DISCOURS de Claude Bartolone Président de l’Assemblée nationale Présentation de la lettre autographe d’Olympe de Gouges Jeudi 7 mai 2015 Madame la Ministre, Chère Pascale Boistard, Madame la Vice-présidente, Chère Sandrine Mazetier, Madame la Maire du 12ème arrondissement de Paris, Chère Catherine BarattiElbaz Mesdames, Messieurs les Députés, Mesdames, Messieurs, C’est avec un grand plaisir que je vous accueille aujourd’hui pour vous présenter un document d’une extrême rareté. Il s’agit d’une lettre manuscrite, signée d’Olympe de Gouges, récemment acquise par le fonds de l’Assemblée nationale. Très peu de documents de cette écrivaine, pourtant prolifique, ont traversé les siècles pour nous parvenir. C’est donc avec une émotion particulière que nous découvrons aujourd’hui cette lettre rédigée le 4 juillet 1789. Songez à ce jour… La monarchie vacille. Sous la pression, le roi convoque les Etats généraux, réunis deux mois plus tôt à Versailles. Les députés du Tiers-état, rejoints par quelques représentants du Clergé dont les Abbés Grégoire et Sieyès, viennent de se constituer en Assemblée Nationale. Deux semaines plus tôt, les chambres du Tiers-état et du Clergé se rassemblent
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dans la salle du jeu de Paume et font le serment de doter le pays d’une Constitution. C’est le célèbre serment du jeu de Paume. Le Roi les convoque et ordonne la séparation des 3 chambres. Le Tiers-état et le bas clergé refusent. Mirabeau s’interpose entre Dreux-Brézé et Bailly avec cette légendaire formule « nous sommes ici par la volonté du peuple, nous n’en sortirons que par la force des baïonnettes ! ». La rue gronde et le peuple s’impatiente. Il craint une intervention étrangère. Il attend plus de justice, il espère plus d’égalité, il demande plus de liberté. Nous sommes à quelques jours des émeutes de Paris et de la prise de la Bastille… Là, sous nos yeux, se trouve un fragment de cette histoire, l’histoire de la République française naissante. Et ce précieux fragment ne nous vient pas de n’importe qui. Il nous vient d’une femme extraordinaire, qui eut l’audace, dans cette période troublée de la Révolution, de réclamer des droits pour les esclaves, les indigents et les femmes, trois catégories de personnes alors totalement exclues de tous droits civiques. Il nous vient de celle qui déclarera bientôt : si « la femme a le droit de monter sur l’échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune »; sans imaginer, sans doute, qu’il faudra 152 ans pour voir les premières femmes élues à l’Assemblée nationale française… Nous sommes en 1789. La politique française est en ébullition. Olympe de Gouges écrit depuis déjà 6 ans, et ses deux premières affiches ont fait la une du « Journal Général de France». Elle ressent l’urgence de pouvoir s’exprimer plus efficacement. Elle dicte cette lettre, dans laquelle elle sollicite à nouveau le privilège d’éditer un journal, « le journal du Peuple». Elle l’adresse au Duc d'Orléans, cousin du Roi, espérant qu’il soutienne sa demande auprès du souverain.
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En pensant aux espoirs que cette grande dame met dans cette lettre en la signant, notre émotion grandit. Aussi, je veux remercier tous ceux qui ont rendu possible cette acquisition. Tout d’abord, Madame la Vice-Présidente, Sandrine Mazetier, qui l’a décidée. Merci, chère Sandrine, de nous faire ainsi partager votre intérêt pour ce passage de notre histoire et pour l’admirable courage d’Olympe de Gouges, la femme qui osa « politiquer » sous la terreur. Merci à Patrick Montambault, directeur de la Bibliothèque, qui a su guetter dans le catalogue des ventes de Drouot celle de la prestigieuse collection Claude de Flers et trouver dans les 1500 lettres et manuscrits autographes de femmes, les trésors historiques dignes de ses soins attentifs et éclairés, et du sanctuaire de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale. Merci enfin à toutes les personnes qui y ont concouru, grâce, bien entendu, au droit de préemption de l’État. *** Vous constaterez en regardant les vitrines ici exposées, que l’Assemblée nationale possède déjà un ensemble important de documents d’Olympe de Gouges, et que cette lettre vient le compléter. Pour quelles raisons, depuis plusieurs années, les députés ont souhaité collecter ces documents ? Que représente cette femme pour l’Assemblée nationale ? D’origine modeste, autodidacte, Olympe de Gouges est critiquée par ses contemporains. Veuve à 18 ans, elle refuse de se remarier pour conserver sa liberté de ton, d’expression et d’action. Elle détonne dans un univers parisien, où
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les grandes figures féminines ne doivent briller que dans l’atmosphère feutrée des salons. On la dit entretenue, libertine, impudente. On la dira ensuite exaltée, virago, femme-homme ayant oublié les vertus qui siéent à son sexe. On la guillotinera et on l’oubliera. La vie d’Olympe de Gouges est une leçon de courage. Elle donne ses lettres de noblesse à la politique au féminin. Non !! Pas au féminin, à la politique tout court ! Ce ne serait pas lui rendre hommage que de restreindre son combat, au combat d’une femme en faveur des droits des femmes. La déclaration des droits de la femme et de la citoyenne s’intègre dans une vision bien plus large de la société. Avant d’être une féministe, Olympe de Gouges était une politique. Elle voulait peser sur le cours des choses. Elle avait le sens de l’Etat et mesurait parfaitement le risque qu’elle prenait en faisant entendre sa voix. La réduire au féminisme aujourd’hui, serait lui faire la même injustice que les commentateurs d’alors qui voulaient la réduire à son statut de femme. Aussi, j’évoquerai les trois autres points cardinaux, qu’elle laisse aux élus de la République que nous sommes, pour orienter notre engagement politique : le patriotisme, l’humanisme et la résistance à l’oppression. Olympe de Gouges est mue par l’amour de son pays. « Intrépide pour le bien de la Patrie », comme elle se définit elle-même, Olympe de Gouges intervient constamment dans le débat public. Son obsession de « sauver la France », de lui éviter la misère, les révoltes destructrices et les malheurs des guerres, la pousse à toutes les audaces. Elle se proposera d’être la médiatrice, l’ambassadrice du Roi auprès du prince Condé en Allemagne pour éloigner le projet d’intervention de son armée. Page 4 sur 7
Pour sauver le pays de la banqueroute, elle invitera à créer un impôt patriotique volontaire, acquitté par tous sans exception. Son « unique désir est d’être utile à la Patrie », comme elle le déclare dans le style un peu ampoulé de l’époque. Elle n’aura de cesse de préconiser des réformes sociales et sociétales. Son désintéressement n’est pas feint, elle finira par se ruiner en éditant à compte d’auteur et distribuant largement ses affiches et ses brochures. Tout son parcours est également marqué par un profond humanisme qui lui vaudra sa première lettre de cachet, son premier ordre d’embastillement. Dès ses premiers écrits, Olympe de Gouges prend le parti des esclaves noirs et réclame la fin de la « barbarie dans les colonies ». Sa pièce de théâtre, Zamore et Mirza, qui la rendra célèbre et dont un exemplaire de 1788 figure ici, évoque cette question avant même la création par Brissot de la Société des Amis des Noirs, club qui œuvrera à l’abolition de l’esclavage. Son engagement en faveur des déshérités, des oubliés ou des maltraités aura la même force et la même constance. Elle demande des maisons « ouvertes dans l’hiver pour les ouvriers sans travail, les vieillards sans forces, les enfants sans appui ». Elle réclamera le droit au divorce, le remplacement du mariage par un engagement librement consenti et la reconnaissance des enfants nés hors mariage. Olympe était une résistante. Jusqu’à son dernier jour, elle s’opposera à l’oppression, aux persécutions, aux dénis des droits de l’Homme si tôt adoptés. Pour les citoyennes volontairement écartées par l’Assemblée Constituante, elle rédige son plus beau texte : la déclaration des droits de la femme et de la Page 5 sur 7
citoyenne. Elle nous interpelle : « Homme, es-tu capable d’être juste ? ». Comme les philosophes des Lumières, elle conteste les préjugés ; ces préjugés qui privent la femme de ses droits naturels. Souvent isolée, Olympe de Gouges n’est ni inconsciente, ni hystérique, comme on a pu le dire. Après la mise en place du comité de salut public, elle dénonce les abus de droits et l’arrestation des députés Girondins. Elle adresse publiquement une lettre d’indignation à la Convention, dans laquelle elle s’associe à leur sort et fait la prédiction de sa propre mort. Elle pressent que c’est inévitable. Elle soupçonne Robespierre de «vouloir parvenir à la dictature», mais, résistant toujours et encore à la tyrannie qui s’installe, convaincue de la force du débat démocratique, elle réclame le droit de choisir librement le régime politique. Dans une affiche intitulée « les 3 urnes ». Celle-ci sera à l’origine de son arrestation et de son exécution. *** Patriote, humaniste, démocrate, elle voulut être ambassadrice, avocate et femme politique. L’Histoire n’a aucune raison de ne pas la retenir. Et, je pense qu’il serait dommage que ce fonds extraordinaire de documents, rassemblé pour la première fois aujourd’hui, réintègre dès demain la chambre forte de la bibliothèque. Je demande donc aux services de pérenniser, jusqu’à la fin de la session, cette exposition dans notre bibliothèque. J’ai également souhaité l’installation, le 21 octobre prochain, d’une œuvre représentant Olympe de Gouges, dans la salle des quatre colonnes.
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Olympe de Gouges entrera ainsi à l’Assemblée nationale le jour où nous commémorerons l’entrée, il y a 70 ans, des 33 premières femmes élues députées de la République française. Je vous remercie.
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