Monsieur le Président du Conseil général, Cher Stéphane, Monsieur le Député, Cher Mathieu, Monsieur le Maire, Cher Michel, Madame, Monsieur, Cher Hibat TABIB, Je suis heureux de vous recevoir à l'Hôtel de Lassay, pour vous remettre, au nom de la République, un haut témoignage de notre estime et de notre reconnaissance. Une cérémonie de remise de Légion d’honneur doit pouvoir concilier solennité, par respect pour cet ordre prestigieux, et simplicité, comme gage de sincérité. Car, c'est bien cette belle qualité... cette grande vertu... la sincérité... votre sincérité... que nous honorons ce soir. La sincérité d'un combattant pour la liberté, La sincérité d'un militant de l'intérêt général, La sincérité d'un résistant. Oui, Hibat TABIB, vous êtes un résistant. Votre vie, c'est le verbe « résister » conjugué à tous les temps. Vous avez résisté, en Iran, contre le totalitarisme et l'obscurantisme. Vous résistez, en France, contre l'exclusion sociale. Et, je le sais, demain, vous résisterez encore et toujours. Pourtant, rien ne vous destinait à cette vie d'engagement. Rien ne vous vouait à ce destin hors du commun. *** Vous naissez, en 1947, à Dezfoul cette ville du sud-est de l'Iran, où vous mènerez une 1/16
enfance paisible. Il faut dire que les « TABIB » étaient reconnus parmi les Dezfoulis et jouissaient d'une certaine notoriété. Votre grand-père était le seul médecin de la région – c'est d'ailleurs la signification, en persan, de votre nom. Et votre père, « Baba », fort de cette réputation et de son patronyme, assurait toujours des consultations médicales bien qu'il occupât un poste administratif au ministère de la Santé. Votre enfance... c'est une famille – que l'on qualifierait aujourd'hui de « recomposée » – avec ses douze enfants et l'amour d'une femme admirable, votre mère. Votre enfance... c'est aussi l'école. L’École, cher Hibat TABIB, c'est probablement notre premier point commun. Nous croyons l'un et l'autre en cette École qui émancipe... cette école qui sait faire comprendre d'où nous venons et où nous allons. Cette École qui, par delà les frontières, nous a permis de nous transcender et de nous élever. Pour l'un comme pour l'autre, il nous aura fallu un déclic. Le mien s'appelait Marie-Thérèse, elle était professeur de Français. Le votre était professeur de Mathématiques et il vous a convaincu de poursuivre des études. Pour la première fois, nous découvrons à quel point les encouragements sont motivants. Vous ne l'oublierez pas et c'est un levier que vous utilisez toujours dans vos actions éducatives. L'élève modeste, que vous étiez, devient brillant, au point qu'il réussit le concours d'entrée à la faculté de droit de Téhéran.
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Nous sommes au début des années 1970... et commence votre éveil politique. ** * Cet éveil se fait par des lectures et des échanges sur l'Iran et son Histoire. Très vite, vous ferez de la liberté le premier de vos combats. Vous vous inquiétez des reculs démocratiques. Comme vous l'écrirez, « le Shah veut tout gérer » et détenir un « contrôle politique total ». « La révolution blanche ? – vous répondra votre professeur de littérature – C'est avant tout la disparition des arbres ».
Dans chaque ville, dans chaque village, on élève des statues en sacrifiant la fraîcheur et l'ombrage des places sur l'autel du culte de la personnalité du Shah. Ce glissement totalitaire devient insupportable pour le lecteur assidu de Maxime Gorki et Georges Politzer que vous êtes devenu. Surgit alors la première épreuve : le tribunal de famille. Votre engagement suscite crainte et incompréhension : « Tu n'es qu'un inconscient et un irresponsable qui nous met tous en danger, vous dira votre frère. Il faut faire un choix, c'est la politique ou la famille ». Vous claquerez la porte.... et retrouverez vos compagnons de route. Comme beaucoup d'Iraniens de votre génération, ces premiers contacts avec des opposants suffisent à vous envoyer en prison. C'est là que vous connaîtrez votre véritable formation politique. Votre caractère têtu fera le reste : en 1975, vous refuserez le gâteau apporté par vos gardiens 3/15
pour l'anniversaire du Shah. Cela vous vaudra torture et isolement... mais également reconnaissance et respect de vos pairs. 7 ans et 4 mois. 7 ans et 4 mois de souffrance. 7 ans et 4 mois d'attente. A votre sortie – ce sont vos mots – vous n'êtes « personne d'extraordinaire mais votre statut de magistrat, une famille reconnue et un long passage en prison, vous accordent la légitimité dont la résistance a besoin pour s’organiser efficacement ». Vous participerez à la révolution de 1979, qui amène l’ayatollah Khomeiny au pouvoir. Comme la grande majorité de vos compatriotes, vous avez cru que Khomeiny allait fondamentalement changer la société iranienne.
Mais rapidement, vous comprendrez que le nouveau pouvoir anesthésie le peuple, faisant de l’Iran un bastion de l’intégrisme. Candidat des forces démocratiques aux élections législatives de 1980, vous ne pourrez siéger au Parlement. La démocratie reste le songe d'un monde lointain. La terreur s’installe à nouveau. « La révolution dévore ses propres enfants… », écrirez-vous. Et vous serez contraint à la clandestinité. *** Pour vous, pour les Fedayins du peuple, la résistance devait entrer dans une nouvelle phase : vous serez plus utile vivant à l'extérieur que mort à l'intérieur.
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C'est ainsi que vous quitterez votre terre natale. L'épisode force le respect.
Par un froid glacial, vous traversez les montagnes qui séparent l'Iran de la Turquie. Nous sommes le 1er janvier 1984. Votre fils, Manoocher n'a que 13 mois. L'un des passeurs l'a enveloppé dans une peau de mouton. Sans le dire, sans échanger une parole... avec votre femme – chère Fereshteh vous imaginez le pire. Jamais, vous n'avez ressenti une telle douleur. Pas même en prison. Mais vous poursuivez votre route. C'est votre destin. A cheval, à pied, en voiture... l'angoisse est permanente. Les pasdarans , ces gardiens de la révolution islamique, peuvent être partout. La notion de frontière se perd dans le paysage. Vous finissez par atteindre la Turquie. Votre famille est saine et sauve.
Il vous faudra encore du courage pour... affronter l'administration. Mais, après quelques mois, vous obtiendrez un visa pour la France.
Vous voilà en route pour le pays des droits de l'Homme. Les images défilent dans votre tête. Votre pays... Dezfoul son odeur, ses étés assommants, sa rivière tourbillonnante, son marché et ses artisans. Une ville magnifique... une ville attachante, mais une ville violente. Une violence, que, vous retrouverez – à votre grande surprise – en France.
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** * Après quelques mois à Villeurbanne, vous vous installez à Stains. Vous pensez être de passage en France – au point de n'acheter que 3 assiettes et 3 verres. Mais, vous voilà arrimé ici... dans ce département, la Seine-Saint-Denis, de toutes les couleurs, origines et religions. Accueilli par des militants chrétiens et communistes, vous vous engagez dans la formation des travailleurs immigrés. Transmettre, partager, apprendre... ce sont vos armes pour résister une fois de plus. C'est votre seconde naissance politique. Vous reprenez vos études et obtenez, à Jussieu, un DEA en « relations internationales et connaissance du Tiers-monde ». Et vous devenez un acteur de la vie associative de votre ville d'accueil d'abord au service des enfants puis des adultes des quartiers. Mais c'est à Pierrefitte-sur-Seine que se mettront à sonner les « trompettes de la renommée »... Pierrefitte où
vous dirigez, à partir de 1992, le centre social Georges
Brassens. Ce centre social, implanté au cœur de la cité des Poètes, sera votre laboratoire. Les débuts seront difficiles : deux ans après votre prise de fonction, vous dressez un constat d'échec... Vous n'imaginiez pas qu'en France, il y ait une misère aussi profonde et encore moins une telle violence gratuite.
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L'espace public du quartier était toujours privatisé par des bandes d'individus, le centre social continuellement attaqué, et des personnes agressées. Vous décidez de fermer votre centre. Il faut un message fort ! Parallèlement, vous entreprenez des concertations avec les habitants, les institutions, les jeunes. Présence adulte, solidarité intergénérationnelle et responsabilité de chacun seront vos maîtres mots. Le centre est une nouvelle fois attaqué ? Vous portez plainte. Cela marque les esprits et entraîne une prise de conscience collective. Vous le martelez : « le quartier appartient à tous »... et vous commencez à travailler avec le commissaire, le procureur de la République, le maire, les parents, les jeunes. Le grand chantier de la médiation s'ouvre, vous en serez le maître d’œuvre. ** *
L'expérience menée pendant neuf ans sur le quartier des Poètes, vous a montré que les problèmes sociaux étaient souvent liés à des questions de droit. Il fallait donc un outil pour répondre aux besoins de l'ensemble des habitants. C'est ainsi que vous créerez, le 18 octobre 2001, l'AFPAD, l'Association pour la formation, la prévention et l'accès au droit. Michel FOURCADE peut témoigner de l'importance de cette structure dans sa ville.
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Car l'AFPAD n'est pas qu'un simple point d'accès au droit. C'est un espace d'accompagnement, c'est un lieu de médiation. C'est un mode de régulation sociale. C'est un réseau associatif devenu international.
La médiation est, pour vous, un droit pour tous les citoyens : elle doit permettre de résoudre les conflits du quotidien. Et, je sais à quel point votre action aura permis à Pierrefitte de devenir, en 2005, cette « Ville-médiation », label que la commune peut promouvoir en France et en Europe. *** Vous l'aurez compris, ces quelques minutes ne peuvent me suffire à dresser le portrait et l'action du récipiendaire – c'est la formule consacrée – que nous honorons aujourd'hui. Je connais Hibat TABIB depuis de nombreuses années. J'ai encore en mémoire, les rencontres nationales de prévention de la délinquance, tenues à Montpellier, au printemps 1999, lorsque j'étais Ministre de la Ville. Hibat TABIB y avait animé un atelier. Je voudrais simplement dire qu'il est une source inépuisable d'inspiration pour les pouvoirs publics.
J'en prends à témoins Stéphane TROUSSEL, Président du Conseil général de la SeineSaint-Denis, et Mathieu HANOTIN, Député et Vice-président du Conseil général chargé de l'éducation et de la jeunesse. En 2008, après mon arrivée à la tête du Département, j'ai échangé avec Hibat TABIB. Ce dernier m'a présenté une action éducative qu'il menait à Pierrefitte, en direction des 8/12
gamins en rupture scolaire... les fameux « décrocheurs ». J'ai pu mesurer, très rapidement, sa force de persuasion : « En France, – m'a-t-il dit – les jeunes sont considérés comme un problème et non comme des gens qui ont des problèmes ». J'ai mesuré la cohérence de son projet et nous avons décidé de le généraliser. C'est ainsi qu'est né, en Seine-Saint-Denis, le dispositif d’Accueil des Collégiens Temporairement Exclus. ** *
Mesdames, Messieurs, Hibat TABIB n’est pas un personnage de fiction. Il existe. Je le connais. Vous le connaissez. C'est ce Fils de Dezfoul, Cet avocat iranien, Ce militant des forces démocratiques à Téhéran, Ce réfugié politique en France, Cet innovateur social en Seine-Saint-Denis, Ce père, fier de la réussite de son fils, Ce mari qui, après 32 ans de mariage, regarde son épouse comme au premier jour... Hibat TABIB, c'est une vie multiple au service d'un idéal. Un idéal devenu devise de la République française... Un idéal universel... Un idéal fait de liberté, d'égalité et de fraternité. Mais Hibat TABIB, c’est aussi une vie dangereuse, une vie d’aventures, une vie d'espérance. 9/11
C’est, je crois, une vie qui raconte quelque chose. Pas seulement sur lui, pas seulement sur l'Iran ou la France. Pas seulement sur la SeineSaint-Denis... mais sur notre histoire à tous. Cher Hibat TABIB, Au nom du Président de la République, Et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, Nous vous faisons Chevalier de la Légion d’honneur.
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