Discours d’ouverture du forum « République et Islam » Assemblée nationale, 22 juin 2015 Messieurs les députés, cher Jean Glavany, cher Jean-Louis Touraine, Madame la sénatrice, chère Bariza Khiari, Monsieur le président, cher Benjamin Stora, Mesdames et messieurs, chers amis, « La démocratie fonde en dehors de tout système religieux toutes ses institutions, tout son droit politique et social. […] Elle ne s’appuie que sur l’égale dignité des personnes humaines appelées aux mêmes droits et invitées à un respect réciproque, elle se dirige sans aucune intervention dogmatique. […] Elle est foncièrement laïque, laïque dans son essence comme dans ses formes, dans son principe comme dans ses institutions, et dans sa morale comme dans son économie. » Ces mots que Jean Jaurès a prononcés un an et demi avant l’adoption de la loi de séparation des Églises et de l’État, restent aujourd’hui d’une fulgurante actualité. Je suis très heureux cet après-midi d’ouvrir ce forum sur les relations de la République et de l’Islam, colloque que tu as initié et organisé, mon cher Jean : je sais que, sous ton regard, il n’y aura de place ici pour aucun amalgame, pour aucune instrumentalisation ni pour aucune stigmatisation. Que personne n’ait aucune crainte sur la nature de ce projet. Je veux le dire très clairement : il n’y a tout simplement pas de problème entre l’Islam et la République ni entre la République et l’Islam. Ni politique ni culturel. Pas plus qu’avec une autre religion.
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La laïcité républicaine n’est hostile à aucun culte. Elle permet à toutes les religions, comme à toutes les convictions philosophiques et spirituelles, non seulement de coexister paisiblement dans notre société mais également de s’exprimer et de vivre ensemble. Parce qu’elle protège l’État des tentatives d’emprise des religions et, symétriquement, protège les religions de tout contrôle par le politique, la laïcité est un puissant principe d’émancipation. La République, qui impose à tous les mêmes devoirs, donne à toutes les expressions, religions et courants de pensée, les mêmes droits et assure à chacun la liberté de conscience et de culte. La laïcité est cette clé de voûte de nos principes dans laquelle s’incarne notre ambition républicaine, profondément universaliste et fraternelle. C’est à mes yeux un véritable piège que nous tendent tous ceux qui cherchent à cristalliser un problème par essence entre la 2ème religion pratiquée en France et la République ; ou ceux qui pensent lui trouver une réponse par l’ajout d’un qualificatif à la laïcité – comme a tenté de le faire, encore ce matin, un de nos principaux quotidiens. Or la laïcité républicaine est un principe juridique, pas une idéologie. Elle n’a pas à être ouverte ou fermée, modérée ou radicale, amicale ou coercitive. Elle n’a tout simplement pas à s’accommoder, parce que ce n’est pas sa nature : elle définit des principes non d’exclusion mais de liberté. Si elle assure la neutralité de l’État, c’est pour donner la possibilité d’un espace commun à tous les Français.
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C’est pourquoi je trouve ambiguë la distinction usuelle entre la « sphère publique » et la « sphère privée » lorsque l’on évoque le champ de la laïcité. De cette ambiguïté découlent des confusions, parfois volontaires, lourdes de sens : si la laïcité devait contraindre l’expression de convictions religieuses à la seule intimité domestique, alors il serait légitime de s’interroger sur toutes les formes d’expression de convictions religieuses dans l’espace public. Mais ce n’est bien sûr absolument pas le cas : ce qui règle les expressions dans l’espace public, c’est le principe d’ordre public, pas la laïcité. Distinguons donc plus explicitement la « sphère de la société civile », dans laquelle s’applique le respect des libertés fondamentales d’expression, et la « sphère de l’autorité publique » dans laquelle le principe de laïcité s’applique aux agents publics ainsi qu’aux élèves de l’enseignement public primaire et secondaire. Parce que l’école de la République est le lieu de la diffusion des savoirs et de la formation du citoyen. Laisser à l’entrée de l’école le poids de la tradition, c’est la seule façon de donner à chaque enfant sa chance de pouvoir se construire sa propre liberté. À l’Université, la question est donc pour moi par nature différent. Les étudiants sont des adultes, des citoyens : l’expression de leurs convictions personnelles ne peut être entravée sans raison d’ordre public. Je ne vois pas plus de raison pour légiférer sur les sorties scolaires, au cours desquelles les mêmes règles d’ordre public suffisent à tenir les enfants à l’écart des démarches prosélytes, si le risque devait exister.
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Les anti-laïques comme les xénophobes ne doivent plus pouvoir nourrir leurs discours respectifs de cette confusion. Nous devons rejeter le piège d’une fausse alternative car il ne pourra jamais s’agir de choisir entre le refus de la laïcité et la stigmatisation d’une ou plusieurs religions. Il nous faut donc d’une part combattre avec la plus grande énergie les actes et les propos antimusulmans dont le nombre a sensiblement augmenté au cours des derniers mois. Rien ne saurait justifier la moindre tolérance à leur encontre et nous ne laisserons pas de factices références à la laïcité masquer des mots de haine, dont on sait qu’ils peuvent tuer. Il nous faut d’autre part ne plus laisser aucun espace à ceux qui, au prétexte de convictions religieuses, s’excluent de la communauté républicaine ou veulent peser sur elle - non pour convaincre d’opinions mais pour imposer une vérité à leurs yeux absolue. Vouloir soumettre le Code civil à son propre dogme, dans l’organisation du mariage et de la famille en particulier, vouloir interdire et empêcher une représentation artistique ou un enseignement jugés blasphématoires, sont des exemples d’atteintes substantielles au principe de laïcité dès lors qu’il s’agit de vouloir imposer à autrui sa propre norme. Mais soyons aussi attentifs au fait que le fondamentalisme aujourd’hui ne cherche plus forcément à soumettre toute la vie publique mais qu’il peut plus sournoisement défendre une logique de séparation avec des statuts d’exception à la loi commune. Cela n’est rien d’autre qu’un piège tendu à la communauté républicaine elle-même. C’est pourquoi je crois que nous devons refuser pour notre pays tout modèle multiculturaliste.
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Sous couvert de tolérance, et de protection de personnes identifiées comme dominées, il ne s’agit au fond que d’assigner des individus à des identités prédéfinies et formatées. Cela ne peut pourtant déboucher que sur des logiques de développement séparé. Cela est inacceptable. La République est fraternité, universalisme et émancipation. Elle est laïque. La laïcité nous impose de conforter notre idéal de fraternité contre tout repli, qu’il soit un repli sur soi ou l’expression d’un refus de l’autre. Aucune personne ne peut, au nom de ses origines familiales ou de son appartenance religieuse, être qualifiée comme étant moins compatible que d’autres avec les principes de la République. Les combats que nous devons mener, nous les républicains, humanistes, héritiers des Lumières, sont ainsi à mener au nom des valeurs qui cimentent notre communauté nationale. Cette question des valeurs communes est essentielle : nous devons admettre qu’elles ne sont plus aujourd’hui comprises par une partie de la population, souvent la plus jeune. Ce qui a été pensé pour émanciper, est ressenti comme une contrainte. La laïcité est ainsi vécue comme antireligieuse. C’est la République comme facteur de rassemblement que nous devons faire revivre ! Mais nous n’y parviendrons pas tant que sa promesse restera lettre morte dans des territoires où chacun se considère comme oublié. Ainsi que j’ai eu l’occasion de le souligner dans le rapport que j’ai remis en avril au Président de la République sur l’engagement citoyen et l’appartenance
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républicaine, nous avons le devoir de réenchanter la promesse républicaine en renouant le lien social partout où il s’est distendu voire cassé. Votre forum portera aussi sur le défi d’organisation de l’Islam en France. Je ne m’étendrai pas sur ce point car je ne pense pas qu’il soit de ma responsabilité d’influer sur cette question. l’Etat ne serait pas dans son rôle s’il imposait une structure pour administrer dans notre pays le culte musulman. L’Islam vit en France un contexte très complexe. C’est celui d’une religion, récemment inscrite dans l’histoire nationale et encore regardée comme étrangère, d’une religion difficilement structurée, minoritaire et assimilée aux catégories sociales défavorisées. Et, peut-être plus important encore, une religion mal connue voire inconnue de la plupart de nos concitoyens et que quelques-uns cherchent honteusement à assimiler à la barbarie terroriste. Et pourtant, pour dire les choses très simplement : l’Islam est une religion de France. Mais c’est une religion qui peine à s’organiser pour répondre, depuis la France, à la demande de ses fidèles. Nous savons le manque d’imams français, à tout le moins francophones et connaissant la réalité française, nous savons par exemple aussi le manque d’aumôniers musulmans dans les prisons. Et nous connaissons malheureusement le sinistre corollaire de cette situation : les tentatives d’infiltration et de soumission des lieux de culte et des associations cultuelles et culturelles à des intérêts étrangers voire à des structures terroristes. Avec toutes les craintes que ce phénomène engendre, craintes légitimes. Plus largement, une grande vigilance s’impose contre ceux qui portent, parfois sous les habits les plus respectables, des discours différentialistes. Je ne crois pas, par exemple, que des responsables associatifs capables d’affréter des
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autobus distincts pour les hommes et les femmes puissent être regardés comme des interlocuteurs républicains. Les Français de confession musulmane doivent poursuivre leur engagement pour la création de lieux de culte et sur la formation d’imams qui portent ce message de tolérance, d’ouverture et de solidarité, qui inscrivent leur culte dans le cadre de la République. C’est la condition d’un dialogue fructueux avec les pouvoirs publics. L’État sera, dans cette démarche, à leurs côtés, à sa place, rien qu’à sa place, mais pleinement à sa place. C’est au nom même de la laïcité que l’État peut discuter des conditions d’exercice du culte. D’autant qu’il s’agit d’un terrain très concret de lutte contre la démagogie et les tentatives de récupération. J’étais à Montfermeil vendredi pour la pose de la première pierre d’une mosquée. Le projet est porté par des quadragénaires originaires de Seine-SaintDenis et qui ont su mobiliser les outils les plus modernes de collecte de fonds. Mais l’équilibre du projet reste fragile et ce, alors même que l’équipe a promis de conserver son indépendance par rapport à ses mécènes. Ailleurs, d’autres équipes sont peut-être moins bien formées. Il me paraît important, qu’à travers tout le pays, les élus locaux et les responsables associatifs concernés puissent bénéficier d’une connaissance claire de l’état du droit, aussi bien en matière d’urbanisme que de fiscalité. Je sais que ce forum va faire œuvre utile dans ce long travail de meilleure connaissance et de réflexion. J’en remercie par avance tous les participants car la République se nourrit du débat. Vive la République, indivisible, laïque, démocratique et sociale !
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