L'architecture comme expérience: SANAA - PETER ZUMTHOR

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INTRODUCTION

Dans une perspective phénoménologique de l'architecture - conçue, perçue, vécue -, le corps du sujet est au centre de l'espace (objet) et de sa lecture. Il semblerait donc que le corps et ce qui l'anime donne sa dimension et sa signification aux espaces via le phénomène de perception. Si la phénoménologie se définit comme la compréhension de l'essence des choses par la conscience, elle pose la question de l'être là non comme une simple présence physique au monde, mais relevant de l'existence (mettant en jeu le vécu émotif de chacun). La perception prend pour objet le sujet, elle n'est pas qu'un champ visuel qui ne prend en compte que l'apparition de l'objet en tant que tel. Si nous transportons de l'émotion en tant qu'êtres sensibles, le regard que nous portons sur les choses peut dépasser leurs limites physiques, et ainsi ne pas être rattaché à un langage, une représentation : c'est de l'émotion. La phénoménologie vient d'un trouble animé par une expérience. Bachelard, dans La Poétique de l'espace, souligne ce phénomène qui ne considère pas l'espace comme une entité prédéfinie. Pour lui, "la maison vécue n'est pas une boîte inerte. L'espace habité transcende l'espace géométrique", en ce sens que le simple phénomène de perception fait exploser les limites du réel (ou en tous cas le module par une conscience qui le reçoit). A partir du moment où il y a expérience, il y a subjectivité, émotion, donc interprétation du réel. De cette manière, on peut distinguer le il y a (constitutif de la matière même du réel) du j'y suis (faisant intervenir le sujet, son corps et toute la sphère émotionnelle qui accompagne sa perception du il y a). L'espace du il y a prend donc sens par le j'y suis du corps qui le pénètre, qui l'interprète. On pourrait trouver dans la littérature de nombreux exemples de déformation des formes et des espaces physiques par la perception mentale du sujet. Sartre, dans La Nausée, fait dire à son personnage principal Antoine Roquentin: "Je ne sais si le monde s'est soudain resserré ou si c'est moi qui met entre les sons et les formes une unité si forte." Chacun sait ici que le 1


monde physique est resté le même. Seulement, le sujet a mentalement modifié cette réalité par les sentiments, sensations qui l'habitent. De la même manière, Boris Vian, dans l'Ecume des jours, fait se contracter l'espace: "L'escalier diminuait brusquement de largeur à l'étage de Colin et Isis pouvait toucher à la fois la rampe et la paroi froide sans écarter les bras. Le tapis n'était plus qu'un léger duvet couvrant à peine le bois." La difficulté du personnage à monter l'escalier est renforcée par la narration qui nous fait percevoir une modification surréaliste de la forme de l'espace (ici, de l'escalier). On peut donc se demander fondamentalement dans quelle mesure ce phénomène de perception, subjectif, intervient dans l'architecture. En tant que concepteur, l'architecte ne peut ignorer ce phénomène qui lui échappe a priori, puisqu'il dépend de l'expérience et de l'affect de chacun. La question qu'il nous intéresse de poser ici est de savoir dans quelle mesure le processus de conception de l'architecture change en fonction du degré de prise en compte du phénomène de perception par l'architecte. Quand en est-t-il alors de la nature des espaces si l'on considère le visiteur perméable à des perceptions préétablies a priori par l'architecte (au sein du concept) ou au contraire libre de recevoir les espaces à travers ses propres perceptions (le percept est alors dépendant du sujet seul, et n'appartient plus du tout à l'architecte : il est laissé libre au sujet pénétrant l'architecture). On peut donc dégager deux manières de faire l'architecture (partant du concept (fixant la perception) ou du percept) que nous allons tenter d'élucider à travers les exemples des architectes Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa, formant l'agence SANAA et Peter Zumthor, l'un créant des espaces flexibles laissant libre une appropriation sensible par le visiteur, l'autre fixant des ambiances très particulières faisant appel de manière très forte à la perception du sujet. Même si, dans les deux cas, l'objectivité de la perception n'existe pas, celle-ci semble être beaucoup plus contrôlée par l'architecte dans le cas de l'architecture de Peter Zumthor que chez le groupe Sanaa qui ne fait que tendre la perche à la sensibilité de chacun...

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SANAA: la perception à posteriori

Les architectes Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa inscrivent au sein du groupe SANAA une réflexion du "more for less", autrement dit du plus pour le moins, dans une époque où la surenchère formelle semble prôner dans la production architecturale. Cette école de pensée est intimement liée à la culture japonaise et aux figures incontournables de Toyo Ito et Kengo Kuma, dont l'un des derniers ouvrages, anti-object, dénonce des attitudes actuelles trop subjectives. La conception architecturale du duo n’a pas fait l’objet d’écrits ou de manifeste. Aucune publication ne vient relater un quelconque positionnement théorique. Pour comprendre une pensée, ici celle de SANAA, il s'agit alors d'observer l'œuvre afin d'en extraire l'essence. Dans le contexte de la production architecturale actuelle, il est donc permis d'affirmer qu'au culte de l'objet, SANAA répond par l'évanescence. Chaque édifice illustre une esthétique de la disparition et s'offre comme un subtil compromis entre la création d'un espace et d'une enveloppe. L'ensemble se caractérise par une blancheur immaculée ou encore par une transparence jouant de quelques effets de miroitement. En toute logique, Lord Palumbo, président du jury du prix Pritzker en 2012, reconnaît une architecture "à la fois délicate et puissante, précise et fluide, [...] où chaque projet interagit avec son contexte et les activités qu'il contient et ce, en révélant une forme de plénitude". Dès lors, matière et volume sont réduits jusqu'à être virtuellement éliminés. Leur présence s'efface et les espaces donnent ainsi une impression de lumière et de fluidité. La simplicité apparente propose ainsi de renoncer à tout excès de matière, caractéristique de l'architecture nippone qui s'inspire ainsi du No, définit par Kengo Kuma 3


comme "un mouvement libre entre les mondes de l'immatérialité et de la matérialité, entre la vie et la mort". L’architecture de Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa est dès lors éminemment japonaise. De fait, il est encore un aspect qui rattache sans conteste l’œuvre de SANAA à la culture nippone: l’incarnation du concept de dislocation. "Cela veut dire qu'il y a toujours des lieux, mais aussi d'autres espaces que des lieux, de l'espace entre les lieux et que, par conséquent, les lieux bougent, flottent, ne restent pas stables. La dislocation est une critique du lieu, en ce sens qu'elle met les lieux en état critique", écrit Benoit Goetz, philosophe, auteur de La Dislocation, architecture et philosophie. Des projets tels le O-Museum d’Iida ou le Rolex Learning Center de Lausanne révèlent une autonomie vis-à-vis du sol. Sur pilotis ou sur vagues, les deux bâtiments défient tant que possible l’inertie. Quant aux notions d’éphémère et d’évanescence, elles sont illustrées par nombre de réalisations se dérobant non plus au sol mais à la vue (New Museum of Contemporary Art, Christian Dior Building), à la matière (Zollverein School of Management and Design), ailleurs, tout simplement, aux murs ou, pour reprendre le terme de Benoît Goetz, à la "muralité" (Glass Pavilion, Toledo Museum of Art). Désarrimée, l'architecture de SANAA flotte, légère. La minimisation est au service d'une mise en tension entre matérialité et disparition, et chaque réalisation se révèle limpide comme une évidence. En fait, au-delà de la critique et de la mise en tension de la matérialité et de l'évanescence, il faut entendre le rapport de l'architecture au temps et à l'espace. De l'éternel à l'éphémère, de l'ancrage à la désolidarisation du sol. C'est au sein de cette esthétique de dématérialisation que se place la perception du visiteur dans l'architecture de SANAA. Celle-ci est libre, comme l'est l'espace. La fluidité qu'offre ce type de spatialité ne fige pas la sensibilité du sujet, elle la provoque seulement, lui donnant les ressources de son développement et de son épanouissement. Ainsi, la perception est entièrement subjective, elle n'appartient pas aux architectes ni au concept. Elle est pure percept, et intervient a posteriori dans le processus de conception, au moment particulier de l'expérimentation de l'espace par le corps. 4


L'espace ici est un prétexte, pas une fin. Il est le moyen d'accéder à des états émotionnels propres à chacun, variant dans le temps et selon les individus. Le sujet est placé dans un état de solitude où l'architecture "glisse" en lui en même temps qu'il la pénètre. Cette souplesse dans la conception confère un caractère fort d'appropriation potentielle par le visiteur. Dénuée de faux artifices, l'architecture de SANNA joue subtilement sur des effets visuels qui stimulent l'imaginaire du sujet. Les ambiances existent, même si elles ne sont pas physiquement figées. Elles suggèrent un monde mental que chacun s'approprie comme il l'entend. La transparence des espaces fait appel à notre propre espace mental. "Ce que je perçois à l'extérieur est ce que je vis à l'intérieur", souligne Louis-Antoine Grégo, architecte chez SANAA. Il s'agit bien là d'un monde intérieur qui est sans cesse stimulé par l'architecture des concepteurs. Au lieu d'en imposer l'esprit, ils suggèrent un état. Les racines japonaises de SANAA ne sont pas innocentes dans cette vision de la spatialité. Elle vient de l'intérieur, elle est flexible, et caractérise de la même manière la perception du sujet qui la pénètre.

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PETER ZUMTHOR: la perception à priori

La théorie appliquée par les japonais Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa, et le rapport qu'ils installent entre le corps et les espaces architecturaux qu'ils conçoivent peut être confronté au travail du suisse Peter Zumthor.

En effet, celui ci adopte une démarche radicalement différente. Si SANAA conçoit ses projets en partant du percept, Zumthor, au contraire se base sur le concept. Ainsi, la perception de l'espace par le corps est figée, prévue, organisée dès la conception du projet. Contrairement à l'architecture de SANAA qui, on l'a vu, permet une perception personnelle et flexible du visiteur, le Tessinois met en place dans son architecture une série de dispositifs architecturaux et spatiaux destinés à provoquer une sensation chez le percepteur. Celui-ci n'a pas la pleine appartenance de sa réaction immédiate au contact de l'architecture: il la subit plus qu'il ne la crée, l'architecte ayant prévu et anticipé cette perception. Peter Zumthor évoque particulièrement ces dispositifs dans Atmosphères1, qu'il a publié en 2008. En effet, à travers neufs points, il explicite sa pensée et son processus de conception. Une étude synthétique de cet ouvrage peut éclairer sa théorie et permettre de mieux comprendre son point de vue vis-à-vis de la question qui nous intéresse ici: la phénoménologie de l'espace. Toutefois certains chapitres ont un lien plus lointain avec le sujet. Ces neuf points formant un tout, nous ne pouvons en éluder, mais insisteront plus particulièrement sur les points évoquant l'expérimentation de l'espace par le corps et l'usage.

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ZUMTHOR Peter, Atmosphères, Berlin, Birkhäuser, 2008.

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Le premier concerne le corps de l'architecture: pour lui, l'architecture doit être pensée comme un corps humain, avec ses différentes parties le constituant (le squelette structurel, l'enveloppe, les membranes...).

Le second point évoque l'harmonie des matériaux, c'est à dire l'art de mêler les matériaux afin qu'ils s'accordent entre eux et que la composition "donne naissance à quelque chose d'unique". Les matériaux par leurs qualités intrinsèques (dureté, souplesse, sécheresse, tendresse...) contribuent à orienter la perception du visiteur.

Il évoque ensuite le son de l'espace. Pour lui, le son permet au visiteur de se remémorer son propre passé, d'agir comme une "madeleine de Proust" et donc de provoquer une sensation immédiate et non contrôlée par le visiteur.

Le quatrième point est consacré à la température de l'espace. Par sa forme, les matériaux qui le composent, leur harmonie, leur mise en œuvre, l'espace architectural possède une température déterminée, créant là encore une sensation déterminée pour le visiteur. Ainsi, pour Zumthor, à l'intérieur du Pavillon Suisse à l'exposition universelle de Hanovre 2, construit entièrement de clins d'épicéa finement espacés les uns des autres, "il fait aussi frais qu'une forêt". Ces deux derniers points incluent donc d'autres sens que la vue: le toucher, et l'ouïe, enrichissant ainsi la perception corporelle.

Dans le cinquième chapitre, Zumthor s'intéresse aux objets qui m'entourent. Les objets peuvent provoquer une réaction immédiate chez le visiteur et ainsi caractériser l'espace. Il considère que dans la conception d'un projet, ces objets connus, traces d'un vécu, doivent être pris en compte pour que l'espace soit en harmonie avec ses utilisateurs.

Le sixième chapitre s'intitule entre sérénité et séduction. Il s'applique tout particulièrement à la phénoménologie de l'espace qui nous intéresse ici. En effet, le visiteur se déplaçant dans

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l'architecture, il crée une quatrième dimension de l'espace. L'architecture pour Zumthor n'est donc pas seulement un art de l'espace mais également un art du temps, c'est à dire du déplacement. Le travail de l'architecte réside donc dans l'organisation de ces déplacements. Par des tensions, des dilatations de l'espace, en créant par la forme, les matériaux, leur mise en ouvre des espaces accueillants ou repoussants, Zumthor induit une réaction chez le visiteur qui l'espace d'une certaine manière. Cependant, Zumthor insiste sur le fait que cette organisation de la perception doit rester inconsciente chez le visiteur et surtout jamais autoritaire et trop directive. Pour la notion de flânerie demeure au cœur de sa conception, de point de vue il se rapproche de SANAA, mais s'en diffère par l'organisation subtile de cette flânerie.

Le septième chapitre s'intéresse à la tension entre l'intérieur et l'extérieur et s'intéresse au visage que montre une architecture au monde, et le rapport qu'entretien l'enveloppe avec le sujet. Elle peut en effet rassembler ou au contraire isoler. Le rôle de l'architecte est là encore prédominant. Si SANAA ouvre ses bâtiments et semblent abolir la cloison comme fermeture spatiale, Zumthor joue beaucoup plus sur des espaces ouverts ou fermés pour différencier les rapports qu'entretiennent les visiteurs avec l'espace architectural. Le cas du Pavillon de la Serpentine Gallery3, installé éphémèrement chaque été au Kensington Gardens, à Londres, est particulièrement intéressant puisque SANAA comme Zumthor l'ont conçu; en 2009, pour les Japonais et en 2011, pour le Suisse. Sejima et Nishizawa, ont proposé une simple couverture réfléchissante, ondulant pour ne pas perturber les arbres présents sur le site, et portée par de fins poteaux quasiment inexistants; Zumthor lui a adopté une démarche radicalement différente. Son bâtiment présente un visage très silencieux vers l'extérieur; ce monolithe noir à peine percé semble plus vouloir repousser qu'accueillir. Seuls les chemins d'accès ondulant à travers la pelouse, invitent le visiteur, curieux, à entrer dans l'obscurité que présentent les deux entrées en chicane, très étroites, que l'on ne peut arpenter qu'individuellement. Le visiteur, après avoir franchi cet "obstacle", après avoir expérimenté l'espace par phases successives (la nature du parc, les chemins ondulant qui conduisent aux entrées, les entrées

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en chicane avec des vues successives se dégageant et engageant le corps), arrive au cœur du pavillon, composé d'un jardin très ouvert et fleuri, bordé par une déambulation protégée par un débord de toit important, garantissant une ombre permanente propice à la pause. Nous constatons donc que quand SANAA propose un espace extrêmement ouvert où le visiteur est maître de ses déplacements et de la position de son propre corps dans l'espace, Zumthor lui dicte le parcours au corps, induit une certaine façon d'arpenter son architecture, crée des lieux où on se déplace, des lieux où on s'assoit...

Ensuite, Zumthor évoque les paliers d'intimité qui induisent un rapport entre le corps et diverses notions comme la taille, la masse, l'échelle... Ainsi il prend pour exemple l'objet porte qui en jouant sur la hauteur, la lourdeur ou la légèreté, l'épaisseur etc... change la perception que l'on en a, en mettant en scène le passage. Ainsi, la porte de la Chapelle Saint Nicolas de Flue, à Mechernich en Allemagne4, de forme triangulaire et inscrite dans un rapport de monumentalité avec le mur en béton aveugle où elle est inscrite, évoque immédiatement une perception corporelle très maitrisée, sacralisant l'accès au lieu de culte et induisant une verticalité du regard un fois le passage à l'intérieur accompli.

Enfin, dans un dernier point, Zumthor s'intéresse à la lumière sur les choses. En effet, c'est la lumière qui sublime les espaces et les matériaux, créant des ombres et donc du relief et de la profondeur. La lumière, naturelle ou artificielle, doit être domestiquée afin de révéler au mieux toutes les qualités d'un espace ou d'un matériau. Zumthor déclare "Penser d'abord le bâtiment comme une masse d'ombre et placer ensuite les éclairages comme par un processus d'évidement.". On voit donc que là encore, Il ne laisse rien au hasard et à la perception personnelle du visiteur. Il orchestre lui même dans le moindre détail la perception qu'on aura des choses en arpentant son architecture, en mettant l'accent par la lumière sur telle ou telle caractéristique et créant ainsi différentes ambiances.

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A ces neuf leçons explicitant "la magie du réel, Zumthor ajoute 3 appendices. Si les premier et troisième point ne concerne ici que plus lointainement notre question, le deuxième éclaire de façon intéressante le point de vue de Zumthor.

Le premier concerne l'architecture comme environnement, c'est à dire le fait que l'architecture doit se situer dans le lieu, doit l'habiter, de telle sorte qu'elle marque les gens qui la côtoient, mais plus de façon inconsciente qu'étudiée.

Le dernier point, la belle forme, stipule qu'en plus des points précités, la forme doit être belle et susciter des sensations. Tant que tous les points n'auront pas été pris en compte, le projet architectural ne pourra pas être réussi. C'est le principe de la Slow Architecture

Le deuxième point, celui qui nous intéresse particulièrement, s'intitule consonance. Pour lui l'architecture ne doit pas être seulement formelle. Sa beauté se révèle surtout par son usage, les sensations qu'elle suscite: "Pour moi le plus grand compliment, est quand tout s'explique par l'usage". Pour Zumthor, clairement l'espace, s'arpente, se découvre, s'expérimente, se divise et rassemble; en aucun cas ne se donne à voir entièrement dès la première découverte comme ca peut être le cas chez SANAA. A travers l'étude de cet ouvrage, on comprend donc mieux que Zumthor s'applique dans son architecture à fixer préalablement une perception chez le visiteur. D'ailleurs, Brigitte Labs-Ehlert, dans la préface d'Atmosphères, écrit "Peter Zumthor apprécie les lieux et les maisons où l'être humain se sent en bonnes mains, qui lui fournissent un habitat agréable et le soutiennent discrètement.". Il cherche donc une certaine "passivité" du sujet dans l'espace, et soutient l'idée d'un certain confort offert par l'architecture qui permet au visiteur de se laisser guider, sans avoir l'obligation de prendre des initiatives personnelles.

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CONCLUSION

Ces deux regards d'architectes croisés, a donc permis d'apporter deux réponses différentes à la question de la place du corps dans l'espace, et de sa liberté de perception.

Chez le Tessinois Peter Zumthor, on a donc vu qu'il avait soin de satisfaire chacune des douze notions décrites dans Atmosphères , pour considérer un projet accompli. Grâce à la mise en place de dispositifs architecturaux précis et à la création d'ambiances, d'atmosphères spécifiques, il organise la perception du visiteur, dès la conceptualisation. Au contraire, les Japonais de l'agence SANAA, s'inscrivant dans une tradition japonaise du more for less, développent une architecture légère évanescente, laissant les pleins-pouvoirs de la perception et de l'expérimentation spatiale par le corps au visiteur lui même. Ainsi, dans un cas, la notion de perception intervient à priori, dès la conception alors que dans le second, elle n'intervient qu'à posteriori, par le biais de l'expérimentation corporelle.

Les deux points de vues explicités ici ont donc apporté deux visions différentes de la question de la relation de la perception corporelle à l'espace architectural. En existe-t-il d'autres? Certainement, cette étude ne se veut pas exhaustive mais plutôt un dialogue entre deux réponses à un problème semblable. Ainsi, une autre réponse pourrait être celle apportée par Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal. Ils créent, en effet, des espaces dotés de qualités, d'ambiances, mais sans en préciser et fixer l'usage, créant ainsi des espaces capables aux fonctions variantes et éphémères tels les plateaux de l'école d'architecture de Nantes. La perception peut être libre et laissée au libre arbitre du visiteur quand ces espaces sont vacants et inutilisés ou au contraire fortement habités et où la perception est organisée quand ils sont le théâtre d'activités définies : lieux d'exposition, d'examens, espaces de détente, de rassemblement de foule, terrains de sport... Dans le premier cas, on peut y voir un lien avec la théorie de SANAA, quand la deuxième pourrait se rapprocher de celle de 11


Zumthor. Attention toutefois, puisque dans ce dernier cas, la perception n'est pas organisée à priori par l'architecte lors de la conception mais ceux ci créent des espaces souples et flexibles, laissant l'usage libre aux acteurs, aux habitants de l'espace architectural. Ce sont ceux-ci en décidant d'installer un usage donné dans ces espaces qui en organisent la perception.

On se rend donc compte qu'il existe différentes manières d'aborder la perception par le corps de l'espace architectural. Cependant, on peut légitimement se demander également si tout espace architectural amène le corps a développer une perception. Existe-t-il des bâtiments totalement silencieux? L'aperception existe-t-elle en architecture? Une architecture évanescente, légère ou minimaliste pourrait à première vue le laisser penser. C'est pourtant alternativement le cas de l'architecture de SANAA et de Zumthor. Or, on vient d'expliciter la richesse de leur réflexion face à cette question. La complexité de la question mérite donc une réflexion autre.

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BIBLIOGRAPHIE

. BACHELARD Gaston, La poétique de l'espace, Paris, Presses Universitaires de France, 1958. . MERLEAU-PONTY Maurice, Phénoménologie de la perception, Paris, Galimmard, 1997. . SARTRE Jean-Paul, La Nausée, Paris, Gallimard, 1938. . VIAN Boris, L'écume des Jours, Paris, Gallimard, 1947. . ZUMTHOR Peter, Atmosphères, Berlin, Birkhäuser, 2008. . ZUMTHOR Peter, Penser l'architecture, Berlin, Birkhäuser, 2010.

. reportage "Peter Zumthor, les thermes de Vals", réalisé par Richard Coppans et Stan Neumann, série Arte architecture. . Conférence de Peter Zumthor, au Centre Pompidou, Paris. 19.05.2011 . Conférence Insular Insight, en présence entre autre de Kazuyo Sejima, Ryue Nishizawa, Anne

Lacaton, Jean Philippe Vassal, au Palais de Tokyo. 10.12.2012

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