L’ARCHITECTE ET L’HABITAT PAVILLONNAIRE Analyse des rôles potentiels de l’architecte dans la conception de l’habitat pavillonnaire
Claire Bruneau Mémoire de Master - Février 2018 École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris - Val de Seine Directrice de mémoire : Sabrina Bresson
Avant toute chose, je souhaite adresser mes remerciements aux personnes qui ont participé à la réalisation de ce mémoire. Je tiens à remercier particulièrement ma directrice de mémoire, Sabrina Bresson, pour l’aide et le temps qu’elle a pu me consacrer. Je remercie aussi Jean-François Espagno pour sa disponibilité et les précieuses informations qu’il m’a délivrées lors de notre entretien. Pour finir, je remercie ma mère pour le temps qu’elle a consacré à la relecture et à la correction de mon mémoire.
L’architecte et l’habitat pavillonnaire
SOMMAIRE
AVANT-PROPOS
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INTRODUCTION
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PARTIE 1. L’HABITAT PAVILLONNAIRE, UN MODÈLE DOMINANT
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1. DE LA BOURGEOISIE À LA CLASSE OUVRIÈRE
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1.1. LES DIFFÉRENTES FORMES DE PAVILLONS
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1.2. LES SOCIALISTES UTOPIQUES ET RÉFORMATEURS SOCIAUX
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1.3. LES POLITIQUES INCITATIVES DE L’ÉTAT
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2. DES PRATIQUES SOCIALES À L’IDÉOLOGIE PAVILLONNAIRE
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2.1. LE ‘‘DÉSIR’’ DE MAISON
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2.2. L’ORDRE ET LA MAÎTRISE DANS LE PAVILLON
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2.3. L’IDÉOLOGIE PAVILLONNAIRE
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3. UN MODÈLE DÉTRACTÉ PAR LES PROFESSIONNELS
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3.1. UN MODÈLE NON DURABLE
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3.2. UN MODÈLE IDÉALISÉ
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3.3. UN MODÈLE HOMOGÉNÉISANT
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MÉTHODOLOGIE
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Sommaire
PARTIE 2. LA PLACE DE L’ARCHITECTE DANS L’HABITAT PAVILLONNAIRE
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1. LES CONSTRUCTEURS, UNE COMMUNICATION BASÉE SUR
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L’IDÉOLOGIE PAVILLONNAIRE 1.1. LE PROFESSIONNALISME, LA CONFIANCE, LES ENGAGEMENTS
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1.2. LE SUR-MESURE, LA PERSONNALISATION
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1.3. L’ARCHITECTURE, L’INNOVATION
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1.4. LA FAMILLE, LE RÊVE, LE SYMBOLE
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2. LA PLUS-VALUE DES ARCHITECTES
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2.1. CE QUE PRODUISENT LES CONSTRUCTEURS
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2.2. UNE PLUS-VALUE À L’ÉCHELLE DU QUARTIER
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2.3. UNE PLUS-VALUE À L’ÉCHELLE DU LOGEMENT
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3. LA POSTURE DE L’ARCHITECTE
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3.1. L’INTÉRÊT DU MARCHÉ DE LA MAISON INDIVIDUELLE ET LES
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DIFFÉRENCES DANS LA PRATIQUE 3.2. LES RELATIONS AVEC LES DIFFÉRENTS ACTEURS DE L’HABITAT INDIVIDUEL
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3.3. LA CONCEPTION D’UN LOGEMENT ET SA POLITIQUE
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CONCLUSION
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BIBLIOGRAPHIE
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ANNEXES
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AVANT-PROPOS J’ai toujours habité dans un pavillon. J’ai toujours eu ma maison, avec son jardin, dans une impasse, presque identique aux autres maisons, mais pas complètement. Dans mon entourage aussi, tout le monde avait une maison, qu’il soit question de ma famille ou de mes amis. Pour moi, il s’agissait de la norme, jusqu’à ce que je rentre au lycée et que je commence à m’intéresser à l’architecture. En entrant à l’ENSA Paris-Val de Seine, j’ai pu me rendre compte que l’enseignement dans le domaine de l’habitat individuel se limitait aux maisons remarquables des architectes du XXème siècle et que le sujet du pavillonnaire n’était abordé que plutôt négativement dans le cadre de l’étalement périurbain sans qualité. De plus, les projets étudiants consistent en une alternance entre logement collectif et équipement culturel. C’est ainsi que j’ai été amenée à me poser la question du rôle de l’architecte dans l’habitat pavillonnaire, si l’architecte y a ou non une place à prendre. Etant à la fois issue du milieu pavillonnaire et étudiante en architecture, j’ai une proximité avec l’objet d’étude et avec les critiques qui lui sont associées ; je peux ainsi évoluer naturellement d’un milieu à l’autre. Cette posture transfuge me permet d’apporter un double regard sans avoir de point de vue tranché sur la question, afin d’en saisir toutes les ambivalences.
INTRODUCTION
INTRODUCTION
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« UNE MAISON À TOUT PRIX ! » Aujourd’hui, la maison individuelle serait l’habitat idéal pour 77% des Français (DJEFAL, 2004). Le logement individuel représente plus de la moitié des logements existants sur le territoire, c’est-à-dire environ seize millions de résidences principales pour une surface construite d’environ trente millions de mètres carrés en 2005 (Insee, 2008). Plus de 60% de la population française vit dans une maison, la moyenne de l’Union Européenne étant de 55% en 2014 (GUILPAIN, 2014, p.17). Qu’entend-ton par maison individuelle ? Selon l’Insee, la maison correspond à un bâtiment ne comportant qu’un seul logement et disposant d’une entrée particulière. On en distingue deux types : individuel pur et individuel groupé qui consiste en une maison individuelle résultant d’une opération de construction comportant plusieurs logements individuels. L’habitat individuel, la maison, s’oppose donc à l’habitat collectif. Mais la maison individuelle peut prendre des formes différentes. Elle peut être mitoyenne, ce qu’on appelle une maison de ville, ou bien isolée au milieu de son terrain et en recul par rapport à la voirie. Elle peut se situer en ville, en périphérie des villes ou à la campagne. D’après une enquête menée en février 2017 par Century 21 France, une entreprise du secteur de l’immobilier, la majorité des Français préfèreraient un pavillon en zone urbaine par rapport à une maison dans un village, et un logement ouvert sur l’extérieur avec un jardin ou une terrasse. « Ce plébiscite de la maison individuelle s’inscrit dans un désir plus large de calme, critère qui arrive en tête des préoccupations des personnes interrogées, devant celui du prix » (Les Echos, 2017). Le profil du logement idéal est ainsi défini comme une maison individuelle isolée, c’est-à-dire à quatre façades, avec garage, un étage maximum, chauffée au gaz, calme, très lumineuse, à moins de 10 minutes des transports, sécurisée et bien sûr avec un jardin (AGNIMEL, 2017). On ne parle donc pas de maison de ville mitoyenne, ni de maison en zone rurale,
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mais d’une maison isolée attenante à un terrain et située généralement en périphérie des villes, le pavillon, qui apparaît donc comme le modèle dominant en France. Pourtant, dans la plupart des écoles d’architecture, on insiste sur le fait que ce modèle n’est pas durable car il ne favoriserait pas la densité, serait dépendant de la voiture et ne permettrait pas de créer la ville. La réflexion des architectes se porte plus souvent sur le logement collectif, aujourd’hui jugé plus vertueux car vecteur de ‘’vivre ensemble’’ et plus durable dans sa forme. Seulement voilà, l’habitat individuel représente plus de la moitié des logements en France et la majorité des Français aspire à accéder à ce type de logement, et non pas à du collectif. L’expression de ce désir ne peut pas être négligé par les architectes et autres acteurs de la production urbaine. Dans ce mémoire, nous nous attacherons tout d’abord à comprendre les origines de l’habitat pavillonnaire en tant que modèle dominant en France, les intérêts de ce mode de vie ainsi que les critiques qui lui sont associées. Puis dans un second temps, nous tenterons de cerner le rapport ambigu entre les architectes et l’habitat pavillonnaire en essayant de comprendre les raisons pour lesquelles l’architecte est en grande partie absent de sa conception et de trouver la place qu’il pourrait y avoir.
PA R T I E 1
L’HABITAT PAVILLONNAIRE, UN MODÈLE DOMINANT
Partie 1. L’habitat pavillonnaire, un modèle dominant
1. DE LA BOURGEOISIE À LA CLASSE OUVRIÈRE Malgré ce que l’on pourrait penser, l’habitat pavillonnaire n’est pas un dérivé direct de la maison rurale, même si ces deux typologies ont un caractère individuel et une parcelle autour de la construction, « Le pavillon n’est pas plus une maison rurale installée dans la ville que le Petit Trianon n’est une ferme installée à Versailles ». Le développement historique de ce type de logement a débuté aux alentours de 1830, au moment de la révolution industrielle. C’est l’époque du développement urbain en France avec les différents facteurs qui l’accompagnent : fort accroissement de la population urbaine, entassement de la population, nécessité de loger la nouvelle main d’œuvre industrielle, exode rural et en même temps nouvelle relation entre ville et campagne (RAYMOND, 1968, p.31).
1.1. LES DIFFÉRENTES FORMES DE PAVILLON La bourgeoisie d’alors, habituée à trouver ses intérêts en campagne, se rend compte que les bases de la richesse se déplacent vers les industries et les villes. La population de ces villes augmente de manière significative en une dizaine d’années seulement avec l’apparition d’une nouvelle classe sociale, le prolétariat, « dont la force de contestation s’amplifie et s’organise à travers toute la période, menaçant l’ordre social établi ». C’est durant cette période qu’on voit apparaître les formes initiales du pavillon, à savoir une « maison individuelle urbaine ou suburbaine, entourée d’un jardin par opposition à la fois à l’immeuble collectif des villes et à la maison rurale » (ibid, p.32). L’une de ces formes est la maison de plaisance (figures 1 et 2). En effet, avant la révolution industrielle, la maison de campagne reste le privilège de la haute bourgeoisie ou même de la noblesse. Mais à la suite de l’avènement de la Monarchie de Juillet, une nouvelle bourgeoisie se développe, la bourgeoisie moyenne, qui a pour but d’accéder à ces mêmes privilèges, c’est-à-dire l’acquisition d’une maison de campagne à proximité de la ville. Cette maison de plaisance doit être le symbole de la richesse de son propriétaire ; la plupart de ces maisons bourgeoises de banlieue sont donc en quelque sorte des répliques de résidences nobles. Entre 1830 et 1860, le développement urbain va repousser ces maisons de plaisance de plus en plus loin de la ville, jusqu’à finalement les transformer en maisons de campagne, en résidences secondaires ; il ne s’agit alors plus de pavillons (ibid, p.33).
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L’architecte et l’habitat pavillonnaire
Une autre forme initiale du pavillon est le logement patronal. En effet, l’afflux important d’une population salariée dans les zones industrielles où les possibilités de logement étaient très restreintes entraîne le patronat à réfléchir à une manière de stabiliser sa main-d’œuvre. La solution retenue ne va ni prendre la forme d’une allocation logement, ni celle d’une augmentation de salaire, mais le patronat va décider de loger lui-même ses employés. Deux modèles existent à cette époque, le logement collectif et l’individuel. Les immeubles collectifs étant critiqués pour leur côté ‘’communiste’’ ou ‘’caserne’’, le choix des patrons se tourne vers la maison individuelle avec jardin (figures 3 et 4) pour des raisons résumées par G. Picot en 1891 : « En rendant l’ouvrier propriétaire, la Société Mulhousienne a rendu un grand service. Elle a fixé l’ouvrier nomade, l’a attaché à son pays, lui a fait comprendre le but de l’épargne, lui a donné avec le goût de la propriété l’habitude des efforts persévérants et féconds. » (ibid, p.33). Ainsi, rien ne permet d’affirmer que les ouvriers de cette époque aspiraient au pavillon plutôt qu’au logement collectif. Le choix de développer ce modèle reviendrait aux employeurs, qui ont d’ailleurs beaucoup fait pour en diffuser les bienfaits. Le logement marginal représente la troisième forme initiale du pavillon. Entre 1850 et 1894, dans un contexte d’augmentation du prix des loyers et de surpeuplement des logements en ville qui, de plus, sont d’une grande insalubrité, une part grandissante de la population part s’installer en dehors des villes, ce qui aboutit dans la majorité des cas à des constructions de type pavillonnaire. C’est surtout à partir des années 1870, avec l’amélioration de l’offre de transports et le développement de l’activité industrielle en banlieue que ce phénomène prend le plus d’ampleur. En effet, les terrains, souvent agricoles, sont beaucoup moins chers qu’en ville et la plupart des pavillons se font en auto construction. « Le développement pavillonnaire s’étend aussi loin [des fortifications] que les tramways et les chemins de fer le permettent. » (ibid, p.34) Cependant, il s’agit là de constructions dites sauvages car ni reliées au réseau d’eau, ni reliées aux égouts et sans système de collecte des ordures. Dès 1890, c’est « le scandale des premiers lotissements » (ibid, p.34), un nouveau problème apparaît : la banlieue.
Partie 1. L’habitat pavillonnaire, un modèle dominant
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Figure 1 Carte postale représentant une villa bourgeoise, h t t p s : / / w w w. delcampe.net/ fr/collections/ cartes-postales/ Consulté le 29/01/18
Figure 2 Carte postale représentant une villa bourgeoise, h t t p s : / / w w w. delcampe.net/ fr/collections/ cartes-postales/ Consulté le 29/01/18
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Figure 3 Catalogue de la chocolaterie Menier pour l’exposition universelle de 1889, Cité de l’architecture et du patrimoine, https://www.cited e l a rc h i t e c t u re . fr/fr/collection/ parcours-thematiques/habiter-larchitecture-du-baron-haussmann-nos-jours Consulté le 29/01/18
Figure 4 Carte postale la cité ouvrière du faubourg SaintJean, h t t p s : / / w w w. delcampe.net/ fr/collections/ cartes-postales/ Consulté le 29/01/18
L’architecte et l’habitat pavillonnaire
Partie 1. L’habitat pavillonnaire, un modèle dominant
1.2. LES SOCIALISTES UTOPIQUES ET RÉFORMATEURS SOCIAUX Dès le début du XIXème siècle, la croissance des villes est mal vue car désordonnée et tentaculaire ; il faut en contrôler la croissance et remédier à la question du logement insalubre. Cette réflexion sur le logement et la ville est englobée dans une réflexion plus large sur l’ensemble de la société. C’est ainsi que l’on y retrouve les différents courants politiques et idéologiques de cette période, qu’il s’agisse des socialistes utopiques, des réformateurs sociaux, des conservateurs monarchistes ou républicains, ou encore des théoriciens. Leur but commun est de faire face au phénomène nouveau de l’industrialisation et ses conséquences sur la société. En 1898, Ebenizer Howard publie son ouvrage « To-morrow, A Peaceful Path of Real Reform » dans lequel il expose son concept de cités-jardins, un modèle sociopolitique opposé à la ville mais aussi à la campagne alors en déclin (figure 5). Son modèle combine les avantages de la ville (travail, salaire, accès à la culture) à ceux de la campagne (repos, nature, alimentation saine) mais sans leurs inconvénients respectifs (stress, pollution ou ennui). Il crée donc un entre-deux qui consiste en la mise en place d’unités sociales de 32 000 habitants limitées spatialement par une ceinture verte agricole et reliées entre elles par des chemins de fer, pour former une ville sociale polycentrique, décentralisée, anticapitaliste. Chaque unité est autosuffisante car elle est dotée du trio logement, travail, et équipement public. Les maisons y sont spacieuses, avec un jardin, proches de la nature et les loyers y sont bon marché. La première application de ce modèle a été conçue par Raymond Unwin à Letchworth en 1902, puis à Hampstead en 1906. En France, la première cité-jardin voit le jour dès 1904 dans le Nord-Pas-de-Calais. Mais il ne s’agit en fait que d’interprétations du modèle utopique de Howard qui donnent lieu à des banlieues résidentielles ou à des cités ouvrières agréables, conçues par des entreprises privées ou des bienfaiteurs, plus qu’à des cités communautaires ; « l’idéal politique d’une ville entière s’estompe au profit d’un quartier planté » (PAQUOT, 2013, p.9). En Île-de-France, une vingtaine de ‘’banlieues-jardins’’ ont été construites entre les deux guerres mondiales, les plus abouties étant celles de Suresnes (figure 6), Stains et Châtenay-Malabry. Bien qu’il s’agisse dans la plupart des cas de petits immeubles collectifs bas, le modèle prônait la maison individuelle, et l’organisation spatiale de ces quartiers d’habitation rappelle celle des lotissements pavillonnaires qui verront le jour plus tard, à la différence que les ‘’cités-jardins’’ disposent d’une mixité de
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Figure 5 Le diagramme des Trois Aimants, https://sousles jupesdelametrop o l e . w o rd p re s s . com/2013/10/21/ ebenezer-howardthe-three-magnets -theory/ Consulté le 29/01/18
Figure 6 La cité-jardin de Suresnes (19211956), http://histart.overblog.com/article -bauhaus-suren nes-117013450. html Consulté le 29/01/18
L’architecte et l’habitat pavillonnaire
Partie 1. L’habitat pavillonnaire, un modèle dominant
fonctions qui n’existe pas dans les lotissements à but uniquement résidentiel. Au niveau étatique, entre 1881 et 1893, on s’accorde sur la nécessité de faire face à la question sociale par la création d’une politique de l’habitat. Les représentants de cette démarche sont majoritairement des industriels ou des hommes liés au milieu des affaires mais issus de familles idéologiques et politiques différentes. On peut citer, entre autres, Decazes, Audiffret-Pasquier, Siegfried, Ribot ou Rouvier. Tous estiment que « l’accession des salariés à la propriété supprimera les tares de la vie urbaine et, qu’en même temps, elle créera une catégorie intermédiaire entre la bourgeoisie et le prolétariat, favorisant ainsi la paix sociale » (RAYMOND, 1968, p.38). Il s’agit de lutter contre « la dégradation de la condition morale et familiale de la classe ouvrière » et la « dangerosité sociale des classes laborieuses » (DAVIDOVITCH, 1968, p.273). Les idées de ce groupe se retrouvent notamment dans trois ouvrages qui constituent « une doctrine cohérente de la déprolétarisation par l’habitat » (ibid, p.273) : ‘’La question des habitations ouvrières en France et à l’étranger’’ de E. Cheysson (1886), le rapport du jury des Habitations Ouvrières de l’Exposition de 1889 rédigé par G. Picot, et ‘’L’habitation ouvrière en tout pays’’ par E. Muller et E. Cacheux (1889). Ce corpus dénonce et condamne l’habitation collective et reprend principalement les thèses de Le Play et du mouvement conservateur des réformateurs sociaux qui se développe au début du XIXème siècle contre l’ordre libéral. Il y est dit que la cellule sociale essentielle est la famille et que, pour préserver la famille dans une société industrialisée, il faut lui assurer la propriété d’un logement et d’un jardin car « le logement permet de stabiliser la main d’œuvre. Il permet d’alléger les salaires : ‘’l’ouvrier dans ses moments de loisir, et plus ordinairement la femme avec le concours des enfants et des vieux parents, y cultivent les légumes et les fruits consommés par le ménage’’ » (RAYMOND, 1968, p.35). Toujours selon Le Play, « la propriété donne à l’ouvrier plus de valeur à ses propres yeux. De sa déprolétarisation, il tire un sens moral nouveau, une discipline de vie plus rigoureuse. […] Enfin, la propriété assure le goût de l’épargne, l’organisation de loisirs sains, la paix des familles » (ibid, p.35-36). Les thèses de Le Play font en fait parfaitement écho aux préoccupations initiales de la bourgeoisie, c’est-à-dire fixer le prolétariat et « permettre à la famille ouvrière de supporter un bas niveau de vie » tout en évitant les regroupements ouvriers,
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sources de danger politique » (ibid, p.36). Le Play donne aux ouvriers un ‘’cadre de vie idéologique’’ ; ils ont alors la responsabilité de respecter la morale et les cadres sociaux : « l’idéal pavillonnaire en tant que voie d’accès au bonheur individuel s’est substitué aux idéaux collectivistes [de la première moitié du XIXème siècle] » (DEBRY, 2012, p.35). Ainsi, les idées exposées dans les trois ouvrages cités précédemment proviennent en grande partie des thèses du sociologue paternaliste Le Play, mais avec une différence notable, le souhait d’une intervention de l’Etat.
1.3. LES POLITIQUES INCITATIVES DE L’ÉTAT A la fin du XIXème siècle, la France est encore dans une phase de transition entre rurale et urbaine. La population urbaine représente environ un tiers de la population totale mais les problèmes liés à l’urbanisation sont déjà diagnostiqués et très présents. L’idée que l’Etat doive prendre en main le problème du logement ouvrier s’est imposé naturellement, et son intervention, selon Le Play, Muller et Cacheux, doit se faire au profit du logement individuel. En 1889 est fondée la Société Française d’Habitations à Bon Marché qui va être à l’origine d’une série de lois qui vont assurer le développement du pavillonnaire en France : - 1894, loi Siegfried : accord d’une aide financière aux sociétés constructrices philanthropiques grâce à la Caisse d’Epargne. A l’origine des sociétés HLM, elle favorise la maison individuelle. - 1906, loi Strauss : obligation d’un contrôle de l’Etat sur la qualité et la salubrité des constructions, et plus de dépendance des sociétés constructrices au Trésor Public. - 1908, loi Ribot : extension de l’aide financière de l’Etat jusque dans les régions rurales dans le but de fixer les habitants par la propriété. - 1912, loi Bonnevay : création des offices publiques d’HBM. - 1919, loi Siegfried : obligation pour les groupes d’habitations d’avoir un plan et un programme d’aménagement. - 1924, loi Le Cornudet : renforcement du contrôle des lotissements en prévoyant l’obligation pour les communes d’avoir un plan d’aménagement. - 1928, loi Sarraut : réaménagement des lotissements défectueux - 1928, loi Loucheur : création en 5 ans de 100 000 petits propriétaires par extension du financement de l’Etat. (GUILPAIN, 2014, p.191 & RAYMOND, 1968, p.40)
Partie 1. L’habitat pavillonnaire, un modèle dominant
Il faut ajouter l’influence de l’abbé Lémire en faveur du jardin ouvrier qui, en 1896, fonde la Ligue du Coin de Terre et du Foyer en faveur du lopin de terre individuel, ce qui rejoint l’idée de Le Play. C’est ainsi que s’explique le fait que le pavillon soit « une maison individuelle avec un jardin » (RAYMOND, 1968, p.40). Bien qu’une opposition existe, elle ne suffira pas à contrecarrer la politique interventionniste de l’Etat. En effet, la gauche refuse la déprolétarisation par l’habitat car « elle estime que la suppression du prolétariat ne peut être réalisée que par l’abolition des classes » (ibid, p.41). De plus, même si la gauche dénonce la politique menée, elle ne dénonce pas le modèle de la maison individuelle. A ce stade, on peut tirer comme première conclusion que le développement massif de l’habitat pavillonnaire en France est directement lié à la politique de l’Etat qui aide financièrement, entre 1894 et 1928, une sorte de « propagande des lotisseurs et moralistes » (ibid, p.41). On a calqué le modèle de vie bourgeois sur les classes prolétaires dans le but d’assurer un certain ordre social. L’habitat pavillonnaire s’est ainsi développé à partir du XIXème siècle mais c’est au XXème siècle qu’il connaît son essor le plus important et qu’il prend la forme que l’on connaît aujourd’hui. Le modèle de la maison individuelle ne concerne alors plus seulement les classes sociales les plus aisées mais aussi la classe ouvrière qui, dans les Trente Glorieuses, va devenir la classe moyenne. La construction de maisons individuelles est intense jusqu’en 1935, puis ralentie par la crise économique et la guerre pour finalement reprendre après 1945 mais dans un cadre légèrement différent et parallèlement à la construction de grands ensembles d’habitat collectif. La maison individuelle est omniprésente et le pavillon est représenté dans tous les types de villes. Durant la période appelée les ‘’Trente glorieuses’’, le produit intérieur brut français est multiplié par deux et les revenus des ménages augmentent. La croissance transforme la composition sociale de la société et entraîne l’essor des ‘’couches moyennes’’, appelées aussi ‘’la nouvelle petite bourgeoisie’’ qui a dorénavant un certain pouvoir d’achat, ce qui fait émerger la notion de société de consommation. Parallèlement à ce phénomène, le taux de motorisation explose lui aussi, doublant entre 1959 et 1979. Ces deux éléments combinés entraînent une augmentation brutale des zones périurbaines : +100% entre 1962 et 1975 ; à la fin des années soixante, l’espace périurbain
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est ainsi éloigné jusqu’à 30 à 40 km des centres-villes (LANGUMIER, 1982, p.77). La loi du 21 juillet 1950 permet la création de prêts du Crédit Foncier qui constituent le nouveau mode de financement de l’accession à la propriété, et surtout de l’urbanisation diffuse de l’habitat pavillonnaire avec dans le même temps l’apparition d’une nouvelle offre : la maison sur catalogue vendue clés en main (figure 1) ; l’épargne-logement complète ce système à partir de la loi du 10 juillet 1965. Le logement est finalement considéré comme l’une des priorités de l’État avec Le Plan Courant dont le but est de favoriser la construction via des séries de dispositions visant à fournir au secteur du bâtiment de nouveaux moyens financiers ; l’objectif minimum est fixé à 240 000 nouveaux logements par an. En 1968 le ministère de l’Equipement lance le Concours International de la Maison Individuelle (CIMI). C’est ainsi que l’on voit se construire des ‘’maisons individuelles groupées’’, appelée les ‘’chalandonettes’’, c’est-à-dire des « maisons individuelles en accession, de type industriel, réalisés à la suite d’un train de mesures incitatives prises par Albin Chalandon, Ministre de l’Equipement et du Logement de juillet 1968 à juillet 1972 » (PINSON, 2015). Ce concours « prend la forme d’un travail explicite de l’administration centrale pour encadrer et orienter la production de maisons individuelles par les acteurs privés » et donne suite à la construction de 60 000 à 70 000 pavillons de « faible qualité » (STEINMETZ, 2013, p.22). Dans les années 1970, les politiques d’appui à l’accession à la propriété continue de contribuer à la diffusion du pavillon en lotissement périurbain : « Entre 1970 et 1973, plus d’1,1 millions de ménages français ont accédé à la propriété » (LANGUMIER, 1982, p.78). Le modèle rencontre donc rapidement une très forte adhésion dans l’opinion des Français. Encore en 2005, Jean-Louis Borloo, alors ministre de la Cohésion Sociale, promet la construction de 20 000 maisons à 100 000 euros dont l’objectif est de permettre aux ménages les plus modestes de devenir propriétaire de leur pavillon. Cette opération sera un échec du fait de l’augmentation du prix des matières premières et du foncier mais elle montre tout de même que le modèle de la maison individuelle demeure dominant (GOMBERT, 2008). Ainsi, on comprend que l’engouement des Français pour l’habitat pavillonnaire est directement lié à des facteurs historiques, économiques politiques, démographiques
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Figure 1 Premières maisons Phénix (vers 1950), h t t p : / / w w w. a r chives.developpement-durable. gouv.fr/IMG/ jpg/771113_6.jpg Consulté le 29/01/18
Figure 2 Photographie du modèle Balency & Schulh présenté à ‘‘Villagexpo’’ en 1968, dans « La maison individuelle » de Yann NUSSAUME (2006)
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et sociaux. Il s’agit à l’origine d’un modèle bourgeois qui est repris dans le logement patronal et ainsi rendu accessible à la classe ouvrière, avec l’appui des réformateurs sociaux dont le but est de moraliser la société en promouvant l’accession à la propriété de maison individuelle avec jardin, autrement dit, en donnant à la classe ouvrière un cadre de vie idéologique. Il est important de noter que le développement de l’habitat pavillonnaire tel que nous le connaissons aujourd’hui est principalement dû aux politiques incitatives de l’Etat qui ont eu lieu tout au long du XXème siècle. Ce modèle, tant critiqué aujourd’hui, a donc valu politiquement et idéologiquement à un moment donné.
Partie 1. L’habitat pavillonnaire, un modèle dominant
2. DES PRATIQUES SOCIALES À L’IDÉOLOGIE PAVILLONNAIRE L’habitat pavillonnaire n’est pas seulement une typologie architecturale incarnée par le pavillon, c’est surtout le symbole d’un mode de vie et même une idéologie. Et c’est bien du côté des habitants et de leurs pratiques sociales qu’il faut aller pour comprendre la préférence donnée par les ménages à l’habitat individuel.
2.1. LE ‘‘DÉSIR’’ DE MAISON Au premier abord, les habitants ou aspirants à la vie pavillonnaire formulent des arguments conscient en faveur de l’habitat pavillonnaire tels que la liberté, l’indépendance, la mise à distance du voisin, l’espace disponible, la jouissance d’un jardin, la sécurité ou l’hygiène ; le but est de « réaliser le ‘’désir de maison’’, de répondre aux besoins d’une famille qui s’agrandit (LE JEANNIC, 1997), d’offrir aux enfants un meilleur environnement scolaire (MANCEBO, 2007) » (DEBROUX, 2011, p.1), « il permet de limiter la promiscuité avec les voisins, de mieux définir son autonomie et son rapport à autrui » (NUSSAUME, 2006, p.7). Le jardin est primordial et indissociable de l’habitat pavillonnaire : il permet de vivre dehors, d’étendre son logement sur l’extérieur et « offre un espace de jeu protégé pour les enfants » (ibid, p.7). Ce lien au jardin, à la nature, semble trouver ses origines dans le monde rural avant l’industrialisation, quand plus de la moitié de la population était rurale, terrienne, c’està-dire possédant des terres. Comme le dit Daniel Pinson, « sans doute l’avantage d’une maison est-il d’être au niveau du sol, de la terre, de ce qui fonde et ancre » (LEGLISE, 2014, p40). L’habitat pavillonnaire est donc lié à la propriété, à la possibilité de maîtriser et de s’approprier l’espace et à un certain désir de retour à la nature. L’habitat pavillonnaire incarne donc un idéal de vie, « le récit pavillonnaire repose sur la dialectique de la subjectivité et de l’idéologie » (DEBRY, 2012, p.8). La maison individuelle est « un véritable investissement symbolique traducteur du couple et de sa pérennité » (LEGUE, 2006, p.29), liée à la famille, aux enfants, à la réussite sociale espérée et attendue par ses habitants. « C’est sur le registre de la nécessité que la plupart des enquêtés ‘’expliquent’’ leur choix résidentiel : ‘’ce qu’on voulait, c’était avoir une maison’’ (chargé de recherche), ‘’on a dit qu’on aurait une maison’’ (employée) » (DEBROUX, 2011, p.4). Le pavillon apparaît comme « un élément du
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processus de valorisation sociale » (LEGUE, 2006, p.30) qui ne correspond pas forcément à la réalité mais qui est une idée assez ancrée dans l’imaginaire collectif. Le fait de posséder sa maison, ou du moins d’avoir la possibilité de la posséder un jour, permet une certaine sécurité pour la famille qui se retrouve avec un bien associé à une certaine valeur, ou plus tard, qui permet la transmission d’un patrimoine.
2.2. L’ORDRE ET LA MAÎTRISE DANS LE PAVILLON 1. « L’habitat pavillonnaire » est un travail de recherche fondateur en sociologie urbaine, au croisement entre sciences sociales et architecture, et dont les auteurs sont aussi fondateurs du Centre de Recherche sur l’Habitat (CRH) hébergé actuellement par l’ENSA Paris – Val de Seine
Cependant, ces arguments plutôt pragmatiques ne sont pas les seules raisons pour lesquelles l’habitat pavillonnaire à tant de succès auprès des ménages français. Le travail de recherches et d’analyses mené par Marie-Geneviève Dezès, Antoine Haumont, Nicole Haumont et Henri Raymond dans les années 19601 montre, en donnant la parole aux habitants, que bien que les usages du logement ne soient pas directement liés au type d’habitat, le logement individuel semble permettre une meilleure maîtrise des changements qui peuvent survenir dans la société et au sein de la vie du ménage, mais dont le ménage n’a pas forcément conscience. Dans un premier temps, ils ont montré comment se présentait l’espace du pavillon ‘’en général’’. Ce qui est flagrant et évident, c’est que les habitants pratiquent un marquage systématique de l’espace pour se l’approprier. L’exemple le plus concret est la clôture, comme le dit une interviewée : « Les maisons sans clôture, c’est qu’elles ne sont pas finies » (RAYMOND, 1968, p.59). On comprend donc qu’il est impensable d’habiter sans définir clairement les limites de son espace, c’est quelque chose d’instinctif pratiqué par la plupart des animaux. La clôture a aussi une fonction de graduation entre espace public et espace intime, donc dans les rapports sociaux. Enfin, elle a un rôle symbolique défensif de « la propriété-forteresse ». D’autre part, « l’espace pavillonnaire accorde plus de jeu, plus de possibles, que l’appartement ; […] les variations qui y sont possibles sont infiniment plus nombreuses » (ibid, p.68). Ceci vient du fait que l’on tend de plus en plus à rendre fonctionnels absolument tous les espaces d’un logement. Parallèlement, « le temps pavillonnaire est lui aussi une réserve de possibles » (ibid, p.68) ; les travaux d’aménagement, de réaménagement, de modification de l’espace en fonction de l’évolution du ménage portent sur une durée plus longue, avec l’idée d’investissement : « l’habitant qui dit ‘’plus tard, nous ferons’’ ne fait pas que construire ou aménager, il structure son cycle de vie » (ibid, p.69).
Partie 1. L’habitat pavillonnaire, un modèle dominant
Dans un second temps, ils analysent les différentes parties de la maison, leurs fonctions et les pratiques sociales qui leurs sont associées. Nous avons vu précédemment que le jardin est indissociable du pavillon ; il s’agit de l’une des premières raisons exprimées dans le choix du pavillonnaire et, bien sûr, c’est la principale différence avec le logement collectif. Cet espace sert d’abord d’espace de renvoi de tout ce qui ne trouve pas sa place au sein du pavillon et qui est susceptible d’y créer du désordre : « la lessive, les animaux, les enfants, le mari, le trop plein d’énergie » (ibid, p.75) ; c’est un espace de transition : « intérieur/extérieur/rue » ou « ordre/ désordre/danger » (ibid, p.76). Il offre un degré de possibles important. Enfin, le jardin étant un espace montré, il prend une valeur de prestige, il doit être à l’image de ses habitants ou du moins de ce que ses habitants veulent montrer d’eux-mêmes au reste de la société, comme l’explique cette interviewée : « J’aime bien les gens qui regardent mes fleurs quand ils passent, l’été » (ibid, p.76). Le jardin permet une valorisation du pavillon. Enfin, ce qui ressort du lien entre ‘’l’homme pavillonnaire’’ et son logement est l’intimité, le bonheur de rentrer chez soi : « rentrer chez soi, c’est rentrer dans l’autonomie » (ibid, p. 87) « Être chez soi, c’est constituer le lien fondamental de la personnalité et de l’habitat. Rentrer chez soi c’est couper le lien avec l’extérieur. Se sentir chez soi c’est affirmer qu’on ‘’est bien’’. Dans ce chez-soi où l’on ‘’est’’, il y a plus de contentement que de jouissance, plus de calme que de bonheur affirmé. Au niveau du chez-soi il n’y a pas d’affirmation suivant quoi ce mode de vie serait positivement égal au bonheur. » (ibid, p.87) En ce qui concerne les pratiques sociales, il est clair que le pavillon permet l’ordre qui résulte des différentes possibilités d’aménagement de l’espace. L’ordre est ici à comprendre comme capacité d’ordonner ; le pavillon offre plus de possibles donc plus de liberté. De plus, la culture du travail et de l’effort y est reprise puisque le pavillon est transformable, modifiable, ajustable, d’où l’intérêt pour les habitants ; c’est le travail de tout une vie. Pour l’idéologie pavillonnaire, le logement collectif est synonyme de désordre ou plutôt d’absence de maîtrise (rencontres hasardeuses, voisin imposé, etc). Le pa-
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villon n’est pas un espace seulement fonctionnel, il ne s’agit pas d’une machine à habiter. Il y existe une maîtrise de l’espace grâce à un système de gradation et d’espaces tampons, comme le jardin, qui permettent de créer un réel ‘’chez-soi’’ à l’abri du monde extérieur (ibid, p.110). N’étant ni pour, ni contre le pavillon, cette étude montre simplement que le logement « qu’il soit individuel ou collectif, doit permettre la satisfaction des tendances analysées » (ibid, p.110) et que la politique du logement ne peut pas ignorer les pratiquent des habitants, ni les raisons qui ont causé le choix du pavillonnaire.
2.3. L’IDÉOLOGIE PAVILLONNAIRE L’idéologie pavillonnaire n’est pas présente que chez les habitants, mais aussi chez un certain nombre de théoriciens du pavillon, initialement issus de la bourgeoisie. Il existe une ‘’littérature pavillonnaire’’ française qui apporte beaucoup plus d’éléments donnant « une image satisfaisante du pavillon que d’éléments propres à dévaloriser ce type de logement » (ibid, p.96). Cette argumentation naît à la fin du XIXème siècle sous la forme suivante. Le pavillon apporte la santé physique du fait du ‘’bon air’’ qu’on respire quand on s’éloigne un peu des villes et de la consommation de légumes frais sans « machins chimiques » (ibid, p.96). Il apporte aussi la santé morale, selon la bourgeoisie et le patronat, car il favorise la place de la famille, en opposition à la communauté, et le goût du travail. Le pavillon permet d’accéder à la propriété ce qui, d’après les théoriciens en question, permet au pavillonnaire « d’avoir une meilleure place dans la société » (ibid, p.97), et aussi à la stabilité du fait qu’il représente un capital. En plus des facteurs politiques, économiques et historiques évoqués précédemment, on voit que la préférence des Français pour l’habitat pavillonnaire a aussi été influencé par des facteurs pratiques et idéologiques. C’est d’ailleurs principalement contre cette image idéalisée que les critiques anti-pavillonnaires des architectes vont se retourner.
Partie 1. L’habitat pavillonnaire, un modèle dominant
3. UN MODÈLE DÉTRACTÉ PAR LES PROFESSIONNELS Dès le milieu des années 1960 et parallèlement à l’essor et au développement de l’habitat pavillonnaire, les critiques émergent, abordant déjà le sujet de la ville durable et condamnant « cette inclinaison écologiquement irresponsable et socialement débilitante » (DIDELON, 2013, p.34). En effet, les architectes, urbanistes et autres scientifiques dénonce l’étalement urbain ou la périurbanisation qui aurait de nombreuses conséquences néfastes sur le territoire : « on assiste à un tiraillement entre une population française demandant des maisons individuelles et des pouvoirs publics plutôt favorables à la densité de l’habitat, et ce, pour des raisons de développement durable » (NUSSAUME, 2006, p.58).
3.1. UN MODÈLE NON DURABLE D’une part, le mitage des terres agricoles, l’artificialisation des sols et la dépendance à la voiture posent un problème d’ordre écologique ; « les résidents des zones pavillonnaires […] doivent obligatoirement, pour chacun de leurs besoins, utiliser leur véhicule » (DEBRY, 2012, p.24). D’autre part, l’éloignement des réseaux existants et l’approvisionnement énergétique posent un problème d’ordre économique. Enfin, l’allongement des temps de transport, la saturation des réseaux routiers, l’individualisme et l’absence de lien social posent un problème d’ordre social : « Isolés ensemble ! À chacun d’affirmer son individuation. ‘’L’asservité’’ est une injonction ! Elle a un prix, celui de l’égoïsme » (ibid, p.27). En seulement une quarantaine d’années, le phénomène de périurbanisation a démultiplié la surface urbanisée de chaque localité (DIAS, 2008, p.149). Selon Augustin Berque Philippe Bonnin et Cynthia Ghorra-Gobin, « ce phénomène, par l’usage généralisé de l’automobile qui l’a rendu possible et qu’il entraîne, pose une série de problèmes quant à la viabilité d’un tel habitat. Dans sa forme actuelle, marquée par le gaspillage (d’espace, d’énergie…), il repose en effet sur une contradiction fatale à plus ou moins long terme : la quête de nature (sous forme de paysage) y entraîne la destruction de la nature (en terme de biosphère) » (DIAS, 2008, p149).
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3.2. UN MODÈLE IDÉALISÉ Une autre partie des critiques de l’habitat pavillonnaires concerne l’écart entre le modèle idéalisé et la réalité. En effet, nous avons vu précédemment que pour la plupart des Français, la maison individuelle incarne un idéal de vie, « posséder sa maison, c’est se posséder soit » (DEBRY, 2012, p.40). Cependant, l’accès à la maison individuelle suppose un certain nombre de sacrifices. Du fait de la forte demande, les prix du foncier augmentent de plus en plus « contraignant nombre d’acquéreurs, du fait de leurs revenus, à faire construire en deuxième ou troisième couronne des agglomérations » (LEGUE, 2006, p.28-29), ce qui les éloignent des centres-villes et induit généralement une dépendance à la voiture. De plus, la maison s’impose comme un investissement colossal, d’abord à long terme, « cet idéal pavillonnaire suppose un endettement sur des durées allant parfois jusqu’à quarante ans » (DEBRY, 2012, p.18) et « sur le court et moyen terme avec, après la construction, le budget et le temps consacrés à l’aménagement intérieur » (LEGUE, 2006, p.29). Les habitants du pavillonnaire se retrouvent avec des maisons perpétuellement en travaux, sachant que malgré son importance, « le jardin c’est pour plus tard » (ibid, p.29). Pour résumer cette idée, on peut citer Jean-Luc Debry dans son livre « Le Cauchemar pavillonnaire » : « le monde virtuel dans lequel évolue le pavillonnaire est un savant mélange de fiction et de réalité, de mensonge et de vérité, de cas particuliers présentés comme des coutumes devenues des règles de droit commun », « ce qui est remarquable, c’est bien que la fiction prévale sur la réalité ».
3.3. UN MODÈLE HOMOGÉNÉISANT La dernière partie des critiques de l’habitat pavillonnaire concerne sa forme, son architecture, son organisation urbaine. En effet, la grande majorité des maisons individuelle est construite par des entreprise de construction ; « les architectes n’interviennent que sur 6 à 8% des maisons construites sur le territoire » (NUSSAUME, 2006, p.8). De ce fait, les critiques fusent de la part des architectes qui n’ont pas su « prendre le rôle d’intermédiaire local entre le client et les artisans, en profitant de la transformation de la société » (ibid, p.17) dans les années 1955-1960, ce qu’ont su faire les constructeurs avec « l’apparition de la maison sur catalogue vendue clés
Partie 1. L’habitat pavillonnaire, un modèle dominant
en main » (ibid, p.15). Ils dénoncent la production industrielle de l’habitat individuel en série, indifféremment du lieu, du climat et des traditions architecturales et constructives liées à la région qui a pour effet de normaliser et d’uniformiser le paysage urbain (DEBRY 2012, p.16), typiquement, « la maison rectangulaire avec toit à deux pentes et couloir central desservant les pièces de part et d’autres » (NUSSAUME, 2006, p.19)1. À l’échelle urbanistique, le problème est le même : celui de la normalisation, de l’homogénéisation du territoire. « Le découpage parcellaire maximisant la rentabilité du lotissement produit des formes caractéristiques comme ‘’la marguerite’’ et le ‘’damier’’ (figures 1 et 2). Ce mode d’urbanisation par opportunité génère de l’enclavement […] et une consommation de l’espace à nulle autre pareil » (DIAS, 2008, p.150). C’est en grande partie cette consommation de l’espace qui est dénoncée par la plupart des professionnels qui, eux, prônent la densité qui apparaît comme « un des enjeux urbains actuels pour préserver les terres agricoles, faire face à la pression immobilière des grandes villes et anticiper la dépendance énergétique » (GUILPAIN, 2014, p.10). Il s’agirait pour eux de la solution pour une ville durable, des recherches sont ainsi menées par le Plan Urbanisme Construction et Architecture (Puca), agence interministérielle, et le Syndicat national des aménageurs lotisseurs (Snal) sur le thème du lotissement dense (NUSSAUME, 2006, p.8). Dans le même temps, pour une autre partie des professionnels, la densité n’est pas la seule réponse à la ville durable, de même que pour la plupart des habitants qui ne sont pas forcément enclins à vivre dans un habitat plus dense : « parler de densité à des habitants ou à de futures habitants est souvent mal compris, et cela d’autant plus dans un département rural qui se méfie des ‘’urbains’’ » (ibid, p.116). Pour l’architecte japonais Shigeru Ban, le processus d’étalement urbain est une « évolution inéluctable » et un « processus naturel ». Il rappelle que le fait de vouloir contrôler à tout prix le développement du territoire ne mène pas forcément à de bons résultats (ibid, p.169). L’autre sujet de critiques est à propos de l’enclavement des habitants du pavillonnaire et de l’entre soi : « les préjugés des urbanistes et autres professionnels de l’aménagement du territoire désignent souvent le pavillonnaire comme une masse figée et homogène » (GUILPAIN, 2014, p.15). De plus, les représentations du paysage périurbain sont souvent à caractère péjoratif montrant « la machine pavillon-
31 1. Voir aussi « La France des lotissements », documentaire radiophonique de Perrine Kervran pour France Culture (2017).
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Figure 1 Urbanisation en ‘‘marguerite’’ à Marne-la-Vallée, Impression d’écran de Google Earth Pro Consulté le 29/01/18
Figure 2 Urbanisation en ‘‘damier’’ à Marnela-Vallée, Impression d’écran de Google Earth Pro Consulté le 29/01/18
L’architecte et l’habitat pavillonnaire
Partie 1. L’habitat pavillonnaire, un modèle dominant
naire comme symbole d’une uniformisation et normalisation des modes de vie de nos sociétés contemporaines » (ibid, p.15) comme on peut le voir par exemple dans les travaux des photographes et plasticiens Xavier Delory et Julien Chapsal (figures 4 à 6). Les professionnels dénoncent la forme du lotissement qui isole les habitants du pavillonnaire de la ville, « le pavillonnaire est littéralement enfermé, dans tous les sens du terme » (DEBRY, 2012, p.10). Ceci serait dû au fait que la maison représente le foyer, la famille, « un petit coin de paradis » (GUILPAIN, 2014, p.15) et donc une certaine fermeture vis-à-vis du monde extérieur et particulièrement des voisins, comme le montre le chercheur en sciences sociales Éric Charmes : « plus l’expérience vécues avec d’autres proches est rassurante et stabilisante, plus la capacité à avoir confiance en des inconnus, à interagir avec eux et à se sentir concerné par leurs difficultés est grande » (ORTAR, 2007, p.2). Mais cette fermeture s’accompagne aussi d’un rejet de l’autre, du voisin, ainsi certains sociologues parlent de « l’incapacité des habitants à construire des relations de voisinage qui ne soient pas conflictuelles » (DIAS, 2008, p.150). Après avoir fait cet état des lieux non exhaustif des différentes critiques de l’habitat pavillonnaire, on peut faire un constat assez intéressant : les critiques proviennent en majorité des professionnels du bâtiment ou de l’aménagement du territoire (architectes, urbanistes, collectivités territoriales, etc.), mais pas des habitants du pavillonnaire qui sont pourtant les principaux concernés. Ces critiques les font passer pour des ignorants, égoïstes, individualistes, associables et sans le moindre goût pour l’architecture. Mais il ne faut pas oublier que l’habitat pavillonnaire s’est développé fortement sous l’impulsion du patronat, de la bourgeoisie, des réformateurs sociaux et de l’État qui en ont fait un modèle dominant pour la classe ouvrière devenue aujourd’hui classe moyenne. Comme le dit Thierry Paquot, « Il est vrai que certaines maisons n’ont aucune grâce et que d’autres expriment le degré zéro de l’architecture. Il suffit pourtant d’y entrer et d’écouter les propriétaires en révéler les qualités pour modifier son point de vue. » (LEGLISE, 2014, p.37) Et je pense que c’est cette notion qui est importante, la notion de « point de vue ». Si le modèle de l’habitat pavillonnaire est bien le modèle préféré des Français, il est le modèle méprisé de la majorité de la communauté des architectes qui, comme le dit
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Figure 3 Photographie de Julien Chapsal tirée du projet « (Où) suis-je ? » (2007-2010) http://julienchapsal.com/fr/JChapsal-06-Ousuis-je.pdf Consulté le 05/02/18
Figure 4 Ibid.
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Figure 5 Photographie de Xavier Delory tirée du projet « Habitat » (2006-2008) h t t p s : / / w w w. xavierdelory.com/ blank-rbaz2 Consulté le 05/02/18
Figure 6 Ibid.
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Yves Lion, a « ignoré superbement tout au long du XXème siècle » la question (GUILPAIN, 2014, p.4). Il y a une opposition entre le point de vue d’une partie de ceux qui créent, conçoivent, construisent et ceux qui habitent. C’est cette ambivalence, cette dualité, qui a attiré mon attention et m’a poussée à la rédaction de ce mémoire d’architecture sur l’habitat pavillonnaire. Le mémoire pose alors la question suivante : QUELLE EST LA PLACE DE L’ARCHITECTE DANS L’HABITAT PAVILLONNAIRE ?
A partir de cette question, découle plusieurs hypothèses : - L’architecte serait absent de la production pavillonnaire par ‘’mépris’’ pour ce modèle et ses habitants, ou au contraire à cause des habitants qui ne se tournent pas vers lui et choisissent un constructeur de maisons individuelles. - L’architecte aurait tout de même une plus-value à apporter à la conception de l’habitat pavillonnaire.
Partie 1. L’habitat pavillonnaire, un modèle dominant
MÉTHODOLOGIE Afin de vérifier ces hypothèses et de répondre à la question posée, je me suis appuyée sur trois types de données différentes : Tout d’abord, dans le but de comprendre pourquoi l’architecte n’est pas représenté sur le marché de l’habitat pavillonnaire, j’ai parcouru une vingtaine de site internet de constructeurs de maisons individuelles de différentes régions et de différents niveaux de notoriété pour analyser leur système de communication et comprendre ce qui fait que les aspirants à la construction d’un logement individuel se tournent presque automatiquement vers eux. Il s’agit de détecter les grands thèmes de communication qui ressortent de chacun des sites internet, associés à des visuels et des phrases d’accroche (dont la liste est disponible en annexes). Pour ce faire, je me suis appuyée sur les sites internet des constructeurs suivants : Maison neuve, Maisons d’en Flandre, Maisons Buchert, Maisons Kléa, Maisons France Confort, Maisons Babeau-Seguin, Maisons Berval, Maisons Phénix, Maisons Pierre, Lamotte Maisons Individuelles, Les Demeures Traditionnelles, IGC, Maisons MTLF, Maisons CPR, Maisons Sésame, Maisons de Pâris-Aisne, Habitat Concept, Maison Castor, Maisons Dona et Simon Habitat. Ensuite, afin de décrire et de montrer les apports de l’architecte dans la conception et la programmation de l’habitat pavillonnaire, j’ai dans un premier temps analysé un exemple de quartier pavillonnaire de promoteur immobilier actuellement en construction à Fondettes en Indre-et-Loire et deux exemples de maisons du constructeur Maisons d’en Flandre afin d’en voir les manques, les problèmes. Dans un second temps, j’ai analysé trois exemple d’opérations de logements conçus par des architectes proposant des formes urbaines innovantes pour tenter de renouveler et diversifier l’offre de maisons individuelles. Ces trois cas d’études sont regroupés dans un ouvrage, avec cinq autres exemples, intitulé « Voisins – voisines, nouvelles formes d’habitat individuel en France » et produit en 2006 par arc en rêve, centre d’architecture à Bordeaux et la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, en partenariat avec le Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA).
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Les trois quartiers pavillonnaires que j’ai sélectionnés sont : Côté Parc à Tourcoing, le Domaine de Sérillan à Floirac et les Jardins de la Pirotterie à Rezé. Mon choix s’est porté sur eux car ils présentent des exemples de maisons individuelles comme la plupart des Français semble les désirer, c’est-à-dire indépendantes ou mitoyennes, en lien direct avec un jardin, avec un emplacement pour la voiture, et bien sûr aussi pour leurs qualités architecturales et urbaines. Il s’agit d’en faire une analyse architecturale et urbanistique afin de montrer en quoi la présence d’un architecte dans le cadre de ce genre d’opération est une valeur ajoutée, si ce n’est un service indispensable. Enfin, afin de saisir concrètement quelle est la place de l’architecte dans la conception de l’habitat pavillonnaire, j’ai interrogé Jean-François Espagno, architecte DPLG depuis 1979, spécialiste de l’habitat individuel, formateur pour architectes et fondateur de l’association loi 1901 « Les Architectes d’Aujourd’hui ». Cette association regroupe aujourd’hui environ 80 architectes inscrits au tableau de l’Ordre des Architectes, exerçant en France à titre libéral, et s’engageant à accomplir leurs missions de maîtrise d’œuvre pour les particuliers suivant le principe préconisé par l’association, à savoir la qualité mais dans la maîtrise du budget. Leur idée est de simplifier la démarche de prise de contact avec un architecte pour les particulier et de leur offrir les mêmes garanties que chez un constructeur de maisons individuelles. L’entretien téléphonique s’est déroulé le 4 janvier 2018 et a duré environ une heure et quart. Sa retranscription partielle est disponible en annexe, ainsi que la grille qui a été le support de l’entretien. L’analyse de ces données constitue la deuxième partie de ce mémoire.
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LA PLACE DE L’ARCHITECTE DANS L’HABITAT PAVILLONNAIRE
Partie 2. La place de l’architecte dans l’habitat pavillonnaire
1. LES CONSTRUCTEURS, UNE COMMUNICATION BASÉE SUR L’IDÉOLOGIE PAVILLONNAIRE Tout d’abord, il nous faut revenir sur les raisons pour lesquelles les entreprises de construction détiennent aujourd’hui plus de 60% du marché de la maison individuelle. Historiquement, la maison vernaculaire était conçue par les artisans qui se transmettaient un certain savoir-faire, mais après la Seconde Guerre Mondiale, apparaît une rupture entre clients et artisans, du fait du développement de la population tertiaire (NUSSAUME, 2006, p.17). La force des constructeurs a été d’inventer un rôle d’intermédiaire entre le client et les artisans « en profitant de la transformation de la société » (ibid, p.17). Ils proposent alors un produit à coût fixé pour une population salariée et capable de contracter un emprunt. Cependant, on peut distinguer deux types de constructeurs de maisons individuelles. D’un côté, des industriels à la recherche d’innovations dans le but de limiter les coûts de construction. De l’autre, des ‘’gestionnaires’’ qui utilisent les artisans en sous-traitance pour construire des modèles répétitifs dans le but de maîtriser les coûts de construction, et de faire plus de marge (ibid, p.17). Dans les années 1980, en même temps qu’une baisse de la demande, on voit apparaître le thème de la tradition avec un retour de la ‘’maison de maçon’’, largement soutenue par la campagne de promotion du groupe Bouygues. C’est le retour à la construction traditionnelle, au néorégionalisme, après quelques année d’industrialisation à la recherche d’innovation. Ce principe est progressivement repris par d’anciens commerciaux devenant constructeurs, adeptes du système Bouygues. Ils dirigent une équipe d’artisans et font bâtir des maisons vendues clés en mains (ibid, p.18). Aujourd’hui, seulement 25% des maisons sont officiellement vendues sur catalogue, mais en réalité, les 75% restant sont similaires aux standards, à savoir, « un cinq-pièces, construit en parpaings de béton, d’esthétique classique ou rustique, d’une surface d’environ 100 mètres carrés habitables et vendu entre 70 et 100 000 euros » (ibid, p.18).
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L’architecte et l’habitat pavillonnaire
Ce qu’il est important de noter, c’est que les architectes n’ont pas perdu un marché qu’ils auraient possédé auparavant. L’architecture était réservée aux bâtiments importants, or, lors de la tertiarisation de la société, les architectes ont en quelque sorte délaissé le marché de la maison individuelle et ont préféré s’impliquer dans d’autres domaines comme le logement collectif et les marchés publics, contrairement aux constructeurs. Il convient maintenant de comprendre comment les constructeurs communiquent avec les potentiels clients pour les convaincre de faire construire leur maison chez eux. Après avoir analysé une vingtaine de sites internet, j’ai pu définir quatre thématiques de communication principales : - Le professionnalisme, la confiance, les engagements - Le sur-mesure, la personnalisation - L’architecture, l’innovation - La famille, le rêve, le symbole Ces quatre axes de communication sont visibles à la fois dans le discours, les phrases d’accroche, et dans les images, les visuels des pages web.
Partie 2. La place de l’architecte dans l’habitat pavillonnaire
1.1. LE PROFESSIONALISME, LA CONFIANCE, LES ENGAGEMENTS
Pour commencer, on peut étudier le langage avec lequel les constructeurs communiquent. En ce qui concerne le professionnalisme, l’expérience se mesure en nombre d’années, en nombre de maisons construites ou encore en nombre de familles ‘’heureuses’’. Il s’agit d’une véritable bataille de slogans. L’expérience est la voie par laquelle la notoriété s’acquiert : ‘’la signature de référence’’. Le but est de se démarquer des concurrents, de montrer pourquoi choisir ce constructeur plutôt qu’un autre. A travers cette communication sur le professionnalisme, les constructeurs cherchent à gagner la confiance de leurs potentiels clients. Cela passe par un vocabulaire presque amical (‘’partenaire’’) ou beaucoup plus explicite (‘’des milliers de familles nous ont fait confiance’’). De plus, l’usage d’un vocabulaire inclusif, c’est-à-dire s’adressant directement au client en l’impliquant, n’est pas anodin. Graphiquement, le constructeur est mis en scène ; on le voit sûr de lui ou encore en train de conclure un contrat. Il est bien habillé, mais pas trop formel, et il sourit : le mot d’ordre est l’accessibilité. Les clients sont montrés souriant, heureux. La communication visuelle est clairement axée sur la confiance. En ce qui concerne les engagements, les deux garanties principalement mises en valeur sont le respect des délais et le respect du budget. La qualité est aussi un engagement important mais tout de même moins mis en avant. Ceci reflète en fait la hiérarchie des préoccupations des clients qui n’ont souvent pas beaucoup de temps, pour qui la somme investie est énorme, et donc qui ne veulent pas avoir de surprises. On retrouve ces préoccupations sur les visuels des sites internet. Le temps, plus le budget donnent une maison, et le concept de maison clés en main est d’ailleurs aussi illustré, comme s’il s’agissait d’une équation. Le client n’a pas d’autres inquiétudes à avoir, c’est le constructeur qui s’occupe de tout, ce qu’on comprend avec le mot ‘’sérénité’’ associé à ces visuels. On comprend alors que le fait d’acquérir la confiance des futurs clients est primordial dans la conception de maisons individuelles.
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L’architecte et l’habitat pavillonnaire
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Partie 2. La place de l’architecte dans l’habitat pavillonnaire
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Visuel tiré du site internet de Maisons Pierre. http://www.maisons-pierre.com/ notre-metier/apropos L’expression corporelle de cet homme démontre de la confiance en soi mais aussi un côté amical. On sent qu’il est sûr de lui et qu’il est capable de gérer un projet.
Visuel tiré du site internet de Maisons d’en Flandre. https://www.maisonsdenflandre. com/ Ici, les raisons pour lesquels choisir ce constructeur sont mises en valeur : l’expérience, le respect, l’accompagnement et l’innovation, le tout accompagné d’un visuel montrant des clients en accord.
Visuel tiré du site internet de Maisons Phénix. https://www.maisons-phenix.com/
Visuel tiré du site internet de Maison Neuve. http://www.groupemaisonneuve.fr/ engagements/ Les deux engagements principaux sont représentés : la maîtrise des délais et du budget.
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L’architecte et l’habitat pavillonnaire
1.2. LE SUR-MESURE, LA PERSONNALISATION Alors que tous les pavillons semblent similaires, l’un des grands axes de communication des constructeurs de maisons individuelles est le sur-mesure. La maison est soi-disant adaptée à la famille, à son mode de vie, à ses besoins, les plans sont modifiables et personnalisables, ‘’dessinés sur-mesure’’ ; la maison est donc unique. Paradoxalement, on choisit sa maison parmi différents ‘’modèles’’ – comme dans un catalogue – que l’on peut rechercher avec un système de filtres (prix, surface, nombre de chambres, etc.). De plus, quand on regarde les plans ou les visuels de ces maisons, la personnalisation est toute relative et se concentre finalement sur les choix de revêtements ou l’aménagement intérieur ; la plus grande partie de la construction reste la même. Il y a donc un contraste entre le discours des constructeurs et la perception que nous avons des pavillons, comme s’ils étaient tous plus ou moins similaires. Bien évidemment, ils sont uniques en un sens car l’intérieur d’un logement n’est en rien semblable à celui d’un autre logement, cependant, le fait d’axer à ce point la communication sur le sur-mesure nous apparaît presque comme de la publicité mensongère. D’autant plus que, généralement, plus on veut personnaliser un modèle de maison, plus le budget augmente. Le sur-mesure n’est donc pas à la portée de tous.
1. Voir l’entretien avec l’architecte Jean-François Espagno.
Ce choix de communication provient probablement du fait que, même si les clients veulent, pour la majorité, une maison ‘’comme tout le monde’’1, ils ne sont pas forcément enclins à l’entendre. On peut prendre pour exemple le cas d’un client du constructeur de maisons préfabriquées Natilia interrogé par un reporter de l’émis-
2. Capital Immobilier : se loger mieux et moins cher, c’est possible ! Reportage de LAPIZE Jessica, Diffusé sur M6 le dimanche 26 février 2017 à 21:00.
sion Capital2 : « même si on est sur du… alors préfabriqué moi j’aime pas ce mot […] bah il correspond pas pour moi à une construction individuelle en tant que telle. Le procédé est industrialisé mais dès qu’on est côté client, je pense que c’est un mot qu’il faut abandonner un peu, à mon avis. […] Je ne me retrouve pas dans le mot préfabriqué. » Interrogé à son tour, le constructeur explique : « Alors dans l’argumentaire, on va pas mettre en avant le mot ‘’préfabriqué’’, par contre le concept industrialisé c’est vraiment un point sur lequel on s’appuie qui nous permet justement de justifier de la qualité du produit. » On comprend bien que le sur-mesure et la personnalisation sont des atouts du discours commercial mais ne sont pas tant factuels.
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L’architecte et l’habitat pavillonnaire
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Visuel tiré du site internet de Maisons Lamotte. https://www.lamot te-maisons-indivi duelles.fr/construc teur-maison-individuelle
On peut trouver sa maison grâce à des sortes de moteurs de recherche qui filtrent les résultats en foncetion de ses préférences.
Série de visuels tirés du site internet de Maisons CPR. http://www.mais o n s - c p r. c o m / maisons/so-cubic/
Visuel tiré du site internet de Maisons MTLF. http://www.mtlf.fr/
On constate que malgré le slogan qui nous fait penser à des maisons complétement modulables, leur caractère personnalisable est tout relatif.
Partie 2. La place de l’architecte dans l’habitat pavillonnaire
1.3. L’ARCHITECTURE, L’INNOVATION En ce qui concerne la qualité des constructions, la communication est axée sur l’architecture et la recherche d’innovations. Le discours des constructeurs porte en quelque sorte sur la démocratisation de l’architecture, en jouant sur le fait que la plupart des gens pense que les architectes sont plus chers et moins accessibles que les constructeurs ; l’architecture serait un luxe réservé à une élite aisée. Leur idée est de faire comprendre aux potentiels clients qu’ils ne sont pas de simples constructeurs de maisons individuelles standardisées et toutes identiques, mais qu’ils proposent un produit de qualité. Il y a toutefois une certaine ambigüité dans le discours qui insinue que les constructeurs feraient de l’architecture, presque mieux que les architectes puisque plus abordable, plus populaire. Ce qui est paradoxal, c’est que pour appuyer leur discours ‘’d’architecture sans architecte’’, les constructeurs mettent en avant la collaboration avec certains architectes qui sont plus relégués à un rôle de conseil mais qui sont tout de même présents. Les architectes sont ici utilisés à des fins commerciales, comme une marque haut de gamme, un gage de qualité, mais aussi comme garant d’une conception personnalisée. Cette utilisation commerciale de l’architecture comme plus-value s’appuie sur l’idée de la maison individuelle en tant qu’objet de valorisation sociale pour ses habitants. En plus de proposer une ‘’qualité architecturale’’, la communication est axée sur l’innovation, la modularité ou encore le respect de l’environnement. Ainsi, même le respect de la norme RT 2012 est utilisé à des fins commerciales, alors même qu’il s’agit d’une simple réglementation thermique. Ce qui pose problème, c’est que la qualité architecturale et la recherche d’innovations en termes d’espace ou de matériaux ne sont pas visibles dans les différents modèles, ce que nous allons voir par la suite.
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Partie 2. La place de l’architecte dans l’habitat pavillonnaire
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Visuel tiré du site internet de Maisons Berval. http://www.maisonsberval.fr/ cercle-berval.aspx
Visuel tiré du site internet de Maisons Buchert. http://www.maisons-buchert.fr/ faire-construire/#section-162
Visuel tiré du site internet de Maison Neuve. http://www.groupemaisonneuve.fr/ La collaboration avec les architectes est mise en avant comme gage de qualité et de personnalisation.
L’innovation et le respect de l’environnement sont aussi repris à des fins commerciales, comme le simple respect de la norme RT 2012.
Visuels tirés du site internet de Maison Neuve. h t t p s : / / w w w. lamotte-maisons-individuelles. fr/qui-sommesnous/services-garanties
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L’architecte et l’habitat pavillonnaire
1.4. LE RÊVE, LA FAMILLE, LE SYMBOLE Les constructeurs communiquent de manière assez impressionnante sur la ‘’maison de rêve’’ synonyme de bonheur familial. Ils exploitent l’idéal que représente la maison individuelle et la propriété dans l’imaginaire collectif, à savoir, un gage de bonheur. Il s’agit d’un symbole de réussite et donc d’un objectif de vie ; ‘’on n’a pas réussi sa vie si on n’est pas propriétaire’’. Le terme ‘’rêve’’ est visible presque dans la totalité des sites internet de constructeurs de maisons individuelles et souvent associé à l’idée de possible ; le constructeur est celui qui va réaliser le ‘’rêve’’. Mais c’est aussi en partie à cause de cette communication que la maison individuelle est idéalisée ; les constructeurs créent en quelque sorte le besoin, le désir, auquel ils vont pouvoir répondre, car les maisons présentées sur les différents sites internet ne font pas tant ‘’rêver’’. Le lien à la famille est aussi clairement exprimé, à la fois dans le discours et surtout graphiquement. Il y a une profusion d’images montrant de jeunes couples, futurs parents, ou bien des familles avec deux jeunes enfants, c’est-à-dire les deux profils typiques de primo-accédant. La clientèle est ciblée, l’accent est porté sur une certaine responsabilité des parents vis-à-vis de leurs enfants ou futurs enfants. Il y a l’idée que de posséder sa maison met sa famille à l’abri ; cette idée de protection joue sur les craintes et les peurs des futurs ou jeunes parents qui ne pensent qu’à la sécurité de leurs enfants. L’idée de changement, de page qui se tourne est aussi présente. La construction d’une maison est à la fois une étape dans la vie d’une famille et aussi tout un projet de vie, surtout quand on pense à l’endettement sur des dizaines d’années qui attend le couple. La communication accentue la solennité de ce moment en s’appuyant sur l’idéologie pavillonnaire. La communication des constructeurs s’appuie en grande partie sur la psychologie de ses potentiels clients, sur ce qu’ils pensent, en citant ce qui est important à leurs yeux à cet instant de leur vie : la famille, la sécurité, le bonheur, en bref, la vie idéale.
Partie 2. La place de l’architecte dans l’habitat pavillonnaire
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L’architecte et l’habitat pavillonnaire
Visuel tiré du site internet de Maisons d’en Flandre. https://www.maisonsdenflandre. com/
Visuels tirés des sites internet de Maisons de Pâris et Simon Habitat. h t t p : / / w w w. m a i sonsdeparis-aisne. fr/constructeur -pavillon-aisne h t t p : / / w w w. s i mon-habitat.fr/
Visuel tiré du site internet de Maisons Babeau-Seguin. h t t p : / / w w w. b a beau-seguin.fr/ construire-sa-maison/
Visuel tiré du site internet de Maisons Phénix. https://www.maisons-phenix.com/ Les cibles des constructeurs sont clairement les jeunes ou futurs parents qui sont donc représentés sur les différents visuels. La famille est montrée heureuse, en plein emménagement ou projection.
Partie 2. La place de l’architecte dans l’habitat pavillonnaire
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En résumé, on peut retenir que la stratégie de communication des constructeurs de maisons individuelles est très travaillée et réellement pensée en s’appuyant sur ce que l’on appelle ‘‘l’idéologie pavillonnaire’’. La maison individuelle est un symbole de réussite sociale, ce qui doit se voir en façade, un cocon dans lequel va évoluer la famille, dans lequel les enfants vont grandir, un lieu de bonheur. C’est en ce sens que l’idée de personnalisation est importante, non pas pour le fait que la maison va être pensée sur-mesure, mais plus pour l’idée que la famille a d’elle-même. La maison doit être à son image, donc unique, même si ce n’est que sur le papier. Les constructeurs ont donc très bien compris ce que les gens attendaient et ils ont su créer une communication dans ce sens. Le problème est que, d’une part, ils participent à entretenir l’idéalisation de la maison individuelle en jouant avec la psychologie des clients, et que, d’autre part, ils entretiennent l’idée que les architectes sont trop chers et non accessible pour la majorité des gens, alors même qu’ils collaborent avec certains d’entre eux. Comme le faisait remarquer Guy Tapie, sociologue de l’habitat et coordinateur du programme Maison individuelle, architecture, urbanité1, « le constructeur fabrique, au-delà du pavillon, une idéologie pavillonnaire, qu’il impose comme rêve national.» (NAMIAS, 2005, p. 26) Toutefois, il est important de ne pas confondre une maison de constructeur conçue en amont en collaboration ou non avec un architecte et une maison conçue en temps réel spécialement pour le client en fonction de sa demande. C’est ce que nous allons développer dans la partie à suivre.
1. Recherche lancée par le Puca en 2005.
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L’architecte et l’habitat pavillonnaire
2. LA PLUS-VALUE DES ARCHITECTES Dans cette partie, nous allons démontrer que l’architecte apporte réellement une plus-value dans la conception de maisons individuelles par rapport aux maisons de constructeurs. Comme expliqué précédemment, il est important de noter que la principale différence entre une maison de constructeur et une maison d’architecte repose sur le fait que, même si elle est conçue avec un architecte, la maison de constructeur est imaginée avant toute interaction avec le client. Les possibili1. Voir l’entretien avec l’architecte Jean-François Espagno.
tés de personnalisation sont donc présentées comme des options, sont limitées et coûtent souvent plus cher que le modèle standard. La maison d’architecte n’est imaginée qu’une fois le contrat signé avec le client1.
2.1. CE QUE PRODUISENT LES CONSTRUCTEURS Cette étude doit se faire à la fois à l’échelle du quartier, de l’opération, et à l’échelle de la maison. Pour cela, je vais m’appuyer sur l’exemple du Hameau de Valbruze à Fondettes, près de Tours, dans le département de l’Indre-et-Loire. Il s’agit d’une opération de promoteur immobilier de 35 maisons individuelles ou jumelées, chacune avec un jardin privatif et un parking ou garage. Si l’on se penche sur le plan masse de l’opération (figure 1), on y voit certaines qualités comme le fait que les maisons soient alignées sur la rue principale, que la plupart des jardins aient une orientation au sud ou qu’il soit prévu un jardin commun à toute l’opération. Cependant, on constate déjà en plan une mauvaise gestion de l’intimité avec probablement un manque de travail sur le vis-à-vis et une certaine promiscuité des différentes maisons. Ce ressenti se confirme si l’on regarde les visuels produits par le promoteur immobilier : les maisons ne sont pas en retrait les unes par rapport aux autres, ce qui pourraient éviter les vis-à-vis et l’intimité du jardin sera seulement gérée par la présence d’une haie en limite séparative du terrain, haie qui ne sera assez haute qu’au bout d’un certain temps et dont la hauteur sera certainement limitée par les règlements d’urbanisme (figure 2). De plus, les visuels proposés nous permettent de constater le style des différentes maisons. Elles sont toutes similaires et de style traditionnel ou ‘’maison de maçon’’ avec les murs à
Partie 2. La place de l’architecte dans l’habitat pavillonnaire
Sur le plan ci-contre, on remarque que la plupart des maisons sont alignées ce qui ne favorise pas l’intimité. Le jardin commun au centre semble être la seule ‘‘innovation’’.
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Figure 1 Hameau de Valbruze à Fondettes 3,1 logements/ha
Figure 2 Hameau de Valbruze à Fondettes. Image tirée du site internet du promoteur BPD Marignan http://www. marignan-imm o b i l i e r. c o m / programmesneufs/36571-lehameau-de-valbruze-37230-fondettes
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L’architecte et l’habitat pavillonnaire
Figure 3 ibid.
Figure 4 ibid.
On remarque le vis-à-vis évident entre les différents jardins, et on constate le style néorégionaliste des maisons : toitures en ardoises, murs en enduit beige, imitation de soubassement et angles en pierres de parement.
Partie 2. La place de l’architecte dans l’habitat pavillonnaire
enduit beige, les parements de pierre d’angle et le toit en ardoise (figures 3 et 4). En ce qui concerne l’implantation des maisons et leur style de façade, il est important de constater le fait qu’il n’existe presque aucune différence avec les quartiers pavillonnaires des années 1980-1990 que nous avons tous en tête. Or, ce projet d’habitat pavillonnaire est prévu pour une livraison en juillet 2018. Les seules différences se trouvent dans la présence d’un petit jardin commun avec jeux pour enfants et d’une légère réflexion sur l’orientation. Il n’y a donc eu que très peu d’évolution de l’offre d’habitat individuel proposée par les constructeurs en presque quarante ans. Mais il s’agit ici d’une opération de promoteur immobilier ; l’innovation dont les constructeurs parlent sur leurs sites internet se trouve peut-être dans l’espace intérieur des maisons qu’ils proposent. Je vais donc prendre pour exemples les maisons d’un des constructeurs communiquant particulièrement sur le thème de l’innovation.
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L’architecte et l’habitat pavillonnaire
J’ai choisi deux exemples significatifs, l’un tiré de la gamme ‘’tendance’’ du constructeur Maisons d’en Flandre (figure 5), et l’autre tiré de sa gamme ‘’traditionnel’’ (figure 6). Les plans de ces deux maisons posent un certain nombre de problèmes spatiaux ; il ne s’agit pas de l’architecture à laquelle nous sommes formés dans les écoles. Premièrement, et dans les deux cas, les salles de bain et sanitaires se situent dans l’entrée. Cet espace est censé être l’espace d’accueil des personnes extérieures à la maison, donc un espace presque public. Or, le fait de devoir le traverser pour l’une des activités les plus intimes, les plus privées, est un non-sens et peu même créer des situations conflictuelles. Ensuite, les chambres donnent toutes directement sur le séjour, ce qui est une bonne chose si l’on veut agrandir son séjour en en supprimant une, mais qui nécessite quelques aménagements afin de préserver l’intimité de chacun. Ici encore, se pose un problème de promiscuité entre un espace ‘’commun’’, le séjour, et un espace ‘’privé’’, la chambre. Dans le premier plan (figure 5), la cuisine n’est pas dessinée et est incluse dans l’espace ‘’pièce de vie’’ ; elle n’a pas d’espace propre. Ce problème est récurrent dans la conception de la plupart des logements d’aujourd’hui qui joue sur la mode de la ‘’cuisine américaine’’ ouverte. Cependant, il y a une différence de fonction entre la cuisine et le séjour : une cuisine peut être sale, mal rangée, elle peut dégager des odeurs et aussi du bruit, alors que le séjour, lieu de réception, se doit d’être ordonné et sans nuisances. Même si la cuisine n’est pas totalement fermée, comme dans le deuxième plan, elle doit être à l’écart du séjour et non incluse dedans ; il s’agit aussi d’une stratégie afin d’économiser des mètres carrés dans le logement. Enfin, ce qui relève moins du problème mais plutôt d’un manque de qualités architecturales, est le fait que toutes les pièces (mis à part le séjour du deuxième logement, figure 6) sont mono orientées et que les ouvertures sont juste disposées au milieu des murs de chaque pièce, sans plus de réflexion. Après avoir étudié la production des constructeurs de maisons individuelles, à la fois à l’échelle du quartier et à l’échelle du logement, on se rend bien compte que les promesses induites par leur communication ne transparaissent pas en plan.
Partie 2. La place de l’architecte dans l’habitat pavillonnaire
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Figure 5 Maison tendance, Maisons d’en Flandre T5 de 98 m²
Figure 6 Maison traditionnelle, Maisons d’en Flandre T4 de 116 m²
Le fait que les constructeurs de maisons individuelles conçoivent la majorité des maisons en France n’est pas le réel problème. Il s’agit plutôt du fait que leur objectif n’est pas de proposer quelque chose d’innovant ou de qualitatif architecturalement parlant, mais principalement de vendre et de faire des contrats ; ce sont des professionnels de l’immobilier ou même des commerciaux1, mais pas des architectes. Ils n’ont pas fait d’études en ce qui concerne la conception de l’espace en lien avec la lumière, la vue, la notion de seuils, etc. Les espaces sont produits dans une optique d’optimisation de l’espace en temes de mètres carrés, pas en termes de qualité, ce qui aboutit à des non sens, comme traverser son entrée pour aller se doucher. Il y a l’idée que ce type de maison est le mieux que l’on puisse avoir avec un budget modeste donc qu’il ne faut pas être trop exigeant, ce qui est faux et ce que nous allons prouver dans la partie suivante ; il s’agit maintenant de montrer que l’architecte apporte réellement un plus à la maison individuelle, pour une même gamme de prix.
1. NUSSAUME, La maison individuelle, Edition du Moniteur, 2006
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L’architecte et l’habitat pavillonnaire
2.2. UNE PLUS-VALUE À L’ÉCHELLE DU QUARTIER
Je tiens à préciser qu’il ne s’agit pas ici de ‘’maisons d’architectes’’ au sens luxueux ou comme on a l’habitude de nous l’apprendre en école d’architecture, mais bien d’opérations de maisons individuelles abordables et destinées à ‘’Monsieur et Madame Tout-lemonde’’ ; elles sont donc comparables en termes d’accès aux produits proposés par les constructeurs.
Nous avons vu précédemment que, dans la plupart des cas, les quartiers pavillonnaires étaient synonymes d’étalement urbain, de paysage uniforme, d’absence de qualités architecturales ou d’absence de vie sociale. Ainsi, la conception architecturale de ces quartiers est un enjeu primordial pour continuer de créer la ville en tenant compte des désirs des habitants, et les acteurs de la ville ne peuvent plus ne pas réagir. Il faut repenser, renouveler et diversifier ces quartiers, trop longtemps abandonnés et laissés aux mains des constructeurs. Différents architectes, élus et aménageurs se sont mobilisés autour de huit opérations proposant des formes urbaines innovantes, rassemblées dans l’ouvrage intitulé « Voisins – voisines, nouvelles formes d’habitat individuel en France », produit en 2006 par arc en rêve, centre d’architecture à Bordeaux et la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, en partenariat avec le Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA). Parmi ces huit opérations, j’ai choisi d’en étudier trois plus particulièrement : - Côté Parc à Tourcoing (59) - Le Domaine de Sérillan à Floirac (33) - Les Jardins de la Pirotterie à Rezé (44). Le choix de ces trois quartiers repose sur le fait qu’ils proposent des exemples de maisons individuelles comme la plupart des Français l’entend, c’est-à-dire indépendantes ou mitoyennes et en lien direct avec le jardin, et qu’ils possèdent un intérêt architectural et urbanistique. D’abord, nous allons étudier ces trois quartiers à l’échelle du territoire, de l’aménagement, ensuite, l’étude portera sur l’échelle du logement.
Partie 2. La place de l’architecte dans l’habitat pavillonnaire
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A. CÔTÉ PARC À TOURCOING Ce quartier étant situé en centre-ville de Tourcoing, la question principale était de savoir s’il était possible de faire de l’habitat individuel dans le centre ; le maître mot était donc la densité. Les parcelles sont étroites et l’implantation des maisons reprend l’esprit des maisons en bande des corons ouvriers du nord de la France (figure 1). En plus de reprendre le modèle local d’architecture, les matériaux choisis sont aussi issus de la région, ce qui permet une bonne intégration de ces maisons dans le paysage de la ville. Il y a un alignement à la rue, la maison n’est pas au milieu du jardin, ce qui crée une sensation de densité, mais un travail de graduation des espaces permet de conserver l’intimité du foyer par rapport à l’espace public. Outre les maisons, un jardin, une aire de jeux pour enfants et une place publique finalisent le quartier en lui donnant cette touche citadine.
Figure 1 Côté Parc Tourcoing 2005 3,6 logements/ha
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L’architecte et l’habitat pavillonnaire
B. LE DOMAINE DE SÉRILLAN À FLOIRAC Le terrain étant en pente, les architectes en charge de développer le plan général ont décidé d’en tirer parti et ainsi d’aménager le quartier en six bandes de maisons (figure 2), une réponse simple mais évidente et respectueuse du site, ancien terrain agricole. De cette façon, les maisons architecturent le paysage. Afin de lutter contre l’éparpillement, la volonté était de densifier, de créer un environnement qui ne soit ni la ville, ni la campagne. Les différents modèles de maisons offrent de la diversité afin de répondre aux attentes de la majorité des gens. On peut noter que l’aménagement des bandes est pensé de manière à éviter les rues en cul-de-sac et que l’orientation au sud est prise en compte. Les maisons sont décalées les unes par rapport aux autres afin de limiter les vis-à-vis. Le tout apparaît comme une partition.
Partie 2. La place de l’architecte dans l’habitat pavillonnaire
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Figure 2 Le Domaine de SĂŠrillan Floirac 2006 2,3 logements/ha
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L’architecte et l’habitat pavillonnaire
C. LES JARDINS DE LA PIROTTERIE À REZÉ 1. ARC EN RÊVE, CENTRE D’ARCHITECTURE, Catalogue de l’exposition ‘‘36 modèles pour une Maison, Ed. Périphériques, 1998.
En 1997, l’association d’architectes PERIPHERIQUES lance un appel d’idées sur le thème ‘’à la recherche de la maison modèle’’ qui va donner lieu à l’exposition ‘’36 modèles pour une Maison’’1. Il s’agissait pour les architectes de créer des prototypes de maisons capables de concurrencer, surtout en terme de prix, les maisons sur catalogue des constructeurs. C’est à Rezé que la recherche va se concrétiser. Un quartier résidentiel et social de cent-soixante-dix maisons classiques et trente maisons expérimentales voit le jour entre 2000 et 2005. Dans ce quartier, l’idée est de tenir compte de la souplesse des tracés naturels et de l’intelligence des anciennes exploitations agricoles. L’implantation des différentes maisons se fait donc dans une sorte de désordre voulu, organique (figure 3). Les maisons ne se sont pas organisées en bandes comme dans les deux exemples précédents. En ce qui concerne les maisons, il s’agit d’une transposition contemporaine du pavillonnaire alentours ; elles sont colorées, de formes variées et faites de matériaux inhabituels en maisons individuelles classiques.
On voit donc que déjà à l’échelle de l’aménagement urbain, ces trois quartiers sont de meilleur qualité que la majorité des quartiers pavillonnaires classiques. Ils offrent plus de diversité de maisons pour s’adapter aux demandes des différents habitants, l’implantation des maisons est liée à l’histoire et au paysage existant, on y trouve une réflexion sur le vis-à-vis et l’orientation, ils proposent tous des jardins collectifs privés, des espaces verts et des chemins intermédiaires qui les relient, tout cela en créant un habitat plus dense.
Partie 2. La place de l’architecte dans l’habitat pavillonnaire
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Figure 3 Les Jardins de la Pirotterie Rezé 2002 2,5 logements/ha
2.3. UNE PLUS-VALUE À L’ÉCHELLE DU LOGEMENT A l’échelle du logement, j’ai choisis d’étudier l’architecture de deux exemples de maison par quartier pavillonnaire que j’ai décidé de classer selon trois thèmes, trois concepts différents qui reprennent l’essence de l’habitat pavillonnaire, de ce que représente la maison individuelle dans l’imaginaire collectif : - La maison-jardin, le jardin étant inséparable du concept de maison individuelle. - La maison-symbole, c’est-à-dire l’image de la maison, ce qu’elle doit représenter. - La maison-module, dans une idée de personnalisation.
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L’architecte et l’habitat pavillonnaire
A. LA MAISON-JARDIN La maison est en deux parties : d’un côté la partie habitable avec les différentes pièces de vies, de l’autre une serre appropriable selon les usages des habitants. Dans la partie logement, le rez-de-chaussée se compose d’une grande cuisine dans laquelle il est possible de manger, et d’un grand séjour largement ouvert sur le jardin. Les trois chambres se situent au premier étage mais l’intimité parentales est préservée car la salle de bain se positionne comme un espace tampon entre les deux chambres des enfants et la chambre du couple (figure 1). En ce qui concerne la serre, elle s’inspire de l’horticulture, permet de faire entrer largement la lumière dans les espaces de vie tout en créant un espace tampon intermédiaire entre les maisons mitoyennes (figure 3). Il s’agit d’un espace polyvalent et appropriable qui préserve l’intimité du logement ; une mezzanine aménageable a été pensé à l’étage des chambres. Cela permet à tous les espaces de vie une double orientation, à la fois sur l’extérieur et sur cette serre. La maison est le jardin fusionne grâce à cet espace.
R+1
L’espace de la serre et traversant de l’espace de la rue à l’espace privé du jardin. Un muret est donc implanté en limite de terrain pour protéger les habitants du regard des passants et aussi pour garantir un certain alignement sur rue qui amplifie la sensation de densité (figure 2).
Figure 1 Maison serre Tourcoing Philippe Dubus architecte T4 de 120 m²
RDC
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Partie 2. La place de l’architecte dans l’habitat pavillonnaire
Figure 2 Photographie de la maison serre à Tourcoing dans « Voisins - voisines » du PUCA et d’arc en rêve centre d’architecture Bordeaux (2006)
Figure 3 Ibid.
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L’architecte et l’habitat pavillonnaire
Les maisons sont jumelées deux par deux, mais afin de préserver toute intimité, elles sont décalées l’une par rapport à l’autre et tournées vers une sorte de patio. C’est par se patio que se fait l’entrée dans le logement, à partir de laquelle il y a une séparation entre espaces de vie commune et espace de vie privée (figure 4). D’un côté on trouve le séjour, largement ouvert sur l’extérieur, et la cuisine séparée mais qui peut s’ouvrir selon les préférences des habitants. De l’autre, une chambre avec sa salle de bain indépendante, idéale pour préserver l’intimité du couple parental vis-à-vis des enfants. A l’étage, on trouve deux chambres et une autre salle de bain. Tous les espaces sont double orienté sur l’extérieur et sur le patio. Dans cette maison, il s’agit d’un entrelacement entre intérieur Figure 4 Maison patio Tourcoing Colomer + Dumont Sanjuan + Villaescusa & Albert architectes T4 de 90 m²
et extérieur. L’utilisation de la brique comme matériau principal reprend les codes de l’architecture de la région. Le fait de l’associer au bois donne une touche de modernité et permet de souligner la géométrie de la maison, dont le porte-à-faux (figures 5 et 6).
RDC
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Partie 2. La place de l’architecte dans l’habitat pavillonnaire
Figure 5 Photographie de la maison patio à Tourcoing dans « Voisins - voisines » du PUCA et d’arc en rêve centre d’architecture Bordeaux (2006)
Figure 6 Ibid.
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Dans cet exemple, il s’agissait de libérer le modèle figé de la maison entourée de son jardin en créant un concept de maison-jardin. Les différentes maisons sont organisées en quinconce afin de limiter les vis-à-vis (figure 8 et 9). On trouve d’abord un cube plein contenant les pièces de vie, puis un cube ouvert, sorte de terrasse aménageable comme une pièce annexe, et enfin le jardin. Cette maison est donc à la fois intime et ouverte sur l’extérieur, justement grâce à cette gradation de l’espace, à cette transition douce entre dehors et dedans, accentuée par la pergola et les voiles qui lui sont associés (figures 8 et 9). Le rez-de-chaussée se compose d’une grande cuisine, d’un séjour entre intérieur et extérieur et d’une chambre parentale avec sa salle de douche. A l’étage, on trouve simplement deux chambre avec une salle de douche commune. Tous les espaces sont largement ouverts sur le jardin orienté sud (figure 7). Ici, le concept de maison-jardin est poussé au maximum car il y a un réel brouillage de la limite entre intérieur et extérieur, même à la lecture du plan.
R+1
Figure 7 Maison jardin Floirac Patrick Hernandez architecte T4 de 80 m²
Quand on regarde le plan du rezde-chaussée, on a du mal à saisir où s’arrête l’intérieur et où commence l’extérieur ; la maison et le jardn ne font presque qu’un.
RDC
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Partie 2. La place de l’architecte dans l’habitat pavillonnaire
Figure 8 Photographie de la maison jardin à Floirac dans « Voisins - voisines » du PUCA et d’arc en rêve centre d’architecture Bordeaux (2006)
Figure 9 Ibid.
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L’architecte et l’habitat pavillonnaire
B. LA MAISON-SYMBOLE Dans cet exemple, la maison est comme un monolithe, comme un plot solide, un château-fort qui, en gardant une emprise au sol minimale, permet la création d’un grand jardin qu’elle surplombe. Il n’y a pas de percement sur la façade nord, mis à part la porte d’entrée, ce qui renforce l’effet de bloc ; Il n’y a pas de place pour les effets, le prisme est enduit de blanc. L’apparence de château-fort est accentué par le choix de la forme des ouvertures, comme des meurtrières (figures 11 et 12). Au rez-de-chaussée, on trouve une cuisine semi-ouverte mais avec la possibilité de la fermer, et un grand séjour largement ouvert sur le jardin. Les quatre chambres sont réparties sur les deux niveaux supérieurs avec une salle de bain commune et de grands espaces de rangement. Afin de préserver l’intimité des parents, l’une des chambres est transformable en bureau attenant (figure 10). Cette maison existe d’ailleurs en version T4 avec une très grande chambre et deux plus petites. Toutes les pièces de vie bénéficient d’un cadrage sur le jardin et ont au moins deux ouvertures. Ce projet reprend l’image emblématique de la maison, solide, pérenne et fonctionnelle.
Figure 10 Maison monolithe Floirac Xavier Leibar et Jean-Marie Seigneurin architectes T5 de 110 m²
RDC
R+1
R+2
Partie 2. La place de l’architecte dans l’habitat pavillonnaire
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Figure 11 Photographie de la maison monolithe à Floirac dans « Voisins - voisines » du PUCA et d’arc en rêve centre d’architecture Bordeaux (2006)
Figure 12 Ibid.
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L’architecte et l’habitat pavillonnaire
Cet exemple est une réinterprétation de l’image traditionnelle de la maison comme « archétype à quatre murs et chapeau pentu que l’imaginaire collectif véhicule comme un absolu » pour mieux l’inscrire dans la modernité. La forme traditionnelle de la maison est reprise mais de manière monolithique, en une seule partie. Il n’y a pas de différenciation des matériaux entre les murs et la toiture, pas de gouttière ou de cheminée qui dépasse, le tout est un seul volume (figures 14 et 15). Au rez-de-chaussée, on trouve un garage, une cuisine séparée ouvert mais que l’on peut fermer et un vaste séjour qui bénéficie d’un grand volume en double-hauteur, le tout ouvert sur le jardin. A l’étage, on trouve trois chambres dont l’une est plus à l’écart des autres, car séparée par la salle de bain, toujours dans l’idée de préserver l’intimité des parents (figure 13). Cette maison se présente comme un continuum entre passé et présent en s’inspirant de la forme symbolique du pavillon mais en le réinterprétant de manière contemporaine.
R+1
Figure 13 Maison icône Rezé Jumeau + Paillard architectes T4 de 80 m²
Toiture
RDC
Partie 2. La place de l’architecte dans l’habitat pavillonnaire
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Figure 14 Photographie de la maison icône à Rezé dans « Voisins - voisines » du PUCA et d’arc en rêve centre d’architecture Bordeaux (2006)
Figure 15 Ibid.
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L’architecte et l’habitat pavillonnaire
C. LA MAISON-MODULE Lors de l’exposition ‘’36 modèles pour une Maison’’, les architectes avaient proposé la M’house, une maison à la carte dans laquelle les modules se combinent selon la composition et les désirs du foyer. La maison est extensible ou réductible selon trois axes : longueur, largeur, hauteur. A Rezé, pour la concrétisation du projet, la maison devient la B’house du fait de l’utilisation du bois comme matériau de façade. La maison a une apparence particulière et non conventionnelle (figures 18 et 19) mais du fait de sa faible largeur, elle peut répondre à un certain nombre de questions sur la densification de parcelles étroites par exemple. Au rez-de-chaussée, on trouve un garage, une cuisine séparée avec possibilité de fermeture, un grand séjour, puis un escalier qui, comme un espace tampon, sépare le coin nuit du reste de la maison. Cet espace privé est composé d’une chambre parentale et d’une salle de bain et, à l’étage, de deux chambres (figure 17). L’organisation est simple mais efficace car elle permet de respecter les différentes espaces de vie. Les maîtres mots de cette maison sont la modularité, l’industrialisation et la simplicité du système constructif.
Figure 17 Maison module Rezé Actar Architectura T4 de 82 m² RDC
R+1
Toiture
Partie 2. La place de l’architecte dans l’habitat pavillonnaire
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Figure 18 Photographie de la maison module à Rezé dans « Voisins - voisines » du PUCA et d’arc en rêve centre d’architecture Bordeaux (2006)
Figure 19 Ibid.
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L’architecte et l’habitat pavillonnaire
Nous avons vu que, d’une part, l’organisation urbaine et l’implantation des maisons à l’échelle du quartier était de meilleure qualité que les opérations de promoteurs immobiliers et que, d’autre part, les logements eux-mêmes étaient aussi mieux conçus, mieux pensés que les maisons de constructeurs, et ce pour des dimensions comparables, voire même plus modestes. En effet, les logements sont mieux organisés dans les relations entre espaces de vie commune et espaces privés, les cuisines sont dessinées comme des pièces à part entière, les chambres parentales sont isolées des autres chambres, les volumes sont réfléchis dans les trois dimensions, les ouvertures sont mieux traitées, plus riches et mieux disposées et il y a toujours une relation entre la maison et l’extérieur. On pourrait penser que cette qualité architecturale n’est possible qu’au dépend du budget, or, si l’on prend par exemple la maison archétype de Jumeau et Paillard ou la maison module de Actar Architectura, on se rend compte que les prix correspondent environ à ceux pratiqués par les constructeurs. - Archétype : environ 98 000 € - Module : environ 101 000 €
1. Selon JeanFrançois Espagno, architecte DPLG, la marge d’un constructeur se situe aux alentours de 30% tandis que celle d’un architecte se situe plus entre 12 et 14%.
Ceci peut s’expliquer d’une part par le pourcentage de rémunération de l’architecte qui se trouve être moins important que celui des constructeurs pour le même travail fourni1, et d’autre part, grâce à une économie de moyens dans la construction, au choix des matériaux et aussi grâce à la simplicité des dispositifs mis en place. Il faut tout de même noter que la plupart des logements d’architectes présentés précédemment ne sont pas accessibles aux personnes à mobilité réduite, mais que la mise aux normes de ces logements ne changerait pas fondamentalement l’espace habitable qui conserverait donc sa valeur. Ainsi, l’architecte apporte une plus-value à l’habitat individuel que ce soit à l’échelle du quartier ou à celle du logement. Il propose une réelle réflexion qui tient compte d’une part du côté symbolique de la maison individuelle, et d’autre part, des préoccupations actuelles de la société, comme le développement durable, l’évolution de la configuration des ménages, l’évolution du monde du travail. Son objectif n’est pas de répéter un modèle dépassé mais de concevoir la maison du XXIème siècle.
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3. LA POSTURE DE L’ARCHITECTE
Nous avons vu précédemment en partie pourquoi les particuliers se tournaient vers les constructeurs de maisons individuelles, mais que font les architectes en réponse à ce phénomène ? Quel est leur positionnement ? Jean-François Espagno est architecte DPLG depuis 1979. Durant sa carrière, il se focalise sur le marché de la maison individuelle pour les particuliers. Dans les années 1980, après avoir été diplômé, il devient constructeur de maisons individuelles, suit une formation de démarche commerciale et rejoint l’association des Architecteurs1. Au bout de 4 ans, durant lesquels il a eu l’impression de « perdre son âme », il prend conscience que s’il réussit à conclure des contrats avec des particuliers, ce n’est pas parce qu’il est constructeur mais bien parce qu’il applique une démarche commerciale. Il arrête donc sa société de construction pour redevenir architectes, mais avec une démarche commerciale appliquée à l’architecte libéral. En 1992, suite à la demande du GEPA, organisme de formation des architectes, il crée sa propre formation. Puis, par la suite, il crée l’association des Architectes d’Aujourd’hui dont la vocation est de proposer des outils pour les architectes libéraux dans le but de développer le marché des particuliers. La question de la place de l’architecte dans la maison individuelle est donc fondamentale pour lui. J’ai analysé l’entretien avec M. Espagno selon trois thèmes principaux : - L’intérêt du marché de la maison individuelle et les différences dans la pratique - Les relations avec les différents acteurs de l’habitat individuel - La conception du logement et sa politique
1. Il s’agit de la plus grande société française d’architectes contractants généraux. Elle naît en 1981 dans l’esprit d’architectes désireux de se rassembler pour organiser une offensive face à l’essor des constructeurs de maisons individuelles (SAINTPIERRE, 2015, p.40)
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3.1. L’INTÉRÊT DU MARCHÉ DE LA MAISON INDIVIDUELLE ET LES DIFFÉRENCES DANS LA PRATIQUE
L’intérêt de Jean-François Espagno pour la maison individuelle est assez ambigu. En effet, la première chose qu’il me répond quand je lui demande les raisons pour lesquelles il a choisi cette voie est le fait que la maison individuelle permette une plus grande sécurité en termes de régularité des commandes et donc financièrement. Pour lui, le marché de la maison individuelle s’oppose radicalement aux marchés publics sur ce point. Il permet de se créer une clientèle qui va fonctionner entre autre grâce au bouche-à-oreille, comme un petit commerce, ce qui assure la pérennité de l’agence.
« Je voulais multiplier les clients, les petits clients, pour avoir une certaine pérennité de mon agence. Et donc je me suis dit, ben euh je vais je vais faire de la maison individuelle, je vais faire 5, 6 maisons individuelles par an. » L’architecte a fait ses calculs, avec quatre maisons par an, il sait qu’il s’assure un salaire correct qui lui permet de vivre aisément, ces quatre maisons étant facilement réalisables sur une année. Les entrées d’argent sont ainsi régulières et maîtrisées. On en comprend l’intérêt si l’on compare avec les agences d’architecture s’engageant dans des concours qu’elles ne sont pas sûres de gagner, ou remportant un marché public, puis plus rien pendant des années. Le choix du marché de la maison individuelle apparaît donc comme une stratégie pour s’assurer un avenir viable au sein d’une profession fortement marquée par la concurrence.
« [Une maison à] 200 000 euros, si on traite ça à 14-15%, ça fait pas loin de 30 000 euros d’honoraires, euh entre 25 et 30 000. Il suffit de faire euh 3-4 maisons par an pour en vivre. » Cependant, au fil de l’entretien, je me suis rendue compte que le choix de s’intéresser au marché de la maison individuelle n’était pas que financier, mais beaucoup plus politique. Si l’architecte a fait le choix de l’habitat individuel, c’est surtout pour en quelque sorte lutter contre le néo régionalisme qui sévit partout sur notre territoire. Il s’agit d’une tendance qui a débuté dans les années 1960-1970 qui consiste en l’imitation d’un style ancien, rustique, mais avec des matériaux contemporains et
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qui est pratiquée par presque la totalité des constructeurs de maisons individuelles. Déjà dans les années 1980, il se pose la question des raisons pour lesquelles le marché de la maison individuelle échappe aux architectes et décide finalement d’en faire son combat durant sa carrière. Cette remise en question de l’architecte face à ce marché est la première étape pour une compréhension du problème.
« Et je trouve totalement anormal que ce marché nous échappe à 90 – 95%. Les architectes, ils sont pas présents. Par exemple, les architectes ne font que 4% des maisons individuelles, 96% des maisons individuelles nous échappent. […] Moi je vis ça comme un grave échec d’une profession. » « On devrait faire 99,9% des projets ! » Ainsi, même si le fait de concevoir des maisons individuelles a l’avantage d’être une pratique plus sécurisée, ce choix repose sur la conviction que l’architecte a une plus-value à apporter à ce marché et sur la volonté de changer les choses, de faire évoluer un marché qui demeure aujourd’hui sensiblement le même qu’il y a une cinquantaine d’années. En ce qui concerne les particularités dans la pratique du métier, Jean-François Espagno n’en voit qu’une mais d’importance primordiale : l’utilisation d’une démarche commerciale. En effet, pour réussir sur le marché de la maison individuelle, il faut savoir se créer une clientèle et donc savoir comment instaurer une relation client. Il s’agit d’un travail psychologique et presque sociologique puisqu’il faut s’attacher à comprendre ce que veulent les clients, les raisons pour lesquelles ils vont faire construire, leurs priorités. Le but est de gagner leur confiance, de les persuader de signer le contrat avec soi-même plutôt qu’avec un autre architecte ou un constructeur de maisons individuelles. Il faut leur faire sentir que l’architecte est un maître d’œuvre qui travaille dans leur intérêt et non pas dans le sien, ce qui diffère des constructeurs. Pour l’architecte, cette démarche commerciale est indispensable, c’est pourquoi il en a fait une formation.
« Avoir des clients, pour un professionnel, c’est quand même important, c’est là que tout commence. [...] on est soumis à concurrence, on a qu’un monopole sur les permis de construire, sauf justement ceux qui font moins de 150 m² pour les particuliers, c’est-à-dire que la majorité des permis de construire déjà nous échappent. Soumis à concurrence donc qui veut dire avoir une démarche commerciale. »
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Autrement, il n’y a pas d’autres différences, il n’y a pas besoin d’innover particulièrement pour rentrer dans un budget modeste, pas besoin de se restreindre dans les qualités architecturales. Le but est de faire le mieux possible pour le budget donné, comme dans n’importe quelle commande. L’architecte, contrairement aux idées reçues, n’est pas plus cher qu’un constructeur. En effet, pour des maisons équivalentes, l’architecte sera même moins cher car les marges appliquées sont de l’ordre de deux fois inférieures.
« C’est normal hein, un architecte qui cherche des bons artisans pas chers il arrive à des prix imbattables, puisque le constructeur il va partir du même prix ou un peu moins, m’enfin et lui il va appliquer 30%, et nous on va appliquer 14%. Evidemment, on part avec un telle avance qu’on ne peut pas être battu. » L’architecte spécialisé dans l’habitat individuel est donc un architecte comme les autres, si ce n’est qu’il lui faut une démarche commerciale supplémentaire du fait qu’il soit en contact direct avec ses clients.
3.2. LES RELATIONS AVEC LES DIFFÉRENTS ACTEURS DE L’HABITAT INDIVIDUEL Il existe une relation ambigüe entre les architectes et les particuliers, faite d’idées reçues, de préjugés. D’une part, les particuliers ont tendance à penser qu’une maison d’architecte va leur coûter plus cher ou que leur budget n’est pas suffisant pour avoir recours à un architecte. Ceci est une idée reçue qui ne représente pas la réalité du marché et qui est surtout véhiculée par les constructeurs de maisons individuelles. Mais le problème vient aussi et surtout du côté des architectes. En effet, ces derniers ont tendance à se positionner d’emblée sur du haut de gamme, car ils n’ont pas l’habitude de traiter des commandes de ‘’seulement’’ 150 000 euros par exemple. Ainsi, le préjugé des particuliers envers les architectes est aussi en partie dû au genre de mépris que les architectes ont envers les particuliers, ce ‘’mépris’’ provenant en fait d’un manque de pratique.
« Je pense qu’il y a beaucoup plus de préjugés chez les architectes envers la clientèle des particuliers que l’inverse. »
Partie 2. La place de l’architecte dans l’habitat pavillonnaire
De plus, il est important de noter que malgré cela, les architectes ont une bonne image auprès des particuliers qui aimeraient pouvoir faire appel à un architecte mais s’autocensurent, pensant que leur budget est trop faible. Seulement ces qualités ne sont pas celles mises en valeur par les architectes, euxmêmes ne sachant pas ce qu’attendent réellement les particuliers. En effet, ils ont tendance à penser que les clients recherchent du sur-mesure, une maison personnalisée, unique, originale, différente, alors que la plupart des gens veut ‘’comme tout le monde’’.
« Il y a très très peu de clients qui veulent de l’originalité et du sur-mesure, c’est à peu près les gens qui vont voir les architectes, c’est tout, mais on est à moins de 10%. La plupart des gens veulent ‘’comme tout le monde’’. […] Les gens ils sont HYPER conventionnels ! Donc leur dire ‘’vous aurez pas la maison de tout le monde’’, ça les fait fuir. Ça les architectes ils ne le comprennent pas parce que justement ils ne s’intéressent pas à la psychologie des particuliers. » On constate qu’il y a donc un manque évident de communication entre les architectes et les particuliers, comme s’ils évoluaient dans deux mondes différents, ce qui participe au désintérêt des architectes de ce marché. Entre les architectes et les constructeurs, ce n’est pas la communication qui pose problème mais la concurrence. En effet, selon Jean-François Espagno, les architectes maîtres d’œuvre devraient être les seuls à concevoir et construire des maisons car ils sont indépendants et travaillent dans l’intérêt du client. La cohabitation ou collaboration semble ainsi impossible car les intérêts des uns et des autres diffèrent sur le principe même du métier.
« Ce rôle de conseil indépendant est indispensable. Comme pour se soigner il faut un médecin et pas un marchand de médicament, pas un laboratoire pharmaceutique, il faut un médecin indépendant, comme pour se défendre dans un procès il faut un avocat indépendant, etcetera, etcetera. » Pour l’architecte, le problème provient principalement du contrat de construction de maison individuelle (CCMI) qui est dangereux pour le client et en quelque sorte mensonger car la maison y est présentée comme un bien quelconque dont on attend la livraison sans avoir son mot à dire. Mais aussi du fait que les constructeurs
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proposent des maisons avec moins de qualités et moins bien conçues que les architectes indépendants, surtout pour ceux qui pratiquent le néo-régionalisme.
« Non non non non, faut que ça disparaisse les constructeurs, alors pas en tant que personnes physiques, mais le contrat de construction de maisons individuelles ne devrait pas exister, c’est une aberration. » En ce qui concerne les relations entre les architectes et les pouvoirs publics, notamment les mairies, il y a une sorte de décalage. En effet, la plupart des règlements d’urbanisme des villes, les PLU, incite à la construction de maisons de style néo-régional qui s’intègrent soi-disant mieux dans le paysage que les ‘’maisons d’architecte’’. Ce genre de règlement ne permet pas l’innovation et participe à l’uniformisation du territoire ; toutes les maisons se ressemblent. C’est ainsi qu’on en arrive au paradoxe, illustré avec humour par Martin Etienne (figure 1), que la maison d’architecte est si rare qu’elle dénote dans le paysage. Mais d’un autre côté, les communes sont souvent ravies d’accueillir des projets d’architectes lorsqu’il s’agit d’équipements publics par exemple. Ce décalage repose sur un manque d’éducation, un manque de culture de l’architecture. En effet, les personnes décisionnaires dans les pouvoirs publics sont, tout d’abord des particuliers, et si l’on en revient au paragraphe sur les relations entre architectes et particuliers, on se souvient que les liens sont presque inexistants entre les deux mondes ; il est donc normal qu’un maire, qu’un élu, n’ait pas la culture du recours à l’architecte et que ce manque se transmette dans la législation.
« C’est un drame, d’abord parce qu’on a massacré notre environnement, ensuite parce qu’on a massacré la la la culture collective de l’architecture et on a empêché un tas de grandes architectures de qualité d’émerger, justement avec ce néo régionalisme. » On commence à comprendre pourquoi le marché de la maison individuelle a si peu changé en une cinquantaine d’année : il y a un décalage, des incompréhensions, et un manque de communication entre les différents acteurs du territoire comme si la discipline architecturale était cloisonnée. Mais cela ne s’arrête pas là, car au sein même de la communauté d’architectes, le choix du marché de la maison individuelle fait débat et divise la profession. Le ‘’mépris’’ de la part des architectes envers les particuliers se transfère vers les
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Figure 1 Dessin de Martin Etienne en page 7 du D’Architectures n°237 (2015).
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architectes qui ont fait le choix de l’habitat individuel. En effet, l’architecture de maison individuelle est presque considérée comme un sous genre par une partie de la communauté d’architectes, comme s’il y avait une architecture gratifiante, celle des marchés publics, des grosses commandes, en opposition à une architecture plus simple, moins gratifiante, celle des maisons individuelles. Concevoir des maisons individuelles, traiter avec des particuliers est mal vu, presque stigmatisé par certains architectes.
« Alors il y a des architectes qui me disent, qui me traitent de ‘’pommé’’ parce que je m’intéresse aux particuliers et que… de ‘’raté’’ quoi, comme si j’étais un raté parce que je ne fais pas de marchés publics. » Concernant l’expérience de Jean-François Espagno, la critique de sa pratique porte principalement sur l’utilisation d’une démarche commerciale et le fait qu’il soit directement en relation avec le client. Pour certains architectes, la démarche commerciale n’est pas compatible avec l’architecture car ils imaginent que le commercial est forcément un escroc. On comprend d’où vient cette idée si l’on se réfère à l’analyse de la communication des constructeurs de maisons individuelles faite précédemment ; il y a une sorte d’amalgame entre l’idée de démarche commerciale et celle de promesses non tenues, de mensonge, de tromperie. Selon les détracteurs, le fait d’être en relation directe avec le client n’est pas considéré comme quelque chose de naturel pour un architecte qui devrait avoir un intermédiaire dont le rôle serait plus commercial.
« ‘‘[...] mais nous on est absolument incapable d’avoir un client personnel’’. » « Alors il y a des architectes qui m’ont ouvertement… agressés (rire) parce qu’ils disaient qu’ils ne supportaient pas qu’un architecte utilise le mot commercial. Je me rappelle d’un architecte qui était d’ailleurs un architecte des bâtiments de France qui me disait ‘’je ne peux pas tolérer qu’un architecte… le mot commercial dans la bouche d’un architecte’’ » On voit donc qu’il y a une sorte de clivage au sein de la profession entre les architectes de marchés publics ou de grosses commandes et architectes de maisons individuelles, presque considérés comme une pratique inférieure par ses détracteurs.
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3.3. LA CONCEPTION DU LOGEMENT ET SA POLITIQUE En ce qui concerne la politique du logement, nous avons vu que l’un des problèmes pour Jean-François Espagno était le fait que, de par leurs règlements d’urbanisme, les pouvoirs publics incitaient en quelque sorte le particulier à faire le choix du constructeur de maisons pavillonnaires qui produit majoritairement des maisons de style néo-régional, ce qui a pour conséquence l’uniformisation du territoire. Il faudrait donc repenser ces règlementations afin de permettre plus d’innovations, des constructions mieux intégrées dans leur territoire, plus durables, plus écologiques, bioclimatiques, des constructions en phase avec les problématiques du XXIème siècle.
« Mais normalement actuellement en 2018, on devrait faire des maisons mais… on peut pas imaginer comment ça devrait être. Des maisons textiles, des maisons euh… il devrait y avoir des chauffages solaires partout. […] On devrait faire des maisons entièrement végétalisées, enfin on peut pas imaginer ce que ça devrait être notre environnement. » Un autre des problèmes pointés par l’architecte est le manque de communication sur l’architecture, sur la profession d’architecte, sur son rôle dans l’aménagement du territoire. L’architecture ne doit pas être un domaine cloisonné et seulement réservé à une élite, elle doit être la préoccupation de tous car elle concerne tout le monde. L’architecte doit être démystifié et enfin entrer dans la culture française. Il y a donc un travail de diffusion, de pédagogie à faire à l’attention des particuliers pour qu’à terme, il soit aussi naturel de se tourner vers un architecte quand on veut faire construire sa maison que d’aller voir un docteur lorsque l’on est malade ; il s’agit d’en faire une habitude, une norme.
« On peut pas obliger les gens à prendre un médecin, ou on peut pas obliger les gens à prendre un avocat. Ils le font tous à 99,5%. Mais il faut montrer, mettre en valeur et répondre à un besoin de la part du professionnel, il faut commencer par ça. » La pédagogie doit aussi se faire du côté des architectes, dès l’école d’architecture. En effet, la formation ne doit pas être uniquement axée sur l’architecture de concours, mais doit aussi permettre aux étudiants de trouver leur voie parmi les multiples façons de pratiquer la profession, incluant la maîtrise d’œuvre auprès de particuliers, et ce sans jugement de valeur.
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« Je regrette énormément que dans les études d’architecte, je présume qu’on ne vous a pas parlé de démarches commerciales envers les particuliers. » L’engagement politique de Jean-François Espagno se retrouve dans son association. Il est convaincu de la place de l’architecte dans le domaine de l’habitat individuel, même s’il semble à contre-courant d’une autre tendance, et a ainsi fait un gros travail d’analyse afin de définir les raisons qui, selon lui, expliquent le fait que les particuliers ne se tournent pas vers les architectes. Il a défini quatre, voire cinq blocages. Le premier blocage serait dû au fait que les architectes ne s’engagent pas sur un prix, le deuxième blocage viendrait du fait que les architectes n’ont pas de démarche commerciale, qu’ils ne savent pas comment instaurer une relation client, le troisième blocage serait qu’il parait très compliqué d’avoir recours à un architecte, le quatrième blocage serait dû à l’invisibilité des architectes qui n’ont, pour la plupart, pas de vitrine par exemple. De plus, si l’on tape ‘‘maison individuelle’’ sur Google, six résultats sur dix sur la première page concernent des constructeurs de maisons individuelles et le reste, des sites d’immobilier. Enfin, le cinquième blocage sur lequel il est en train de travailler serait le manque de sécurité apparente du contrat d’architecte comparé au CCMI. Le but de son association est de lever ces différents blocages, en simplifiant les démarches, en communicant, en donnant de la sécurité via des engagements, à la manière des constructeurs. Le point de vue de cet architecte, bien que singulier, est intéressant du fait de son parcours, d’abord constructeur de maisons individuelles, puis architecte, puis engagé dans une sorte de combat dans le but de changer les mentalités des gens à propos de la place de l’architecte dans l’habitat individuel commun, autrement dit, dans l’habitat ‘’pavillonnaire’’. On se rend compte qu’une partie des architectes n’est pas d’accord avec cette démarche et avec le fait que l’architecte ait un rôle à jouer auprès des particuliers désireux de maisons individuelles, qui ne représentent pas l’avenir de l’architecture à leurs yeux. La question fait débat au sein de la profession mais d’après l’Ordre des Architectes, en 2015, le logement individuel isolé représente 50 % de la commande pour les architectes dans le logement, c’est-à-dire qu’une opération de logement sur deux est un chantier de maison individuelle isolée et qu’un chantier sur trois porte sur du logement collectif privé. Le marché de la maison individuelle concerne donc plus d’architecte que la communication de ses détracteurs ne le laisse penser. L’architecte a une responsabilité et donc réellement un rôle à jouer dans la conception de l’habitat individuel, rôle qu’il est prêt à défendre.
Partie 2. La place de l’architecte dans l’habitat pavillonnaire
Pour résumer cette deuxième partie, on peut retenir deux idées principales. D’une part, les constructeurs de maisons individuelles ont une communication basée sur l’idéologie pavillonnaire, mais ils ne produisent pas de logements avec de réelles qualités architecturales. D’autre part, les architectes apportent bien une plus-value à l’habitat individuel, mais ils ne savent pas communiquer, ni avec les particuliers, ni avec les acteurs du territoire. Or, les architectes ne conçoivent que 6 à 8 % des maisons individuelles en France, contrairement aux constructeurs qui en produisent environ 60 %. Si les constructeurs conçoivent plus de maisons individuelles que les architectes, ce n’est pas tant du fait de la qualité des logements qu’ils proposent, mais parce qu’ils ont une démarche commerciale. A l’inverse, les architectes ne peuvent pas se reposer uniquement sur le fait qu’ils produisent des logements de qualité sans communiquer sur ce fait, sans diffuser cette idée ; ils ont donc besoin d’une démarche commerciale. Ainsi, plutôt que de censurer, de repousser le côté commercial de l’architecte, la profession doit lutter contre les clichés qui entoure cette notion. En effet, le fondement de toute entreprise qui veut assurer sa survie économique repose sur le fait d’obtenir des clients, ce qui s’applique aussi à l’architecte libéral ; c’est l’objectif de ce que l’on appelle la prospection commerciale. Cela consiste simplement à rechercher de nouveaux clients susceptibles d’être intéressés par les services de l’entreprise, ou de l’architecte en l’occurrence. Il ne s’agit ni d’escroquer le client, ni de lui mentir, seulement de trouver son éventuelle clientèle. L’utilisation d’une démarche commerciale n’est donc pas incompatible avec l’architecture, elle s’avère même prendre le forme d’un début de solution pour que les architectes retrouve une place sur le marché de la maison individuelle.
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CONCLUSION
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L’habitat individuel est aujourd’hui qualifié de non durable. L’étalement périurbain qui lui est associé ainsi que la création de quartiers d’habitation standardisés ont des conséquences qui pèsent sur l’environnement et la qualité de vie : perte d’identité des paysages urbains et ruraux, éloignement des habitations des services et des centres-villes, consommation irresponsable de terrains naturels et agricoles, ou banalisation du cadre de vie. Parallèlement à ces observations, la part des Français désirant accéder à l’habitat individuel n’a jamais été aussi importante et représente plus des trois quarts de la population. C’est au centre de cette situation paradoxale que se situent aujourd’hui les architectes. Accusés de s’être longtemps désintéressée de la maison individuelle au profit d’opérations plus rémunératrices, une partie d’entre eux tente aujourd’hui de réinvestir le marché. En effet, face à ces constats, deux postures sont envisageables pour l’architecte. La première posture consiste à prendre pour acquis que la maison individuelle ne permet pas la densité, qu’elle n’est pas un modèle durable, ni un modèle d’avenir, et ainsi d’axer toute la production de logements sur l’habitat collectif ou semi collectif, sans prendre en compte le désir des particuliers pour l’habitat individuel en considérant que l’architecte a un rôle d’éducation envers la société. Dans ce cas, le rôle de l’architecte serait d’innover en matière d’habitat collectif afin de le rendre désirable pour l’ensemble de la population en essayant d’y transposer les qualités de l’habitat individuel. La deuxième posture, consiste à ne pas refuser la maison individuelle comme possible mode d’habitat contemporain et futur, et à prendre en compte le désir de la majorité des Français. Il s’agit de réinventer le modèle de la maison individuelle et de l’adapter à la société actuelle et future en alliant la demande des particuliers d’un côté et le respect de l’environnement de l’autre. Dans ce cas, il s’agit de la responsabilité des architectes de ne pas se contenter de ce qui existe déjà, de ce qui se construit déjà, mais de trouver des solution innovantes, inédites dans le but de renouveler ce modèle aujourd’hui encore figé.
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Ce mémoire pose la question de la place de l’architecte dans la conception de l’habitat pavillonnaire. L’architecte n’a pas une place, un rôle, mais plusieurs. Il a tout d’abord le rôle du concepteur, du chercheur. C’est à l’architecte de questionner le sujet, de repenser la pratique. En effet, du fait de la multiplicité des facteurs à l’origine du modèle de la maison individuelle, il est important de se poser les bonnes questions sur le mode de production de ce type d’habitat et de ne pas se laisser tromper par l’apparence banale de la maison qui est en fait un objet complexe, loin d’être simpliste. Il y a un grand besoin de repenser le lotissement et la maison individuelle pour l’adapter au XXIème siècle car si la maison dans sa forme actuelle ne peut pas perdurer, la réinventer est une solution. L’architecte doit prouver sa capacité à concevoir l’habitat individuel en y intégrant mieux que les autres les dispositifs écologiques, constructifs ou techniques contemporains. D’autre part, la profession doit apprendre à réécouter ceux pour lesquels elle construit, sans prétendre rééduquer les gens, simplement en montrant humblement que le patrimoine et la famille peuvent aller de pair avec un environnement de qualité ; il est de la responsabilité de l’architecte de traduire spatialement les besoins d’une famille d’aujourd’hui tout en tenant compte du territoire et du développement durable. L’architecte a aussi un rôle à jouer dans la démocratisation et la démystification de sa profession. En effet, plusieurs expériences ont montré que les Français, pourtant friands d’innovations dans la vie quotidienne se montrent beaucoup plus frileux lorsqu’il s’agit de l’habitat ; il est difficile de s’éloigner des modèles rendus familiers par les constructeurs de maisons individuelles durant des années. Ceci est principalement dû au fait qu’il y a, comme nous l’avons vu précédemment, un manque de communication entre architectes et particuliers qui, de ce fait, ont chacun des préjugés les uns envers les autres, ce qui nuit à la profession. Les habitants sont trop peu sensibles et sensibilisés à l’architecture et ils appréhendent difficilement la notion de qualité architecturale. Ce qu’ils recherchent pourtant dans leur logement, comme la lumière, le volume, l’espace ou la modularité, consiste en des qualités architecturales. L’un des rôles de l’architecte est donc de rétablir une image positive de sa profession en sensibilisant les particuliers et plus largement la société à la pratique architecturale, en montrant le travail réel de l’architecte dont son rôle primordial de conseil, c’est-à-dire en libérant le métier de son image haut-de-gamme et extraordinaire. Dans ce sens, l’Ordre des Architectes soutient chaque année les
Conclusion
‘’Journées d’Architectures A Vivre’’ organisées par A Vivre Edition, dont le but est de promouvoir l’architecture de qualité et de souligner le rôle essentiel de l’architecte en matière d’habitat. De plus, des émissions de télévision contribuent à faire connaître le métier mais dans un registre qui reste trop dans l’exceptionnel et dans lequel la plupart des particuliers ne se reconnait pas. L’objectif est de promouvoir l’architecture accessible à tous. En effet, selon François Rouanet, vice-président du Conseil national de l’Ordre des architectes, « il faut que les architectes soient plus attentifs aux conditions économiques de production afin que tout le monde puisse comprendre que l’architecture n’est pas un luxe » (SAINT-PIERRE, 2015, p.40). Le dernier rôle du ressort de l’architecte est d’ouvrir un dialogue au sein de la profession afin de faire évoluer un débat qui demeure figé par des idées reçues et des préjugés pour faire évoluer les mentalités. Les architectes, qu’ils fassent du marché public, de la commande privée ou de la maison individuelle doivent pouvoir s’entendre et mettre en commun leurs compétences ; l’émulation doit remplacer la concurrence vers une intelligence collective. Le dialogue ne doit pas se limiter aux frontières de la profession mais doit aussi concerner les étudiants en architecture, futurs praticiens. En effet, si les architectes professeurs ne connaissent pas le marché de la maison individuelle, ils ne vont pas pouvoir le transmettre aux étudiants. Si le marché de la maison individuelle représente la moitié de la commande annuelle en logements en France, il est important de préparer les étudiants en architecture à répondre aux demandes du secteur. Ces sujets, aujourd’hui peu ou pas abordés dans les écoles d’architecture, doivent avoir une place dans la formation à travers les intervenants issus du milieu de l’architecture. Dans le domaine de l’habitat individuel, l’architecte a donc une place à prendre dans la recherche du modèle de demain, dans la promotion de la profession d’architecte et dans le partage de compétences au sein de la profession et envers les étudiants. En 2015, la bataille autour de la question du ‘‘seuil dispensant du recours obligatoire à un architecte’’ montre en effet que la profession n’a pas encore baissé les bras face aux constructeurs de maisons individuelles. Le fait est qu’il existe un blocage d’ordre juridique qui contraint de plus en plus les architectes ; il est plus compliqué de construire en France qu’en Angleterre, en Allemagne, ou même en Suisse (SAINT-PIERRE, 2015, p. 38). Il s’agirait de s’inspirer des autres pays européens pour
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revoir les lois, principalement en ce qui concerne la responsabilité des architectes. De plus, le modèle de la maison individuelle comme modèle idéal est tellement ancré dans la culture française que l’architecte seul peut difficilement réussir à inverser la tendance. La responsabilité revient aussi aux pouvoirs publics qui ont, comme nous l’avons vu au début de ce mémoire, promu le modèle pavillonnaire grâce à une politique incitative tout au long du XXème siècle. Aujourd’hui, la maison est constamment en évolution en fonction des modes de vie, des habitudes, des modifications de la famille ; les espaces bougent, varient d’un usage à un autre. La maison n’est plus le couronnement d’un parcours résidentiel mais elle n’en est qu’une étape. Il faut donc démystifier la maison individuelle en tant qu’idéal à atteindre, ce qui n’est plus du ressort de l’architecte mais de celui des politiques. On comprend bien qu’au-delà des mesures que peut prendre l’architecte, la maison individuelle est un modèle culturel et donc ancré dans les mœurs. La culture d’un peuple ne peut pas changer du jour au lendemain, elle s’acquiert, se transmet mais elle peut bien sûre évoluer. Cette évolution culturelle s’est produite dans le petit Land de Vorarlberg à l’extrémité ouest de l’Autriche. En effet, les habitants de cette région, comme en France, sont très attaché au pavillon individuel. Bien qu’en Autriche, en Suisse et en Allemagne il soit généralement obligatoire d’avoir recours à un architecte pour toute construction, le Vorarlberg est une exception ; il s’agit donc d’une situation comparable à la France. Dans les années 1970, de jeunes architectes créent le mouvement des Baukünstler et construisent des maisons en bois qui révolutionnent le modèle conventionnel de l’habitat individuel. Leur démarche se base sur la recherche de solutions constructives simples, d’utilisation de matériaux locaux et de travail en collaboration avec les charpentiers de la région pour concevoir des maisons à petit budget. Dans les années 1980, ce mouvement devient très populaire auprès des habitants de la région et permet aux architectes d’acquérir une bonne réputation. Ainsi, aujourd’hui et grâce à ce mouvement, plus de 80 % des foyers font appel à un architecte pour faire construire leur maison, contre 5 à 8 % en France, car les habitants ont conscience de ce que les architectes peuvent leur apporter. Selon Dominique Gauzin-Müller, auteure du livre « L’architecture écologique du Vorarlberg, un modèle social, économique et culturel » paru en 2009, le secret de la réussite de ce
Conclusion
mouvement repose sur la confiance qui existe entre maître d’ouvrage, concepteur et artisan mais aussi sur le fait qu’il propose une architecture simple mais pas banale, des solutions innovantes mais réalistes : « Nous ne sommes intéressés ni par des expérimentations formelles, ni par une architecture à sensation. Nos solutions sont simples et pragmatiques. » (NUSSAUME, 2006, p. 225) Leurs bâtiments sont en accord avec la société contemporaine, les volumes sont largement ouverts, les plans sont flexibles, une attention particulière est accordée au choix des matériaux et la conception suit les principes bioclimatiques. « Leur approche est une synthèse entre ce qui est esthétiquement souhaitable, constructivement raisonnable et socialement justifiable » (NUSSAUME, 2006, p. 226). Bien qu’il ne soit pas dans l’esprit du développement durable de copier ce mouvement, il est évident que nous pouvons nous en inspirer pour développer nos propres modèles dans chaque région française en s’appuyant sur les spécificités des territoires, de leur richesse humaine et économique et des savoir-faire locaux. Comme le rappelle Dominique Gauzin-Müller, il est primordial de comprendre que la situation actuelle de Vorarlberg est le résultat d’un travail patient et d’un engagement de longue durée « en faveur de la formation, de l’information et du partage » (NUSSAUME, 2006, p. 230). Comme évoqué précédemment, pour changer durablement la situation actuelle en France, il faut mettre en commun les compétences de chacun dans le but de faire évoluer les mentalités et de créer un nouveau modèle dans lequel tous les professionnels du bâtiment auraient leur place, y compris les architectes. L’exemple de Vorarlberg et des Baukünstler représente l’espoir que la maison individuelle retrouve une vocation de terrain d’expérimentation constructif pour l’architecte.
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ANNEXES
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1. LES PHRASES D’ACCROCHE DES CONSTRUCTEURS
MAISON NEUVE - http://www.groupemaisonneuve.fr/ « Quand on s’engage, on s’engage ! »1 « Le contrat qui tient ses promesses » « Une maison design rien que pour vous, on vous l’a dessinée » « Les Architectures de Maison neuve » « Maison neuve vous présente sa nouvelle ligne » « Appelez-nous ou laissez-nous un message ici et prenons un café pour discuter de votre projet. » MAISONS D’EN FLANDRE - https://www.maisonsdenflandre.com/ « Maisons inspirées par vous » « Maison témoin décorée » « Construire sa maison est le fruit d’une histoire, un projet de vie » « Pour une maison aux couleurs de vos envies ! » « À l‘écoute de toutes les innovations, pour transformer l’habitat d’aujourd’hui en maison de demain. » « Une maison sur-mesure » « Vous maîtrisez le montant de votre budget » « 30 ans de savoir-faire » « Respect de la tradition » « Maisons tendances, maisons traditionnelles, collection Les Flandrines » MAISONS BUCHERT - http://www.maisons-buchert.fr/ « Plus qu’un simple constructeur, le partenaire de votre projet » « Penser que tout est possible, c’est découvrir les maisons Buchert et laisser son rêve se construire » « Concevoir une maison d’architecte à votre image » « Un interlocuteur unique, un véritable spécialiste » « Un travail main dans la main avec l’architecte » « Plus de 30 ans d’expérience dans la construction » « Maisons contemporaines, maisons cubiques, maisons de plain-pied, maisons traditionnelles » MAISONS FRANCE CONFORT - https://www.maisons-france-confort.fr/ « 1er constructeur de maisons en France » « 380 modèles de maisons adaptées aux particularités architecturales de toutes les régions » « Maisons sur-mesure, entièrement personnalisées. » « Entreprise de services avec une offre complète » « Maisons contemporaines, maisons design, maisons familiales, maisons modernes » « Faire construire une maison neuve c’est avoir l’assurance de posséder un logement
1. L’ensemble de ces citations sont issues des différents sites internet indiqués qui ont été consultés en décembre 2018
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sur mesure, adapté à son style de vie et à ses besoins. » « Engagé à respecter la norme en vigueur (RT2012) et utilise les énergies renouvelables » « Construire une maison familiale est la meilleure solution pour vous permettre d’envisager l’avenir dans un cadre de vie parfaitement adapté à vos goûts, vos attentes et la composition de votre foyer. » MAISONS BABEAU-SEGUIN - http://www.babeau-seguin.fr/ « 200 plans de maisons et modèles, 25 000 maisons, 30 ans d’expérience » « Trouvez la maison de vos rêves » « 3ème constructeur français de maisons individuelles » « Présent aujourd’hui dans plus de 40 départements avec près de 100 agences » « Babeau Seguin ne fait pas que vous promettre la maison de vos rêves : il vous la garantie ! » « Livraison à prix et délais convenus » « Maisons traditionnelles, maisons contemporaines » « Garantie de parfait achèvement » « Ne payez rien avant la signature ! » MAISONS BERVAL - http://www.maisonsberval.fr/ « La signature de référence » « 18 000 maisons individuelles réalisées en Ile-de-France » « Maisons BERVAL fut, en 2001, le 1er constructeur de l’Ile de France à être certifié NF. » « L’enseigne qui a la plus longue expérience de construction de maisons individuelles en Ile de France » MAISONS PHÉNIX - https://www.maisons-phenix.com/ « Vraiment chez soi ! Construire sa maison à partir de 78 900 € » « Choisir la sérénité ! » « La solution clé en main » « Choisir le type de maison adapté à vos envies et vos besoins » « Une fabrication française et un savoir-faire éprouvé depuis 70 ans » « 3 types de modèles de maison individuelle : la maison plain-pied, la maison à étage et la maison avec combles » « Plusieurs centaines de plans différents pour s’adapter à vos besoins et vos envies! « Maison contemporaine, maison classique, maison tendance » « Plans optimisés, modernes et évolutifs » « Devenir propriétaire, enfin un rêve accessible ! » « Passez du rêve à la réalité en un seul clic » MAISONS PIERRE - http://www.maisons-pierre.com/ « Depuis 1984, Maisons Pierre a accompagné plus de 40.000 familles » « L’une des plus grandes décisions financières et de changement de style de vie » « Si vous aussi vous rêvez de devenir propriétaire de votre maison neuve, accordez-nous votre confiance ! » « Une maison au coût le plus bas avec le meilleur rapport qualité prix possible »
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« L’un des leaders en France de l’accession à la propriété » « Gamme Home Chrysalide, gamme confort, gamme toits plats, gamme patrimoine « Totalement modulable et évolutif, ce modèle de maison à la fois sobre et passe-partout vous offrira un confort de vie idéal pour toute la famille. » « Investissez pour vous-même plutôt que de payer chaque mois un loyer définitivement perdu » « Choisissez votre habitat au plus près de vos besoins, de vos envies et de votre mode de vie. Vous personnalisez vos aménagements et votre décoration. » « Protégez votre avenir et celui de votre famille » « Un accompagnement sur-mesure » « Devenir propriétaire d’une maison qui leur ressemble ! » « Une maison réussie, c’est : Un terrain bien choisi + Un plan adapté à votre mode de vie + Un financement adapté + un constructeur fiable, responsable et à votre écoute. » LAMOTTE MAISONS INDIVIDUELLES - https://www.lamotte-maisons-individuelles.fr/ « N’oubliez pas : votre maison est unique ! » « Depuis plus de 45 ans, Lamotte Maisons Individuelles œuvre pour construire des maisons bien dans leurs époques et conformes aux dernières normes en vigueur. » « Un constructeur de maisons individuelles depuis 45 ans, ça fait la différence ! » « Un service 100 % personnalisé » « Maisons naturellement économes adaptées à toutes vos envies et votre budget » « Maison traditionnelle, maison contemporaine, maison RT 2012, maison d’architecte, maison sur-mesure, maison de ville, maison à moins de 100 000 € » « Parce que la maison idéale est avant tout celle qui correspond à vos envies, à votre mode de vie et à votre goût en terme d’architecture, concevons ensemble la maison qui vous ressemble. » « Ensemble, partons d’une page blanche et bâtissons votre rêve » « Offrir au plus grand nombre la possibilité d’accéder à la propriété » LES DEMEURES TRADITIONNELLES - http://www.ldt.fr/ « LDT constructeur de maisons individuelles depuis 1945 » « Catalogue de modèles individuelles de style traditionnel ainsi que plusieurs types de maisons modernes » « Aide d’un bureau d’étude et d’une équipe d’architectes » « Construire votre maison familiale avec un accompagnement professionnel sur mesure en fonction de vos besoins » « La gamme Primmo Accédant » « Dessiner la maison sur mesure de vos envies » « Des plans personnalisés pour des maisons qui vous ressemblent » « Notre catalogue de maison à quinze euros par jour » IGC - https://www.igc-construction.fr/ « Votre maison, notre engagement » « 30 000 maisons neuves construites dans le Grand Sud-Ouest en 35 ans » « Nos modèles de maisons personnalisables » « Nos maisons sur mesure »
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« Moderne, classique, de ville ou régionale » « Nos modèles de maisons s’adaptent à l’architecture locale de chaque département. » MAISONS MTLF - http://www.mtlf.fr/ « Constructeur de maisons depuis 1993 » « Configurez vos maisons selon vos envies » « Modèles modernes, modèles d’architectes, modèles Tradikit, Maisons RT 2012 » « Si vous souhaitez construire votre maison à des prix accessibles pour tous budget, choisissez MTLF » « Une large gamme de modèles de maisons individuelles » « Une maison d’architecte à la portée de tous ! » « Construction d’une maison d’architecte, 100% sur mesure » « Toujours à la pointe de l’innovation » MAISONS CPR - http://www.maisons-cpr.com/ « Tout simplement vous » « Votre maison, notre gamme » « Votre maison sur mesure » « Des maisons sur mesure pour tous les budgets » « So cubic, la réalisation « so chic et so contemporaine » qui vous ravira ! » MAISONS SÉSAME - http://www.maisonssesame.fr/ « La clef de vos rêves » « Une gamme de maisons idéale pour votre vie de famille » « Une maison moderne et innovante » « Des milliers de familles nous ont fait confiance » « Faire construire signifie bien plus qu’un simple achat, vous devenez « parents » de votre projet, vous conceptualisez votre vie future. » « Maisons Sésame s’est donné un objectif unique : le bonheur des familles » « Faire construire notre petit chez NOUS » « Des maisons stylisées et optimisées à bas prix » « Une nouvelle gamme au design actuel à partir de 69 900 € » MAISONS DE PÂRIS-AISNE - http://www.maisonsdeparis-aisne.fr/ « Découvrez toute une gamme de maisons catalogue ou sur mesure, toutes aux normes RT2012. » « Ecouter vos attentes, comprendre vos besoins, vous conseiller au mieux de vos intérêts, adapter les plans selon vos envies » HABITAT CONCEPT - http://www.habitatconcept.fr/ « Les maisons de demain » « Faites le choix de l’élégance architecturale au meilleur rapport qualité/prix ! » « 1er constructeur régional de maisons » « Votre projet de construction de A à Z » « Chez Habitat Concept, on s’occupe de tout ! » « Tous nos plans de maisons sont modifiables et personnalisables »
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« Maison contemporaine, maison design, maison cubique, maison sur-mesure, maison traditionnelle, maison ossature bois… » « Habitat Concept, ce sont aussi des modèles sur-mesure ! » « Vous rêvez de construire la maison de votre rêve. » « Trouvez l’inspiration parmi notre collection de maisons » « De multiples configurations possibles » MAISON CASTOR - http://www.maisoncastor.com/ « Maison Castor innove dans la conception de maisons individuelles pour que vous puissiez choisir sans penser au prix » « Votre rêve de maison individuelle à un prix malin... » « Nous vous assurons un accompagnement permanent » « Avec Maison Castor, la qualité n’est pas une option. C’est inclus dans le prix. » « Depuis 1982, Maison Castor permet à plus 700 familles par an de devenir propriétaire. » MAISONS DONA - http://www.maisonsdona.fr/ « Votre imagination, notre expérience » « Recherche de nouvelles solutions constructives en respectant la réglementation RT 2012 » « Constructeur expérimenté et spécialisé depuis plus de 40 ans » « Plusieurs milliers de familles ont déjà fait confiance aux MAISONS DONA » SIMON HABITAT - http://www.simon-habitat.fr/ « Ensemble, bâtissons votre rêve » « Pour concrétiser le dessein de toute une vie » « Maison sur-mesure pour répondre parfaitement à vos envies, à vos besoins et à votre situation »
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2. LE GUIDE D’ENTRETIEN
Pouvez-vous me parler de vos projets de maisons individuelles et ce qui vous a Pouvez-vous parler poussé à lesme faire ? de vos projets de maisons individuelles et ce qui vous a poussé à les faire ? Intérêt pour la maison individuelle ? Ce que ça change dans la pratique ?
- Pourquoi s’intéresser à la maison individuelle sachant que seulement 6% sont conçues par des architectes en France ? - Est-ce une vocation ou une opportunité ? - Le marché de la maison individuelle vous fait-il vivre ? - Comment vous faites-vous connaître ? - Quelles sont les différences entre un projet de maison individuelle et un projet de logement collectif ? Avez-vous une préférence ? - Y a-t-il toujours une idée de luxe derrière la « maison d’architecte » ? - Comment abordez-vous la question du prix ? - Comment innovez-vous pour limiter les coûts ?
Relation aux clients Habitants / Constructeurs / Mairies
- Quelle est votre relation avec le client ? - Avez-vous déjà ressenti une réticence quant au choix d’un architecte ? - Quels sont vos types de clients ? Quelles catégories socioprofessionnelles ? - Comment se déroule la première approche avec un client ? - Quelles sont les demandes récurrentes ? - Comment gérez-vous un désaccord formel, spatial, esthétique ? - Dans quelle mesure l’avis du client est-il pris en compte ? - Quels sont vos rapports avec les constructeurs ? - Quel est la place de l’architecte par rapport aux constructeurs ? - Quels sont vos rapports avec les mairies ? avec les artisans ? - Comment la « maison d’architecte », différente des standards du pavillon, est-elle perçue par les mairies ?
Carrière / Relation au monde de l’architecture
- Comment le fait d’être architecte de maisons individuelles est-il perçu par la profession ? - Vous-a-t-on déjà fait des remarques ? - Est-ce une pratique que vous mettez en valeur ?
Conception du logement / Politique du logement / Programmation urbaine / Idéologie
- La maison individuelle est-elle du domaine de l’architecture ? - Que pensez-vous de la politique actuelle de la maison individuelle ? - Serait-il utile de supprimer le seuil de 150 m² ? - Doit-on obliger à faire appel à un architecte ? - Les architectes ont-ils un rôle à prendre pour améliorer le marché de la maison individuelle ? - Que devrait-être la mission d’un architecte ? - A quelle échelle doit-il intervenir ? - Les constructeurs peuvent-ils être des alliés ? - Que pensez-vous de « l’idéologie pavillonnaire » ? - Rêvez-vous de la maison individuelle ?
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3. LA RETRANSCRIPTION DE L’ENTRETIEN
C.B. Pourquoi vous vous êtes intéressé à la maison individuelle sachant que seulement 6 à 5% des maisons sont conçues par des architectes ?
J-F.E. 4.06 « Alors, je vais vous raconter toute l’histoire. Voilà, assyez-vous (rire). » 4.37 « Alors moi je suis architecte depuis 1979 […]. Et j’ai commencé dans une petite ville au sud de Toulouse qui s’appelle Muret, et euh j’ai eu la chance tout de suite d’avoir une commande des HLM parce qu’à l’époque il y avait pas, on faisait pas de concours etcetera, c’était uniquement par relation, et j’avais la chance que dans cette ville il y avait un office HLM. Et donc j’ai eu d’entrée 15 maisons à faire et pour un jeune architecte qui débute c’est génial. Et après euh la mairie m’a confié une petite opération. Puis après EDF m’a confié une opération. Etcetera, etcetera, etcetera. Et ça a duré pendant 4 ans. Et là je me suis dit ‘’j’ai une chance folle jusqu’à présent’’ […] et je me suis dit ‘’ça ne va pas durer toute ma vie, c’est pas possible’’. » 5.55 « Et je voyais autour de moi, euh, au début des années 80, des centaines, pour pas dire des milliers de maisons individuelles qui se faisaient autour dans la région de Toulouse. Et moi j’en faisais pas. Euh… sauf un permis pour un cousin ou des choses comme ça, m’enfin comme tous les architectes. » 6.26 « Je voulais multiplier les clients, les petits clients, pour avoir une certaine pérennité de mon agence. Et donc je me suis dit, ben euh je vais je vais faire de la maison individuelle, je vais faire 5, 6 maisons individuelles par an » 6.47 « Et donc j’ai fait un raisonnement qui, qui est complétement faux, mais qui a l’air vrai mais qui est complétement faux, ce qu’on appelle un sophisme, je me suis dit : je veux faire de la maison individuelle, les constructeurs font des maisons individuelles, donc devenons constructeur. Euh voilà, c’est… c’est le le le raisonnement euh j’ai deux oreilles, les ânes ont deux oreilles donc je suis un âne quoi. (rire) » 7:16 « Et donc je suis devenu constructeur, c’est-à-dire que je me suis inscrit à la toute jeune association à l’époque des Architectes Bâtisseurs, voilà, qui sont devenu plus tard, quelques années après les Architecteurs. » 7:36 « Ce sont des des constructeurs, c’est-à-dire qu’on signe des contrats de construction et non pas des contrats d’architecte, la seule chose c’est que le gérant de la société doit être architecte, voilà. » 8:00 « Et donc là j’ai suivi une formation d’une semaine, dont deux jours de formation de démarche commerciale. Et alors là j’ai ouvert des grands yeux je savais
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absolument pas ce que c’était et j’ai découvert un monde parallèle à celui des architectes, le le le monde de la relation client, instaurer une bonne relation client, comprendre ses motivations, savoir lui apporter ce qu’il veut en réalité, ce dont il a envie, ce dont il a besoin mais ce dont il a envie aussi, enfin etcetera. » 8:44 « Il est très très difficile, contrairement à ce que croient beaucoup d’architectes, il est très difficile de signer un contrat de construction de maison individuelle, beaucoup plus difficile que de signer un contrat d’architecte. » 9:10 « Et et et puis en plus je perdais mon âme, on… je je fais des projets nettement moins bons et en tout cas pas à l’avantage du client quand on est constructeur euh par rapport au fait qu’on soit architecte… on est obligé de faire ça, c’est c’est c’est… ça vous le vivez très mal. Moi j’étais architecte pour que mes clients fassent une bonne affaire. » 10:49 « Et j’me suis dit ‘’mais oui bien sûr, il a raison, le le… je signe des contrats non pas parce que je suis constructeur, mais parce que j’applique une démarche commerciale, ce qui est tout à fait différent. » 11:20 « Donc j’ai arrêté ma société de construction, j’ai fini mes chantiers, j’ai arrêté et je suis redevenu architecte, mais avec une démarche commerciale, que j’ai mise au point, c’est alors c’est la démarche commerciale de base hein enfin j’ai j’ai pas j’ai pas inventé tout à cent pour cent […] mais je l’ai appliquée à l’architecte libéral […] et surtout j’ai inventé un nouveau contrat, euh… avec des engagements qui correspondent à ce que veulent les particulier comme le respect stricte du budget, etcetera. Et du coup ça marchait très bien ! Très très bien ! » 12:07 « Vers les années 92-93, à cette époque-là, le GEPA, qui est l’organisme de formation des architectes, enfin un des organismes de formation des architectes, m’a demandé d’en faire une formation. » 12:30 « Mais à l’époque, les architectes se détournaient complétement mais alors complétement du marché des particuliers, mais alors complétement, c’était même, c’était mal vu quoi […] c’était pas bien quoi. » 13:01 « J’ai toujours fait partie de l’UNSFA, le syndicat, […] et j’ai été conseillé national de l’UNSFA, et donc je leur disais ‘’vous savez, il faut, il faut prendre le marché des particuliers, on a pas de raison de laisser le marché des particuliers, ya qu’à faut qu’on, etcetera, etcetera. » 13:45 « Et j’ai proposé la création d’une association, qui est l’association des Architectes d’Aujourd’hui, […] qui… qui, dont la vocation est de proposer des outils et possibilités pour les architectes, en libéral hein, c’était en libéral, c’est-à-dire non pas constructeurs, euh l’architecte en maîtrise d’œuvre indépendante des artisans
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pour développer le marché des particuliers. » 14 :40 « Bon on est 80 actuellement dans la France, j’aimerais que ça aille beaucoup plus vite, mais c’est pas facile parce qu’il y a une telle réticence de la part des architectes qui ne comprennent pas qu’on puisse s’intéresser à ce marché, que c’est… que c’est pas facile. M’enfin, enfin on se développe et ça marche plutôt pas mal, voilà. » 15 :12 « Et alors je me suis rendu compte au fil des années qu’il y a quand même un paradoxe, c’est que le marché des particuliers, c’est-à-dire des non professionnels de la construction, ni marchés publics, ni promoteurs immobiliers, représentent à la louche 60% ou les deux tiers de tout ce qui se construit… c’est c’est colossal hein. » 15 :45 « Et je trouve totalement anormal que ce marché nous échappe à 90 – 95%. Les architectes, ils sont pas présents. Par exemple, les architectes ne font que 4% des maisons individuelles, 96% des maisons individuelles nous échappent. […] Moi je vis ça comme un grave échec d’une profession. On n’imagine pas 96% des malades qui échappent aux médecins, 96% des contentieux qui échappent aux avocats, etcetera quoi, c’est c’est pas possible, ya un truc là. » 16 :34 « Il y a un préjugé très curieux, c’est culturel hein, il y a un préjugé très curieux des architectes envers les particuliers parce que l’architectes propose quand même la meilleure solution pour qui veut construire, la meilleure conception, le meilleur plan, euh, pourquoi on propose le meilleur plan ? D’abord parce que c’est notre formation, on est des professionnels pour ça, et ensuite, on commence à travailler une fois le contrat signé, c’est-à-dire qu’on n’est plus dans la séduction artificielle du client. Alors que quand j’étais constructeur, j’ai, on est obligé de faire comme ça, le le… on est obligé de présenter une esquisse jointe au contrat, donc il faut faire l’esquisse avant de signer le contrat. » 18 :00 « Les pouvoirs publics poussent à la fois à prendre le contrat de construction de maison individuelle et à la fois à faire du néo-régionalisme, qui est une aberration culturelle. Donc les clients n’ont pas conscience qu’en, en imitant mal et de manière ridicule un style ancien, ils font quelque chose qui est anti culturel. » 18 :20 « On fait des projets mieux conçus, on fait des projets mieux réalisés […] parce qu’on est indépendant des entreprises. […] Et enfin c’est moins cher, j’étais moins cher en tant qu’architecte qu’en tant que constructeur, parce que la marge des constructeurs est de l’ordre de 30% du coût des travaux, entre 25 et 37. […] C’est-à-dire qu’ils sont au double, largement au double, de la rémunération de l’architecte. » 20 :18 « On devrait faire 99,9% des projets ! » 20 :30 « En plus on a une bonne image auprès des gens. Les gens préfèrent par
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exemple avoir une maison d’architecte qu’une maison pas d’architecte. » 21:07 « En réalité les gens ils aimeraient bien avoir un architecte, mais ils peuvent pas, ça c’est mon analyse hein. Mon analyse c’est parce qu’il y a des blocages, il y a quatre blocages, peut-être peut-être cinq. Le premier blocage c’est que l’architecte il s’engage pas sur un prix […]. Ensuite les architectes n’ont pas de démarche commerciale, c’est-à-dire qu’il ne savent pas instaurer une relation de client, euh… basée sur la confiance où ils comprennent ce que veut le client, parce qu’ils ont pas appris, c’est pas dans la culture des architectes, au contraire même on leur dit que, on leur fait se repousser le commercial comme étant négatif, du coup évidemment ça laisse le champ libre aux constructeurs. Les constructeurs font à peu près 60% des maisons individuelles. […] Troisième blocage, ça paraît très compliqué vu de l’extérieur : faire appel à un architecte, on signe d’abord un contrat, mais on a pas encore les plans, euh, ensuite on élabore les plans, et puis après il faut élaborer le produit technique, on définit mieux le prix, et puis après il faut signer des contrats avec les artisans, après c’est le client qui paye les artisans, mais sur les indications de l’architecte, enfin bref, ils y comprennent rien quoi, rien du tout, c’est trop compliqué. Donc il a fallu simplifier et informer de la manière dont ça se passe, et enfin les architectes ont beau être très nombreux, ils sont invisibles. C’est-à-dire que si on se promène dans la ville, on ne voit pas les architectes. Euh ya pas de très, quasiment, ya que très très peu d’architectes qui ont des vitrines par exemple. » 23.44 « Je sais pas où trouver l’architecte qui va répondre à ma demande » 23.50 « Le cinquième blocage que je suis en train de de de de… dont je suis en train de me rendre compte de l’importance d’ailleurs, que j’avais peut-être un peu sous-estimé, c’est le manque de sécurité apparente, peut-être, je suis en train d’y travailler, sur le contrat d’architecte par rapport au contrat de construction de maison individuelles. Ce qui est complétement faut d’ailleurs parce que le contrat de construction de maisons individuelles il est très dangereux pour le client, j’en sais quelque chose, j’en ai signé beaucoup… mais bon c’est comme ça. » 24.16 « Et donc l’association vise à lever ces blocages de manière à ce que la route des particuliers vers les architectes soit grande ouverte ! » Est-ce que vous ne pensez pas qu’il y a un préjugé de la part des particuliers qui pensent que la maison d’architectes va leur coûter plus cher ?
24.34 « C’est un préjugé qui est répandu parce que il est, il est… d’abord il est répandu par nos adversaires, nos concurrents, qui sont essentiellement les constructeurs, qui disent euh, avec nous c’est gratuit, je vous fais cadeau des plans, enfin c’est des escroqueries parce qu’évidemment, bien sûr ils se font payer les plans. Et ensuite, euh… les architectes eux-mêmes se positionnent comme sur du haut de
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gamme, parce qu’ils sont habitués à avoir de gros marchés, et donc du coup pour eux, 150 000 euros ça leur paraît un tout petit budget et c’est pas possible. » 25.43 « Ils vont traiter une maison de 300 000 euros à 9% par exemple… alors qu’il faudrait la traiter à 13. […] Mais ils savent pas, ça, ils connaissent pas le marché des particuliers. » 26.06 « Donc les architectes ont une certaine désaffection sur le, les particuliers, en plus, bien sûr, il faut une démarche commerciale, il faut avoir, enfin, il faut savoir comprendre et avoir une approche beaucoup plus psychologique du client, ce que les architectes ne… n’imaginent même pas que ça existe. Pour eux le commercial c’est des trucs de vendeur quoi… c’est c’est… ils ont rien compris quoi, c’est pas du tout ça. » 26.43 « Les architectes disent souvent ‘’euh votre projet, eh bah c’est je sais pas, je vais dire n’importe quoi, 200 000 euros PLUS 20 000 euros d’architecte’’, ils présentent toujours comme ça, toujours ‘’plus’’ l’architecte, au lieu de dire ‘’votre projet c’est 220 000 euros architecte compris. » En fait, le manque de communication est vraiment l’un des gros problèmes.
27.08 « Bah c’est un des problèmes, mais il y a vraiment une panoplie d’incompréhensions et de préjugés euh qui est euh extraordinaire, et je pense qu’il y a beaucoup plus de préjugés chez les architectes envers la clientèle des particuliers que l’inverse. » C’est-à-dire qu’il y a une sorte de mépris de leur part ?
27.46 « Quand je discute avec des architectes, c’est hallucinant ! Des architectes qui me disent que faire du commercial c’est escroquer les clients, et que jamais il voudra escroquer un client… je vois pas le rapport mais… et il me dit ‘’tout commerçant est dans l’escroquerie’’, systématiquement… ah bon ? » 28.17 « Ensuite, vouloir comprendre le client, pour lui c’est de l’escroquerie, euh… on est mais vraiment dans des mondes parallèles quoi ! » 28.29 « D’autres qui me disent ‘’mais un architecte ne peut jamais avoir de client direct, c’est impossible, il lui faut forcément un professionnel en face de lui, un promoteur ou un truc, ou alors des agents commerciaux qui lui ramènent des clients, mais nous on est absolument incapable d’avoir un client personnel’’. » 28.57 « Et ce sont des architectes qui ont 35 ans hein, pas des vieux croûtons (rire), c’est hallucinant ! »
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Et vous a-t-on directement fait des remarques sur le fait que vous fassiez beaucoup de maisons individuelles ? De la part des autres architectes ?
29.31 « Alors il y a des architectes qui m’ont ouvertement… agressés (rire) parce qu’ils disaient qu’ils ne supportaient pas qu’un architecte utilise le mot commercial. Je me rappelle d’un architecte qui était d’ailleurs un architecte des bâtiments de France qui me disait ‘’je ne peux pas tolérer qu’un architecte… le mot commercial dans la bouche d’un architecte’’, ou alors d’autres qui me disent, qui me traitent de ‘’pommé’’ parce que je m’intéresse aux particuliers et que… de ‘’raté’’ quoi, comme si j’étais un raté parce que je ne fais pas de marchés publics. Alors que le dernier architecte avec lequel j’ai parlé de marché public, il a fait, c’était un marché à 350 000 euros, 350 000 euros qu’il a traité à 7% ! 7% ! Et moi j’avais signé le même mois une maison à 350 000 euros et que j’avais traitée à euh quasiment 14%. » 30.34 « Donc bon les préjugés des architectes sur les particuliers, enfin de beaucoup d’architectes sur les particuliers sont hallucinants, heureusement qu’ils sont pas tous comme ça ! (rire) » 31.00 « Si je vous demande, pour les particuliers, quelle est la meilleure qualité d’un architecte ? Pourquoi prendre un architecte ? Beaucoup d’architectes vont me répondre ‘’ah ben parce que nous on fait du sur-mesure et qu’on s’adapte parfaitement aux clients’’, ça c’est le réflexe que j’entends chez beaucoup d’architectes et c’est ce qu’ils mettent en avant sur leurs sites internet ou tout ça. Ça, c’est le très mauvais argument. Il y a très très peu de clients qui veulent de l’originalité et du sur-mesure, c’est à peu près les gens qui vont voir les architectes, c’est tout, mais on est à moins de 10%. La plupart des gens veulent ‘’comme tout le monde’’, la maison des autres, la maison à la mode, avec un toit plat, des menuiseries gris anthracite, un carrelage avec des grands carreaux 60x60, un îlot central dans la cuisine et une douche à l’italienne, voilà. Les gens ils sont HYPER conventionnels ! Donc leur dire ‘’vous aurez pas la maison de tout le monde’’, ça les fait fuir. Ça les architectes ils ne le comprennent pas parce que justement ils ne s’intéressent pas à la psychologie des particuliers. » 32.19 « J’ai lu des études, les trois qualités pour les gens d’un architecte, première qualité c’est la qualité de technique des travaux, des travaux bien faits, deuxièmement c’est les bonnes idées d’aménagement intérieur, d’où le succès d’ailleurs de ceux qui se prétendent architectes d’intérieur même s’ils sont pas architectes du tout, m’enfin, et troisièmement, et ça c’est quand même étonnant, la maîtrise des prix, pas de dérapage sur les prix, alors que nous on sait que les architectes ils dérapent souvent sur les prix, mais l’image qu’on a c’est de justement sécuriser l’opération au niveau financier. » 33.10 « Les architectes ils sont vraiment dans un monde parallèle, déconnectés. Et quand on leur dit, quand moi je leur dis, mais je me fais rabrouer euh… pour em
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ployer un euphémisme quoi… voilà, ou ils se moquent de moi, ou ils disent que je n’y entends rien, que je dis n’importe quoi… voilà. » 34.38 « Je regrette énormément que dans les études d’architecte, je présume qu’on ne vous a pas parlé de démarches commerciales envers les particuliers. » 34.50 « Avoir des clients, pour un professionnel, c’est quand même important, c’est là que tout commence. Or nous, faut pas oublier qu’on a pas de monopole, de numerus closus, de monopole géographique, comme les notaires, comme les huissiers, nos clients ne sont pas remboursés comme les médecins, on est soumis à concurrence, on a qu’un monopole sur les permis de construire, sauf justement ceux qui font moins de 150 m² pour les particuliers, c’est-à-dire que la majorité des permis de construire déjà nous échappent. Soumis à concurrence donc qui veut dire avoir une démarche commerciale. » Comment se déroule la première approche avec un client dans votre pratique ?
36.20 « Alors dans la démarche commerciale il y a plusieurs choses. D’abord il y a la première étape c’est de trouver des clients potentiels, ce qu’on appelle des prospects, c’est-à-dire la personne qui est en mesure de signer un contrat, elle a un terrain, elle connaît son budget, elle a décidé de construire. […] Ensuite, quand on est en face de cette personne, ou du couple si jamais c’est un couple qui construit ce qui est la majorité des cas, là il faut avant tout, il faut absolument pas argumenter, il faut commencer par comprendre ce que veulent les gens, c’est-à-dire quelles sont leurs motivations d’achat, pour quoi ils sont là, pourquoi ils ont décidé de construire. Des fois ça n’a rien à voir avec l’objet lui-même, des fois c’est absolument, enfin c’est psychologique. Là il faut, moi je dis souvent que je fais mes formations ‘’je fais pas une formation pour architectes, je fais une formation de psychologue, vous serez architecte quand il faudra signer le contrat, mais avant vous êtes psychologue’’. Il faut découvrir, comme dans une enquête policière, le déclic qui fera que le client va se dire ‘’oh voilà, c’est lui/c’est elle que je veux comme architecte parce qu’elle me comprend, elle a su comprendre ce que je voulais’’. […] Ensuite, uniquement quand on a compris ou cru comprendre ce que veulent les gens, et après l’avoir vérifier, alors tout ça il y a des méthodes pour le comprendre, à ce moment-là on peut dire ‘’ah bah ça tombe bien, je vous propose exactement ça, ce que vous voulez’’, et là après on l’amène à signer le contrat, et euh… on part sur de bonnes bases où la personne se dit ‘’ça y est, j’ai trouvé le professionnel qui va me donner exactement ce que je veux, c’est exactement ça que je cherchais’’. » 39.12 « Je résume mais ma formation elle dure deux jours hein (rire) » Avez-vous un profil-type de clients ou est-ce que c’est divers ?
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39.30 « Alors c’est très souvent le couple, c’est l’immense majorité des cas, c’est le couple, euh… j’ai pas dû faire 10 maisons pour des gens seuls dans ma vie. » 40.05 « Alors les architectes ont plus souvent des gens qui sont… d’une génération, qui sont… passé 40 ans quoi. C’est rare qu’on ait des plus jeunes. Parce que le profil-type c’est la personne qui dit ‘’voilà, on a déjà construit quand on avait 25 ans, on a pris un constructeur, on s’est bien planté, ou en auto-construction avec des artisans, euh, et on va pas refaire la même erreur, on a bien réfléchi, maintenant on sait que ce qu’il nous faut c’est un architecte’’. Ça alors on l’entend, euh… je l’ai entendu je ne sais combien de fois dans ma vie. Alors que ceux qui ont 25-30 ans, ouvrent internet, regardent, s’informent, et tout le monde leur rabat les oreilles, leur rabâche ‘’il faut un contrat de construction de maison individuelle, il faut un contrat de construction de maison individuelle, il y a que le contrat de construction de maison individuelle, etcetera, etcetera, sinon vous allez vous planter’’. Du coup, bah ils vont pas plus loin et ils prennent ça. Et ils se font avoir parce que j’estime que ce contrat est très négatif pour le client. […] Je suis scandalisé, révolté, que l’on dise aux gens que le contrat de construction de maison individuelle est un bon contrat pour eux alors qu’à mon avis c’est le pire. Tout simplement parce qu’à la seconde où on le signe, les intérêts du constructeurs et les intérêts du client sont opposés. 42.28 « C’est-à-dire que les intérêts des uns et des autres sont complètement opposés mais celui qui a les manettes, qui a les commandes entièrement c’est le constructeur, le client il ne peut plus rien dire, plus rien faire, c’est fini. » 42.45 « Et j’ai été constructeur, je sais de quoi je parle ! Je l’ai vécu de l’intérieur et je suis prêt à en débattre avec n’importe quel constructeur. Je ne suis pas contre les constructeurs bien entendu, ce sont des hommes et des femmes tout à fait respectables, mais je suis farouchement contre le contrat de construction de maison individuelle, c’est un ‘’pousse au crime’’. » 43.30 « On est architecte pour que les gens fassent une bonne affaire quoi, c’est pour ça que je disais que j’avais très mal vécu cette époque. » Le marché de la maison individuelle vous fait-il vivre ?
43.46 « Alors moi maintenant, j’ai 65 ans, je suis, la retraite approche, je m’occupe beaucoup de l’association, je fais partie du conseil régional de l’ordre, enfin je fais un tas de choses, j’ai levé le pied sur mon agence, je continue, j’ai des clients, mais moins, par contre j’essaye de faire beaucoup plus de formations, parce que j’adore ça, c’est très sympathique, je me balade partout, l’année dernière je suis même allé à l’île de la Réunion pendant 15 jours, enfin bon c’est quand même sympa quoi (rire). Mais oui ça peut faire vivre un architecte. Euh si on considère qu’on a en rémunération, en salaire, la moitié de ce qu’on encaisse à peu près, en gros c’est ça, si on a pas de loyer hein, si on a pas de loyer et si on a pas de salarié, euh en gros on reçoit 100 000 euros, il nous reste 50 000 euros, qu’on déclare, euh à la louche hein.
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A ce moment-là, si on compte comme ça, euh 50 000 euros c’est pas mal, ça fait plus de 4 000 euros par mois, c’est pas la richesse, mais c’est un bon revenu quoi, très très correct. Alors la moyenne des maisons des architectes est supérieure à la moyenne des maisons individuelles, ça c’est culturel : les gens qui ont 130 000 euros, 120 000 euros, ils osent pas aller voir un architecte, ils ont un blocage, ils ont un peu un complexe du budget. Moi je sais faire des maisons à 120 000 euros, mais bon c’est comme ça. Donc la moyenne c’est plutôt 200 000 pour un architecte. 200 000 euros, si on traite ça à 14-15%, ça fait pas loin de 30 000 euros d’honoraires, euh entre 25 et 30 000. Il suffit de faire euh 3-4 maisons par an pour en vivre. Et un architecte seul peut très bien faire 3 ou 4 maisons par ans. […] Ce qui n’empêche pas qu’il peut faire un marché public s’il veut, en plus. Donc euh oui on en vit très bien, en montant de rémunération, et aussi en pérennité de l’agence, en sécurité. » Avez-vous déjà fait des maisons à 120 000 ou 130 000 euros ?
47.20 « Oui ! Bien sûr ! » Et comment cela se passe-t-il ? De la même manière ou différemment d’une maison plus ‘’haut de gamme’’ ?
47.27 « Eh bien comme je suis moins cher que les constructeurs, euh, et moins cher que tout le monde parce que j’ai moins de frais, parce que les constructeurs ils sont obligés d’avoir des marges de 30% et que moi je suis même pas à la moitié, ça m’est très facile d’être moins cher qu’eux. Et quand les clients s’adressent aux artisans en direct, comme par hasard les artisans ils montent tellement les prix qu’il se… qu’il est très facile pour un architecte de faire économiser 10 à 15% du montant des travaux hein, très facile. En général, je fais plutôt économiser 20% d’ailleurs. » Donc il n’y a pas forcément besoin d’innover particulièrement pour faire des maisons de qualité à petit budget ?
48.12 « Bah, si moi j’y arrive pas, personne n’y arrivera. Donc je suis très serein, très très serein. » 48.26 « ‘’- Quel est votre terrain ? Quel est votre budget ? - Ah ben nous on met 180 000 euros pas plus. - Très bien ! Eh bien moi je vais vous en faire pour euh 180 000 euros sur votre terrain, le maximum. Quelle est votre priorité ? - Faites le plus grand possible, ou faite le mieux équipé possible, ou faites ceci, ou faites cela.’’ Et moi je réponds comme ça. Et je sais que si j’y arrive pas bah les autres ils y arriveront pas parce que moi j’ai moins de frais et que j’ai des artisans qui ont de très bons rapports qualité/prix, ils sont vraiment pas chers. »
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49.03 « Une des dernières maisons que j’ai chiffrées, j’étais, enfin je sais pas si vous avez les notions de prix, et j’étais à 1 300 euros TTC le mètre carré architecte compris, euh hors peinture parce que les constructeurs prennent jamais la peinture. Euh voilà, eh bah les constructeurs ils sont, ils sont, ça c’est le prix de plancher des constructeurs. » 49.30 « C’est normal hein, un architecte qui cherche des bons artisans pas chers il arrive à des prix imbattables, puisque le constructeur il va partir du même prix ou un peu moins, m’enfin et lui il va appliquer 30%, et nous on va appliquer 14%. Evidemment, on part avec un telle avance qu’on ne peut pas être battu. » Quelle est la place de l’architecte vis-à-vis du constructeur ? Est-ce qu’une cohabitation est possible ?
50.06 « Non non non non, faut que ça disparaisse les constructeurs, alors pas en tant que personnes physiques, mais le contrat de construction de maisons individuelles ne devrait pas exister, c’est une aberration. C’est une aberration parce qu’il y a une notion qui n’est pas répondue est qu’on n’a jamais expliqué aux gens, euh le, d’ailleurs les constructeurs jouent là-dessus. Ils disent par exemple ‘’c’est un contrat clés en main’’. C’est pas vrai, c’est pas un contrat clés en main, je signe un contrat de construction je tends pas les clés à mon client, je lui dis rendez-vous dans un an quand la maison sera finie. Euh, quand on achète une maison construite c’est un contrat clés en main. On va chez le notaire et hop on prend les clés. » 50.50 « Alors ce qu’il faut comprendre c’est que quand on achète un produit, par exemple le téléphone que j’ai en main, une table ou une voiture ou ce que vous voulez, c’est un produit industrialisé qui est déjà fait en série, de manière largement automatisée, il a été testé, il est très fiable. Et quand le client l’achète, c’est la fin de l’histoire, ça y est c’est bon, la vente est faite, c’est terminé et le client il risque rien. Le produit est très fiable, mais si par extraordinaire il est pas bon, il va chez le marchand : ‘’donnez m’en un autre celui-là ne marche pas’’. Et donc il en a un autre. Quand on construit un bâtiment, le client il est obligé d’acheter, c’est-à-dire de signer le contrat avant tout, avant tout début de réalisation. Il y a rien sur son terrain quand il signe le contrat. Il est obligé d’acheter, de choisir le professionnel, alors qu’il a rien, il peut rien voir, il sait pas ce que va être sa maison. Et il est obligé de faire un pari sur l’avenir, complètement, le produit est à venir. En plus c’est un produit qui est unique, c’est un prototype unique, et c’est le bon, hein, à la fin on peut pas dire ‘’bon c’est pas terrible cette maison, elle est pas, bon on rase tout et on recommence et on en fait une autre’’. Ça n’existe pas (rire). Et il est fait à la main par des artisans, et l’artisan c’est aléatoire, qui ne s’est jamais trompé, qui n’a jamais loupé quelque chose dans sa vie. Donc il y a un côté aléatoire. Et comme c’est une aventure, ce côté aléatoire, c’est un pari sur l’avenir, ce côté aventureux fait que le client qui est un néophyte, qui n’y connaît rien, fait qu’il est obligé, il faut absolument un conseil,
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un professionnel, qui le tienne par la main, et qui l’amène jusqu’à la réception des travaux, jusqu’à la livraison, là quand on lui remet les clés en lui disant ‘’faites ceci, faites pas cela, attention, écoutez-moi, suivez-moi’’ comme un guide dans un pays étranger ou dangereux qui va dire aux touristes ‘’ allez je vais vous montrer, vous me suivez mais vous faites ce que je vous dis’’. C’est ça la maîtrise d’œuvre, c’est-à-dire qu’il faut un maître d’œuvre indépendant des entreprise, un conseil en parallèle. » 53.20 « Le fait d’avoir des artisans en direct, ou pire, des contrats de construction de maisons individuelles, je dis pire parce qu’il y a sous-traitance, et donc choix des sous-traitants par le constructeur dans son propre intérêt et pas dans l’intérêt du client fait que on escamote la maîtrise d’œuvre, ce qui est catastrophique pour le client. Tout bâtiment a besoin d’un architecte. L’architecte il existe depuis toujours, c’est un des plus vieux métiers du monde si j’ose dire, hein, depuis les pyramides etcetera, il y a toujours un maître d’œuvre. C’est indispensable parce que c’est dans la nature même de la production d’un bâtiment. Et ça c’est une notion qu’on explique pas aux gens. On leur fait croire que le contrat de construction de maisons individuelles est sûr et certain et sécurisé, alors qu’il est hyper dangereux. Parce que le client peut se faire avoir à tout moment. » 54.20 « Voilà pourquoi il faudrait plus qu’il y ait de constructeurs. 54.37 « Ce rôle de conseil indépendant est indispensable. Comme pour se soigner il faut un médecin et pas un marchand de médicament, pas un laboratoire pharmaceutique, il faut un médecin indépendant, comme pour se défendre dans un procès il faut un avocat indépendant, etcetera, etcetera. » Pensez-vous qu’il faudrait obliger les gens à avoir recours à un architecte ?
55.21 « Non, non ça marchera pas, il faut, enfin on pourra plus tard quand ce sera rentré dans les mœurs et que les gens comprendront, mais euh, on peut pas obliger les gens à prendre un médecin, ou on peut pas obliger les gens à prendre un avocat. Ils le font tous à 99,5%. Mais il faut montrer, mettre en valeur et répondre à un besoin de la part du professionnel, il faut commencer par ça. Sur le principe, dans la posture je suis pour l’abolition du seuil des 150 m² pare que j’estime que ça serait mieux que toute demande d’autorisation d’urbanisme passe par un architecte, mais dans les faits, il ne faut pas s’arque bouter là-dessus, euh c’est pas ça qui va nous développer. Ce qui va nous développer, c’est quand les architectes se diront ‘’j’en ai plus que marre qu’il y a les deux tiers de tout ce qui se construit qui nous échappent, c’est terminé, moi je veux que les architectes fassent 100% des travaux. Et donc on va faire ce qui convient aux gens’’. Je parle pas dans la forme, dans l’architecture, je parle dans la manière de leur apporter ce dont ils ont besoin. » A votre avis, pourquoi les gens sont tant attachés à la maison individuelle par rap-
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port au collectif ?
57.35 « Alors pourquoi, parce que déjà c’est bien d’être propriétaire, c’est très agaçant de payer un loyer. Moi j’ai payé un loyer dans ma vie, bah il y a 10 000 euros par ans qui partent et c’est comme si on les brûlait quoi, c’est pas comme rembourser un crédit. On se dit bah je capitalise petit à petit et à la fin du remboursement se sera à moi. Enfin c’est une sorte d’éparque un crédit. […] Ensuite j’ai trouvé très agréable moi d’avoir une maison parce que si je veux faire un trou ou casser quelque chose je le fais, si je veux modifier, je modifie. Même en appartement c’est pas possible, même si je suis propriétaire, je peux pas casser un mur etcetera parce qu’il y a l’assemblée des copropriétaires, il y a le syndic, on est autonome dans une maison individuelle. On fait ce qu’on veut, et donc il y a un sentiment de liberté. Et puis c’est tout bête mais il y a un petit jardin, même s’il est tout petit, mais on peut avoir un chat, on peut avoir des enfants qui jouent dehors, on peut s’installer dehors, prendre une chaise longue quand il y a un rayon de soleil, on peut planter trois plants de salade. Il y a un vrai agrément d’avoir un petit bout de terrain, même si ça fait que 100 m². C’est un vrai agrément. Donc la maison individuelle est une forme d’habitat qui est agréable pour une famille, moins pour un célibataire mais plus pour une famille. […] Et ensuite bien sûr c’est plus facile à aménager, quand la famille s’agrandit, voilà.» 1.00.30 « De temps en temps, je fais des travaux, je casse un truc, j’arrange, je modifie, je fais un bout de cloison, je voilà, je suis chez moi je m’amuse à faire ce que je veux quoi. C’est plus agréable, même si c’est une petite maison en zone urbaine avec un tout petit bout de jardin qui doit faire 50 m², mais ça fait rien, c’est, on a trois fleurs, un arbre fruitier, on s’est amusé à pousser des tomates, je peux m’installer dehors, on a des chats, enfin voilà quoi. Quand on vit les choses on comprend mieux. Mais je crois qu’être propriétaire, c’est pas le plaisir d’être propriétaire avec un grand P, ça on s’en fiche, c’est surtout de gérer intelligemment l’argent qu’on essaye péniblement de gagner et de pas le gaspiller quoi. » Comment gérez-vous un désaccord avec un client ? Un désaccord formel par exemple ? Essayez-vous de le convaincre que votre idée est mieux ? Dans quelle mesure sont avis est-il pris en compte ?
1.01.42 « Alors d’abord euh, quand il y a une impossibilité, une incompatibilité entre ce que veut le client et moi ce que je veux faire, ça m’arrive parfois, c’est euh, je peux me permettre parfois d’avoir cette attitude qui fait du bien à mon moral et à ma psychologie, quand j’ai un client qui veut du néo régionalisme, qui veut une imitation moche d’un style ancien, ce dont j’ai horreur, je supporte pas. Donc là je peux me permettre parce que justement comme là je suis pas suspendu à un client, mais que je sais que je peux en trouver d’autres derrières, je peux dire ‘’ben non monsieur, ou non madame, je suis désolée mais je fais pas ça’’. Euh même si le budget est de
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3 ou 400 000 euros, non je fais pas. Ça ne m’intéresse pas de faire ce genre de projet. Si je sens que je ne peux pas convaincre le client d’abandonner son idée de faire une mauvaise imitation d’un pseudo style ancien qui serait ridicule. Après euh non, après je suis euh très directif avec mes clients parce que j’ai compris que commercialement c’était très important, il faut être très directif avec les clients ils ont besoin de ça. Ils sont très stressés, et ils ont raison, ils ont des raisons d’être stressés. C’est une aventure de construire et il y a un très gros budget, même 100 000 euros c’est beaucoup d’argent. Et donc euh, ils ont besoin en face de quelqu’un de très directif. Donc mes clients, s’ils m’ont signé le contrat, c’est qu’ils s’en remettent à moi donc c’est moi qui décide, beaucoup plus facilement. Après il y pas de, si, il m’est arrivé d’avoir clients, euh c’est arrivé il y a des filous partout hein, il y en a un qui m’avait proposé d’escroquer les artisans, de manière à ce qu’il paye pas les travaux, enfin qu’il paye une petite, pas entièrement les travaux, avec une part pour moi quoi (rire) euh il est mal tombé quoi, là ça a été non seulement j’ai rompu le contrat instantanément, mais en plus j’ai prévenu les artisans. » 1.04.26 « A propos d’ailleurs des clients qui veulent des choses horribles, il faut bien se rendre compte, les architectes doivent avoir bien conscience, et ça ils ne l’ont pas du tout, que les gens, euh, s’ils connaissent pas l’architecture, s’ils ne savent pas ce que c’est, euh c’est bien la faute des architectes parce qu’ils se sont coupés des particuliers. Et surtout, les gens ne naissent pas euh directeur des HLM, président d’un conseil général, euh secrétaire d’Etat à la culture, etcetera. Ils ont été nommés à ce poste après avoir été enfants, adolescents, et ils ont eu une culture qui a été formée dans un milieu qui était pas le milieu du pouvoir qu’ils ont actuellement. Et donc ils ont la culture architecturale et le préjugé sur les architectes, que les architectes ont laissé. Je veux dire par là qu’en se détournant des particuliers, il faut pas s’étonner après d’avoir en face de soi des décideurs politiques ou des gens influant et puissant comme un directeur des HLM qui n’y connaît rien en architecture, qui ne comprend pas pourquoi un architecte c’est pas un bureau d’étude comme les autres, etcetera. C’est bien la faute des architectes. Parce que si ces gens-là avaient vu leurs parents construire avec un architecte, s’ils avaient vu comment ça fonctionne, pourquoi c’est utile, pourquoi il faut un architecte, et… et bah peut-être que quand il a le pouvoir, il s’en souviendra, il aura été formé avec cette optique là et il y aura des conséquences. Euh quand je vois des maires qui ont des règlements d’urbanisme débiles où ils imposent une imitation d’un style ancien, pour eux ça leur paraît très bien ! C’est très bien, et parce qu’ils ont pas cette culture, et ils ont pas cette culture parce que les architectes se sont détournés d’eux. Voilà. Avant qu’ils soient élus maire je veux dire. » Comment la maison d’architecte est-elle perçue par les municipalités ? Y a-t-il une réticence ?
1.06.32 « Alors il y a une euh, il y a actuellement, depuis, depuis 50 ans à peu près,
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depuis que je suis adolescent, il y a une culture du néo régionalisme qui est une catastrophe culturelle hein, c’est le euh un grand trou noir dans la culture architecturale, dans l’évolution de l’architecture depuis les années 60, où là on a distillé ce néo régionalisme qui perdure encore hein, faut pas se faire d’illusions hein, ça perdure. Lisez les PLU dans les, enfin pas à Paris, mais dans les petites villes, vous allez voir hein, on impose du néo régionalisme. A Toulouse c’est ‘’les couvertures seront en tuiles romanes rouges, euh les menuiseries gnagna machin, plus hautes que larges, enfin des trucs débiles et surtout catastrophiques au niveau environnement et architecture. Et donc la maison de l’architecte c’est une maison qui est perçue comme étant contemporaine, euh voire moderne, et qui ne s’inscrit pas dans un site, souvent. Euh faites un test, je suis sûr que si vous prenez la villa Savoye de Le Corbusier ou la maison à cascade de Wright, montrez des photos à des gens dans la rue, et vous dites ‘’c’est quoi ça ?’’. Et bien je suis sûr que la plupart vous diront ‘’c’est une maison moderne’’. Elles ont 80 ans hein. Nan nan mais c’est, le néo régionalisme c’est une catastrophe, c’est comme la peste au Moyen Âge qui est tombé sur la France. […] C’est un drame, d’abord parce qu’on a massacré notre environnement, ensuite parce qu’on a massacré la la la culture collective de l’architecture et on a empêché un tas de grandes architectures de qualité d’émerger, justement avec ce néo régionalisme. C’est moins pire qu’il y a 20 ans mais c’est quand même encore largement ancré. La référence à l’architecture traditionnelle elle est partout, même encore actuellement elle est partout. » 1.09.31 « Alors les gens eux commencent un peu à s’en affranchir, la maison dite moderne, c’est-à-dire le cube à toiture terrasse et menuiseries aluminium anthracite quoi euh, est à la mode. Bon ça c’est des maisons qui existaient déjà, moi, il y a 50 ans, quand j’avais une quinzaine d’années. Mais bon, enfin n’empêche ils disent que c’est moderne, que c’est à la mode. Euh, mais les règlements d’urbanisme et le discours officiel, l’académisme, impose, met toujours en avant le néo régionalisme. Et c’est, bon bah là on dévie du sujet mais c’est… quand je me suis inscrit à l’école d’architecture, il y avait déjà le néo régionalisme qui commençait à sévir, mais moi j’étais encore, j’étais formé par l’architecture des années 50, où il y avait des maisons formidables, fantastiques ! C’était les héritiers de Corbusier, on faisait des choses géniales, moi je pensais que j’allais faire des maisons comme ça. Et ça s’est complètement arrêté, euh au début 70, enfin à la fin des années 60, complètement arrêté, on a imposé le néo régionalisme. Mais normalement actuellement en 2018, on devrait faire des maisons mais… on peut pas imaginer comment ça devrait être. Des maisons textiles, des maisons euh… il devrait y avoir des chauffages solaires partout. […] On devrait faire des maisons entièrement végétalisées, enfin on peut pas imaginer ce que ça devrait être notre environnement. Euh à côté de ça on fait des… euh excusez-moi mais même les maisons cubiques à toit plat, euh… on a pas inventé l’eau chaude quoi. Regardez ce qui se faisait dans les années 50-60, il y en avait déjà plein quoi. C’est des modes qui culturellement n’ont aucun sens. Ce qu’il faut c’est fiche la paix aux architectes et les laisser faire, et puis c’est tout. Et puis ils sont… ça peut pas être pire que ce qui se fait actuellement (rire). »