicitation appuyée, Dédé aurait-il été à nouveau
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tenté de renouer avec le milieu de la haute délinquance ? Pour réaliser une telle affaire et faire tomber des têtes nous avions construit une véritable organisation de fraude et, finalement, incité implicitement des personnes à commettre un acte délictueux voire criminel. Certains soutiendront la thèse que ceux qui ont la faiblesse d’accepter des propositions dont les buts sont particulièrement immoraux et avec les risques qu’elles comportent sont socialement irrécupérables. Ces délinquants devraient être mis hors d’état de nuire quels que soient les moyens utilisés. D’autres penseront que de toute façon un jour ou l’autre ces trafiquants auraient certainement commis plusieurs opérations illicites et qu’ils n’auraient peut-être pas été inquiétés et poursuivis. Bien sûr, nous ne sommes pas aux ÉtatsUnis où tous les coups sont permis en matière de lutte contre la répression des grands trafics, mais nous devons nous préparer à faire face à la montée en puissance du grand banditisme européen et international. Alors pouvons-nous et devons-nous aujourd’hui en France utiliser ces méthodes pour lutter contre la grande criminalité ? Ces maniè-
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res d’agir paraissent immorales et les dérapages en la matière sont bien réels. Enfin, les buts avancés pour la justification de l’utilisation de ces méthodes sont-ils vraiment sincères et les objectifs recherchés sont-ils uniquement la guerre ouverte contre la haute délinquance internationale ? Si tel est le cas, l’infiltration des filières et des organisations frauduleuses, voire criminelles, est salutaire pour notre société. Dans le cas contraire l’observation d’une très grande méfiance paraît plus que souhaitable. Pour ma part, je laisse à chacun pour ce qui le concerne le soin de s’interroger et de méditer sur ce sujet… Le « coup tordu monté contre Dédé » avait pour objectif de faire réaliser une « belle affaire » en faisant « tomber » un voyou multirécidiviste. Tout cela pouvait certes se justifier. Cependant, la méthode utilisée aurait très bien pu s’appliquer en vue de corrompre, d’inquiéter ou de déstabiliser toute personne, anonyme, publique, voire politique, dans le but de porter atteinte à son intégrité personnelle. Dans ce cas d’espèce, « l’appât » de la drogue aurait été remplacé soit par des capitaux, des documents ou toute autre marchandise compromettante. Mettre en place un « coup tordu » est une opération avec un « montage » opérationnel
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relativement simple mais dont les conséquences sont redoutables pour la personne visée. Ce type d’action demande une préparation qui ne peut être sollicitée et bien sûr autorisée qu’avec une « couverture » qui dépasse très largement le cadre administratif.
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TOUT A UNE FIN Nos opérations étaient bien rodées, bien huilées. Trop bien peut-être. La Douane obtenait des résultats impressionnants. Les statistiques montaient en flèche. Les services de Police commençaient à montrer quelques signes d’irritation, d’agacement, de contrariété. La Douane attendait avec impatience que ses agents obtiennent, comme les gendarmes ou les policiers, le statut d’officier de police judiciaire (OPJ). Les ministres du budget et de l’intérieur de l’époque défendaient chacun leurs positions et réglaient leurs divergences de vue par médias interposés. Au printemps 1991, la guerre entre les services était déclarée. Désormais il n’était plus question de solidarité entre nous, enquêteurs. Au contraire tous les coups étaient permis. Il est vrai qu’on passait l’éponge sur les opérations « hors la loi » vécues antérieurement, dans lesquelles de toute façon plusieurs services étaient impliqués, mais pour l’avenir c’était chacun pour soi.
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Nous douaniers, munis et fiers de notre savoir-faire pompeusement qualifié de « professionnalisme » et envahis par un sentiment d’invulnérabilité, étions persuadés que nous avions véritablement « carte blanche » pour accomplir nos missions. C’était sans compter cette fois avec la vigilance de nos collègues policiers avec lesquels à présent nous devions rivaliser. Nous étions contraints de travailler « en solo ». Oui, nous devions à présent travailler tout seuls, dépourvus de certains remparts, de certaines barrières de protection, notamment vis-à-vis des instances judiciaires. Nous avions peut-être sous-évalué l’importance de la présence, qui était désormais une absence, policière à nos côtés. La qualité d’officier de police judiciaire permettait à nos collègues d’entretenir des relations privilégiées avec la magistrature et plus précisément avec les juges d’instruction. Nos « cousins » (c’était ainsi que nous appelions nos amis policiers, car nous étions très proches dans notre action) connaissaient bien les méthodes utilisées par mon service. Parfois même, j’avais été mis à leur disposition dans le cadre de certains dossiers bien particuliers. Ils étaient informés de ma véritable identité, de mes grades, fonctions, unité d’appartenance et possédaient jusqu’à ma description physique.
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Eu égard à la tension qui régnait déjà entre les différents services, la décision la plus sage et la plus intelligente eût été certainement de cesser immédiatement nos activités spéciales. Pourtant nous poursuivions nos opérations d’infiltration, nos livraisons surveillées de stupéfiants toujours en l’absence de base légale et juridique. En francs-tireurs et convaincus que nous étions dans notre « bon droit », que nos actions étaient salutaires et qu’elles n’étaient susceptibles que de conforter notre place au plan national dans la lutte contre les trafics de stupéfiants, soutenus par les plus hautes instances de l’État, nous persévérions dans notre engagement et intensifions nos constatations. A présent nous étions placés en tête de tous les hits parades des services par le nombre des constatations et les quantités de stupéfiants saisis. Un haut fonctionnaire de mon Administration centrale décida même, à mon insu et alors que j’infiltrais un réseau, de faire procéder au tournage d’un film destiné à une chaîne télévisée française dont le thème d’un programme traitait de la Douane face aux trafics de stupéfiants. Comme mes missions étaient toujours réalisées dans la plus grande discrétion afin d’assurer au maximum ma sécurité et de ne pas révéler nos techniques au grand public, je me
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dressai vivement, mais en vain, contre cette démarche entreprise à des fins purement médiatiques et publicitaires. Cette fois nous avions réellement dépassé la ligne blanche. Ce n’était plus uniquement de l’information donnée au public, mais de l’insolence, voire de la provocation envers les magistrats et les policiers. Plus tard, nous paierions très cher notre attitude et notre comportement. Quelques semaines auparavant je m’étais infiltré classiquement au sein d’une organisation qui avait procédé à l’achat, dans un pays nordafricain d’environ 500 kg de résine de cannabis. Une fois de plus nous avions utilisé le procédé de la livraison surveillée et contrôlée avec infiltration pour faire acheminer, sans risque, les stupéfiants sur le territoire français dans le but d’interpeller les acheteurs. Un premier contact avec un certain Dominique représentant des acheteurs français nous permit rapidement de repérer les membres de l’organisation frauduleuse installée dans le sud de la France et en région parisienne. Le scénario que j’utilisais était toujours construit sur les mêmes bases et les mêmes principes. Malheureusement parfois l’habitude, la routine, c’est-à-dire la répétition d’actions similaires, et surtout le traitement antérieur
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d’affaires beaucoup plus importantes provoquent un certain relâchement de notre attention. Cet état d’esprit, conforté par un sentiment d’euphorie générale et d’invulnérabilité, incite, inconsciemment, à décider et accomplir des actes répréhensibles qui dépassent largement le cadre de la lutte contre le trafic des stupéfiants. Ce matin-là j’avais rendez-vous avec Dominique. Gilles, un collaborateur et transporteur professionnel recruté par nos soins et qui avait pris en charge la drogue au Maroc m’avait déjà informé de la rencontre qu’il avait réalisée avec mon « nouvel ami » au moment du chargement. Au dire de Gilles, Dominique n’avait pas l’envergure nécessaire pour l’achat d’une telle quantité de marchandises. Ce n’était qu’un homme de main, un petit malfrat, un simple maillon de l’organisation. C’était une affaire classique. Il est vrai que lors de notre première rencontre Dominique ne m’était pas apparu comme un trafiquant de haute volée. D’ailleurs je n’avais pas éprouvé d’énormes difficultés à lui extirper quelques renseignements et notamment son numéro de téléphone personnel. Munis de cette précieuse information, mes collègues placés en soutien logistique de
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surveillance avaient rapidement identifié les destinataires réels des stupéfiants. Tout allait trop vite et marchait trop bien. Il était convenu que, quelques jours plus tard, Dominique et les commanditaires devaient prendre en charge la marchandise. L’affaire était rondement menée. Cependant, le jour de la transaction, Dominique arriva seul, désolé, désappointé. Ses complices exigeaient la remise d’un échantillon de 50 kg soit 10 % du stock. Je tentai bien de le raisonner en utilisant tous les moyens de persuasion possibles afin qu’il prenne en charge la totalité, mais a priori ses amis paraissaient déterminés à voir dans un premier temps cet échantillon. Ils ne voulaient prendre aucun risque et désiraient me tester. Dans le cas où je serais un fonctionnaire infiltré, je ne pourrais accéder à leur demande qu’en commettant un acte délictueux. En effet, je serais contraint de « laisser » partir dans la nature, sans intervention du service, une certaine quantité de stupéfiants. Je profitai de ce changement de programme et de confusion de la situation pour gagner du temps. Je devais m’exfiltrer. Je décidai donc d’exprimer à Dominique mon profond mécontentement et l’informai que personnellement je devais également demander l’accord de certaines personnes. Il comprit et acquiesça d’un
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signe de tête. Je sortis et rendis compte des faits. Une fois de plus, pour mes supérieurs directs placés sur le terrain des opérations, la situation était critique. La décision à prendre était grave et urgente. Tout peser. Tout calculer. Analyser les risques et les éventuelles conséquences d’une remise de stupéfiants à des trafiquants. Pour appâter de gros « poissons », ce scénario s’était peut-être déjà présenté antérieurement, mais dans le contexte actuel des relations entre administrations la situation était totalement différente. Par contre nous savions que notre correspondant Gilles était physiquement identifié par Dominique et que ce dernier, ainsi que ses complices, avaient certainement connaissance de la description de son moyen de transport. Nous n’oubliions pas non plus que l’organisation avait déjà payé, au départ, la totalité des stupéfiants. Elle avait donc investi une très importante somme dans cette affaire. Dans le cas où celle-ci échouait c’est-à-dire si les trafiquants ne rentraient pas en possession de leur marchandise, non seulement Gilles était perdu pour nous, mais également et très vraisemblablement perdu pour tout le monde et pour toujours. C’était la dure loi du milieu. Mon service ne voulait pas prendre ces risques de représailles, voire d’élimination, qui
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étaient bien réels. La protection de notre correspondant devait être assurée avant tout. Dans l’urgence, la décision fut prise par le commandement opérationnel placé sur le terrain : « On lâche les 50 kg ». Ce fut Dominique qui prit en charge la marchandise à bord de son véhicule et qui la transporta très rapidement, en empruntant l’autoroute, jusqu’à un lieu situé dans le sud de la France et localisé par des collègues qui avaient procédé à une filature discrète depuis le départ. La remise de cet échantillon dont l’acheminement jusqu’à destination s’était déroulé sans problème, rassura complètement les véritables acheteurs. Le surlendemain, convaincus que tout danger était désormais écarté, ils sortirent de leur « repère » et vinrent sans aucune méfiance prendre en charge les 450 kg restant du stock. Arrêtés tous en même temps à bord de leurs véhicules renfermant la drogue, ils furent immédiatement interpellés et firent l’objet d’une procédure douanière en flagrant délit pour « circulation irrégulière de marchandises prohibées ». La marchandise de fraude et les véhicules utilisés pour son transport furent saisis. Les intéressés ainsi que les stupéfiants furent remis comme à l’accoutumée au service régional de Police judiciaire (SRPJ). Un dénouement final plus que classique.
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Cependant, nous avions tout simplement omis d’informer nos collègues policiers de la remise du fameux « échantillon ». Cet épisode malencontreux fut découvert quelque temps après, tout à fait logiquement, au cours du déroulement de l’enquête judiciaire. Cet incident regrettable provoqua la suspension de nos opérations spéciales et entraîna, plus tard, certains douaniers exécutants opérationnels dans une spirale infernale d’ennuis judiciaires. Bien que notre ministre de tutelle eût déclaré publiquement que « l’on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre » ou que « la fin justifie les moyens », nous étions « grillés » et quelques mois plus tard nous fûmes poursuivis dans de nombreux dossiers par plusieurs juges d’instructions.
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FACE À LA JUSTICE Le 6 mars 1991 à 7 heures 40, alors que je m’apprêtais à me rendre à mon bureau et que j’avais réalisé quelques jours auparavant une saisie de plus de deux kg d’héroïne, je fus accosté devant mon domicile par trois inconnus. Dans un réflexe d’autodéfense, j’exécutai un mouvement de recul en découvrant mentalement tout à coup que j’étais démuni de mon arme de service. Sur le coup, je pensais avoir été identifié par l’une des organisations avec lesquelles j’avais été en rapport et que ces hommes étaient chargés de m’éliminer. Puis soudain, soulagé, je reconnus un fonctionnaire de police et perçus le grésillement d’une radio administrative… Ces quelques moments de flottement me semblèrent une éternité. Pourquoi ne m’avaiton pas convoqué simplement à la PJ plutôt que de m’arrêter de façon aussi théâtrale ? L’objectif évident était de m’empêcher d’entrer en contact avec mes supérieurs. Pourquoi d’autre part ces fonctionnaires, agissant en tenue civile,
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n’avaient-ils pas revêtu le signe distinctif de leur fonction ? Que se serait-il passé si j’avais été porteur de mon arme de service alors que j’étais convaincu d’être placé en situation de légitime défense face à d’éventuels trafiquants qui avaient découvert l’adresse de mon domicile personnel ? Aujourd’hui encore, je ne comprends pas très bien les circonstances de mon arrestation. On avait pris les grands moyens : en détournant la tête, j’aperçus derrière moi la présence de quatre autres policiers. Je n’avais aucune chance en pratiquant le moindre geste de défense. Autour de moi, je constatais une véritable logistique d’interpellation déployée d’habitude pour l’arrestation d’individus particulièrement dangereux. En cas de réaction armée de ma part, la riposte aurait été immédiate avec toutes les conséquences que l’on peut aisément imaginer. Plus tard, on aurait certainement commenté qu’il s’était agi d’un cas de “rébellion maîtrisée”. Placé aussitôt à bord d’un véhicule banalisé et encadré par trois policiers, j’étais traité comme un véritable délinquant de haut vol. Je percevais chez les policiers un sentiment de vengeance, inspiré par de la rancœur. Une commission rogatoire me fut aussitôt exhibée. On m’informa que la perquisition de mon domicile était ordonnée par un juge d’instruction dijonnais. Alors que trois véhi-
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cules de police prenaient place devant mon domicile – aux yeux de tous mes voisins qui ignoraient ma véritable profession, j’étais invité à ouvrir la porte d’entrée, entouré d’une cohorte de policiers qui se précipitaient à l’intérieur. A priori, seul un carnet d’adresses et de numéros de téléphone de service intéressait les enquêteurs. A 8 h 00, je fus conduit dans les locaux du SRPJ de Lyon, puis interrogé simultanément par des fonctionnaires de Dijon et Lyon sur des saisies de stupéfiants auxquelles j’avais participé avec mon équipe et qui portaient sur plus d’une tonne de résine de cannabis. Pour mener à bien des missions comme celles que j’ai racontées, mes collègues et moimême avions commis – au regard des lois en vigueur – certains délits qui, bien qu’ayant contribué à la saisie d’une importante quantité de drogue et à l’arrestation de plusieurs trafiquants internationaux, nous plaçaient hors de la légalité. Un concours de circonstances malencontreux, lié tant aux informations parfois incomplètes relatives à nos agissements transmises par notre service à la Justice qu’au zèle remarquable déployé par une poignée de collègues policiers, avait provoqué mon inculpation pour impor-
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tation, transport, détention et cession de produits stupéfiants. Au SRPJ, à ma grande stupéfaction, les fonctionnaires m’informaient que mes patrons étaient au courant depuis plusieurs jours de ma future interpellation, que j’étais seul, fichu, que ma hiérarchie se désintéressait complètement de moi et que j’étais “cuit”. Je connaissais ce système de chantage en cours d’audition. Il ne m’impressionna pas. Je ne me sentais pourtant pas très à l’aise, du fait qu’aucun de mes supérieurs, prévenus cependant dès mon arrestation, ne se manifestait. J’avoue que je m’interrogeais sur leur comportement. C’était à eux et à eux seuls d’expliquer l’utilisation de nos nouvelles méthodes de travail. Au cours de mes interrogatoires, on me reprochait de protéger mon administration, alors qu’elle se désintéressait de moi. On m’annonçait que mes chefs hiérarchiques au plus haut niveau seraient arrêtés ou inquiétés, car ils étaient la cible principale de cette action policière. Tout à coup je ressentis le coup monté. La vengeance impitoyable, le coup de grâce infligé à la Douane qui obtenait trop de résultats. On m’informa, par contre, que le Juge serait bien disposé à mon égard si je révélais tous les systèmes, les actions et les modalités d’inter-
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vention de notre service. Ce que nos collègues policiers n’avaient pu obtenir par leur travail de terrain ils tentaient d’en avoir connaissance par le biais de la Justice et de leurs pouvoirs judiciaires. Mon mutisme allait entraîner mon transfert à l’Hôtel de police de Dijon où je fus placé en garde à vue. Le 7 mars, à 9 heures, alors que j’étais extrait de ma cellule et conduit dans les bureaux de la PJ dijonnaise, un fonctionnaire local attirait mon attention sur un journal qui titrait “Un douanier inculpé et incarcéré”, alors que je n’avais pas encore été entendu par le Juge d’Instruction. L’article de presse révélait mon nom, mon adresse, mes fonctions, les missions d’infiltration auxquelles j’avais participé… et mentionnait qu’une importante somme d’argent avait été découverte à mon domicile ! Aussitôt, je pensai aux représailles auxquelles ma famille était exposée par ces révélations : mon domicile était ainsi identifié par les organisations de drogue que j’avais infiltrées. J’étais également troublé par cette monstrueuse déclaration mensongère concernant cette somme d’argent qu’on aurait trouvée à mon domicile, ainsi que par toutes ces insinuations de trafic. Au cours de l’audition, le lendemain de mon arrestation, un policier, gêné par les déclarations
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de la presse, tenta de connaître l’origine de ces informations calomnieuses et en chercha la source dans une “fuite” probable d’un de ses homologues lyonnais. Il téléphona immédiatement à ces derniers, mais n’obtint, semble-t-il, aucune explication. Plus tard les médias reconnurent avoir été faussement informés, manipulés, et de surcroît par un correspondant policier, haut gradé des « stups » de Lyon, assoiffé de vengeance personnelle. Décidément, la guerre des chefs n’avait pas cessé. A 13 h 30, le Juge qui désirait m’entendre quitta le Palais de justice par une porte dérobée pour rejoindre l’Hôtel de police, évitant ainsi le contact avec mes proches collègues venus de Lyon pour m’apporter leur soutien. A son arrivée à l’Hôtel de police de Dijon, le Magistrat m’informa qu’aucun de mes patrons ne s’était manifesté, ajoutant que cela ne l’étonnait pas beaucoup. Après cinq heures d’audition, le Juge me demanda de désigner un avocat susceptible d’assurer ma défense. Comme je ne connaissais personne, le Juge m’informa qu’un défenseur me serait commis d’office. Au même moment, brisant le silence, le téléphone retentit. A l’extérieur mes collègues s’étaient activés et m’avaient dépêché un avocat. Désormais je me sentais moins seul. Ils étaient formidables. Je savais que
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je pouvais compter sur leur amitié et leur soutien. A la fin du débat contradictoire, contre l’avis du Substitut du Procureur de la République et malgré la défense pertinente de mon conseil, le juge décida mon incarcération à la Maison d’arrêt de Dijon. Je déplorais toujours l’absence de manifestation de mes supérieurs ou d’avocat mandaté directement par mon administration. A ce stade de l’affaire, mon étonnement et mon écœurement cédaient la place à la sensation d’avoir été abandonné par mes supérieurs. Alors que j’avais accompli ces missions sur ordre pendant plusieurs années, pourquoi mes chefs ne se manifestaient-ils pas pour me défendre, pour donner les explications nécessaires et justifier les opérations qu’ils avaient décidés de mettre en place ? J’appris, plus tard, par mon épouse, que « le colonel » s’était déplacé à Lyon et lui avait déclaré qu’il ne pouvait, pour l’instant, rien faire pour moi. Lui aussi paraissait mal à l’aise dans sa démarche. Le mardi 6 mars 1991, jour de mon interpellation, je n’étais vêtu que de vêtements légers et dépourvu, bien sûr, de tout habit de rechange ou d’affaires de toilette. Deux jours plus tard, une valise contenant divers objets était acheminée par mes collègues et mon épouse au
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SRPJ de Dijon. Un fonctionnaire assura qu’il ferait le nécessaire afin qu’elle me soit remise le lendemain. Je ne devais la recevoir que le mardi 12, soit pratiquement une semaine après mon interpellation ! Même un grand délinquant n’aurait pas été traité de la sorte. Placé en quartier d’isolement, je disposais d’une cellule de 6 pas sur 3. La cour de “promenade” de forme triangulaire, où je pouvais sortir une heure le matin et une heure l’après-midi, n’offrait guère plus de liberté d’action. L’épaisse grille placée au-dessus de ma tête et les conditions générales de ma détention augmentaient le sentiment d’injustice que je ressentais. Les gardiens accomplissaient cependant leur travail avec conscience professionnelle. Je découvrais l’univers carcéral et constatais la complexité de leur tâche. Je n’insisterai donc pas sur les contrôles ou mesures de sécurité répétés (fouilles corporelles, visites fréquentes de la cellule, etc.) qui sont applicables à tous les détenus. Entre temps, mon épouse avait rencontré le Juge afin d’obtenir un permis de visite. Il lui fut accordé pour le jeudi 14 mars. Toutefois le magistrat recommanda à ma femme d’intervenir auprès de moi afin que je livre les noms de mes informateurs. Lors de la visite qui n’eut lieu en
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fait que plusieurs jours plus tard, mon épouse oublia ces propos et ne me les rapporta pas. Les pressions s’exerçaient de tous côtés, par tous les moyens. J’attendais le 14 avec impatience. Le matin de ce jour, à 4 heures 50 du matin, j’étais réveillé et invité à me préparer pour un transfert. Je comprenais encore un peu plus que l’on tenait à m’abattre psychologiquement. Ma visite tant attendue était supprimée au dernier moment et je mesurais toute la finalité de l’acharnement dont je faisais l’objet. A 5 h 30, j’étais conduit, menottes aux poings, à l’intérieur d’un véhicule administratif. Accompagné d’une garde armée de pistolets mitrailleurs, pistolets automatiques, et placé sous l’œil attentif d’un chien de défense, j’étais transporté en direction de Vienne pour être entendu par un deuxième juge. En cours de route, un des fonctionnaires m’informa que sur ordre du juge je ne devais absolument pas entrer en contact avec mon avocat avant d’avoir rencontré le magistrat instructeur. Cette mesure était contraire au protocole et quelques mois plus tard le Juge de Vienne fut dessaisi de l’affaire pour non respect des droits de la défense. Un coup d’œil rapide sur une feuille de route m’apprit que j’étais classé “Individu particulièrement dangereux”. Je comprenais mieux les
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raisons de tout ce déploiement de forces. Étaitce bien nécessaire ? N’était-ce point simplement, une fois de plus, une façon détournée de marquer ma dépendance ? Après une audition de trois heures environ je fus reconduit à Dijon. A mon arrivée, un gardien m’informa que trois autres collègues avaient également rejoint la maison d’arrêt. Ils avaient été à leur tour interpellés par les policiers, présentés à un juge d’instruction dijonnais puis inculpés d’importation, transport, stockage et livraison de produits stupéfiants. En fait, il leur était reproché d’avoir pris, sur le terrain, certaines décisions de commandement opérationnel ou de m’avoir apporté une aide logistique lors de la remise du fameux échantillon de 50 kg. A présent, nous étions donc quatre à être placés séparément en détention dans un quartier d’isolement et de haute sécurité. Trois d’entre nous y restèrent 15 jours. Le quatrième, le Boss, presque trois mois. De cette période très pénible et psychologiquement destructrice, je ne me souviens que de quelques questions précises qui me furent posées au cours des différents interrogatoires, voire même hors procédures légales : Auprès de qui prenez-vous vos ordres ?
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Qui est au courant de vos actions jusqu’au plus haut niveau même hors cadre administratif ? Vos méthodes d’infiltration sont-elles connues au niveau ministériel ? Nous vous posons cette question car nous savons très bien que vous avez déjà été félicité à plusieurs reprises par le Ministre du Budget, l’homme au cigare, pour d’autres actions antérieures qui ont abouti à la saisie de plusieurs tonnes de drogue. Quels sont vos contacts en France ou à l’étranger ? Quels sont les noms de vos informateurs ou honorables correspondants ? Qui règle dans votre service les questions d’ordre financier ? Au cours de certaines affaires avez-vous été amené à entrer en possession de certaines sommes d’argent ? Si oui à qui les avez-vous remises ? Quels sont les noms des autres agents des Douanes qui pratiquent également l’infiltration ? Je résistai à la pression. Difficilement certes, mais je tins bon. De toute façon je n’avais rien à dire ou plutôt je m’imposais comme un devoir de ne rien dire. Je considérais que les réponses souhaitées n’étaient pas de ma responsabilité,
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mais de celle de mes chefs placés au plus haut niveau hiérarchique… Mes autres collègues placés également en détention n’avaient eux aussi rien à dire.
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FACE À MON EMPLOYEUR Après ce « séjour à l’ombre » en quartier d’isolement, avec les conséquences néfastes qui en découlent tant sur les plans personnel, physique que psychologique, nous fûmes libérés à quelques jours d’intervalle les uns des autres. Certains d’entre nous restèrent toutefois placés sous contrôle judiciaire. Le 21 mars 1991, dans les minutes qui suivirent ma sortie, la première question que m’adressa le « Colonel » ne fut pas « Comment allez-vous ? » mais « Avez-vous dit quelque chose au juge ? » Je lus dans les yeux d’un bleu perçant de son visage devenu très émacié toute l’inquiétude d’un homme très soucieux, physiquement abattu, et même aux abois. Ma réponse le rassura. Son visage se détendit et donna l’impression d’un immense soulagement. Mais qu’était donc devenu l’homme, dur de caractère, exigeant, sans peur, sans état d’âme, un tantinet baroudeur que j’avais connu quelque temps auparavant ?
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La réaction de mon supérieur aurait dû éveiller mon attention. Cependant personnellement je reprenais confiance. J’apprenais que mes collègues de la France entière, ainsi que des policiers, gendarmes et même certains magistrats, m’avaient manifesté leur soutien. Les médias eux-mêmes avaient compris le véritable fond de l’affaire dite des « douaniers lyonnais ». A présent, la plupart d’entre eux soutenaient notre démarche et notre engagement. Notre Ministre du Budget, en personne, « montait au créneau » pour défendre notre action. Le « Colonel », devenu plus serein, donnait des interviews dans les journaux et même à un hebdomadaire réputé pour le poids de ses mots et le choc de ses photos. Par contre, personnellement, je fus « laissé sur le carreau » et mis au placard. Écarté des débats comme si j’étais le seul et unique responsable de toute cette affaire, j’étais prestement invité à ne faire aucune déclaration aux médias et à continuer de respecter mon devoir de réserve. Dans ces conditions, j’éprouvais un besoin d’assistance et de protection de la part des hauts responsables de mon administration. Je ne pouvais pas, à l’époque, imaginer qu’après certaines déclarations médiatiques fracassantes de mes supérieurs pour sauver l’image de notre
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administration et justifier nos nouvelles méthodes, je serais par la suite abandonné à mon sort. Après quelques mois de « mise en congé d’office » je fus contraint de quitter le service d’action auquel j’avais tant donné. La rupture fut sèche et brutale. Sans discussion possible. Je partis pour trois années avec femme et enfants à La Réunion, département français situé dans l’océan indien, où je revêtis la tenue du douanier classique en uniforme. Durant cette période sous les tropiques où je fus accueilli très chaleureusement par mes nouveaux collègues, je dus effectuer de très nombreux voyages en France métropolitaine pour témoigner devant plusieurs tribunaux. En effet, mes nom et fonction ayant été rendus publics, plusieurs de mes actions antérieures d’infiltration furent révélées et je fus inquiété dans plusieurs dossiers judiciaires. Je continuai cependant à respecter les directives qui m’avaient été fixées, c’est-à-dire à protéger au maximum l’institution des douanes, tout en maintenant mes déclarations concernant les charges qui pesaient sur les trafiquants arrêtés et mis en cause par la Justice. Mon comportement me rendit encore plus vulnérable face aux délinquants : plusieurs années plus tard, certains me firent rechercher soit pour exercer des pressions sur moi soit pour me proposer de très importantes sommes
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d’argent en contrepartie de mon témoignage en leur faveur. Même à ce niveau de risque très élevé, les instances douanières administratives n’avaient, semble-t-il, pas jugé opportun de m’accorder une protection appropriée. A cette époque, j’eusse aimé être « traité » comme le furent quelques années plus tôt d’autres collègues des services spéciaux de la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure – Services secrets) dont la mission commandée de sabotage d’un bateau avait malencontreusement échoué et s’était soldée par la mort d’un journaliste étranger. Décidément, mon plus haut commandement n’était pas formé pour affronter et gérer la situation de crise très délicate que nous vivions à présent. Je compris mais un peu tard qu’à travers le pseudo soutien de ces hommes à mon égard ces derniers tentaient d’abord et avant tout, par tous les moyens, de sauver leurs têtes. J’étais contraint à nouveau de continuer à me battre, à lutter pour défendre mes droits et mes acquis de fonctionnaire. Au cours des différents entretiens que j’eus avec ma hiérarchie, j’étais rassuré avec des « Ne vous faites pas de soucis » ou encore « Gardez confiance en l’avenir », accompagnés de l’ordre d’observer un mutisme complet. Je le respectai.
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D’ailleurs j’avais toujours en mémoire cette fameuse phrase du « colonel » : « c’est un ordre, vous exécutez ou je vous tue ». Trois années passèrent. L’instruction de l’affaire dite « des douaniers lyonnais » était terminée. Nous fûmes jugés auprès d’un tribunal correctionnel et fîmes l’objet, mes collègues et moi-même, d’un non-lieu. Nos avocats avaient réalisé un travail remarquable. Nos dossiers furent construits avec un talent qui force l’admiration. L’argumentation de défense présentée fut sans faille. Je leur en suis très reconnaissant. Entre temps, la loi spécifique 91-1264 du 19.12.1991 avait été votée. Elle autorisait policiers, agents des douanes et gendarmes à effectuer, sous certaines conditions et après information, autorisation et sous la responsabilité d’un magistrat, des livraisons surveillées, contrôlées avec ou sans infiltration. Je persiste à croire que la méthode dite de « l’infiltration » est une arme redoutable pour la lutte contre la grande criminalité. Ce système d’investigation évite de mobiliser d’énormes moyens tant en personnel qu’en matériel comme c’est le cas lors d’enquêtes dites classiques. Souvent le temps passé en infiltration qui ne mobilise généralement qu’un seul, voire deux
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agents, est bien inférieur à celui demandé pour des recherches habituelles. Enfin, ce procédé permet de voir, d’entendre et de découvrir des faits qu’aucune filature, écoute téléphonique ou autre moyen technique ne pourrait révéler. Par contre cette pratique demande à être encadrée très étroitement, structurée dans les moindres détails, afin d’éviter tout débordement. Les fonctionnaires qui accomplissent ces missions particulières doivent, quant à eux, être soutenus, encadrés et protégés à hauteur des risques qu’ils encourent. Aujourd’hui, certains fonctionnaires sont autorisés à utiliser la méthode dite de « l’infiltration ». Il est donc indispensable que la loi précise la portée et l’étendue de la couverture juridique des agents désignés. En effet, ces derniers seront très vraisemblablement contraints, au cours de certaines missions et pour « sauver leur tête », à commettre personnellement de graves délits, voire dans le pire des cas des actes criminels. En effet, dans certaines circonstances, le refus d’accomplir ou de participer à de tels actes ordonnés par les membres d’une organisation relevant de la haute délinquance, compromettrait évidemment le bon déroulement et la réussite de l’action, mais les exposerait également à un danger bien réel : ils seraient identifiés par les trafiquants.
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Enfin, il serait absolument nécessaire, dans le cas où le ou les agents seraient amenés à témoigner devant un juge ou un tribunal, de garantir au maximum leur avenir, c’est-à-dire d’assurer leur protection personnelle ainsi que celle de leur entourage familial. Cette technique moderne et très récente dans notre pays de lutte contre les grands trafics ne doit pas être vécue comme un « effet de mode ». Bien sûr elle est radicale en matière d’efficacité, mais elle expose ceux qui la pratiquent à d’innombrables dangers. Les agents qui l’ont pratiquée n’en sont généralement jamais sortis tout à fait indemnes. Pionnier de l’utilisation en France de la méthode dite de « l’infiltration » je me réjouis toutefois que d’autres collègues puissent aujourd’hui œuvrer dans ce domaine en toute liberté d’esprit et surtout en parfaite légalité.
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Plaidoyer pour un service unique de lutte contre la drogue
PLAIDOYER POUR UN SERVICE UNIQUE DE LUTTE CONTRE LA DROGUE
Après réflexion et avec un certain recul, il faut évidemment reconnaître que nous ne possédions pas la couverture juridique susceptible de légitimer nos actions. En l’absence d’une telle loi, nous étions condamnés à l’inaction. D’autre part, comment aurions-nous pu œuvrer en étroite collaboration avec la justice et sous sa tutelle, alors que nous ne possédions pas la qualité d’OPJ (Officier de police judiciaire) que notre administration avait tant revendiquée ? Pouvions-nous enfin travailler sans arrière-pensée avec nos collègues policiers, après tous les malentendus qui avaient opposé nos services ? Aujourd’hui une loi autorise ce genre d’interventions et certains douaniers possèdent désormais la qualité d’Officier de douane judiciaire. Actuellement, si la législation renforçant les moyens juridiques de lutte contre les trafics de stupéfiants a franchi un pas en avant important, elle est encore loin d’avoir réalisé le bond
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décisif qui comblerait son retard, par rapport à d’autres pays européens notamment. Notre pays saura-t-il enfin aplanir les querelles de bornage et faire disparaître les discordances, voire les rivalités, entre services nationaux, alors que nous recherchons aujourd’hui une étroite collaboration entre différents services répressifs européens ? Il paraît plus judicieux de rassembler les forces d’une nation ou d’un groupe de pays que de les diviser sous couvert d’une émulation qui ressemble beaucoup plus à la course au rendement statistique. Je crains en revanche que la connaissance par les trafiquants de l’utilisation de ces nouveaux moyens n’expose encore davantage les fonctionnaires infiltrés, lesquels subiront des tests d’entrée dans le circuit et des mises à l’épreuve encore plus redoutables. Sur ces points essentiels qui concernent la protection des agents, le travail “clandestin” que nous réalisions auparavant et qui était qualifié d’illégal comportait, après réflexion, moins de risques physiques qu’aujourd’hui. Ce que nous avons gagné en légalité ne l’aurions-nous pas perdu en efficacité ? Il a été démontré à plusieurs reprises que les divisions et les rivalités entre les différents services chargés de la répression des trafics de
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Plaidoyer pour un service unique…
drogue, loin de favoriser une saine émulation, entravaient l’efficacité de l’action de ces services. Il existe en France plusieurs services qui “chassent”, chacun pour son propre compte. Cette absence de collaboration n’a manifestement rien de profitable. Ne serait-il pas souhaitable au contraire de regrouper ces services, afin de mettre en commun leur savoir, leurs moyens humains, matériels et financiers, leurs réglementations propres, leurs législations complémentaires ? Actuellement, trois administrations principales sont chargées de la lutte contre les stupéfiants : la police, la douane et la gendarmerie. En ce qui concerne les missions quotidiennes de sécurité, de surveillance et de recherche, tant aux frontières qu’à l’intérieur du territoire, les services dits “de ligne” ou “de proximité” accomplissent leur travail avec un esprit presque exemplaire de collaboration. En revanche, là où le bât blesse, c’est lorsqu’il s’agit de mettre en œuvre une action de grande envergure qui demande le regroupement d’unités spécialisées. A la Police : l’Office Central de Répression des Trafics Illicites de Stupéfiants (OCRTIS), à la Douane : la Direction Nationale du Renseignement et des Enquêtes Douanières (DNRED), à la Gendarmerie : les Sections de Recherche (SR).
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Des questions se posent alors immédiatement : à qui reviendra la responsabilité de l’affaire ? Qui dirigera l’enquête ? Enfin, qui pourra se targuer devant les médias d’avoir conduit avec succès l’action en cause ? Le risque est grand de retomber dans des querelles de statistiques inspirées par la jalousie et la promotion des services les uns aux dépens des autres. Aux U.S.A., la D.E.A., qui lutte contre la drogue, est composée de policiers, de douaniers et d’agents du fisc. Il me semble inutile de rappeler les résultats remarquables que cette étroite collaboration leur a permis d’atteindre : les affaires gigantesques mises à jour parlent d’elles-mêmes. Ne serait-il pas souhaitable de créer chez nous une semblable unité spécialisée formée de fonctionnaires issus des différents services et placée éventuellement sous la tutelle et le contrôle d’un magistrat ? Il importe de rappeler que ce système est déjà utilisé en Europe pour lutter contre d’autres formes de délinquance. Des magistrats sont spécialisés dans les enquêtes concernant le terrorisme, la fausse monnaie, le trafic des cigarettes, etc. En Italie, un juge unique a été désigné pour lutter contre la mafia. Il apparaît d’ailleurs que la grande contrebande des produits stupéfiants et le recyclage de
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l’argent de la drogue sont intimement liés aux organisations internationales criminelles, mouvements terroristes, et autres groupes occultes. Un tel service unique permettrait d’envisager des investigations de grande envergure diligentées en parfaite harmonie tant administrative que judiciaire. Mais il aurait également pour avantage d’être en ces matières le correspondant unique proposé aux autres pays, au plan international et notamment communautaire. Aujourd’hui, chaque administration possède ses propres contacts, émissaires, délégués, attachés, qui recueillent, chacun pour ce qui concerne son service et dans le monde entier, des informations qui sont parfois d’une importance capitale. L’exploitation de ces informations, en termes d’effectifs et de matériels, demande automatiquement le regroupement logistique des différents services nationaux avec tout ce que cela engendre de lourdeurs administratives entraînant un manque d’efficacité dans l’action. Lorsqu’un pays s’engage dans une lutte aussi difficile que le combat contre la drogue, il doit rassembler ses forces et non les éparpiller. En période de guerre – et c’est bien une guerre qu’il faut mener contre les trafiquants –, ne regroupe-t-on pas les différents régiments, bataillons, formations, sous un commandement unique capable d’assurer la coordination ? Qu’adviendrait-il si chacun faisait sa guerre dans son coin,
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se souciant davantage de remporter une bataille que de gagner la guerre ? Aujourd’hui, en France, on se contente de porter quelques coups à l’ennemi sans chercher vraiment à le déstabiliser, sinon à l’anéantir. L’engagement n’est pas total. Il est cependant encore temps de réagir. N’attendons pas que cette initiative audacieuse nous soit dictée, voire imposée, par d’autres nations. Ne devrions-nous pas enfin, une bonne fois pour toute, apporter la preuve de notre force et de notre détermination dans la lutte contre ce fléau ?
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Épilogue
ÉPILOGUE Après toutes ces aventures inédites vécues parmi tant d’autres et ces nombreuses péripéties qui cependant ont permis à notre législation d’évoluer, la sérénité de ma hiérarchie était retrouvée. Le « vent du boulet » était passé très près de leur tête. Les « fusibles » avaient bien rempli leur fonction. A notre grand étonnement d’ailleurs, le « colonel » reçut même du ministre une très haute distinction au titre de la nation ! Pour quel service rendu et à qui ? Mystère… Je me souviens cependant de ces quelques phrases du « Colonel », alors que je venais d’accomplir une mission qui m’avait permis de faire réaliser une saisie de plusieurs centaines de kg de résine de cannabis : « C’est bien, mais pour quelle date est programmée la prochaine affaire ? Je dois rencontrer le Ministre après demain. J’aimerais bien pouvoir lui annoncer une bonne fois pour toutes qu’une saisie de plusieurs tonnes de stupéfiants est prévue pour très bientôt. De vous à moi, je pense que pour
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la semaine prochaine cela serait très bien. Est-ce possible ? » Les exigences toujours plus pressantes du « Colonel » fondées sur la culture immodérée du résultat avaient finalement conduit ses agents d’encadrement et d’exécution dans un fichu pétrin. Mais aujourd’hui, que sont devenus ces chefs que nous respections tant jusqu’à prendre d’énormes risques physiques pour accomplir les missions qu’ils nous avaient confiées ? Lorsque les ennuis ont commencé, la plupart d’entre eux ont pris peur et se sont dérobés. Ils ont révélé au grand jour leur véritable personnalité. Et pourquoi ne se sont-ils plus jamais manifestés à mon égard ? Ils n’avaient sans doute plus rien à me demander. Même si j’ai été confronté à de grandes frayeurs et si j’ai connu d’immenses désillusions lors de ces engagements personnels dans la lutte contre les trafics de drogue par infiltration des filières, je ne regrette toujours pas la plupart des actions que j’ai menées. Cependant, les missions très officieuses que j’ai exécutées en France comme à l’étranger en qualité d’agent civil de l’État ne m’ont pas accordé les droits ni les marques de reconnaissance qui sont attachés légitimement à ces fonctions particulières, pour la simple raison que je n’agissais pas dans un cadre légal d’intervention à l’extérieur comme
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Épilogue
c’est le cas par exemple pour les militaires français. Enfin, bien que j’aie vécu des moments difficiles et des situations très périlleuses, je n’ai pas été « médaillé » comme le « Colonel », mais au moins je suis fier d’avoir vécu des épisodes que seuls quelques fonctionnaires atypiques de l’État français peuvent espérer connaître.
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Épilogue
TABLE DES MATIÈRES Avant-Propos.......................................................................9 La guerre des chefs............................................................13 L’aviseur..............................................................................23 La naissance de l’agent « sous couverture » ...................33 L’entrée dans le circuit......................................................39 Comment vivre dans le circuit ?......................................43 La sortie du circuit.............................................................47 Une première approche de l’infiltration.........................51 Aventures d’une mission d’infiltration douanière.........59 Premiers contacts ..............................................................65 Examen de passage ...........................................................73 Dans la médina ..................................................................81 Une détente profitable......................................................91 Une soirée dans la montagne...........................................97 Chez Mohamed................................................................111 La réception......................................................................121 La livraison .......................................................................137 Un contrôle de routine…...............................................155 Il neige dans les Alpes.....................................................161 Le coup tordu monté contre Dédé...............................185 Tout a une fin ..................................................................207 Face à la justice ................................................................217 Face à mon employeur ...................................................229 Plaidoyer pour un service unique de lutte contre la drogue.................................................237 Épilogue............................................................................243
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Editions Le Manuscrit - www.manuscrit.com Les éditions Le Manuscrit ont, par l’originalité de leur formule, ouvert un nouvel espace de publication dans le paysage de l’édition française. Depuis 2001, elles accompagnent la démocratisation de l’écriture et la diffusion des savoirs, illustrant ainsi le passage d’une société de l’information à une société d’auteurs. Grâce à un savoir-faire unique, fondé sur des innovations technologiques majeures, les éditions Le Manuscrit garantissent la disponibilité permanente des textes, sous un double format : le livre papier, imprimé à l’unité comme en grand nombre, et le livre numérique. Le Manuscrit s’est doté d’un site - www.manuscrit.com - qui lui permet d’accueillir les auteurs dans tous les domaines éditoriaux : de la littérature générale aux témoignages, des essais aux travaux de recherche universitaire. Signe de son succès, les éditions Le Manuscrit accueillent aujourd’hui une communauté de 4000 auteurs francophones qui participent pleinement à la vie littéraire et culturelle, dans leur ville et leur région, ainsi que sur notre site, via leur espace personnel. Par un référencement ciblé les éditions Le Manuscrit assurent à ces ouvrages une diffusion internationale, dans les librairies (référencement bibliographique DILICOM) et sur les principales librairies en ligne (Chapitre.com, Amazon Market Place, Abebooks…). Parallèlement, Le Manuscrit s’appuie sur un réseau de partenaires attentifs: libraires, médias, bibliothécaires, chercheurs et membres de revues, de sites littéraires ou d’associations, pour promouvoir son catalogue auprès du grand public. Le Manuscrit s’affirme comme éditeur privilégié pour la création de collections avec les institutions, les centres de recherche et acteurs de la société civile. Les éditions Le Manuscrit sont membres du Syndicat national de l’Édition.
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