Brouillard en terre d'Arganiers

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Travail Personnel de Fin d’Etudes Christophe DE SAINT JUST Directeur d’études : Mongi HAMMAMI

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Je souhaite remercier chaleureusement l’équipe Dar Si Hmad de m’avoir ouvert les portes d’une culture extrèmement riche de sens pour un apprenti paysagiste. Par l’intermédiaire de cette ONG j’ai pu être immergé plusieurs semaines au coeur de mon site d’étude, chez l’habitant, sur son territoire. La connaissance précise du pays Aît Ba’ amran par Romain Simenel m’a permis de décaler mon regard pour mieux saisir la complexité des relations de ces hommes à leur terre. Titouan Lampe, co-équipier dans ce travail local, donne écho à mes reflexions et projections dans un second diplôme intitulé «Oasis de brouillard». Merci à Mongi Hammami pour le soutien et l’enthousiasme portés à mon sujet, à l’école de Versailles et sur mon site détudes. Enfin je pense à ma famille, à mes amis et à la promotion 14/18 qui on travaillé de près ou de loin à l’élaboration de ce diplôme.

Propriété exclusive de Christophe de Saint Just. Toutes les sources personnelles seront mentionnés par l’acronyme CDSJ le cas échéant, la source ou l’auteur seront mentionnés.

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Brouillard en terre d’Arganiers Le massif du Boumezguida, une ressource intemporelle pour le territoire Aît Ba’amran.

Directeur d’études : Mongi HAMMAMI

Jury de diplôme : Claude CHAZELLE Paysagiste DPLG

Olivier MARTY

Paysagiste DPLG, artiste et enseignant à l’ENSP Versailles

Romain SIMENEL Anthropologue

Abbes BENAISSA Directeur management de l’ONG Dar si Hmad

Mongi HAMMAMI

Paysagiste DPLG et directeur de la quatrième année

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TABATTOT

Vint devin Les belles éffilées cachent leurs dessous doux au fond d’une Cuvette de granite rose éteint dans le brouillard pluvieux. Dans le creux coule l’élixir argent, l’eau qui transperce le soleil. Et les rigoles fraîches découpent dans l’argile dans le roc et coule, TABATTOT, l’oeil bleu de blanc éteint. Tronc Vieux A force Je souffle le feu et si l’olivier se meure et si la tasse de cuivre étouffe sous le, Chronomètre avalée en dix minutes THOT TABA TOTT LE CALAME De partout l’euphorbe s’étend Boule tubée Pantagone Floral Miel acerbe Balsamique Régis juba Hantez-moi TABA TOTT, vigoureuse et gainée Cie vie Eclat de grenadiers Moutarde graine L’or tes lèvres, lors mes rêves je parcours les âges, Instantanée millions d’années, Caravane Et vie et mort, Graine étalée. Le monde, d’heures en heures est arganier séculaire vêtu de Lichen aux temps tord boyaux de l’asphyxie. Le brouillard accourt. L’agora, y viennent les eaux puis les fleurs sur le gré . Par fêlure toute les gouttes s’y égouttent, vers plus bas vers la mer

Aissa Derhem Version tirée du n°11, juillet 2006 d’Agadir O’ flla

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Table des matières

Avant-propos

p. 6

Arpentage nomade Démarche de travail Introduction à l’espace du sol et du ciel

Les secrets de Boumezguida Partie I p. 23

1 z Brouillard localisation du micro-climat L’arganier dans son milieu - feuillet 1 Le thibert, «jardin oasis» - feuillet 2 -

2 z Nuage

p. 68

Dar si Hmad - feuillet 3 Le berger aux limites de la forêt p. 96

3 z Orage Inondations L’abeille entre deux mondes

Les resistants du silence Partie II 4 z Un cercle vertueux

p. 116

Glossaire Bibliographie

p. 128

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Avant-propos Arpentage nomade

source : Titouan lampe avril 2018

Différents séjours au Maroc 1 mois et demi entre Agadir Sidi Ifni et Boumezguida. 10 jours chez l’habitant à Id Sousane. Rencontre des responsables administratifs et des agriculteurs.

10 jours entre Marrakech, Agadir, Sidi Ifni et Boumezguida. Rencontre de l’ONG Dar Si Hmad et visite du «site de brouillard» .

Septembre 2017

Avril 2018

Décembre 2016

Janvier 2018

10 jours d’étude pour un mémoire entre Tanger, Marrakech et Ouerzazate.

10 jours aller retour entre Sidi Ifni et Boumezguida. Visite de la région 1 nuit chez l’habitant à Id Achour. Rencontre du responsable des eaux et forêts..

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Longtemps j’ai souhaité me rendre aux portes du désert. Le monde que je connais s’y arrête et laisse place à l’imaginaire. Les yeux sont absorbés par l’horizon. Les formes mouvantes de la terre évoluent avec la force du vent. Le regard statique ne peut se poser sur un élément car aucune végétation ne fixe ce territoire. Le mouvement est incessant. Le ciel est immense, miroir du monde, il enchante le paysage.

En décembre 2016, je traversai la chaîne de montagne du Haut Atlas, en terre berbère, au Maroc. Au versant nord où je commençai ma course, les forêts et les cultures étaient denses, vertes et généreuses. De l’autre côté, au versant sud, la face brûlée de la terre me montrait son visage. Dénudé et majestueux à cette latitude, l’Atlas est marqué par l’aridité. Les nuages s’arrêtent sur ces massifs élevés jusqu'à 3500 mètres d’altitude. En descendant dans les vallées asséchées, je fus pris d’admiration pour cette beauté aux dimensions immenses que très peu d’arbres peuvent cacher.

En septembre 2017, je retournai de l’autre côté de l’Atlas, au sud. Je recherchais un lieu qui puisse m’apprendre comment se manifeste la «désertification» des terres. Je voulais saisir comment un peuple se comporte face à cette menace dite "naturelle" sur son lieu de vie. C’est alors que je fis connaissance de «Dar Si Hmad» (1), une Organisation Non Gouvernementale marocaine. Cette association m’emmena dans l’Anti-Atlas, le dernier rempart montagneux avant le Sahara qui se jette dans l’Océan Atlantique. Un micro-climat unique opère sur ce front de mer et son arrière pays. En milieu rural, sur un point haut appelé Boumezguida, je découvris l’aboutissement de 10 ans de travail : des filets moissonneurs de brouillard. Des dentelles noires récupèrent en gouttelettes l’eau des nuages très présents sur ce territoire. Depuis ce mont, des réservoirs stockent ce précieux brouillard et l’acheminent ensuite par canalisations dans six villages en aval. Aujourd’hui, l’eau récoltée par ces filets est suffisamment abondante pour répondre aux besoins vitaux de la population. Prochainement seront plantés le double des filets installés. Après avoir répondu aux besoins primaires des villageois, l’organisation «Dar Si Hmad» voit l’exode rural de ce pays s’atténuer. Certains berbères reviennent aux villages. D’autres trouvent dans cette situation une opportunité pour rester. «Dar Si Hmad» se demande comment utiliser l’eau de brouillard qui n’est pas essentiel aux besoins des ménages : l’ excédent d’eau. Ils ont pour ambition d’installer une ferme qui puisse réunir les habitants concernés autour d’un «jardin oasis» en utilisant les techniques de la «permaculture». C’est dans ce contexte que Titouan Lampe et moi-même, étudiants à l’Ecole Nationale Suérieure de Paysage Versailles-Marseille, avons été appelés pour esquisser des propositions de projets.

note : (1) Dar Si Hmad est une ONG marocaine qui promeut la culture locale et contribue à créer des initiatives durables à travers l’éducation, l’intégration et l’utilisation de l’ingéniosité scientifique avec les communautés du sud-ouest du Maroc. Source : http://darsihmad.org/vision-et-mission/

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Dans les pages suivantes, j’ai d’abord élaboré des pistes d’observation et de compréhension du territoire étudié en partant d’éléments du macro-paysage ( le cosmos, la troposphère...) vers le micro-paysage ( le fruit, l’herbe...). Puis dans un second temps, l’analyse du site m’a amené à faire des propositions d’évolution du lieu en prenant en compte le mouvement et le temps, notions fondamentales en paysage. Ainsi, je propose des dynamiques de projets pour lutter contre la désertification en utilisant des moyens locaux, c’est-àdire le génie végétal et animal couplé aux savoirs-faire ancestraux de la population. Le système agricole intimement lié à l’économie locale est le moyen de développer et de réguler l’aménagement de ce territoire. Mon projet consiste à maintenir un écosytème vertueux : l’arganeraie. La population locale est le garant de sa bonnne exploitation.

Iles des Canaries

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source : cdsj

Océan Atlantique Marrakech Ouerzazate

Agadir

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Tiznit Sidi Ifni

Boumezguida

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Sahara

Carte de situation géo-climatique de mon territoire d’étude au Maroc. Boumezguida, à trente kilomètres à l’Est de Sidi Ifni est en marge du désert et de l’océan Atlantique.

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Démarche de travail Composition de l’écrit Le document suivant présente les différentes opinions et les rôles des acteurs de mon territoire d’étude autour d’un récit fictif inspiré de la réalité. Dans ce récit, l’élement «eau» emporte le lecteur à la première personne du singulier dans un voyage autour de Boumezguida, à travers les hommes, les animaux et les végétaux, intimement liés dans la construction de leur paysage. Le brouillard, le nuage et l’orage sont mis en scène dans trois chapitres descriptifs entrecoupés de feuillets plus techniques. L’analyse de mon site d’étude et les pistes d’évolution de ce territoire sont présentés en additionnant des informations écrites et des outils du paysagiste concepteur : la coupe, le plan, la vision en trois dimensions, l’illustration...

Croisement des réalités Le «travail personnel de fin d’étude» à l’Ecole Nationale Supérieure du Paysage consiste à observer un paysage avec un regard subjectif en prenant en compte les visions diverses des habitants et des organismes qui l’habitent. La compréhension des mécanismes qui façonnent le paysage de Boumezguida est possible grâce au croisement de plusieurs domaines de connaissance du territoire : - La première manière de saisir ce territoire est l’observation, le temps long nécessaire à capter la poésie du lieu, à travers les saisons. C’est un sentiment corporel qui est essentiel pour enregistrer les odeurs, les bruits, les dimensions, le language, les couleurs qui sont une partie de la réalité mouvante. - Un autre moyen de comprendre le site est de rencontrer les acteurs en lien direct avec le terrain : L’ONG Dar Si Hmad, les familles et les exploitants agricoles permettent de tirer un constat sur moyen-terme des habitudes et des évolutions paysannes par leurs expériences vécues. - En parallèle de cette vision du site, les organismes administratifs marocains tel que les «eaux et forêt», «l’agence des bassins hydraulique» ou «l’agence du cadastre», établissent une planification de l’aménagement du territoire. La représentation cartographique et son contenu sont souvent eloignés de la cartographie mentale des berbères et de leur grande connaisance du terrain. - Enfin les visions d’anthropologues, de chercheurs scientifiques et d’agronomes marocains ou étrangers permettent un approfondissement des connaissances spécialisées, des moeurs et des particularités, difficiles à percevoir sans études et expériences prolongées. La comparaison et la vulgarisation de ces domaines de compétences permettent d’esquisser une vision générale de cette portion de territoire. Couplées aux outils de paysagiste, ces informations peuvent aboutir à des propositions d’aménagement du site étudié. Les propositions sont une base de discussion, un support sur lequel les habitants et les acteurs locaux peuvent s’appuyer pour réaliser concretement une gestion des terres, sur long terme, dans le respect de leurs habitudes culturelles et agricoles.

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Introduction à l’espace du sol Le croisement des lignes blanches indique l’emplacement de mon territoire d’étude. Les trois cartes suivantes sont inspirées du musée de l’eau Mohammed IV

Le dernier rempart avant le désert La chaîne de montagnes de l’Atlas qui s’étend du Nord-Est au Sud-Ouest du Maroc forme une barrière naturelle entre l’Océan Atlantique et le Sahara. Au nord de l’Atlas, le royaume beneficie d’une influence océanique et méditérranéenne. Au sud de l’Atlas, le climat est chaud et sous influence du désert. L’Atlas marocain se divise en trois parties : Le Moyen Atlas, le plus à l’Est est constitué de reliefs arrondis et de plateaux fertiles. Plus au sud, le Haut Atlas est le plus accidenté des massifs. Enfin, entre l’Océan Atlantique et le désert, l’Anti-Atlas est le plus vieux des massifs et le plus aride. La topographie des monts de l’Anti-Atlas permet à l’eau de s’écouler et de maintenir une humidité dans ses vallées resserées, malgré les très fortes chaleurs d’été. source : cdsj

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Le Moyen Atlas

Le Haut Atlas

L’Anti-Atlas

Dénivelés au Maroc

3500m

0m

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Le sahara sous influence océanique Le climat marocain est méditerranéen et atlantique au nord de l’Atlas. Au sud de l’Atlas, il est aride ou semi-aride. Une ligne abstraite appelée «ligne d’aridité» suit la lisière du désert, de l’Océan Atlantique jusqu’à la Chine. Au Magrheb, cette ligne, évalué e selon la moyenne des précipitations annuelles progresse chaque année vers le nord. Au Sud-Ouest du Maroc, la pluviométrie de l’AntiAtlas est très faible et la sécheresse est présente quatre mois de l’année. En moyenne on mesure 112 millimètres d’eau par an à Sidi Ifni contre 523 millimètres à Rabat. La région du Souss bénfécie des courants éoliens frais de l’Océan et des bassins versants resserés de l’Anti-Atlas. Les nuages venus de l’Atlantique stagnent dans les monts ce qui permet à cette région de lutter contre la sécheresse par le devellopement d’un couvert végétal unique. En zone semi-aride, la complémentarité entre l’humidité et la montagne crée le micro climat appelé «étage infra-méditerranéen.» L’étage infra-méditerranéen: Il s’étire de Safi jusqu’aux environs de Guelmim, pénètre à l’intérieur du pays dans les plaines du Haouz et du Souss et se développe au niveau de la mer jusqu’aux altitudes de 700-800 mètres, selon les expositions. Les bioclimats, fortement influencés par la présence de l’océan, présentent des contrastes thermiques et sont de types saharien, arides et semi-arides. Les formations arborées y dominent avec la présence de l’arganier, du gommier et des euphorbes cactoïdes. source : cdsj

Sidi Ifni

Guelmim

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Safi


Rabat

Pluviométrie au Maroc MOINS de 100 mm

Ligne d’aridité

100 - 200 mm

200 - 400 mm Etage infra-méditerranéen 400 - 600 mm

600 - 800 mm

800 - 1400 mm

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Plus de 1400 mm


Disparités de l’utilisation de l’eau La plaine du Souss Massa est réputée pour l’exploitation intensive de ces terres en serres ou en monoculture. La nappe phréatique, sous cette plaine voit son niveau baisser très rapidement. Au sud de Boumezguida, la ressource en eau profonde de Guelmim baisse également.

Ressources en eau par habitant 3000 2500 2000 1500 1000 500

m3/an

1960

2008

2020

Consommation journalière en eau 600 500 400 300 200 100

Litres / Pays

E.U.

France

Maroc urbain

source : cdsj

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Villages du Boumezguida


Nappe du Souss

Nappe de Guelmim

Nappes phrĂŠatiques au Maroc Nappes superficielles Nappes profondes

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Introduction à l’espace du ciel Le conte qui suit vous ememera à travers ces différents nuages. Leurs épaisseurs s’incrivent dans l’espace. Ces nuages ausi différents qu’ils puissent paraître sont la traduction humide de la pression atmosphérique et de la température, au dessus du sol. Souvenez vous de leurs formes et de leurs hauteurs. source : cdsj

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Les secrets de Boumezguida Première partie

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Brouillard

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Les Açores 38° 30’ Nord 28° 00’ Ouest

u large des îles volcaniques, je A vogue entre les lames d’eau salé. C’est ici que je m’élève emporté par la chaleur. Le vent me soulève poussé par la pression atmosphérique grandissante. Les courants chauds m’écartent des volcans éteints, dans un anticyclone gigantesque. Au dessus de l’Atlantique nord je gagne les hauteurs de la troposphère. Des particules humides se joignent en milliers. Un même sens me dirige vers l’Ouest et le Sud de l’Europe. L’air devient de plus en plus froid. Dans ma course je vois flotter autour de moi des particules minuscules.

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Ce sont des aérosols, des impuretés dans l’air. Je m’accroche à l’une d’elles comme d’autres semblables pour entamer la condensation. Un amas de lumière jaillit dans le ciel. La vague chaude et humide des Açores se déplace maintenant vers l’Afrique. Une pression atmosphérique stable me trace la route sur un rythme régulier. Dans mon acrobatie aérienne je descends au Sud-Est du monde, en Macaronésie.


source : https://earth.nullschool.net/

La macaronésie sous l’anticyclone des Açores et le courant des Alizées. Cette dénomination de terre concerne les iles volcaniques des Canaries, des Açores, de Madeire et de la côte du continent Nord-Ouest africain.

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Boumezguida

source : cdsj

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C’est alors qu’un courant de vent étranger balaye notre route. L’Alizé entame sa descente vers l’équateur. La trajectoire de ma course est détournée encore plus vers le Sud. Je me vois tomber en altitude. À travers la brume blanche, sur l’écume de l’Océan, des embarcations de pêcheurs ameutent autour d’eux une multitude d’«oiseaux-chasseurs». Une brise nacrée se mêle au vent puissant. J’approche du rivage. Au loin l’océan sculpte de longues falaises rouges. Poussé par les courants océaniques froids venus des îles Canaries, le vent marin m’emporte au dessus du continent. Je laisse l’Alizé poursuivre son chemin au Sud-Ouest. Sur le littoral, Sidi Ifni est une ville formée de cubes blancs sur la terre ocre.

La masse grise dans laquelle je me trouve, portée par la brise marine, dépasse le premier mont de la côte. Il est pelé et forme comme une vague imposante de terre. De couleur gris-rouillé cette élévation domine l’océan à quatre cent mètres. Nous frôlons cette dune rouge que très peu de végétation habille. Entre ces deux sommets, l’oued Ifni abrite lui des palmiers, des lauriers roses, des figuiers, des tamarix et quelques eucalyptus. Le lit de la rivière est pratiquement à sec. Nous survolons les plaines et les monts en vue des montagnes hautes d’environ mille mètres à l’horizon bleu.

Carte des vents : courant humide Nord-Ouest stoppé par le «Chergui», vent très sec du désert au Sud-Est

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Le territoire agricole est parsemé de touffes d’arbres. Ce sont des arganiers. Ils mesurent entre quatre et dix mètres. A l’image des oliviers, ils sont tortueux et sévères. Ce sont des témoins du temps. Sur les champs cultivés, les arbres sont éparses. Vus du ciel, ils ressemblent à des champignons épineux bien espacés les uns des autres. De longues lanières d’orge et de blé courbées par le vent sont comme des cheveux sur la terre. A flancs de collines, la densité d’ arganiers est généreuse. Ces plantes sont accompagnées au sol d’euphorbes cactées, d’acacias buissonnants, de launea et d’autres plantes épineuses. De façon générale, le couvert herbacé n’est pas très dense car l’aridité de ce pays ne le permet pas. Des chèvres et moutons, nombreux, pâturent ces espaces arborés. Mais en ce mois de printemps, un grand nombre de fleurs rouges, jaunes et blanches peuplent les abords des champs et des terrasses abandonnées

Entre les cultures sèches et le bois, sur les coteaux, des parcelles vertes vert-fluo détonnent, sur la terre rougeâtre. Ce sont des figues de barbaries - aknari en berbère - avec leurs raquettes larges à épines très fines et leurs fleurs délicates, rouges ou jaunes. Le fruit des aknari, une baie charnue, sucrée et granulée, est apprécié au Maroc et dans le monde entier. Les champs de figues difficilement pénétrables par les hommes, sont bloqués par des murets de pierres surélevés de branches mortes d’arganiers et d’acacias. A travers la brume, quelques faisceaux de lumière reflètent le granit rose qui sort partout de terre. Les oueds sont à sec. Sur ma route au Nord-Ouest, les monts prennent de plus en plus de volume. Ils se rapprochent de moi. Leurs altitudes se concurrencent. Je me trouve alors proche du sol et d’une piste en sable. La bruine légère pénètre dans la vallée du massif de Boumezguida.

28 source : CDSJ


source : Munich Re Fondation

Nappes de stratus au dessus de Sidi Ifni.

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Description du micro-climat Bloc diagramme de l’arrière pays de Sidi Ifni Les nuages venus de l’Océan Atlantique descendent et rentrent dans les terres. L’humidité penètre entre les vallées et frôlent le massif du Boumezguida. Le vent chaud venu du désert forme un bloc

devant les courants de l’océan. Entre les montagnes élevées et l’anticyclone de Guelmim, les nuages s’arrêttent aux limites de la boutonnière de Sidi Ifni.

Dépression

rce

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J

S : CD


Anticyclone

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En remontant l’oued Ouaner, je traverse des tibhert, les «jardins oasis» accolés au lit de la rivière. Les jardins sont façonnés en petites terrasses de sorte que s’il vient une crue, l’eau les submergera tout entier. Les roseaux claquent entre eux comme pour annoncer une arrivée au village. Un chien aboie à l’inconnu. La visibilité s’estompe, la vapeur mouvante se densifie. Un premier douar de cinquante âmes passe en dessous de moi. Les constructions anciennes sont bâties de terre et de chaux.

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Faites de brique et de ciment, les maisons récentes moins adaptées aux intempéries ne se fondent pas dans le paysage. En dessous de nous, leurs cours intérieures restent hermétiques au vent et au soleil. Dans des cliquetis répétitifs, des femmes travaillent au sol. Les maisons semblent fondues les unes aux autres. Comme une molécule ocre, le village se démultiplie en une multitude de cellules semblables, attenantes à la première. Je poursuis mon chemin.


source : CDSJ

Impression jour humide, Id Sousane

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source : CDSJ

Plan masse de la vallée d’Id Sousane èchelle : 1/ 2000

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Les chants d’une école coranique me parviennent. Ce sont des voix croisées d’enfants que des mouvements de cantiques expulsent dans le ciel. Une douceur blanche traverse le brouillard au dessus de la madrassa de Sidi Zekri. Je monte vers les hauteurs de Boumezguida. Après avoir franchi un premier mamelon de terre piquante, apparaît le vallon d’Id Sousane formé en deux parties qui empiètent l’une sur l’autre. D’un côté le milieu des hommes, de l’autre celui de la forêt. Le fond élargi du vallon est un espace cultivé. Point le plus bas, l’oued serpente en tresses dans la roche.

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De part et d’autre du cours asséché, des parcelles semées s’alternent en lignes perpendiculaires. Des cairns discrets marquent la fin d’un lopin de terre ou l’extrémité d’un chemin. Nul barrière à l’horizon. Les milieux se succèdent et les hommes les connaissent. En dépassant les douars, les arganiers resserrés annoncent un espace moins travaillé. Sur les versants des monts opposés, les boisements s’appuient sur les soutènements d’anciennes restanques cultivées. Le dénivelé se resserre, la roche affleure. La haut sur la crête, l’arganier ébouriffé et sauvage touche le ciel.


Quelques centaines de mètres plus loin, l’ubac, le versant au nord, nous tend les bras. Nous pénétrons dans l’Agdal, l’espace de protection de l’arganier. La brume qui nous entoure forme un baume de discrétion et cache le bois. Le monde en dehors est dissipé. Les arganiers centenaires se tiennent fiers et sinueux dans ce monde perdu. Dans le silence des chèvres, seul un berger vient se mêler au spectacle. La forêt retient la brume. De fines toiles de mousses s’accrochent aux rameaux, lanternes de la fôret. Comme des éponges, elles captent les gouttelettes d’eau de brouillard.

Ci contre un plan de disposition des arganiers à la limite de la forêt et des exploitations agricoles. Ci dessous une coupe de principe de la vallée d’Id Sousane source : CDSJ

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L’eau est ensuite redistribuée sur les feuilles et dans l’arbre. Pénétrant le réseau descendant de l’arbre, la sève élaborée m’entraine dans la terre. Une partie des racines récupère l’eau de rosée en surface. L’autre partie, par laquelle je m’infiltre creuse le sol en profondeur. A trente mètres du sol, les racines de l’arganier croisent une nappe phréatique. Cette dernière trace dans la montagne un filet d’eau que sa pente légère amène vers le parcours des oueds. L’eau s’écoule doucement. Plus loin, la rivière souterraine se rapprochera du niveau de la mer devenant de plus en plus salée. Alors cette eau ne sera plus exploitable par l’homme.


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Feuillet 1

L’Arganier dans son milieu r

L’arganeraie à Boumezguida

Utilisation de l’arganeraie par les hommes r

r

La dégradation de l’arganeraie

r

Le biotope de l’arganier

Localisation des boisements à Boumezguida r

Col de Timdta - Avril 2018 source : CDSJ

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Id Sousane - Avril 2018 source : CDSJ

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Id Achour - Avril 2018 source : CDSJ

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Id Achour - Avril 2018 source : CDSJ

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Id Achour- Septembre 2017 source : CDSJ

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Utilisation de l’Arganeraie par les hommes Les apellations de l’arganier traduisent sa fonction multiple. L’Argania Spinosa, ou «arganier épineux» protège ses minuscules fleurs et ses petits fruits des prédateurs. Autrefois appelé « Argania Suderoxylon» c’està-dire arbre dur comme fer,

Ci-dessous la madrasa de Sidi Zikri

son bois est utilisé pour le chauffage et les repas, au bled comme à la ville. Il est autrement cité comme l’« arbre à chèvres» par le guide du routard car il représente pour le cheptel ovin, très présent sur le territoire, 90 % de leurs nourriture.

source : Mongi Hammami avril 2018

La région de l’arganeraie s’étend sur une superficie de 850 000 ha, dans les contreforts du Haut Atlas, associant à la fois des espaces de montagnes et de plaines à proximité des franges littorales. L’Arganier est un arbre doté d’une grande variabilité génétique ce qui lui a permis de résister aux changements climatiques depuis l’ère tertiaire jusqu’à nos jours.(1) On peux observer trois types de feuilles

sur ces rameaux épineux : des feuilles vertes sombres qui sont persistantes, des feuilles vertes glabres, persistantes et caduques et des feuilles vertes claires, caduques. (2) Cet arbre a la possibilité de changer de forme en fonction de son environement. Son apparence varie entre un port dressé, pleureur ou arrondi. Il s’adapte en fonction des tailles que l’homme lui administre ou de la forte presence des chèvres sur ses branches.

Notes : 1 - Etude du comportement de l’arganier argania spinosa L. Skeels en verger : Effet des caractères couleur et persistance des feuilles , Bouzoubaâ & Hammouch. 2011 2 - Planter en conditions aride et Saline , Benjamin Lizan. 2016 3 - Pâturage et dynamique des écosystèmes arganeraies. L’élevage caprin face à la mondialisation, Hassan Faouzi. 2016

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Les chèvres ne trouvent pas le fourrage nécessaire au sol, elles montent dans les arbres pour se satifaire. Elles consomment la chaire de l’argane, la partie externe du fruit de l’arganier. En ruminant la coque dure qu’elles recrachent par terre, trop grosse pour être avalée, les chèvres participent à la dispersion des graines de l’arbre,

favorisant ainsi sa reproduction. L’écureuil également est un animal esssentiel pour la disperssion de ces graines. Il recueille les arganes par terre et les cachent dans les endroits les plus favorable pour creuser un trou, principalement autour des restanques en pierres abandonnées. Ce phénomène s’apelle l’endozoochorie.

Les chèvres mangent les noix moins grosses et celles-ci passent par leurs tubes digestifs. Historiquement ces graines sont recueillies après extraction de la matière fécale dans la bergerie. Les amandons des graines sont finement torrifiées pour l’huile d’argane comestible alors que pour l’huile d’argane cosmétique les graines sont écrasées sans torréfaction. La culture de l’huile d’argan fût utilisée depuis des temps immémoriaux pour la consommation personnelle des ménages directement en lien avec l’arganeraie et faisait l’objet de dons. Depuis 30 ans le succès de l’huile d’argan sur les marchés marocains et internationaux modifie les pratiques liées à l’éxtraction des graines. Le prix au kilo a très fortement augmenté et peut être un moyen de

revenu important pour les ménages. Aujourd’hui, des coopératives de femmes sont devenues les premières intermédiaires entre la forêt et l’industrie de grande distribution. La récolte du fruit est de plus en plus conséquente. Ces transformations accentuent la pression sur l’arganeraie et met en péril sa régénération naturelle. Pour la récolte des amandons, les femmes ne se contentent plus des arganiers situés dans leurs champs ou dans les agdal ; elles se mettent à cueillir les fruits situés partout dans l’arganeraie. Le travail effectué par les chèvres et les écureuils ne peut être aussi bien effectué car les femmes recoltent la majorité des graines et empêchent les animaux de les recupérer.

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Plan de l’évolution de l’Arganeraie echelle : 1/2 000 000 ème

source : CDSJ

Forêt actuelle Forêt en 1950

Marrakech Océan Atlantique

Agadir

Tiznit

Sidi Ifni Boumezguida

Echelle 1/2 000 000 50


Dégradation de l’arganeraie Selon des recherches de l’INRA, le couvert forestier de l’arganier dans la région du Souss a reculé d’environ 2.5% en 17 ans et la densité moyenne de peuplements d’arganiers initialement composés de 100 souches/ha serait passée à 30 souches/ ha. La dédensification est de l’ordre de 600 hectares par an (Bouzemouri, 2007), soit une réduction de deux tiers de la densité des forêts en cinquante ans.(3) Les fôrets deviennent des vergers d’arganiers. Certains expliquent cette dégradation du couvert végétal par les sécheresses succesives observées depuis les années 1970 et par l’aridification du climat. D’autres discours portés par la recherche scientifique et les organisations internationales incriminent les pratiques des éleveurs avec le surpâturage des chêvres. Mais l’histoire nous apprend que les sociétés de l’arganeraie avait un équilibre agro-sylvopastoral tenace.

(1) )

Les acteurs économiques de l’huile d’argan boulversent cet équibre. En voulant donner un pouvoir d’achat aux populations locales, les industries de l’huile d’argan voient la forêt regresser. De plus, les récoltants villageois profitent peu de la recette des ventes des produits mis en bouteille dans les coopératives et des produits manufacturés en industrie. L’arganier dont les racines profondes permettent de fixer le sol et empêcher l’érosion dûe aux fortes pluies, permettent également de fixer l’humidité en profondeur. Si l’arganeraie tend à disparaître, les plaines du Sud Ouest marocain et les population locales seront gravement touchées par l’avancée du désert. Un autre nom que l’on donne à cette arbre dans la région : «arbre de vie» prend tout son sens alors.

(2)

(1) Arganier quatre fois centenaire dans la Madrasa de Sidi Sekri; (2) «Arbre à chèvre» ; (3) noix ’arganes (4) Pressoir à huile d’argan

(3)

source : CDSJ aveil 2018 et google

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(4)


Le biotope de l’arganier Le développement de l’écosystème de l’arganier dépend de plusieurs facteurs extérieurs. L’arganier se construit en association avec d’autres arbres endémiques de la zone infra-méditérranèene ainsi

que des plantes associées. Les aménagements de l’homme permettent de favoriser la multiplication des arbres et de son sous-bois.

Limoniastrum

Polygala balanse

Ephedra cassoni Euphorbes cactoides

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Thuya de l’Atlas

Lorsque l’humidité est assez conséquente, il est possible de voir dans l’arganeraie des thuyas de l’Atlas, des oliviers sauvage, dattiers et des Caroubiers. Dans certains cas plus rare il est possible de voir le dragonnier des Canaries.

Jujubier

Dragonnier des canaries

Figues de Barbarie (Aknari)

Anciennes térasses de cultures

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source : CDSJ aveil 2018


Localisation de la forĂŞt au nord de Boumezguida

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source : CDSJ aveil 2018


La règle de l’Agdal sur les parcelles qui lui sont autorisées. Il effectue des pauses toutes les demi heures. Le berger calcule ses pauses en fonction des points d’eau sur son chemin. En temps de sécheresse les bergers se croisent près des sources, ce qui accentue le pâturage excessif des terres.

Le berger et son troupeau sont dépendant sdu calendrier agricole. En fonction de la saison une partie du territoire lui sera dédié pour fertiliser les sols, aider à la dissémination de plantes et muscler ces bêtes. Durant son parcours le berger dirige son troupeau Le temps des céréales

J

F M A

M J

J

A

S

O

N

D

À partir d’octobre et jusqu’au mois de mai, les terres privées (Melk), ainsi que les Agdal cultivés sont destinés à la mise en culture. Les troupeaux sont alors écartés de ces parcelles pour être conduits vers les Agdal non cultivés qui deviennent des terres collectives de parcours, ainsi que les Mouchaa, dont l’accès est libre toute l’année. Ci dessous une estimation d’un parcours de pâture entre octobre et mai.

source : CDSJ

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Le temps de récolte de l’argan

J

F M A M J

J

A

S

O

N

D

De mai à septembre, la mise en défens des Agdal, destinée à la récolte des fruits pour la production d’huile à l’échelle du foyer familial, écarte ces terres du pâturage et les animaux sont conduits vers les Melk où ils pâturent les chaumes après la moisson, ainsi que vers les Mouchaâ. Ci dessous une estimation d’un pacours de pâture entre Mai et octobre

Parcour du berger Point de départ / arivée Pause Espace interdit à la pature

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En attendant, je me laisse bercer par le flot continu de l’eau contre les parois rocheuses dans la nappe phréatique. L’obscurité de ces fonds humides se retrouve soudainement ouverte sur un puits de lumière. Une poulie tombe à la surface du cours d’eau. Un seau d’un litre me hisse jusqu’à la surface de la terre. Arrivé au point du jour, un jardin luxuriant apparaît. Les arbres cachent l’horizon. La lumière agitée par le vent traverse les palmes de dattier, les feuilles légères d’olivier et les fleurs de grenadier. Du côté opposé de l’oued, des murets de pierres sèches clôturent le jardin oasis.

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L’homme à la peau mate récupère le seau et le laisse couler sur un axe de béton. L’eau, endiguée par de minuscules talus de terre file en plusieurs parcours sur tout le potager, redistribué dans les petites parcelles. Ce sont des retenues de terres qui forment des chambres de légumes à ciel ouvert. Poireaux, maïs, carottes, piments, tomates se développent dans ces microbassins hydrauliques. Une partie de l’eau s’imprègne dans la terre, l’autre s’évapore. Id Sousane. 29°22’ Nord 10°10’ Ouest


Ci-contre : plan du système d’irrigation d’un potager Ci-dessous : le thibert d’Id Sousane source : CDSJ

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Feuillet 2

Le tibhert, le «jardin oasis» r

Composition du tibhert

Comparaison du tibhert avec une oasis et une vallée de haute montagne r

Localisation des tibherts autour de Boumezguida r

Exemple du tibhert d’Id Sousane r

Thibert Id Sousane avril 2018 source : CDSJ

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Composition du tibhert Le tibhert est un jardin vivrier, il mêle les cultures potagères et aromatiques aux vergers. Les parcelles sont délimitées par des murs en pierres séches et un décalage de niveau.

Les puits servent de ressource en eau pour chaque «jardin oasis». Avec les cultures sèches des champs, les produits du tibhertsont à l’origine de la fiérté de la gastronomie de terroir rural.

Limite de parcelle : muret de pierre sèches et branches mortes d’arganiers et d’acacias ou aknari

Plantes aromatiques : anneth, fenouilles, sauge, sariette, ciboulette, basilic, laurier sauce, romarin, persil

Palmier Dattier Poivrier Ephedra fragilis Roseaux Olivier

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Sytème d’irrigation : les tibhert profite de trois sources différente d’eau. La première est l’eau tiré du puit, la seconde l’eau de pluie et l’humidité qui se dépose sur les

plantes et le sol en période de brouillard et la troisième est l’inondation du jardin lors de période de crue de l’oued. source : CDSJ

Légumes : carottes, poireaux, navets, piments, tomates, céréales : blé, mais, orge Figuier

Figue de Barbarie ( Aknari )

Péchers, Amandier

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Comparaison du tibhert de Boumezguida avec une oasis et un mlieu de haute montagne Oasis de tighmert, plaine de Guelmim

source : Mongi Hammai mai 2018

A trente kilomètres au sud de Boumezguida, la pleine de Guelmim est sèche. Les seules espaces fertiles sont situés au niveau des oueds là ou l’homme a détourné et canalisé l’eau venant des montagnes. Ce sont des oasis comme celle de Timegerth. Système d’irrigation : la khettara ce système d’irrigation millinéraire capte l’eau de la nappe phréatique en amont des cultures, dans la montagne. Un drain transporte l’eau de la montagne jusqu’à la plaine, sous terre. L’eau resurgit dans un bassin de rétention au milieu des cultures. Puis l’eau est redistribuée dans les parcelles privées par le biais de séguias, des canaux d’écoulement d’eau à ciel ouvert. De cette manière un espace désertique a la possibilité de devenir un site de production agricole unique. L’ouverture et la fermeture des parcours de séguias sont minutés pour que chaque propriétaire terrien bénéficie de la mince quantité d’eau des nappes phréatiques, ce sont les «tours d’eau». L’eau quantifiée arrose régulièrement les vergers et les cultures.

source : CDSJ avril 2018

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La vallée de Dades, Haut Atlas

Au nord de Boumezguida, dans le Haut Atlas, les montagnes captent l’humidité et les neiges venant du nord. Au versant sud de la montagne dans la vallée de Dades, les oueds de ce massif sont en eau la moitié de l’année. Système d’irrigation : l’inondation Les habitants des douars organisent leur vie autour du débit de l’oued. Ils détournent le cours d’eau dans des terrasses aménagées en niveau supérieur à l’oued. Un micro système de buttes et de cheminements permet à l’eau de stagner longtemps et de rester au centre du paysage. L’eau diffuse en surface et s’impregne dans le sol, ce qui procure une fertilité plus longue au sol.

source : CDSJ février 2017

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Exemple du tibhert d’Id Sousane Plan du thibert d’Id Sousane 1/50

source : CDSJ avril 2018

B

Arganiers

Figue de Barbarie ( Aknari )

Clos aux abeilles ( Taddart )

Champs de cultures sèches ( rgg )

A

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Oliviers

Oliviers

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Oliviers

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Palmiers

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Palmiers Accés au Thibert

source : CDSJ

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Coupe transversale du thibert A A’ 1/20

A’

A

Olivier

Arganier Champs de figue de Barbarie

Térrasses fauchée Lit asséché de l’Oued

Térrasses maraichère en jachère

Champs de figue de barbarie

Piste en concassé

pêcher

Cloture en figue de barbarie

Enrochements

Coupe longitudinale du thibert B B’ 1/50

B’ B

Chemin Espaces de pâture

Murs de soutenement Térasses fauchées

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Champs de figue de Barbarie

Lit asséché de l’Oued

Chemin


Localisation des Thiberts Tibhert Localisation des au nord de de Boumezguida Boumezguida au Nord

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source : CDSJ

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Nuages

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source : CDSJ

Plan masse de la vallée de Timdta , mouchaâ. Echelle : 1/ 2000

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A mille mètres d’altitude, je plane en suspension dans l’atmosphère. Ce matin sonne la fin du printemps. Les premiers rayons chauds du soleil touchent le pays Ait Ba’amran à travers les nuages. Les météores sont roses devant le jour qui se lève. Ce sont des strato-cumulus étalés à l’horizontale. Sur les contours du nuage, quelques fragments humides se détachent de la masse grise. Au sol la terre est à nue. Elle est sèche. L’eau stagne en profondeur sous terre. Les couleurs sont ternes, soumises à la puissance du soleil à cette saison, les arganiers gris prennent des allures de mort.

En approchant du talweg, la forêt se dégrade, la vallée est dénudée. Je survole une Mouchaâ, un espace sacrifié pour le pâturage collectif. Les quelques arganiers sont grignotés à leurs base et leurs houppiers sont arrachés. Une steppe buissonnante s’étend sur toute la surface du fond de vallon. Les euphorbes cactées règnent en maîtres autour des pieds de lavandes et des gommiers. Dans ce vallon balayé par les nuages, l’humidité est plus présente qu’en aval. Les formes des feuilles sur les buissons sont plus rondes, plus douces. En prenant de l’altitude, la face de la montagne se transforme.

Un vent frais venu de l’océan me pousse vers le massif de Boumezguida. Il surplombe les autres monts à mille deux cent vingt cinq mètres. Cette montagne noire semble enveloppée d’un sort. La température se refroidit en arrivant près du sommet, le nuage devient plus dense, les micros-gouttelettes s’élargissent. En dessous, la vallée de Timdta m’apparaît nettement. Elle est encastrée entre l’Adrar Boumezguida et le jebel Boukrat. L’ombre portée du nuage glisse sur un agdal d’arganiers.

Certaines couleurs plus vives sortent de terre. Des feuilles souples accompagnent le mouvement du vent. Le thym et le romarin diffusent leurs parfums. Un bêlement strident de chevreau s’égare en écho, suivi d’un autre et de quelques voix plus graves. Je gagne le col. Là se tient le partage des eaux. Au delà du massif montagneux, une plaine desertique s’étend à perte de vue. Loin du paysage d’arganeraie, le ciel dégagé de tout nuage allonge mon regard vers des terres blanches et sèches.

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Un courant d’air ascendant propulse le nuage vers le haut du massif. Je prends de la vitesse. La masse blanche se trouve prise au piège des larges filets qui cisaillent le nuage. Dans ce cadre de plastique, de petites dentelles noires stoppent notre parcours vers le désert. Une partie du nuage s’échappe au dessus des filets, le reste se transforme en pluie fine, à la verticale. Les gouttelettes glissent le long du filet. Les quelques gouttes tombent dans un récolteur que le filet laisse échapper, tremblant comme le mât d’un bateau.

Les gouttes de pluie s’engouffrent dans un tube noir, le courant prend de la vitesse et se concentre dans un réservoir. Une grande quantité de liquide stagne dans un univers noir. Le ciel a disparu. Plus loin, aspiré de nouveau par le fond, le débit s’accélère de plus belle. Je suis happé, impuissant, dans ce tuyau de plastique. Un bassin de rétention me ralentit de nouveau. Surgie d’une nappe phréatique, une eau fraîche vient s’en méler, en route vers un nouvel horizon.

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source : CDSJ avril 2018

Filets capteurs de brouillard implantés par «Dar Si Hmad au sommet du mont Boumezguida

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Feuillet 3

Dar si Hmad Inspiration et technologie du «projet brouillard» r

r

Données chiffrées

Plan du réseau de distribution de l’eau de brouillard r

r

Projections de l’ONG

Mounir et Aîssa , réspectivement ingénieur des flux hydrauliques et directeur de l’ONG au dessus du résevoir d’Id Achour. source : CDSJ avril 2018

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Inspiration et technologie du «projet brouillard» La technologie des filets de brouillard s’inspire du mécanisme végétal et animal. Certains animaux comme les areignées tissent une toile pour acumuler l’humidité de l’air. Le scarabée du désert lui se positionne au sommet de la dune au lever et coucher du soleil pour récuperer les gouttes des vents humides sur son abdomen. Le système des filets de brouillard devellopé par fogQuest vient des îles Canaries. Là bas, le dragonnier est réputé comme l’arbre qui récupère l’eau de brouillard. «FogQuest» et «Aqualonis», deux sociétés pour le developpement durable ,ont expérimenté des «filets moissonneurs de brouillard» autour du monde, là où la topographie et l’océan sont favorables à la création de nuages chargés de grosses goutelletes. Aujourd’hui, les filets «Cloud fisher» permettent un rendement êxtrement efficace lorsqu’ils sont positionnés face au vent. Une unité de récolte de 2.25 mètres sur 6 mètres, soit 13.5 mètres carrés, procure 284 litres d’eau par jour. Le filet est constitué de trois épaisseurs de grilles plastiques divisées en mailles fines pour récuperer les gouttelettes des nuages et des mailles plus épaisses pour soutenir la structure contre les intempéries. Une gouttière mouvante sur la largeur des filets accumule les gouttes de pluie et les renvoient vers un réservoir.

Dracaneo draco, le dragonnier des canaries

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(1) Lot de quatre unités de «Cloudfisher»; (2) Localisation des installations de filets de brouillard dans le monde; (3) disposition des filets par rapport au vent; (4) gouttières des filets; (5) triples mailles des filets en plastique. source : Munich Re fondation

(1) (2)

Image tiré d’aqualonis

(5)

(3) (4)

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Ci-dessus, les stratus sont en dessous du niveau des filets de brouillard, ce qui est très rare. Ci-dessous, schéma du projet brouillard. La ligne bleue illustre le trajet des canalisations depuis le mont Boumezguida. Images tirées du « Munich re fondation» 11/2016. Données chiffrées

source : ONG Dar Si Hmad

Données climatique de Boumezguida

20 10

Les populations rurales de l’Anti Atlas vivent majoriterement de l’eau des puits. La qualité et la quantité de cette eau est fluctuante en fonction de la sécheresse et de la salinité. Le manque de ressource sûre procure un stress sur l’année entière. Les femmes sont les garantes de la récupération d’eau souterraine journalière soit en moyenne trois heures et demie de leurs temps. Aujourd’hui, le travail de Dar Si Hmad permet de combler les besoins en eau de 111 ménages et de libérer du temps de travail aux femmes de ces douars.

Jour de pluie par mois

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Calcul de l’eau disponible pour l’agriculture fin 2018 Source supplémentaire L’ONG Dar si Hmad a installé 15 unités de brouillard en 2017 et compte implanter au total 28 unités de «Cloudfisher» d’ici 2018. L’augmentation du nombre de filets augmente la capacité d’irrigation artificielle du territoire. Besoins Les besoins essentiels concernent l’eau de la maison et l’eau utile au bétail : 18, 4 m3 d’eau par jour pour 710 personnes consomatrices d’eau de brouillard. Source La disponibilité en eau provient des puits et des filets de brouillard. Les puits aujourd’hui ne sont quasiment plus utilisés au profit de l’eau du robinet. C’est une donnée à reprendre en compte : 34 m3 d’eau de brouillard, 3.4 m3 d’eau des puits soit au total 37, 4 m3 d’eau disponible. Excédent La marge entre la consommation des habitants et la disponibilité totale en eau laisse place à un «excédent» de disponibilité en eau : 37.4 m3 - 18.4 m3 = 19 m3 d’»excédent» d’eau ( 45 % eau de brouillard, 100 % eau de puits )

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Il y aura 5 réservoirs enterrés ou semienterrés, dont 4 accueillent de l’eau de mélange. Ces 4 là nécessitent 2 vidanges/an pour être nettoyées. Ils déversent la totalité de l’eau en dehors du bassin ce qui représente 305 m3 à chaque deversement. Le stockage total est saturé 6 fois dans l’année ce qui apporte une quantité d’inondation supplémentaire. Résumé et projection Les sources à exploiter pour l’irrigation sont donc quotidiennes ( brouillard et puits ) et deux fois par an ( vidange ). Le projet de l’ONG est d’aménager un espace de «ferme en permaculture» pour utiliser l’excédent d’eau de brouillard quotidiennement ( 15.6 m3 ). Les espaces aux abords des reservoirs doivent être aménagés pour prévoir le déversement d’eau de vidange. D’autres filets seront implantés sur un col voisin pour créer un nouveau réseau d’eau de brouillard.


Réseau actuel de distribution de l’eau de brouillard

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source : CDSJ


Réseau projeté de distribution de l’eau de brouillard

Utilisation du projet brouillard pour l’agriculture

Projection

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source : CDSJ


Quelques kilomètres plus loin, le tuyau déboule sur un évier de cuisine. Je tombe dans une théière. On nous pose sur le feu. Des bulles s’élèvent dans la chaleur et se précipitent sur les parois. Je boue. Balancé dans tout les sens, des feuilles de thé mélangées à une montagne de sucre colorent notre bain d’un orange ambré. Le thé en un filet brûlant s’écoule de la théière à la tasse. Je me retrouve aussitôt précipité dans le gosier d’un enfant. Métamorphose. Par les yeux de l’enfant mon regard devient alors très différent. Au dessus de moi de grandes personnes préparent le repas du matin. Ma sœur enveloppée dans son turban bleu s’agite dans la cuisine. Une odeur d’omelettesépicée se répand dans le salon. Ma mère m’ordonne d’arrêter de rêvasser. De ses larges mains musclées, elle pose sur la table basse et circulaire l’huile d’argan et d’olive, le beurre frais et l’Amellou dans des coupelles blanches. Mon père nous rejoint à table, assis pas terre. Il me regarde de ses yeux profonds, embellis par le temps. Je ne prononce que peu de mots, de peur de fourcher la langue tachelit, le dialecte berbère local. Autour de la table, adossé aux murs du salon, chacun prend sa part du plat et des huiles.

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La télévision diffuse en boucle les informations nationales. Je pense à mon frère Ahmed parti en ville, à Guelmim. Il travaille dans un restaurant à une demi heure de route au Sud de la vallée. Mon jeune frère tète encore le sein de ma mère, un moment crucial pour la constitution des organes vitaux. On dit dans notre culture que l’enfant n’a pas de cerveau à la naissance, qu’il se développe grâce au lait maternel lui même enrichi du lait de vache. Le développement du cerveau de l’enfant dépend donc de la diversité des plantes fourragères ingérées par le ruminant. En regardant mon petit frère je pense à quel point nous sommes liés à ces bêtes, à quel point elles sont liées à nous. Ma mère s’adresse à moi d’un seul trait : « Abou, n’oublie pas qu’en ce moment c’est encore la période de l’agdal, la forêt n’est pas accessible à côté du Douar. Sors de la maison avec les chèvres et pars directement vers le mont «verre à pieds». Contourne-le après l ’école et une fois dans la Mouchaâ, ton cousin te rejoindra. Il est à Timtda. Il te guidera vers le col «cou». Puis vous redescendrez avant l’appel à la prière du soir. Je veux que tu rentres suffisamment tôt pour nous dire comment se porte le troupeau et les terres cultivées avec les sangliers rodeurs. Je compte sur toi.»


La forêt, l’espace de la métaphore du monde domestiqué par l’homme

source : CDSJ

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Ma sœur Aïcha, déjà levée de table se rend dans la cour à demiilluminée. Elle soulève la trappe de la Metfia. L’eau de pluie récoltée dans cette cuve est une ressource pour le bétail et l’eau grise de ménage. Elle en retire quelques litres. Dans le cadre de la porte, une poule pénètre timidement dans le salon. Elle est prête à rebrousser chemin au cas où l’on viendrait l’importuner. Je me lève d’un bond pour la chasser. Des victuailles dans mon sac, je passe la porte de la maison. Sous l’azur du matin, de grand nuages blancs se distinguent. Ils s’enfoncent dans les sommets. La ligne bleutée de la nuit se dissipe sous le soleil grandissant. La luminosité me plisse déjà les yeux. Arrive alors la chaleur de la journée. La terre devient blanche. Au sommet, les crêtes érodées semblent seulement constituées de roche. Je regarde le paysage autour de moi. Le village de ma famille est installé sur un faux-plat de la montagne du Boumezguida, face à une pente de terrasses agricoles, plantée d’arganiers. Je ressers mon tissu sur ma tête. Derrière la maison je retrouve le troupeau de chèvres et de quelques brebis. Au total une vingtaine de têtes dans le cheptel. Elles ont chacune leurs caractères. Certaines, un peu trop vives, sont attachées à deux de leurs pattes, pour éviter qu’elles

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ne s’enfuient. Avec des cailloux, je lance la marche des bêtes. Un coup à gauche, un coup à droite. La précision est obligatoire car le monde des chèvres se limite à l’emprise de mes tirs. Quelques pas et je laisse derrière moi la maison. Les ondes sonores des minarets se répondent dans la vallée. Chaque espace est habité de son écho. Les écoliers des villages voisins déboulent sur la route de terre. De part et d’autre de la piste, les chèvres grignotent les dernières chaumes. D’autres enfants encore plus jeunes que moi sont à la charge des animaux domestiques, des ânes et des vaches. Au milieu des champs, l’arganier du Saint Idriss s’élève en majesté mais il est interdit d’approche aux chèvres, comme les autres. Ces arbres sont sculptés année après année par leurs propriétaires élagueurs. Le sol est pauvre. Ici pas de nourritures pour les bêtes. Je dois quitter le périmètre du Douar. Il faut monter un peu plus haut, là où les herbes aromatiques s’épanouissent à la limite de la forêt. Je marche lentement. Au dessus de ma tête, les alignements de figues de barbarie découpent la montagne en une frontière épineuse. A cette heure, les hommes commencent la récolte des aknaris. Il revendront les fruits en gros sac au souk de Mesti ou à des revendeurs intermédiaires. Id Achour est derrière moi.


Répartition des activités

Sources des revenus La majorité des fonds viennent des dons des membres de la famille en ville vers ceux du village. Le cheptel représente une part importante des revenus car il est considéré comme une source sûre d’argent en cas de sécheresse. La vente et les revenus liés à l’huile d’argan et l’aknari sont exponentiel. Par contre la vente du miel artisanal reste marginale bien que ce produit soit réputé dans la région et le pays.

source : CDSJ

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Quelques centaines de mètres plus loin, je m’arrête sur un rocher et laisse paître le troupeau. Une demi heure durant je contemple le jour se lever. La vue plonge à l’horizon. Le soleil découvre les monts pelés, les uns après les autres. J’écoute mon troupeau avancer. Le pas groupé des chèvres fait comme une pluie fine sur la terre. Les bêlements rompent cette douce mélancolie. Un cri éclate derrière moi. Je me retourne, surpris, vers la Mouchaâ mais je ne vois que le village de Timdta. Une pioche de granit marque l’entrée du douar, une élévation de pierre haute comme deux hommes, emergeant d’une faille géologique.

Je ramène les bêtes à coups de pierres dans le parcours obligé. Elles comprennent. Plus loin, de larges crevasses rouges barrent le chemin. Il faut prendre de l’élan pour les enjamber. Depuis la Mouchaâ, des voies de femmes descendent jusqu’à nous. En ce temps d’agdal, la forêt plus haut est fractionnée en enclos de broussailles qui séparent les parcelles. A l’intérieur des clôtures les femmes récoltent les arganes tombées à terre pour les rapporter en gros à la coopérative de Tafyoucht à Mesti. La forêt sanctuaire du Boumezguida n’est pas seulement utile à l’huile d’argan. Certains profitent de son bois pour se chauffer, d’autres comme moi y font vivre les animaux. Mais certaines femmes dépassent les limites de leurs terrains attribués. En prédatrices de la forêt, elles dépassent l’agdal, récupèrant toutes les arganes au sol et sur les branches. Je les laisse derrière moi avec leurs chants. Nous arrivons enfin au rocher en «fer à cheval». A cet endroit, une source s’est installée en dépression au pied du granit. Au dessus du «visage de pierre», je reconnais les voisins des douars et leurs chiens. Leurs trentaine de chèvres sont déjà haut dans la vallée. Mohammed les rejoint en courant. Je veille à ce que mon troupeau profite bien de la source. Sous la «casserole de grès», l’herbe du «balai de la brebis» et le «figuiers de chiens» résistent à la sécheresse. Ces plantes sont un peu de fourrage pour le cheptel.

Une deuxième insulte sort de la pierre. Je reconnais alors la voix de Mohamed mon cousin. Il sort de derrière le roc et me rejoint en courant, fier de lui. Il a maintenant huit ans. Les yeux noirs et le sourire aux lèvres. Ensemble nous rejoignons le point d’eau où se rencontrent les autres bergers imksawen. L’herbe est sèche sur les abords de la route, il y a trop peu de pâtures pour les animaux. Je discute avec mon cousin. Je lui donne quelques astuces pour diriger le troupeau. Une perdrix «poule de la forêt», s’envole depuis les rochers. En un moment d’inattention, les chèvres ont dépassées le parcours et sont montées sur des Arganiers. « GHAO ! GHAO ! » se met à crier Mohammed. Il imite le rugissement du sanglier, tant redouté dans la forêt.

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Dans sa jeunesse le jeune berger compare les plantes et les animaux de la forêt à ceux de la «maison». Ainsi le paysage de la forêt devient une métaphore constante du monde domestiqué par les hommes. Ci-contre un tableau de la nomenclature botanique tiré de la thèse de R.omain Simenel, «L’origine est aux frontières». Ci-dessous une photo de la mouchaâ dans la vallée de Timdta.

source : R.Simenel, «l’origine est aux frontières»

Lavande

Ephedra

Chardons Thym

Chêne vert Berberis Pistachier lentisque

Romarin Acacia gulmifera

Blé sauvage

Genêt

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Origan


Le soleil s’élève dans le ciel et se pose sur les touffes buissonnantes. Je reste là un moment saisi par la chaleur. Plus haut, des mouvements de fourrés inquiètent notre groupe. Le sanglier, «bœuf de la forêt» rôde. Une heure plus tard, nous reprenons la route avec Mohammed. La montagne est couverte d’euphorbes. Je suis le petit sentier contre l’oued. Une retenue de pierre en gabion est installée sur le cours d’eau pour éviter que les sédiments ne s’enfuient plus bas. Je gagne les hauteurs du vallon. Après quelques poses nous gagnons, avec le troupeau, le col de Timdta. En altitude, les nappes de chaleur s’estompent un peu. Un arganier solitaire, sculpté par les vents, abrite un muret semicirculaire. Je m’y installe pour me protéger du souffle venu de l’Océan. A Sidi Skrri, le minaret annonce que le soleil dépasse la moitié de sa course journalière.

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Sur la ligne du partage des eaux je me souviens du discours de mes pères. Il fût un temps où la forêt était riche et variée. Les sous-bois étaient plus humides, l’eau ne manquait pas. Les siècles ont passé. Mes ancêtres ont vu la forêt se déplacer au gré de l’histoire de l’homme. Le temps des pillages collectifs a conduit les populations à s’installer et à travailler la terre sur les sommets. Une fois la paix venue, les hommes sont redescendus dans la vallée laissant le travail de terrasses aux arganiers. Ils se sont mis à cultiver les fonds plats du vallon, à aménager leurs jardins contre les oueds. Tandis que les hommes s’en vont vers la ville, d’autres installent des sources d’eau du ciel sur les sommets. Le cycle des va-etvient entre le haut et la bas de de la vallée permet aux arganiers et à leur sol de se régénérer dans les périodes creuses. L’alternance entre une période creuse avec Agdal et une période de culture et d’exploitation plus intensive des ressources permet l’ équilibre écologique du territoire.


L’occupation du sol dans le temps Dans l’histoire, l’installation des douars fût dépendante des cycles des tensions et de paix. L’alternance entre le haut et le bas de la vallée décale l’emplacement des cultures et donc de la forêt.

source : CDSJ

1800 Au temps des razzias les maisons étaient installées près des sommets pour dominer l’ennemi. Les hommes cultivaient leurs céréales en terrasses pour pallier la topographie trop accidentée. Ces terrasses permettront aux arganiers et à sa flore associée de s’installer plus aisément.

source : CDSJ

2018 Aujourdhui les douars sont installés plus près des oueds en fond de vallée. L’espace agricole s’étend sur le fond plat de la vallée. Les parcelles d’Aknari marquent la limite entre espace domestiqué par les hommes et la forêt, l’agdal. La Mouchaâ, l’espace dédié au pâturage tout le long de l’année se situe près des cols et des sommets.

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Battue par le vent et le soleil, ma tête se repose un moment. Mon regard porte au versant sud : au delà des monticules de pierres qui marquent la limite du Mouchaâ les arganiers sont nombreux. Dans un songe, les vapeurs d’eau rendent l’horizon flou. Les nappes de brumes m’encerclent. Une ombre imprécise s’avance, mais le vent trouble sa silhouette. Un homme progresse lentement sur la pointe des monts, à la frontière des tribus. Son visage s’estompe au gré des vents. Il ne me voit pas. Au dessus de lui s’élargit le soleil. Par à-coups réguliers, des éclairs blancs traversent ma vue. Des vagues de pierres se développent au pied du marcheur. L’homme ne vient pas jusqu’à moi et disparaît peu à peu derrière le halo de lumière.

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Comme asséchées par le vent et le soleil les montagnes de pierres se mettent à bouger. Emporté par le mouvement, je ne peux Marrakech m’accrocher à aucun repère. Aucune trace de vie. C’est un paysage énorme qui se craquelle et se déplace. Pourtant aucun son n’atteint mes oreilles. Ma gorge se noue. Je me réveille, étourdi par ce rêve étrange. Autour de moi l’ombre a réapparue. Le vent s’est dissipé. Le silence est réel. Il est figé, intemporel. Chaque mouvement de mon corps est le centre du monde. Mohammed me fait signe de prendre le chemin du retour. Je redescends avec mes brebis et mes petits cailloux directionnels. La fin de la journée approche, nous retrouvons les douars.


La forêt comme repère

Localisation de la forêt du Boumezguida dans un double système administratif

Province de Sidi Ifni

Sidi Ifni

Aît Boubeker

Confédération Aît Ba’amran Aît Lhkhoms

Imstiten

Isbouya

commune amellou

Forêt du Boumezguida Forêt de Sdi ali u toul

Echelle 1/100 000

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Orage

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En ce mois de septembre, les dernières chaleurs de l’été s’échappent de l’océan. Les cumulus, discrets nuages, fusionnent dans le ciel. La vapeur se cumule et grimpe vers le ciel. Des milliers de litres d’eau se condensent à la verticale. Sur une dizaine de kilomètres la masse blanche ne forme plus qu’un seul corps jusqu’aux limites de la troposphère. Une fois le seuil atteint, le nuage s’étale sur le plafond du ciel et forme une enclume au dessus de la terre. Ce corps humide est devenu cumulonimbus. Il rode dangereusement au dessus de Sidi Ifni. Les portes du désert et son anticyclone empêchent le nuage de progresser. Ce météore, devenu très dense, bloque les rayons du soleil. Les gens d’en bas connaissent ce genre de présage. A ce signe ils s’agitent et conféctionnent rapidement des monticules de terres pour leurs jardins, des murets de pierres dans les oueds. Le sol asséché ouvre tous ses pores pour capter le moindre signe d’humidité.

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source : Titouan Lampe, janvier 2018

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Je suis perdu dans ce grand nuage. L’énergie se tend, quelque chose se prépare. Les ions positifs montent, les négatifs descendent. Au centre, une zone tampon laisse place à la tension. Le déséquilibre s’amorce. Doucement le monstre d’eau avance au dessus des monts. L’électricité est palpable, le climat est lourd. Les hommes transpirent sous l’ombre du nuage. La tension éclate. La foudre jaillit du ciel et touche la terre. Dans un éclair, le ciel Aît Ba’amran se déchire en deux. Progressivement une pluie intense balaye l’horizon. Le nuage se crève et laisse tomber des quantités de pluies. L’eau boueuse dévale les pentes emportant sur son chemin des monticules de pierres. Elle glisse sur les cultures pour rejoindre les crevasses.

Les ravines drainent la pluie en torrents vers le cours des oueds qui rapidement débordent de leurs lits. Les jardins sont submergés et les nappes en profondeur se rechargent. La fuite des éléments est inévitable mais les hommes luttent pour préserver leur ressource première. La rivière gonfle à travers les collines jusqu’au barrage de Mesti. La quantité d’eau est trop importante. Le plan d’eau déborde et rejoint les autres oueds en contre bas, bien trop chargés déjà. Comme un animal qui se défait de sa chaîne, le cour de l’oued fait trembler la terre jusqu’à Sidi Ifni. Le bassin versant se dilate dans la ville emportant avec lui voitures et bicoques jusqu’à l’océan Atlantique.

Source : Modélisation hydraulique du Bassin Versant de SIDI IFNI, Slimani Sara

Inondation de Sidi Ifni en 2014

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Ravines dans l’Ourti d’Id Achour

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Ruissellement

Ravines et oueds asséchés Térasses Taddart, clos aux abeilles

Douars

Ourti, parcelles de figue de barbarie et arganiers entretenus

Agdal, espace de «mise en défend» de l’Arganeraie.

source : CDSJ

1/500ème 250mètres

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A Id Sousane une brume épaisse s’élève sous les dernières pluies. L’orage se dissipe. Les animaux reprennent possession du territoire. Les chiens aboient et la terre fume. Chez les Ait Ba’amran, une goutte de trois millimètres, transparente, tombe en chute libre. Sur son chemin elle percute les ailes d’une abeille. La petite dégringole au sol. Elle perd conscience quand la goutte d’eau imprègne son corps. Dans son coma, un élément marquant de sa vie revient à elle. «Quand j’étais jeune, je cherchais toujours à me rendre utile pour l’essaim. Domestiquées par les génies payens, les jnouns, nous vivions en pleine forêt, à gauche. Durant une période très sèche, l’eau venant à manquer à la colonie, certaines abeilles moururent déshydratées. Il y avait des jardins de l’autre côté à droite, dans le monde des humains.

Là bas, les abeilles domestiquées par les hommes résistaient à l’été car elles profitaient des puits d’où sortaientt parfois quelques litres d’eau. Je n’avais pas l’ambition de descendre dans ces jardins, mais cherchant désespérément quelques traces d’humidité sur les feuilles et les pierres du sous-bois, un mirage apparut. Une grande surface d’eau stagnait entre deux rochers. Aussitôt, je prévins les autres butineuses. Formant un nuage d’abeilles, la reine en tête, nous vimmes profiter de la trouvaille. Le piège se referma sur nous. Un tube de roseaux fermé d’une raquette d’aknari nous captura. Plus tard notre groupe d’abeilles dût s’adapter, et constituer le miel en galettes verticales et circulaires et non plus en galettes horizontales. L’homme avait aménagé notre espace pour mieux organiser notre vie autour de leurs récoltes. Nous étions passées à droite.»

source : Abeilles dans le sud marocain, R. Simenel

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source : CDSJ

De la forêt aux douars en passant par l’ourti, les abeilles voyagent entre deux pôles du territoire Aît Ba’amran.

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Après cette violente chute, la petite abeille reprend peu à peu connaissance. Elle s’avance dans la forêt pour butiner les cactus à cent vingt degrés par rapport au soleil. Le soleil est maintenant plus bas dans le ciel. Elle ajuste sa trajectoire pour rejoindre la source de pollen entre les quelques pousses qui se réveillent après l’orage. Les sécenesios lui accordent leurs fleurs. A quelques mètres, elle sent les euphorbes qui la combleront pour la journée.

Une fois remplie de ces néctars elle repart pour l’espace clos des abeilles, la Taddart de l’oasis où l’apiculteur installe les abeilles en temps de sécheresse. Ses ailes reprennent la vivacité d’avant en progressant à travers les cylindres d’épines et les odeurs masquées de lauriers rose et de thuyas. Elle traverse l’espace des Taddarts saisonniers de printemps quand le thym diffuse son nectar si apprécié des connaisseurs.

Calendrier des floraisons

source : Abeilles dans le sud marocain, R. Simenel

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source : CDSJ avril 2018

Ruches traditionnelles installées à l’horizontale Les abeilles de cette région, dites sahariennes (Apis mellifera sahariensis), ont évolué avec ce complexe floristique et dans un climat particulier auquel elles se sont adaptées pouvant butiner l’été sous 45 degrès à l’ombre. Excepté en cas de sécheresse, il n’y a pas de période de soudure, celles-ci ont en effet de quoi s’alimenter et produire du miel toute l’année grâce à la diversité des types de territoires cultivés et des écosystèmes qu’ils abritent. Les miels de thym et d’arganiers et d’euphorbes ont un goût particulier et des vertus thérapeutiques reconnues dans tout le pays. Ruche Langstroth Transportant avec elle des essaims d’abeilles noires venues du Nord

source : CDSJ avril 2018

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Localisation des Taddart au nord de Boumezguida

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source : CDSJ avril 2018

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L’abeille quitte les arganiers amorphes, passe la frontière des agdals et retrouve les champs cultivés. Des arganiers isolés dans le paysage agraire sont accompagnés de quelques caroubiers et amandiers. Entre avril et juin, l’essaim se trouve à la frontière des cultures et de la fôret, à la limite des espaces domestiqués par l’homme. Les abeilles foncent sur ces arbres à proximité des Taddarts, ce qui augmente leur production de fruits. Pendant la période d’éssaimage, les colonies d’abeilles se forment sur ces grands arbres des champs aux nombreuses cavités. Au loin, les façades ocres des maisons annoncent le jardin oasis.

source : CDSJ avril 2018

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Elle retrouve la barrière épineuse et le parfum des aknaris et virevolte à travers leurs fines aiguilles. Entre les figues de barbarie, les feuilles légères d’oliviers et de pêchers s’épanouissent en terrasses irriguées. Au delà des murs bien fermés de la Taddart, elle rejoint le troupeau d’abeilles devant les ruches horizontales. Le précieux liquide d’euphorbe descend lentement dans l’abdomen de l’abeille ouvrière. La quête ne s’arrête pas là. Une autre abeille informe d’un espace fertile à cent vingt degrés au soleil. La petite abeille repart dans la jungle des odeurs.


source : CDSJ

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Conclusion de la première partie Une situation unique Entre la chaleur du désert et les vents humides de l’Océan un écosystème particulier s’est developpé autour d’un arbre : l’arganier. Grâce au brouillard très present à Boumezguida, l’arbre a su persister dans ce milieu semi-aride et a pérmis à un cortège de plantes associées de se développer à ses pieds. La présence d’une flore des nuages et de ces arbres a permis au sol de garder de l’humidité en surface et de lutter contre l’appauvrissement des terres, l’avancée du désert. Les habitants de Boumzeguida ont eu un rôle important dans la regénération et la stimulation de cette forêt. Ils ont su au cours des siècles trouver un équilibre entre la présence animale, la culture des terres et l’utilisaton de la fôret ( equilibre agro-sylvopastoral ). Les berbères de Boumezguida on éfféctué un travail dans le temps et l’espace :

travail dans le temps : - rotation du parcours pastoral sur un an, règle de l’agdal ( temps court ) - déplacement de la forêt dédiée au pâturage tous les dix ans , mouchaâ ( temps intermédiaire ) - déplacement des douars et des espaces de cultures entre le haut et le bas de la vallée ( temps long ) travail sur l’espace : - aménagement de terrasses à double fonction : agriculture et forêt - exploitation des animaux pour la fertilisation des terres et la pollinisation ( endozoochorie ) - conaissance précise des limites d’unités de paysage, du parcellaire, par le végétal

Tension Depuis une dizaine d’année, l’équilibre entre les animaux, la forêt et l’agriculture se dissipe. Cela est dû au fait que les villageois donnent plus de moyens à une activité rentable plutôt qu’à plusieurs activités. La sécheresse qui sevit violemment dans cette région accentue ce désequilibre. La filière de l’argan qui ne cesse de se developper n’est pas suffisament structurée pour que tous les maillons de la chaîne de production de l’huile ne profitent des bénéfices. Cela engendre une forte préssion sur les forêts d’arganiers, les agdals. Les femmes qui récuperent tous les fruits empechent la forêt de se regénérer, elle perd en densité d’implantation.

De plus les coupes de bois sont parfois abusives pour les besoins des villages mais aussi des villes. Les villageois perdent le contrôle de l’impact des filières sur leur paysage car cela dépasse les besoins de la population locale. Les villageois achètent plus de bêtes pour avoir un capital de sécurité en cas de sécheresse. Ce cheptel important est renvoyé trop rapidement en dehors de la forêt, dans l’espace sacrifié de la forêt, surpâturé, la Mouchaâ. Dans cette espace les chêvres grignotent les limites de la forêt dense.

Un nouveau paradigme Depuis 4 ans, l’ONG Dar si Hmad à réussi le pari de subvenir aux besoins en eau courante de huit villages en amont du sommet de Boumezguida. L’eau récoltée depuis des filets de brouillard dissipe le stress hydrique de ces douars.Cela remplace la ressource d’eau qui était fluctuante pour boire, faire la cuisine et subvenir aux besoins des animaux. L’addition de cette nouvelle donnée dans la ressource totale en eau du site permet de quantifier une marge d’eau potentiellement utilisable pour irriguer des terres.

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Cet «excédent d’eau» provient de trois sources : - L’eau de brouillard qui n’est pas utlisée pour la maison et le bétail - l’eau des puits qui ne sont quasiment plus utilisés depuis les robinets d’eau de brouillard - La vidange de quatre réservoirs, deux fois par an.


Cours d’Oued

Ourti : parcelles d’Aknari

Douars, villages

Piste

Boisement éparse

Vallon cultivée

Boisement dense

antation d’Aknari, gue de Barbarie

Ourti : forêt parsemé

Thibert

hamps d’orge et de lé

Agdal

addart, clos aux beilles

hibert

Mouchaâ

Taddart

Boumezguida filets de brouillard source : CDSJ

Ensemble des unités de paysage en amont des filets de brouillard

Constat de la dégradation des unités de paysage

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ce : CDS J

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Oasis de brouillard Au point stratégique ou se retrouve deux réservoirs d’eau de brouillard, le douar Id Achour et une école parrainé par Dar Si Hmad, l’Agdal ( en orange ) sera le prototye d’une ferme aux usages mutliples. Elle permettra d’utiliser l’eau de brouillard en «excédent» pour une agriculture raisonné, et sera le premier espace de pépinière et de protetion de semence. Cet espace gracieusement dédié à l’ONG Dar Si Hmad par un habitant d’Id Achour sera une oasis de brouillard, utile autant pour valoriser l’ecosystéme naturel que l’organisation sociale.

sour

ce : CDS

J

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Bloc diagramme des vallons au nord de Boumezguida

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Les rĂŠsistants du silence Seconde partie

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source : CDSJ et Mongi Hammami

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Un cercle vertueux - Reportage Été 2026. Un journaliste se rend à Boumezguida, sur les terres d’Arganiers, les forêts sanctuaires berbères. Il s’est rendu dans la famille d’Abou et diffuse les témoignages inédits de cinq de ses membres : Abou le fils, Aîcha sa soeur, son petit frère Mohamed et leurs parents, Assan et Yasmina. La famille d’Abou Aujourd’hui est un nouveau jour dans la résistance. Chacun dans la famille remplit son rôle précis en lien avec les autres. Les gestes qui les habitent façonnent leur territoire. Ils forment un seul corps, et luttent contre le désert. Il y a maintenant vingt ans que l’ONG Dar Si Hmad a implanté ses filets sur les sommets de Boumezguida et de Taloust.

Des ingénieurs hydrauliques, des techniciens, des paysagistes et des scientifiques ont réfléchi à ses côtés avec les habitants pour utiliser l’eau du brouillard dans ce contexte, à des fins arboricoles. L’augmentation de la demande en argan et le pâturage excessif menaçait de faire disparaître la forêt. Cette pression sur la forêt a disparu maintenant. On la voit même descendre les bois dans le bas des vallées, vers les oueds. Le territoire voit ses terres plus humides et fertiles. L’agdal est plus nettement dessiné et protégé. L’Ourti et ses arganiers prennent plus d’ampleur sur des terrasses aménagées. Les activités se sont diversifiées, le miel de Boumezguida est devenu plus célèbre encore dans la région. Le site attire des curieux, scientifiques, chercheurs ou simples touristes.

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Fresque réalisée lors de la soutenance oral du diplôme : Coupe de principe reliant les éléments principaux du paysage de Boumezguida et les projections désssinées. A l’Ouest, l’océan Atlantique ramenant ses nuages vers la vallée d’Agni Ihya, d’Id Sousane, d’Id Acour et enfin au Sommet de Boumezgiuda et ses filets de brouillard à l’Est.

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La fille ouvrière de l’Argan «Le travail de récolte de l’argane a été valorisé depuis que les coopératives ont labéllisé le terroir de production d’Arganiers. La provenance des fruits a une importance capitale sur notre revenu. De plus, la coopérative de Mesti est devenue une entreprise de femmes rentable. Je m’y rends de temps en temps pour faire le compte des arganes vendus. Les femmes ont investi dans des machines de transformation du fruit. Ainsi, la différence de prix entre la région d’extraction et la région de vente a fortement diminué. Les femmes peuvent apporter un revenu conséquent au foyer grâce à cette considération des ouvrières de l’argan. Sur place, dans l’Agdal les règles ont été renforcées. La récupération des arganes pour l’huile était abusive il fût un temps.

Comme le prix de ventes des sacs d’arganes était dérisoire, les femmes cherchaient partout les fruits en dehors de l’espace de récolte collectif et en dehors du temps donné pour la récolte.La protection de notre territoire et la régénération de la forêt a pu aboutir de par l’interdiction formelle d’outrepasser les règles de l’Agdal. La forêt a pu trouver le temps de ses cycles de régénération. Elle devient de plus en plus dense et le couvert herbacé s’épaissit. Pendant le temps de fermeture de la forêt collective, seulement les fruits au sol peuvent être récupérés pour la commercialisation.

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Les autres fruits pour la consommation personnelle sont récupérés à la bergerie, après défection des chèvres. L’huile provenant de ces arganes est de meilleur qualité, mais c’est un secret. Une autre partie d’espace de récolte sera bientôt disponible sur les terrasses quand les arganiers seront arivés à maturité.»


source de la sĂŠrie : CDSJ

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La mère au foyer, maraîchère, pépiniériste «Lorsque je ne suis pas à la maison pour les repas et les enfants, je suis à la Taddart contre le douar. Je plante et surveille les arbres de la pépinière. Il y a un potager aussi et des plantes aromatiques que je connais par coeur. C’est un travail long et minutieux d’entretenir ces pousses. L’eau de brouillard se répand au comptegoutte entre les terrasses de la Thibert bien dessinées. Cela permet au sol de rester humide tout au long de l’année. Ce jardin est devenu une oasis, là bas, il fait bon vivre. Quand ils sont suffisamment robustes nous transplantons les plants de la pépinière vers les térrasses aménagées par les hommes. Il y a des palmiers, des caroubiers, des thuyas, des oliviers et bien-sûr des arganiers.»

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Le père, terrassier, arboriculteur «Depuis longtemps nous aménageons les terrasses. C’est un long travail mais le résultat est certain. En créant des surfaces plates et larges, l’eau reste plus longtemps en surface et s’imprègne mieux dans le sol. Nous plantons des arbres à croissances rapides en bordure des terrasses avec des «plantes nurses», herbes et arbustes associées des arbres de longue vie, tels que les arganiers ou les jujubiers. L’eau descendant de la pente se retrouve bloquée dans les racines de ces plantes. Cela accumule les sédiments, substrat fertile. Le travail de terrassement s’acompagne de la dérivation de l’eau des ravines par des murets de terre et de pierres. Un circuit se dessine des failles aux terrasses. C’est un réseau de communication fertile qui prévoit les périodes de pluie et d’inondation. Une fois la première strate arborée arrivée à taille adulte, nous sélectionnons en dessous les arganiers et autres fruitiers prometteurs, les plus robustes. Avec l’arrivée de nouvelles ruches entre les terrasses, la pollinisation des fruitiers est assurées et le rendement des arganes a augmenté.»

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Le petit frère, berger « Comme mon grand frère autrefois, je pars chaque jour en forêt et apprend la langue Tachelit par les plantes et l’espace qui m’entoure. Le troupeau est réduit par rapport à celui que mon frère dirigeait. Le besoin en chèvres est moins important qu’avant car les villageois ont diversifié la source de leurs revenus : il y a l’argane, l’aknari et le miel. A côté de mes pas les chèvres fertilisent les terrasses de l’ourti pour la saison de culture prochaine. Au dessus, dans l’agdal, seulement ouvert de octobre à mai aux pâture, des murs en pierres on été installés pour délimiter l’espace de la forêt collective de celui de l’ourti.»

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Abou, le fils, apiculteur et guide-écologue «Lorsque les rencontres sur les abeilles ont été organisées par «Dar Si Hmad» entre apiculteurs de la région et apiculteurs de l’étranger, j’ai compris quelle était ma vocation. Je voulais être apiculteur. J’ai participé au montage de la ruche collective au dessus du douar de Timdta. Nous étions dix apiculteurs, jeunes et anciens et nous avons monté sur l’exemple d’Inzekri, un immeuble de ruches. Nous l’avons installé autour de la source de Timdta. Avec l’aide de Dar Si Hmad le site de la ruche collective a été assuré de la présence de l’eau tout au long de l’année. Ce projet est devenu une grande fierté pour les habitants de Boumezguida.

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Le rucher collectif compte le double d’apiculteurs aujourd’hui. La vente de miel d’arganiers, de jujubiers, de chardons et d’euphorbes est très intéressante financièrement. Je travaille à l’entretien des ruches. Ce travail d’apiculteur m’a permis de perfectionner ma connaissance du milieu dans lequel s’est installé le rucher collectif. De temps à autre j’accueille des scientifiques et des étudiants au belvédère du site “Brouillard”, sur le sommet Boumezguida. Nous descendons ensemble dans la vallée de Timdta et veillons à la protection de ce milieu unique en forêt sanctuaire.»


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La mouchaâ est mis en valeur par un centre de l’abeille

Les limites de l’agdal sont soulignés par des cairns. La forêt se densifie L’ourti sur terasses est agrandi et diversifié L’aknari est clos de murets

Une nouvelle rou

Thiberts pépinière maraicha

Les ravines sont dérivéet bloqué par des murs de soutenements

Rgg, champs tér Thibert

Douar

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Equilibre des unités culturales L’atttention portée au territoire dans sa globalité et la distinction faite des différents niveaux de cultures permet de distinguer l’intensité d’effort à effectuer. L’ourti et les thiberts demandent un travail plus régulier, une attention journalière. Les champs et l’agdal délimités par des murs de pierres sèches, des cairns ou des aknaris sont moins occupés que les autres espaces.

ute mène à Boumezguida

irrigué, es, age

Thibert pépinière

Douar

Ourti sur terasses

rassés

Echelle 1/ 1000

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La vallée de Boumezguida pionnier dans la lutte contre l’avancée du désert Le projet lancé par l’ONG Dar Si Hmad à coté d’Id Achour sera un point de départ pour entamer la protection et la densification de la forêt d’arganier. Cet espace sera une «pépinière didactique», c’est à dire un thibert avec d’autres fonctions : protections des semences locales, cultures de plantes nurses et plantes compagnes ainsi que des cultures maraichères en «agro-foresterie». Cette ferme sera un centre d’acceuil pour les femmes du village, des scientifiques et des jeunes etrangers. A partir de cette ferme, d’autres pépinières pourront se develloper aux emplacements des thiberts déja existants. L’ourti espace intermédiaire entre l’agdal forestier et les champs pourront être térassés et repeuplés des plantes nurses et indigènes.

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: CD SJ

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Glossaire J’ai choisi de traduire ici quelques mots qui permettent de saisir la vision du territoire vécu, à travers la langue berbère ( dialecte Tachelit ) et la langue arabe (dialecte Darija):

Vocabulaire écologique et géographique Tamazigh : ce terme désigne à la fois le terroir, le paysage, le pays, les habitants qui l’habitent et la langue qu’ils parlent. Le terroir, c’est à dire un territoire considéré du point de vue de ses aptitudes sylvo-agro-pastorale est intimement lié au language. L’humanité ( afgan ), le language ( awal ) et la terre ( akel ) sont trois composantes du concept te Tamazigh. Adrar : massif montagneux

Imazighen (sing. amazigh) : hommes libres oued : rivière, cours d’eau.

cairn : amoncellement de pierres en forme pyramidale pouvant atteindre jusqu’à un mètre cinquante de hauteur. Un aligment de cairns peut représenter un bornage de surface agricole ou un bornage des droits d’usage de la forêt. Ces cairns représentent également les traces de l’itinéraire d’arrivée d’un Saint dans le territoire des tribus. A Boumezguida, ce parcours qui épouse des frontières naturelles et qui se termine par un mausolée trace de manière non rectiligne les frontières des confédérations, des tribus et des fractions. Agdal : Double sens : un espace et espace sanctuaire, forêt collective «mise en défens». La «mise en défens» consite à interdire la chasse et la coupe abusive d’arbres. Les descendants de Saints, les Chorfas sont autorisés à exploiter avec parcimonie la forêt comme espace de cueillette, de récolte de petit bois et parcours pastoraux. Le temps de l’agdal consite à bloquer cette forêt au paturage pendant la récolte de l’argan par les femmes. Imksawen : le berger

Mouchaâ: espaces de pâturage collectifs frontaliers sur exploité. Tibhert : jardin cultivé et arboricole «jardin oasis»

Rrg : Champ

Ourti : zones arboricoles closes disposant d’infrastructures d’aménagement du sol et contenant des arganiers entretenus et des espèces cultivées telles que le henné et le figuier de barbarie

Tagant : forêt

Taddart : enclos aux abeilles

Vocabulaire administratif Douar : communauté territoriale et résidentielle, unité politique élementaire fondée autour d’un village. Organisation territoriale berbère, de la plus large à la plus restreinte : Confédération : unité ségmentaire la plus large de l’administration bèrbère. Elle regroupe entre quatre à six tribus. Tribu : division de la confédération. Elle regroupe de deux à six fractions selon la démographie. Fraction : territoire formé de plusieurs douars.

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Organisation territoriale marocaine, de la plus large à la plus restreinte : Wilaya : Gouvernerat. C’est une région, ça peux être l’équivalent du département en France. Province : découpage administratif regoupant des cercles pour l’espace rural et des préfectures pour les villes Cercle : Découpage administratif rural à la tête de deux à quatres caidats selon la démographie Caidat : circonscription administrative regoupant une ou plusieurs communes Commune rurale : collectivité territoriale de droit public, dotée de la personnalité morale et de l’autonomie financière Caîd : fonctionnaire de l’etat qui cumule les attributions de juge, d’administrateur Souk : le marché Chorfa : descendants des Saints locaux et du prophète Mohammed.

Vocabulaire technique Khettara : canaux d’eau souterrains qui relient le sommet d’une montagne à la plaine. Séguia : rigole d’irrigation : canaux à ciel ouvert, trés présent dans les oasis qui s’inscrit dans un réseau collectif

Vocabulaire culturel et religieux Jnoun (sing. djinn) : génies autochtones, êtres invisibles dont l’univers double celui des humains. Ils peuvent être payens et fauteurs de troubles ou musulmans, convertis par un Saint qui doit alors protéger la forêt pour lui. Madrasa : école musulmane et théologique. Ma’rouf : rituels généralement féminins, organisés de manière spontanée et individuelle ou cyclique (hebdomadaire, mensuelle ou annuelle) et collective. Bled :espace rural

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Oeuvres littéraire

Bibliographie

GIONO, jean, L’homme qui plantait des arbres, Gallimard, 1954 SAINT EXUPERY, Le petit prince, Reynal and Hitchcock, 1943 SAINT EXUPERY, Terre des hommes, Gallimard, 1939 LE CLEZIO, Désert, Gallimard, 1980 PIERRE RHABI,Vers la sobriété heureuse, Arles, Actes Sud, 2010 CLEMENT, Gilles, Nuages,Bayard, 2005 Ouvrage de reférence EL FAIZ, Mohamed,Les maitres de l’eau, Actes Sud, 2005 EL FAIZ, Mohamed,Le maroc Saharien, Actes Sud nature, 2008 FTAITA, Toufik,Anthropologie de l’irrigation, les oasis de Tiznit au Maroc, Paris, harmattan, 2006 SIMENEL, Romain, L’origine est aux frontières, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2010 SLIMANI Sara, Modélisation hydraulique du Bassin Versant de Sidi Ifni, Université Sidi Mohammed Ben Abdellah Faculté des Sciences et Technique, 2016 MOUROU, Majda, Les formes de continuité et de ruptures dans la gestion des ressources agro sylvo pastorales dans la montagne marocaine : Approche comparative entre le massif littoral des Ait Ba’amran et le haut bassin versant de Oued Ziz ( Zaouia de sidi Hamza dans le Haut Atlas oriental ), CERgéo,2015 LACROIX, Florine, Lisière de désert, Ecole Nationale Supérieure du paysage, 2015 Articles SIMENEL et al. La domestication de l’abeille par le territoire. Un exemple d’apiculture holiste dans le sud marocain , Techniques & Culture 2015/1 (n° 63) ELKANDOUSSI, Fatima,OMARI, Soumia, M’ZALI, Bouchra Les Coopératives Féminines d’Argan au Maroc : un domaine propice à la mise en place de la démarche de Développement Durable,- Impact des coopératives féminines sur la préservation et la valorisation de l’arganeraie : cas de la coopérative Tafyoucht (confédération des Ait Baamrane, Anti-Atlas, Maroc), 2011 BENABID Abdelmalek, MELHOUI, Youssef,Ecostymèmes naturels à arganiers, 2011 BOUZOUBAA & HAMMOUCH Etude du comportement de l’arganier argania spinosa L. Skeels en verger : Effet des caractères couleur et persistance des feuilles, 2011 NOUAIM,Rachida, CHAUSSOD, rémi L’arganier et ses champignons, FAOUZI, Hassan Pâturage et dynamique des écosystèmes arganeraies. L’élevage caprin face à la mondialisation, 2016 LACOMBE,Nicolas, CASABIANCA,François, Pâturer l’arganeraie : le chevreau face à l’huile d’argan, Techniques & Culture 2015/1 (n° 63) BELLEFONTAINE Abderrahim, FERRADOUS Mohamed, ALIFRIQUI Olivier, MONTEUIIS, Ronlad Multiplication végétative de l’arganier, Argania spinosa, au Maroc : le projet John Goelet, LISAN, Benjamin, Planter en conditions aride et saline, MEYER, Fred, SHARAPOVA, Melissa, Edible Agroforestry design template, Backyard Abundance Site réfèrence -

Le plateau de loes, Chine, travail mené par Jhon D. Ling Le desert du Negev, Israel Site de filets brouillard, îles des Canaries La grande muraille verte, Afrique sub-saharienne Le CIPA, centre Pierre Rhabi, Terre et Humanisme Maroc Commune rurale de Had Brachaoua, Maroc «Le Mur», jardin zineb, Rabat, Maroc «Les aloes d’agafades», Marrakech, Maroc Coopérative «Mandragone», pays basque espagnol, Espagne

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En pays berbère, dans l’anti Atlas marocain, un écosystème unique cultivé par les hommes s’oppose à l’avancée du désert et au déplacement d’un peuple... Sous le vent d’avril, les masses humides pénetrent la confédération Ait Ba ‘armran au lisière du Sahara et laissent percevoir à travers les nuages, des euphorbes cactées, des arganiers en fleurs et des filets moissonneurs de brouilard. Une invention récente permet aux hommes de récolter l’eau du ciel et de lutter contre la sécheresse. Comment cette innovation peut elle s’intégrer dans un mode de vie ancestral ?

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