Une histoire du design scandinave

Page 1


Couverture (de haut en bas et de gauche à droite) : Hans Wegner, Finn Juhl, Verner Panton, Charles Eames, Bjarke Ingels, Poul Henningsen, Ilkka Suppanen, Poul Kjærnholm, Gubi Olsen, Arne Jacobsen, Kim Herforth Nielsen, Ingererd Raman, Space Copenhagen (Signe Bindslev Henriksen et Peter Bundgaard Rützou), Maija Isola, Vilhelm Lauritzen Arkitekter, Eero Saarinen, Georg Jensen, Nanna Ditzel, Alvar Aalto, Tapio Wirkala, Peter Bang et Svend Olufsen, Jacob Jensen.

HISTOIRE DU DESIGN SCANDINAVE Merci à Sophie Chauveau pour son enthousiasme et sa erci àainsi Sophie Chauveau pour m’avoir laissé confiance, qu’à Henrik Marstrand, pour son accueil faire ce rapport en autonomie et à distance, et et sa collaboration. encore merci à Henrik Marstrand pour son accueil et sa collaboration.

M

Clément MALINSKI

Clément MALINSKI


07

SOM MAIRE IN TRO DUCTION

08

22

ORIGINES ET EMERGENCE

DU COURANT

38

H I STO I R E

GEOGRAPHIE &

SPECIFICITES

10LE DANEMARK 11LA SUEDE 12LA NORVEGE 13LA FINLANDE 14L’ISLANDE

16

24 30-50 L’AGE D’OR : LES

ANNEES

PRINCIPES

FONDAMENTAUX DU DESIGN SCANDINAVE 16LE CONCEPT 21L’ENSEIGNEMENT

32

60 - 80 CRISE D’IDENTITE : LES ANNEES

36LA PANTON CHAIR

LE GRAND RETOUR LES ANNEES

16LE CAS D’IKEA

42

90

56

CONCLU

SION

LE DESIGN SCANDINAVE AUJOURD’HUI

44L’EXEMPLE DE GUBI 46ITW HENRIK MARSTRAND

48

L’AUTRE DESIGN

SCANDINAVE 48L’ARCHITECTURE 52LA MODE 54LE GRAPHISME


INTRO DUCTION A

ujourd’hui bien connu, le design scandinave représente en effet un pan gigantesque et très riche de l’histoire de design en général, et encore aujourd’hui en constante mutation. « Souvent imité, mais jamais égalé » est sans doute un des nombreux qualificatifs employé pour le décrire, les scandinaves ayant ce don pour allier esthétisme et fonctionnalité pour les objets du quotidien. Ils ont été, et sont encore aujourd’hui, simplement imités par certains, mais d’autres, plus constructifs, y puisent leur inspiration afin d’insufler une dynamique unique à leurs créations. Cette esthétique si particulière, inspirée de la nature, fait aujourd’hui de tous ces objets des pièces maîtresses, très recherchées et appréciées des connaisseurs. Mon ambition dans ce travail, est de montrer l’évolution qu’a suivie le design scandinave au fil des années, et même des siècles, et de l’illustrer d’une riche sélection des objets phares qui ont marqué cette histoire. Nous verrons également que le design scandinave n’est pas présent uniquement dans le design produit, mais que son influence est présente aussi en architecture par exemple, afin de comprendre qu’il ne s’agit pas d’une simple recette de « bonne esthétique ou de « bonne conception». Car même si effectivement, les meilleurs produits laissent apparaître les mêmes codes et lignes directrices, il s’agit en réalité d’un procédé un peu moins scientifique qu’il n’y paraît. Enfin, je souhaiterais apporter à ce travail, le recul et l’expertise que j’ai pu acquérir en la matière depuis que j’ai travaillé chez Mater et que je vis à Copenhague, ce qui nous permettra de nous intéresser au futur du design scandinave, et d’aborder des questions telles que l’héritage, et les directions dans lesquelles il s’engage.

MR55 : histoire du design Scandinave

7


Clément MALINSKI

HISTOIRE, GEOGRAPHIE, et spécificités

L

a Scandinavie telle qu’on la connaît aujourd’hui, est un patchwork de nations nord-européennes qui constituent une entité culturelle et régionale distincte du reste de l’Europe. Leur existence remonte à l’âge de pierre, bien qu’il n’en reste peu, voire pas de trace. Ce n’est cependant qu’au début de l’ère Viking (VIIIème-IXème siècles) que la Scandinavie s’est développée. Elle n’englobait alors que la Suède, la Norvège et le Danemark qui forment une unité ethnique et linguistique homogène, et ont d’ailleurs été regroupés sous la même couronne dans l’union de Kalmar de 1397 à 1529, avant de se séparer et de s’opposer dans de violents conflits. En effet, les pays scandinaves se sont souvent opposés entre eux au cours des XVIIème et XIXème siècle. Ils ont malgré tout sus se regrouper pour lutter contre d’autres nations, donnant lieu à plusieurs tentatives d’alliance, comme l’Union de Kalmar on l’a vu, mais aussi la Suède-Norvège, qui fut dissoute en 1905. Depuis cette époque, la Scandinavie demeure cet ensemble de nations indépendantes tel qu’on le connaît aujourd’hui. (cf. carte)

8

MR55 : histoire du design Scandinave

En général, on réunit donc sous le terme Scandinavie, le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège et la Suède. Mais seules ces deux dernières sont effectivement situées sur la péninsule scandinave. De manière plus précise, dans la région, on emploie pour désigner l’ensemble, le terme “Norden”, littéralement “le Nord”. Mis à part l’Islande qui se situe à un avant-poste isolé de l’Atlantique Nord, les quatre autres pays forment une entité territoriale qui s’étend sur 1900 kilomètres, de la frontière germano-danoise à l’extrême nord de la Norvège. Cela représente une surface plus grande que la France, la Grande-Bretagne et l’Espagne réunies, mais en terme de population, les chiffres s’inversent largement. Les vastes étendues du nord de la Finlande, la Norvège et la Suède étant abandonnées à la forêt et aux montagnes, tandis que l’Islande, terre volcanique, demeure majortairement inhabitable. Les Nordiques atteignent donc quelques 22 millions et vivent essentiellement le long des cotes ou dans les zones agricoles du Sud où sont établies la plupart des grandes villes.

Fig. 1 : Carte de la Scandinavie

Bien qu’il existe donc beaucoup de similitudes entre les pays scandinaves, au sens large du terme, ainsi que dans leur façon d’aborder le design, il demeure néanmoins des particularités stylistiques fortes. Elles s’expliquent entre autres, par des conditions industrielles, politiques, économiques et sociales différentes, mais également par des tempéraments fondatamentalement distincts. Comme le remarque Anne Stenros, analyste

du design : “sur le plan émotionnel, les Danois sont un peu plus “méridionaux”, les Finois un peu plus “orientaux”, les Norvégiens un peu plus “nordiques” et les Suédois s’en tiennent au juste milieu. Quant aux Islandais, ils demeurent profondément ancrés dans leurs spécificités.” Ces différences de caractère national ont pour conséquences des approches diverses en matière d’arts appliqués et un décalage historique dans l’apogée du design.

MR55 : histoire du design Scandinave

9


Clément MALINSKI

Le Danemark

L

e Danemark est devenu une référence esthétique incontournable pour une grande partie de l’Occident, lorsque le modernisme de son design s’est imposé sur la scène internationale. Mais si, en tant que nation maritime entretenant des relations commerciales avec l’Europe du Nord et de l’Ouest, les Etats-Unis et l’Extrême-Orient, le pays a toujours su exporter des éléments de sa culture. Il s’est tout aussi constamment

La Suède

montré réceptif aux idées nouvelles et aux impulsions venues de l’étranger. De l’âge des Vikings à aujourd’hui, l’évolution des arts appliqués et décoratifs au Danemark doit beaucoup aux talents spécifiques des créateurs danois, qui ont su emprunter à des sources étrangères des modèles fonctionnels et esthétiques, puis les repenser avec un grand savoir-faire en les adaptant à la rudesse des conditions nordiques. La tradition artistique qui fait la renommée du Danemark est née des contraintes de la pauvreté et du manque de matières premières, mais aussi d’un sens aigu de la nature. Par nécessité, les Danois ont développé une connaissance intime des ressources naturelles dont ils pouvaient disposer, à savoir le pierre, l’argile, le cuir ou le bois. Au cours des siècles, ils ont appris à en maîtriser l’utilisation. Dans le bâtiment et l’artisanat, les restrictions économiques les ont contraints à privilégier l’utilitaire et le durable par rapport au décoratif. D’où la simplicité, l’honnêteté et le respect de la fonction qui constituent les traits disctinctifs du design danois.

Fig. 2 : Carte du Danemark

10

MR55 : histoire du design Scandinave

L

e design suédois d’aujourd’hui est né d’un mouvement général d’éveil de la culture nationale et des puissants courants artistiques apparus vers la fin du XIXème siècle, au tournant du siècle et dans les premières années du XXème siècle. Ceux qui s’intéressent à son histoire s’arrêtent volontiers à deux dates emblématiques, 1930 et 1955. La première est l’année de la grande exposition de Stockholm et de la percée du fonctionnalisme. 1955 est l’année de la grande exposition d’ameublement de Helsingborg, H55, qui réunissait une grande partie de ce qui a fait le renom du design et des arts décoratifs suédois dans le monde. Aujourd’hui encore, H55 est une source d’inspiration pour beaucoup de jeunes. La spécificité du design suédois c’est la “lumière nordique“, reflétée dans les objets de tous les jours : formes simples, couleurs claires, fonctionnalité, meubles en bois blond, textiles à rayures ou à carreaux. Le design suédois est rarement surchargé, et d’une sobriété toute rationnelle. En effet, historiquement, la Suède, comme tous ses voisins a su sortir de son économie essentiellement rurale caractérisée par une grande pauvreté pour devenir une nation industrialisée hautement développée et dotée d’un système de protection sociale avancée. Ses habitants sont en général peu bavards, fiers, portés sur la tolérance, l’honnêteté et l’esprit communautaire. Ce qui fait également du design suédois un design étayé par la croyance en un devoir moral de produire des solutions capables de répondre à des besoins sociaux réels, à l’image de la recherche de pointe en matière de sécurité chez Volvo et la production de mobilier démocratique d’IKEA dont nous reparlerons plus tard.

Fig. 3 : Carte de la Suède

MR55 : histoire du design Scandinave

11


Clément MALINSKI

La Norvège

L

a Norvège, située à l’extrémité septentrionale de l’Europe, est une terre peu peuplée, faite de montagnes, de forêts denses et de fjords prodigieux. Jusqu’au XXème siècle, une grande partie de la population de l’intérieur vivait presque totalement isolée, dans les fermes dispersées le long des fjords et au creux des vallées. Souvent séparés par d’imposantes barrières naturelles, les groupes familiaux étaient forcés de vivre dans la solitude et en autarcie,

La Finlande sans beaucoup de contacts avec le monde extérieur. L’agriculture leur fournissait le strict nécessaire, mais il s’agissait d’une activité saisonnière, compte tenu des conditions climatiques. Pendant de longs mois d’hiver, ils disposaient de beaucoup de temps pour d’autres travaux, et de là est venue l’émergence de petites industries familiales, consacrées surtout à l’embellissement de l’environnement domestique, à la fabrication d’armes, d’outils et d’instruments agricoles, au tissage et à la broderie des textiles et du costume national. Inspirés non seulement des arts Vikings et de ceux du peuple nordique Sami, mais aussi de la riche palette des couleurs et de formes naturelles, les motifs et les dessins se sont transmis de génération en génération. Les Norvégiens sont un peuple fier dont le caractère a été forgé autant par l’héritage Viking et des siècles d’aventure maritime que par une histoire faite de misère matérielle et d’oppression étrangère. En effet la peur persistante d’une “danification” totale a aidé à renforcer les traditions populaires et entre autres la peinture de motifs floraux. On a donc assisté, après une longue lutte pour l’indépendance, au tournant du XIXème siècle, à l’épanouissment d’un romantisme national. dans les domaine de l’architecture et des arts appliqués.

Fig. 4 : Carte de la Norvège

12

MR55 : histoire du design Scandinave

E

ncadrée par la Norvège, la Suède et la Russie, la Finlande est l’un des pays du monde les plus septentrionaux et les plus reculés géographiquement (un tiers de ses terres se trouvent au dessus du cercle polaire arctique). Une grande partie du pays est recouverte de forêts de pins et de sapins, tandis que dans le sud prédomine une zone d’arbres à feuilles caduques où règnent essentiellement le bouleau, le tremble, l’érable, l’orme et l’aulne. Le pays compte également plus de 55000 lacs, de vastes régions de marais et de nombreux cours d’eau, et même si le paysage est essentiellement plat, il demeure d’une beauté saisissante, mais parfois austère. Le climat, fait essentiellement d’hivers longs et rudes et d’étés chauds et très brefs fait également de la Finlande un des pays les plus extrêmes de la Scandinavie.

que matérielle. A force de vivre si près de la terre, les finlandais ont développé un lien étroit avec la nature, qui s’en ressent dans le design par un respect intrinsèque pour les matériaux et un goût marqué pour les formes naturelles. C’est en raison de cette affinité presque mystique de ce peuple avec la nature, que le design finlandais a souvent été perçu comme l’expression la plus parfaite de “l’âme du Nord”.

Les Sami (peuple lapon), portent cependant une véritable vénération pour la beauté impressionante et superbement vierge du pays, où la nature fait qu’il est parfois dur de survivre et a toujours contraint les finlandais à avoir une approche innovante, pour résoudre les problèmes auxquels ils étaient forcés de faire face. Par ailleurs, une longue histoire de souffrance économique et le manque de moyens financiers pour les matériaux nécessaires à la construction des maisons et à la fabrication des outils ont engendré un sens inné de l’efficacité, tant formelle et fonctionnelle

Fig. 5 : Carte de la Finlande

MR55 : histoire du design Scandinave

13


Clément MALINSKI

L’Islande

L

’Islande, quant à elle, occupe une place un peu à part sur la scène du design scandinave. Située dans l’Atlantique Nord, entre la Norvège et le Groenland, l’Islande est un pays de contrastes. D’immenses glaciers s’étendent à perte de vue sur des pics montagneux, tandis qu’une intense activité géothermique en fait l’une des régions les plus volcaniques du monde. Ce qui la rend presque inhabitable, du moins en majorité. Cependant, l’Islande bénéficie d’un climat plus clément qu’on ne pourrait le croire, mais relativement instable, parfois même violent. De plus, l’occupation au IXème siècle, par des peuples nordiques vikings et celtes, cet envi-

ronnement exceptionnel et les difficultés qui en résultent pour la survie des habitants ont joué un rôle essentiel dans le caractère et le mode de vie du peuple islandais. Asdis OLAFSDOTTIR rappelle que ce pays n’a aucune tradition en matière de design, ce qui confère aux créateurs une liberté d’expression et un dynamisme nouveau. L’Islande est une terre de contraste. Le design islandais naît d’un profond respect de la nature. Résolument fétichiste, il est habité par la légende et développe une approche organique du design. Bouillonnant de forces créatrices, ce petit pays de 280 000 habitants apporte aujourd’hui un regard résolument original sur le design contemporain.

Fig. 6 : Carte de l’Islande

14

MR55 : histoire du design Scandinave


Clément MALINSKI

Principes FONDAMENTAUX DU Design Scandinave Fig. 7 : Exemples d’intérieurs blancs

Le Concept

O

n a pourtant essayé d’avoir sa peau en 1980 lorsqu’un groupe de designers s’est insurgé contre l’étiquette qui leur était collée d’office, en organisant les funérailles officielles de cette appellation d’origine non contrôlée. Mais le design scandinave a survécu au-delà du mythe, qui véhicule l’image d’une bande de géants blonds qui fabriqueraient tous des meubles minimalistes, invariablement faits d’un bois aussi clair que leur chevelure. Les

16

MR55 : histoire du design Scandinave

clichés ont la peau dure, c’est vrai, mais la vision des gens change, heureusement. Il est temps d’oublier que le goût scandinave imposerait le blanc, l’épure, les couleurs et matières naturelles (le bois, l’acier, le cuir, le coton, la laine feutrée). Peut-être un plaid de laine coloré ou une peau de bête comme seule fantaisie, en résumé, un style glacial, souvent élitiste, mais à la personnalité fade.

Alors même si des radicaux existent (Fig.7), évidemment, en réalité, ce n’est pas ça du tout, et Viveca Olsson le souligne très bien dans une interview : «Chez nous, on mélange des objets achetés chez IKEA à des pièces de design iconique ou de créateurs contemporains et émergents. Il n’y a pas d’erreur de goût, c’est une question de personnalité. On privilégie les produits “solitaires”, qui marchent tout seul, sans contexte – mais qui, mis ensemble, créent un style: c’est ça, l’identité scandinave. Un “mix de solitaires”! C’est la vraie différence. Le design français est plus décoratif, va vers un ensemble plus coordonné, en réalité, que dans les pays scandinaves.» S’il y a bien un qualificatif qui colle au design scandinave, c’est le fonctionnalisme. Fonctionnalisme social même. En effet, on l’a déjà évoqué, le caractère proche de la nature et de l’humain ont joué un rôle primordial dans le développement du design tel qu’on le connaît, et nous avons pu

remarquer qu’il en va globalement de même dans tous les pays scandinaves. Des formes simples, élancées et sans superflux, sont les attributs et atouts de ce courant. Fonctionnaliste donc, car la fonction prime. Son respect est essentiel à tout produit, et puisque cela représente les 90% de la démarche de création, la forme va seulement venir s’adapter, compléter le travail pour former un produit simple et cohérent. Les scandinaves tirent, en partie, cette notion de l’étroite relation qu’ils entretiennent avec la nature, sauvage, qu’ils arrivent malgré tout à utiliser sans jamais détruire. On utilisera aussi le terme organique, mais cette notion rejoint à mon sens l’aspect fonctionnaliste, puisqu’il traduit volontiers l’harmonie avec la nature et l’humain, qu’il ne fait donc que suivre. la notion de bon sens, une notion intrinsèque au design nordique.

MR55 : histoire du design Scandinave

17


Le fait que l’industrialisation des pays scandinaves ait été tardive, explique en partie que le design demeure attaché à une production artisanale et de ce fait, à une certaine forme de bon sens présent dans la tradition fonctionnaliste qui soit dit en passant, a toujours accompagné l’humanité dans son développement culturel et technique. Philippe Menager fait observer que si le design nordique a appliqué les principes fonctionnalistes, sans attendre que le Bauhaus les érigent en principes philosophiques, il en propose une version corrigée, leur apportant certains éléments spécifiques : une conception

plus organique de la forme, et un réel intérêt pour la relation qui existe entre la forme et les matériaux. Les lignes dures, froides, des meubles allemands ne correspondent pas à l’esprit scandinave, notamment danois. En effet, le design danois remonte plus loin dans le temps. On le verra par la suite, pays d’ébénistes fortement influencé par les arts décoratifs britanniques du XVIIIème siècle et attaché au travail artisanal, le Danemark a adapté le fonctionnalisme plus qu’il ne l’a adopté. En insistant sur la qualité de l’exécution et le souci du détail auquel il associe un sens particulièrement développé de la matière.

Fig. 8 : Poul Kjærholm, la chaise longue PK24 et les chaises PK9.

La densité, la texture, la qualité de surface du bois ou du métal comptent autant que la forme. Les créations en acier de Poul Kjærholm, ébéniste de formation, témoignent de ce travail sur la sensualité de la matière. La perception des objets ne relève pas uniquement du regard. Elle fait appel à tous nos sens. Ces

observations conduisent Philippe Menager à qualifier le design nordique de «minimalisme sensuel», balayant ainsi toutes les idées reçues. Les pays scandinaves ont développé une nouvelle forme de fonctionnalisme, un fonctionnalisme romantique, humain, social.

MR55 : histoire du design Scandinave

19


Clément MALINSKI

Social, d’une part, car encore artisanal. C’est dont le respect du travail de l’artisant, du façonnage manuel, qui est mis en avant. Alors évidemment, les plus grandes entreprises fabriquent industriellement, mais cela ne veut pas dire pour autant que ce sont systématiquement des machines qui travaillent. Et il y a encore, de plus petites structures, qui elles, fabriquent réellement de façon artisanale, des pièces d’exception. Il est donc intéressant de noter que le respect de la tradition, et du savoir-faire n’ont jamais vraiment quitté le processus de fabrication, et que certaines petites entreprises, récentes, essayent de produire de façon un peu plus artisanale tout en s’inscrivant dans cette démarche de proposer un produit relativement abordable. Social, d’autre part, puisqu’en plus d’être centré sur l’humain, le but est de faire le maximum pour proposer à chacun le meilleur, tout en restant abordable. Cette notion est bien entendu toute relative lorsque l’on peut voir les prix de certaines pièces, même les plus populaires. Mais le rapport des gens au design, est différent là bas. Ils n’hésitent pas à « mettre le prix », c’est une forme

d’investissement, qui s’inscrit dans le temps. Nous sommes dans le domaine du durable, de l’intemporel, mais aussi de l’héritage, car vraisemblablement la plupart des classiques ont traversé les générations, les siècles, et ce n’est pas encore terminé. La lumière joue également un rôle très important dans la création, puisque sa recherche dans le design nordique est une constante. Aussi bien dans les arts de la verrerie (Fig. 9) où la luminosité de l’eau et du soleil sont symbolisées par le cristal, que dans les meubles où la légèreté des lignes et l’utilisation du bois blond donnent une impression de douce chaleur et de luminosité quand arrive l’hiver polaire. Car en effet, même si les différents pays bénéficient de conditions plus ou moins rudes, le manque de lumière demeure bel et bien une considération majeure partout en Scandinavie. Aussi, des pièces imposantes comme un canapé par exemple, dans un coloris clair, voire blanc et aux lignes droites, sera ainsi plus à même de laisser s’exprimer des pièces, aux lignes plus complexes et aux couleurs plus vives. (Fig. 10)

L’enseignement, la transmission En France, l’enseignement du design se voit régulièrement reprocher son approche trop théorique, la distance entre l’étudiant et la matière est vécue comme un frein au développement de certains concepts. Au Nord, en revanche, le designer connait la matière, et ne fait pas appel à un praticien : beaucoup de designers suédois et danois ont fait une école de menuiserie, ou étudié la porcelaine, ou n’importe quelle autre matière, avant de suivre un cursus dans une école de design. “La connaissance du travail de la main est primordial”, détaille Emma Marga Blanche, “alors qu’en France on parle et on conceptualise avant de fabriquer l’objet”.

exemple, sans même réserver à l’avance, on peut souscrire et devenir membre d’une sorte de club/association.

Le grand nombre de fabriques et ateliers, accessibles aux designers, facilitent aussi le processus. L’artisanat et le “fait main” bénéficient d’un vrai respect en Suède et au Danemark, c’est flagrant dans les écoles de design. C’est aussi plus décontracté, moins cloisonné, on peut rencontrer les décideurs. Il est facile de louer un atelier, à l’heure ou à la journée par

Enfin, je pense que pour un Français, formaté par des siècles d’excellence dans les arts décoratifs, le manque d’opulence caractéristique et la fausse impression de simplicité technique dans les réalisations scandinaves étaient, avant, considérés comme autant de manquements au bon goût et au savoir-faire. Mais ça, c’était avant...

En France, il semblerait que l’on ne soit pas encore vraiment conscient de ce que peut représenter un designer. On connaît peu, ou mal la profession, la preuve lorsque l’on demande parfois des échantillons. Pour l’avoir fait plusieurs fois lors de mon stage chez Mater, là bas, les marques, les frabricants n’hésitent pas à envoyer des échantillons, inviter à des tests etc…Mais en France, cela se produit beaucoup plus rarement, et bien souvent une telle demande n’aboutit jamais.

Fig. 9 : Verrerie Stockholm Design House

Fig. 10 : Canapé et coussins Ferm Living

20

MR55 : histoire du design Scandinave

MR55 : histoire du design Scandinave

21


Clément MALINSKI

Les pays scandinaves ont été importateurs de mobilier anglais et de style napoléonien jusqu’à début du XXème siècle. Une conjoncture économique difficile et la première Guerre mondiale ont coupé les liens commerciaux et forcé les designers danois à se replier sur leur propre savoir-faire et influences stylistiques. Influencés par leur propre histoire et par des artisans comme William Morris, des designers danois ont commencé à construire des meubles modernes fonctionnels qui ont privilégié la beauté des formes au dépend des détails ornementaux superflus. Les designers danois se sont aussi tournés vers leurs ancêtres Viking plutôt que vers le style « précieux » du mobilier français de l’époque.

ORIGINES

etEMERGENCE du courant Fig. 11 : William Morris et une de ses créations textiles.

A

u cours de la moitié du XIXe siècle, l’Angleterre a connu une croissance exponentielle de ses méthodes de production industrielle, motivée par une source inépuisable de nouvelles inventions. Ces nouvelles méthodes de production ont changé à jamais le mode de vie des gens à travers l’Angleterre et dans une grande partie de l’Europe occidentale. La production de masse en usine a rapidement remplacé les biens fabriqués à la main, ce qui a contraint les populations à abandonner les

22

MR55 : histoire du design Scandinave

petites fabriques familiales et à s’exiler vers les villes pour y travailler. Ce qui semblait une vie prometteuse loin de la paysannerie s’est vite révélée être une vie dure avec de longues journées de travail pour un salaire de misère. En réaction à cette dure réalité causée par la révolution industrielle des courants créatifs et contestataires se sont développés, dont un dirigé par l’architecte et designer William Morris (Fig. 11) qui défendait les valeurs de l’artisanat, avec ses pièces uniques, faites unes à unes

Ce nouveau design, simple, épuré, a posé les bases, à la moitié du XXème siècle, du mouvement moderniste danois. Même si sa reconnaissance mondiale ne date que des années 40-50, le design scandinave puise des origines bien plus lointaines, dans les années 1600. Alors même si on ne parlait pas de design à cette époque, des marques comme Fiskars ou Husqvarna ont été établies entre 1640 et 1700. Elles fabriquaient à l’époque des armes, des couteaux ou encore des roues, de la verrerrie traditionnelle et de la céramique, à l’image (entre autres) de Royal Copenhagen, créée en 1775. (Fig. 12)

Fig. 12 : Vaisselle Royal Copenhagen


Clément MALINSKI

Fig. 16 : Affiche de l’exposition de Stockholm 1930

L’âge d’OR

Les années 30-50

C

e n’est effectivement qu’au début des années 30 que l’on peut noter un véritable changement, et c’est généralement à cette période que l’on parle de la naissance du design scandinave tel qu’on le connaît, ou perçoit aujourd’hui. On note parmi les pionniers, des designers célébrissimes, comme Alvar Aalto, Finn Juhl ou Poul Henningsen. Alvar Aalto incarne à l’époque, le visage de la modernité, notamment pour son architecture (bibliothèque de Viipuri, Finlande, construite entre 1933 et 1935 (Fig. 13), mais surtout pour les lignes sculpturales de son design. Du fauteuil Païmio à ses vases Savoy (Fig. 14), Alvar Aalto était à l’époque à la pointe. De même au Danemark, Finn Juhl, bien que plus jeune et designer malgré lui, a produit dès 1940 des pièces parmi les plus iconiques de l’histoire du design à l’image de la chaise Pelikan ou du fameux canapé Poeten (Fig. 15). Après la guerre, les idées du Bauhaus ne se sont pas seulement diffusées au sud de l’Allemagne mais ont également fait des émules au nord et plus particulièrement au Danemark. Les designers danois ont été fortement influencés par l’école du Bauhaus dans leur approche

rationaliste et fonctionnaliste du design et de l’architecture. Le Danemark possédait déjà un artisanat de haute qualité. Il ne lui manquait plus qu’une industrie performante, ce qui fut enfin réalisé après la guerre. C’est donc grâce à des leaders très talentueux, que cette influence déboucha sur l’émergence d’une identité propre. Au point où s’affirme progressivement une véritable «école danoise», parfois regroupée, et pas forcément à juste titre, avec ses voisins suédois et finlandais sous le nom d’école scandinave. En 1930, la grande exposition de Stockholm (Fig. 16) confirme la percée du fonctionnalisme et célèbre la naissance d’un style scandinave moderne, léger et démocratique. Si l’inspiration esthétique venait principalement d’Allemagne (À l’exception du Danemark, les meubles tubulaires allemands ont exercé une influence certaine), les créations d’Alvar Aalto témoignent de la volonté des designers nordiques d’humaniser le modernisme, de privilégier les formes organiques et les matériaux « chaleureux ».

Images de haut en bas et de gauche à droite Fig. 13 : Bibliothèque de Viipuri Fig. 14 : Vase Savoy de Alvar Aalto Fig. 15 : Sofa Poeten et fauteuil Pelikan de Finn Juhl

24

MR55 : histoire du design Scandinave

MR55 : histoire du design Scandinave

25


Clément MALINSKI

On parlait ci-dessus d’école scandinave, que nous savons caractérisée par l’emploi des nouvelles technologies industrielles conjuguées à une esthétique d’inspiration fonctionnaliste, et les pièces majeures de cette époque en sont la parfaite illustration. En effet, le mouvement design scandinave préféra l’utilisation de matériaux bon marchés afin de réduire les coûts de production : c’est l’adaptation aux methodes de la production de masse, ainsi que le travail majoritaire des matériaux tels que le bois, les plastiques venus plus tard, l’aluminium anodisé ou laqué et également l’acier embouti. Avec le début de la société de consommation naît un nouvel «art de vivre» qui va devenir très vite accessible au plus grand nombre. L’aprèsguerre et les années 50 marquent l’âge d’or du design nordique. Le modèle Scandinave est diffusé à travers le monde, symboles de bon goût et de savoir-vivre, les créations scandinaves allient la fonctionnalité aux économies de moyen, la sobriété des lignes à la qualité de la réalisation. Le bien-être est posé comme principe fondateur de l’acte d’achat et les objets ne sauraient être le signe ostensible d’un quelconque statut social. La notoriété, une forte identité, une large distribution, sont assurément les composantes du design nordique. Les années 50 voient l’émergence de nombreux créateurs. Les Européens étaient désireux de trouver des esthétiques nouvelles telles que le mobilier en bois clair comme le teck. C’est la raison pour laquelle le design scandinave a rencontré un franc succès, au point où certains sont encore aujourd’hui en usage et en production, comme la la lampe PH5 de Poul Henningsen (1958) (Fig. 17), le fauteuil Oeuf et les chaises Série 7 de Arne Jacobsen (1958) (Fig. 18), ou Peacock Chair de Hans Wegner (1947) (Fig. 19). Mais les noms de Eero Saarinen ou Nanna Ditzel sont aussi à retenir, ou dans d’autres domaines que le meuble, des marques comme Hasselblad (Fig. 20), SAAB ou Volvo qui sont alors en train de marquer leurs domaines respectifs par des avancées considérables

26

MR55 : histoire du design Scandinave

Page de gauche Fig. 17 : Lampe PH5

Page de droite (de haut en bas et de gauche à droite) Fig. 18 : Fauteuils Oeuf et chaises Serie 7 Fig. 19 : Chaise Paon Fig. 20 : Hasselblas 500C

MR55 : histoire du design Scandinave

27


La meilleure preuve de cet export du modèle scandinave est très certainement l’exposition itinérante « design in Scandinavia » qui s’est tenue aux Etats Unis et au Canada entre 1954 et 1957. Extrait du fascicule de l’exposition (Fig. 21) :

Et il s’agit là de plus qu’une simple inspiration car tous les objets produits à cette époque, épurés et emprunts de modernisme ont vite fait de traverser l’Atlantique. En effet, des designers, à l’image de Charles Eames (Fig 22), sont allés à l’école Scandinave, et ont peut être senti le vent tourner avant d’autres, avec des créations notoires, portrait :

« To create surroundings which satisfy the needs of modern man and simply and naturally fulfill practical and esthetic requirements-and not least to teach people to realize the values of such surroundings--this has been our ideal, and, however imperfect the result, this ideal has inspired us. »

Fig. 22 : Charles Eames

Fig. 21 : couverture du livret de l’exposition «Design in Scandinavia»

Fig. 23 : Eames lounge Chair

En 1925, Charles Eames commence des études d’architecture à l’Université Washington à Saint-Louis, mais il les interrompt deux ans plus tard. En 1929, il visite l’Europe et découvre Ludwig Mies van der Rohe et Le Corbusier. En 1930 il ouvre un cabinet d’architecte avec Charles Gray à Saint Louis. Durant cette période il collabore aussi avec l’architecte Eliel Saarinen. C’est avec son fils, Eero Saarinen, qu’il remportera le premier prix d’un concours de création de design organique organisé par le Museum of Modern Art de New York. En 1938, sur l’invitation d’Eliel Saarinen, il vient étudier l’architecture (Architecture and Urban Planning Program) à l’Académie des Arts de Cranbrook dans le Michigan. Charles Eames y deviendra rapidement professeur de design industriel. C’est dans cette université qu’il rencontre Ray Kaiser, étudiante en peinture, qui l’assistera dans ses travaux, avant de devenir son épouse en 1941 Ils réalisent alors de nombreux décors en contreplaqué pour la MGM qui leur permet de développer des techniques de moulage et cintrage.

En 1942, pendant la Seconde Guerre mondiale, ils sont subventionnés par la marine américaine pour leurs avancés techniques sur le contreplaqué. Dans ce cadre-là, ils produiront des attelles, des brancards et des fuselages de planeurs expérimentaux. À la suite de ce travail, ils créent leur société, Evans Products, afin de vendre leurs produits auprès du public, tentative soldée par un échec. En 1946, Herman Miller croit enfin en eux et achète les droits de distribution de leurs créations. Trois ans plus tard, les produits Eames sont un vrai succès. En 1949, le couple expose sa célèbre maison de Pacific Palisades à Los Angeles en Californie. Construite dans le cadre des Case Study Houses, elle devient une référence pour les maisons en préfabriqué. La construction en forme de parallélépipède a une structure légère qui évoque l’architecture traditionnelle japonaise. En 1956, Charles Eames édite le fauteuil Eames Lounge Chair (Fig. 23), qui révolutionne le siège de détente, ce sera son plus grand succès. Il est composé de coques en contreplaqué moulé dans les trois dimensions. Aujourd’hui, le Lounge Chair est toujours en production par les sociétés Vitra et Herman Miller. Depuis son lancement, ce fauteuil s’est vendu à plus de six millions d’exemplaires à travers le monde. L’exemple du succès des Eames est bien la preuve que le modèle fonctionne, et qu’il rencontre dès lors un succès incontestable et mondial. Aussi, on reconnaitra chez les Eames les fondamentaux : architectes de formation, devenu designers. Pluridisciplinaires.

MR55 : histoire du design Scandinave

29


Clément MALINSKI

En 1956, chez Saab automobile cette fois-ci, la Saab Sonett I (Fig. 25) (aussi appelée Saab 94) présentait une carosserie en polyester enrichi de fibres de verre, supportée par un chassis en aluminium, configuration avant-gardiste à cette époque. Volvo de son côté, produisait déjà des modèles fidèles aux valeurs que nous leur

Dans le même temps, mais dans d’autres domaines, des marques comme SAAB ou Volvo réalisent, eux aussi de grandes œuvres. SAAB (Svenska Aeroplan Aktiebolaget), constructeur aéronautique, a non seulement produit nombre d’avions innovants pendant et après la 2nde guerre mondiale, mais aussi, des automobiles sportives relativement en avance sur leur temps. En particulier le Saab J21, produit de 1943 à 1957 (Fig. 24), premier avion militaire produit en série à présenter une configuration à hélice propulsive inhabituelle.

Fig. 24 : Saab J21

30

MR55 : histoire du design Scandinave

Fig. 25 : Saab Sonett I

attribuont aujourd’hui, solides et fiables. Volvo exportait alors beaucoup aux Etats-Unis, avec des modèles évidemment très inspirés des voitures américaines de l’époque, à l’image de la PV444 (Fig. 26) produite en 1944 ou encore la P120 de 1956, qui présente déjà des avancées notables en matière de sécurité comme le tableau de bord rembouré.

Fig. 26 : Volvo PV444


Clément MALINSKI

CRISE d’identité Les années 60-80

L

es années 60, marquent pour le design scandinave, une rupture. En effet, l’apparition et l’explosion du pop art, la société de consommation extrêmement présente et les directions que prenaient les valeurs sociétales de l’époque sont autant de facteurs responsables d’une crise d’identité imminente. Effectivement, les années 60 sont caractérisées par le début de la conquête de l’espace et la course à la Lune, mais aussi, à une échelle plus « terrestre », le début de l’ère du tout jetable, et de l’industrie de production en masse.

En haut à droite: Fig. 27 : Lampes «pot de fleurs» de Verner Panton Ci-contre Fig. 28 : Fauteuils «Pastil» et «Globe» de Eero Aarnio

32

MR55 : histoire du design Scandinave

On note dès lors, l’apparition de nouveaux produits, tous faits à partir de matières plastiques, colorés et aux formes plutôt rondes. On note parmi ces nouveaux arrivants, les lampes et chaises de Verner Panton (Fig. 27), les fauteuils Globe ou Pastil et Karuselli de Eero Aarnio et Yrjö Kukkapuro (Fig. 28), devenus malgré tout, des pièces appréciées et très recherchées aujourd’hui, car seuls véritables témoins de cette époque à usage unique, mais aussi la preuve que certains ont saisi le tournant et ont su s’adapter.

Cependant, on note une baisse considérable de l’activité, et de la qualité, du moins en Scandinavie. Les créatifs de l’époque sont donc plutôt localisés à Milan, Paris ou Barcelone, avec l’apparition de designers comme le quatuor De Pas, d’Urbino, Lomazzi et Scolari (Fig.29), Cesare Casati, Gaetano Pesce (Fig. 30) en Italie, Jean Prouvé ou Pierre Paulin (Fig. 31) en France ou FASE (Fig. 32), en Espagne. Tous s’inscrivent dans le même courant, anthropomorphisme, couleurs vives, plastiques. A l’exceptionpeut-être de Jean Prouvé, qui lui, était artisan ferronnier et a de ce fait beaucoup travaillé le métal (Fig. 33). Mais les italiens ont également des matériaux autres que le plastiques qui leurs sont chers, comme le marbre ou le célèbre verre de murano, s’éloignant alors des matériaux jetables. On constate également la création en 1961, de nouvelles expositions, à l’image du premier salon du meuble de Milan, ce qui confirme également que les centres de création ont bougés Culturellement parlant, on l’a déjà abordé, la fin des années 60 à 80 marquent un tournant. Les années « yuppies », et des idéaux en partie venus des Etats-Unis, comme le statut social, le matériel et la consommation, sont en rupture avec les idéaux Scandinaves plutôt centrés sur le bien humain et la nature. Il est donc intéressant de noter que certains ont disparus de la scène, que d’autres ont retourné leur veste, mais que certains, à l’image de Peter Opsvik (Fig. 34), sont restés fidèles à leurs principes et concentrés sur leurs travaux. De haut en bas et de gauche à droite : Fig. 29 : Fauteuil gonflable «Blow» Fig. 30 : Fauteuil «UP» Fig. 31 : Fauteuil «Groovy» Fig. 32 : Lampe «Boomerang» Fig. 33 : Bureau «Compas Direction» et chaise «Direction» Fig. 34 : Chaise «Gravity Balans»

MR55 : histoire du design Scandinave

33


Clément MALINSKI Il est certainement un domaine où, cependant, les années 60 ont eu du bon, puisque l’on a pu assister au développement des arts graphiques, impression sur papier ou textile. On peut citer la marque Finlandaise Marimekko, qui a édité à l’époque bon nombre des imprimés les plus célèbres (Fig. 35), participant de fait au rayonnement international des design Finlandais. Dans un registre moins extravagant mais tout aussi notable, Kvadrat édite à l’époque les textiles de Nanna Ditzel, qui habillent alors tous les classiques du design scandinave. (Fig. 36)

Pour finir, il est à mon avis intéressant de noter qu’au cours des années 60-70, l’automobile mondiale connaît, elle, son âge d’or. L’automobile est souvent utilisé comme marqueur d’époque, et aux Etats-Unis, le style est au très cossu, grosses cylindrées et véhicules de folie témoignant de la richesse du pays, et des inspirations de l’époque. En Europe le style est resté plus classique et

utilitaire en général mais on note évidemment quelques véhicules exceptionnels et très exclusifs. La Scandinavie, ne fait pas exception en la matière. Volvo en l’occurrence a su s’illustrer avec un modèle iconique : Le coupé P1800 (Fig. 37). Très apprécié, il était comparé à l’époque aux prestigieux coupés Aston Martin ou Mercedes, mais vendu à un prix deux fois inférieur…

Ci-dessus Fig. 35 : Tissu Marimekko «Kultakero» Ci-contre Fig. 36 : Tissus Kvadrat «Hallingdal»

34

MR55 : histoire du design Scandinave

Fig. 37 : Roger Moore dans «Le Saint» avec la P1800, à gauche, publicité d’époque.


Clément MALINSKI

Le cas de la PANTON CHAIR :

L

Fig. 39 : Verner Panton

a Panton Chair (Fig. 38) est née entre 1959 et 1960 et a donc fêtée ses 50 ans en 2010, déjà. La Panton chair, bien que célébrissime, représente parfaitement la rupture que je souhaitais illustrer ici. Elle est pourtant restée ancrée comme une pièce maîtresse de l’œuvre scandinave, même si, nous allons le voir, elle ne répond pas vraiment aux critères de base du design scandinave en vigueur jusqu’alors. Impossible de dire aujourd’hui avec précision à quelle date est née cette création de Verner Panton (Fig. 39) associée plus que toute autre à son nom. D’après les informations plutôt vagues qu’il a fournies et ses rares esquisses non datées, il a dû cependant commencer à se consacrer intensivement à l’idée d’un siège plastique monobloc en porte-à-faux en 1959 ou 1960, sans se douter qu’une petite décennie s’écoulerait encore jusqu’à sa réalisation. Lorsque la Panton Chair fut finalement commercialisée en 1967 – c’était le premier produit développé de manière autonome par Vitra – il sortait d’une phase de développement particulièrement longue et difficile qui ne prenait que temporairement fin avec sa mise sur le marché. En effet, ce siège qui s’est rapidement hissé au rang de symbole d’une époque et d’icône du design devait subir plusieurs modifications en quelques années, liées au changement de matériau et de technologie de fabrication. L’histoire débute dans les années 60 lorsque Verner Panton présente un modèle très étiré de siège en plastique à Willi et Rolf Fehlbaum chez Vitra. Ils sont fascinés par ce concept et veulent produire le siège en série. Il entre finalement en production en 1967 comme on l’a vu. Les premiers modèles sont fabriqués

en polyester renforcé à la fibre de verre, puis suivi par une version en mousse dure de polyuréthane et d’une autre en Luran S injecté. Il s’est avéré que ce matériau vieillissait mal et finissait par casser. C’est pourquoi Vitra interrompt la production à la fin des années 70 avant de reprendre dans les années 80, à l’initiative de Verner Panton, selon le procédé de moulage de mousse de polyuréthane, coûteux mais fiable, utilisé jusqu’à aujourd’hui. C’est sous le nom de Panton Chair Classic que le siège est proposé aux amateurs dans cette version. Les technologies de plasturgie actuelles ont cependant tant évolué que la Panton Chair peut également être fabriquée selon un procédé d’injection avec du polypropylène entièrement recyclable. Cette nouvelle transition vers la technique d’injection permet désormais de proposer le siège à un prix plus intéressant qui rend ce classique accessible à un large public. Le travail sur ce classique a continué même après la mort de Panton en 1998 puisque Vitra lançait en 2006, en accord avec Marianne Panton, un siège pour enfants basé sur d’anciens plans, la Panton Junior. La Panton Chair a toujours été une chaise particulièrement appréciée des enfants : en raison de ses couleurs vives et joyeuses, de la douceur de ses courbes, et parce qu’il est possible d’y crapahuter ou d’en faire de magnifiques cabanes. Avec un matériau et des proportions inchangés, la Panton Junior est plus petite d’environ d’un quart par rapport au modèle habituel, ce qui en fait un siège idéal pour les enfants de maternelle ou de primaire.

Fig. 38 : La Panton Chair

36

MR55 : histoire du design Scandinave


Clément MALINSKI

Les années

90

Le Grand retour

L

es années 90 marquent le retour sur la scène internationale du design nordique. L’idéologie des années 80 a perdu du terrain et ces années de dépenses illimitées ont éveillé quelques esprits. La conscience des ressources limitées de la planète, l’évolution du climat social sont autant de thèmes qui ont renforcé le design scandinave, et il s’est opéré comme une sorte de recadrage, avec l’émergence de notions comme l’écologie, et de nouveaux designers qui veulent se faire vecteur de ces idées.

38

MR55 : histoire du design Scandinave

Le marché du design opère un double mouvement : de nombreuses sociétés nordiques font appel à la communauté des jeunes designers internationaux, tandis que les créateurs scandinaves proposent leur talent à travers le monde. Cependant, malgré les processus de globalisation et le nivellement des cultures qui en découlent, les créateurs scandinaves ont réussi à préserver leur identité, le respect des matériaux et l’amour des objets étant le reflet de leur style de vie.

On peut noter ici le travail remarquable de Ingegerd Råman, suédoise spécialiste de la verrerie et de la céramique. En 1992 elle dessine la série Bellman (Fig. 40) pour la marque Skruf, ensemble de verrerie d’une grande simplicité, intemporel, ou encore en 1998, le service en grés Domino (Fig. 41), pour la marque Gustavsberg, service également d’une extrême simplicité, gris anthracite. Sobre et efficace, fonctionnel, qualitatif, du pur scandinave. Et elle continue au travers des années 2000 à dessiner de la verrerie et des services entiers, bien entendu dans la même veine, mais elle ne se contente pas que de cela. Elle obtient en effet, pas moins de 19 prix d’excellence du design suédois, la médaille du Prince Eugène en 1998 et aussi travaillée comme consultante pour Trussardi à Milan ou encore pour le gouvernement Portugais par rapport à l’enseignement du design. Pas moins. Dans le même temps, Ilkka Suppanen s’est construit le statut d’un des designer avant-gardiste les plus reconnus de son époque, avec, pour commencer un cursus prestigieux : diplômé de l’Ecole polytechnique et de l’Université d’art et de design d’Helsinki en 1989, il poursuit ses études, en 1992, à l’Académie Rietveld d’Amsterdam, et finit par enseigner à la faculté de design d’Helsinki. Mais ce n’est là qu’un parcours universitaire, et son parcours professionnel est tout aussi remarquable, parsemés de créations originales et souvent multifonctionnelles, parfois même auto-éditées, comme la chaise Nomade en 1994 (Fig. 42). Il a également travaillé en intervenant pour Saab ou Nokia, entre autres. Selon lui, « le design, c’est comme la poésie : absolu et précis, avec le minimum de moyens pour obtenir le maximum de résultat. » et il semble que cette ligne de conduite lui ait plutôt réussie. Les années 90 sont aussi l’occasion de se pencher sur une enseigne qui illustre énormément de principes du design scandinave, mais sert aussi, bien souvent, de contre exemple. Tentative de décryptage d’un cas un peu particulier.

De haut en bas : Fig. 40 : Verres Bellman Fig. 41 : Ensemble Domino Fig. 42 : Chaise «Nomad»

MR55 : histoire du design Scandinave

39


Le cas d’IKEA

Clément MALINSKI

C

e n’est que volontairement que je n’ai pas parlé d’IKEA (Fig. 43) avant, car si sa création date du début des années 50, IKEA est un sujet bien actuel et un cas un peu particulier. L’idéologie de base de son fondateur, Ingvar Kamprad repose en effet sur le « fonctionnalisme « fondateur du design scandinave et décrit précédemment et cette politique de proposer des meubles abordables financièrement au plus grand nombre rejoint parfaitement le côté social de l’idéologie scandinave. Cependant, si IKEA est l’exemple même d’une réussite commerciale, la société ne peut prétendre au titre d’entreprise de design. En effet, «surfant sur le consumérisme ambiant, les produits diffusés par le géant suédois sont uniquement ancrés dans le présent. IKEA a certainement contribué à démocratiser le design scandinave et à changer la vision du public envers celui-ci. Les gens sont maintenant prêts à payer un prix raisonnable pour un article qui, sans être bas de gamme, n’est pas non plus considéré comme un produit de luxe», dit Joel Ross.

Fig. 43 : Publicité IKEA

40

MR55 : histoire du design Scandinave

Les marques haut de gamme évaluent avec prudence tout ce qui pourrait, dans l’œil du consommateur, être identifié comme IKEAlike, donc, n’ayons pas peur des mots : cheap. «En France, l’usage du bois clair est assimilé à IKEA, ça ne “colle” pas à une image de produit haut de gamme», déplore la designer francodanoise Inga Sempé. Au cours de la conception de son canapé Ruché pour l’éditeur français Ligne Roset (Fig. 44) (leader mondial du mobilier haut de gamme pour les particuliers), Sempé s’est frottée aux réticences du directeur de la marque : «pour le Ruché, je voulais absolument une carcasse de bois naturel. Mais j’ai dû batailler pour l’imposer. Ça faisait scandinave, donc IKEA ! J’ai adressé à Michel Roset, le directeur de la maison, une longue lettre pour plaider la cause, et l’ai emporté.» IKEA a permis de démocratiser et de faire connaître pour certains le design danois, même si c’est une enseigne Suédoise, mais il ne faut pas s’arrêter sur ce stéréotype et aller creuser plus loin et découvrir l’original, l’intemporel design danois.

Fig. 44 : Publicité pour le Ruché d’Inga Sempé


Clément MALINSKI

Le DESIGN SCANDINAVE aujourd’hui A

ujourd’hui deux grandes tendances persistent : d’un côté on trouve les traditionalistes, dont les créations respectent clairement la tradition classique, mais qui expérimentent aujourd’hui volontiers avec de nouveaux matériaux et de nouvelles technologies. Parmi ces traditionalistes, on peut citer les designers, Cecilie Manz (Fig.45), Kasper Salto (Fig. 46), Christina Strand et Niels Hvass (Fig. 47), d’ailleurs tous édités par de grandes maisons comme Fritz Hansen, éditeur d’Arne Jacobsen, rien que ça. De l’autre côté, on trouve ce que l’on pourrait appeler les modernistes, avec leurs créations aux formes sculpturales et souvent colorées, qui se plaisent à se détacher des travaux de leurs prédécesseurs. Il est toutefois intéressant de noter que malgré leur côté plus moderne et parfois coloré, leurs créations

42

MR55 : histoire du design Scandinave

restent malgré tout relativement en accord avec les grands principes scandinaves, et sont reconnaissables en un coup d’œil. Les marques danoises, Muuto (Fig. 48), Normann Copenhagen (Fig. 49), ou encore HAY (Fig. 50), réinterprètent avec modernité le style danois pour le mettre en phase avec les modes de vie d’aujourd’hui. «Le design nordique prend aujourd’hui une expression plus moderniste et très proche du présent. C’est une combinaison entre tradition et innovation », ajoute Poul Madsen, cofondateur et président-directeur général de Normann Copenhagen

Fig. 45 : Chaise «Minuscule» par Cecilie Manz

De haut en bas et de gauche à droite : Fig. 46 : Chaise «Nap» de Kasper Salto Fig. 47 : Porte manteau et banc «Cutter» de Strand + Hvass Fig. 48 : Mise en scène des produits Muuto Fig. 49 : Mise en scène des produits Normann Copenhagen Fig. 50 : Mise en scène des produits HAY

MR55 : histoire du design Scandinave

43


Clément MALINSKI

Le cas de GUBI

L

e design scandinave moderne se veut ainsi international. Mais qu’ils se cantonnent aux designers scandinaves ou qu’ils recherchent des créateurs autour du monde, les éditeurs de mobilier du Nord en quête de modernité ne perdent jamais de vue les qualités qui font le charme et la beauté singulière de leurs objets : simplicité, fonctionnalité, inaltérabilité. On peut souligner, dans cette optique, le travail de la marque GUBI, fondée en 1967,par le père (Fig. 51) de Jacob Gubi Olsen (Fig. 52) et son frère Sebastian (Fig. 53) aujourd’hui à la tête de l’entreprise.

Editeur d’icônes, et de grands classiques dans les belles années (Fig. 54), les deux frères ont su renouveler la maison fondée par leurs parents, avec un objectif simple : parcourir le monde pour dénicher les trésors du design d’hier, mais aussi de demain. Un terrain de jeu immense, qui les entraîne évidemment en Scandinavie, mais aussi en France, en Espagne ou encore au Japon. Cette chasse au trésor

se traduit d’abord par la réédition de pièces oubliées telles que la série de lampes Bestlite, conçue en 1930 par le designer britannique Robert Dudley Best et réssucitée par Gubi en 1989, mais aussi par la collaboration avec de jeunes figures émergentes du design contemporain. Comme l’Allemand Oliver Schick, dont l’entreprise édite cette année la collection « Ronde » (Fig. 55) et pour laquelle Jacob Gubi confesse un vrai coup de foudre : « c’est rare quand un produit vous trouble de la sorte. J’adore la forme de ces suspensions qui me rappelle celle des vases de verre Carnaby des années 60. Bien que très contemporaines, elles ont l’air de faire partie de la famille depuis toujours. » Cette soif pour le design conduit les deux frères également à Paris, où Jacob dit aimer traîner dans les galeries du VIème ou chiner au Puces de Clignancourt. « Mes racines Scandinaves sont très importantes dans mes recherches, car la variété de produits est si grande qu’il m’est indispensable d’avoir un filtre. Simplicité, fonctionnalité et durabilité sont les qualités essentielles du design scandinave qui comptent aussi beaucoup pour moi. Même si je pense qu’il est toujours intéressant de le marier avec un style plus décoratif que nous trouvons par exemple chez des designers français comme Jacques Adnet ou Mathieu Matégot dont nous avons réédité plusieurs pièces. » Fruit de ce travail de recherche incessant, le catalogue GUBI se veut aujourd’hui un témoin de l’esprit du design scandinave moderne et affiche sans complexe un melting-pot éclectique de nationalités qui estompe les frontières.

Deuxième grande enseigne d’aujourd’hui, et qui a son importance dans le développement du design scandinave moderne, parlons de HAY. Depuis 2002, HAY fait bouger les lignes du design nordique. Inspirée par l’esprit créatif qui soufflait dans les années 50-60 sur le mobilier danois, la société s’inscrit dans cette école mais avec une touche très contemporaine. Des formes simples mais justes, des teintes pastel ou brutes. HAY cultive un sens du design entretenu par son équipe interne mais fait aussi appel à des designers extérieurs, à l’image de la récente collection « Copenhague » réalisée par les frères Ronan et Erwan Bourroulec (Fig. 56). Elle comprend une chaise empilable, un tabouret, des tables et un bureau, un travail que le duo a mené à la demande de HAY quand il s’est agi de renouveler le mobilier de l’école

Page de gauche (de haut en bas, de gauche à droite) Fig. 51 : Gubi Olsen Fig. 52 : Jacob Gubi Fig. 53 : Sebastian Gubi Fig. 54 : Mise en scène GUBI Fig. 55 : Lampes «Ronde» et mise en scène GUBI 44

MR55 : histoire du design Scandinave

KEA à Copenhague, également récemment rénovée. Je n’évoquerai que très rapidement les marques Muuto et Normann Copenhagen, qui sont elles, moins internationales que ce que l’on a pu voir ci-dessus, mais qui participent néanmoins au renouveau et au développement du design Scandinave contemporain. Toutes les deux puisent l’inspiration de leurs couleurs directement dans la mode, et transpose ce style sur des meubles aux formes épurées et aux matériaux classiques tels que le bois ou la laine. Inspiration très graphique et moderne, tout en restant dans une tranche de prix abordable, ces marques ont fait le choix de promouvoir les jeunes designers de leurs pays, tout en restant fidèles aux valeurs qui ont hissé le design Scandinave à la place qu’il occupe aujourd’hui.

Page de droite Fig. 56 : «Copenhague» par les frères Bouroullec pour HAY

MR55 : histoire du design Scandinave

45


Clément MALINSKI

Interview Henrik MARSTRAND

J

’ai pu passer 6 moins au sein de Mater, une petite entreprise située à Copenhague, fondée en 2006 et qui fonctionne sur le modèle d’une maison d’édition. L’objectif de la marque et de son fondateur est surtout de réussir à continuer de véhiculer les valeurs intrinsèques du design Scandinave. Durabilité, qualité irréprochable, lignes intemporelles, mais aussi le côté éthique et équitable du travail avec la protection de savoir-faire uniques et la création d’échanges

Denmark must come with new smart ways of thinking design in a broader perspective, not just product design.

avec l’Inde notemment, tout en étant dans une dynamique de respect de l’environnement très marqué au sein du développement de produits dans l’entreprise. J’ai donc jugé plus qu’intéressant d’aller poser quelques questions au patron et fondateur de la marque, Henrik Marstrand (Fig. 57), pour avoir le point de vue d’un acteur/défenseur de ces valeurs, mais aussi la vision du chef d’entreprise qu’il est.

C.M. : How do you see the future of design in Scandinavia and in Denmark? (Comment voyez-vous le future du design scandinave et celui du design danois ?)

Clément MALINSKI : What is scandinavian design for you? And to be more specific, what is danish design, according to you? (Qu’est-ce-que le design scandinave selon vous? Et plus particulièrement le design danois?)

H.M. : I don’t know much about Scandinavia in general but Denmark is struggling in being visionary. The design students are only taught in design and not how design and production affects the planet. We must design solutions for living and not just beautiful products.

Henrik Marstrand : Something that links to the strength of nordic materials like wood. Danish design has simplicity and functionality in mind, as well as attention to details. The lines are simple, classic and timeless. C.M. : What is the place of Mater in the Scandinavian design? How do you think you contribute to its growth? (Quelle est la place de Mater au sein du design Scandinave? Comment pensez-vous contribuer à son développement ?)

Fig. 57 : Henrik Marstrand et le «bar stool» de Mater

De haut en bas et de gauche à droite : Fig. 58 : Tabouret «bar stool», chêne massif. Fig. 59 : Photoshoot Mater à Copenhague Fig. 60 : Lampe «shade»

46

MR55 : histoire du design Scandinave

H.M. : Mater plays a new niche role. It’s a new way of telling great stories, not just about design, but as much as about materials, fair trade and recyclability. The more we grow the more positive impact we have on people and planet. Size does matter if the outcome is positive.

Mater (Fig. 58, 59, 60) se place donc dans la même démarche que les autres icônes modernes. Elle se veut résolument internationale, environementale et éthique. Cependant Mater se positionne dans une niche aux côtés de quelques autres marques luxueuses, mais a toutes les raisons de croire que le fait de cultiver sa différence, saura la maintenir à ce niveau. Je tenais également à souligner, là encore, l’ouverture d’esprit de telles enseignes. En effet, vu le niveau où Mater exerce, la compagnie pourrait se cantonner aux grands designers scandinaves qui continuent de faire la renommée des ces pays en la matière. Mais au lieu de ça, Henrik Marstrand et ses associés laissent place à de jeunes designers et sont sans arrêt à la recherche de produits nouveaux, la seule obligation étant de coller à l’esprit de la marque. Il ne lira pas ce rapport, mais je peux dire que je lui suis reconnaissant de m’avoir laissé une opportunité, et que je salue cette volonté, qui est bien trop rare à mon avis.

MR55 : histoire du design Scandinave

47


Clément MALINSKI

L’autre DESIGN Scandinave

L’architecture

N

ous avons jusqu’ici beaucoup évoqué le côté mobilier et objets d’intérieur, mais le design Scandinave ne se limite pas. L’influence du Nord est également très présente dans beaucoup d’autres domaines, comme la mode, le textile, le graphisme et l’illustration, mais aussi bien entendu en architecture. Dans le but de rester concis, je n’évoquerai ici que certains des principaux acteurs de chaque discipline, une liste et une analyse exhaustive n’étant pas envisageable. Dans le domaine de l’architecture, il m’est impossible de ne pas parler, encore, d’Arne Jacobsen. Véritable icône et auteur à lui seul de tout un pan du design, il est l’architecte, entre autres, de l’hôtel Royal Radisson SAS de Copenhague. Sorti de terre en 1960, il est le premier gratte-ciel de Copenhague et premier hôtel au monde considéré comme « design ». Du bâtiment lui-même jusqu’au mobilier, en passant par les poignées de portes et les couverts (Fig. 61), tout est signé Arne Jacobsen. Les fameux fauteuils Egg et Swan, ont été spécialement réalisés pour l’occasion.

Au rang des pionniers, notons également l’incontournable Jørn Oberg Utzon, qui n’est autre que l’architecte du très célèbre Opéra de Sydney (Fig. 62).

lumière du ciel et de ce fait, l’apparence du bâtiment varie en fonction de l’évolution de son environnement naturel et des couleurs du jour.

Dans un autre registre mais néanmoins témoin du bon sens et de l’esthétique scandinave, l’aéroport de Copenhague, Kastrup, conçu par Vilhelm Lauritzen Arkitekter (Fig. 63). Kastrup, élu en 2000 meilleur aéroport de passagers au monde, offre au visiteur à peine débarqué une belle illustration de son architecture de verre et d’acier, lumineuse, légère et gracieuse. Un bâtiment très bien conçu et qui s’inscrit parfaitement dans le cadre déjà existant. Logique, puisqu’au cours du XXème siècle, quelques idées révolutionnaires ont vu le jour ici, soutenues par les pouvoirs publics et les industriels, telles que la démocratisation du beau dans chaque foyer et la conception globale d’un bâtiment, de sa superstructure à la poignée de porte et du fauteuil à la petite cuillere.

Impossible de ne pas évoquer non plus le groupe B.I.G. (Bjarke Ingels Group), qui a fait énormément pour la ville de Copenhague, dont une bonne partie du nouveau quartier d’Ørestad (Fig. 65), au sud de la ville, ainsi qu’un espace urbain nommé Superkilen dans le quartier de Nørrebro (Fig. 66), réalisé avec l’aide de deux autres collectifs d’artistes, visant à rassembler les plus de 40 nationalités différentes du quartier. Même si les enjeux d’un projet comme Superkilen sont propres à la ville de Copenhague, ils traduisent malgré tout, les ambitions de l’architecture scandinave moderne. Appuyées par les réalisations du quartier d’Ørestad, elles sont bien entendu de fédérer, mais plus généralement de promouvoir une sorte d’ergonomie du bâtiment dans une enveloppe originale et au design soigné. BIG est également auteur de nombreux autres bâtiments à travers le monde, dont un à Paris, qui date de 2011 : le centre de recherche de l’Université Pierre et Marie Curie de Jussieu.

Egalement, le très récent aquarium Den Blå Planet (Fig. 64), inspiré des formes de la nature et des tourbillons conçu par le cabinet 3XN. Le nouvel aquarium national du Danemark a la forme d’un grand bain à remous. De cette façon, la forme du bâtiment lui-même raconte l’histoire de ce qui vous attend à l’intérieur, de façon simple et efficace. L’aquarium est situé sur un promontoire élevé vers la mer, au nord de Kastrup. Situé en bord de mer la forme de tourbillon relie la mer et le paysage. La forme caractéristique de ce bâtiment est clairement visible pour les voyageurs arrivant par avion à l’aéroport de Copenhague qui se situe à proximité. La façade est recouverte de petites plaques en forme de diamant en aluminium, qui s’adaptent à la forme organique du bâtiment. Tout comme l’eau, l’aluminium reflète les couleurs et la

Enfin, un couple d’architectes d’intérieur désormais incontournable : Space. Ils sont entre autres, les concepteurs de tous les intérieurs de la chaîne de boulangeries Lagkagehuset (Fig. 67), littéralement “la maison du gateau”. Elles sont un très bon exemple de minimalisme et d’interieur scandinave du fait de sa richesse au niveau du choix des materiaux et de l’agencement bien pensé. Il en résulte un espace à la fois froid du fait du marbre mais chaud et cosy en raison de l’éclairage et du bois. On a alors cette impression de luxe et de confort qui en fait des lieux très agréables.

Page de gauche : Fig. 61 : Arne Jacobsen devant l’hôtel Radisson et la suite 606.

48

MR55 : histoire du design Scandinave

MR55 : histoire du design Scandinave

49


Page de gauche : Fig. 62 : Sydney Opera House Fig. 63 : Kastrup Lufthavn Fig. 64 : Den Blå Planet Fig. 65 : 8Tallet (Ørestad, København) Fig. 66 : Superkilen (Nørrebro; København) Fig. 67 : Lagkagehuset par Space


Fig. 68 : Bureaux de la marque à Stockholm

La Mode

L

a Scandinavie c’est aussi la mode, et la marque Suédoise Acne Studios en est actuellement un des fers de lance.

Fig. 70 : Mannequins Acne

Depuis Stockholm, la marque aux airs de collectif artistique a tout essayé. Jeans chics, prêt-àporter stylé, expositions et éditions d’ouvrages et de magazines. Les bureaux historiques du 23 Lilla Nygaten à Stockholm offrent à Acne Studios un décor grandiose de style gustavien (Fig. 68). Un espace inspirant pour cette marque dont la démarche a d’emblée été axée vers le contemporain. S’ouvrant à de multiples disciplines, créant des ponts entre les arts, les mélangeant au besoin, Acne est à l’origine un studio de pub, de production de films, d’une mode pointue aussi. Ce à quoi viennent s’ajouter du design, avec des lignes de meubles éditées par Svenskt Tenn ainsi que l’édition de livres d’art sur le rodéo par exemple ou sur Lord Snowdon (designer et comte de Linley), en plus d’un très beau magazine (Fig. 69). Acne organise aussi des expositions. Bien que l’entreprise ait été fondée en 1997 par trois associés, une seule tête dépasse : celle du cofondateur et actuel directeur créatif, Jonny Johansson. Il ne possède aucun diplôme particulier en matière de mode ou de design, mais la toile denim brute sera un de ses mediums artistiques, avec la fabrication en 1996, de 100 jeans bruts filetés de rouge, offerts alors à la famille et aux amis. Succès immédiat, ils sont fabriqués en série dès 1998 et deviennent vite réputés les plus luxueux de la planète. Aujourd’hui, les fashionistas s’arrachent des collections sophistiquées (Fig. 70), complexes et vivantes, et les people arborent souvent des pièces de la marque. Artiste complet, Jonny Johansson est aussi celui

Fig. 69 : Acne paper

qui imagine le décor des magasins de la marque, avec le premier, implanté à Stockholm en 2003 et les suivants étant forcément, Copenhague, Berlin et Londres. Il dessine chaque espace avec le souci de conserver les bases culturelles du pays et du lieu. Ainsi, à Paris, la boutique du Marais est située dans une ancienne usine électrique dont il a préservé l’identité industrielle, y compris les marches en guise de présentoirs. L’idée étant bien sûr de mettre en scène les collections à la façon d’Acne, c’est-à-dire comme une œuvre exposée dans un studio d’artiste. Là encore, si certaines marques sont bien établies, à l’image de H&M ou dans un autre registre, Acne, comme nous venons de le voir, il y a aussi, de petites enseignes, plus confidentielles qui sont également les acteurs d’une mode scandinave toujours plus pointue. Je pense en l’occurrence à la marque Soulland (Fig.71), créée en 2002 par Silas Adler, aujourd’hui co-fondateur, puisque son partenaire Jacob Kampp est aujourd’hui directeur de l’entreprise. Depuis 2006, la marque est passée de la création de simples t-shirts au développement d’un label de prêt-à-porter masculin complet. Les textiles y sont de premier choix, les coupes actuelles et minimalistes, et l’attention est portée sur les détails. N’est-ce pas là, une belle illustration de ce que peut représenter la mode en Scandinavie. Alors évidemment, Soulland ne sont pas les seuls dans ce créneau, mais la liste serait très longue, d’autant plus que certaines autres maisons ne partagent pas tout à fait les mêmes inspirations, et sont autant de choix différents qui rendrait une liste exhaustive bien trop longue ici.

Fig. 71 : Publicité Soulland

MR55 : histoire du design Scandinave

53


Clément MALINSKI

Le Graphisme

D

iscpline ancestrale en Scandinavie, on peut dire que les arts graphiques ne se sont vraiment développés qu’avec la mode et les vêtements. Cepdendant, il ne faut pas oublier que des motifs imprimés parmi les plus célèbres, pour les textiles de maison par exemple, ont pour certains été créés au cours des années 30-40. Les motifs norvégiens ou finlandais, aujourd’hui vulgarisés en « jacquard », en sont des témoignages marquants (Fig. 72). Fig. 72 : Textile Sami

Je voudrais cependant mettre l’accent sur l’impression, et la création graphique au service de la publicité. Mads Berg est le premier nom qui me vient à l’esprit. Sorti de la Danish Design School en 2001, il a travaillé pour des marques comme Coca-Cola, Lego ou encore les glaces danoises Hansens, et est un artiste récurrent dans les illustrations de promotion de la ville de Copenhague ou de Bornholm. Son style est reconnaissable de par son inspiration des posters sérigraphiés des années 60, remis au goût du jour par une géométrisation des sujets et une modernisation due à l’utilisation de l’outil numérique, donnant un look intemporel et unique à ses illustrations (Fig. 73). Là encore, la liste serait très longue, et je me contenterai alors de ne citer qu’un autre petit atelier/collectif indépendant et acteur de la nouvelle scène danoise : Art Rebels, qui propose plusieurs styles bien différents du fait des plusieurs artistes qui y participent, et qui se veut résolument moderne (Fig. 74). Création abstraite, géométrique ou illustration sérigraphiée plus classique, il y en a pour tous les goûts.

Fig. 74 : Logo et exemple d’oeuvres de Art Rebels

54

MR55 : histoire du design Scandinave

Fig. 73 : Illustrations de Mads Berg


Clément MALINSKI

CONC LUSION D

ans la culture nordique, le confort de la famille est au centre des préoccupations des designers du pays. Riche d’un héritage entre style gustavien, romantisme national et fonctionnalisme, le design scandinave s’est imposé, on l’a vu, comme référence dans les années 1950. Moderniste mais pas trop, fonctionnel et souvent artisanal, minimaliste mais usant de matériaux naturels et nobles, le design scandinave se veut rassurant et proche de l’utilisateur. Aujourd’hui l’engouement pour le mobilier et design scandinave et tout particulièrement danois, est à son comble. Ergonomie, fonctionnalité, esthétisme : cette conjugaison continue de séduire. Synthèse réussie entre la forme et la fonction, où l’esthétique et l’utile se conjuguent pour apporter plus de beauté à notre quotidien. Chaque objet est bien pensé mais aussi toujours parfaitement exécuté pour inscrire sa beauté dans le temps et la continuité. Je pense, enfin, qu’en période de crise comme nous traversons depuis plusieurs années, des pièces issues de ce courant représentent également des valeurs sûres, sur lesquelles on se reposera volontiers. Elles s’incrivent, en effet, parfaitement dans un mode de consommation retrouvé et qui regagne du terrain aujourd’hui. Les objets durent et se font une histoire au sein de nos foyers, ils dureront

56

MR55 : histoire du design Scandinave

et traverseront même peut être plusieurs générations, comme l’ont faits les classiques des années 50-60 aujourd’hui très prisés. J’ai en tous cas la conviction personnelle, qu’un meuble, s’il est choisi, ne fera pas que passer chez nous, et même s’il est amené à être déplacé, entouré, il saura trouver sa place s’il est bien conçu. On peut donc espérer pour le futur, des créations encore plus proches de la nature, les progrès technologiques aidant à poursuivre cette quête, mais aussi, et je l’espère, un changement dans les mentalités et une sensibilité qui se tournera davantage vers la qualité plutôt que la quantité. Je terminerai sur une citation de Lara Izierchich, qui résume bien les intentions du design Scandinave pour le futur : “Scandinavian marketing involves little more than promoting designs which are developed according and appropriate to the needs of the consumer. They aren’t intent on “selling” new design concepts to consumers. Scandinavian designers pride themselves on only creating functional, durable and cost-efficient products and goods. If people need something, they will buy it. If they don’t [need it], it doesn’t exist on the market to begin with.” Lara Iziercich


BIBLIO OUVRAGES Charlotte et Peter Fiell, Design Scandinave, TASCHEN, 2013. Charlotte et Peter Fiell, 1000 Chairs, TASCHEN, 2000. Collectif d’auteurs (Phaidon), Classiques Phaidon du design, PHAIDON, 2007. Philip Wilkinson, Chefs d’œuvre du design, FLAMMARION, 2013. Poul Erik Tojner & Kjeld Vindum, Arne Jacobsen, Architect & Designer, Dansk Design Center. Gwenaëlle Poulet, Le Design Danois, 2013.

GRAPHIE SITES WEB Design Scandinave. [En ligne], [consulté le 16/11/2013] Disponible sur : http://www.galerie-mobler.com/design-scandinave_14. Les Secrets du Design Scandinave. [En ligne], [consulté le 20/11/2013] Disponible sur : http:// www.slate.fr/story/74833/secrets-design-scandinave. The Story Of Scandinavian Design: Combining Function and Aesthetics. [En ligne], [consulté le 02/12/2013] Disponible sur : http://www.smashingmagazine.com/2011/06/13/the-story-of-scandinavian-design-combining-function-and-aesthetics/.

MUSEES/EXPOSITIONS Danish Museum of Art & Design. Louisiana Museum, New Nordic Architecture. Danish Architecture Centre, Show me your model. Dansk Design Center, Danish Design Awards 2012.

http://www.gubi.dk/ http://www.hay.dk/ http://www.bouroullec.com/ http://www.madsberg.dk/


1840

1890_1910

1919 1923 1930 1936

1860_1890

1914_1918

REV0

LUTION INDUSTRIELLE (Mondiale)

ART NOUVEAU

Création du BAUHAUS

MOUVEMENT MODERNISTE

William Morris (GB)

Mouvement «Arts & Crafts»

1954 1957

1939_1945

1955

1958 1960 2006

2012


HISTOIRE DU DESIGN SCANDINAVE Clément MALINSKI

MMXIII


Turn static files into dynamic content formats.

Create a flipbook
Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.