Mémoire "Saint-Etienne du déclin industriel à la ville créative de design"

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UNIVERSITE DE GRENOBLE Sciences Po Grenoble

Claudia Courtial Saint-Étienne, du déclin industriel à la « ville créative de design » : Marketing culturel-urbain ou recomposition des politiques publiques ?

Année 2013/2014 Séminaire Politiques Culturelles Sous la direction de Jean Guibal



UNIVERSITE DE GRENOBLE Sciences Po Grenoble

Claudia Courtial

Saint-Étienne, du déclin industriel à la « ville créative de design » : Marketing culturel-urbain ou recomposition des politiques publiques ?

Année 2014/2015 Séminaire Politiques Culturelles Sous la direction de Jean Guibal et Philippe Teillet


Remerciements

En préambule de ce mémoire, je tiens à remercier tout particulièrement les nombreuses personnes que j’ai pu interroger au cours de la réalisation de ce travail. Elles m’ont permis de mieux comprendre l’histoire et les enjeux contemporains de la ville de SaintÉtienne, et sans elles ce mémoire ne serait rien. Je tiens également à remercier Jean Guibal et Philippe Teillet qui m’ont aidé à définir ma problématique et à construire mon plan. Ils m’ont également fourni des pistes bibliographiques qui se sont avérées d’une grande utilité. Mes remerciements vont par ailleurs à l’équipe de la bibliothèque de Sciences Po Grenoble qui nous a fourni tous les outils et les formations utiles à la rédaction de nos mémoires. Ceux-ci m’ont été d’une grande aide. J’espère que ces formations pourront encore profiter à de nombreuses générations d’étudiants en troisième année. Enfin, j’adresse un grand merci à tous mes amis qui m’ont accompagnée dans cette démarche, Charles, Fanny, Léna, Ségolène, Zoé, Rémi… pour la relecture, pour leurs conseils avisés et pour leur grand soutien.


Sommaire

Sommaire........................................................................................................................................... 4 Introduction...................................................................................................................................... 5 Partie 1 -­ La reconversion du patrimoine industriel à Saint-­Étienne comme réponse au déclin du territoire ............................................................................................... 15 Chapitre 1 -­ Saint-­Étienne, de l’âge d’or au déclin industriel ...............................................16 Section I. Saint-­‐Étienne, territoire industriel prospère .................................................................... 16 Section II. Le déclin industriel: un deuil douloureux ......................................................................... 22 Chapitre 2 -­ Une reconversion difficile de la Manufacture d’Armes de Saint-­Étienne.27 Section I. La volonté de reconversion d’un maire « bâtisseur » .................................................... 27 Section II. L’implantation difficile de la Cité du design ..................................................................... 40

Partie 2 -­ Quelle « ville créative » pour Saint-­Étienne ? ............................................... 52 Chapitre 1 -­ Le design comme « avantage métropolitain » ...................................................53 Section I. Un héritage industriel au service de l’économie créative ............................................ 53 Section II. Saint-­‐Étienne, ville Unesco de design du réseau des villes créatives.................... 60 Chapitre 2 -­ Le quartier créatif de la Manufacture-­Plaine Achille: symbole du renouveau stéphanois? .........................................................................................................................69 Section I. Un quartier créatif déconnecté de la ville ........................................................................... 71 Section II. Un quartier en mutation ........................................................................................................... 77

Conclusion ...................................................................................................................................... 89 Bibliographie................................................................................................................................. 96 Annexes ........................................................................................................................................... 98 Table des matières .................................................................................................................... 117 Résumé .......................................................................................................................................... 120

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Introduction

« Saint-Étienne, Ville créative UNESCO de design, est l'invitée d'honneur du festival Design Monat Graz 2014 […] Saint-Étienne design meets Graz montre un territoire réenchanté par le design ; une résilience possible grâce aux missions de la Cité du design, aux succès de la biennale, à la stratégie de design management des politiques publiques de la ville et de la métropole. Ces actions sont nourries par une communauté créative et les designers du territoire ». Site internet de la Cité du Design de Saint-Étienne, Mai 2014

Saint-Étienne, ville au passé fortement marqué par la présence de l’industrie, est désignée ville Unesco de design du réseau des villes créatives le 22 novembre 2010. Elle devient ainsi la première ville française membre de ce réseau et la deuxième ville européenne, après Berlin. La ville de Graz en Autriche, intègre le réseau en 2012, et invite depuis tous les ans une des villes UNESCO de design pour une exposition centrale dans son festival. Cette année, l’exposition est consacrée à Saint-Étienne et montre comment le design a « réenchanté » le territoire. Saint-Étienne a en effet longtemps prospéré grâce à la force de son industrie avant de connaître un déclin industriel traumatique pour le territoire et ses habitants. Le design s’est alors révélé être une « force magique » pour le renouveau de la ville, pour reprendre le vocabulaire féérique employé par la Cité du Design de Saint-Étienne. Cette Cité du design s’est d’ailleurs implantée sur une ancienne Manufacture Nationale d’Armes. Avant d’aborder la reconversion particulière de l’industrie lourde vers le design de la ville de Saint-Étienne, nous allons voir comment les friches industrielles sont devenues de véritables leviers de développement dans les territoires en crise comme Saint-Étienne.

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Les “friches culturelles”, leviers de développement pour les villes créatives Suite à la désindustrialisation des pays occidentaux, notamment européens, qui a

commencé dans les années 1960 et qui perdure aujourd’hui, de nombreux espaces sont laissés à l’abandon dans les quartiers industriels, à proximité de l’hypercentre des villes. Ces friches industrielles qui se font de plus en plus nombreuses depuis près de cinquante ans, disloquent le tissu urbain. Les villes sont à présent faites de vide et de plein, victimes elles-aussi des crises économiques qui se succèdent depuis les années 1970. Lauren Andres définit ainsi trois étapes dans la mutation de ces friches industrielles1 : l’avant-friche, le temps de veille et l’après-friche. Durant le temps de veille, c’est à dire le stade de friche, l’espace peut rester à l’abandon total, mais il peut aussi y avoir réappropriation éphémère ou pérenne du lieu. Une initiative émanant d’abord des artistes Les premières réappropriations se font par des acteurs privés. Ces espaces en friche sont en effet une aubaine pour les artistes, les artisans et les squatteurs à la recherche de grands espaces de travail et d’hébergement à moindre coût. La reconquête des territoires industriels va donc se faire dans un premier temps par des artistes et des squatteurs. Les années 1970 et 1980 vont voir l’émergence de nombreuses friches dites « culturelles ». Celles-ci peuvent se définir comme des actions collectives à caractère culturel et artistique installées dans des lieux réutilisant le patrimoine industriel. Ces premières friches culturelles spontanées sont caractérisées par leur opposition aux institutions en général (famille, Eglise, école, etc.)2, mais surtout aux pouvoirs publics. Le Tacheles3 à Berlin a ainsi été pendant longtemps le symbole de la contre-culture berlinoise4. Les descentes de police à la suite de festivals ou de soirées techno étaient fréquentes. L’Ufa Fabrik5, à Berlin également, constitue un bon exemple de friche rebelle. Il s’agissait 1

Lauren Andres, « La ville mutable: mutabilité et référentiels urbains  : les cas de Bouchayer Viallet, de la Belle de Mai et du Flon »: [Université Pierre Mendès France Grenoble 2], [Grenoble], 2008. 2 Fabrice Raffin, Friches industrielles un monde culturel européen en mutation, Paris, L’Harmattan, 2007. 3 Le Tacheles est créé en 1990 par un groupe d’artistes de Berlin-Est dans une ruine d’un ancien grand magasin du centre ville. Il est ensuite rejoint par un groupe d’artistes de Berlin-Ouest et devient rapidement le plus célèbre centre culturel alternatif berlinois. Plus tard, les artistes « de l’Est » et les artistes « de l’Ouest » se déchireront quant à l’avenir du Tacheles : son ouverture aux touristes, aux médias, etc. 4 Boris Grésillon, « Le Tacheles, histoire d’un «  squart  » berlinois », Multitudes, 2004, no 17, no 3, p. 147‑155. 5 L’Ufa Fabrik est née en 1976 avec l’idée de créer une Usine Centre culturel et de Communication internationale (IKC). Les membres du collectif s’installent d’abord dans un appartement loué dans une ancienne

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davantage d’une expérimentation sociale et culturelle que d’une expérimentation purement artistique. Elle constituait un véritable projet de vie alternatif au modèle dominant de la « société de consommation capitaliste ». L’aspect politique contestataire et communautaire prenait ainsi le pas sur l’aspect artistique de la friche. Jusqu’à la fin des années 1990, ces conflits entre les artistes et les pouvoirs publics persistent. Ils proviennent principalement de tensions plus directes avec les riverains. En effet, l’occupation des friches par des artistes et des squatteurs provoquent des nuisances à la fois sonores (concerts, soirées techno, travaux, etc.) et visuelles (graffitis). Certains habitants ressentent par ailleurs de l’insécurité, liée à des pratiques parallèles aux activités artistiques et culturelles, comme la vente et la consommation de drogues par exemple. Ces pratiques illicites et les nuisances diverses sont dénoncées par les riverains et les médias. C’est la cas de l’Usine à Genève où les riverains, excédés par le bruit et le trafic de drogues ont déposé des pétitions réclamant l'arrêt de ses activités à minuit, voire sa fermeture. Une prise de conscience des pouvoirs publics et des investisseurs Dans le cas de Genève, la municipalité, malgré les nombreuses plaintes, plutôt que de réprimer ces pratiques, va essayer de les encadrer. Consciente de l’importance de soutenir l’émergence de nouvelles pratiques artistiques, elle est elle-même à l’origine de l’Usine puisqu’en tant que propriétaire de l’Usine Genevoise de dégrossissage d’or, elle attribue le lieu en 1989 à l’association d’artistes État d’Urgences, créée en 1985. En 1992 Genève met en place d’une nouvelle catégorie d’équipements culturels, les espaces culturels urbains (ECUS) dont l’Usine fait partie. L’Usine est ainsi intégrée dans les politiques culturelles locales mais elle reste autogérée par État d’Urgences. On entre donc dans une première phase de reconnaissance des « friches culturelles » par les pouvoirs publics, notamment locaux. Lauren Andres parle ainsi de friches « institutionnelles »6, nées de l’association des acteurs culturels et politiques. La participation des pouvoirs publics dans le développement des friches est encore plus poussée puisque l’initiative est partagée avec les artistes. La Friche de la Belle de Mai à Marseille est née en 1991 de la volonté de l’adjoint à la culture de la ville de développer des projets culturels temporaires dans les friches. Une équipe d’artistes est usine de Kreuzberg. Dès 1979 le groupe déménage et démarre l’occupation illégale de l’ancien site cinématographique de la Ufa. 6 Lauren Andres et Boris Grésillon, « Les figures de la friche dans les villes culturelles et créatives », L’Espace géographique, 2011, Tome 40, no 1, p. 15‑30.

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contactée et se forme en association. Celle-ci bénéficie alors d’une convention d’occupation précaire avec la SEITA, encore propriétaire du lieu, et d’un soutien financier de la ville pour développer des projets artistiques (ateliers, spectacles, répétitions, etc.). En 1995, la Friche de la Belle de Mai est intégrée dans l’opération d’intérêt national Euroméditerranée. Cet exemple marseillais montre la volonté croissante des pouvoirs publics de soutenir des projets de type « friches culturelles ». En effet, dans un contexte de dislocation du tissu urbain lié à la désindustrialisation et à la crise économique, les villes ont besoin de redynamiser leurs centres et péricentres en les rendant plus attractifs. Les friches culturelles ont démontré leur capacité à attirer des touristes mais aussi des classes dites « créatives »7. Ces friches représentent donc un enjeu économique et foncier pour les villes et les territoires en mal d’attractivité. Après avoir rejeté dans un premier temps ces initiatives, les pouvoirs publics réalisent donc peu à peu qu’elles peuvent devenir les leviers d’un nouveau développement économique et urbain. La pérennisation des friches spontanées va d’ailleurs être liée à leur capacité à faire partie intégrante des projets de régénération urbaine. En 1995, le propriétaire du bâtiment du Brise-Glace à Grenoble8 engage une procédure d’expulsion mais la municipalité décide de soutenir l’initiative. Le Brise-Glace doit alors être intégré à terme dans le projet de régénération du site Bouchayer-Viallet. Le bâtiment devient ainsi propriété de la ville, mais le principe d’autogestion demeure. Cependant, le conflit entre les artistes rebelles et les responsables du renouvellement du quartier persistent. En effet, le Brise Glace souhaite fonctionner tel qu’il l’a toujours fait et les artistes se sentent opprimés par les nouvelles attentes de la municipalité. Faute de proposer un véritable projet culturel et urbain évolutif, les acteurs transitoires sont contraints à la fermeture. La pérennisation des friches culturelles dépend donc de leur capacité à s’intégrer à des dynamiques urbaines voire des politiques urbaines.

Les

friches

qui

n’ont

pas

accepté

cette

«institutionnalisation»,

cette

« régularisation », c’est à dire cette intégration aux politiques culturelles et aux politiques urbaines n’ont pas pu survivre. Un terrain d’entente entre acteurs culturels et décisionnaires est nécessaire pour passer du temps de veille à l’après-friche, et ainsi pouvoir poursuivre le projet artistique.

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Richard L Florida, The rise of the creative class: and how it’s transforming work, leisure, community and everyday life, New York, NY, Basic Books, 2004. 8 Le Brise-Glace est un squat grenoblois installé dans d’anciens bureaux de la société Alstom depuis 1993. Le bâtiment a été fermé en 2009 par la ville de Grenoble pour travaux de réhabilitation.

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Un effet de mode : « la friche-label » au cœur de la « ville créative » Au cours des années 2000, cette « institutionnalisation » s’intensifie et on voit apparaître partout en Europe des « friches-labels »9, c’est à dire des friches culturelles d’emblée voulues et créées de toutes pièces par les pouvoirs publics. L’objectif est de promouvoir une politique culturelle au service d’une ville dite « créative ». Le 104, le plus grand projet culturel du maire de Paris Bertrand Delanoë, est un très bon exemple de « friche-label ». Ce projet, conçu et financé par la mairie est inauguré en 2008. Il ressemble aux premières friches culturelles par sa programmation artistique et par son installation dans les bâtiments des anciennes pompes funèbres de Paris (35 000 m2, réhabilités pour un coût de plus de 100 millions d’euros). Mais ici l’objectif premier n’est pas la contestation, la recherche de liberté et l’expérimentation artistique, à l’instar des friches spontanées des années 1970 et 1980, mais bien le développement économique et urbain du territoire. Cependant, il est important de noter que le côté friche ne garantit pas forcément le succès du lieu, comme en attestent les difficultés financières du 104 en 2010. De nombreuses autres « friches-labels » ont par ailleurs vu le jour ces dernières années en France : les Récollets à Paris, les Subsistances à Lyon, le Lieu Unique à Nantes, la Condition publique à Roubaix, ou encore la Gare Saint-Sauveur inaugurée à Lille en 2009. Cette évolution des friches rebelles vers les friches-labels doit être reliée à l’émergence et au succès des concepts d’économie créative et de ville créative. Le concept d’économie créative trouve ses origines à la fin des années 198010 et connaît un véritable écho dans les discours politiques depuis la fin des années 1990. Pour John Howkins11, l’économie créative est « une économie où les principaux apports et produits sont des idées. Il s’agit d’une économie où la plupart des gens passent leur temps à avoir des idées ». L’économie créative repose avant tout sur le développement des industries créatives. Selon une définition de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), les industries créatives « se situent à la croisée des chemins entre les arts, la culture, les affaires et la technologie. […], elles englobent le cycle de création, de production et de distribution de 9

Lauren Andres et Boris Grésillon, « Les figures de la friche dans les villes culturelles et créatives », op. cit. L’économiste David Throsby est l’un des premiers à s’exprimer sur le sujet. Il montre les différentes formes de « valeurs expressives » véhiculées par les activités des industries créatives : valeur esthétique, valeur spirituelle, valeur sociale, valeur historique, valeur symbolique, valeur d’authenticité. 11 John Howkins, The creative economy: how people make money from ideas, London, Penguin, 2002. in Institut des deux-rives, Économie créative, une introduction, Bordeaux, Mollat, 2009. 10

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biens et de services dans lequel le facteur de base est l’utilisation du capital intellectuel »12. Elles regroupent en général la musique, le cinéma, le design, la mode, la publicité, les jeuxvidéos, etc. Pour résumer, l’économie créative repose sur l’utilisation du capital intellectuel, c’est à dire les idées, et se concrétise par une exploitation commerciale et une protection juridique de la propriété intellectuelle. Il existe par ailleurs une très forte corrélation entre l’économie créative et le territoire, d’où la naissance du concept de ville créative. La décentralisation et la transition postindustrielle ont obligé les collectivités territoriales à repenser leurs politiques urbaines. Face à la montée du chômage, à la fuite des capitaux et à l’apparition de vastes friches industrielles, elles ont dû réfléchir à des actions susceptibles de renouveler leur tissu économique et urbain. Une « compétition interurbaine pour l’attraction des capitaux et des entreprises »13 se met en place et explique l’adoption de nouvelles politiques publiques tournées vers l’attractivité du territoire : allègement de la fiscalité, amélioration des réseaux de communication, de l’accessibilité et du parc immobilier. L’amélioration du cadre de vie est donc la priorité, et la vie culturelle locale en est l’un des principaux déterminants. L’objectif est ici d’attirer certaines catégories de population susceptibles d’apporter un renouveau à la ville postindustrielle. Pour Richard Florida14, l’un des premiers théoriciens de l’économie créative et sûrement le plus connu et le plus controversé, le développement économique serait directement lié à la présence de la « classe créative » (définition large qui va des cadres aux ingénieurs en passant par les designers et les chercheurs). Et celle-ci serait attirée par un espace de vie urbain valorisant et favorisant la créativité. Pour attirer et pour permettre le développement des entreprises dites créatives, et ainsi permettre le développement économique de la ville, il faut donc produire un environnement, un cadre de vie, qui satisfasse les besoins et les goûts des travailleurs dits « créatifs ». C’est dans la quête de ce cercle vertueux que les friches culturelles peuvent s’avérer utiles pour les villes postindustrielles. Les friches culturelles, par leur histoire, symbolisent en effet l’expérimentation artistique, le lien social, l’organisation communautaire et les convictions écologiques, autant de valeurs que la ville créative souhaite recréer à l’échelle de 12

Rapport sur l'économie créative 2008, Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement, CNUCED in Institut des deux-rives, Économie créative, une introduction, op. cit. 13 Elsa Vivant, Qu’est-ce que la ville créative?, Paris, Presses universitaires de France, 2009. 14 Richard L Florida, The rise of the creative class, op. cit.

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l’agglomération voire du territoire. Cette réhabilitation inverse ainsi la symbolique négative de la désindustrialisation. On assiste d’ailleurs à un processus de gentrification autour de ces friches par l’apparition de nouveaux bars à l’ambiance bohème, de boutiques de designers, de galeries d’art et de librairies. Cela entraine une valorisation foncière qui déloge les artistes du début au profit des « créatifs » plus fortunés et des couches plus aisées attirés par ce cadre de vie. La réhabilitation du patrimoine industriel en espaces culturels permet ainsi à la ville de garder une trace de son passé industriel mais d’en faire le deuil en le revalorisant et créant une économie nouvelle, l’économie créative. Cette évolution se fait dans un premier temps de manière spontanée, mais dès les années 1990, les grandes agglomérations, à la recherche d’idées pour revaloriser leur territoire en perte de compétitivité suite à la désindustrialisation, s’emparent de cette idée. De grands plans de régénération urbaine et de communication sont donc mis en place, et les friches culturelles y occupent une place prépondérante. Les friches rebelles sont « régularisées » voire « institutionnalisées »15, et d’autres sont créées de toutes pièces par les pouvoirs publics au sein de quartiers dits « créatifs ». Le concept de « ville créative » est par ailleurs intrinsèquement lié à la notion de « marketing urbain ». La définition qu’en donne Guy Saez nous semble particulièrement pertinente. Pour lui, il s’agit de « présenter une ville attractive pour la rendre compétitive ». Dans la ville créative, on assiste à un « marketing culturel urbain », c’est à dire qu’on « y ajoute une présomption, sinon une croyance : toute stratégie autour des arts et de la culture suppose qu’ils ont un effet social »16. Vont alors apparaître des stratégies de branding17, avec la construction de nombreux flagships comme des musées aux dimensions pharaoniques conçus par des architectes de renom, dans le but d’acquérir de la visibilité dans la concurrence inter-urbaine. Cette stratégie peut fonctionner pendant un temps mais la multiplication de tels équipements dans le monde contribue inévitablement à leur affaiblissement, surtout si ceux-ci se révèlent être des « coquilles vides ». Ce « marketing culturel-urbain » se retrouve aussi dans la compétition que se livrent les métropoles dans l’obtention de labels, comme par exemple celui de « capitale européenne de la culture » délivré par l’Union Européenne.

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Lauren Andres et Boris Grésillon, « Les figures de la friche dans les villes culturelles et créatives », op. cit. Guy Saez, « Une (ir)résistible dérive des continents », L’observatoire, 2009, no 36, p. pp .29‑33, p.  30. 17 Faire des villes de véritables marques, se différencier sur la scène internationale : Paris, capitale de la mode ; Londres capitale de l’électro… 16

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Saint-Étienne : un « territoire ré-enchanté par le design » ? La Cité du design de Saint-Étienne, installée sur l’ancien site de la Manufacture

d’Armes de Saint-Étienne est un exemple fort intéressant de « friche-label ». Elle s’inscrit en effet dans un grand projet de renouvellement urbain et de développement économique pour l’agglomération. Mais son installation ne s’est pas faite sans remous. Un violent conflit entre les associations patrimoniales locales et les collectivités territoriales a en effet précédé l’implantation de la Cité du design. Celle-ci est donc née d’un fort volontarisme politique qui s’est opposé aux contestations des associations patrimoniales et des habitants qui les soutenaient. Pour comprendre cela, il faut savoir que ce projet s’inscrit en réalité dans un projet beaucoup plus vaste, c’est à dire dans une politique urbaine de revalorisation de la ville de Saint-Étienne et de redynamisation de son économie, portée par un maire « bâtisseur », Michel Thiollière. Pour cela, le design, et plus largement la culture, ont été apportés en réponse au déclin économique de cette ville très marquée par son passé industriel. La première Biennale Internationale du design de 1998, forte de son succès, a permis à la ville de se positionner nationalement sur le design. Dans un contexte où les grandes villes sont en concurrence pour attirer les classes dites « créatives », Saint-Étienne avait besoin de se construire un récit, une spécificité, pour avoir une chance de redevenir compétitive sur la scène internationale. Le projet politique de l’agglomération s’est donc tout naturellement appuyé sur ce nouveau référentiel, cette nouvelle identité qu’est le design. La Cité du design s’inscrit ainsi dans le projet d’un quartier créatif, le quartier de la Manufacture-Plaine Achille. Ce quartier constitue un projet urbain majeur de développement économique pour l’agglomération. Sur le modèle d’une ville-parc qui réutilise l’existant tout en innovant, il réunit diverses activités: la Cité du design bien entendu mais aussi l’École Supérieure d’Art et de Design de Saint-Étienne, le Pôle Optique Vision, l’École d’ingénieurs Telecom Saint-Étienne, Manutech, des logements, des bureaux. Un espace de coworking, une pépinière d’entreprises, une crèche, France 3 et France Bleu ont déjà pris place dans les bâtiments de « l’Imprimerie » qui sont prêts à accueillir encore de nouveaux projets. D’un point de vue culturel, le quartier est doté de nombreux équipements: le Parc des expositions, une salle de musiques actuelles (Le Fil), une salle de spectacle (Le Zénith). Plusieurs évènements culturels sont aussi accueillis au sein du quartier tels que la Biennale Internationale du Design, le Festival Paroles et Musique, la Foire annuelle de Saint-Étienne, et bien d’autres encore. En avril 2016, la Comédie de Saint-Étienne, s’installera dans une ancienne friche industrielle de 7000 m2.

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De plus, le quartier est depuis le début de l’année 2013 le lieu d’actions spécifiques sur le plan économique, social et culturel. Des « ateliers créatifs » ont notamment été mis en place en juin 2013 et février 2014 avec les usagers (entreprises, étudiants, chercheurs, écoles, associations, collectivités, etc.) pour faire émerger des idées, des regards afin d’alimenter la réflexion sur l’animation, l’offre de service attendue et la programmation urbaine. Saint-Étienne semble donc recouvrir toutes les caractéristiques de la « ville créative » : présence d’industries créatives, dans les domaines du design et du numérique notamment ; réhabilitation de friches industrielles ; équipements culturels d’envergure ; et émergence d’un quartier créatif. Elle fait ainsi partie des villes qui ont tenté de suivre des modèles de réussite de la « ville créative » dont le plus emblématique est Bilbao avec le musée Guggenheim. Elle constitue donc un terrain d’étude intéressant de l’application du modèle de la « ville créative » sur un territoire donné. L’étude des effets des politiques urbaines et culturelles en faveur de l’économie créative à Saint-Étienne devrait donc permettre de mettre en perspective certaines limites de ce modèle. Ainsi j’ai décidé de formuler la problématique suivante : Saint-Étienne a-t-elle su s’approprier le modèle de la « ville créative » pour l’adapter à ses spécificités locales, historiques, sociales et économiques et pour en faire un véritable levier de développement de son territoire ?

La méthode utilisée et les limites du sujet En ce qui concerne la méthode choisie, j’ai décidé d’allier étude théorique du concept

de la « ville créative » et de ses critiques, et étude de terrain afin d’en saisir les limites dans l’application à un territoire. L’étude de terrain que j’ai réalisée est basée sur une série d’entretiens avec des acteurs de milieux professionnels divers (politique, institutionnel, patrimonial, culturel). Elle ne correspond pas à une étude sociologique au sens scientifique du terme, mais se présente plutôt comme une récolte de témoignages et de points de vue d’acteurs ayant participé et participant à la mutation du territoire stéphanois. Ce choix a été réalisé en connaissance de cause : en effet, l’éloignement géographique, le manque de temps et de moyens financiers ne permettant pas de faire une étude couvrant un

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large panel d’acteurs, appartenant à des classes sociales variées, j’ai décidé de recentrer mon étude sur les acteurs impliqués par leur activité professionnelle ou associative dans le renouvellement de Saint-Étienne. Il n’a pas été facile au départ de rentrer en contact avec certaines personnes. C’est au fil de mes premiers entretiens que j’ai pu obtenir de nouveaux noms et de nouveaux contacts. Si bien, que je n’ai pas pu rencontrer toutes les personnes dont on m’avait donné les coordonnées, n’ayant plus assez de temps pour l’étude de terrain. La difficulté inhérente à ce type d’analyse réside dans le fait que le développement économique, territorial et social engendré par des politiques culturelles et urbaines ne peut se mesurer par des critères chiffrés. L’évaluation de la réussite de ces politiques relève donc plus du ressenti de tous les acteurs y ayant participé ou assisté. Enfin il est important de souligner que le positionnement stratégique de la ville de Saint-Étienne sur le design, et le développement d’un quartier créatif sont des initiatives relativement récentes dont il est difficile pour l’instant d’entrevoir les effets à long terme. Cependant, mon travail a vocation à démontrer les premières difficultés rencontrées par ces politiques au niveau local et la manière dont les acteurs y apportent des solutions. Il s’agit donc de voir quelles évolutions le projet de départ a connu, et dans quelle direction l’agglomération de Saint-Étienne s’engage à l’heure actuelle Pour comprendre le choix que Saint-Étienne a fait de placer le design au centre de son renouveau économique, culturel et territorial il convient de s’intéresser à son passé industriel. Nous nous intéresserons donc tout d’abord à la reconversion du patrimoine industriel à Saint-Étienne, et en particulier de la Manufacture d’Armes de Saint-Étienne. Cette reconversion symbolise la volonté du maire, Michel Thiollière, de défaire Saint-Étienne de son image de « ville noire » héritée du déclin industriel. Dans un second temps, nous analyserons les caractéristiques qui font de Saint-Étienne une « ville créative » à part entière, notamment le positionnement stratégique autour du design et la création d’un quartier créatif sur le site de la Manufacture d’Armes de SaintÉtienne. Nous évoquerons les limites, notamment de ce quartier, et les solutions qui sont apportées par les acteurs politiques, culturels et économiques pour y remédier.

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Partie 1 -

La reconversion du patrimoine industriel à

Saint-Étienne comme réponse au déclin du territoire

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Chapitre 1 Section I. •

Saint-Étienne, de l’âge d’or au déclin industriel Saint-Étienne, territoire industriel prospère

La première ville industrielle : le ruban et le charbon « La ville de Saint-Étienne est une ville qui a surtout émergé avec l’industrie, donc au

lendemain de la Révolution Française. »18 Saint-Étienne est une ville qui a connu en effet un développement tardif dû à son climat et à sa situation géographique enclavée. Bourgade peuplée de forgerons jusqu’au XIIIème siècle, Saint-Étienne connaît ensuite une promotion administrative et judiciaire, ainsi qu’une certaine expansion économique et commerciale à partir du XVème siècle. Alors que la cité ne comprend que trois cents habitants en 1460, elle atteint les vingt-trois mille à la fin du XVIIIème siècle19. Saint-Étienne peut être considérée comme une cité industrieuse précoce. Depuis le Moyen-Âge des carrières de grès y sont exploitées. Au cours de XVIème siècle, la rubanerie se substitue à la draperie. Saint-Étienne commence également à se spécialiser dans la fabrication d’armes et d’arquebuses, dont les commandes royales sont dopées par les guerres d’Italie. Mais, grâce à la tradition forgeronne, le pôle d’activité dominant reste la clincaillerie : serruriers, chaudronniers, cloutiers, couteliers prospèrent à Saint-Étienne. Saint-Étienne n’est pas épargnée par la Terreur qui succède à la Révolution Française. Les lieux de culte comme la Grande Eglise ou la chapelle Saint-Louis sont transformés en ateliers de forge ou en salles de bal. Les arrestations se multiplient et au total, vingt-huit condamnations à mort sont prononcées. Mais ce climat d’instabilité n’empêche pas la cité stéphanoise d’entreprendre sa mue. Dès 1790, des réverbères à l’huile éclairent les rues et les immeubles sont numérotés. La bourgeoisie rubanière profite de cette période pour racheter des édifices et des terrains qui appartenaient auparavant au clergé, comme le monastère Sainte-Catherine par exemple. L’année 1791 est celle de la mise en place d’un plan d’urbanisme par l’architecte d’origine piémontaise, Pierre-Antoine Dalgabio. Il trace en effet un plan en damier, embryon du « premier centre bourgeois ordonné en France ». Dans cette 18

Entretien, Eric Perrin, attaché de conservation au Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne, 27 mars 2014. Vincent Charbonnier, Saint-Étienne: traces d’histoire, Veurey; [Grenoble], Ed."Le Dauphiné libéré  ; Musée dauphinois", 2001.

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approche hygiéniste de la ville, les rues qui se coupent à angle droit dessinent des parcelles à bâtir mises en vente en 1793. Le développement de la ville est cependant quelque peu freiné par une population pauvre et une fiscalité réduite. De plus, la bourgeoisie rubanière souhaitant défendre le territoire central qu’elle a conquis, une partition de la ville se met en place dès 1792 : les activités rubanières et passementières concentrées dans le centre et sur les collines de la Vivaraize et du Crêt de Roch, les ateliers d’armurerie dans le sud-est, les usines métallurgiques dans la plaine du Treuil au nord-est, les mines au nord et à l’ouest. Après avoir alimenté pendant longtemps les foyers domestiques, l’exploitation du charbon dans le bassin de Saint-Étienne se désenclave peu à peu, suite à une hausse du prix du bois au XVIIème siècle. En 1845, trente-trois concessions sur soixante dans le bassin de Saint-Étienne appartiennent à la Compagnie générale des mines de la Loire. Elle emploie quatre-mille mineurs et fournit cinq sixièmes de la production régionale. Elle choisit de ne pas privilégier les clients locaux mais de vendre les meilleures houilles à l’extérieur du bassin, ce qui provoque l’hostilité du conseil municipal et de la chambre de commerce. La colère des mineurs se fait également sentir : la grève de 1846 est brutalement réprimée et fait six victimes. Afin de rationnaliser cette extraction du charbon, la compagnie qui détenait le « monopole » jusqu’alors est scindée en quatre sociétés anonymes en 1854. Saint-Étienne, devenu le premier bassin de production houillère depuis la perte des gisements de Wallonie en 1815, fournit jusque dans les années 1870 près de la moitié de la production française. Ces exportations, de ruban et de charbon notamment, permettent le désenclavement de la ville et le développement de réseaux de transports. Lors de la mise en place du plan d’urbanisme de Pierre-Antoine Dalgabio en 1891, une voie de seize mètres de largeur et de trois kilomètres de longueur en direction de Roanne est aménagée, destinée à faciliter l’exportation des rubans. En 1825, cette route est raccordée à celle d’Annonay. Dix ans plus tard cette « Grand’Rue » est empruntée par les malles postales reliant Paris à Marseille. En 1827, Saint-Étienne est reliée au port d’Andrézieux par une première voie à rails de fonte. Des wagons de charbon sont tirés par des chevaux et sont déversés dans des bateaux qui remontent la Loire jusqu’à Roanne. Marc Seguin remplace la force animale par la force mécanique en 1828. Ainsi, on voit apparaître les premières locomotives à vapeur entre Lyon et Saint-Étienne en 1832. Grâce à ses réseaux de transport qui permettent l’exportation de sa production industrielle, Saint-Étienne devient ainsi la première région industrielle de France. La fait que la Banque de France ouvre le deuxième de ses comptoirs régionaux à Saint

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Étienne en 1836, témoigne ainsi de la bonne santé de l’économie stéphanoise, tout particulièrement de la rubanerie.

La Manufacture Nationale d’Armes de Saint-Étienne : pilier de l’économie locale La production d’armes à Saint-Étienne connaît des difficultés jusqu’au XIXe siècle.

Celle-ci est en effet dépendante de commandes royales irrégulières, de la qualité des matières premières, qui est souvent médiocre, et d’une main d’œuvre précaire. François Ier souhaite rationaliser la production locale et envoie à cet effet un ingénieur languedocien à SaintÉtienne, Georges Virgile. Il va amorcer la reconversion de forgerons d’épées en fabricants d’arquebuses à mèche et de mousquets à rouet. Peu à peu, l’État renforce son contrôle sur les armes de guerre, sous Louis XIV puis sous Louis XV. En 1764, neuf manufacturiers sont regroupés au sein d’une Manufacture Royale, qui obtient ainsi le monopole de la fourniture d’armes pour le Roi. Cette Manufacture devient propriété de l’État en 1838. Malgré leur rassemblement administratif en Manufacture Royale, les ateliers sont encore trop petits et trop disséminés dans la ville. Un regroupement cette fois-ci physique a donc lieu avec la construction de la Manufacture Nationale d’Armes de Saint-Étienne, entamée en 186420. Le but est de pouvoir contrôler et rationaliser la production d’armes à Saint-Étienne, notamment grâce à la mécanisation du travail. Eric Perrin, attaché de conservation au Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne, explique ainsi cette évolution du contrôle de l’État sur la production : « La Manufacture, elle a été décidée à Saint-Étienne en 1864. Parce que SaintÉtienne avait toujours été une ville à part dans la fabrication d’armes. Alors il faut savoir qu’il y avait quatre grandes manufactures en France, auxquelles le pouvoir, quelque soit le pouvoir, royal, impérial ou républicain, confiait la fabrication des armes de guerre. […] Sauf que à Saint-Étienne on a toujours été la seule ville de France à fabriquer les deux types d’armes: c’est à dire qu’il y avait à la fois des armuriers civils et à la fois des armuriers militaires. […] Ce qui veut dire qu’un ouvrier qui se formait à la Manufacture pouvait arrêter la Manufacture et aller vendre son savoir faire dans le civil. Et vice et versa. Donc ça, ça a toujours posé des problèmes à l’État, donc on a voulu réorganiser cette Manufacture […] En 1864, on décide de construire une manufacture modèle, c’est à dire que c’était une

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Voir annexe 2 p. 106.

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manufacture qui était à la pointe de ce qu’on savait faire à l’époque : […] la mécanisation, donc la production tout à la machine. Donc le but c’était d’abandonner au maximum le travail manuel des armuriers qui faisaient ce qu’ils voulaient, qui avaient un savoir faire dans les mains et qui du coup pouvaient s’imposer, pour passer tout à la machine sur l’exemple des américains et des anglais. »21.

Sur un terrain de 12 hectares, il aura fallu plus de six ans pour construire cette cité industrielle modèle. Et ce n’est pas un hasard non plus si sa construction a lieu justement six ans avant la guerre contre la Prusse : « C’était vraiment une manufacture modèle avec le centre de la Manufacture, avec les bâtiments en H, les bâtiments d’accueil et ainsi de suite. Donc ça c’était le cœur historique de la première Manufacture qui datait d’avant la guerre de 1870 et qui avait était construite pour. Enfin, on sentait arriver cette guerre de 1870 contre la Prusse, [et il fallait] fabriquer des armes qui soient à la hauteur de la concurrence contre laquelle on allait devoir se battre. »22.

Ce « cœur historique » de la « manufacture modèle » connaît des agrandissements avec l’adjonction de nouveaux bâtiments en 1887 puis en 1889. La production des armes militaires connaît dans un premier temps une croissance régulière, puis un fort développement au cours de la Première Guerre mondiale, et par la suite lors du second conflit mondial. « Les effectifs successifs traduisent l’importance de cet ensemble industriel : 10 000 ouvriers en 1890, 16 000 durant la Première Guerre mondiale, 10 000 en 1940. »23. La Manufacture Nationale d’Armes de Saint-Étienne est donc l’un des piliers de l’économie stéphanoise au XIXe et au XXe siècles.

Manufrance et Casino : entreprises stéphanoises d’envergure nationale Un des symboles de l’armement civil à Saint-Étienne est l’entreprise Manufrance,

souvent confondue avec la Manufacture Nationale d’Armes.

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Entretien, Eric Perrin, attaché de conservation au Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne, 27 mars 2014. Ibid. 23 Thomas Zanetti, « La Manufacture d’Armes de Saint-Étienne  : un patrimoine militaire saisi par l’économie créative », In Situ. Revue des patrimoines, 2011, no 16. 22

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« Manufacture Nationale d’Armes et Manufrance, cours Fauriel, ça n’a rien à voir. Manufrance c’était une société qui travaillait pour les productions civiles: le vélo, la machine à coudre, il vendait tout sur le catalogue diffusé dans l’Empire français. D’où la notoriété de la ville, mais ça c’est une société civile. […] La Manufacture d’Armes de Saint-Étienne, c’est une Manufacture NATIONALE d’Armes, ça n’a rien à voir. Eux ils faisaient des fusils de chasse aussi, l’ambigüité venait de ça aussi. »24

Cette entreprise créée en 1885 par Pierre Blachon et Etienne Mimard est en effet spécialisée dans la production d’armes civiles, de cycles, d’articles de pêche, de machines à coudre. Elle innove en diffusant massivement et gratuitement son catalogue de produits, le Tarif-Album, à partir de 1885, et en créant le journal mensuel Le Chasseur Français, envoyé gratuitement à tous les chasseurs français à partir de 188925. Après un voyage en Amérique, Etienne Mimard souhaite innover davantage en rationalisant la production. L’entreprise adopte ainsi le taylorisme. En 1894 et 1920, de grands bâtiments industriels sont construits cours Fauriel et rue Lassaigne, sur le modèle des entrepôts de Chicago. L’industrie du cycle emploie près de cinq mille ouvriers en 1920 à Saint-Étienne. Les entrepreneurs Paul Perrachon et Geoffroy Guichard innovent également en créant en 1898 la société des magasins Casino, distributeur à succursales multiples. Sûrement inspiré par Manufrance, Casino crée en 1901 un journal destiné à sa clientèle. En 1914, un total de cinquante-six succursales sont installées à Saint-Étienne, et plus de deux cents dans la France entière. Ces deux grandes entreprises stéphanoises participent donc, par leurs emplois, leurs exportations et leurs innovations, à la prospérité et à la notoriété de la ville au début du XXe siècle.

Un aménagement urbain de façade En parallèle à ce développement industriel de la ville, une nouvelle politique urbaine

est mise en œuvre dans les années 1850 par le maire Christophe Faure-Belon et par le préfet « bâtisseur » Thuillier. Saint-Étienne se doit d’être à l’image de son développement 24

Entretien, Philippe Peyroche, membre de nombreuses associations patrimoniales, ancien conseiller municipal et membre de la CRPS, 2 mai 2014. 25 Le Chasseur Français est tiré pour sa première édition à trois cent mille exemplaires en 1889. A partir 1981, il passe sous contrôle de plusieurs groupes financiers successifs avant d'être racheté par Emap en association avec Bayard Presse en 1990.

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économique. Des quartiers insalubres comme celui de Saint-André et des Gauds sont régénérés, les voieries sont créées, élargies ou prolongées, des façades sont ornées dans le style de la rue de Rivoli à Paris, des places sont aménagées. La ville s’équipe, de façon à être plus conforme à son récent statut préfectoral26. Sont donc construits successivement : un théâtre municipal en 1853, la caserne et la prison Tréfilerie en 1854, le palais des Arts en 1860. Malgré la crise des années 1880, cette fièvre de la construction ne faiblit pas. En 1888, un nouveau lycée est construit ; en 1894, la préfecture se voit dotée d’un nouveau bâtiment ; en 1902, la bourse du travail est créée, etc. Mais derrière cette prospérité de façade se cache la misère. Un tiers des logements seulement est relié à l’égout en 1865. Les ouvriers, vivant dans des logements insalubres et surpeuplés, sont les plus touchés par ces conditions d’hygiène déplorables. Le grisou27 tue plus de six cents mineurs de 1871 à 1890. Ces conditions ainsi que le maintien des bas salaires provoquent des grèves qui tournent parfois à l’émeute. Le 16 juin 1869, des soldats tirent sur des manifestants opposés au transfert en prison de mineurs grévistes. Cette « fusillade du Brûlé » inspirera notamment Zola dans Germinal. La crise des années 1880 renforce ces tensions et le syndicalisme naissant. La Première Guerre mondiale, même si elle dope l’industrie stéphanoise de l’armement, provoque de nouvelles difficultés pour Saint-Étienne. Pour compenser la perte de main d’œuvre provoquée par la guerre, l’industrie fait appel à des ouvriers réfugiés, prisonniers, ou immigrés. C’est ainsi que les Polonais, les Espagnols, les Italiens, les Marocains et les Asiatiques s’enracinent dans le bassin stéphanois. Cette immigration, qui était faible avant 1914, se renforce dans les années 1920. On fait également appel aux femmes pour remplacer les hommes partis au combat: en 1917, on compte près de vingt-sept mille femmes dans les entreprises d’armement stéphanoises. Cet afflux de population immigrée renforce la surpopulation et la précarité des quartiers stéphanois au lendemain de la guerre. Un rapport officiel de 1924 décrit ainsi la situation « Saint-Étienne étouffe dans ses quartiers surpeuplés, ses ruelles étroites et sinueuses ». Malgré les efforts effectués, avec le programme de construction de logements 26

En 1856 Saint-Étienne devient le siège de la préfecture de la Loire qui s'installe dans une partie de l'hôtel de ville. Cette implantation constitue avec celle du comptoir de la Banque de France en 1836, une marque importante de reconnaissance. 27 Le grisou est un gaz présent dans les mines profondes. En trop forte proportion dans l’air il peut provoquer des explosions mortelles appelées « coup de grisou ».

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populaires mis en place en 1921 par exemple, ou encore la construction d’immeubles en copropriété dans le centre ville et de lotissements sur les collines de la ville, les effets du boum démographique que connaît la ville dans les années 1920 ne parviennent à être endigués. La population augmente de près de cinquante mille habitants : Saint-Étienne compte ainsi cent quatre-vingt-treize mille cinq cents habitants en 1926.

Section II. •

Le déclin industriel: un deuil douloureux

La Deuxième Guerre mondiale : un premier choc pour l’industrie stéphanoise La Deuxième Guerre mondiale va mettre à mal l’économie stéphanoise. Les centres de

production (Manufacture d’Armes notamment) sont la cible de bombardements ennemis le 26 mai 1944. Les dégâts matériels et humains causés par les mille cinq cents bombes larguées sont considérables : près de mille personnes sont tuées, mille cent logements sont détruits, plus de deux mille endommagés. Le nombre de sinistrés est catastrophique : vingt mille personnes au total. Sur le plan industriel, le textile, qui avait fait la gloire de Saint-Étienne par le passé, ne se remettra jamais de ce choc. Les mines, surexploitées pendant la guerre, ne sont plus compétitives face au pétrole et au charbon des autres pays. Le nombre d’employés dans les Houillères passe de 26 029 en 1945 à 10 000 en 1963. L’arme et le cycle sont également affaiblis, d’autant plus que Manufrance subit en 1944 la mort d’Etienne Mimard, son capitaine.

La volonté de reconstruire De 1945 à la fin des années 1960, le paysage urbain stéphanois connaît une profonde

mutation. On tente de régler le problème du surpeuplement et de la précarité de certains quartiers par de nombreux programmes de reconstruction. Des logements anciens sont détruits, des immeubles d’habitations sont édifiés sur d’anciens tènements industriels, les familles d’immigrés vivant dans des baraques et des bidonvilles sont relogées dans des cités comme celle de la Dame-Blanche et du Bois Monzil. Comme pour prévenir le déclin industriel qui s’annonce depuis l’après-guerre, on souhaite également développer les activités

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tertiaires. L’implantation d’un centre d’affaire dans l’ancienne prison de Saint-Étienne est par exemple prévue dès le début des années 1970. Grâce à l’action de Jean Dasté, qui crée la Comédie de Saint-Étienne devenue par la suite Centre Dramatique National, Saint-Étienne commence à être vue autrement que comme la « ville noire ». Jusqu’en 1965, elle reste la seule grande ville française sans université. La municipalité espère gagner en légitimité en transformant d’anciennes glacières en amphithéâtres et en centre d’études juridiques. Grâce à ce volontarisme politique, l’université de Saint-Étienne est reconnue en 1969 comme université pluridisciplinaire de plein exercice. Saint-Étienne tente donc de se défaire de son image de « capitale des taudis » en se tournant vers le tertiaire, la culture et l’enseignement, et en tentant de restructurer son tissu urbain.

La crise des années 1970 : le coup de grâce Malgré les efforts pour diversifier les activités stéphanoises, la ville reste très

dépendante de ses industries de la sidérurgie, de l’armement, du cycle et du charbon, portées par de grands groupes. La ville est née avec la révolution industrielle, avec le développement de ses savoir-faire et de ses industries ; la majorité de sa population est ouvrière. SaintÉtienne est donc évidemment touchée plus que d’autres villes par la crise économique des années 1970. « La situation économique à Saint-Étienne est donc celle d’une crise d’une ampleur sans précédent, et la région vit une récession qui frappe les principaux secteurs industriels et conduit à l’effondrement des bases traditionnelles de l’activité locale. »28. L’industrie du charbon poursuit sa descente aux enfers avec les fermetures successives des puits. Lorsque le puits Couriot ferme ses portes en 1973, il reste seulement 3 000 employés dans les Houillères. Le puits Pigeot, le dernier puit du bassin, ferme ses portes en 1983. Le groupe Creuset-Loire, né de la fusion de entreprises de sidérurgie stéphanoises, rencontre de grandes difficultés dès 1973. Acteur majeur de l’économie stéphanoise à cette époque, il emploie un quart des ouvriers dans la région stéphanoise. Mais environ 20 000 emplois disparaissent entre 1973 et 1981. L’entreprise Manufrance, qui avait fait la gloire de Saint-Étienne, dépose le bilan en 1986. La chute de ces grands groupes, causée par la concurrence internationale et la crise économique, va faire imploser tout le tissu économique local. De nombreuses PME et PMI sous-traitantes, dépendantes financièrement et

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Thomas Zanetti, « La Manufacture d’Armes de Saint-Étienne », op. cit. p. 6.

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technologiquement des grandes entreprises stéphanoises vont connaître également d’importantes difficultés avant de sombrer.

Le déclin de la Manufacture Nationale d’Armes de Saint-Étienne La Manufacture Nationale d’Armes connaît également un déclin mais pour des raisons

quelque peu différentes des autres industries stéphanoises. Etant une Manufacture sous contrôle de l’État, elle n’est pas autant exposée à la mondialisation et à la concurrence internationale. Cependant, la perte des colonies françaises, la diminution des conflits dans lesquels la France est impliquée, la fin de la Guerre Froide, les réduction budgétaires, vont avoir raison de ce pilier de l’économie stéphanoise. La Manufacture d’Armes de SaintÉtienne passe sous l'appellation Giat Industries29 en 1991 et les commandes ne cessent de diminuer. La dernière entité d’armement quitte la Manufacture en 2000 pour aller s’installer sur le site de Giat de St-Chamond. Le site ferme donc officiellement en 2000, et l’Ediacat (service d’archives militaires) s’implante dans l’ancienne Manufacture dans le but de sauvegarder des emplois. Il y restera jusqu’à l’inauguration de la Cité du design, en 2009, avant de déménager. Il reste actuellement sur le site l’entreprise Optsys qui est une filiale spécialisée dans les systèmes d'optique et d'optronique de Giat Industries, devenu Nexter en 2006.

Le déclin démographique Cette récession économique passe également par un déclin démographique. En effet,

extrêmement touchée par la crise de désindustrialisation, Saint-Étienne ne connaît pas la même évolution que les autres grandes villes françaises. Les industries qui battent de l’aile n’emploient plus comme auparavant, celles qui ferment mettent des milliers de personnes au chômage. En 1968 Saint-Étienne atteint son maximum démographique avec 223 223 habitants avant de décliner assez rapidement. Entre 1968 et 1982, elle perd près de 20 000 habitants. De même entre 1990 et 1999. Cette population continuera de décliner jusqu’à aujourd’hui. Ce ralentissement démographique provoque ainsi le ralentissement du rythme de la construction de logements qui avait caractérisé la période d’après-guerre. 29

Création du Groupement des Armements Terrestres en 1973 : chapote plusieurs entités de production et de commercialisation d'armement dont la Manufacture d’Armes de Saint-Étienne qui garde quand même son appellation Manufacture d’Armes de Saint-Étienne jusqu’en 1991.

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« Une ville en friche » Tout comme la crise de la désindustrialisation touche plus qu’ailleurs Saint-Étienne,

Saint-Étienne est plus qu’ailleurs confrontée à la question du devenir de ses friches industrielles. Pour Eric Perrin, du Musée d’Art et d’Industrie, l’importance de l’industrie était telle à Saint-Étienne que parler de friche, c’est parler de la ville entière. « Saint-Étienne, le bassin stéphanois même en général puisqu’il faudrait déborder sur les villes d’à côté, est un bassin éminemment industriel, très tôt industriel dans la révolution industrielle, un des précurseurs en France certainement. Et donc parler de friches industrielles ici c’est quasiment parler de la ville. C’est caricatural ce que je dis parce que bien évidemment il n’y a pas que ça. Mais c’est vrai que souvent, même quand on est en centre ville, qu’on voit de très beaux immeubles, quand on passe dans la cour, on avait des instruments, des rubaniers qui étaient installés là, donc on est sur de l’industrie aussi. Le terme friche industrielle devient un peu problématique dans la région parce qu’on pourrait traiter tout de friche industrielle et la ville deviendrait une grande friche industrielle, dans l’absolu. »30

Ces espaces en friche disloquent donc le tissu urbain. La chute des industries stéphanoises a mis à mal la cohésion économique et sociale de la ville. Le déclin industriel est un véritable traumatisme pour la société stéphanoise et la ville en porte les stigmates, les traces visibles à travers les friches. Parvenant difficilement à faire le deuil de la période industrielle prospère, le premier réflexe de la société stéphanoise sera l’oubli31. Beaucoup de friches industrielles vont donc être rasées dans un premier temps. « Le traitement des friches industrielles, pendant des années, a été: on rase, on fait propre, et la seule question qu’on se posait à l’époque, et la seule question qu’on posait à des historiens comme moi, c’était “est-ce que c’est pollué ?, et comment on va faire pour le dépolluer?” […] Mais il a fallu attendre, je vais dire, les années 1990 pour que le patrimoine arrive un peu à rattraper. En fait c’était une logique aussi. C’est à dire que dans une région, je reviens à la spécificité de la région, si on

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Entretien, Eric Perrin, attaché de conservation au Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne, 27 mars 2014. Charles Reagan, « Réflexions sur l’ouvrage de Paul Ricœur  : La Mémoire, l’histoire, l’oubli », Transversalités, 2008, N° 106, no 2, p. 165‑176.

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commençait à se dire on fait du sauvetage de patrimoine industriel on allait bloquer tout le système, on pouvait pas tout bloquer non plus »32.

Il paraît logique qu’une ville où les friches industrielles sont en masse veuille se tourner vers l’avenir, en supprimer quelques unes et apporter du renouvellement urbain au paysage. A partir des années 1990, alors que florissent un peu partout en France et en Europe des friches culturelles, Saint-Étienne commence tout de même à valoriser son patrimoine industriel, ou du moins ce qu’il en reste.

32

Entretien, Eric Perrin, attaché de conservation au Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne, 27 mars 2014.

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Chapitre 2 -

Une reconversion difficile de la Manufacture

d’Armes de Saint-Étienne

« La ville industrielle a connu un désastre, mais la ville n’est pas morte. […] Giat Industries a fermé les portes de la manufacture d’armes de Saint-Étienne. […] L’acte de décès est prononcé par l’État en 2000. […] Nous devons alors entreprendre la restauration. Je sais qu’elle devra donner lieu à un projet urbain et architectural de niveau international. »33.

Les propos de l’ancien maire de Saint-Étienne, Michel Thiollière, illustrent bien l’esprit dans lequel celui-ci a entrepris la reconversion de la Manufacture d’armes de SaintÉtienne. Par la construction de la Cité du design sur ce site, le maire ambitionne d’affranchir Saint-Étienne de son image de « ville noire » dévastée par la désindustrialisation, en impulsant une nouvelle attractivité susceptible de renouveler son tissu économique local. Ce projet de Cité du design mené par Michel Thiollière, même s’il a acquis au cours de son élaboration la légitimité et le soutien des milieux politiques nationaux et locaux (Section I), s’est réalisé dans un climat conflictuel sur le plan patrimonial (Section II).

Section I.

La volonté de reconversion d’un maire « bâtisseur »

Le projet de Cité du design est issu d’un long processus de légitimation et d’appropriation. Michel Thiollière en reste le principal acteur mais l’idée est née d’initiatives multiples au départ étrangères les unes aux autres qui se sont rencontrées à la fin des années 1990 autour du design. Il a fallu ensuite choisir un lieu et trouver les soutiens politiques et financiers nécessaires à la réalisation du projet. Le volontarisme et l’ambition de Michel Thiollière apparaissent dans toutes les étapes y compris dans le geste architectural qui se voulait fort et symbolique.

33

Michel Thiollière, Quelle ville voulons-nous  ?, Paris, : Éd. Autrement, 2007, p.  40.

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Une pluralité d’initiatives locales autour du design Michel Thiollière s’investit dès 1983 dans l’avenir de Saint-Étienne en tant qu’adjoint

délégué à l’urbanisme, mission qu’il assurera jusqu’en 1994 avant d’être élu maire de SaintÉtienne. Dans le cadre de son mandat d’élu en charge de l’urbanisme, il fait appel en 1992 à l’architecte Ricardo Bofill pour élaborer un projet urbain visant à favoriser une nouvelle attractivité, à redorer l’image de la ville. Cette stratégie de renouvellement urbain lui est inspirée par des villes « modèles » telles que Montpellier, Glasgow, Bilbao et Gênes, qui ont aussi un passé industriel fort mais qui ont su renaitre de la crise de la désindustrialisation par des politiques de régénération urbaine. « Ces villes comptent désormais parmi les plus créatives de l’Europe ancienne. Elles cultivent, par nécessité autant que par leur impressionnante résistance aux coups du sort, de nouveaux territoires. Il ne s’agit plus de terres vierges, pas d’avantage de sous-sols féconds ni même d’immenses manufactures industrielles dominées par d’arrogantes cheminées. Ces nouveaux territoires sont ceux de la créativité. […] Ils sont peuplés de gens qui, par dessus tout, ont envie de poursuivre l’aventure. »34

On retrouve dans le discours de l’ancien maire de Saint-Étienne de nombreuses références au concept de « ville créative » déjà évoqué. L’idée de « cultiver de nouveaux territoires » par la « créativité » nous montre bien l’importance de la notion de territoire. Dans la théorie de la ville créative35, la réappropriation de l’espace urbain, disloqué par la désindustrialisation et l’apparition de nombreuses friches, ne peut se faire qu’en donnant une nouvelle identité à la ville, une identité basée sur la créativité. Il faut donc par des projets urbains améliorer le cadre de vie en ville, pour pouvoir attirer les classes dites « créatives »36. Michel Thiollière met d’ailleurs en valeur cette notion de « peuplement ». Ce sont les habitants, les entrepreneurs, les créateurs, qui permettent aux projets d’émerger et de vivre. Pas de salut sans les « classes créatives ». Les succès de ces politiques urbaines à l’étranger encouragent donc Michel Thiollière à orienter la politique urbaine de Saint-Étienne dans la même direction. 34

Ibid., p.  33. Charles Landry et Franco Bianchini, The Creative City, Demos, 1995 ; Charles Landry, The Creative City: A Toolkit for Urban Innovators, Earthscan, 2008. 36 Richard L Florida, The rise of the creative class, op. cit. 35

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Lorsqu’il est élu maire en 1994, il poursuit sa stratégie en faveur de l’attractivité résidentielle et de l’amélioration de l’image de la ville. D’autant plus que l’objectif de renouvellement de la composition sociologique de la ville par l’arrivée de classes créatives est loin d’être atteint à Saint-Étienne. A cette époque c’est plutôt un mouvement inverse qui s’opère : Saint-Étienne perd chaque année des milliers d’habitants, notamment des jeunes diplômés qui vont chercher l’emploi, la qualité du cadre de vie et les animations culturelles du côté du Lyon. L’action de l’École régionale des beaux-arts de Saint-Étienne, dont le directeur est à cette époque Jacques Bonnoval, est par ailleurs fondatrice dans le positionnement de la ville sur le design. Au début des années 1990, un espace d’action et de réflexion autour du design nait au sein du département « environnement » de cette école. Celui-ci est en effet ouvert sur le monde industriel notamment grâce à des contrats de recherche appliquée signés avec des entreprises locales. Un post diplôme « design et recherche » est également créé en 1989. C’est la première fois en France qu’on voit apparaître un cycle de recherche design au sein d’une école d’art. Ce post diplôme se veut une force de proposition pour l’industrie locale. La création de la revue Azimuts en 1991, renforce également la réflexion autour de la thématique design et devient très vite un outil de communication pour les projets de recherche des étudiants mais aussi pour les entreprises locales qui travaillent en collaboration avec l’école. D’autres actions pédagogiques en lien avec les milieux économiques stéphanois sont mises en place, comme par exemple les « 5 à 7 design »37. En parallèle, le conservateur du Musée d’Art Moderne38 de l’époque, Bernard Cesson, souhaite inclure le design dans ses collections. En exposant le design industriel, c’est à dire l’objet fabriqué mécaniquement de manière sérielle et conçu pour la grande diffusion, Bernard Cesson veut inscrire le Musée d’Art Moderne dans une histoire locale. Rapidement, de nombreux échanges sont mis en place entre l’École régionale des beaux-arts et le Musée d’Art Moderne autour du design. La collaboration entre l’École régionale des beaux arts et l’École nationale d’ingénieurs de Saint-Étienne (ENISE) se concrétise aussi à travers la création d’une spécialisation post-diplôme commune aux deux écoles en 2002. L’idée est de faire travailler ensemble les futurs ingénieurs et les futurs designers autour de projets soutenus par des entreprises de la région. Le Musée d’Art Moderne participe à cette collaboration en 37

Séminaires organisés en collaboration avec la Chambre de Commerce et d’Industrie et qui sont de véritables lieux de rencontre entre les chefs d’entreprise, les étudiants et les designers. 38 Le Musée d’Art Moderne ouvre en 1987. Ses collections étaient auparavant exposées au Musée d’Art et d’Industrie, et tiennent parmi les plus importantes de France.

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apportant aux étudiants ses collections et sa documentation ainsi que la possibilité de voir leurs travaux exposés. Pour mettre en œuvre le plan « Saint-Étienne horizon 2020 » imaginé par Bofill, Michel Thiollière fait appel en 1996 à l’urbaniste Jean-Pierre Charbonneau. Celui-ci imagine un outil pour faire travailler ensemble les étudiants des écoles d’enseignement supérieur stéphanoises (en art, design et architecture) : les « Ateliers espace public ». Le principe est de rassembler cinq designers, cinq architectes, cinq artistes stéphanois jeunes diplômés autour d’un projet de rénovation urbaine. Leur mission est de créer et d’aménager des micro-lieux afin de donner une échelle plus sociale à des grands projets tels que la deuxième ligne de tram ou la Place Chavanelle. Ces ateliers vont donner naissance à plus de cent trente sites à SaintÉtienne, qui vont du mobilier urbain à la signalétique en passant par la plantation de végétaux. Elsa Vivant, dans son ouvrage Qu’est-ce que la ville créative ? insiste sur le rôle de l’artiste « dans la revalorisation symbolique des lieux » : « Récupérer des objets du quotidien pour les transformer en œuvre d’art, en les esthétisant, en leur donnant une valeur nouvelle : une telle activité artistique de basculement sémiotique est à l’origine de la revalorisation des lieux dévitalisés de la ville »39. Elle parle ici de la mutation spontanée que va engendrer la présence d’artistes dans un quartier. Michel Thiollière a compris dès le milieu des années 1990 la « valeur ajoutée » que pouvait apporter l’artiste à la ville, et n’attend pas que celui-ci transforme l’espace urbain de façon spontanée, il l’y invite. Par ces « Ateliers de l’espace public », certains espaces urbains deviennent de véritables œuvres d’art qui participent à améliorer le cadre de vie, à renforcer l’attractivité de la ville. Grâce à cette innovation, SaintÉtienne reçoit en 1999 « le grand prix de l’aménagement urbain » du Moniteur pour les villes de plus de 50.000 habitants. On peut voir dans cette action l’émergence d’une nouvelle forme de conduite des politiques publiques, basée sur la participation et la collaboration de jeunes diplômés dans des disciplines variées, ce qui permet à la ville de mettre en place des projets à moindre coût tout en favorisant la créativité. On distingue donc à Saint-Étienne une première articulation entre politique urbaine et politique culturelle, caractéristique de la ville créative.

39

Elsa Vivant, Qu’est-ce que la ville créative?, op. cit., p.  34.

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1998 : La première Biennale Internationale du design Le projet de Biennale de design a surtout été porté par deux hommes visionnaires :

Jacques Bonnoval, directeur de l’École des beaux-arts de Saint-Étienne, et Michel Thiollière, maire de Saint-Étienne. Ils ont tous deux la volonté de créer un événement marquant, symbole de la mutation de Saint-Étienne. La première édition de 1998 rassemble surtout les étudiants et le personnel de l’École des beaux-arts, qui réussissent à mobiliser leur réseau international. De nombreuses écoles, des créateurs, des entreprises, des agences du monde entier participent à cette première édition. Elle prend place dans plusieurs lieux emblématiques stéphanois : le Musée d’Art Moderne, le Musée de la mine, le Musée d’Art et d’Industrie, la Comédie, le site Le Corbusier. Depuis cette première édition, couronnée de succès, un des axes majeur de la manifestation reste le lien avec les entreprises locales. Des actions de sensibilisation sont mises en place auprès des nombreuses PME et PMI régionales pour leur montrer que le design peut leur apporter une valeur ajoutée et leur permettre de gagner en compétitivité. Pour favoriser et encourager ce lien avec le milieu économique, Saint-Étienne importe le concept créé à Montréal en 1995 avec le « Commerce Design Montréal ». Il s’agit d’un concours qui récompense les commerçants qui font appel à des designers. Saint-Étienne est la première ville européenne à organiser un concours de ce type en 2003. De cette première collaboration entre Montréal et Saint-Étienne est né le « réseau international des nouvelles villes de design ».

Emergence du projet de Cité du design C’est dans ce contexte d’émulation autour du design, à travers plusieurs initiatives et

un franc succès de la Biennale, que nait l’idée de la Cité du design. Lors d’un voyage au Japon, Jacques Bonnoval découvre l’International Design Centre Nagoya (IDCN), expérience qui lui inspire l’idée d’un centre international de design à Saint Étienne. Il la soumet à Michel Thiollière, lui aussi convaincu qu’il faut aller encore plus loin dans l’ancrage du design sur le territoire. Les deux hommes, déjà initiateurs de nombreuses actions autour du design et de l’aménagement urbain à Saint-Étienne, se retrouvent donc à l’origine du projet du Cité du design. Ils en discutent pendant près de deux ans avant de l’annoncer publiquement lors de la Biennale de 2002. Certains jugent cette annonce prématurée car le contenu de cette Cité reste encore à définir, et le projet n’a pas été assez débattu. L’objectif premier est de matérialiser

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par un lieu emblématique le positionnement design de la ville. Pour les deux hommes, le contenu viendra naturellement par la suite. Le choix de l’emplacement de la future Cité est un enjeu fondamental. Comme il s’agit de matérialiser une identité, la dimension symbolique du lieu qui sera choisi est essentielle. Deux facteurs entrent donc en compte : sa localisation et sa forme. Elle se doit d’être visible et représentative de l’esprit novateur que Michel Thiollière souhaite insuffler à Saint-Étienne. La première localisation qui est envisagée se trouve près de la Chambre de Commerce et d’Industrie mais il s’avère que le périmètre est trop restreint pour un projet de cette envergure. C’est finalement la friche de l’ancienne Manufacture d’Armes de SaintÉtienne qui est retenue. Tout d’abord parce qu’il s’agit d’un lieu emblématique de l’histoire de Saint-Étienne. Michel Thiollière, en y installant la Cité du Design, a sûrement souhaité que ce lieu continue d’être le symbole de l’identité stéphanoise, une identité tournée désormais vers le design. Pour François Clamart, administrateur de la Comédie de Saint-Étienne, tout l’intérêt de réhabiliter les friches en lieux culturels est qu’elles continuent ainsi à être des marqueurs de l’identité d’un territoire. « De voir qu’un patrimoine continue d’être au service, ou en tous cas d’être un marqueur de l’identité d’une ville, je pense que c’est important. Et voilà, que la population peut être sensible à ça. Plutôt que d’en effacer complètement l’histoire, de tout raser et d’en refaire autre chose. C’est ce critère là qui je pense est important »40.

D’autant plus que la Manufacture d’Armes de Saint-Étienne se trouve sur un axe majeur de la ville et représente un espace de plus de dix-huit hectares, laissé à l’abandon lors du départ de Giat Industries en 2003. Laisser un espace tel quel au cœur de la ville aurait contribué à disloquer davantage le tissu urbain et la cohésion sociale. Sa réhabilitation était donc nécessaire. Il y a également des raisons d’ordre plus pratique. Le site de dix-huit hectares offre en effet un vaste espace pour accueillir la création, la diffusion du design, ainsi que la formation, à travers le déménagement de l’École régionale des beaux-arts sur le site. Certains voient dans le choix de ce site pour implanter la future Cité du design un retour de la ville par rapport à un État historiquement dominant sur le territoire stéphanois. Ce 40

Entretien, François Clamart, administrateur de la Comédie de Saint-Étienne, 17 avril 2014.

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geste symbolique montrerait que la ville a pris son destin en main. On retrouve d’ailleurs dans les écrits de Michel Thiollière une certaine rancœur envers l’État qui aurait failli à sa mission en laissant la ville gérer la reconversion seule. « Loin de se préoccuper de la ville, de ses habitants et de son avenir, l’État, alors drapé dans son orgueil savant, comme il aime encore de temps en temps le faire, laisse l’ardoise à la collectivité : la disparition de la fiscalité qu’apportait la manufacture à la ville ne sera pas indemnisée ; le départ des familles frappées par les licenciements, le plus souvent obligés de quitter la ville, ne sera pas compensé ; les bâtiments ne seront pas donnés, le ville sera obligée de les acheter ! »41.

Le soutien des partenaires publics Une fois que l’idée est née et le lieu choisi, Michel Thiollière porte le projet de la Cité

du design auprès de la délégation aux Arts plastiques du ministère de la Culture où il reçoit un accueil favorable. Du fait de sa proximité partisane avec le gouvernement Raffarin, le maire est rapidement soutenu dans sa démarche par le ministre de la culture en place, Jean-Jacques Aillagon. Il sollicite également le ministère de l’Industrie mais celui-ci ne semble pas très concerné par le projet au départ. Cependant, il reçoit l’appui du ministre en charge de l’Aménagement du territoire, Jean-Paul Delevoye. Le 26 mai 2003, le Comité interministériel d’aménagement du territoire (Ciat) décide de soutenir les projets de Cité du design et du Zenith. Le Ciat encourage les projets qui permettent la reconversion des sites industriels, et l’initiative des élus stéphanois pour reconvertir le site de la Manufacture d’Armes de SaintÉtienne a séduit les membres du comité. Un fond structurel de 6,3 millions d’euros est prévu pour la Cité du design. Le soutien gouvernemental connaît son apogée lors de l’annonce de Jean-Pierre Raffarin de l’aide de l’État et de fonds structurels pour la réalisation de ce projet. D’autres partenaires publics sont ensuite sollicités, comme la région Rhône-Alpes et le Conseil général de la Loire. Le soutien de ce dernier est plus aisé à obtenir que celui du Conseil régional. Les résistances viennent principalement d’une inquiétude de mise en concurrence avec Lyon, qui abrite déjà le Centre de design Rhône-Alpes. Le Préfet de région joue alors le rôle de médiateur en insistant sur la complémentarité des deux villes et des deux projets. La région accorde finalement son soutien à la Cité du design. Le Conseil général, qui 41

Michel Thiollière, Quelle ville voulons-nous  ?, op. cit., p.  40.

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subventionne déjà le Musée d’art moderne dans sa « politique design » depuis 1994, affirme rapidement son appui au projet. Il ne faut pas oublier que l’émergence du projet de Cité du design se fait en parallèle à la naissance de la communauté d’agglomération de Saint-Étienne, qui remplace la communauté de communes de Saint-Étienne Métropole en 2002. Son périmètre d’action se trouve ainsi agrandi, elle acquière de nouvelles compétences et bénéficie de la taxe professionnelle unique (TPU). Saint-Étienne Métropole devient par ce changement la sixième communauté d’agglomération de France et la deuxième de la région Rhône-Alpes après Lyon. Elle rassemble 43 communes et 400 000 habitants. Saint-Étienne ne pouvant pas porter le projet seule, la Cité du design devra être le projet de la communauté d’agglomération. Michel Thiollière, également président de la communauté d’agglomération à cette époque, doit donc avant tout convaincre les conseillers municipaux des autres communes. Il réussit à le faire en organisant dès 2003 des voyages d’études dans des villes qu’il considère comme des « modèles » de villes en transition postindustrielle qui ont fait le choix de la culture. Les conseillers communautaires vont alors découvrir les réussites de Bilbao, Glasgow, ou encore de la région de la Ruhr et vont adhérer au projet de Michel Thiollière.

Une décision vue par le prisme des « fenêtres d’opportunité politique » On retrouve dans cette décision un exemple tout à fait intéressant de « fenêtre

d’opportunité politique » au sens de John W. Kingdon42. Celui-ci s’inspire du modèle du « garbage can » de March, Cohen et Olsen43. Selon ce modèle de la poubelle, la solution précède le problème. C’est à dire qu’en général, lorsqu’un problème émerge, la solution proposée l’avait déjà été pour un autre problème tout à fait différent mais n’avait pas été choisie pour le résoudre à ce moment-là. Les acteurs qui portent la solution et qui veulent la voir appliquée, se saisissent du nouveau problème pour montrer que leur solution est la meilleure pour le résoudre. Il y a donc un phénomène de glissement, les solutions passent d’un problème à l’autre. On peut également parler de couplage, c’est à dire qu’une solution toute prête est couplée avec un problème qui émerge et qui semble lui correspondre. Ce n’est 42

John W. Kingdon, Agendas, Alternatives, and Public Policies, Longman Publishing Group, 2011. Michael D. Cohen, James C. March, et Johan P. Olsen, A Garbage Can Model of Organizational Choice, M. Wiener, 1972.

43

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donc pas le problème qui fait émerger une solution, ce sont les solutions qui cherchent les problèmes. Kingdon reprend donc cette théorie et élabore trois courants : le problem stream (courant des problèmes), le policy stream (courant des politiques publiques) et le political stream. Le premier correspond à l’attention nouvelle portée à un problème grâce à des indicateurs (des statistiques par exemple), des évènements marquants (catastrophe naturelle, attentat) ou bien les effets rétroactifs d’une politique qui s’avèrent négatifs (externalités négatives). Le policy stream correspond à l’ensemble des solutions d’action publique disponibles au moment de l’émergence du problème, et susceptibles d’être adoptées. Ces solutions doivent être faisables techniquement, compatibles avec les valeurs dominantes et capables d’anticiper les contraintes à venir44. Le troisième courant, le courant politique, implique un consensus politique favorable à la résolution du problème par l’adoption de telle solution. La décision doit donc obtenir, par un processus de négociation collective, le soutien de l’opinion publique, des partis, et du pouvoir exécutif. D’après Kingdon, il ne peut y avoir de mise à l’agenda et de changement politique que lorsque qu’il y a conjonction de ces trois courants : un problème qui attire l’attention, une solution compatible disponible, et un contexte politique propice. C’est ce qu’il appelle les « policy windows », ou fenêtres d’opportunité politique. On retrouve donc l’enjeu du couplage déjà présent dans le modèle de la poubelle de Cohen, March et Olsen. Cette théorie des fenêtres d’opportunité politique pourrait permettre d’expliquer la décision de Michel Thiollière d’implanter la Cité du Design sur l’ancien site de la Manufacture d’Armes de Saint-Étienne. En 2000, Giat Industries quitte le site et celui-ci est quasiment laissé à l’abandon en dehors des activités d’Optsys et des archives militaires. La municipalité de Saint-Étienne se retrouve donc face à un problème de taille : une friche industrielle de dix-huit hectares en plein cœur de la ville, sur l’un des principaux axes de circulation. Un lieu symbolique de l’histoire et de l’identité stéphanoise en parfaite désuétude. Michel Thiollière et Jacques Bonnoval ont l’ambition de créer un grand centre de design sur Saint-Étienne mais la question de la reconversion du site de GIAT Industrie n’est pas associée à ce projet en premier lieu. L’objectif premier est d’ancrer sur le territoire 44

Patrick Hassenteufel, « Les processus de mise sur agenda  : sélection et construction des problèmes publics », Informations sociales, 2010, n° 157, no 1, p. 50‑58.

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stéphanois le positionnement design de la ville, de le matérialiser par un grand projet architectural. Par ce positionnement, Saint-Étienne devrait pouvoir s’affranchir de son image de « ville noire » et devenir une ville innovatrice, attractive et dynamique. La première localisation envisagée est d’ailleurs bien différente de la Manufacture, il s’agissait d’un espace proche de la Chambre de Commerce et d’Industrie. Mais lorsque Giat Industrie quitte le site, le maire y voit une opportunité à saisir. « Pour se brancher sur le design, il faut une assise bâtie. On peut pas être ville de design dans le vide. Donc il a dû cogiter, et puis il s’est dit: j’ai un emplacement majeur industriellement, qui va très bien parce qu’il est en perte de vitesse absolue. Il est très important, les stéphanois le connaissent tous, c’est la Manufacture Nationale d’Armes »45.

Le maire décide donc de proposer la solution « Cité du design » au problème de la reconversion du site de la Manufacture. Il ne reste plus qu’à trouver les soutiens politiques pour que la stratégie puisse aboutir. Nous l’avons vu, ces soutiens politiques ont été trouvé assez rapidement au niveau gouvernemental et local. Plusieurs facteurs entrent alors en jeu. Il faut tout d’abord rappeler la proximité politique entre le maire et le gouvernement. Ce projet n’aurait peut-être jamais pu voir le jour dans un autre contexte politique au niveau central. La décentralisation et l’évolution de la structure intercommunale avec le passage à la communauté d’agglomération en 2002 permettent aussi à Michel Thiollière d’étendre son influence sur le territoire. Celui-ci étant président de la communauté d’agglomération, il a le pouvoir de convaincre les autres élus communautaires. Et il a d’autant plus besoin de leur soutien que ce projet d’envergure ne peut pas être porté par la ville de Saint-Étienne seule. Mais si le projet a pu obtenir autant de soutien dans un premier temps, c’est parce que les années 2000 se caractérisent par un consensus politique autour de l’idée qu’il faut réhabiliter les friches industrielles. Suite aux succès de friches culturelles spontanées et à leur « institutionnalisation », on voit apparaître de nombreuses friches-labels, créées de toutes pièces par les pouvoirs publics au cours de cette période. « Les friches industrielles et les friches urbaines, considérées au cœur des projets urbains contemporains, sont devenues une opportunité de redéfinition de l’espace urbain, selon de nouveaux référentiels cognitifs et des 45

Philippe Peyroche, membre de nombreuses associations patrimoniales, ancien conseiller municipal et membre de la CRPS, 2 mai 2014.

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ambitions inédites.»46 Thomas Zanetti appelle ça « les bonnes pratiques urbaines en circulation »47. Ce nouveau « référentiel sectoriel »48 qui prend place dans les politiques urbaines et les politiques culturelles a permis à Michel Thiollière d’obtenir le soutien du Comité interministériel d’aménagement du territoire (CIAT) du 26 mai 2003, ainsi que des fonds structurels. Au niveau local, c’est le consensus autour de l’urgence économique qui permet un accord politique sur la question du design. Thiollière indique : « ce n’était pas dans la culture des communes de l’agglomération de bâtir un projet collectif, mais ça a été relativement facile de convaincre mes collègues parce qu’ils avaient envie d’être convaincus, ils avaient envie qu’on "bouge" le territoire »49. Le projet de territoire « Saint-Étienne métropole design » devient rapidement un véritable projet collectif intercommunal pour sortir SaintÉtienne de la crise. La Cité du design semble à la fois répondre à cet objectif de positionnement design et au problème de la reconversion de la Manufacture. « [La priorité a été donnée] à l’urgence économique, parce que Saint-Étienne est une ville, alors pas sinistrée mais pas loin. Quand Michel Thiollière a décidé ce projet là, Saint-Étienne était dans une situation qui était quand même extrêmement difficile. C’est à dire plus d’industrie, plus réellement de dynamique de pointe. Donc la logique qu’il avait, qui était de miser beaucoup sur le design en fait aujourd’hui on ne peut pas nier que c’était une stratégie intelligente, à moins d’être vraiment partisan, parce qu’en fait il en a découlé des tas de projets. »50

C’est donc la conjonction de ces trois courants et l’ouverture d’une « fenêtre d’opportunité politique » qui permettrait d’expliquer en partie l’implantation de la Cité du design sur le site de la Manufacture.

46

Amélie Nicolas et Thomas Zanetti, « Patrimoine et projet urbain  : produire et valoriser la localité à SaintÉtienne, Nantes et Clermont-Ferrand », Espaces et sociétés, 2013, n° 152-153, no 1, p. 181‑195. 47 Thomas Zanetti, « La Manufacture d’Armes de Saint-Étienne », op. cit. 48 Pierre Muller, « Esquisse d’une théorie du changement dans l’action publique », Revue française de science politique, 2005, Vol. 55, no 1, p. 155‑187. 49 Entretien, Michel Thiollière, 29 septembre 2008 in Vincent Guillon, « Mondes de coopération et gouvernance culturelle dans les villes  : une comparaison des recompositions de l’action publique culturelle à Lille, Lyon, Saint-Étienne et Montréal » IEP, Grenoble, 2011, p.  358. 50 Entretien, Marc Chassaubene, conseiller municipal en charge de la culture depuis avril 2014, 2 mai 2014.

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Un geste architectural fort pour ancrer la Cité dans la ville Une fois le site de la Manufacture choisi, il faut réfléchir au positionnement de la Cité

dans l’espace et à la forme architecturale qu’elle prendra. François Barré, figure emblématique des politiques culturelles et patrimoniales51, qui avait déjà participé à l’élaboration de la collection design du Musée d’Art Moderne, mais aussi aux premières Biennales du design, est à nouveau sollicité par Michel Thiollière pour préparer le concours d’architecture de la Cité du design. Il participe notamment à la composition du jury. Le maire souhaite en effet que celui-ci soit composé, au delà des financeurs, de personnalités reconnues dans le monde le l’architecture, et François Barré lui parait être la personne la plus compétente pour faire ce choix. Le périmètre qui est laissé aux architectes pour construire leur projet est celui de l’entrée de la Manufacture, c’est à dire celui de la place de l’Horloge qui est bordée par des jardins, les habitations des directeurs et les bâtiments administratifs. Le maire, en imposant que la Cité soit tournée vers le centre ville, qu’elle laisse derrière elle les bâtiments de production de la Manufacture, démontre une volonté d’ « instaurer un dialogue entre la modernité architecturale […] et l’héritage patrimonial. »52 Il s’agit de montrer par un geste architectural symbolique que la ville est désormais tournée vers l’avenir, et que cet avenir est incarné par le design. « Il faut faire des choix à un moment. Le choix il a été fait, ça c’est mon idée, c’est mon avis personnel que je vous donne, mais le choix il avait été fait au départ, dès le début du projet, c’est que finalement la Cité elle regarde plutôt vers la ville que vers sur ce qui est encore en friche. »53

Parmi les projets architecturaux en compétition, certains conservent une partie voire la totalité des bâtiments administratifs et directoriaux. Mais il y en a un qui projette de raser ces constructions pour y installer un bâtiment aux formes épurées et futuristes à la place. Il s’agit du projet de l’Allemand Finn Geipel. Celui-ci séduit le jury avec son projet moderne et expérimental, et il est finalement désigné lauréat du concours par le jury en 2004. « Sa platine 51

François Barré a été délégué aux arts plastiques de 1990 à 1993 au sein du ministère de la culture, puis président du Centre Pompidou de 1993 à 1996, directeur de l'architecture puis directeur de l'architecture et du patrimoine au ministère de la culture de 1996 à 2000, et enfin président des rencontres internationales de la photographie d’Arles de 2001 à 2009. 52 Thomas Zanetti, « La Manufacture d’Armes de Saint-Étienne  : un conflit mémoriel », Norois, 2011, n° 217, no 4, p. 41‑55. 53 Entretien, Sylvie Sauvignet, chargée de la médiation, Cité du design, 18 avril 2014.

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aux dmiensions imposantes (36 mètres de large, 220 mètres de long, 5 à 6 mètres de hauteur, pour une surface totale de 12 000 mètres carrés), est appelée à devenir la représentation matérielle de la nouvelle identité stéphanoise, empreinte de modernité ; ceci sur les lieux mêmes où s’est écrit une des pages les plus glorieuses de l’épopée industrielle stéphanoise »54.

55

Mais cette décision engendre « des leviers de boucliers de tout un tas d’associations, de protection du patrimoine. »56. Un conflit patrimonial qui va durer plus d’un an éclate donc à Saint-Étienne en 2004.

54

Thomas Zanetti, « La Cité du Design à Saint-Étienne  : valorisation et rejet d’héritages culturels dans un projet architectural et urbain », in Boulanger P., Hullo-Pouyat C. (dir.), Espaces urbains à l’aube du XXIème siècle  : patrimoine et héritages culturels, Presses Universitaires Paris-Sorbonne, 2010, p. 147‑156. 55 TRANDSNOW, Cité du design à Saint-Étienne [en ligne]. 2009. Disponible sur : <http://www.trendsnow.net/2009/12/cite-du-design-a-st-etienne.html/cite-du-design-st-etienne04>. [Consulté le 28 mai 2014]. 56 Entretien, Eric Perrin, attaché de conservation au Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne, 27 mars 2014.

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Section II.

L’implantation difficile de la Cité du design

Lors de l’annonce du projet lauréat pour la Cité du design en juin 2004, trois associations patrimoniales57 se mobilisent pour tenter de sauver les bâtiments dont la destruction est prévue. Le statut militaire du site fait que son histoire est mal connue mais ses qualités patrimoniales de premier plan sont tout de même reconnues par les spécialistes : « Alors il y a une première chose qu’il faut bien qu’on intègre, c’est que le site de la Manufacture Nationale d’Armes est un site militaire, inaccessible au public. […]. Donc c’était un peu le côté cité interdite. Ce qui fait […] qu’on n’avait pas non plus d’informations très précises sur la valeur patrimoniale, même si tout le monde était conscient que ça avait quand même un aspect architectural et patrimonial intéressant »58 .

Pour ces associations, la destruction des pavillons des directeurs et des bâtiments administratifs mettrait fin à la cohérence du lieu, et donc à sa valeur patrimoniale. Il s’agit en effet pour certains observateurs d’une cité industrielle construite dans la lignée du courant utopiste. Les maisons des directeurs symbolisent la hiérarchie socio-spatiale forte qui était à l’œuvre sur le site. La morphologie urbaine attire également l’attention: l’ensemble du site est en effet conçu comme un échiquier intégrant des espaces pleins et des espaces vides. Certains acteurs patrimoniaux vont même jusqu’à comparer la Cité industrielle au château de Versailles : « Les deux bâtiments directoriaux et les deux bâtiments administratifs, [créaient] véritablement une perspective, une cour d’entrée par rapport à la cour d’honneur jusqu’au bâtiment de l’horloge. Je dirais de la même manière que Versailles qui fonctionne sur le même principe: le système des bâtiments latéraux qui sont de plus en plus serrés pour conduire le regard jusqu’au bâtiment central. »59.

57

Les Amis du Vieux Saint Etienne et ARCO (Association de réflexion, de concertation et d'ouverture) qui sont deux associations stéphanoises. La première est strictement dédiée à la protection et à la mise en valeur du patrimoine local ; l’objectif de la seconde est la valorisation de l’image extérieure de Saint-Étienne. La troisième association impliquée est une association nationale, la Société de la Protection des Paysage et de l’Esthétique de la France (la SPPEF). 58 Entretien, Bernard Rivatton, directeur du Musée du Vieux Saint-Étienne, membre de l’association les Amis du Vieux Saint-Étienne, 17 avril 2014. 59 Ibid.

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« Une barre de 220 mètres de long ! C’est la hauteur de la tour Montparnasse ! En plein milieu d’un territoire. C’est comme si à Versailles on mettait ce truc là dans Versailles. »60

Pour d’autres, la valeur patrimoniale du site de dix-huit hectares tient au fait qu’il date du second Empire et qu’il est demeuré quasiment complet et intact depuis : « Le bâtiment lui-même n’avait pas un type architectural, c’était vraiment le type de l’époque. Si ce n’est que c’est la structure qui avait un intérêt puisqu’on avait une Manufacture qui était restée complète et intégrale de l’époque du Second Empire et on a perdu cet élément là. »61 « Alors si nous sommes intervenus de façon extrêmement vive et même plus sur la question de la Manufacture impériale, car c’est une Manufacture IMPERIALE d’armes, c’est qu’elle était unique en Europe, en ce sens qu’elle était dans son intégrité depuis 150 ans, depuis sa création. Lorsque Napoléon III et ses ministres ont décidé cette réalisation à Saint-Étienne. Ça veut dire qu’elle était unique, donc qu’elle pouvait prétendre maintenant, puisque il existe, au label européen »62.

La valeur patrimoniale du site était connue bien avant sa fermeture définitive, et bien avant que le concours ait lieu. En 1997, l’association « Les Amis du Vieux Saint-Étienne » (AVSE) avait déjà écrit à la direction de Conservation des Monuments Historiques à Lyon pour que le site soit protégé. En 1998, Michel Thiollière lui-même avait demandé à ses services d’engager une procédure de protection du site63 auprès de cette même direction. Le 24 janvier 2001, Pierre Troton, président des AVSE, réitère sa demande. Ces requêtes n’aboutissent pas pour plusieurs raisons : une activité, même minime, persiste sur le site jusqu’en 2000 à travers Giat Industrie, et le statut foncier de la Manufacture demeure complexe puisqu’elle appartient toujours au ministère de la défense. Le dossier sera donc oublié jusqu’à ce que la polémique de la Cité du design éclate.

60

Entretien, Philippe Peyroche, membre de nombreuses associations patrimoniales, ancien conseiller municipal et membre de la CRPS, 2 mai 2014. 61 Entretien, Bernard Rivatton, directeur du Musée du Vieux Saint-Étienne, membre de l’association les Amis du Vieux Saint-Étienne, 17 avril 2014. 62 Entretien, Jacques Stribick, délégué général de l’association ARCO, 27 mars 2014. 63 La Manufacture d’Armes de Saint-Étienne figurait en seconde place dans une liste de sites industriels à protéger.

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Historique du conflit En novembre 2002, le concours est lancé. Saint Etienne Métropole, alors en charge du

projet, commet une première erreur : elle ne consulte ni les association patrimoniales, ni les universitaires dans l’élaboration du cahier des charges. Cette « discrétion » a provoqué dès le début l’irritation des associations. « Et quand on nous a dit que… on nous a pas dit, parce que tout ça était… le cahier des charges a été concocté en catimini. »64 « Alors d’une part il y a une difficulté d’information en amont. C’est vrai quand on reprend le dossier, que ce soit la rédaction du cahier des charges par Saint-Étienne Métropole. Il n’y a pas eu de concertation à ce niveau là avec le milieu associatif et les gens de patrimoine. C’est un dossier qui s’est traité a priori au niveau de la rédaction du cahier des charges strictement au sein de Saint-Étienne Métropole. »65 « Saint-Étienne Métropole met en place le concours. Et il y a un mot pour le dire: elle le met en place d’une manière, d’une discrétion qui frise le secret quoi. C’est plutôt en très très grande discrétion. […] Sans avertir aucune compétence patrimoniale de la ville. […] Autrement dit, elle a désigné comme espace donné à l’architecte pour qu’il puisse réfléchir au bâti: elle lui a donné les bâtiments latéraux, quatre pavillons, directoriaux et administratifs, qui composaient si vous voulez l’assise patrimoniale du lieu. Elle lui a donné la Cour d’honneur. […] N’étaient pas informés, alors là, c’est une vraie litanie, ni l’architecte des bâtiments de France, ni cette association, ni l’Université, personne, ni les acteurs du patrimoine, personne. Et le concours va son chemin, toujours comme ça, jusqu’au jour où on a découvert les résultats »66.

Dans le jury composé par François Barré, aucun spécialiste de l’histoire stéphanoise n’a été retenu non plus. « Dans les jurys il y a toujours des gens qui représentent les finances publiques, les marchés publics. et puis des élus locaux. Du côté du Maire. Et puis également deux

64

Entretien, Jacques Stribick, délégué général de l’association ARCO, 27 mars 2014. Entretien, Bernard Rivatton, directeur du Musée du Vieux Saint-Étienne, membre de l’association les Amis du Vieux Saint-Étienne, 17 avril 2014. 66 Entretien, Philippe Peyroche, membre de nombreuses associations patrimoniales, ancien conseiller municipal et membre de la CRPS, 2 mai 2014. 65

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architectes parisiens. Un il s’appelle Soler67, l’autre s’appelle Odile Decq68. Et un troisième qui s’appelle François Barré. […] François Barré, c’est pas n’importe qui, il a été conseiller de François Mitterrand à l’architecture. […] Or je crois, mais je fais des réserves, que le dénommé Geipel avait perdu un concours dans le nord de la France pour un musée. Et comme il était bien en cours, je ne suis pas sûr que François Barré n’ai pas dit : “lot de consolation à Saint-Étienne”. Parce que François Barré c’est “le maitre”, celui qui est »69.

On retrouve dans la composition de ce jury l’attrait de Michel Thiollière pour les grands noms de l’architecture et de l’urbanisme : Ricardo Bofill, Jean-Pierre Charbonneau, François Barré ont déjà été évoqués. Norman Foster est également choisi en juin 2004 pour concevoir le Zenith de Saint-Étienne. Pour Philippe Peyroche, « Le maire, Michel Thiollière, avait une vénération curieuse et automatique pour les grands noms de l’architecture, tout esprit critique disparu […]. Il se fiait à l’ordre établi »70. La composition de ce jury pourrait expliquer que son choix ait porté sur la construction la plus moderne et qu’en l’absence de connaisseur de l’histoire locale, les projets plus soucieux de conserver les traces du passé n’aient pas été retenus. L’architecte Ricciotti notamment, qui figurait parmi les deux finalistes du concours, avait élaboré un projet qui conservait la totalité des bâtiments en place. « Le projet qui a été retenu, je crois, était le seul qui démolissait des bâtiments. Les autres s’intégraient dans les bâtiments, réutilisaient une partie des bâtiments mais ne touchaient pas à la structure de la Manufacture »71. « Et Ricciotti dans les même conditions avait joué sur l’analogie avec le Louvre. Je garde le patrimoine dessus, et dessous je vais mettre la fonctionnalité, le design, avec simplement une émergence au milieu qui était plus discrète. Et c’est ce que je dis, son défaut c’est d’être trop discret. ça se voyait pas assez. Donc il a été écarté. Ils ont loupé le beau projet au profit d’un autre ridicule »72.

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Il réinvente en 2005 avec Frédéric Druot l’immeuble dit « des Bons-Enfants » du Ministère de la Culture, rue Saint-Honoré à Paris. 68 Architecte du FRAC de Bretagne. 69 Entretien, Philippe Peyroche, membre de nombreuses associations patrimoniales, ancien conseiller municipal et membre de la CRPS, 2 mai 2014. 70 Ibid. 71 Entretien, Eric Perrin, attaché de conservation au Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne, 27 mars 2014 72 Entretien, Philippe Peyroche, membre de nombreuses associations patrimoniales, ancien conseiller municipal et membre de la CRPS, 2 mai 2014.

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En juin 2004, le lauréat du concours est annoncé officiellement par Michel Thiollière : c’est Finn Geipel et son projet de « Platine » qui est retenu. A partir de cet instant, les trois associations patrimoniales déjà évoquées (AVSE, ARCO et SPPEF) vont mettre en place toute une série d’actions pour essayer de sauver les bâtiments dont la destruction est prévue par le projet de Finn Geipel. Les « levées de boucliers » des associations patrimoniales : « Donc ce projet là a été retenu, et à partir du moment où il a été retenu il y a eu des leviers de boucliers de tout un tas d’associations, de protection du patrimoine et ainsi de suite »73. « Alors à ce moment-là, branle-bas de combat. C’est pas possible, qu’est-ce que c’est que ce projet de sauvage? De brute? »74. « Quand on a vu que l’architecte sélectionné avait prévu, mais il était autorisé à le faire, c’était pas une initiative de l’architecte. Il a démoli toute la partie inaugurale, c’est à dire 6 bâtiments, plus l’élément central qui était la Cour d’honneur de la Manufacture, on a été absolument consternés. Et c’est là qu’on a lancé toute une série d’opérations qui malgré tous les efforts déployés n’ont pas abouti »75. « Donc là il y a eu un travail extrêmement important dès le départ de sensibilisation. Dès que le résultat du jury du concours a été connu, ça a été articles de presse, ça a été tracts, ça a été de la communication à assez grande échelle. Puisque les trois associations ont organisé des débats, il y a eu mise en place d’une pétition […]. Ce qui a été tout à fait novateur dans ce domaine là, c’est le relai assez rapide qui a été pris au niveau national par les grandes associations nationales »76. « Et pour la première fois dans l’histoire de Saint Etienne, on a vu une pétition lancée ici pour la défense de cette Manufacture, qui a réuni plus de 6000 signatures. […] Mais ici, 6000 signatures ça ne s’est jamais vu dans l’histoire de la ville. Que pour un sujet culturel il y ait 6000 signatures. […] Parce qu’il y avait

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Entretien, Eric Perrin, attaché de conservation au Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne, 27 mars 2014. Entretien, Philippe Peyroche, membre de nombreuses associations patrimoniales, ancien conseiller municipal et membre de la CRPS, 2 mai 2014. 75 Entretien, Jacques Stribick, délégué général de l’association ARCO, 27 mars 2014. 76 Entretien, Bernard Rivatton, directeur du Musée du Vieux Saint-Étienne, membre de l’association les Amis du Vieux Saint-Étienne, 17 avril 2014. 74

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beaucoup de gens qui avaient travaillé à la Manufacture et qui voyaient ça comme “ils se fichent de nous”. Donc ils l’ont éprouvé. […] Deuxièmement, on a alerté la presse. La presse locale, totalement au service du Maire. […] Des articles épouvantables. On finit par se dire qu’ici il n’y a rien à faire. Et on va voir Paris. Et alors là ça a changé le ton. Parce que par la SPPEF, Madame Brecht, là ça a été différent. Alors à ce moment-là, on a vu Le Figaro, je me rappelle plus le nom de la rédactrice, on a eu M. Emmanuel Leroux le rédacteur spécialisé du patrimoine historique industriel du Monde, l’Express, Le Point, Libération, TFI au journal de 13H. […] Pernault un jour prend la parole et dit ça. Je me dis, alors s’il le dit, c’est gagné »77.

Un débat public est organisé le 25 janvier 2005 en présence du maire, de l’architecte, et des représentants des trois associations patrimoniales. Pierre Troton, président des Amis du Vieux Saint-Étienne, bien conscient de la difficulté de faire abandonner le projet de Finn Geipel, profite de cette occasion pour proposer une alternative à l’emplacement prévu. Il défend alors l’idée que si la Platine de M. Geipel était implantée plutôt de l’autre côté des H, tournée vers le quartier Plaine Achille, cela permettrait de conserver la place d’armes et ses bâtiments intacts, tout en mettant la Cité du design en résonnance avec la modernité, incarnée par le Zenith, la voie ferrée, le Fil, le stade, les équipements de loisirs, la zone industrielle78. Mais ces propositions n’ont pas été entendues par Saint-Étienne Métropole. Le dernier recours possible est alors l’inscription à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques. Les associations écrivent au Ministre de la culture dès juillet 2004 pour l’alarmer de la situation. ARCO écrit à la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC) le 22 novembre de 2004 pour demander la saisine de la Commission Régionale du Patrimoine et des Sites (CRPS). Celle-ci est refusée79. Philippe Peyroche, membre des Amis du Vieux Saint-Étienne et de la SPPEF, qui avaient été nommé à la fin des années 1990 à la CRPS de Rhône-Alpes tente d’alerter les autres membres de la Commission. Ceux-ci obtiennent la mise à l’ordre du jour de l’inscription partielle du site lors de la Commission du 77

Entretien, Philippe Peyroche, membre de nombreuses associations patrimoniales, ancien conseiller municipal et membre de la CRPS, 2 mai 2014. 78 Voir l’annexe 3, p.107 sur la proposition de repositionnement de la Cité du design des AVSE. 79 Pour consulter le dossier complet de l’association ARCO contenant les différentes demandes des associations aux autorités compétentes et les comptes rendus officiels : http://www.arcoimage.net/avis/manu/manu_cadre.htm

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9 juin 2005. Les bâtiments dont la destruction fait débat ne figurent pas dans le périmètre que le Préfet a proposé. Philippe Peyroche, présent ce jour-là, nous raconte le déroulement de cette séance au « silence de plomb » : « Et nous à la CRPS, moi j’avais averti mes collègues, bien sûr, très vite. Il faut qu’on protège ça absolument, qu’on inscrive tous les bâtiments à l’inventaire supplémentaire. Mais l’ordre du jour, c’est le Préfet de région qui l’établit. […] Le Préfet de région ne répondait jamais à nos demandes. Il y a des gens qui se sont énervés: le conservateur en chef des monuments historiques, le conservateur en chef des antiquités gallo-romaines qui pilote entre autres le musée gallo-romain de Fourvière. On s’est dit on va faire une lettre. […] Et alors il y a ce vote à la CRPS qui a eu lieu. Il a eu lieu sur l’ordre du jour du Préfet, qui a dit : moi je mets à l’ordre du jour l’inscription à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques le périmètre que voici. Ce périmètre, il n’englobait pas les pavillons qui ont été démolis. Alors j’ai pris la parole. Une atmosphère de plomb dans cette salle, je m’en souviendrais toute ma vie. Et là il y avait le Préfet de région qui me regardait sans tendresse. Et donc je me suis levé et j’ai dit: “voilà, je prends la parole pour la Manufacture d’armes”. Un silence de plomb. Et donc j’ai fait mon plaidoyer, en disant: “Je demande qu’on mette à l’ordre du jour non pas l’inscription partielle mais totale du site”. Là il s’y est pas trompé: “Non Monsieur. L’ordre du jour comprend la discussion de la protection partielle et non pas totale”. […] C’était un piège. […] Il y avait deux solutions: ou on refusait la protection qu’il demandait. Alors à ce moment là il aurait dit : Ah mais si vous voulez rien protéger, on est libre. […] Ou bien on disait: on accepte. Et à ce moment-là il dirait : vous avez accepté. M. le Maire vous pouvez démolir les quatre pavillons puisqu’ils ne sont pas protégés. »80

Cette Commission du 9 juin 2005 est l’apogée du rapport de force qui a opposé les associations patrimoniales et les élus pendant plus d’un an. Elle représente également l’issue législative du conflit. En effet le Préfet suit généralement l’avis consultatif de la Commission. L’inscription partielle obtient une courte majorité ce jour-là et le Préfet accorde le permis de démolition le 21 juin. Dès le lendemain, la destruction des quatre bâtiments de la place d’armes est entamée : 80

Entretien, Philippe Peyroche, membre de nombreuses associations patrimoniales, ancien conseiller municipal et membre de la CRPS, 2 mai 2014.

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« Et donc à partir du jour où ils ont eu l’autorisation de démolir, il y a quatre pelleteuses qui sont venues sur le site, une pour chaque bâtiment, et chaque bâtiment a été attaqué. C’était caricatural d’ailleurs, j’ai fait des photos à l’époque. Les quatre façades arrières du bâtiment ont été attaquées toutes les quatre en même temps, donc on n’a pas attaqué les façades sur rue pour pas que les gens voient que les bâtiments étaient démolis tout de suite »81.

Ironie du sort : ce même jour, le 22 juin, le juge des référés donne raison à ARCO qui avait introduit un référé le 23 mars 2005 contre la DRAC, et déclare qu’il n’y a pas urgence à démolir.

La thèse de la sélection mémorielle

Pour Thomas Zanetti, cette obstination des élus locaux à vouloir implanter la Cité du design à l’endroit des quatre bâtiments directoriaux et administratifs relèverait d’un phénomène de « sélection mémorielle »82. La définition du périmètre dans le cahier des charges du projet de Cité du design qui occulte ces bâtiments puis la démarche de classement qui a abouti à l’inscription partielle à l’inventaire supplémentaire de la Manufacture d’Armes de Saint-Étienne témoignent d’une volonté du politique de mettre à distance la composante sociale de ce site, symbolisée par les pavillons des directeurs. Ces bâtiments témoignent en effet d’une hiérarchie socio-spatiale qui rappelle les grands mouvements de revendication sociale des ouvriers stéphanois pendant toute la période industrielle. La destruction de ces bâtiments démontre donc pour Thomas Zanetti un rejet de la mémoire ouvrière. Cependant, en conservant les bâtiments de production, c’est une autre composante de la mémoire qui est mise en valeur : il s’agit de la composante technique. En valorisant cet héritage-là on souhaite mettre en valeur les vertus économiques du design industriel. Les élus locaux souhaitent donc occulter une « histoire douloureuse »83, embarrassante, qui est celle des grandes revendications sociales (grêves, émeutes) et des conflits armés à laquelle la Manufacture était indéniablement liée, pour mieux mettre en valeur un héritage spécifique. La mémoire technique prend alors beaucoup de place dans les discours des élus et dans les documents officiels. Elle leur permet de légitimer la stratégie de positionnement de Saint-Étienne autour 81

Entretien, Eric Perrin, attaché de conservation au Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne, 27 mars 2014. Thomas Zanetti, « La Cité du Design à Saint-Étienne  : valorisation et rejet d’héritages culturels dans un projet architectural et urbain », op. cit. 83 Paul Ricoeur, La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, Paris, Seuil, 2003. 82

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du design. Les évènements conflictuels liés au monde du travail étant peu conformes à la nouvelle identité dynamique et moderne voulue par Michel Thiollière et son équipe, on efface les traces d’une histoire sociale pour valoriser l’héritage industriel lié à la mécanisation, à la standardisation, à l’innovation. On peut penser que Saint-Étienne n’a pas encore fini son « travail de deuil » après le traumatisme individuel et collectif qu’a provoqué le déclin industriel. La ville conserve un « double besoin de gommer et d’invoquer son histoire. »84 Elle s’insrit dans une « dialectique contradictoire entre nécessité de la mémoire et volonté de l’oubli »85. •

Une gouvernance patrimoniale encore naissante

D’après Thomas Zanetti, le conflit patrimonial et mémoriel qui a eu lieu à SaintÉtienne peut également trouver une explication dans le caractère naissant de la gouvernance patrimoniale dans cette ville86. Saint-Étienne est en effet une ville qui a pris conscience très tardivement de l’importance de son patrimoine, notamment industriel. En témoignent les propos de deux anciens élus au patrimoine, Philippe Peyroche et Jacques Stribick : « En 1995 et jusqu’en 2001, j’ai été élu à Saint-Étienne comme conseiller municipal délégué au patrimoine historique. Dans l’histoire de Saint-Étienne il n’y en a jamais eu, je suis le premier dans l’histoire de Saint-Étienne. C’est pas pour me flatter, c’est pour dire que cette ville ignorait jusqu’en 1995, se fichait du tiers comme du quart du patrimoine. Il n’y avait même pas d’élu en charge. […] Alors évidemment tous les élus vous l’imaginez, ont un staff de fonctionnaires et des exécutants. Alors chef de service, etc. Savez-vous combien j’avais de fonctionnaires à mon service ? Zéro »87. « J’étais élu municipal sans étiquette politique. Et si vous voulez ça a été un peu une conséquence de mes engagements associatifs. Alors du coup on m’avait mis à l’image extérieure, j’ai jamais eu l’occasion de pratiquer une seule fois une démonstration quelconque dans ce sujet. Et ce que je dis est absolument vrai, c’est pas du tout critique, c’est un constat. Enfin si, critique si, ça l’est. Je veux dire que

84

Thomas Zanetti, « La Cité du Design à Saint-Étienne  : valorisation et rejet d’héritages culturels dans un projet architectural et urbain », op. cit. 85 Thomas Zanetti, « La Manufacture d’Armes de Saint-Étienne », op. cit. 86 Ibid. 87 Entretien, Philippe Peyroche, membre de nombreuses associations patrimoniales, ancien conseiller municipal et membre de la CRPS, 2 mai 2014.

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c’est pas un commentaire, c’est un constat. Et quant à la politique du patrimoine, puisqu’on m’avait donné cette étiquette, oui on m’a cantonné justement à une vision extrêmement étroite du patrimoine, ce qui ne m’intéresse en rien, puisque pour moi le patrimoine c’est pas des vieilles pierres, c’est ce qui peut devenir partenaire de notre développement. Et là la vision elle est… enfin j’étais pas du tout ajusté avec la municipalité donc ça n’a pas été d’une grande productivité. »88

Cette indifférence pour le patrimoine est à rapprocher de la question de l’oubli et du traumatisme du déclin industriel. Au début des années 2000, une multitude d’acteurs commencent cependant à se saisir de la thématique patrimoniale. On assiste à l’éclosion d’une « nébuleuse patrimoniale »89 dans laquelle gravitent différents acteurs : l’État et ses acteurs déconcentrés ; la municipalité ; le service « Ville d’Art et d’Histoire »90 ; le tissu associatif ; l’Université ; la communauté d’agglomération. Tous ces acteurs n’ont pas la même vision du patrimoine et pas les mêmes pouvoirs. Une hiérarchie existe entre eux, et peu de place est réservée à la concertation et à la réflexion commune. Cette absence de vision consensuelle provient probablement du passé fordiste de la ville, où l’État a pendant longtemps conservé son contrôle sur l’économie stéphanoise. Du fait de l’omniprésence de l’État central jusqu’au début des années 1990 les acteurs économiques et politiques locaux « ne se reconnaissent pas mutuellement comme des interlocuteurs crédibles et des acteurs valables des politiques de développement local. »91 Cette incapacité à se constituer en acteur collectif se retrouve dans la sphère patrimoniale, dont la gouvernance naissante reste encore inaboutie. Cela expliquerait l’absence de consultation des acteurs patrimoniaux dans le cahier des charges et dans le choix du lauréat. On observe dans cette affaire une supériorité du politique dans le conflit mémoriel avec une priorité donnée à la création architecturale plutôt qu’à la préservation du patrimoine. La sphère politique se pose alors en « groupe porteur de mémoire le plus puissant »92 ou encore comme le « titulaire d’une compétence mémoire »93

88

Entretien, Jacques Stribick, délégué général de l’association ARCO, conseiller municipal au patrimoine et à l’image extérieure de 2008 à 2014, 27 mars 2014. 89 Thomas Zanetti, « La Manufacture d’Armes de Saint-Étienne », op. cit. 90 Le label « Ville d’Art et d’Histoire » a été obtenu par Saint-Étienne en décembre 2000 pour la qualité de son architecture du XIXe et du XXe siècle, dans l’habitat mais aussi dans l’architecture industrielle. 91 Vincent Guillon, Mondes de coopération et gouvernance culturelle dans les villes, op. cit. 92 Amélie Nicolas et Thomas Zanetti, « Patrimoine et projet urbain », op. cit. 93 Ibid.

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« On arrive à sauver maintenant, alors plus ou moins intelligemment, des choses du patrimoine, parce que évidemment on se heurte à chaque fois entre l’avis des connaisseurs et des spécialistes du patrimoine et la volonté des élus et politiques... C’est pas qu’ils aient pas le projet de conserver des choses au niveau du patrimoine mais voilà, il faut pas que ça se heurte à un autre projet. Mais bon c’est pas le patrimoine qui passe devant à chaque fois »94.

L’État condamné et la prise de conscience patrimoniale Le 12 novembre 2013, le Tribunal Administratif de Lyon a rendu justice aux

associations patrimoniales en condamnant l’État pour sa passivité et son attentisme dans l’affaire. Il reconnaît les « délais excessifs d’examen, par les services de l’État, des demandes de l’ARCO de classement de la Manufacture d’Armes de Saint-Étienne […] et l’illégalité qui a entaché le refus de placer la Manufacture impériale de Saint-Étienne sous le régime de l’instance de classement […] L’État a fait preuve de carences fautives qui engagent sa responsabilité ». Un jugement semblable avait déjà été prononcé le 12 juillet 2007 par le Tribunal Administratif : « La décision implicite par laquelle le ministre de la Culture et de la Communication a refusé d’engager une instance de classement de la Manufacture Impériale de Saint-Étienne est annulée ». On peut donc imaginer que ces évènements ont provoqué une prise de conscience collective et une évolution de « l’arène patrimoniale » stéphanoise vers une plus grande concertation et une plus grande coalition entre les acteurs.

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Entretien, Eric Perrin, attaché de conservation au Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne, 27 mars 2014.

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Saint-Étienne, territoire qui a fondé son développement sur l’industrie, notamment du charbon, du ruban, de l’arme ou encore du cycle, a été touché très durement par le déclin industriel dont ont été victimes les sociétés occidentales depuis les années 1960. Ce déclin a causé un profond traumatisme dans la société stéphanoise qui a adopté dans un premier temps une politique d’ « éradication » des friches, signes visibles de la fin de la prospérité du territoire. Comme si leur disparition permettait d’oublier la blessure de la désindustrialisation. Le patrimoine industriel commence cependant à être valorisé à Saint-Étienne au cours des années 1990. En parallèle, on voit émerger à Saint-Étienne dans les années 1980 de nombreuses initiatives autour de la thématique du design, portées par l’École Régionale des Beaux-Arts et le Musée d’art moderne. Michel Thiollière conseiller municipal en charge de l’urbanisme de 1983 à 1994, puis maire de Saint-Étienne de 1994 à 2008, met en place une nouvelle stratégie de renouvellement urbain qui lui est inspirée par des villes « modèles » comme Bilbao ou Glasgow. Les projets autour du design initiés au cours des années 1980 l’encouragent à développer un positionnement stratégique pour Saint-Étienne autour de cette thématique. Avec Jacques Bonnoval, ils envisagent d’ancrer le design sur le territoire par un geste architectural fort, symbole de la modernité vers laquelle Saint-Étienne se tourne. Mais l’implantation de la Cité du design sur le site de l’ancienne Manufacture entraine la destruction de quatre bâtiments que les associations patrimoniales tentent d’empêcher par tous les moyens. Saint-Étienne Métropole obtient le permis de démolir, mais l’État sera condamné quelques années plus tard dans cette affaire. A vouloir absolument se fier à l’ordre établi en répliquant les stratégies des métropoles étrangères ayant eu du succès, et en négligeant une partie de la mémoire locale, Michel Thiollière n’a-t-il pas fait une erreur qui lui aura coûté a réélection en 2008 selon certains observateurs ? Pour Thomas Zanetti, cette décision va à l’encontre « d’une vertu induite par le développement culturel » qui est « le maintien et le renforcement de la cohésion sociale d’un territoire »95. Ce conflit marque les premières difficultés d’appropriation du concept de « ville créative » par Saint-Étienne. Parviendra-t-elle à y trouver les éléments qui pourraient servir à son développement économique et social, et à se détacher de ceux qui pourraient lui être néfastes ? 95

Thomas Zanetti, « La Cité du Design à Saint-Étienne  : valorisation et rejet d’héritages culturels dans un projet architectural et urbain », op. cit.

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Partie 2 -

Quelle « ville créative » pour Saint-Étienne ?

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Chapitre 1 -

Le design comme « avantage métropolitain »96

Le design a été pensé très tôt par Michel Thiollière comme un outil au service du développement économique, culturel et social du territoire. Le positionnement stratégique sur le design permet à Saint-Étienne de s’imposer sur la scène internationale dans le cadre d’une « compétition inter-urbaine ». Mais le design, plus que tout autre art, est un positionnement particulièrement judicieux pour Saint-Étienne, pour deux raisons. Tout d’abord il permet d’établir une spécificité locale en lien avec l’histoire de la ville (Section I). Et la deuxième raison tient au fait que le design est le symbole de l’économie créative. Les ponts qu’il institue entre les acteurs culturels et les acteurs économiques vont permettre à Saint-Étienne d’obtenir la reconnaissance de l’Unesco (Section II).

Section I.

Un héritage industriel au service de l’économie créative

« Le design [existait] déjà, c’est comme Monsieur Jourdin qui faisait de la prose sans le savoir, l’industrie stéphanoise faisait du design sans le nommer design »97.

Lien historique entre art, enseignement et industrie

Un musée de fabrique est créé en 1833 par des industriels stéphanois à partir du cabinet de curiosité d’Edouard Eyssautier. Les collections s’enrichissent au fil des années des dépôts ou d’achats d’armes et de rubans par les industriels. Mais le véritable tournant a lieu sous l’impulsion de Marius Vachon, publiciste d’origine stéphanoise. Celui-ci est chargé par le Ministère des Beaux-Arts et de l’enseignement d’étudier les musées et écoles d’art en France et en Europe sur le terrain. A la suite de quoi, en 1889, il réorganise le musée de fabrique en Musée d’Art et d’Industrie. Il souhaite en faire une véritable arme économique, à la fois lieu de conservation de collections beaux-arts et de pièces industrielles, et lieu de formation et de rencontre pour les créateurs (au sens d’artistes et d’artisans). Cette réorganisation témoigne d’une volonté collective dès le XIXe de créer des ponts entre les « beaux-arts » et les arts industriels. 96 97

Ludovic Halbert, L’avantage métropolitain, Paris, Presses Universitaires de France - PUF, 2010. Entretien, Eric Perrin, attaché de conservation au Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne, 27 mars 2014.

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« La ville de saint Etienne s’est dotée des premiers éléments du Musée d’Art et d’Industrie en 1833 sur la base d’une collection qui a été donnée par M. Eyssautier mais qui était plus un cabinet de curiosités comme ça se faisait encore à la fin du 18ème siècle. Ça c’est le noyau initial, après c’est vraiment le milieu du 19e s où on a choisi d’enrichir et de compléter ce musée en particulier avec des collections industrielles autour de l’arme et du ruban qui étaient les deux grandes industries phares de la région stéphanoise, qui a été complété à la suite par le cycle. […] Le Grand tournant du Musée d’Art et d’Industrie, il est devenu sous ce titre Musée d’Art et d’Industrie à la fin du XIXe sous l’impulsion d’un monsieur qui s’appelait Marius Vachon qui était connu au niveau de la région mais qui était connu au niveau européen pour travailler un peu sur l’esthétique industrielle on va dire. […] Et lui, il va réimpulser un nouvel élan au musée ici en essayant de dire qu’il fallait absolument que ce musée devienne une vitrine et un outil pour tous les ouvriers, et les gens, les artisans qui travaillaient sur la région, pour remonter leur niveau artistique. Alors aussi bien pour les armuriers que pour les rubaniers. Alors on enrichit les collections de tout un tas de pièces qui sont regardées comme modèles, comme exemples de niveau artistique »98.

L’ « École de dessin », créée en 1803, est également réorganisée et rebaptisée « École régionale des arts industriels » en 1886. Les industriels de l’époque trouvaient que l’enseignement des beaux-arts était trop tourné vers le statut d’artiste et pas assez vers l’industrie. Ces artistes qui n’arrivaient pas à percer dans le milieu de l’art n’étaient pas en mesure de servir non plus l’industrie du ruban ou de l’arme. A partir de 1886, l’École forme donc des créateurs capables de répondre aux besoins des industries stéphanoises soucieuses de l’esthétique de leur production. Il convient également de rappeler le rôle du Musée d’Art Moderne et de sa collection design dans l’élaboration de liens entre les arts, l’enseignement et l’industrie, même si celle-ci est arrivée plus tard dans le temps. Héritier d’une partie des collections du Musée d’Art et d’Industrie lors de sa création en 1987, le Musée d’Art Moderne s’est sûrement inspiré des initiatives de celui-ci plus d’un siècle plus tôt.

98

Entretien, Eric Perrin, attaché de conservation au Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne, 27 mars 2014.

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L’héritage industriel comme outil de légitimation de l’action publique Ce lien historique entre artistes et industriels aurait donc favorisé à Saint-Étienne

l’introduction d’une dimension esthétique dans les produits manufacturiers, que ce soit dans l’arme ou dans le ruban. La ville aurait donc été de tous temps une terre de créateurs. Beaucoup d’exemples d’innovations stéphanoises peuvent alors être évoqués pour démontrer que l’histoire locale regorge de créativité : la première ligne de chemin de fer, en 1827 ; la machine à coudre, en 1830 ; la turbine hydraulique, en 1832 ; la roue libre, en 1885 ; le catalogue de Manufrance en 1885 ; Casino, ses multiples succursales et son journal au début du XXe siècle, etc. Pour Thomas Zanetti, le conflit mémoriel qui a eu lieu autour de la réhabilitation de la Manufacture d’Armes de Saint-Étienne montre bien la volonté des élus locaux de mettre en valeur un héritage spécifique, la mémoire technique, afin de légitimer la stratégie de positionnement design de la ville. « L’exercice de remémoration des savoir-faire déployés lors du processus de fabrication des armes de la MAS devient une réserve de sens, et le recours au patrimoine industriel peut alors être appréhendé comme un mécanisme de légitimation de l’action publique contemporaine »99. L’histoire locale est ainsi mobilisée au service du design, et la mémoire retenue devrait permettre la réussite du projet de développement pour l’agglomération. On retrouve cette volonté d’associer histoire locale et nouvelle stratégie de la ville dans la plupart des discours politiques et des documents de communication officielle de la ville : « En faisant se rencontrer, il y a plus de deux siècles l’art et l’industrie, le territoire stéphanois a fait germer les racines du design français. Depuis il a fait du design un moteur de son développement et s’est imposée comme le 1er pôle français de design au rayonnement international »100. Le lien historique qui existe entre art et industrie n’est pas propre à Saint-Étienne, la plupart des grandes villes industrielles ont connu une histoire similaire. Ce qui est unique,

99

Thomas Zanetti, « La Manufacture d’Armes de Saint-Étienne », op. cit. SAINT ETIENNE ATELIER VISIONNAIRE, Stimuler par le design [en ligne]. Disponible sur : <http://www.saint-etienne-ateliervisionnaire.fr/>. [Consulté le 7 juin 2014].

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c’est la façon dont les acteurs se réapproprient cette histoire locale pour en faire un véritable récit qui légitime la politique de reconversion économique de la ville.

L’appropriation collective d’un nouveau récit sur le territoire

Ce récit des origines est partagé par un large panel d’acteurs du territoire. Les spécialistes du patrimoine industriel, comme Monsieur Perrin, trouvent bien entendu dans le passé de la ville les origines du design. Pour lui, Saint-Étienne était déjà en avance au XVIIIe siècle sur la mécanisation et la production sérielle qui caractérisent le design industriel : « Le design n’existait pas en terme de design, enfin désigné sous ce terme là. Mais évidemment que l’industrie stéphanoise était à la pointe de ce qui était le design industriel, puisque dès la fin du XVIIIe s. et en particulier dans l’industrie de l’armement, qui était une industrie qui dépendait du roi. Donc qui était l’une des seules probablement à l’époque […] sur laquelle on était susceptible d’avoir des productions d’ensemble, des productions de grande ampleur, et des applications et des règlements qui pouvaient s’appliquer en grand. Alors on a en particulier à Saint-Étienne un contrôleur des platines qui s’appelait Honoré Blanc à la fin du XVIIIe siècle et qui a travaillé énormément sur la mise au point de ce qu’on appellera par la suite l’interchangeabilité des pièces. Et qui était éminemment du design puisque c’était arriver à fabriquer mécaniquement, industriellement, des pièces d’armes. La platine […] c’est le mécanisme de mise à feu d’une arme de guerre. […] Donc cette platine elle a une forme particulière et il a travaillé sans le savoir sur le design de ces platines, sur vraiment la forme pour arriver à la fabriquer par estampage. Là on est à la fin du XVIIIe donc autant dire qu’on est précurseurs sur le domaine »101 .

Il voit également un lien fort avec le design dans la recherche d’esthétique et d’innovation des industriels stéphanois de l’après-guerre: « Le design à Saint-Étienne je pense que ça parlait à tout le monde, enfin je veux dire au niveau industriel, avant qu’il y ait la Platine, qu’il y ait la Cité du Design. Les industriels à la fois s’étaient intéressés et avaient travaillé avec des designers qui à l’époque étaient parisiens parce que les designers étaient parisiens. Dans les années 1950, on a plusieurs exemples post-seconde guerre mondiale de gens qui

101

Entretien, Eric Perrin, attaché de conservation au Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne, 27 mars 2014.

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ont travaillé avec des cabinets de design parisiens. Je pense en particulier à Manufrance, grande entreprise stéphanoise qui dans les années 1960, 1970, travaillait avec l’agence Lonsdal à Paris, à la fois pour redesigner les fusils, les vélos, le look, et la finition de certains fusils. Enfin, on a dans les documents d’archives un certain nombre de choses sur le sujet qui ont été primées dans les années 1970 pour le design industriel, enfin à l’époque ça s’appelait l’esthétique industrielle. Il y avait un prix de l’esthétique industrielle. Et puis j’ai découvert aussi récemment par exemple qu’il y avait une entreprise de fabrication d’appareils photo qui s’appelait la CEM à Saint-Étienne et dans la région stéphanoise. Et la CEM a travaillé avec Roger Tallon qui est un designer reconnu maintenant, et qui est décédé, qui a designé en particulier le TGV dans les plus prestigieux »102 .

Les associations patrimoniales, qui se sont opposées aux destructions qu’a entrainé la construction de la Cité du design, démontrent qu’elles ne sont pas contre le projet design en lui-même, et qu’elles le soutiennent au contraire car celui-ci fait partie de l’histoire de la ville. « On a toujours été extrêmement favorables à la thématique du design à SaintÉtienne. Quelques 15 ans avant la question de la Manufacture Impériale, nous avions proposé l’installation d’un centre du design national à Saint-Étienne, dans le cadre d’une des manifestations qui a fondé notre association. Donc quand on a parlé de design on était très heureux. […] Alors ce dossier103 est un dossier qui précisément a été entièrement établi sur le fait que Saint-Étienne avait une légitimité à être une ville de design, compte tenu de son antériorité sur 200 ans d’histoire industrielle où bien entendu le design était nécessairement présent. Même si bien entendu il ne l’était pas sous le vocable actuel »104. « On avait travaillé, enfin j’avais travaillé, à la fin des années 1990, lorsqu’il y avait le projet de créer une Cité du Design. A l’époque on avait aucune idée de lieu potentiel, c’était juste le concept qui était en réflexion. Et avec une chargée de mission on avait travaillé, elle disait : Saint-Étienne, ville du design, ça se justifie par son histoire et son antériorité, depuis le XVIe-XVIIe... […] Ce qu’il faut comprendre c’est que nous ne sommes pas contre le projet en lui-même. On nous a souvent reproché d’être totalement opposés à la création de la Cité du Design, mais c’est faux. Nous étions contre les démolitions mais nous avons proposé d’autres

102

Entretien, Eric Perrin, attaché de conservation au Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne, 27 mars 2014. Dossier de candidature au réseau Unesco des villes créatives de design 104 Entretien, Jacques Stribick, délégué général de l’association ARCO, conseiller municipal au patrimoine et à l’image extérieure de 2008 à 2014, 27 mars 2014. 103

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alternatives pour que la Cité puisse s’implanter de manière intelligente sur le lieu »105 .

Les acteurs culturels, comme Sylvie Sauvignet, en charge de la médiation à la Cité du design, mettent également en avant une légitimité du positionnement design à Saint-Étienne qui viendrait de son antériorité : « Alors il y a eu un changement d’image déjà qui est assez important, à travers les Biennales. La Biennale nous a fait connaître à l’international et ça on s’en rend peut-être pas compte au quotidien. Aujourd’hui, l’expertise design c’est SaintÉtienne pour de nombreuses villes à l’international. Ça se voit peut-être moins au niveau local, mais à l’international en fait l’expertise design c’est Saint-Étienne. Et localement, je crois que ça a vraiment créé une dynamique. Je pense qu’il était important aussi pour le Stéphanois de valoriser tous ces savoir-faire qu’il a eu dans le passé. Le design c’est ça. Je vais pas faire la com de la Cité mais on dit que c’est dans l’ADN de la ville parce que ça a toujours été en fait un territoire de créateurs. Et qu’à une époque par exemple il y avait énormément de brevets qui étaient déposés et que les stéphanois ont du mal à valoriser en fait leurs savoir-faire, même leur patrimoine »106.

Les acteurs politiques, à l’instar de Marc Chassaubene, conseiller municipal en charge de la culture depuis le mois d’avril 2014, ont tout intérêt à valoriser le passé industriel de Saint-Étienne, pour poursuivre les politiques de développement territorial axées sur le design que Michel Thiollière a entrepris. « Je pense que la créativité fait partie de l’ADN stéphanois, c’est ce que j’ai beaucoup dit. Parce que dans tous les domaines Saint-Étienne a toujours été à la pointe, c’est quelque chose qui est assez fascinant si on refait l’historique de SaintÉtienne. Il y a vraiment eu, alors que ce soit à l’époque de Manufrance, que ce soit sur les armes, que ce soit sur les cycles, que ce soit en foot, il y a toujours eu une spécificité stéphanoise, véritablement tournée vers l’avenir. Il y a une vision stéphanoise. Et ça c’est difficile à expliquer, je pense que ça doit être comme à Grenoble par exemple il peut y avoir des spécificités tournées vers soit l’environnement, soit les hautes technologies, à Saint-Étienne on a cette vision de l’avenir, cette créativité que l’on retrouve dans tous les domaines, c’est à dire en

105

Entretien, Bernard Rivatton, directeur du Musée du Vieux Saint-Étienne, membre de l’association les Amis du Vieux Saint-Étienne, 17 avril 2014. 106 Entretien, Sylvie Sauvignet, chargée de la médiation, Cité du design, 18 avril 2014.

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matière de culture, on est une des villes où je pense émergent chaque année le plus de projets culturels, d’initiatives... voilà, des choses assez novatrices. »107

On observe dans ces deux derniers extraits d’entretiens un glissement du vocabulaire de l’histoire locale vers le lexique de la « ville créative » : « changement d’image », « international », « dynamique », « créativité », « créateurs », « avenir », « novatrice ». Guy Saez voit dans cette évolution du discours du personnel politique dans les métropoles un « marketing territorial » et un « marketing culturel-urbain »108 : « Les villes organisent désormais leur communication à travers ce nouveau lexique »109. On a donc une réinterprétation de l’histoire locale pour légitimer l’orientation stratégique de la ville vers l’économie créative. Et, nous l’avons vu, cette légitimité est partagée par la plupart des acteurs. Thomas Zanetti parle également de « marketing identitaire territorial ». Autrement dit, Saint-Étienne, par l’intermédiaire de son maire « bâtisseur » Michel Thiollière, va tenter de suivre des modèles de « villes créatives » exemplaires, comme Bilbao, tout en affirmant une singularité territoriale légitimée par son passé. Paradoxalement, cette différenciation territoriale à travers le référentiel design, devrait permettre à Saint-Étienne de s’insérer dans un système de normes approuvées à l’international, c’est à dire de devenir une véritable « ville créative ». Il s’agit d’un phénomène de branding, c’est à dire que les villes, par leur spécificité, vont chercher à créer une « réputation qui fait marque »110 et de cette manière à être plus visible sur la scène internationale. Paris est la capitale de la mode, Londres la capitale de la musique électronique… Saint-Étienne se veut la capitale du design.

107

Entretien, Marc Chassaubene, conseiller municipal en charge de la culture depuis avril 2014, 2 mai 2014 Guy Saez, « Une (ir)résistible dérive des continents », L’observatoire, 2009, no 36, pp .29‑33. 109 Ibid. 110 Charles Ambrosino et Vincent Guillon, « Les trois approches de la ville créative  : gouverner, consommer et produire », L’observatoire, pp. 25‑28, p.  27. 108

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Section II.

Saint-Étienne, ville Unesco de design du réseau des villes

créatives •

Le design, un positionnement stratégique efficace ? Le choix d’un référentiel design pour Saint-Étienne, s’avère dans un premier temps

intelligent car il puise sa légitimité dans l’histoire locale. Tout en puisant dans un passé glorieux, le design incarne la modernité vers laquelle Saint-Étienne souhaite se tourner. Nous allons maintenant essayer de démontrer que le design en lui-même est un puissant levier de développement territorial dans le cadre d’une stratégie influencée par le concept de « ville créative ». Nous allons pour cela partir de la grille de lecture de la « ville créative » que nous proposent Charles Ambrosino et Vincent Guillon111. Ils la définissent à partir de trois approches : gouverner, consommer, produire. « L’approche par le gouvernement » La « ville créative » permettrait une véritable recomposition des politiques publiques vers une plus grande transversalité entre les secteurs. Le développement territorial serait alors basé sur le cultural planning, où les politiques culturelles perdraient leur autonomie et leur spécification pour s’articuler avec d’autres domaines d’action tels que l’économie, la santé, l’éducation, le tourisme, l’urbanisme, etc. « L’action culturelle est considérée comme un point de convergence territorial entre les acteurs politiques, économiques, sociaux, éducatifs et, bien sûr, culturels »112. Le design est dans cette optique un outil particulièrement intéressant puisqu’il est par définition « un processus intellectuel créatif, pluridisciplinaire et humaniste, dont le but est de traiter et d’apporter des solutions aux problématiques de tous les jours, petites et grandes, liées aux enjeux économiques, sociaux et environnementaux »113 Par son aspect pluridisciplinaire, il peut donc être utilisé dans des champs d’action publique multiples pour résoudre des problèmes variés.

111

Charles Ambrosino et Vincent Guillon, « Les trois approches de la ville créative », op. cit. Ibid., p.  25. 113 ALLIANCE FRANÇAISE DES DESIGNERS, Design, designers : définitions [en ligne]. Disponible sur <http://www.alliance-francaise-des-designers.org/definition-du-design.html >. [Consulté le 2 juin 2014]. 112

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« L’approche par la consommation » Cette approche renvoie à l’idée de « classe créative » de Richard Florida114. Dans une logique de compétition inter-urbaine, les villes doivent pouvoir proposer un cadre de vie qui attirerait ces « classes créatives ». Cette attractivité passerait par la vitalité de l’offre culturelle et par une « ambiance urbaine » caractérisée par une architecture remarquable et des espaces verts agréables. « On est ici dans une logique de distinction métropolitaine que la consommation culturelle justifie »115. Ici encore, le référentiel design permet et justifie des plans d’aménagement urbains faisant appel à une architecture moderne. Le design étant par essence esthétique et dédié au bien-être, il peut alors être utilisé sur les moyens de transport, dans des espaces verts, ou encore sur la signalétique pour « embellir » la ville et la rendre plus attractive. Le design « graphique » et « numérique » peut également être un outil de communication puissant pour améliorer l’image de la ville, à travers des affiches ou des sites internet épurés et interactifs par exemple. L’offre culturelle stéphanoise est également enrichie par des évènements et des équipements culturels autour du design. Rappelons que le Musée d’Art Moderne de SaintÉtienne possède l'une des plus importantes collections de design en France. La Biennale Internationale de design est également un grand facteur d’attractivité puisqu’elle accueille des dizaines de milliers de visiteurs à chaque édition. « L’approche par la production » Cette approche étudie l’impact du développement des industries culturelles et créatives sur la performance économique du territoire. Dans la « ville créative », « les arts et la culture peuvent contribuer à enrichir le contenu et l’image des productions industrielles »116. Encore plus que dans les deux autres approches, le design est ici un atout incontestable. Charles Ambrosino et Vincent Guillon prennent d’ailleurs l’exemple de SaintÉtienne pour illustrer cette approche. Tout d’abord car le design est une industrie créative à part entière, qui produit elle-même de la richesse. Mais aussi car c’est une industrie « au 114

Richard L Florida, The rise of the creative class, op. cit. Charles Ambrosino et Vincent Guillon, « Les trois approches de la ville créative », op. cit., p.  26. 116 Jean-Michel Tobelem, « Equipements culturels et villes créatives », Urbanisme, 2010, no 373, p. 46, p.  46. 115

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service » des autres industries, c’est à dire que le design peut apporter une valeur ajoutée nécessaire à la distinction des produits dans l’économie mondialisée hyperconcurrentielle d’aujourd’hui. Le design étant au cœur de l’économie créative, il contribue à la distinction du système productif stéphanois et par là même au repositionnement du territoire. Le design est « un outil permettant de convertir la créativité et le travail cognitif en activité économique »117. La coopération entre industriels et designers est donc indispensable pour que le design puisse être réellement un atout pour le tissu économique local. Le design représente donc un positionnement stratégique efficace car il peut servir tout naturellement aux trois fonctions de la « ville créative » : le gouvernement, la consommation, et la production. Ce positionnement va se matérialiser et se concrétiser par la Cité du design, créée en 2005 et inaugurée en 2009.

La Cité du design : un équipement culturel catalyseur de développement ? Favoriser cette coopération entre acteurs économiques et acteurs culturels fait

d’ailleurs partie des missions de la Cité du design, tout comme l’implication des designers dans les différentes politiques territoriales : « La Cité du Design c’est un Etablissement de Coopération Culturelle, EPCC, qui rassemble l’École Supérieure d’Art et Design et la Cité. Les missions principales c’est de sensibiliser tous les publics au design par différents biais. […] La Biennale, elle a été créée en 1998, et elle est gérée et organisée par la Cité du design depuis 2006. […] On a plusieurs services qui correspondent aussi à des missions un petit peu plus larges de la Cité. C’est à dire qu’on a un service avec des relations internationales qui travaille beaucoup avec d’autres écoles supérieures d’art et design dans le monde. […] Et on a aussi un service qui travaille sur le développement économique. Et ce service est beaucoup plus en lien avec les entreprises du territoire et les designers. Voilà. Et on a aussi un service prod, production, qui développe et met en place les expositions. […] On a une personne qui est design manager. Alors maintenant c’est un poste qui tend un petit peu à être développé en France, mais ça a été la première personne en France à occuper cette

117

Charles Ambrosino et Vincent Guillon, « Les trois approches de la ville créative », op. cit., p.  27.

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mission. Et sa mission principale c’est surtout d’impliquer un designer dans chaque projet du territoire »118.

On retrouve dans ces propos les trois approches de la « ville créative » concrétisées par les actions de la Cité du design. Cet équipement culturel a donc été créé en 2005 pour matérialiser et concrétiser le positionnement design de Saint-Étienne et favoriser ainsi son développement économique et territorial. Il convient également de préciser le rôle des équipements culturels en général dans la « ville créative ». Pour Jean-Michel Tobelem, ce rôle peut-être envisagé de deux façons119. Premièrement, leur présence enrichit l’offre culturelle et donc le cadre de vie. On retrouve ici l’approche par la consommation de la « ville créative », où les équipements culturels renforcent l’attractivité du territoire. Les « classes supérieures », dont « l’appétence culturelle et artistique »120 est développée, seront plus enclines à venir s’installer sur le territoire. Deuxièmement, par ses qualités hors du commun, notamment architecturales, l’équipement culturel contribue à façonner l’image des villes et à renforcer leur attrait sur le plan touristique. L’effet de curiosité de départ n’assure pas cependant que le flux de visiteurs se maintiendra dans la durée. Même si en terme de communication et de branding métropolitain, la présence d’un tel équipement est intéressante, elle ne sera qu’un « plus » parmi un ensemble de considérations (prix, accès, paysages, vie nocturne, etc.) dans le choix des touristes. Jean-Michel Tobelem démontre donc qu’il y a des conditions nécessaires à l’inscription dans la durée sur le territoire d’un équipement culturel. Il doit tout d’abord s’insérer de façon harmonieuse dans la stratégie de développement du territoire. La Cité de design ne peut que répondre à ce critère puisqu’elle est précisément l’ancrage bâti de la stratégie de développement du territoire autour du design. Au risque peut-être de tomber dans une forme d’instrumentalisation qui pourrait s’avérer être contreproductive comme le suggère Jean-Michel Tobelem… Il faut également qu’il y ait une « ingénierie de projet » qui favorise les partenariats avec les acteurs du territoire et la participation à de multiples réseaux (locaux, nationaux, internationaux). La Cité du design semble aussi répondre à ce critère si l’on en croit les propos de la chargée de la médiation de la Cité du design, Sylvie Sauvignet :

118

Entretien, Magali Theoleyre, chargée des relations avec les publics, Cité du design, 18 avril 2014. Jean-Michel Tobelem, « Equipements culturels et villes créatives », op. cit., p.  46. 120 Ibid. 119

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« Ce qu’il faut bien garder en tête je pense c’est que la Cité du design […] on est connectés, on est vraiment connectés de toutes parts à notre environnement proche. […] La Cité du design, c’est une plate-forme, c’est pas un musée, c’est une plateforme d’enseignement, c’est une plateforme de recherche, de développement économique, de sensibilisation au design. Il y a de nombreux acteurs et de nombreux services qui travaillent à la Cité du design »121 .

La Cité du design peut donc être considérée comme un catalyseur du développement économique stéphanois, dans le sens où elle a su affirmer le référentiel design sur le territoire stéphanois en créant des partenariats avec les industriels locaux, avec les autres acteurs culturels mais aussi avec de nombreux acteurs internationaux. « On a un service Innovation et Entreprises à la Cité du design, qui fait le lien direct en fait avec les entreprises et les designers. La prochaine exposition, “Design Map” elle va jouer ce rôle là, en fait, de créer du lien - il va y avoir une convention d’affaires créer du lien entre ces différents acteurs économiques. Parce que la Cité n’est pas une agence de designers. Par contre il y a une tradition de sensibilisation et de service qui est dispensée auprès des entreprises pour vraiment favoriser la synergie entre ces deux: designers et entrepreneurs […] Aujourd’hui il y a des vrais projets qui sont là pour faire bon usage et pour redynamiser l’économie. C’est à dire que c’est un levier économique la Cité du design sur le territoire Rhône Alpes »122.

Les expositions récentes et en cours123 de la Cité du design ont d’ailleurs su mettre en valeur le renouveau que le design a pu apporter au territoire stéphanois. Elles participent à leur manière à la communication globale de la ville : « Homework, Une école stéphanoise présente le travail d’une dizaine de jeunes designers professionnels, en activité sur le territoire stéphanois, et dont la majorité a été formée par l’École supérieure d’art et de design de Saint-Étienne. […] Ces designers ont choisi Saint-Étienne par conviction et par envie de participer à une aventure collective en inscrivant leurs créations dans un contexte de

121

Entretien, Sylvie Sauvignet, chargée de la médiation, Cité du design, 18 avril 2014. Entretien, Sylvie Sauvignet, chargée de la médiation, Cité du design, 18 avril 2014. 123 Homework, Une école stéphanoise, du 11 octobre 2013 au 11 mai 2014 ; Design map, designers créateurs de valeur pour l’entreprise, 3ème édition, du 6 juin 2014 au 4 janvier 2015. 122

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développement local. Leurs clients sont aussi ailleurs, un peu partout en France, preuve qu’il est bien perçu de travailler à Saint-Étienne »124.

De la reconnaissance Après avoir obtenu le label « ville d’art et d’histoire » en décembre 2010, et avoir créé

le réseau international des « Nouvelles villes de design » en 2003 avec Montréal125, SaintÉtienne obtient le 22 novembre 2010 la reconnaissance de l’Unesco en intégrant son réseau des dix villes créatives de design (11 aujourd’hui puisque Graz a intégré le réseau en 2012)126. Elle devient ainsi la première ville française membre de ce réseau et la deuxième ville européenne, après Berlin. « Quand on sait quelles sont les villes créatives design Unesco on peut dire que c’était quand même un enjeu assez important à traiter. […] On a donc bénéficié comme ça il y a deux ans de ce titre. Enfin pour Saint-Étienne, quand on sait que dans les villes européennes occidentales il n’y a que Berlin, dans le monde il y a Montréal, toujours dans l’Occident. Et puis à part ça si vous voulez on trouve dans le monde des villes comme par exemple en Chine, il y en a une troisième qui vient de s’ajouter je crois. Mais c’est des villes qui, pour la plus petite, ont 4 millions d’habitants. Voilà. On en a 170 000. Donc c’était vraiment une performance. »127

D’après Josyane Franc, directrice des relations internationales de la Cité du design : « Il ne s’agit pas d’un label ni d’une consécration, ni d’une compétition. […] C’est la possibilité d’échanger avec d’autres villes, de constituer un pôle d’expertise pour travailler "ensemble" aux mutations de notre société »128. Pour elle, « Cette désignation représente une reconnaissance internationale majeure pour Saint-Étienne et sera un facteur déterminant dans le changement d’image de notre ville, pour son développement culturel, social et économique »129. 124

Livret de présentation de l’exposition Homework, une École stéphanoise. Le réseau des « Nouvelles villes de design » est né de la collaboration de Saint-Étienne et Montréal pour le « Commerce Design Saint-Étienne » qui a eu lieu à l’occasion de la Biennale Internationale du design de 2003. Ce réseau se veut un espace d’échange et de réflexion à travers l’organisation de colloques et des publications. Il a été intégré par les villes d’Anvers, de Glasgow, de Lisbonne, de Montréal, de Stockholm et de New York. 126 Rapport Unesco sur Saint-Étienne en annexe 4, p. 110. 127 Entretien, Jacques Stribick, délégué général de l’association ARCO, conseiller municipal au patrimoine et à l’image extérieure de 2008 à 2014, 27 mars 2014. 128 SAINT-ÉTIENNE MÉTROPOLE, Saint-Étienne, « ville créative » Unesco [en ligne]. 2010. Disponible sur : <http://www.agglo-st-etienne.fr/economie/design/Saint-Étienne-ville-creative-Unesco/>. [Consulté le 4 juin 2014]. 129 Ibid. 125

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On peut imaginer que la création de la Cité du design, dont l’inauguration a eu lieu en 2009, a eu du poids dans cette désignation. Les critères de l’Unesco pour intégrer ce réseau, sont principalement : une industrie du design bien implantée ; des écoles de design contemporain et un centre de recherche en design ; une tradition d’organisation de salons et d’expositions consacrés au design. Cette désignation a contribué à améliorer l’image de Saint-Étienne en France et à l’étranger. En témoignent les nombreux articles consacrés au renouveau stéphanois dans la presse nationale130. Mais d’après Jacques Stribick, qui émet un petit bémol, cette distinction de « ville de design du réseau Unesco des villes créatives » n’est encore pas assez mise en avant pour promouvoir Saint-Étienne et valoriser son image extérieure : « Alors, nous quand on a vu, nous dont l’objet associatif est la valorisation de l’image extérieure de Saint-Étienne, on a dit : mais c’est formidable de pouvoir communiquer sur le fait qu’on est « ville créative ». Et c’est pas nous qui nous autoproclamons « ville créative », c’est l’Unesco qui nous proclame « ville créative ». Et bien pas du tout, pas du tout du tout, du tout du tout. On a oublié du reste le mot créatif, alors que c’est difficile de trouver un qualificatif plus valorisant, et les responsables de la communication, élus et techniciens ont vite consultés une agence de communication qui a proposé une appellation pour notre territoire. Et c’est pas du tout le territoire créatif, c’est un truc que vous entendrez une fois mais sûrement pas beaucoup plus, qui est qualifié de «Atelier Visionnaire». […] Donc je crois que à travers ces quelques mots on a à peu près défini le problème de Saint-Étienne et de son image. C’est que on est dans l’incapacité de valoriser nos atouts. Parce que on les a pas bien identifiés, tout simplement. On avait un monument d’intérêt européen, on le démolit. On a une appellation mondiale, on l’utilise pas »131.

130

Voir annexe 5, p.114. Entretien, Jacques Stribick, délégué général de l’association ARCO, conseiller municipal au patrimoine et à l’image extérieure de 2008 à 2014, 27 mars 2014.

131

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Un volet économique qui reste encore à développer Il est ressorti des entretiens, que malgré les actions menées pour créer des liens avec le

tissu économique local, les entreprises stéphanoises ont dans un premier temps été plutôt réticentes à travailler avec la Cité du design. Tout d’abord car le tissu industriel est en majorité sous-traitant à Saint-Étienne, mais aussi car ces industries ne voient pas tout de suite l’intérêt d’intégrer du design dans leur production. Le design ne leur parle pas au premier abord. « Et en plus il y a une difficulté supplémentaire propre à Saint-Étienne et au rapport entre le design et la vie économique stéphanoise. J’ai participé à une réunion où ça s’est dit ça. Au début, il se trouve que Saint-Étienne, j’ai entendu répondre dans une réunion privée, nous étions 8/10, sur le thème Que mettre dans cette Cité? Et j’ai entendu quelqu’un de la Chambre de commerce, pas un poète, disant : mais nous ça n’intéresse pas nos entreprises. Froid complet. On lui a dit : mais pourquoi? Et il dit : mais attendez, à Saint-Étienne nous avons un tissu industriel qui en très grande majorité est sous-traitant »132. « Alors pour avoir le point de vue du côté industriel aussi, je rencontre pas mal d’industriels, ils ont eu très peur pendant pas mal de temps de venir se frotter à la Platine, au design, au Centre International du Design, enfin c’était... ça faisait un peu... Et souvent en tant que petit industriel, ils se disaient ça fait vraiment grosse institution, style Musée d’Art Moderne, c’était très compliqué. Là maintenant ça finit par bouger et les gens se rendent compte dans certains cas, les industriels se rendent compte, que en fait c’est ce qu’ils faisaient déjà il y a quelques temps. Le design c’est quelque chose qu’ils connaissaient déjà plus ou moins. Et surtout c’est quelque chose qui maintenant peut leur rapporter un truc dans leur production, dans leur fabrication, dans la façon d’orienter, même de commercialiser ou vendre leurs produits, et ça peut leur apporter un renouveau. Il y a des choses qui bougent quand même sur le sujet qui sont assez encourageantes et intéressantes. Les gens arrivent de plus en plus à se parler et même des petits industriels, voire des fédérations de petits industriels, le club Gier notamment, le club Gier Entreprises. J’ai participé à leur dernière assemblée générale et effectivement ils ont parlé beaucoup plus de

132

Entretien, Philippe Peyroche, membre de nombreuses associations patrimoniales, ancien conseiller municipal et membre de la CRPS, 2 mai 2014.

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design, il y a deux ou trois designers qui font partie du club Gier Entreprises. Donc c’est des choses qui commencent effectivement à s’infiltrer, à fonctionner »133.

L’idée commence cependant à faire son chemin dans l’esprit des industriels locaux, notamment grâce à l’action de la Cité du design. Le nouveau maire de Saint-Étienne, Gaël Perdriau, souhaite d’approfondir encore davantage le volet économique, de sorte que la Cité devienne un véritable levier de développement, en se tournant notamment vers les grandes entreprises nationales et internationales. « L’idée principale de Gaël Perdriau concernant la Cité du Design c’est que le volet culturel est très bien développé, les expositions fonctionnent bien, les liens avec les jeunes designers qui fonctionnent de mieux en mieux, donc ça c’est quelque chose qu’il faut simplement encourager. Il y a deux choses qui sont primordiales: c’est le volet économique maintenant. C’est à dire que maintenant que le projet est installé, ça fait dix ans, enfin un peu moins, il faut profiter réellement du levier que ça offre. Donc c’est à dire plus de lien avec l’international, plus de lien avec les grandes entreprises, et ça, ça va demander une mise en place qui dépasse ma compétence, parce que moi j’ai uniquement la culture. Mais voilà, il faut qu’il y ait... au sein de la Cité il y a déjà des compétences mais il faut les développer, les encourager pour favoriser des liens purement économiques et que réellement on profite de ce levier là maintenant. La mise en place est terminée, il faut maintenant que les choses... définir en fait des objectifs de réussite, alors pas de chiffres, mais en tout cas de volume d’intervention auprès des grandes entreprises internationales. ça c’est la première priorité »134 .

133 134

Entretien, Eric Perrin, attaché de conservation au Musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne, 27 mars 2014. Entretien, Marc Chassaubene, conseiller municipal en charge de la culture depuis avril 2014, 2 mai 2014.

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Chapitre 2 -

Le quartier créatif de la Manufacture-Plaine

Achille: symbole du renouveau stéphanois? Le concept de cluster culturel, ou de quartier culturel ou artistique, est une version territorialisé de l’économie créative, et est inspirée du concept de « district industriel » d’Alfred Marshall. L’objectif est le même : produire des externalités, des avantages mutuels (comme la diminution des coûts de production, l’accélération des flux d’information, ou le renforcement du lien social) en créant une proximité territoriale entre les entreprises. La différence vient du fait que le cluster culturel ne vise pas la production de biens purement industriels mais celle de biens ou de services culturels135. Ce modèle a été pensé pour répondre à une crise de désindustrialisation que connaissent les pays occidentaux. En effet, alors que l’économie industrielle perd son ancrage territorial en se délocalisant, l’économie créative, elle, tend à se territorialiser. C’est donc dans une logique de réseau et de face à face entre différents prestataires et futurs partenaires que les clusters culturels entendent stimuler l’innovation dans des territoires en quête de renouveau. L’économie créative repose sur la croyance que les métropoles parviendront à retrouver dynamisme économique, social, scientifique et politique par le biais de la culture. Pour Elsa Pignot, rédactrice en chef de la revue L’observatoire, le cluster culturel « symbolise à lui seul cette utopie : il concentre et rassemble toutes les énergies créatives disponibles sur un territoire (artistes, designers, architectes, enseignement supérieur, recherche et développement) pour créer une fertilisation croisée »136. C’est d’ailleurs dans le but de devenir le « symbole du renouveau stéphanois » que le projet de quartier créatif Manufacture Plaine Achille a émergé à Saint-Étienne. C’est la création de l’Etablissement Public d’Aménagement de Saint-Étienne (Epase) en janvier 2007137 qui entraine la mise en place de ce projet. Il s’agit d’un plan d’aménagement urbain et 135

Institut des deux-rives, Économie créative, une introduction, op. cit., p.  33. Lisa Pignot et Jean-Pierre Saez, « Dossier  : La ville créative  : concept marketing ou utopie mobilisatrice  ? », L’observatoire, , no 36, p. pp. 23‑82, p.  24. 137 « L'EPASE est né en janvier 2007 d’un partenariat entre l'État et les collectivités locales (Ville de SaintÉtienne, Saint-Étienne Métropole, Conseil général de la Loire, Région Rhône-Alpes), pour accélérer le renouveau urbain de Saint-Étienne. Sur un territoire de 970 hectares, l'EPA de Saint-Étienne est chargé d'accélérer l’aménagement, le renouvellement urbain et le développement économique de la ville. Il contribue à renforcer l’attractivité territoriale de Saint-Étienne au sein de l’aire métropolitaine lyonnaise. Disposant d’un budget de 255 M€ sur la période 2007-2014 , dont 125 M€ de subventions publiques, l’EPA de Saint-Étienne est un outil d'exception au service du territoire et d’une ambition métropolitaine ». Source : http://www.epase.fr/fr/L-EPASE-un-outil-d-exception 136

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de réhabilitation des bâtiments de la Manufacture d’Armes de Saint-Étienne, ainsi que d’autres friches industrielles qui se trouvent du côté de la Plaine Achille. On peut lire sur le site internet de l’Epase : « L’aménagement urbain du quartier Manufacture-Plaine Achille est au service de la création d’une nouvelle centralité stéphanoise qui se veut un « écosystème créatif », fer de lance de la dynamique économique enclenchée par Saint-Étienne. Ce projet symbolise aujourd’hui la transformation urbaine et économique que connaît la ville de Saint-Étienne. C’est le lieu qui fédère les pépites économiques de ce territoire, issues de trois grands domaines d’activité : Optique Vision et l’équipement d’excellence Manutech ; la Cité du design et l’École d’Art et de Design (ESADSE) ; la plateforme International Rhône-Alpes Médias, en association avec les Master « Information Communication et Numérique » et « Nouvelles pratiques du journalisme » de l’Université Jean-Monnet, et Telecom Saint-Étienne, etc. »138. On voit que ce projet urbain a donc été construit selon les principes de l’économie créative et du cluster culturel : rassembler toutes les industries créatives et les centres de recherche en la matière en un même quartier, dans le but de « fédérer les pépites économiques » du territoire. Mais Lisa Pignot nous met en garde contre ce genre de « réplique » du modèle du cluster ou du quartier culturel : « un cluster n’est pas une production ex nihilo. Son montage n’est possible que grâce au terrain artistique et à la politique culturelle qui l’ont précédé »139. Christine Liefooghe ajoute sur le même sujet que « l’utopie c’est de croire que ces modèles peuvent être dupliqués »140. L’objet de ce chapitre sera donc de savoir si l’Epase a réussi à importer le modèle du cluster culturel en l’adaptant aux spécificités locales et en y implantant de véritables activités pérennes. Pour répondre à cela, nous nous appuierons essentiellement sur les propos et l’expertise des acteurs de ce territoire rencontrés lors d’entretiens. Nous verrons que dans un premier temps, ce quartier a été vu simplement comme un objet de marketing urbain, une vitrine déconnectée de son territoire (Section I), mais que les acteurs politiques et culturels, conscients de ces limites, tentent aujourd’hui de le transformer en un quartier au service de la ville et de ses habitants (Section II).

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EPASE, Manufacture-Plaine Achille, le quartier créatif [en ligne]. Disponible sur : <http://www.epase.fr/fr/Projets-urbains/Manufacture-Plaine-Achille/Presentation>. [Consulté le 2 juin 2014] 139 Lisa Pignot et Jean-Pierre Saez, « Dossier », op. cit., p.  24. 140 Christine Liefooghe, « La ville créative  : utopie urbaine ou modèle économique  ? », L’observatoire, 2009, no 36, p.  37.

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Section I.

Un quartier créatif déconnecté de la ville

« Effectivement le projet d’aménagement urbain était de faire de la Cité du Design, bon le terme est peut-être un peu pompeux mais je le reprends dans les communications qu’avait fait l’Epase à l’époque, une sorte de Silicon Valley à la stéphanoise. Bon après c’est des choses qui se décrètent pas non plus. Il suffit pas d’installer tel type d’activité dans le quartier pour que effectivement la mayonnaise prenne et qu’il y ait une émulation qui se crée. Et là on se rend bien compte actuellement qu’on est dans une phase dans le développement du quartier où malgré la présence de nombreux équipements et d’une population elle-même très nombreuse sur ce quartier là, et la vie dans le quartier elle est toujours pas présente, et ça c’est une vraie problématique »141.

Un quartier en manque de « vie » Tous les acteurs du territoire interrogés, que leur domaine soit de l’ordre du politique,

de l’institutionnel, du culturel ou du patrimonial s’accordent à dire que le quartier créatif de la Manufacture-Plaine Achille est un quartier en « manque de vie » dans lequel les stéphanois ne viennent pas. Mais le propre d’un quartier culturel n’est-il pas d’être un lieu de rencontre, d’émulation, voire de fête ? Il s’agit pourtant du constat le plus partagé, même si les causes évoquées divergent selon les interlocuteurs. « Les Stéphanois, à mon avis, sont totalement, sont dans leur très grande majorité, étrangers à cette affaire. Totalement étrangers. […] Il n’y a personne. J’y vais quelques fois, traverser comme ça, je vais à la bibliothèque, je passe. Je suis sidéré! Il y a personne »142. « Les seuls usagers qui vont venir, ça va être soit les étudiants, soit ceux qui viennent travailler. […] ça vit que le jour, la nuit c’est complètement mort. »143

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Entretien, Sophie Thierry, Service action culturelle, Direction des Affaires Culturelles de la Ville de SaintÉtienne, 30 avril 2014. 142 Entretien, Philippe Peyroche, membre de nombreuses associations patrimoniales, ancien conseiller municipal et membre de la CRPS, 2 mai 2014. 143 Entretien, Whilhem Perdrix, urbaniste membre de l’association Carton Plein, 27 mars 2014.

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« Aujourd’hui c’est un quartier qui n’a pas le volume d’activité en terme de fréquentation humaine, de vie, là on parle de... c’est pas des critères chiffrés, là on parle vraiment de vie du quartier, et il y a encore beaucoup à faire. C’est encore pas ce que ça devait être »144.

Pour certains, l’absence de vie dans ce quartier tient à ses origines : ancienne cité industrielle militaire, celle-ci était totalement fermée au public. Les stéphanois n’ont donc pas l’habitude de venir dans ce quartier. « Il faut savoir aussi que dans l’esprit des Stéphanois ce site était pendant longtemps un site dans lequel on ne pouvait pas pénétrer. Donc il y a un rapport à ce quartier qui est toujours un petit peu complexe encore pour certains Stéphanois parce qu’ils ont une histoire avec ce quartier »145.

D’autres pensent que les stéphanois ne se rendent ni à la Cité du design, ni aux Biennales parce que le design, vue comme une discipline élitiste, ne leur parle pas. « Concrètement, ça se voit pendant les Biennales, les Stéphanois y vont pas. C’est vraiment pas un truc qui les intéresse. Et je pense aussi qu’il y a une certaine peur, un peu retenue. Le design, ce truc très... un peu inaccessible au final. Saint-Étienne est très populaire, les gens, qu’est-ce qu’ils iraient faire là-bas, ils savent pas ce que c’est, ils se sentiraient pas à leur place dans un sens »146. « C’est vrai, malheureusement la Biennale du Design souffre encore d’un... comment dire... d’une perception parfois... enfin, c’est une manifestation qui reste encore perçue par une certaine frange de la population comme étant très élitiste en fait »147.

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Entretien, Marc Chassaubene, conseiller municipal en charge de la culture depuis avril 2014, 2 mai 2014. Entretien, Sophie Thierry, Service action culturelle, Direction des Affaires Culturelles de la Ville de SaintÉtienne, 30 avril 2014. 146 Entretien, Whilhem Perdrix, urbaniste membre de l’association Carton Plein, 27 mars 2014. 147 Entretien, Sophie Thierry, Service action culturelle, Direction des Affaires Culturelles de la Ville de SaintÉtienne, 30 avril 2014. 145

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Un quartier essentiellement tourné vers l’extérieur Et si le design ne parle pas aux Stéphanois c’est parce que la Biennale, pilier dans le

positionnement en tant que ville de design dans le monde, a été de ce fait dès sa création un évènement essentiellement tourné vers l’international. En voulant que Saint-Étienne soit reconnue comme « capitale du design » en France et à l’étranger, et donc que son image de « ville noire » change à l’extérieur, les initiateurs de ce positionnement dans le domaine du design ont oublié d’intégrer les Stéphanois à leur démarche. Le quartier créatif a également suivi cette dynamique : c’est un quartier essentiellement tourné vers l’extérieur, vers l’international. « Plus de gens connaissent le quartier créatif à Lyon, à Paris, etc. que vraiment les Stéphanois. C’est vraiment un quartier tourné vers l’extérieur. […] Et c’est l’objectif de la Biennale, c’est d’amener des gens extérieurs pour redécouvrir Saint-Étienne. […] Ils l’ont pensé isolé en fait, comme une vitrine en fait, ils ont pas du tout pensé les liens avec la ville. Ils l’ont plus pensé comme quelque chose de tourné vers l’extérieur »148. « Quand il y a la Biennale, les gens connaissent en fait. Pendant la durée de la Biennale il y a énormément de monde sur le quartier. Et c’est vrai qu’en dehors, à part nous, nos visiteurs qui viennent dans des cadres très précis, les scolaires, les centres de loisirs, les groupes qui réservent, voilà, c’est encore un quartier qui demande à être… dynamisé »149.

Une explication non négligeable de ce manque de vie, vient aussi de la morphologie urbaine de ce quartier. Autrefois Cité militaire inaccessible surveillée par des gardiens, le quartier est aujourd’hui enclavé et découpé par des frontières (axes de circulation, ligne de tramway, bâtiments en H fermés, voie de chemin de fer). Ces frontières, parallèles les unes aux autres, sont des obstacles qui empêchent le quartier de devenir un véritable lieu de passage, un réel axe piétonnier. Enfin la ligne de chemin de fer est souvent évoquée pour démontrer qu’il y a une véritable déconnexion entre la partie « Manufacture » et la partie « Plaine Achille » empêchant la réalisation d’un quartier continu.

148 149

Entretien, Whilhem Perdrix, urbaniste membre de l’association Carton Plein, 27 mars 2014. Entretien, Magali Theoleyre, chargée des relations avec les publics, Cité du design, 18 avril 2014.

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150

« Il y a le grand boulevard, les grands axes de circulation, c’est un quartier vraiment enclavé en fait, il n’y a rien qui le traverse. Parce que là il y a le chemin de fer plus le boulevard. là t’as les grands axes. Et ils ont construit une passerelle

150

Extrait de la synthèse de l’opération « Tous dehors ! » de l’association Carton Plein. Voir d’autres extraits en annexe 7, p. 116.

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ici, justement pour lier les deux, parce que c’est “Manufacture-Plaine Achille” le quartier. Mais au final personne connait vraiment l’existence de cette passerelle, vu que personne traverse le quartier comme ça. T’as nulle part, si tu y passes c’est vraiment pour te balader, pour découvrir. Tu peux pas te dire je vais aller acheter mon pain, je vais à la boulangerie, c’est pas sur ton parcours. Du coup il y a pas d’autres usagers que ceux qui ont une raison, soit travailler soit étudier ici »151. « Le quartier créatif, quand on va sur le site on se rend compte qu’il y a quand même géographiquement une frontière. La ligne de chemin de fer et la grande voie de circulation. […] Parce que les circulations justement entre ce quartier étudiant, la Manufacture, et l’autre versant avec le Fil, le Zenith, et le futur site de la Comédie, je pense pas que ce soit un flux naturel. Si ce n’est des étudiants qui passent par la passerelle parce qu’ils arrivent de la gare. Donc c’est peut-être une voie de cheminement pour les étudiants, mais c’est pas un espace naturel de circulation pour les populations »152.

Pour les associations patrimoniales, la Platine de 220 mètres de long qui contient la Cité du design, construite en parallèle aux obstacles que nous avons évoqués (les principaux axes de circulation et la barrière ferroviaire) produit aussi un effet « muraille ». Cette construction aurait détruit toute l’harmonie urbaine du site de la Manufacture. Et cet « effet muraille » serait encore plus puissant car il a pour origine l’amputation d’une partie de l’histoire des Stéphanois. « Alors le passé est absolument sans incidence sur le développement potentiel que la Cité peut apporter au territoire. C’est vraiment sans incidence. La seule incidence si vous voulez c’est que la composition, l’urbanistique est mauvaise et que le fonctionnement du coup n’est pas aisé au sein de la Cité. Enfin ça c’est… les gens de la Cité font avec. Au niveau des Stéphanois c’est un peu plus embêtant parce que ça a posé l’installation de la Cité sur une blessure qu’on leur avait faite. Alors c’est vrai que quand ils passent en tram et que au lieu de voir la belle composition de leur Manufacture, ils voient un bâtiment qui est sans lien et qui fait obstacle, c’est vrai que chaque fois ça rappelle que il y a eu une erreur »153 .

151

Entretien, Whilhem Perdrix, urbaniste membre de l’association Carton Plein, 27 mars 2014. Entretien, François Clamart, administrateur, La Comédie, 17 avril 2014. 153 Entretien, Jacques Stribick, délégué général de l’association ARCO, conseiller municipal au patrimoine et à l’image extérieure de 2008 à 2014, 27 mars 2014. 152

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« Ah mais le quartier ça n’existe pas. C’est vraiment une entité fermée sur ellemême. Urbanistiquement il n’y a aucune relation. Et en plus les urbanistes avec qui vous pourriez parler, ils s’arrachent les cheveux dans cette muraille, parce qu’elle a cassé tout l’ensemble vivant. ça l’a isolé de la ville. Au lieu d’être une façade d’un immeuble,

et

qu’on

pénètre

cette

façade,

c’est

devenu

une

muraille

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impénétrable » . « Ça a été tellement blessé, si vous voulez, meurtri. En plus c’est derrière et l’effet muraille est terrible. Cette muraille grise, ça neutralise l’affectif. C’est une architecture qui a coupé l’émotion qu’on aurait pu avoir en rentrant. ça a détruit en somme l’âme du lieu »155 .

Ce quartier se veut donc être le « symbole du renouveau stéphanois ». Mais un quartier créatif ne peut pas être que symbole, il doit être une réalité, le ciment d’un développement économique, social et culturel. Certains vont jusqu’à voir dans cette déconnexion du quartier avec la ville et ses habitants un des effets néfastes du « marketing urbain » opéré par la ville depuis des années, puis par l’EPASE depuis 2007. « L’objectif de l’EPASE, c’est de faire du marketing urbain. Ce quartier c’est le pur exemple de marketing urbain que tu pourras trouver. Ils l’ont installé et du coup ils ont pas du tout pensé les connexions avec le reste de la ville. Maintenant, c’est une des raisons de notre intervention aussi, c’est comment on va reconnecter ce quartier avec la ville. Parce qu’ils l’ont juste posé là comme ça. »156

Cette déconnexion pose paradoxalement un problème en terme d’image pour SaintÉtienne : comment diffuser l’idée d’une identité nouvelle de Saint-Étienne basée sur la culture et le design à travers la France et le monde si les Stéphanois eux-mêmes sont étrangers à cette identité et ne s’y reconnaissent ? Dès lors ils ne participent donc pas, par l’intermédiaire de leurs réseaux amicaux, familiaux, professionnels, à la diffusion de la nouvelle identité stéphanoise.

154

Entretien, Philippe Peyroche, membre de nombreuses associations patrimoniales, ancien conseiller municipal et membre de la CRPS, 2 mai 2014. 155 Ibid. 156 Entretien, Whilhem Perdrix, urbaniste membre de l’association Carton Plein, 27 mars 2014.

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Section II.

Un quartier en mutation

Les acteurs politiques et culturels sont donc bien conscients des difficultés du quartier créatif à devenir un véritable lieu de rencontres, d’échanges, d’innovations et de partage. Pour y remédier, de nombreuses actions sont en cours ou encore en projet. Le but étant une dynamisation du quartier par des aménagements urbains mais aussi par des partenariats plus forts entre les institutions culturelles. Une imbrication plus poussée entre politique urbaine et politique culturelle est donc nécessaire pour que celui-ci se « reconnecte » avec la ville. On voit également émerger la volonté d’impliquer davantage les « usagers-clients-citoyens »157 à la définition de ce quartier. •

Actions de la Cité La Cité du design, en tant qu’Etablissement Public de Coopération Culturelle, exerce

des missions de service public culturel. Parmi elles, celle de sensibiliser tous les publics au design. Consciente que le design est souvent considéré comme quelque chose « d’élitiste, ou de bizarre, ou de cher ou à la mode »158, elle tente par ses actions de faire en sorte que les stéphanois s’approprient le design. Actions en direction des scolaires et des publics éloignés Les actions menées en direction des scolaires sont particulièrement intéressantes. En effet, la Cité du design étant un établissement unique en France, les expériences que vivent les écoliers, collégiens et lycéens stéphanois sont également uniques. Il peuvent par exemple participer à la rénovation de leur école, ou bien devenir médiateurs d’un jour. Sylvie Sauvignet et Magali Theoleyre nous ont décrit ces initiatives en direction du public jeune : « Alors là on travaille avec la région Rhône-Alpes. Et sur un dispositif maintenant qui s’appelle « Dispositif club culture Eureka ». Et dans le cadre de ce dispositif, la région par exemple elle finance l’intervention de designers dans les établissements scolaires. Donc le rôle de la Cité c’est d’une part de féliciter les designers de la région et de les mettre en relation avec les lycées. Et ces interventions elles peuvent

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Ludovic Halbert, « La ville créative pour qui ? », Urbanisme, 2010, no 373, p. 43, p.  45. Entretien, Sylvie Sauvignet, chargée de la médiation, Cité du design, 18 avril 2014.

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aller de trois heures jusqu’à vingt ou trente heures. Donc du coup les enseignants et les élèves ont le temps d’une part de découvrir et de rencontrer un designer pour découvrir un petit peu son métier et surtout de développer un projet vraiment complet avec plusieurs heures d’intervention. Et aussi de venir à la Cité ou à la Biennale. Du coup ça permet d’avoir un projet très large et assez ambitieux. Et d’aborder différentes facettes du design. Ça va de la découverte d’un métier à l’élaboration d’un projet à travers un cahier des charges. […] On a aussi un projet qui s’appelle « les portes du temps ». Ça c’est un projet qui se développe au niveau national et qui est destiné aux centres de loisirs. Donc l’idée c’est de faire découvrir à des enfants qui sont souvent éloignés de la culture. Eloignés de la culture ça veut dire soit géographiquement, soit socialement. […] On travaille avec des designers et l’idée c’est aussi que des enfants, des jeunes, des ados, puissent à travers un projet sur une journée à la Cité, développer, rencontrer un designer et être sensibilisés au design. […] Sylvie a aussi mis en place un projet qui s’appelle « les petits médiateurs ». Et l’idée c’est que ce soit en fait des enfants d’un centre de loisirs qui soient formés pour faire eux-mêmes une visite en direction de personnes du troisième ou du quatrième âge qui viennent de maisons de retraite »159 « Le projet “Je participe à la rénovation de mon école” : on va essayer de sensibiliser pendant un an de jeunes élèves à ce qu’est le design pour réhabiliter une partie de leur école. Les enfants ont participé à ce projet et je peux vous dire que c’est vraiment très très efficace. Et cette génération là sait que le design c’est pas la coque, c’est pas l’enrobage, mais c’est vraiment au service des utilisateurs. […] le design c’est: on rentre dans notre quotidien. Donc c’est un travail de longue haleine mais je pense que de plus en plus les stéphanois vont se l’approprier. Et comprendre en fait. C’est ça en fait, l’idée c’est quand même qu’on partage une culture commune du design, à mon avis c’est notre mission première. »160

On peut imaginer que grâce à ces actions destinées aux jeunes, la nouvelle génération sera davantage sensibilisée au design, ne le voyant plus comme un art mystérieux et élitiste, et se rendra plus souvent à la Cité du design et dans le quartier créatif. Cette nouvelle génération pourra alors diffuser l’idée que Saint-Étienne est véritablement une terre de design. 159 160

Entretien, Magali Theoleyre, chargée des relations avec les publics, Cité du design, 18 avril 2014. Entretien, Sylvie Sauvignet, chargée de la médiation, Cité du design, 18 avril 2014.

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Actions en direction des usagers du quartier « On met en place à l’accueil des publics des visites guidées qu’on a intitulées “Du temps de midi” pour reprendre l’expression stéphanoise. Il est dédié en fait aux pros, à tous les pros du quartier créatif pour qu’ils puissent découvrir les expositions entre 12h30 et 13h30. Donc c’est vraiment un format court, dans un temps du déjeuner pour les gens qui prennent un sandwich, et leur donner la possibilité de découvrir les offres »161.

Développement territorial : Design management et Biennale Off Le design management, dans lequel la Cité du design et Saint-Étienne sont pionniers en France, permet de créer des liens avec le territoire en inscrivant le design dans tous les projets publics, d’aménagement ou de rénovation. En 2010, Saint-Étienne Métropole est la première collectivité française à intégrer une fonction design management dans la conception et la réalisation de ses politiques publiques. Elle reçoit d’ailleurs le Design Management Europe AWARD dans la catégorie "Public or non profit organization " le 12 décembre 2013 « On a une personne qui est design manager. Alors maintenant c’est un poste qui tend un petit peu à être développé en France, mais ça a été la première personne en France à occuper cette mission. Et sa mission principale c’est surtout d’impliquer un designer dans chaque projet du territoire. C’est à dire, bon je dis un peu n’importe quoi mais si on rénove une école, et bien d’impliquer dans le projet un designer. […] Comme souvent on va penser à mettre, je dis n’importe quoi, un plâtrier, peut-être un ingénieur, un architecte, il faut aussi qu’il y ait un designer qui permette de faire le lien. […] Cette personne elle travaille surtout avec SaintÉtienne Métropole sur des projets qui peuvent concerner l’urbanisme, l’animation du territoire, la réhabilitation par exemple des écoles, de certains projets »162

La Biennale territoriale et la Biennale Off permettent également de diffuser le design sur le territoire stéphanois et de valoriser les initiatives indépendantes autour du design pendant la Biennale. 161 162

Entretien, Whilhem Perdrix, urbaniste membre de l’association Carton Plein, 27 mars 2014. Entretien, Magali Theoleyre, chargée des relations avec les publics, Cité du design, 18 avril 2014.

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« Surtout depuis la Biennale 2013, la Biennale se développe comme une Biennale territoriale. Donc c’est à dire qu’elle se développe sur le site de la Cité du Design, quartier Manufacture, dans les H et dans nos salles d’expo [et] les musées aussi proposent des expositions en lien avec la Biennale. Donc le Musée d’Art Moderne, d’Art et d’Industrie, de la Mine. Et puis l’église de Firminy, l’église le Corbusier à Firminy. Et effectivement elle se déploiera encore plus sur le territoire parce que, a priori, il va y avoir une exposition à la « bourse du travail » à Firminy. Et également à Lyon. Et c’est vrai que la Biennale de 2015 va proposer une Biennale Off. La Biennale Off, ça veut dire que en fait on va valoriser sur le territoire d’autres expositions en design. […] Donc l’idée de Biennale Off, c’est vraiment que le design pendant la Biennale rayonne sur tout le territoire et que du coup toutes les personnes qui ont envie de proposer des choses, des expos design, des initiatives quelles qu’elles soient, que ce soit le moment de pouvoir les valoriser dans le cadre de la Biennale »163 .

Depuis son inauguration il y a cinq ans, la Cité du design travaille donc à sensibiliser les stéphanois au design, notamment par l’intermédiaire d’actions en direction du jeune public, mais aussi en insufflant du design dans la conception et la réalisation des politiques publiques locales.

Une plus grande participation citoyenne dans la requalification du quartier

« Il s’agit notamment pour les pouvoirs publics de savoir s’appuyer sur l’engagement citoyen et de trouver leur juste place dans les processus de requalification de friches industrielles et de transformation de quartiers délaissés en quartiers d’art »164. Cette participation citoyenne prônée ici par Jean-Pierre Saez, n’avait pas du tout été envisagée au départ à Saint-Étienne: lors de l’implantation de la Cité du design en 2005, puis dans le projet de réhabilitation du quartier de l’EPASE depuis 2009. Mais de cette politique tournée vers l’extérieure en a résulté une déconnexion voire une indifférence totale de la part des habitants de l’agglomération comme nous avons pu l’expliquer. Depuis 2013, Saint-Étienne Métropole et l’EPASE ont donc décidé de se tourner vers les usagers du quartier en mettant en place des Worksops ou Ateliers Créatifs. Le but de ces ateliers est de « faire émerger des idées, des

163 164

Entretien, Magali Theoleyre, chargée des relations avec les publics, Cité du design, 18 avril 2014. Lisa Pignot et Jean-Pierre Saez, « Dossier », op. cit., p.  2.

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regards, afin d’améliorer le faire vivre ensemble sur le quartier »165 en favorisant les rencontres et les échanges. La première édition de ces ateliers créatifs a eu lieu le 6 juin 2013 au Mixeur et a rassemblé plus de quatre-vingt usagers (chercheurs, écoles, entreprises, étudiants, associations, collectivités, etc.). Les participants pouvaient s’exprimer sur quatre types de cartons : « J’aime », « J’améliorerais », « Je n’aime pas », « Je rêve ». Les résultats obtenus ont permis de faire émerger les envies des usagers pour leur quartier : plus d’animations, davantage de création et de modes d’expression de sorte que le quartier créatif soit à la hauteur de son image, diminuer les frontières, plus de mobilier urbain comme des bancs pour pouvoir s’asseoir à la pause déjeuner, etc. A la suite de cette première expérience, l’EPASE a souhaité approfondir la réflexion citoyenne et a missionné l’association Carton Plein pour organiser une semaine « brainstorming créatif »166. •

La « dynamisation » par l’aménagement167

La « zone d’aménagement concerté »168 (ZAC) du quartier créatif Manufacture-Plaine Achille n’a été créé qu’en 2009. Depuis cette date, le cabinet d’urbanisme Alexandre Chemetoff et l’Epase travaillent à la mise en œuvre de ce plan d’aménagement mais beaucoup de choses restent encore à faire. Au cours des années 2011 et 2012, de nombreux projets ont vu le jour comme le bâtiment de « l’Imprimerie » qui a été réhabilité, et accueille une école de journalisme, la crèche des petits Manuchards et France Bleu. De nombreux parcs, places et squares ont également été réalisés ou rénovés dans le but d’en faire un « quartier à vivre qui dispose d’une qualité de vie incontestable »169. Et parmi les activités nouvellement implantées sur le quartier, il y en a une qui revêt une grande importance : le Mixeur.

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MANUFACTURE ATELIERS CRÉATIFS, L’Atelier [en ligne]. Disponible sur : <http://www.atelierscreatifs.fr/#atelier>. [Consulté le 3 juin 2014]. 166 Extraits de la synthèse de l’opération en annexe 7, p.116. 167 Voir plan du quartier avec les bâtiments livrés et les opérations en cours : annexe 6, p. 115. 168 Opération publique d'aménagement de l'espace urbain 169 EPASE, Manufacture-Plaine Achille, le quartier créatif [en ligne]. Disponible sur : <http://www.epase.fr/fr/Projets-urbains/Manufacture-Plaine-Achille/Presentation>. [Consulté le 4 juin 2014].

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Le Mixeur Saint-Étienne Métropole a demandé en 2012 à l’association Culture et Coopération170 de l’assister dans la conception et la mise en œuvre d’un lieu au cœur de la ManufacturePlaine Achille. Ce lieu, le Mixeur, est un lieu de travail partagé (ou coworking) mais surtout un espace de convergence pour les entreprises culturelles, les entreprises numériques, de design, de différents champs d’activités. Cela peut notamment permettre une mise en place de projets collaboratifs On retrouve ici tous les objectifs du quartier ou du cluster culturel : favoriser les rencontres entre designers, artistes, informaticiens, architectes, etc. et promouvoir ainsi l’élaboration de produits et de services innovants. La plupart des personnes interrogées lors des entretiens ont parlé du Mixeur, qui a ouvert ses portes en 2013, comme d’une étape importante dans la dynamisation du quartier : « On sent qu’il y a eu une autre étape aussi d’animation du quartier, depuis effectivement qu’il y a le Mixeur. Parce que ça a drainé d’autres personnes dans le quartier. Le fait qu’il y ait des créateurs, des designers, des entreprises qui travaillent sur le quartier, avec tout ce qu’il y a eu derrière, France 3, je crois qu’il y a eu Altavia et la crèche. ça va drainer un nouveau public. Et c’est aussi lié parce que il y a des immeubles qui sont construits et que le quartier petit à petit est en train de reprendre... Enfin, c’est une nouvelle vie qui est en train de se faire. C’est pas du jour au lendemain »171 . « Il y a un lieu pour ça qui est un lieu extrêmement important qui s’appelle le Mixeur, qui est à la fois un espace de coworking, ouvert à tous, où chacun peut venir travailler. Il y a une connexion wifi, c’est un accès complètement libre. Et puis c’est un lieu qui accueille aussi de manière régulière des Workshops, et des temps de programmation artistique qui a priori devrait plutôt s’affirmer en direction des arts numériques. Sinon ce lieu il est dans un espace assez central dans le quartier Manufacture Plaine Achille, et il se trouve être intégré, en tous cas tout à proximité de la pépinière d’entreprises, qui elle accueille tout un tas d’entreprises qui travaillent plutôt dans le champ créatif. C’est aussi que ce lieu là, comme son nom l’indique, est aussi là pour se faire rencontrer le monde de la culture, celui de

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« Créé en 2010, Culture & Coopération est un développeur économique et territorial dans l’agglomération stéphanoise. Ce cluster, dédié aux organisations culturelles et créatives, est un outil de coopération économique, stratégique et politique. Il élabore un plan de développement partagé entre les acteurs et mobilise des ressources pour conduire des projets collectifs ». Source : CULTURE ET COOPÉRATION, Présentation [en ligne]. Disponible sur : <http://culture-cooperation.org/?page_id=83>. [Consulté le 8 juin 2014]. 171 Entretien, Magali Theoleyre, chargée des relations avec les publics, Cité du design, 18 avril 2014.

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l’économie et en tous cas tout ça dans un environnement créatif. Collaboratif aussi puisque effectivement l’idée c’est aussi de pouvoir amener les gens, à travers des workshops, tout ça, à mieux se connaitre et à travailler de façon systématiquement collective »172

La Comédie La Comédie de Saint-Étienne, un des premiers Centres Dramatiques Nationaux de France, créée par Jean Dasté avec l’aide de Jeanne Laurent en 1947, doit quitter le bâtiment qui l’abritait jusqu’à présent pour des raisons de vétusté. Il a d’abord été envisagé de réhabiliter le bâtiment, mais celui-ci n’étant plus adapté aux activités d’un Centre Dramatique, il a été décidé que la Comédie s’installerait en 2016 dans l’ancienne usine SCM qui se trouve du côté Plaine Achille du quartier créatif. « Je dirais que ça s’est naturellement arrêté sur le site de la SCM parce que, pour des raisons de... sa situation, de sa proximité avec le Fil, avec le Zenith, avec le Palais des spectacles donnait en effet ce côté quartier créatif, enfin son sens dans une proximité, une synergie de structures. […] ça prend son sens dans un esprit de mutualisation des différentes structures culturelles de la ville. »173

On retrouve dans les propos de François Clamart le vocabulaire du cluster culturel : « synergie de structures », « mutualisation des différentes structures ». La Comédie, même si elle ne faisait pas partie à l’origine du projet de l’Epase, s’y intègre parfaitement. On peut même imaginer que sa présence participera à la dynamisation du quartier, par son activité nocturne notamment. L’implantation de la Comédie repose d’ailleurs la question de l’accessibilité de ce quartier pour les Stéphanois. « Je pense que le maire s’est rattaché à ça et va même au delà puisqu’une des problématiques qu’on a sur le futur site c’est des problématiques d’accessibilité et qu’il envisage, on verra la faisabilité de la chose, et il envisage même d’améliorer l’accessibilité par une ligne de tram supplémentaire qui se prolongerait même jusqu’au stade et au delà. Donc à défaut d’une ligne de tram, une ligne de bus

172

Entretien, Sophie Thierry, Service action culturelle, Direction des Affaires Culturelles de la Ville de SaintÉtienne, 30 avril 2014. 173 François Clamart, administrateur, La Comédie, 17 avril 2014.

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renforcée nous irait déjà très bien et qui correspondrait en nocturne à nos horaires de travail, enfin d’ouverture public en tous cas »174 .

La Comédie, par les changements en terme d’accessibilité qu’elle va apporter, permettra peut-être de reconnecter le quartier avec le reste de la ville. Dans un futur plus proche, c’est l’école primaire Juliana, qui va déménager dans une partie des H à la rentrée 2015. On ne doute pas que cette implantation devrait également participer à introduire une nouvelle dynamique dans le quartier. La disparition des frontières naturelles Le problème que représente la coupure en deux du quartier par la voie de chemin de fer est en partie résolu par la mise en place d’une passerelle temporaire qui sera remplacée à long terme par un projet bâti définitif. Les bâtiments H, actuellement fermés et empêchant de traverser directement le quartier de l’entrée du site jusqu’à la passerelle, devraient également être réhabilités et ouverts. « Et le lien il se fait aussi entre le quartier Plaine Achille qui va être vraiment dédié à l’entertainment, à tout ce qui est loisirs. C’est fait par une passerelle en fait, cette passerelle bien évidemment elle n’enjambe pas la route mais par contre elle permet de relier, et moi pour l’avoir fait elle permet de relier les deux sites en cinq minutes quoi. En fait, aujourd’hui c’est encore à l’état d’un échafaudage cette passerelle parce que c’est un test et c’est aussi pour voir si elle est empruntée et pour donner l’habitude aux stéphanois de l’emprunter. […] Donc ce qui parait très loin pour les Stéphanois, c’est à dire tout le quartier Plaine Achille qu’on ne fait qu’en voiture, va devenir un axe piétonnier. […]

On a aujourd’hui un porche qui peut se

traverser, on pourra traverser tous les H, traverser la passerelle, et se retrouver en dix minutes à la Comédie, à la piscine, etc. Donc on trouve, on va créer une perspective qui n’existait pas auparavant »175 . « Mais il reste la question des bâtiments H. […] Donc il faut définir un projet pour ces bâtiments là. L’Epase doit évidemment travailler dessus mais nous on doit aussi, même ville, faire des propositions sur ces bâtiments là pour que le quartier

174 175

Entretien, François Clamart, administrateur, La Comédie, 17 avril 2014. Entretien, Sylvie Sauvignet, chargée de la médiation, Cité du design, 18 avril 2014.

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créatif devienne ce qui a été pensé au départ. Notre positionnement il est celui-ci : c’est à dire qu’on remet absolument pas en question ce qui avait été pensé par Michel Thiollière. Il faut que ça devienne vraiment un quartier créatif, le nom qu’il a, et surtout un quartier vivant. […] C’est à dire que pour l’instant les bâtiments H sont aussi un frein. Ils sont fermés, ils ouvrent pour la Biennale mais il y a un côté il n’y a pas de fréquentation dans ces bâtiments, il n’y a pas de vie. […] Donc avec l’aménagement des bâtiments H déjà on va réduire le fossé qu’il y a entre les deux »176.

On peut percevoir dans les discours des personnes interrogées la croyance que ce quartier est un quartier en devenir, en mutation, et qu’il va parvenir dans les années qui viennent à atteindre ses objectifs. Pour les acteurs du territoire, le quartier créatif n’a réellement entamé sa mutation qu’en 2009, et sa reconversion est un projet d’envergure qui nécessite qu’on lui laisse du temps. « Et c’est vrai que le quartier Carnot c’était un quartier où il se passait pas grand chose. Donc la Cité, et puis aussi de fait l’école, on pense qu’il commence à y avoir des choses sur le quartier. Mais les choses se font pas du jour au lendemain »177 . « C’est un quartier qui est en évolution, en transformation, et je pense qu’à une échéance de quatre cinq ans, c’est un quartier qu’on ne reconnaitra pas dans cinq ans »178

Précisons que la réhabilitation des H, même si elle permettra d’apporter davantage d’offre culturelle et de vie sur le quartier, représente tout de même un inconvénient pour la Cité du design puisque c’est dans ces H en friche que la Biennale se déploie depuis quelques années. « La superficie d’occupation dans les H va encore être encore un petit peu plus restreinte cette année pour la Biennale »179.

176

Entretien, Marc Chassaubene, conseiller municipal en charge de la culture depuis avril 2014, 2 mai 2014. Entretien, Magali Theoleyre, chargée des relations avec les publics, Cité du design, 18 avril 2014. 178 Entretien, François Clamart, administrateur, La Comédie, 17 avril 2014. 179 Entretien, Magali Theoleyre, chargée des relations avec les publics, Cité du design, 18 avril 2014. 177

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La « dynamisation » par la coopération entre les acteurs culturels Par définition, un quartier culturel ou créatif est un lieu de rencontre, de partage et de

collaboration entre individus aux compétences diverses. C’est le lieu de l’innovation. Les acteurs culturels ont compris que cette dimension collaborative était indispensable à leur propre développement et qu’ils avaient la chance d’avoir un outil particulièrement intéressant à disposition : le quartier créatif. La proximité de structures telles que la Cité du design, le Fil180, la future Comédie, le Mixeur, l’École Supérieure d’Art et de Design est en effet un avantage à exploiter pour mettre en place des partenariats qui favorisaient les croisements de publics et la création. Des initiatives venant des structures culturelles elles-mêmes ont commencé à émerger. La Comédie souhaite par exemple mettre en place dès maintenant des partenariats sur le site avec d’autres structures en mettant en place une salle de spectacle éphémère de 200 à 250 places dans les H. Cette salle sera mutualisée avec la Cité du design, le Fil ou encore l’Université. « A partir de la saison prochaine, à partir de octobre 2014 on commence à avoir une implantation éphémère de salle de spectacle dans les locaux de la Manufacture, donc vraiment à proximité du futur site. On installe donc une salle de spectacle qu’on va mutualiser aussi avec d’autres partenaires, partager. On sera présents pendant la Biennale du Design. On commence déjà à créer du lien de proximité avec les différentes institutions sur le site et à commencer à amener du public sur ce territoire là. […] On mutualise mais comme je disais, tout autant avec la Biennale qu’avec le Fil, avec l’Université, voilà. On crée un espace et on le partage. […] ça pourrait être de l’ordre de lectures, de mises en voix de textes en lien avec la thématique de la Biennale ou des choses comme ça »181.

La Cité du Design crée également des événements en collaboration avec d’autres structures, comme par exemple cette initiative dont nous parle Magali Theoleyre : « En lien avec le Mixeur par exemple au mois de juin je crois, on va faire des cycles musicaux avec l’ensemble orchestral contemporain de Lyon, où justement les gens essayent de s’approprier par exemple les jardins. L’idée c’est que ça se

180 181

Le Fil est la scène de musiques actuelles de Saint-Étienne Entretien, François Clamart, administrateur, La Comédie, 17 avril 2014.

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fasse du temps du musée, qu’on passe un moment convivial, de partage, pour faire croiser aussi les publics du quartier créatif »182 .

On peut voir que les thématiques de « lien de proximité », de « partage », de « croisement des publics » sont très présentes dans les discours. Saint-Étienne Métropole, en charge de l’animation de ce quartier, a également un rôle à jouer dans sa redéfinition. Comme c’est un quartier où il existe beaucoup d’équipements culturels et que Saint-Étienne Métropole n’a pas la compétence culture, les élus communautaires ont donc demandé à la ville de Saint-Étienne d’apporter une expertise sur la dimension culturelle de ce quartier. La personne qui a été désignée pour effectuer ce travail d’expertise est Sophie Thierry, du service action culturelle de la ville de Saint-Étienne. Dans le cadre de cette mission, celle-ci a créé un groupe de travail rassemblant tous les équipements culturels du quartier créatif. Elle nous décrit les missions et les objectifs de ce groupe de travail : « Parmi les missions qui me sont confiées dans ce cadre là, il y a notamment la constitution et l’animation d’un groupe de travail qui réunit donc tous les équipements culturels qui sont implantées sur ce quartier-là. D’abord dans l’idée d’échanger un maximum d’informations, parce qu’on se rend compte que l’activité des différents équipements reste trop cloisonnée et trop peu partagée, entre les équipements installés sur le quartier. […] Et dans l’idée que c’est aussi en échangeant de l’information sur ce que les uns et les autres mènent comme projet, que à terme on arrive à faire en sorte que les gens travaillent de manière plus collective et aient envie de travailler à plusieurs sur certains projets. L’autre aspect, l’autre attente, l’autre objectif de ce groupe de travail, c’est de voir comment à travers des propositions d’une offre culturelle on peut contribuer à créer une vie de quartier qui pour l’instant n’existe pas réellement. Donc je pense que c’est un quartier qui est un peu déserté en dehors des heures de bureau. Et on pense qu’à travers une offre culturelle un peu pérenne on arriverait à fixer un peu plus une vie dans ce quartier »183. « Et la conviction que nous on essaie de défendre sur le champ de la culture, c’est que justement c’est en créant une proposition de manière pérenne en termes

182

Entretien, Magali Theoleyre, chargée des relations avec les publics, Cité du design, 18 avril 2014. Entretien, Sophie Thierry, Service action culturelle, Direction des Affaires Culturelles de la Ville de SaintÉtienne, 30 avril 2014.

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d’activités, mais pas seulement d’activités économiques, mais aussi justement culturelles et sociales que on va aussi réconcilier un petit peu les Stéphanois avec ce quartier et faire en sorte que le Stéphanois lambda, qu’il habite à proximité de ce quartier-là ou qu’il habite ailleurs, sache que ben voilà, en allant sur le quartier créatif, il trouve des activités aussi bien culturelles que de loisirs, ou de restauration ou que sais-je encore »184 . « L’aménagement peut évidemment contribuer à faire que c’est plus facile et que la liaison se fait plus facilement pour les usagers entre on va dire la rive Plaine Achille et la Rive Manufacture. Mais moi je pense aussi que la liaison elle se fera par une densité d’offres de part et d’autre du quartier qui feront que les gens beaucoup plus naturellement franchiront cette barrière, alors qui n’est pas que symbolique mais qui l’est aussi en partie. […] Et je pense que le fait qu’il y ait une continuité de propositions entre la « rive » Manufacture et celle Plaine Achille fera que la liaison se fait beaucoup plus naturellement aussi. C’est pas qu’une question d’aménagement »185 .

On distingue dans ces propos l’idée d’une nécessité d’une imbrication plus forte des politiques urbaines et des politiques culturelles dans les projets de développement du territoire. Pour Sophie Thierry, la cohésion et la vie au sein de ce quartier peut être facilitée par l’aménagement urbain, dont l’EPASE est responsable, mais elle se fera surtout par un réseau dense d’équipements culturels travaillant en collaboration et proposant des projets qui créent des liens entre les deux parties du quartier. Les acteurs culturels ont fait naitre des partenariats « bilatéraux » qui ont été suivis par les pouvoirs publics, notamment Saint-Étienne Métropole et la ville de Saint-Étienne. Grâce au groupe de travail créé par Sophie Thierry, la réflexion sur la dimension culturelle du quartier se fait maintenant de manière « collective ». Les trois principales missions de ce groupe sont donc l’échange d’information, la mise en place de projets collaboratifs, et la création d’une vie de quartier. Trois qualités que l’on peut attendre d’un quartier culturel et qui sont liées puisque c’est en échangeant de l’information que les acteurs auront envie de travailler ensemble, et c’est par l’enrichissement des propositions artistiques et culturelles qu’une vie de quartier émergera. 184

Entretien, Sophie Thierry, Service action culturelle, Direction des Affaires Culturelles de la Ville de SaintÉtienne, 30 avril 2014. 185 Ibid.

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Conclusion

Saint-Étienne est une ville qui est née avec la révolution industrielle est qui est ressortie sinistrée de la désindustrialisation des années 1970. Le charbon, la rubanerie, les armes (militaires et civiles), le cycle, sont autant d’industries qui ont fait la prospérité de la ville au XIXe et au XXe siècles. En 1864, Napoléon III avait décidé d’implanter une importante Manufacture d’Armes à Saint-Étienne qui employa des milliers d’ouvriers jusqu’à la fin du XXe siècle. Des entreprises phares comme Manufrance (avec son catalogue) et Casino ont également fondé la notoriété de la ville au niveau national. La Deuxième Guerre mondiale est un premier choc pour l’industrie stéphanoise : le nombre de victimes est catastrophique, les usines stéphanoises de ruban, d’arme, de cycle et les mines de charbon ressortent affaiblies du conflit. Mais ce sont les années 1970, avec les crises pétrolières et la désindustrialisation, qui vont porter le coup de grâce à cette industrie si puissante autrefois. La ville et ses habitants ne se remettront pas de ce traumatisme : la ville entière se retrouve à l’état de friche et le nombre d’habitants est en chute libre depuis cette époque. Dans un premier temps, les friches industrielles sont détruites, de nouveaux équipements et de nouvelles habitations sont construits à la place. Ces destructions sont nécessaires à la ville pour faire le deuil de son industrie. Un tournant a lieu cependant au cours des années 1990 : on commence à s’intéresser au patrimoine industriel et les premières opérations de réhabilitation sont entreprises. En parallèle, au cours des années 1980, de nombreuses initiatives autour du design fleurissent, portées notamment par l’École régionale des Beaux-arts et le Musée d’art moderne. Michel Thiollière, élu conseiller municipal à l’urbanisme en 1983 puis maire de Saint-Étienne en 1994, inspiré par des villes étrangères qui ont réussi leur reconversion urbaine et économique, fait appel à l’architecte Ricardo Bofill et à l’urbaniste Jean-Pierre Charbonneau pour élaborer un plan de régénération urbaine. Le but ce plan, « Saint-Étienne Horizon 2020 », est de redorer l’image de la ville, vue comme une « ville noire », en favorisant son attractivité. Le maire trouve dans les initiatives autour du design une opportunité à saisir pour donner une nouvelle image à la ville. C’est pourquoi il soutient très vite le projet de Jacques Bonnoval, directeur de l’école des Beaux-arts, de créer un grand événement design à Saint-Étienne. Ce projet se réalise en 1998 avec la première Biennale

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Internationale du design qui est couronnée de succès et reconduite deux ans plus tard. L’idée d’ancrer le design sur le territoire à l’aide d’un projet bâti, un centre international de design, émerge alors entre les deux hommes, Jacques Bonnoval et Michel Thiollière. Le choix de l’emplacement de la future Cité du design n’est pas tout de suite arrêté, mais l’idée de la Manufacture d’Armes de Saint-Étienne, en plein déclin, arrive vite. Le choix de cet emplacement permettra à Michel Thiollière d’obtenir de nombreux soutiens au niveau local mais aussi national. En effet le projet de la Cité du design s’avère être une solution intéressante à deux urgences majeures : l’urgence économique de trouver de nouveaux leviers de développement pour Saint-Étienne, et l’urgence de réhabiliter la Manufacture qui représente une friche de plus de dix-huit hectares au cœur de la ville. Un concours est lancé en 2002 pour désigner l’architecte de la Cité du design. Inspiré comme beaucoup d’autres décideurs par le succès du musée Guggenheim à Bilbao, Michel Thiollière souhaite un geste architectural fort pour incarner le renouveau que celui-ci veut impulser à Saint-Étienne. C’est dans ce cadre que l’architecte Finn Geipel est désigné par le jury. Son projet impliquant la destruction de quatre bâtiments de la Manufacture d’Armes de Saint-Étienne, l’annonce du lauréat provoque la colère des associations patrimoniales locales. Celles-ci ont alors recours à tous les moyens à leur disposition pour empêcher ces destructions : pétition, alerte des associations patrimoniales nationales et de la presse nationale, organisation d’un débat public, proposition d’une alternative, demandes et lettres à répétition aux autorités de protection patrimoniales (Ministère de la culture et Commission Régionale du Patrimoine et des Sites). Mais ces efforts n’aboutiront pas et le maire obtiendra l’autorisation de démolir les bâtiments. Plus tard, l’État sera condamné par le Tribunal Administratif de Lyon pour son immobilisme dans cette affaire. Certains observateurs voient dans ce conflit patrimonial un phénomène de sélection mémorielle : seul le patrimoine servant à légitimer le positionnement design de la ville (c’est à dire les bâtiments de production, porteurs de la mémoire technique) a été conservé, et celui embarrassant de la mémoire ouvrière (les maisons des directeurs représentant la hiérarchie sociale) a été détruit. Ce conflit est également la démonstration d’une gouvernance patrimoniale encore naissante. On ne peut nier cependant que le positionnement de Saint-Étienne sur le design soit une stratégie éminemment efficace. Le lien historique que la ville entretient avec l’art et l’industrie permet aux élus locaux de trouver dans le passé une légitimité au repositionnement

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stratégique de la ville. Ce récit des origines est partagé par un large panel d’acteurs qui s’approprient ainsi l’héritage industriel. Le design incarne par ailleurs la modernité vers laquelle Saint-Étienne souhaite se tourner. Il s’inscrit parfaitement dans les trois approches de la « ville créative » que définissent Charles Ambrosino et Vincent Guillon186 : « l’approche par le gouvernement », « l’approche par la consommation » et « l’approche par la production ». En effet, le design est un outil pluridisciplinaire qui peut être utilisé dans des champs d’action publique multiples pour résoudre des problèmes variés. Saint-Étienne est par exemple la première ville française à intégrer du design management dans la conduite de ses politiques publiques locales. Le design peut en outre permettre de créer un cadre de vie attrayant pour les « classes créatives » en participant à l’enrichissement de l’offre culturelle et en apportant une esthétique moderne et originale à l’aménagement des espaces publics comme les parcs ou les places. Enfin, le design est une industrie créative à part entière, qui produit elle-même de la richesse, mais qui est « au service » des autres industries en leur apportant une valeur ajoutée nécessaire à la distinction des produits. Le design permet de transformer la créativité en activité économique. On peut donc considérer le design comme un positionnement stratégique efficace qui permet de répondre aisément aux trois fonctions de la « ville créative » : le gouvernement, la consommation, et la production. La Cité du design est l’outil qui permet de mettre en pratique ces trois objectifs. Elle participe également à l’attractivité de la ville par son architecture d’exception, notamment sur le plan touristique. Elle contribue donc au branding de la ville. L’ensemble de ces facteurs a fait de Saint-Étienne la première ville française et la deuxième ville européenne après Berlin, à obtenir la désignation de l’UNESCO comme ville créative de design. Parmi les caractéristiques qui font de Saint-Étienne une « ville créative », la présence d’un quartier créatif a une importance particulière. Ce projet est apparu après la création de la Cité du design et a été mis en place par l’Etablissement Public d’Aménagement de SaintÉtienne (EPASE) en 2009. L’objectif premier du quartier Manufacture-Plaine Achille est de créer un lien de proximité entre les différentes industries créatives et les centres de recherche afin de diminuer les coûts de production et de favoriser les échanges. Il s’agit également de réhabiliter les espaces encore en friche de la Manufacture d’Armes et de la Plaine Achille pour en faire un quartier au cadre de vie agréable et où la créativité peut s’exprimer. 186

Charles Ambrosino et Vincent Guillon, « Les trois approches de la ville créative », op. cit.

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Cependant, il est apparu dans les discours des acteurs que ce quartier était pour l’instant déconnecté du reste de la ville, que les stéphanois ne s’y rendaient pas et que les seuls usagers étaient les travailleurs et les étudiants. Certains le qualifient même de « mort » ou « en manque de vie ». Les raisons évoquées sont multiples : quartier enclavé entre des grands axes de circulation, ancienne cité militaire interdite au public, design encore vu comme élitiste par la majorité des habitants, quartier très tourné vers l’international et peu vers le territoire, blessure « mémorielle » causée par la destruction de quatre bâtiments, etc. On pourrait donc croire que ce quartier créatif est un exemple de marketing culturelurbain, de coquille vide, parmi d’autres. Cependant, il est clair que les acteurs culturels et politiques ont conscience des limites de ce quartier et qu’ils ont tous la volonté de la faire évoluer. La Cité du design tout d’abord, par son travail de sensibilisation au design pour tous les publics, a un grand rôle à jouer dans la fréquentation et la dynamisation de ce quartier. Elle tente également de diffuser le design sur le territoire, hors de la Cité, par l’intermédiaire de son design manager qui intervient dans beaucoup de projets publics, mais aussi en valorisant d’autres initiatives design grâce à la « Biennale Off ». Saint-Étienne Métropole et l’EPASE ont aussi décidé depuis 2013 d’intégrer davantage le citoyen-usager dans l’aménagement de ce quartier. Des « ateliers créatifs » ont ainsi été mis en place pour faire émerger les idées, les envies mais aussi les mécontentements des usagers. L’aménagement, que l’EPASE continue à mener, puisque le projet n’en est qu’à ses débuts, peut contribuer à améliorer le cadre de vie et à « reconnecter » le quartier avec la ville. Cela peut passer par l’amélioration de la signalétique ou la construction d’une vraie passerelle entre la Manufacture et la Plaine Achille. L’implantation de nouvelles structures telles que le Mixeur (lieu de travail partagé), des écoles, ou encore la Comédie (Centre National Dramatique) va également participer à la dynamisation de ce quartier par l’arrivée de nouveaux usagers. Ce que les acteurs ont surtout intégré, c’est la nécessité de renforcer la coopération et les partenariats entre les différentes structures. Certaines ont commencé à créer des liens d’elles-mêmes. Mais Saint-Étienne Métropole a souhaité favoriser cette coopération en mandatant la ville de Saint-Étienne pour créer un groupe de travail rassemblant tous les équipements culturels du quartier créatif. Ce groupe de travail, qui en est encore à ses balbutiements187, essaye entre autres de développer l’utilisation des espaces qui sont encore en friche par des porteurs de projets artistiques et culturels. La Comédie va par exemple installer dès octobre 2014 une salle de spectacle éphémère dans les H, qui pourra être 187

Il ne s’était réuni que deux fois avant l’entretien avec Sophie Thierry du 30 avril 2014.

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mutualisée avec d’autres structures telles que le Fil, scène de musiques actuelles. En lien avec l’EPASE, cette mission nécessite une forte imbrication des politiques culturelles et des politiques urbaines, afin de donner une réelle cohérence à ce quartier encore à la recherche de son identité.

D’après

Christine

Liefooghe,

la

ville

créative

est

un

modèle

inspiré

d’expérimentations réussies devenu une « utopie urbaine sur laquelle s’appuient à leur tour des stratégies de marketing urbain »188. «Côté modèle, des initiatives visent, par exemple, à reproduire le succès de la Silicon Valley, d’un écoquartier ou du musée Guggenheim de Bilbao ». Saint-Étienne a tenté de reproduire ces trois modèles. L’EPASE, lorsque le projet de quartier Manufacture-Plaine Achille a émergé, affichait dans tous ses supports de communication sa volonté de créer une « Silicon Valley » à la stéphanoise. Le quartier a par ailleurs reçu le premier prix Ecoquartier 2011 dans la catégorie renouvellement urbain. Et l’idée de Cité du design de Michel Thiollière a été inspirée par le succès du musée Guggenheim. Cependant le projet de quartier créatif semble pour l’instant manquer un peu de souffle. Alors que Christine Liefoogue définit les quartiers culturels et les districts créatifs comme des « lieux d’animation culturelle propices à l’échange d’idées et au partage d’émotion », le quartier Manufacture-Plaine Achille est, comme nous l’avons évoqué, décrit par certains usagers comme « mort ». Pour l’auteure, « il ne suffit pas de planifier la mixité fonctionnelle et sociale pour qu’émerge un milieu créatif, et les opérations d’urbanisme créent souvent, en matière de ville créative, des coquilles vides ». Le problème viendrait du fait que les plans d’urbanisme tentent de reproduire des modèles qui ont été élaborés dans des situations historiques et géographiques particulières. Ils oublient de prendre en compte les spécificités locales, au niveau économique, social et culturel, alors qu’il s’agit du ciment de la réussite d’un projet. Nous l’avons vu, Saint-Étienne a pendant longtemps adopté une stratégie de marketing culturel urbain autour du design afin de répondre au déclin industriel et impulser le « renouveau stéphanois ». Cette stratégie est passée par une sélection mémorielle et une valorisation de l’héritage industriel qui ont permis de légitimer le repositionnement design de la ville. La Cité du design, et le quartier créatif ont été créés dans l’objectif de renouveler 188

Christine Liefooghe, « La ville créative », op. cit., p.  34.

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l’image de Saint-Étienne sur le plan extérieur. Mais cette stratégie s’est avérée contreproductive puisqu’en dehors des Biennales, le quartier n’est fréquenté que par les travailleurs et les étudiants. Il est perçu comme une vitrine du renouveau stéphanois pour les observateurs extérieurs et complètement déconnecté de la ville et de ses habitants. Face à ces constatations, on voit apparaître depuis 2012-2013 un changement de direction avec une volonté de reconnecter le quartier à son territoire. Cette nouvelle politique passe par une participation citoyenne dans la réflexion sur l’aménagement du quartier et une coopération plus poussée entre les structures culturelles qui y sont installées ou qui le seront prochainement. Cette évolution se rapproche des deux conceptions ambivalentes de la « ville créative » que décrit Christine Liefooghe189. Pour la première, la ville créative est un nouvel outil du capitalisme libéral mondialisé. Dans le cadre d’une concurrence inter-urbaine les villes créent des avantages comparatifs par la présence d’industries créatives (le design, mais aussi le numérique à Saint-Étienne). La « ville créative » devient un label pour attirer des investissements et des « classes créatives ». A l’opposé, on trouve une vision communautaire et sociale de la ville créative. Cette « utopie » prône une nouvelle « gouvernance créative » basée sur la diversité culturelle, les partenariats, la démocratie participative, l’expérimentation sociale, etc. Saint-Étienne serait donc en train de basculer d’une interprétation libérale à une interprétation plus communautaire de la ville créative, autrement dit une « ville créative pour les citoyens ». Même si cette utopie semble difficilement réalisable, il s’agit d’une tendance perceptible dans les discours des acteurs. Les limites de la stratégie de repositionnement de la ville de Saint-Étienne autour de l’économie créative ont amené à repenser les politiques culturelles et les politiques urbaines locales vers davantage de collaboration et de participation citoyenne. Ce quartier est encore très jeune, sa réhabilitation n’a réellement débuté qu’en 2009 avec l’EPASE. Aussi, d’autres problématiques risquent d’apparaître. Parmi les effets secondaires peu souhaitables des clusters culturels, la ségrégation socio-spatiale figure parmi les plus étudiés par les chercheurs. La rénovation des quartiers centraux et péricentraux entraine naturellement une valorisation foncière qui déloge les classes populaires pour laisser place aux plus aisées. Cette gentrification sera un des prochains enjeux du quartier créatif, notamment avec la livraison du programme Urban Park prévue pour 2015 (4 immeubles de 189

Ibid., p.  36.

94


121 logements). La ségrégation spatiale se fait également au niveau culturel : en concentrant et en valorisant un grand nombre d’activités culturelles sur le même site, ne met-on pas en difficulté les autres activités artistiques et culturelles, moins visibles, plus excentrées ? Ne favorise-t-on pas également l’exclusion des classes populaires résidant en périphérie de l’offre culturelle présente sur le territoire ? Nous verrons dans les années qui viennent quelles solutions seront apportées par les pouvoirs publics à ces enjeux sociaux. Ce qui est certain c’est que Saint-Étienne n’a pas fini d’évoluer et d’adopter sa propre interprétation de la notion de ville créative pour répondre aux enjeux locaux. Le concept de « ville créative » a au moins le mérite de poser la question de la recomposition des politiques publiques et de les amener à plus de transversalité entre elles (entre politiques culturelles, économiques, urbaines, par exemple). Et nous l’avons évoqué, le design constitue en cela un outil intéressant. La prochaine rencontre organisée par la Cité du design le 3 juillet 2014, «La Manufacture d’Action Publique » traitera d’ailleurs de cette thématique :

« Concevoir des services innovants répondant à des nouveaux besoins, réaliser, des économies pour faire face à la baisse des ressources publiques, simplifier nos organisations pour les rendre plus agiles : ce sont quelques-uns des défis que nous devons relever pour moderniser l'action publique. La Manufacture d'Action Publique est la première rencontre entre les agents chargés de concevoir et de mettre en œuvre des politiques publiques, et les designers qui mettent leurs compétences au service des collectivités territoriales et des institutions publiques. La conférence et la table ronde de la matinée nous feront découvrir des expériences innovantes qui montrent le potentiel des outils et des méthodes du design pour concevoir autrement l'action publique. Mais il s'agit aussi de mettre la main à la pâte, et les participants à la Manufacture d'Action Publique auront un avant-goût de la démarche design lors des ateliers de l'après-midi »190 .

190

CITÉ DU DESIGN, La Manufacture d’action publique 2014 [en ligne]. 2014. Disponible sur : <http://www.citedudesign.com/fr/actualites/120614-la-manufacture-d-action-publique-2014>. [Consulté le 13 juin 2014].

95


Bibliographie Friches culturelles AMBROSINO Charles et ANDRES Lauren, 2008, « Friches en ville  : du temps de veille aux politiques de l’espace », Espaces et sociétés, 29 septembre 2008, n° 134, no 3, p. 37‑51. ANDRES Lauren et GRESILLON Boris, 2011, « Les figures de la friche dans les villes culturelles et créatives », L’Espace géographique, 9 avril 2011, Tome 40, no 1, pp. 15‑30. GRESILLON Boris, 2009, « Les “friches culturelles” et la ville  : une nouvelle donne  ? », L’observatoire, Hiver 2009, no 36, p. pp. 50‑53. GRESILLON Boris, 2004, « Le Tacheles, histoire d’un «  squart  » berlinois », Multitudes, 1 juillet 2004, no 17, no 3, pp. 147‑155. JANIN Claude et ANDRES Lauren, 2008, « Les friches  : espaces en marge ou marges de manœuvre pour l’aménagement des territoires  ? », Annales de géographie, 1 novembre 2008, n° 663, no 5, pp. 62‑81. RAFFIN Fabrice, 2007, Friches industrielles un monde culturel européen en mutation, Paris, L’Harmattan, 306 p. Ville créative AMBROSINO Charles et GUILLON Vincent, « Les trois approches de la ville créative  : gouverner, consommer et produire », L’observatoire, pp. 25‑28. GUILLON Vincent, 2011, Mondes de coopération et gouvernance culturelle dans les villes  : une comparaison des recompositions de l’action publique culturelle à Lille, Lyon, SaintEtienne et Montréal,IEP, Grenoble, 626 p. HALBERT Ludovic, 2010a, L’avantage métropolitain, Paris, Presses Universitaires de France PUF, 160 p. HALBERT Ludovic, 2010b, « La ville créative pour qui ? », Urbanisme, juillet 2010, no 373, pp. 43-45. INSTITUT DES DEUX-RIVES, 2009, Économie créative, une introduction, Bordeaux, Mollat, 159 p. LIEFOOGHE Christine, 2009, « La ville créative  : utopie urbaine ou modèle économique  ? », L’observatoire, Hiver 2009-2010, no 36, pp. 34-37 PAQUOT Thierry, 2010, « Feu sur Floria ! », Urbanisme, juillet 2010, no 373, pp. 71-72

96


PIGNOT Lisa et SAEZ Jean-Pierre, 2009, « Dossier  : La ville créative  : concept marketing ou utopie mobilisatrice  ? », L’observatoire, Hiver 2009-2010 , no 36, pp. 23‑82. SAEZ Guy, 2009, « Une (ir)résistible dérive des continents », L’observatoire, Hiver 20092010, no 36, pp. 29‑33. TOBELEM Jean-Michel, 2010, « Equipements culturels et villes créatives », Urbanisme, juillet 2010, no 373, pp. 46-49 TREMBLAY Rémy et TREMBLAY Diane-Gabrielle, 2010, La classe créative selon Richard Florida un paradigme urbain plausible?, Québec [Que.], Presses de l’Université du Québec, 258 p. VIVANT Elsa, 2009, Qu’est-ce que la ville créative?, Paris, Presses universitaires de France, 92 p.

Saint-­‐Etienne CHARBONNIER Vincent, 2001, Saint-Etienne: traces d’histoire, Veurey; [Grenoble], Ed."Le Dauphiné libéré  ; Musée dauphinois, 48 p. GUILLON Vincent, 2011, Mondes de coopération et gouvernance culturelle dans les villes  : une comparaison des recompositions de l’action publique culturelle à Lille, Lyon, SaintEtienne et Montréal,IEP, Grenoble, 626 p. NICOLAS Amélie et ZANETTI Thomas, 2013, « Patrimoine et projet urbain  : produire et valoriser la localité à Saint-Étienne, Nantes et Clermont-Ferrand », Espaces et sociétés, 1 avril 2013, n° 152-153, p. 181‑195. PEYROCHE Philippe, 2013, « La Manufacture impériale ou le vandalisme institutionnel », Saint-Etienne, Histoire et Mémoire, juin 2013, no 250, p. 56. THIOLLIERE Michel, 2007, Quelle ville voulons-nous  ?, Paris, : Éd. Autrement, 186 p. ZANETTI Thomas, 2011, « La Manufacture d’Armes de Saint-Étienne  : un patrimoine militaire saisi par l’économie créative », In Situ. Revue des patrimoines, 9 mai 2011, no 16. ZANETTI Thomas, 2011b, « La Manufacture d’Armes de Saint-Étienne  : un conflit mémoriel », Norois, 10 mars 2011, n° 217, pp. 41‑55. ZANETTI Thomas, 2010, « La Cité du Design à Saint-Etienne  : valorisation et rejet d’héritages culturels dans un projet architectural et urbain » dans Boulanger P., Hullo-Pouyat C. (dir.), Espaces urbains à l’aube du XXIème siècle  : patrimoine et héritages culturels, Presses Universitaires Paris-Sorbonne, pp. 147‑156.

97


Annexes Table des annexes Annexe 1: Liste des entretiens ...............................................................................................................99 Annexe 2: La Manufacture d’Armes de Saint-­‐Étienne (1866-­‐1868)................................... 101 Annexe 3:

Proposition de repositionnement de la Cité du Design et du projet

architectural Finn GEIPEL des Amis du Vieux Saint-­‐Étienne........................................... 102 Annexe 4: Rapport Unesco sur Saint-­‐Étienne............................................................................... 105 Annexe 5: Les Cahiers du Tourisme, Janvier-­‐Février 2014 .................................................... 109 Annexe 6: Plan du quartier Manufacture-­‐Plaine Achille.......................................................... 110 Annexe 7: Extraits de la synthèse de l’opération « Tous dehors ! » de l’association Carton plein............................................................................................................................................ 111

98


Annexe 1:

Liste des entretiens

Eric PERRIN

Bernard RIVATTON

Attaché de conservation

Directeur

Musee d'Art et d'Industrie

Musée du vieux Saint-Étienne

Date du rendez-vous: 27 mars 2014

Date du rendez-vous: 17 avril 2014

Durée du rendez-vous:1h

Durée du rendez-vous: 45 minutes

Lieu du rendez-vous: Lieu de travail

Lieu du rendez-vous: Lieu de travail

Wilhem PERDRIX

François CLAMART

Service Civique

Administrateur

Association Carton Plein

La Comédie

Date du rendez-vous: 27 mars 2014

Date du rendez-vous: 17 avril 2014

Durée du rendez-vous: 1h

Durée du rendez-vous: 45 minutes

Lieu du rendez-vous: Lieu de travail

Lieu du rendez-vous: Lieu de travail

Jacques STRIBICK

Magali THEOLEYRE

Délégué Général de l’Association ARCO

Chargée des relations avec les publics

(Association de réflexion, de concertation

Cité du Design

et d'ouverture)

Date du rendez-vous: 18 avril 2014

Conseiller

Municipal

en

charge

du

Durée du rendez-vous: 30 minutes

Patrimoine et de l'image Extérieure de la

Lieu

ville de Saint-Étienne de 2008 à 2014

téléphonique

Date du rendez-vous: 27 mars 2014 Durée du rendez-vous: 30 minutes Lieu du rendez-vous: Siège social de l’association

99

du

rendez-vous:

entretien


Sylvie SAUVIGNET

Marc CHASSAUBENE

Chargée de la médiation

Conseiller municipal en charge de la

Cité du Design

culture depuis avril 2014

Date du rendez-vous: 18 avril 2014

Date du rendez-vous: 2 mai 2014

Durée du rendez-vous: 30 minutes

Durée du rendez-vous: 30 min

Lieu

du

rendez-vous:

entretien

Lieu du rendez-vous: Lieu de travail

téléphonique

Sophie THIERRY

Philippe PEYROCHE

Service Action Culturelle

Conseiller

Direction des Affaires Culturelles

patrimoine de 1994 à 2001

Ville de Saint-Étienne

Ancien membre de la CRPS /Rhône-Alpes

Date du rendez-vous: 30 avril 2014

Membre de l’association Les Amis du

Durée du rendez-vous: 1h

Vieux Saint-Étienne

Lieu

du

rendez-vous :

entretien

municipal

en

charge

du

Membre de la Société pour la Protection

téléphonique

des Paysages et de l'Esthétique de la France (SPPEF) Date du rendez-vous: 2 mai 2014 Durée du rendez-vous: 1h45 Lieu du rendez-vous: Musée du Vieux Saint-Étienne

100


Annexe 2:

La Manufacture d’Armes de Saint-Étienne (1866-1868)

Source : ARCO, Les dossiers ARCO [en ligne]. Disponible sur : <http://www.arcoimage.net/avis/manu/manu_cadre.htm>. [Consulté le 20 mai 2014].

101


Annexe 3:

Proposition de repositionnement de la Cité du Design et du projet

architectural Finn GEIPEL des Amis du Vieux Saint-Étienne

Un positionnement proposé pour la Cité du Design dans une synergie en complémentarité directe des pôles économiques, culturels, ludiques, routiers, ferroviaires ... permettant la préservation des bâtiments administratifs et directoriaux, la préservation de l'intégrité de la modénature du site. Le projet actuel de la " Cité du Design " la positionne à l'ouest du site de la manufacture impériale d'armes en façade de la rue Bergson sur l'axe nord sud de la Grand rue en fermeture de perspective face à la colline dominante de Montaud. (sans recul). C'est un positionnement stéphano-stéphanois, sans aucune ouverture sur la métropole. La cité est positionnée soleil couchant. Ne peut-on pas plus positivement l'imaginer sur l'Est ?, en imaginant positionner la " Platine " de l'architecte Finn Geipel sur les terrains nus côté Boulevard Thiers, soleil levant, dominant la Plaine Achille, avec une plus heureuse ouverture aux synergies complémentaires : de l'ouverture directe aux pôles industriels et universitaires Optiques et vision, Technopole, de la zone industrielle nord est et demain de Métrotech (Saint Jean Bonnefonds) dans le cadre d'une réelle et directe ouverture économique, du site ludique de la Plaine Achille (futur Zénith, espace sport et loisirs, palais des spectacles, bowling, piscine, patinoire, parc d'exposition, …) associé à une plaine paysagée " poumon vert " ou " Central Parc " de l'agglomération en devenir, du nouveau quartier d'affaires et la Gare multimodale de Châteaucreux,

102


des axes communicants autoroutier vers Clermont et Lyon, (ouverture directe à l'A72 qui irrigue la métropole, axe économique Gier/Rhône et Alpes Europe) et ferroviaire vers Andrézieux Bouthéon (plaine urbaine du Forez) et Châteaucreux puis Lyon (métropole régionale). Cette gare TGV reliant la Cité à l'Europe ferroviaire permet alors d'imaginer exploiter une attractivité touristique unique pour la Citée sur le modèle de la gare " TGV Futuroscope ". A ce sujet la voie de chemin de fer qui borde le Boulevard THIERS, plus qu'un handicap de circonstance, est un atout qui devra participer à l'irrigation du site. Première voie historique de chemin de fer français et continental, ouvrant le quartier d'affaires de Châteaucreux et la ville à la plaine d'Andrézieux-Bouthéon et à son aéroport, cette ligne porte le tracé de ce qui devrait être l'autre grande ligne de tramway - RER de cette agglomération. Une station ferroviaire au cœur de cette plaine Achille en mutation, (Université, pôle optique, cité du Design, Zénith, Technopole, quartier d'affaire, palais des spectacles, bowling, piscine, patinoire, parc d'expositions, archives départementales….) à l'heure d'une écologie citoyenne de transport en commun apparaît comme un investissement politique d'avenir et d'aménagement du territoire à proposer pour une agglomération revendiquant 400 000 habitants. On peut imaginer de traverser ce chemin de fer au nord en surface (passage à niveau de type rue Barrouin) et au sud par des tunnels, ouvrages d'arts architecturés définis comme " portes est " de la " cité ", que la voie ferrée délimitera alors dans un contexte spatial perméable. Ce positionnement semble judicieux, ambitieux et prospectif. Intelligent, dans un projet de site exemplaire, il distinguerait alors le Design stéphanois dans la cohérence sociale et économique de la ville comme de son agglomération ou de la région, désormais associées au projet du fait des complémentarités détaillées. Enfin, cette solution permet alors la sauvegarde des bâtiments Ouest du site actuellement menacés par le positionnement du projet architectural (bâtiments des directeurs et administratifs) et pour lesquels nous proposons une réutilisation en extension universitaire ou pour les villas directoriales en "Villa Médicis du Design" qui accueilleraient pour des séjours variables des artistes ou étudiants chercheurs en design s'engageant dans la vie professionnelle, afin de leur permettre de mener à bien un projet dans un contexte culturel extrêmement enrichissant tout en bénéficiant de conditions optimales de liens notamment pour la recherche et l'économie de diffusion. Un concours sélectif pourrait avoir lieu dans le cadre des Biennales Internationales du Design et les séjours pourraient être cofinancés par des partenariats publics et privés internationaux. Le site manufacturier aurait ainsi une double symbolique réunie dans une heureuse complémentarité Passé & Futur : historique et patrimoniale à l'Ouest sur les bâtiments historiques et les jardins suspendus (avec exploitation des thématiques du passé, du soir, soleil couchant et studieuse " Villas Médicis "et université avec entrée piétonne sur le classicisme du site XIXème préservée) et celle prospective à l'est dans la modernité ouverte de la Cité du Design (avec exploitation des thématiques du soleil levant, du matin, de la modernité et de la créativité économique)… véritable voyage dans le temps, l'histoire et l'architecture. ·

103


Cette proposition de repositionnement sur le boulevard THIERS conforte une installation maintenue sur le site MAS/GIAT " en reconversion " donc l'intervention d'Epora et l'attribution maintenue des fonds européens FEDER et autres cofinancements propres à une démarche de reconversion, adaptation et affectation nouvelle du site. (Confirmation de ce maintien acquise du Secrétaire Général aux Affaires Régionales de la Préfecture de Région lors de sa rencontre le 12 janvier 2005). · La valorisation historique des bâtiments Second Empire justifie la demande de saisine de la CRPS qui vise à obtenir un avis d'expert et de compétence sur la valeur patrimoniale de cet ensemble manufacturier pris dans sa globalité (demande récurrente depuis 1995) . Cet avis permettrait encore d'apprécier si une mesure de classement au titre des Monuments Historiques ne pourrait pas contribuer, associée au projet de Cité du Design, à la réappropriation immobilière et sociale du site par des promoteurs et investisseurs privés (opportunément confortée par les avantages fiscaux de défiscalisation qu'emporte une opération sur des constructions qualifiées " historiques ").Car il semble aujourd'hui acquis et souhaité par tous, au moins pour les bâtiments " ouvriers ", qu'elles soient totalement préservées, quel que soit leur devenir, du fait de leur qualité d'ensemble et de construction. · Parmi d'autres, un soutien communautaire spécifique, notamment au titre du programme européen Culture 2000 (prolongée en 2005/2006,) pourrait alors venir conforter les mesures françaises propres à une reconnaissance patrimoniale du site et favoriser sa mise en dynamique - Programme d'actions intégrées transectorielles entre patrimoine historique classé et Design

104


Annexe 4:

Rapport Unesco sur Saint-Étienne

CLT/DDD/CCS/2011/PI/209 24/10/2011

Saint-Étienne Ville UNESCO de Design Le

22

novembre

2010,

Saint-­Etienne

est

la

première

ville

française

à

intégrer

le

Réseau

des

Villes

UNESCO

de

Design.

La

ville

s’affirme

comme

une

terre

de

créateurs

et

d’inventeurs, caractéristique d’un territoire pionnier animé par

une

dynamique

spécifique

liant

l’art

et

l’industrie.

Faits sommaires et économiques Avec 400 000 habitants, l’agglomération de Saint-Etienne constitue le 2ème pôle urbain de la grande métropole réunissant Lyon, Saint-Etienne, Bourgoin-Jallieu et Vienne (2 millions habitants). •

Un

tissu

de

PME/PMI

puissant

de

20

200

entreprises

capable de se mettre au service des nouveaux talents.

3

900

créations

d’entreprises

/an

L’innovation est le levier qui permet à notre région de compter parmi les entreprises plus de cinquante champions européens et mondiaux. •

5

pôles

d’excellence

:

mécanique,

technologies

médicales, numérique, optique, design

2

projets

phares

retenus

dans

le

grand

emprunt

« équipements d’excellence, investissement d’avenir

»

: •

Manutech

Ultrafast

Surface

Design

pour

développer de nouvelles technologies de traitement

des

surfaces

IVTV

(Ingénierie

et

vieillissement

des

tissus

vivants) pour développer de nouvelles techniques sur les tissus osseux.

105


Design et évènements culturels •

Biennale Internationale Design Saint-Etienne

La

création

de

la

Biennale

Internationale

Design

Saint-­ Etienne

par

l’Ecole

supérieure

d’art

et

design

en

1998

et

son

organisation par la Cité du design depuis 2006 ont marqué un

tournant

décisif

dans

le

changement

d’identité

et

le

rayonnement international de Saint-Etienne. Cet événement réunissant les créateurs, entreprises, écoles, éditeurs, journalistes,

diffusé

dans

de

nombreuses

institutions

du

territoire, rassemble des expositions, des colloques, des conférences

mais

aussi

un

moment

de

réflexion,

de

travail,

de

rencontre

avec

tous

les

publics.

85000

visiteurs

en

2010. www.biennale2010.citedudesign.com •

Commerce design Saint-Etienne

Depuis

2003

ce

concours

organisé

en

alternance

avec

la

Biennale

Internationale

Design

Saint-­Etienne

récompense

les

artisans

et

commerçants

qui

font

appel

à

un

designer

ou

architecte d’intérieur pour améliorer la qualité du design de leur

établissement.

www.commercedesign.saint-­etienne.fr •

HOTEL D / Chèque design hôtel

Une

action

de

requalification

de

l’hôtellerie

permettant

aux

responsables d’établissement de travailler étroitement avec un designer, pour proposer des solutions adaptées aux nouvelles attentes de la clientèle. •

Design MAP

Organisée par la Cité du design en alternance avec la

Biennale,

Design

MAP

(métiers,

applications

et

pédagogie) dresse une cartographie du dynamisme des entreprises

créatives

design

de

la

région

Rhône-­Alpes

en démontrant que le design est un outil clé pour le développement économique. Elle propose une convention d’affaires

favorisant

la

rencontre

les

designers

et

leurs

commanditaires. www.citedudesign.com •

Design & Shop

L’exposition Design & Shop invite à la découverte du design

de

façon

originale,

dans

un

parcours

surprenant

et

riche

d’échanges,

au

cœur

de

la

ville.

Pendant

les

quinze

jours

de

la

Biennale

Internationale

Design

Saint-­Etienne,

les

commerçants

ambassadeurs

du

design

reçoivent

chez

eux, dans leur commerce, les créations, installations et éditions

de

designers

et

jeunes

créateurs

sélectionnés

par

la

Cité

du

design.

www.biennale2010.citedudesign.com/ expo_design_and_shop.php •

« Design Creative City Living Lab » (DCC-LL), piloté par la Cité du design a pour lieu d’expérimentation le

campus

Manufacture

Plaine

Achille,

nouveau

quartier

créatif.

Living

Lab

européen

labellisé

fin

2009.

106


Institutions majeures du design et musées •

La Cité du design

créée

en

2005

est

dédiée

à

des

activités de sensibilisation de tous les publics, de recherche & création, de développement économiques et territoriales et

de

création

d’événements

à

forte

notoriété

autour

du

design.

La

Cité

du

design

conçoit

et

organise

la

Biennale

Internationale

Design

Saint-­Etienne.

www.citedudesign.com •

L’Ecole Supérieure d’Art et design de SaintEtienne,

fondée

en

1803,

est

un

établissement

d’enseignement supérieur artistique. Elle propose un Master

Art,

un

Master

Design

et

un

Post-­Diplôme

Design

et

Recherche.

Elle

a

vocation

à

former

des

artistes,

des

designers, des graphistes, des auteurs, des créateurs et plus

généralement

des

professionnels

compétents

dans

tous les domaines qui valorisent l’imagination, la créativité et

l’inventivité.

www.esadse.fr •

La Cité du design et l’Ecole Supérieure d’art et design sont désormais réunis dans la même institution, un Etablissement

public

de

coopération

culturel

(EPCC)

créé

en

2009

et

porté

par

Saint-­Etienne

Métropole,

la

Ville

de

Saint-­Etienne,

la

Région

Rhône-­Alpes

et

l’Etat.

Musée d’art Moderne Saint-Etienne Métropole Deuxième

musée

français

après

le

Centre

Pompidou

pour

sa collection d’art moderne et contemporain des années 1950

à

nos

jours

et

pour

sa

collection

de

design.

www.mam-­st-­etienne.fr •

Patrimoine Le Corbusier-Firminy. L’unité d’habitation et école, stade, maison de la culture et église constituent un patrimoine architectural unique en Europe. On

y

trouve

le

mobilier

exceptionnel

Le

Corbusier,

Perriand,

Jeanneret et Guarriche. www.sitelecorbusier.com •

Musée d’art et d’industrie

Les racines du design se trouvent dans les collections exceptionnelles de rubans, armes et cycles. www.saint-­etienne.fr •

Musée de la Mine

Un outil pédagogique essentiel permettant une approche à

la

fois

didactique

et

vivante

des

sources

de

la

civilisation

industrielle.

www.saint-­etienne.fr

107


Design et évènements culturels •

Biennale Internationale Design Saint-Etienne

La

création

de

la

Biennale

Internationale

Design

Saint-­ Etienne

par

l’Ecole

supérieure

d’art

et

design

en

1998

et

son

organisation par la Cité du design depuis 2006 ont marqué un

tournant

décisif

dans

le

changement

d’identité

et

le

rayonnement international de Saint-Etienne. Cet événement réunissant les créateurs, entreprises, écoles, éditeurs, journalistes,

diffusé

dans

de

nombreuses

institutions

du

territoire, rassemble des expositions, des colloques, des conférences

mais

aussi

un

moment

de

réflexion,

de

travail,

de

rencontre

avec

tous

les

publics.

85000

visiteurs

en

2010. www.biennale2010.citedudesign.com •

Commerce design Saint-Etienne

Depuis

2003

ce

concours

organisé

en

alternance

avec

la

Biennale

Internationale

Design

Saint-­Etienne

récompense

les

artisans

et

commerçants

qui

font

appel

à

un

designer

ou

architecte d’intérieur pour améliorer la qualité du design de leur

établissement.

www.commercedesign.saint-­etienne.fr •

HOTEL D / Chèque design hôtel

Une

action

de

requalification

de

l’hôtellerie

permettant

aux

responsables d’établissement de travailler étroitement avec un designer, pour proposer des solutions adaptées aux nouvelles attentes de la clientèle. •

Design MAP

Organisée par la Cité du design en alternance avec la

Biennale,

Design

MAP

(métiers,

applications

et

pédagogie) dresse une cartographie du dynamisme des entreprises

créatives

design

de

la

région

Rhône-­Alpes

en démontrant que le design est un outil clé pour le développement économique. Elle propose une convention d’affaires

favorisant

la

rencontre

les

designers

et

leurs

commanditaires. www.citedudesign.com •

Design & Shop

L’exposition Design & Shop invite à la découverte du design

de

façon

originale,

dans

un

parcours

surprenant

et

riche

d’échanges,

au

cœur

de

la

ville.

Pendant

les

quinze

jours

de

la

Biennale

Internationale

Design

Saint-­Etienne,

les

commerçants

ambassadeurs

du

design

reçoivent

chez

eux, dans leur commerce, les créations, installations et éditions

de

designers

et

jeunes

créateurs

sélectionnés

par

la

Cité

du

design.

www.biennale2010.citedudesign.com/ expo_design_and_shop.php •

« Design Creative City Living Lab » (DCC-LL), piloté par la Cité du design a pour lieu d’expérimentation le

campus

Manufacture

Plaine

Achille,

nouveau

quartier

créatif.

Living

Lab

européen

labellisé

fin

2009.

108


Annexe 5:

Les Cahiers du Tourisme, Janvier-Février 2014

109


Annexe 6:

Plan du quartier Manufacture-Plaine Achille

Bâtiments en bleus : livrés par l’EPASE Bâtiments en violet : en cours de réhabilitation/construction par l’EPASE Source : SAINT-ÉTIENNE MANUFACTURE, Nouveaux programmes [en ligne]. Disponible sur : <http://saint-etienne-manufacture.fr/> [Consulté le 9 juin 2014].

110


Annexe 7:

Extraits de la synthèse de l’opération « Tous dehors ! » de l’association

Carton plein (pp. 1-13 -17-26-27-39)

TOUS DEHORS! à la Manufacture Activer les espaces publics du quartier Manufacture !? oui mais où ? avec qui ? pourquoi ? et comment ?

Les 17,18 et 19 décembre 2013

Trois jours de brainstorming créatif, ouverts à tous au Mixeur, vers la transformation temporaire des espaces publics du quartier Manufacture.

SYNTHÈSE * Un événement organisé par

* En collaboration avec

111


+ Jeudi

13

112


1 - La mémoire comprendre sa forme et son organisation actuelle, pouvoir imaginer une transition plus douce

2- Le projet urbain La temporalité longue du projet urbain et ses grandes étapes sont peu lisibles et palpables

Stéphane Quadrio et Delphine Lacroix à l’Epase nous retracent les étapes du projet urbain, en amont de TOUS DEHORS !

17

113


4- État des lieux et constats

Ce que nous avons observé :

26

114


Diagnostic assises publiques

Légende assises informelles bancs existants bancs expérimentaux prisés bancs expérimentaux moyennement prisés bancs expérimentaux non prisés

# Suite aux propos recueillis, des assises mobiles seraient préférables à des assises fixes.

27

115


4. LES SCENARIOS Les scénarios sont des formulations des possibilités de prendre le

reformulé ces propositions pour leur donner corps et envisager, de

formulés :

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Table des matières

Sommaire........................................................................................................................................... 4 Introduction...................................................................................................................................... 5 • Les “friches culturelles”, leviers de développement pour les villes créatives..................................... 6 Une initiative émanant d’abord des artistes ........................................................................................................ 6 Une prise de conscience des pouvoirs publics et des investisseurs .......................................................... 7 Un effet de mode : « la friche-­‐label » au cœur de la « ville créative » ........................................................ 9 • Saint-­‐Étienne : un « territoire ré-­‐enchanté par le design » ? ................................................................... 12 • La méthode utilisée et les limites du sujet....................................................................................................... 13

Partie 1 -­ La reconversion du patrimoine industriel à Saint-­Étienne comme réponse au déclin du territoire ............................................................................................... 15 Chapitre 1 -­ Saint-­Étienne, de l’âge d’or au déclin industriel ...............................................16 Section I. Saint-­‐Étienne, territoire industriel prospère .................................................................... 16 • La première ville industrielle : le ruban et le charbon ............................................................................... 16 • La Manufacture Nationale d’Armes de Saint-­‐Étienne : pilier de l’économie locale ....................... 18 • Manufrance et Casino : entreprises stéphanoises d’envergure nationale ......................................... 19 • Un aménagement urbain de façade .................................................................................................................... 20

Section II. Le déclin industriel: un deuil douloureux ......................................................................... 22 • La Deuxième Guerre mondiale : un premier choc pour l’industrie stéphanoise ............................ 22 • La volonté de reconstruire ..................................................................................................................................... 22 • La crise des années 1970 : le coup de grâce ................................................................................................... 23 • Le déclin de la Manufacture Nationale d’Armes de Saint-­‐Étienne ........................................................ 24 • Le déclin démographique........................................................................................................................................ 24 • « Une ville en friche » ................................................................................................................................................ 25

Chapitre 2 -­ Une reconversion difficile de la Manufacture d’Armes de Saint-­Étienne.27 Section I. La volonté de reconversion d’un maire « bâtisseur » .................................................... 27 • Une pluralité d’initiatives locales autour du design .................................................................................... 28 • 1998 : La première Biennale Internationale du design ............................................................................. 31 • Emergence du projet de Cité du design ............................................................................................................ 31 • Le soutien des partenaires publics ..................................................................................................................... 33 • Une décision vue par le prisme des « fenêtres d’opportunité politique » ......................................... 34 • Un geste architectural fort pour ancrer la Cité dans la ville .................................................................... 38

Section II. L’implantation difficile de la Cité du design ..................................................................... 40 • Historique du conflit ................................................................................................................................................. 42 • La thèse de la sélection mémorielle ................................................................................................................... 47

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• Une gouvernance patrimoniale encore naissante ........................................................................................ 48 • L’État condamné et la prise de conscience patrimoniale .......................................................................... 50

Partie 2 -­ Quelle « ville créative » pour Saint-­Étienne ? ............................................... 52 Chapitre 1 -­ Le design comme « avantage métropolitain » ...................................................53 Section I. Un héritage industriel au service de l’économie créative ............................................ 53 • Lien historique entre art, enseignement et industrie................................................................................. 53 • L’héritage industriel comme outil de légitimation de l’action publique............................................. 55 • L’appropriation collective d’un nouveau récit sur le territoire.............................................................. 56

Section II. Saint-­‐Étienne, ville Unesco de design du réseau des villes créatives.................... 60 • Le design, un positionnement stratégique efficace ? .................................................................................. 60 « L’approche par le gouvernement » .................................................................................................................... 60 « L’approche par la consommation » ................................................................................................................... 61 « L’approche par la production » ........................................................................................................................... 61 • La Cité du design : un équipement culturel catalyseur de développement ? ................................... 62 • De la reconnaissance................................................................................................................................................. 65 • Un volet économique qui reste encore à développer ................................................................................. 67

Chapitre 2 -­ Le quartier créatif de la Manufacture-­Plaine Achille: symbole du renouveau stéphanois? .........................................................................................................................69 Section I. Un quartier créatif déconnecté de la ville ........................................................................... 71 • Un quartier en manque de « vie » ........................................................................................................................ 71 • Un quartier essentiellement tourné vers l’extérieur .................................................................................. 73

Section II. Un quartier en mutation ........................................................................................................... 77 • Actions de la Cité......................................................................................................................................................... 77 Actions en direction des scolaires et des publics éloignés ......................................................................... 77 Actions en direction des usagers du quartier................................................................................................... 79 Développement territorial : Design management et Biennale Off .......................................................... 79 • Une plus grande participation citoyenne dans la requalification du quartier................................. 80 • La « dynamisation » par l’aménagement........................................................................................................... 81 Le Mixeur.......................................................................................................................................................................... 82 La Comédie ...................................................................................................................................................................... 83 La disparition des frontières naturelles.............................................................................................................. 84 • La « dynamisation » par la coopération entre les acteurs culturels...................................................... 86

Conclusion ...................................................................................................................................... 89 Bibliographie................................................................................................................................. 96 Annexes ........................................................................................................................................... 98 Table des annexes .............................................................................................................................................................. 98

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Annexe 1: Liste des entretiens ........................................................................................................................... 99 Annexe 2: La Manufacture d’Armes de Saint-­‐Étienne (1866-­‐1868)................................................101 Annexe 3: Proposition de repositionnement de la Cité du Design et du projet architectural Finn GEIPEL des Amis du Vieux Saint-­‐Étienne ..............................................................................................102 Annexe 4: Rapport Unesco sur Saint-­‐Étienne............................................................................................105 Annexe 5: Les Cahiers du Tourisme, Janvier-­‐Février 2014 .................................................................109 Annexe 6: Plan du quartier Manufacture-­‐Plaine Achille.......................................................................110 Annexe 7: Extraits de la synthèse de l’opération « Tous dehors ! » de l’association Carton plein

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Table des matières .................................................................................................................... 117 Résumé .......................................................................................................................................... 120

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Résumé

Ce mémoire étudie à travers l’histoire de Saint-Étienne, l’appropriation par cette ville de la notion de « ville créative ». Saint-Étienne est une ville au passé industriel très marqué et qui a subi violemment la désindustrialisation des années 1970. En quête de modèles de développement qui l’aideraient à se relever de cette crise, les élus locaux choisissent de se tourner vers la culture et plus particulièrement vers le design. Celui-ci devient un véritable levier de développement notamment grâce à la Biennale Internationale du design, créée en 1998 et à la Cité du design, créée en 2005 et inaugurée en 2009. Dans la même dynamique, la Manufacture d’Armes de Saint-Étienne, sur laquelle la Cité est implantée, fait l’objet d’un grand plan de réhabilitation qui a pour objectif la création d’un quartier culturel : le quartier créatif de la Manufacture-Plaine Achille. Créé pour suivre des modèles de quartiers culturels dans d’autres villes créatives, celui de Saint-Étienne ne connaît pourtant pas le même succès. Il est critiqué pour être un objet de marketing urbain complètement déconnecté de la ville et de ses habitants. Face aux limites de la reproduction du modèle de la ville créative, les acteurs politiques et culturels se le réapproprient en trouvant des solutions telles que la participation citoyenne ou la création de nouveaux partenariats entre les structures culturelles. Ce travail tente de déterminer comment le concept de « ville créative » a amené Saint-Étienne a repenser la conduite de ses politiques publiques locales, notamment culturelles. Mots clés : Saint-Étienne, ville créative, quartier culturel, cluster culturel, friches industrielles, design, Cité du design, Biennale Internationale du design

Photo de couverture : TRANDSNOW, Cité du design à Saint-Étienne [en ligne]. 2009. Disponible sur : <http://www.trendsnow.net/2009/12/cite-du-design-a-st-etienne.html/cite-dudesign-st-etienne04>. [Consulté le 28 mai 2014].

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