Magazine Sansaï

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ÉTÉ 2012 CULTURES ALTERNATIVES

Christophe André Tito Mouraz Karla Black Takeshii Hosaka William Morris Nicolas de Cues Elise Morin Clémence Eliard ...

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N°58

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Consommateur, cet autre concepteur

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Tito Mouraz

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Quand Internet remplacera nos psys

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Karla Black

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Microcosme et Macrocosme

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</+2.,+/.2%>2%14%A9D1/.4,/-3% Claire Mulholland

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E0>4.,29+7%23%.82C Jean Huguet Jérémie Seelenluft E0>4.,/-3%!2374F%&4;4G/32 Maxime Pico Olivier Morin Anaïs Vontrhon Jean Huguet Jérémie Seelenluft E212.,9+2 Carole Bernard )HA+277/-3% Quarante deux lignes quarantedeuxlignes@gmail.com E2H2+./2H23,7 Muriel Paris Jeffrey Blunden Michel Derre

Du Do It Yourself (DIY) à l’obsolescence du statut de concepteur: comment l’usager, de simple destinataire anonyme, devient-il acteur du projet ? Dans quel but les professionnels du design revisitent-ils les méthodologies traditionnelles de leur discipline ? Focus sur ces pratiques où l’usager n’est plus le dernier maillon de la chaîne. Élaborer avec et non plus pour. Certains concepteurs pensent qu’il est plus pertinent de construire un logement, un objet ou un service en tant qu’usager plutôt qu’en étant isolé derrière un écran d’ordinateur. Faire ensemble pour mieux vivre ensemble. La figure du groupe paraît plus à même d’ouvrir des faisceaux de recherches, en lieu et place d’un concepteur bien en vue imposant une vision unilatérale. A contrario, façonner soi-même ses objets ou son lieu de vie n’élimine pas nécessairement la place du concepteur mais permet de requestionner modes de production et de fabrication. Les objets auto-produits et diffusés librement par Christophe André seront également examinés : retour en arrière, esprit du temps ou solution d’avenir ? Nous essaierons de nous immiscer dans les arcanes du marketing et de démêler stratégies de séduction marchande et vraies intentions d’ouverture. L’usager au pouvoir n’est pas synonyme de client roi. En témoigne l’émergence de ce contre-pouvoir qu’est l’open source. Au vu des publications de plus en plus nombreuses sur le sujet et de la richesse des postures orientées en ce sens, on peut se demander si ce n’est pas l’évolution contemporaine du design qui est là en train de s’écrire. En ce début de XXIe siècle, la marge deviendrait-elle la norme ?


SOCIÉTÉ

?@974;2+B%.2,%49,+2%.-3.2A,29+ Par Ingi Brown

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IL PARAÎTRAIT QUE NOUS SOMMES ENTRÉS DANS UNE NOUVELLE ÈRE : CELLE DE L’USAGER CONCEPTEUR. QUE L’ON ENTREPRENNE DE RÉALISER UN NOUVEAU MUSÉE, UNE PLACE PUBLIQUE, UN SITE INTERNET OU UN TÉLÉPHONE PORTABLE, IL SEMBLERAIT QU’ON NE PUISSE PLUS PARLER DE CONCEPTION SANS S’ASSURER DE LA PARTICIPATION ACTIVE DE L’USAGER À SON PROCESSUS.

Partout les mêmes recommandations: il faut trouver ou retrouver une place pour l’usager dans le processus de conception. Ces recommandations, reprises en cœur, ont au moins le mérite de nous faire réfléchir aux notions qu’elles viennent articuler, et nous permettent de questionner les termes usage, concepteur, utilisateur que nous manipulons peut-être trop par habitude. Car finalement qui est-il, cet usager ? Tout d’abord il me semble que deux idées bien différentes se cachent derrière ce terme d’usager concepteur. Une première chercherait à défendre l’idée que pour obtenir de meilleurs produits, un usager (ou plus souvent un ensemble d’usagers) doit retrouver une place dans le processus de conception. L’objectif avoué est de concevoir un produit adapté à un futur usager consommateur, celui-ci est donc pris pour sa capacité à prescrire. La question qui en découle est celle de la place de cet usager prescripteur dans le collectif qui participe à la genèse de l’objet. Tour à tour

le marketing, les designers, les sociologues de l’usage, ou dans certains cas les ingénieurs revendiquent une expertise propre sur les usages. Ainsi les uns et les autres débattent de la place et des activités à donner à ces usagers que l’on mobilise, de l’organisation de « tests de concept » en amont du développement, à la validation des prototypes par des « panels test » d’utilisateurs. Mais alors qu’apparaîssent une nouvelle génération d’usagers bidouilleurs qui modifient, réparent et recombinent les produits qu’ils achètent, certaines entreprises vont plus loin et proposent une autre voie en développant des outils de personnalisation toujours plus sophistiqués (par exemple NikeID qui permet de personnaliser chaque détail d’une paire de chaussures, mais aussi Shapeways qui propose des objets numériques reconfigurables à modifier soimême avant de lancer une impression 3D à la commande). Il semblerait que l’ère de la conception des biens par des entreprises soit révolue, et que l’usager aujourd’hui devient le principal, voire l’unique concepteur des objets qu’il désire.


Clement Valla, Seed Drawing 5, 2010 Archival inkjet on paper 44 x 44 inches


SOCIÉTÉ

A Sequence of Circles Consecutively Traced by five Hundred Individuals est une application en ligne imaginée par Clément Valla offrant la seule possibilité à ses utilisateurs de tracer une ligne. Chaque nouveau utilisateur ne voit que la dernière ligne tracé et ne peut tracer qu’une copie imparfaite. Commme la ligne est reproduite ainsi de suite, elle change et évolue, les tremblements et erreurs des premières lignes finissent par être exagérées avec le processus de répétition.

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I32%3-952112%;030+4,/-3%>@974;2+7%.-3.2A,29+7 Ces deux voies reposent pourtant sur une proposition quelque peu problématique. Elles supposent que l’on puisse tenir une séparation fondamentale entre le processus de conception d’un objet et une certaine activité subséquente que l’on nommerait usage ou « utilisation » par un usager utilisateur. Ici, la séparation concepteur/usager parait être avant tout un modèle trop simpliste de séparation de leurs activités : le concepteur conçoit puis livre le produit à un utilisateur qui utilise. Or il nous semble qu’on ne puisse pas assumer une telle position, mais qu’au contraire, l’usager est toujours, et a toujours été, l’un des concepteurs de l’objet.

Prenons un exemple contemporain d’un produit complexe : le Vélib’. Objet hybride, ni vélo, ni transport en commun, le Vélib’ prend quelques attributs des deux pour en faire un produit nouveau et inattendu. De plus, son intégration dans l’espace public génère des contraintes fortes à prendre en compte, et multiplie de fait le nombre et la diversité des acteurs qui composent l’équipe conceptrice. Ainsi le Vélib’ est issu d’un processus de conception qui a intégré tous les grands experts de la conception : non seulement les ingénieurs de chez JC Decaux et le designer Patrick Jouin, mais aussi des juristes, des informaticiens, des experts d’autres entreprises (Orange, Bouygues Telecom), et organisations (urbanistes de la Ville de Paris, conseillers politiques).


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Ainsi l’objet décontextualisé n’est rien. C’est l’usager, seul ou en collectif, qui le concrétise au moment de son utilisation. Pour ainsi dire, l’usager conçoit a minima le tout de l’objet, c’est-à-dire son projet, son interprétation et son usage propre. L’activité d’utilisation, ou l’usage, est une activité conceptrice, au même titre que celle effectuée .

De ces deux modèles, s’illustre bien l’impossibilité de séparer formellement une activité d’usage et une activité de conception d’un objet. L’usage est une poursuite de la conception. Certes les exemples montrent des extrêmes, mais il nous semble qu’au-delà de l’usage détourné singulier, tout usage peut être lu comme une activité de conception à part entière. On pourrait aller plus loin et défendre l’idée qu’un usager conçoit non seulement son propre usage, mais aussi sa propre interprétation, ainsi que le projet d’utilisation de tout objet qu’il utilise. Ainsi le marteau du menuisier n’est pas le même que le marteau équivalent mis dans les mains du bricoleur du dimanche, et qui est lui-même différent du marteau, pourtant objectivement identique que l’on pourrait exposer dans un musée. Ainsi l’objet décontextualisé n’est rien. C’est l’usager, seul ou en collectif, qui le concrétise au moment de son utilisation. Pour ainsi dire, l’usager conçoit a minima le tout de l’objet, c’est-à-dire son projet, son interprétation et son usage propre. L’activité d’utilisation, ou l’usage, est une activité conceptrice, au même titre que celle effectuée . À l’opposé du couteau suisse multi-fonctionnel, on retrouve aujourd’hui des objets tels que l’iPad, produit sans fonction prédéfinie ou prédominante. En revanche l’usager vient le « configurer » en le transformant pour l’adapter à des usages qu’il conçoit. De la même sorte, Twitter a pris son envol dès lors que des usagers ont commencé à expérimenter avec le nouveau service de « micro-blog » ou « maxi-sms ». Les inclassables deviennent intrigants et séduisent par le potentiel de nouveaux usages qu’ils permettent aux utilisateurs. Ainsi apparaît une classe nouvelle d’objets qui séduisent sans usages préconçus, qui mettent en avant non pas leur « adaptabilité », au sens du couteau suisse, mais plutôt leur potentiel d’usage.


Timo Kahlen. Bits & Pieces, 2011_ 4'08", stereo for radio transmission

Ce ne sont plus des objets multifonctions qui inévitablement vont figer un certain nombre d’usages prescrits à partir de scénarios prédéfinis, mais de véritables plateformes de conception, des produits qui permettent à tous d’imaginer et concevoir des usages inédits.

(( Le couteau suisse est l’archétype du produit multi-fonction, celui qui s’adapte à des besoins divers. A l’origine de sa conception, un certain nombre de scénarios d’usages prédéfinis servent de guide pour le choix des différents modules : lames, loupes, scies, ciseaux, auquel on ajoutera par la suite des fonctionnalités nouvelles. Ainsi l’évolution des usages va faire apparaître tour à tour un briquet, pointeur laser, ou une clé USB. Mais on perçoit rapidement la limite de ce raisonnement : faut-il intégrer un téléphone portable ? Un GPS ? Une carte de paiement ? Un appareil photo ? Quels sont les nouveaux usages auxquels il faut s’adapter ? On peut même se demander si paradoxalement le nouveau couteau suisse ne doit pas aussi intégrer un module. « pansement » pour venir en aide à celui qui s’en sert mal ! “Un iPad ? Mais… ça sert à quoi ? Tu l’as acheté pour quoi faire ?” “Ecoute je ne sais pas trop, on verra, mais ça avait l’air intéressant”

Timo Kahlen. Bits & Pieces, 2011_ 4'08", stereo for radio transmission

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SOCIÉTÉ

Au-delà d’une interaction concepteur/usager, c’est à présent des objets qui font de l’usager un meilleur concepteur qu’il faut développer ; car comme l’a évoqué Bernard Stiegler : « Le destinataire de l’objet industriel de demain est un praticien, et non un usager. »

6NIE%"??*E%6?I!%?N)#B > Stiegler Bernard, « Du Design comme sculpture sociale – Nouvelle association dans les desseins du design » Brigitte Flamand (collectif), Le Design : Essai sur des théories et des pratiques , Éditions du Regard, 2006. Entre l’interprétation des objets et les théories du « reader-response ».

Timo Kahlen. Bits & Pieces, 2011_ 4'08", stereo for radio transmission

Ils offrent de nouvelles capacités de conception aux usagers et en ce sens, on peut les qualifier d’outils. On peut donc se poser la question de cette « nouvelle ère de l’usager concepteur » : en effet, ce qui fait la nouveauté n’est pas tant que l’usager devient un concepteur, nous avons montré en quoi il l’a toujours été, en revanche il semble qu’aujourd’hui cet usager souhaite aller plus loin dans sa capacité à imaginer de nouveaux usages. Ce ne sont plus des objets multifonctions qui inévitablement vont figer un certain nombre d’usages prescrits à partir de scénarios prédéfinis, mais de véritables plateformes de conception, des produits qui permettent à tous d’imaginer et concevoir des usages inédits. Quant aux tentatives, aujourd’hui, d’implication des usagers dans les organisations conceptrices, il nous semble qu’il faut maintenant penser ces médiations en levant l’hypothèse des usages

donnés et prescripteurs et en considérant plutôt celle que nous avons présenté ici d’usages conçus. Ce ne sont plus des objets multifonctions qui inévitablement vont figer un certain nombre d’usages prescrits à partir de scénarios prédéfinis, mais de véritables plateformes de conception, des produits qui permettent à tous d’imaginer et concevoir des usages inédits. Quant aux tentatives, aujourd’hui, d’implication des usagers dans les organisations conceptrices, il nous semble qu’il faut maintenant penser ces médiations en levant l’hypothèse des usages donnés et prescripteurs et en considérant plutôt celle que nous avons présenté ici d’usages conçus.


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ALTERNATIVE

Par Michel Potel

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Christophe André est designer militant. Au cours de ses études en école d’ingénieur, on lui demande un jour de concevoir un objet ayant une durée de vie limitée, un défi qu’il a su relevé sans peine. Cette confrontation à l’obsolescence programmée, au cœur du système de production, axera par la suite sa recherche artistique. Il quitte le monde des ingénieurs pour celui des Beaux-Arts, où il entame une réflexion sur l’autoproduction et ce nouveau mode de diffusion des objets : le “design libre”. Une pratique et une pensée à contre-courant. Image: Markus Kayser, SolarSinter Project, 2011


Markus Kayser, Solar Sinter Project, 2011, ou comment exploiter le pouvoir du soleil dans les climats les plus chauds du monde.

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Je me suis interrogé sur la conception des objets telle qu’elle prévaut dans notre société consumériste, et sur ce que j’aimerais qu’elle soit dans l’idéal. Un des points qui me dérange le plus dans le rapport que l’on entretient avec les objets, c’est l’abstraction quasi totale qui le caractérise. Par abstraction, j’entends le fait que la plupart du temps on ne sait pas par qui, dans quelles conditions, avec quel type de matériau ou à quel endroit sont réalisés les objets ni comment ils fonctionnent précisément. Comme dirait François Brune, « tout est fait pour que chez le consommateur l’acte d’achat soit déconnecté de ses réelles conséquences humaines, environnementales et sociales. Pour jouir et gaspiller sans honte, il faut cacher les véritables coûts humains des produits, les lieux et modes de production, les impacts sociaux, etc. » . Q@4/%4AA+/7%R%C-+;2+ Pour lever cette abstraction, j’ai décidé de fabriquer les objets dont j’ai besoin plutôt que de les acheter. J’ai ainsi réalisé mon mobilier (table, bureau, canapé, console...). Je me suis inscrit à un cours de poterie pour réaliser en céramique mes ustensiles de cuisine (plat à tarte, moule à gâteau, saladier, pot à eau...). J’ai appris à forger, ce qui m’a permis de fabriquer mes outils de jardin. J’ai aussi créé des objets en lien avec des préoccupations énergétiques : une « marmite norvégienne », un cuiseur solaire (en collaboration avec Gabrielle Boulanger), un four solaire, une éolienne...

6+->9.,/-3%49,-3-H2%2,%A+->9.,/-3%80,0+-3-H2% Ce genre d’expérience est beaucoup plus riche qu’on peut le croire, dans le sens où le fait de créer au lieu d’acheter permet d’acquérir des compétences dans divers domaines. C’est aussi un moyen de rétablir un équilibre entre la production intégrée (hétéronome) et ce que Ivan Illich appelle la production vernaculaire (ou autonome) . La production autonome est celle qui permet à chacun de produire d’une manière très souple à partir de ressources locales et de moyens techniques de proximité en vue de satisfaire ses propres besoins et ceux d’un groupe social relativement restreint (une communauté, un village, une région). Ce mode de production, qui était dominant avant la révolution industrielle, tend à disparaître au profit de la production intégrée. Cette production hétéronome demande des moyens techniques considérables et donc des capitaux en rapport, ainsi qu’une main-d’œuvre importante soumise à une division du travail poussée réduisant les savoir-faire et enlevant au travailleur toute l’autonomie dont l’artisan d’antan pouvait bénéficier. S-HA10H23,4+/,0%>27%H->27 %>2%A+->9.,/-3%80,0+-3-H2%2,%49,-3-H2% Le problème auquel on doit faire face actuellement, c’est qu’on a privilégié la production hétéronome au détriment


ALTERNATIVE

Le Solar Sinter est un dispositif à haut composant éléctronique qui fond le sable pour créer des objets 3D en verre.

des activités vernaculaires. Ce faisant, on n’a pas seulement favorisé un modèle de production mais on a par la même occasion privilégié un modèle politique car la technique n’est pas neutre, elle façonne le monde, elle est un prolongement du politique. Jacques Ellul disait que la technique mène le monde bien plus que la politique et l’économie. ?4%,2.83/T92%B%93%A+-1-3;2H23,%>9%A-1/,/T92 Pour comprendre cette non-neutralité des techniques, il faut remonter au début de la révolution industrielle, dans les années 1811-1812 en Angleterre lorsque les Luddites se sont révoltés face à la montée de la production industrielle. Les artisans de la filière du travail de la laine et du coton allaient, la nuit, briser les machines dans les usines. Les Luddites ne se battaient pas contre la technique, mais pour préserver l’autonomie et la liberté qu’ils avaient d’organiser leur vie. Ils étaient pour que les machines soient au service de l’homme et non le contraire. Les Luddites ne se sont pas opposés à toutes les machines, mais à toutes les « machines préjudiciables à la communauté », c’est-à-dire celles que leur communauté désapprouvait, sur lesquelles elle n’avait aucun contrôle et dont l’usage était préjudiciable à ses intérêts. En d’autres termes, il s’agissait de machines produites uniquement en fonction de critères économiques et au bénéfice d’un très petit nombre de personnes, tandis que leurs divers effets sur la société, l’environnement et la culture.

U92%127%H4.8/327%7-/23,% 49%72+5/.2%>2%1@8-HH2%2,%3-3%12%.-3,+4/+2 Les Luddites considéraient que la technique n’est pas neutre et qu’elle est un lieu de pouvoir. Il y a eu un processus de neutralisation de la technique qui a débuté au 19e siècle. Au début de l’industrialisation, le consensus sur le progrès technologique n’existait pas. C’est une construction sociale et politique. Nous ne pouvons pas nous opposer à la technique. <9%.-37-HH4,29+%49%A+-7-HH4,29+ À travers ma pratique, je tente de rétablir un lien entre la production autonome et la production hétéronome. J’essaie de replacer le design en tant que design d’auteur au sens où William Morris - l’entendait, en privilégiant le travail à taille humaine et les savoir-faire. C’est un design du côté de la réalisation et qui considère le citoyen comme un travailleur plutôt que comme un client. Mieux, en procédant ainsi, c’est comme si j’abolissais la frontière entre le consommateur et le producteur. Le citoyen devient alors un « prosommateur », c’est-à-dire un individu qui prend part à ce qu’il va consommer. Cette attitude de prosommateur nous sort de notre attitude passive de consommateur, elle nous pousse à nous réapproprier les savoirs, les techniques pour devenir des acteurs responsables de l’univers que nous façonnons.


E0>9/+2%3-,+2%,2HA7%>2%,+454/1% A-9+%1@9,/1/72+%R%>27%4.,/5/,07%>@49,-A+->9.,/-3 Ingmar Granstedt propose dans son ouvrage Du chômage à l’autonomie conviviale de rétablir l’équilibre entre la production autonome et la production hétéronome en réduisant notre temps de travail pour l’utiliser à des activités d’autoproduction et ainsi démanteler petit à petit l’industrie en se réappropriant les techniques et les savoir-faire. Il propose pour cela différents angles d’attaque des filières : la première solution consiste à commencer par la fin et à remonter, en examinant chaque stade de fabrication, jusqu’aux matières premières. « Ou alors on peut commencer par le stade des matières premières et descendre progressivement la filière jusqu’au produit final. » Et enfin on peut aussi « partir de la réparation et de la fabrication de pièces détachées pour dissoudre la filière « latéralement ». » I3%3-95249%H->M12%7-./0,41%D470%79+% 1@23,+4/>2%2,%14%>/CC97/-3%>27%745-/+7%

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En restant dans cette optique, imaginons une société qui ne soit pas basée exclusivement sur la consommation d’objets mais sur l’autoproduction. Plusieurs communautés coexisteraient et, au sein de chacune d’elles, les membres pourraient fabriquer leurs propres objets dans des ateliers collectifs mis à leur disposition. Chaque communauté pourrait avoir une production spécifique qu’elle pourrait échanger tant que ces échanges ne remettraient pas en cause l’autonomie de la communauté. Cette condition serait remplie si l’on mettait en commun ce que l’on pourrait appeler : %?2%.->2%7-9+.2%>2%1@-DV2,K Ce concept fait référence au logiciel libre qui est fourni avec son « code source », c’est-à-dire le programme du logiciel, donnant ainsi le droit à toute personne de le compiler, de le modifier, de le copier et de le diffuser. Au logiciel libre, on oppose le logiciel propriétaire dont les sources sont cachées ou ne peuvent être modifiées sans l’accord du propriétaire. Dans le cadre de la production d’objets, le « code source » donnerait accès aux choix de conception, aux plans et aux méthodes de production et serait diffusé dans l’économie des connaissances. Ce type d’économie permettrait la re-sociabilisation des objets par la levée de leur abstraction. <05-/12+%127%>/CC/.91,07%T9/%A29523,%79+523/+ Lors de la réalisation de mes objets, j’ai conçu une documentation. Dans la partie consacrée à la phase de conception, j’ai exposé mes choix conceptuels tout en expliquant pourquoi j’avais écarté certaines pistes et je donne les plans détaillés de l’objet.


Markus Kayser, Sun Cuter, 2011


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Les Bicimaquinas: L'Association Maya Pedal fabrique des bicimaquinas à partir de vélos usagés reçus des États-Unis et du Canada. Ces machines servent différentes fonctions et sont fabriquées au Guatemala.


ALTERNATIVE


L'Association Maya Pedal fabrique des bicimaquinas à partir de vélos usagés .

$( plans détaillés de l’objet. Dans une deuxième partie (phase de réalisation), je révèle le détail des choix techniques ainsi que les différents matériaux utilisés. La réalisation est documentée grâce à une série de photos prises lors de la construction. Vient enfin une phase d’optimisation où je mets en avant les avantages de l’objet autant que ses inconvénients. En effet, contrairement au modèle marchand où l’on va cacher les erreurs, les ratages, on va ici dévoiler les difficultés qui peuvent survenir car celles-ci deviennent potentiellement des ressources pour d’éventuelles améliorations. En dévoilant ces problèmes, en les diffusant dans l’économie des connaissances, on pourra avoir des retours suggérant des pistes de résolution. J’ai soumis les différents

articles que j’ai écrits à la rédaction du magazine de bricolage « Système D ». Le magazine organise tous les mois un concours et prime les 50 meilleurs articles. Ce magazine constitue pour moi à la fois un espace de monstration et un moyen de rémunération. Voici quelques projets de « design libre ». Cette liste n’est pas exhaustive, il y a bien sûr beaucoup d’autres projets qui mettent en accès libre les connaissances développées. Superflex est un collectif d’artistes danois qui travaillent principalement sur des questions de propriété intellectuelle. Ils ont notamment développé une bière « libre », c’est-àdire une bière dont la recette est diffusée gratuitement.


Ces machines servent différentes fonctions et sont fabriquées au Guatemala.

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Par Matthias Goeffler

Installation View, Turner Prize: Baltic Centre for Contemporary Art, 2011, Gateshead, UK

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Installation View, Palazzo Pisani (S.Marina) at the Venice Biennale, 2011

ART

Artiste du fugace et de poudres évanescentes, l’écossaise Karla Black s’inspire volontiers du travail d’artistes telles que Helen Frankenthaler ou Karen Kilimnik. Née en 1972, c’est l’artiste qui fut en coude à coude avec Martin Boyce pour le dernier Turner Prize. Connue pour ses sculptures improvisées à partir du quotidien, intégrant à grande échelle du papier sucre, du maquillage, de la terre et de la feuille de métal, Karla Black farde le sol, enlumine les papiers et suspend des formes éphémères.

Diplômée de la Glasgow School of Art, elle a participé à la Biennale de Venise 2011 et conçoit la sculpture comme un élément évolutif, vivant, non sans rappeler le travail de l’artiste français Michel Blazy, utilisant la purée de carotte comme un enduit mural (exposition au Palais de Tokyo). Mélange de techniques variées convoquant des matériaux de bricolage, du maquillage (ombres à paupière, fond de teint et anti-cernes), Karla Black propose une œuvre féminine et spatiale.

6NIE%"??*E%6?I!%?N)#%B% > Karla Black est exposé à la Saatchi Gallery, Duke Of York’s HQ, King’s Road, London, SW3 4RY


$! Connue pour ses sculptures improvisées à partir du quotidien, intégrant à grande échelle du papier sucre, du maquillage, de la terre et de la feuille de métal, Karla Black farde le sol, enlumine les papiers et suspend des formes éphémères.


At Fault (detail), 2011, cellophane, paint, sellotape, plaster powder, powder paint, sugar paper, chalk, bath bombs, ribbon, wood, dimensions variable

ART


Installation view, Modern Art Oxford, Oxford, 30 September - 29 November, 2009

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Oh Baby Baby Baby, paint, plaster, petroleum jelly, aluminium foil, nails, paper, glass, 2003

ART


PENSÉE

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&/.+-.-7H2%2,%&4.+-.-7H2 Par Laure Tario

La théorie selon laquelle tout se répond dans l'univers fait correspondre à la totalité (macrocosme) une infinité de « modèles réduits » (microcosmes) qui imitent d'une manière plus ou moins parfaite la richesse du cosmos. Ce thème est développé, selon des modes variés, dans les conceptions du monde qui estiment que « tout est dans tout ». Souvent il s'allie à un animisme radical qui exclut toute distinction entre l'ordre des choses et celui du vivant. Solidaire des options philosophiques, religieuses ou artistiques qui cherchent avec une certaine nostalgie à établir un lien entre le visible et l'invisible, l'apparence et l'essence, il joue sur les analogies, les symboles, les médiations, les ressemblances. S'il échappe aux déterminations strictes, il répond avant tout à un rêve d'unité. Très répandues dans l'Antiquité et au Moyen Âge, les théories de la correspondance du macrocosme et du microcosme culminent à l'époque de la Renaissance. Dans la polémique contre l'univers clos et hiérarchisé hérité

d'Aristote et de Ptolémée, elles jouent un grand rôle. Enfin, comme « image » de la nature, l'homme ne découvre plus seulement en lui l'ordre de l'univers, mais son propre dynamisme conquérant. À l'idée de modèle se substitue un autre découpage de la réalité. Le vieux rapport entre l'homme et le cosmos est renversé : l'individu ne se pense plus à l'intérieur de l'univers, mais il s'affirme comme unique source de valeur. Ce retournement accompli, le parallélisme entre le microcosme et le macrocosme ne se justifiera plus. D'ailleurs, la naissance de la science impliquera un autre type de rationalité. Aux analogies vagues, aux correspondances trop vastes, Galilée puis Descartes substitueront des distinctions précises et limitées. Seuls les courants hermétiques conserveront l'idée de correspondance. Le romantisme et le symbolisme reprendront dans un autre cadre quelquesunes des intuitions qui ont animé les théories du microcosme.


Le microcosme dans le macrocosme, d’après un ouvrage de Robert Fludd, 1617


« Ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas ».

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La Table D’ Emeraude de Matthäus Merian

PENSÉE



Le microcosme dans le macrocosme, d’après un ouvrage de Robert Fludd, 1617

%% Si l’on en croit Olympiodore, philosophe grec du VIe siècle apr. J.-C., les rapports du microcosme et du macrocosme sont ainsi conçus par les penseurs de la tradition hermétique : « Hermès se représente l’homme comme un microcosme, tout ce que contient le macrocosme l’homme le contenant aussi. Le macrocosme contient des animaux terrestres et aquatiques : ainsi l’homme a-t-il des puces, des poux et des vers intestinaux. Le macrocosme a des fleuves, des sources, des mers : l’homme a les entrailles [...] Le macrocosme a le Soleil et la Lune : l’homme a les deux yeux et on réfère l’œil droit au Soleil, l’œil gauche à la Lune. Le macrocosme a des monts et des collines : l’homme a les os. Le macrocosme a les douze signes du ciel ; et l’homme les contient aussi » (cité par A. J. Festugière, La Révélation d’Hermès Trismégiste, t. I). Sous une forme naïve, ce texte exprime les principes. Entre le microcosme (l’homme) et le macrocosme (l’univers) s’établit une correspondance qu’au gré de son invention le philosophe, le mage, le peintre ou le mystique peut enrichir de mille liens subtils et évanescents. Les deux notions échappent à l’analyse rigoureuse ; elles se saisissent en corrélation à travers un système de correspondance où, à la richesse de la totalité, répond en « réduction » un modèle privilégié. Thème séduisant pour les philosophies qui cherchent à approfondir les aspects de l’unité du cosmos

plutôt qu’une expérience de la séparation et de la différence. Fondé sur des analogies qui fonctionnent au niveau de l’intuition, le discours sur le microcosme et le macrocosme renvoie à une sorte de jeu de miroirs où les images se répondent, se déforment, se modulent mutuellement. Mais pour interpréter les correspondances et les signes, il faut un magicien qui possède la clé de ce langage mystérieux. Ici entrent en jeu les interprétations, c’est-à-dire des tentatives pour préciser, par-delà l’unité, l’articulation des différences. Les philosophies antiques et médiévales en restaient au schéma de l’analogie et de la correspondance. Les philosophies de la Renaissance remplacent la notion d’image par celle de centre de forces. Et il s’agit alors pour l’hommemicrocosme de conquérir la nature et l’immortalité, en s’imposant par ses œuvres et sa gloire. À la jonction du Moyen Âge et de la Renaissance, Nicolas de Cues (1401-1464) transforme la manière d’envisager les rapports de l’homme et du cosmos. Utilisant une dialectique très subtile de l’enroulement et du déroulement, il expose la différence entre Dieu infini parfait et l’univers infini déroulé dans le temps et dans l’espace, donc moins parfait.


Le microcosme dans le macrocosme, d’après un ouvrage de Robert Fludd, 1617

À la jonction du Moyen Âge et de la Renaissance, Nicolas de Cues transforme la manière d’envisager les rapports de l’homme et du cosmos. Utilisant une dialectique très subtile de l’enroulement et du déroulement, il expose la différence entre Dieu infini parfait et l’univers infini déroulé dans le temps et dans l’espace, donc moins parfait.

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Par Pierre Slusser

Des mines à ciel ouvert à donner le vertige, des carrières de pierre qui ravagent l’environnement mais aux motifs géométriques complexes qui les font ressembler à des peintures abstraites. Open Space Office est une série du photographe portugais Tito Mouraz, réalisée au Portugal sur une période de 2 ans. Il a passé la plupart de son temps dans les carrières de marbre de l’Alentejo sur des falaises artificielles d’environ 160 mètres. Son travail a pour but de dépeindre une réalité qui souffre d’un processus continu de transformation rapide quotidienne. Fasciné par les effets de l’action humaine sur la nature, il a suivi pendant deux ans la transformation d’une carrière de marbre. Une évolution qui, par le choix des cadres ou les nuances chromatiques, témoigne à la fois de l’irréversibilité du procédé et de la temporalité de chaque étape. L’altération quotidienne de l’environnement par l’Homme ainsi relayée finit par émerger comme un tout organique où l’un et l’autre se complètent et se nourrissent. Enfin, l’approche de Tito Mouraz qui, aux plans larges préfèrent les détails, permet de stimuler l’imagination du spectateur. La narration personnelle de ce dernier insuffle alors une dimension lyrique à la fascination du photographe.


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Fasciné par les effets de l’action humaine sur la nature, il a suivi pendant deux ans la transformation d’une carrière de marbre. Une évolution qui, par le choix des cadres ou les nuances chromatiques, témoigne à la fois de l’irréversibilité du procédé et de la temporalité de chaque étape.


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I6 Par Mario Georgina

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DESIGN

L'UPCYCLING EST LE PROCÉDÉ QUI CONSISTE À TRANSFORMER DES MATÉRIAUX RÉCUPÉRÉS - OU DES PRODUITS DEVENUS SANS USAGE EN NOUVEAUX OBJETS DE MEILLEURE QUALITÉ OU PIÈCES À FORTE EXIGENCE ESTHÉTIQUE. CETTE SCULPTURE BAPTISÉE «WASTE LANDSCAPE» A ÉTÉ RÉALISÉE PAR ELISE MORIN ET CLÉMENCE ELIARD.POUR RÉALISER CET INCROYABLE PROJET, LES 2 ARTISTES ONT COLLECTÉ 60 000 CD INVENDUS QU’ELLES ONT COUSUS SUR DES BÂCHES EN PLASTIQUE ACTIONNÉES PAR UN SYSTÈME DE GONFLAGE. LE RÉSULTAT EST SPECTACULAIRE : DES DUNES AUX REFLETS ARGENTÉS QUI BOUGENT À LA DEMANDE.

Fabriquée à base de pétrole cette nappe de CD réflechissante façonne des dunes aux reflets métalliques, une mer immobile: l’échelle monumentale révèle l’aspect précieux d’un petit objet quotidien. Une déambulation insolite entre attraction et répulsion, séduction et crainte.Waste Landsape est un paysage artificiel valonné de 600m² revêtu d’une cuirasse de 60 000 CD collectés, triés et cousus à la main. Ces CD usagés ou invendus sont des supports de mémoire condamnés qui disparaissent peu à peu pour participer à l’édification d’immenses déchetteries toxiques à ciel ouvert, flottantes ou enfuies.


ARCHITECTURE

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:4X278/% Z-74X4 Par Éric Kramer

AVEC SON ARCHITECTURE ÉTRANGE, CE BÂTIMENT N’EST NI UN DÔME NI UNE COUPOLE MAIS UN MÉLANGE DE FORMES RONDES SE RAPPROCHANT D’UN IGLOO… SITUÉ AU PIED DU MONT FUJI, LE HOTO FUDO NOODLE EST UN RESTAURANT A 2H DE TOKYO .



ARCHITECTURE

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À l’intérieur, pas de vitres ni de cloisons, mais des espaces ouverts sur l’extérieur avec une volonté affichée de laisser l’air circuler vers l’intérieur. Durant la froide saison, un système de coulissades permet de fermer le restaurant avec des parois dans la continuité du bâtiment.


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SANSAÏ.COM


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