N°05 | 2018

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L'ACOR est une association inter-régionale implantée dans cinq régions de l'Ouest de la France – Bretagne, Centre Val de Loire, Normandie, Pays de la Loire et Nouvelle Aquitaine. Elle regroupe des structures tournées vers la défense de l'art et essai et de la recherche dans le cinéma.

C O M M U N I Q U É A s s o c i a t i o n d e s c i n é m a s d e l ' o u e s t p o u r l a r e c h e r c he

N°05 Jeudi 16 août 2018 p. 1 > Soutien ACOR p. 2 > Soutien GNCR / AFCAE + soutien GNCR p. 3 > Soutiens ACID p. 4 , 5 et 6 > Soutiens AFCAE Actions-promotion p. 7 > Soutiens AFCAE Jeune Public + soutien AFCAE Patrimoine / Répertoire

Directeur de publication : Yannick Reix et Antoine Glémain, co-présidents de l'ACOR | rédaction : Catherine Bailhache et Soizig Le Dévéhat • contact@lacor.info • www.lacor.info | Avec le soutien du CNC et des DRAC des régions Centre Val de Loire, Pays-de-la-Loire, Nouvelle Aquitaine et Bretagne

••• SOUTIEN ACOR ••• SOFIA de Meryem Benm’Barek

France / Qatar • 2018 • 1H19 • avec Maha Alemi, Lubna Azabal, Faouzi Bensaïdi Memento • 5 septembre 2018 | Un Certain regard Cannes 2018 : Prix du scénario

Site distributeur ici | Interview vidéo de la réalisatrice sur Cineuropa ici Sofia, 20 ans, vit avec ses parents à Casablanca. Suite à un déni de grossesse, elle se retrouve dans l’illégalité en accouchant d’un bébé hors mariage. L’hôpital lui laisse 24h pour fournir les papiers du père de l’enfant avant d’alerter les autorités…

« Ce premier film d’une jeune réalisatrice pose un regard très sombre sur la société marocaine contemporaine. L’Islam est laissé pour une fois à l’arrièreplan et le film ne se réduit pas non plus à une dénonciation de la condition féminine au Maroc. Il montre plutôt comment dans ce pays chacun, du haut en bas de l’échelle sociale, contribue à entretenir un consensus, c’est-à-dire un système d’hypocrisie et de corruption généralisées. La séquence finale de mariage est à cet égard implacable. On peut trouver le propos désespérant, je l’ai trouvé en tout cas cinématographiquement plutôt convaincant.» Antoine Glémain (Vox de Mayenne, adhérent et co-président de l'ACOR)

Dans le cadre de son soutien, l'ACOR > a commandé un texte sur le film à Adrien Denouette, critique à Critikat et Trois couleurs (extrait ci-dessous). Celui-ci peut intervenir en salle pour accompagner le film. > a réalisé un site sur le film ici Sofia s’ouvre sur un repas de famille filmé à travers une large porte. L’atmosphère est détendue, on comprend qu’un partenariat commercial entre les patriarches du groupe s’apprête à être conclu et la parole circule joyeusement parmi les convives. À la faveur d’un léger travelling avant, le tableau se dévoile alors entièrement : il s’agit d’une scène de repas ordinaire dans le Casablanca d’aujourd’hui, avec une famille que l’on devine aisée et une autre plus modeste. Puis, l’image accouche à la marge d’un personnage discret, confiné tout au bord de la communauté : il s’agit de la Sofia du titre, jeune fille sans distinction d’une vingtaine d’années à qui son père semble soudain donner vie en lui demandant de servir le thé. Comparée à sa cousine du même âge qui s’habille à l’européenne, suit des études de médecine et prend part à la conversation dans un français impeccable, on la devine introvertie et peu éduquée. Sa place à elle ne se trouve pas au centre de l’attention mais à proximité du couloir et des fourneaux, qui sont les coulisses du foyer. De fait, c’est dans le hors champ des festivités qu’elle s’apprête à jouer son drame tristement banal : à savoir, un déni de grossesse dont les premiers symptômes apparaissent dans la cuisine, risquant malgré elle de repositionner Sofia au coeur du tableau, et surtout d’en bouleverser l’harmonie. Dans cette entrée en matière d’une remarquable économie formelle se lisent déjà les ambition d’un premier film plein d’acuité : en somme, capturer l’instantané d’un système grégaire et vulnérable. Ceinte entre les deux murs de la porte, cette première image pose avant tout un cadre : celui de la société toute entière par le biais de la famille, qui en est pour ainsi dire le modèle réduit. [...] À l’arrivée, moins frontal que Much Loved dans sa critique de l’immobilisme marocain, Sofia gratte en fait plus profondément et plus audacieusement le vernis des apparences - n’hésitant pas à faire des chefs de famille les figurants d’une pièce sociale dont ils ne comprennent plus la partition, et des femmes les aides-soignantes d’un système qui les accable. Subtile, prudent et trop conscient des complexités locales pour sonner le clairon de la révolte, le premier film de Meryem Benm’barek n’en pointe pas moins l’impasse dans laquelle s’engouffre toute société dont l’harmonie continuerait de s’appuyer sur le sacrifices des Sofia. Adrien Denouette • texte intégral ici Premier long métrage de Meryem Benm’Barek, jeune réalisatrice d'origine marocaine, Sofia avait sur le papier toutes les apparences du portrait de femme digne, genre bien-aimé du cinéma mais qui est parfois figé dans ses bonnes intentions. La bonne nouvelle de ce premier film est précisément de ne pas être figé mais bel et bien vivant, dans son ton comme dans sa construction. Sofia débute comme un thriller social avec cette jeune héroïne qui fait un déni de grossesse, et qui se retrouve dans l'illégalité en devenant mère hors mariage. Un article du code pénal s'invite rapidement dans le film et ses personnages tombent sous le coup de la loi. Sofia peut-elle se réveiller de ce cauchemar ? Sofia évoque la place de la femme, elle dont le corps semble soumis au bon vouloir des hommes, du compagnon au médecin. Mais peu à peu, le long métrage élargit le cadre à la société entière. Comment peut fonctionner une société sur de telles règles absurdes ? Comment les bonnes mœurs s'arrangent avec un système hypocrite ? Sofia prend l'ampleur d'une fable où tout le monde est perdant et le film, de la condition féminine à la condition d'une société entière, se fait plus ambigu qu'au départ. Une ambiguïté nourrie par la concision du film qui dit tout ce qu'il a à dire en un minimum de temps, ne s'éparpille pas, est à la fois mordant et bienveillant - voici des débuts solides et prometteurs. Nicolas Bardot • filmdeculte


SOUTIEN GNCR ET AFCAE ACTIONS PROMOTION CHRIS THE SWISS d'Anja Kofmel

Allemagne / Croatie / Suisse • 2018 • 1H25 • Avec Anja Kofmel , Hedi Rinke, Julio César Alonso... Urban Distribution • 3 octobre 2018 | Semaine de la critique Cannes 2018

Edition d'un document d'accompagnement AFCAE | Site distributeur ici Croatie, 7 janvier 1992. Au cours de la guerre civile, le cadavre d’un jeune journaliste est découvert, il est vêtu de l’uniforme d’une troupe de mercenaires internationale. Vingt ans plus tard, sa cousine suit sa trace.

(…) Qu’est-il arrivé à son cousin, reporter de guerre mort au front ? En croisant images et animation, la réalisatrice revient sur les heures sombres et la part d’ombre d’un conflit et d’une histoire familiale. Une révélation de la Semaine de la critique. C’est une enquête passionnante, une réflexion sur les horreurs de la guerre, un thriller, un voyage initiatique entremêlé de séquences d’animation d’une beauté funèbre. La Suissesse Anja Kofmel a construit son film hybride, profondément original, sur un sujet dense, à la fois très personnel et universel, en partant d’une question qui l’accompagne depuis son enfance : qu’est-il arrivé à son cousin Chris, correspondant de guerre, mort assassiné en Croatie, dans un champ de bataille glacé, en janvier 1992 ? Il y a bien des manières de dessiner un portrait, et la réalisatrice puise autant dans la palette de l’art que dans celle du documentaire, pour tenter de percer les mystères de Christian Würtenberg, ce jeune homme fasciné par le danger, lancé sur tous les fronts, au sens littéral du terme, jusqu’à ce que sa passion le dévore, à 26 ans. On refait avec elle le chemin de la Suisse à Zagreb, retour sur les lieux du dernier conflit de « Chris the Swiss », la guerre civile en ex-Yougoslavie. De témoignages en lieux encore hantés, équipée des carnets de note de son cousin, elle reconstitue pas à pas, route après route, le quotidien dément et téméraire des journalistes spécialisés, mais nous plonge aussi dans le bourbier complexe d’un grand trauma européen, où rien ni personne n’est épargné, pas même l’héroïque figure familiale. Reporter, aventurier, voire agent secret, personnage équivoque engagé dans une milice internationale pro-croate d’extrême-droite ayant commis des horreurs, ou bien héros de l’info infiltré ? Qui était vraiment Chris ? D’une rencontre à l’autre, de troubles vérités se révèlent, qu’Anja Kofmel ose frotter à son deuil familial et à son propre imaginaire, comblant les vides et déployant ses émotions grâce à de splendides cauchemars animés en noir et blanc, où la mort se présente sous l’apparence d’une nuée menaçante, orage de mouches vibrant toujours plus près de la ligne claire des paysages et des personnages. (…) Dans cet union de l’intime et de l’historique, dans cette déclaration d’amour sans concessions, paraissent aussi, troubles et bouleversants, toutes les victimes d’une guerre sale. Une révélation. Cécile Mury • Télérama

SOUTIEN GNCR UN GRAND VOYAGE VERS LA NUIT de Bi Gan Chine/France • 2018 • 1h50 • avec Wei Tang,Sylvia Chang, Meng Li Bac Films • 14 novembre 2018 | Un Certain Regard - Cannes 2018

Edition d'un document d'accompagnement GNCR | Site distributeur ici Luo Hongwu revient à Kaili, sa ville natale, après s’être enfui pendant plusieurs années. Il se met à la recherche de la femme qu’il a aimée et jamais effacée de sa mémoire. Elle disait s’appeler Wan Qiwen…

[ … ] La claque du Festival est venue cette année d’un jeune réalisateur attendu au tournant. Après le prometteur Kaili Blues, Bi Gan était sélectionné du côté d’Un Certain Regard pour Un Grand Voyage dans la Nuit, dont nous ne sommes toujours pas revenus. (...) 12 ans après avoir quitté la ville de Kaili, Luo y revient, renouant avec d’anciens souvenirs, d’une vie mafieuse énigmatique, de petits boulots épars, et d’un amour matriciel, obsédant. Alors qu’il arpente les rues de la ville pour retrouver la trace et la mémoire d’une femme évanescente, le cinéaste prend un malin plaisir à brouiller les pistes à coups de plans virtuoses et troublants. En témoigne son ouverture, ou un long panoramique joue des textures, des différents plans de l’image pour distiller le trouble et nous faire comprendre que le récit ou nous plongeons va enchâsser jusqu’à l’absurde les époques et les voix. D’évocations cryptiques d’un passé criminel en passant par la réminiscence d’une femme multiple, Bi Gan nous immerge dans un dédale sans issue véritable, un rêve ouaté qui n’est pas sans évoquer les premières créations de Wong Kar-Wai, matinées de David Lynch. Mais ces références n’écrasent jamais l’identité d’Un grand voyage vers la nuit, qui mute et se dévoile véritablement dans sa deuxième partie. (...) Luo, dépité par son enquête inaboutie, atterri dans un cinéma miteux. Alors qu’il enfile ses lunettes 3D, le spectateur est prié de faire de même. Le métrage s’embarque alors dans un invraisemblable plan séquence en trois dimensions avoisinant les 60 minutes. Après une traversée du miroir en funiculaire jusqu’à un village reculé et luminescent, nous sommes trimballés de ruelles aux perspectives trompeuses en saynètes poétiques.[...] Ce qui se déroule alors relève non seulement du miracle technique, ou plus exactement du jamais vu. Ce Carnaval des âmes perdues transcende enfin les influences parnassiennes qu’il étale, et évoque également le jeu vidéo. Car c’est bien une partie où guette la mort, la disparition d’un songe incroyablement fragile. […] Explorateur funambule, protagoniste et metteur en scène fusionnent, redoutant qu'à chaque mouvement, tremblement ou hésitation, le fil ne se rompe, la chimère ne s'évapore, la partie ne s'interrompe. Cette bouleversante tension aérienne permet à Bi Gan de conférer un impact stupéfiant à des images a priori extrêmement banales. [...] En définitive, l’intrigue d’Un grand voyage vers la nuit demeurera un mystère, son issue, un vaste point d’interrogation et son sens, une boule à facette ou chaque spectateur apportera une nouvelle réalité à refléter. Et pourtant, le prodige a bien lieu, tant le métrage s’impose comme une des propositions les plus accomplies, inclassables et fascinantes vues depuis des années, portées par une audace de mise en scène absolument inédite, qui en fait déjà une date dans l’histoire du médium. Simon Riaux • Ecran large

"RENCONTRE(S)" ET "REGARD(S)" SUR LES FILMS SOUTENUS PAR LE GNCR • TAKARA LA NUIT OÙ J’AI NAGÉ : "RENCONTRE(S)" avec D. Manivel et K. Igarashi ici • À GENOUX LES GARS :"RENCONTRE(S)" avec Antoine Desrosières ici • UN COUTEAU DANS LE CŒUR :"RENCONTRE(S)" avec Yann Gonzalez ici • L’EMPIRE DE LA PERFECTION : "RENCONTRE(S)" avec Julien Faraut ici


SOUTIENS ACID AVANT L'AURORE (ex De l'ombre il y a) de Nathan Nicholovitch

France • 2015 • 1H45 • avec David D'Ingéo, Panna Nat, Viri Seng Samnang... New Story • 19 septembre 2018 | Sélection ACID Cannes 2015

Edition d'un document ACID | Site distributeur ici | Site ACID ici Mirinda, un Français prostitué, vit au jour le jour dans les faubourgs de Phnom Penh. Une existence faite d'excès et d'espoir, dans une ville toujours marquée par son passé Khmer rouge. Sa rencontre avec Panna, une petite fille livrée à elle-même, va bouleverser son équilibre et lui donner le courage de se transformer encore.

Incroyable, la réalité crue que ce film révèle. Magnifique, sa façon de la filmer au plus près, toujours en mouvement. Incroyable et magnifique l'interprétation de David d'Ingéo qui est plus qu'il ne le joue Mirinda, un travesti de 45 ans qui se prostitue à Phnom Penh. Autour de Mirinda, tout n'est qu'horreur : enfants vendus par leurs parents, trafics et crimes organisés par d'ex Khmers rouges… Le salut viendra d'une fillette qui va s'accrocher à Mirinda comme seuls les enfants savent le faire, avec obstination. Avant l'aurore (ex-De l'ombre il y a) n'est pas un film de scénario. Les contraintes du récit et de la dramaturgie, il s'en soucie comme d'une guigne. Il vit sa vie comme s'il s'inventait au fur et à mesure, dans l'immédiateté de la sensation et du présent. Ce cinéma-là ne filme pas la vie, il EST la vie, la vie et tout ce qu'elle génère d'opacité et de mystère. Misère et grandeur, pesanteur et grâce : ce paradoxe est tout entier dans le regard de Mirinda qui révèle un monde intérieur secret et inaccessible. Il est dans sa manière enfantine et joueuse d'habiter et de « porter » à l'écran un corps qui pourtant vieillit et s'abîme. Si de l'ombre il y a dans ce tableau, c'est comme chez les grands peintres pour mieux mettre en évidence le cheminement de la lumière. Il y a quelque chose de mystique dans la démarche hyper réaliste et somnambulique de Nathan Nicholovitch. Comme chez Dostoïevski ou d'une autre façon chez Jean Genet, c'est au terme d'une expérience du mal vécu jusqu'au bout sans complaisance ni illusion, que la grâce se révèle. Claudine Bories, Cinéaste de l'ACID

THUNDER ROAD de Jim Cummings

États-Unis • 2018 • 1H30 • avec Jim Cummings, Kendal Farr, Nican Robinson, Chelsea Edmundson Paname distribution • 12 septembre 2018 | Sélection ACID Cannes 2018

Edition d'un document ACID | Site distributeur ici | Site ACID ici L'histoire de Jimmy Arnaud, un policier texan qui essaie tant bien que mal d'élever sa fille. Le portrait tragi-comique d'une figure d'une Amérique vacillante.

Thunder Road, une révélation hallucinante. Un film d'une originalité folle orchestré par le cinéaste et acteur Jim Cummings. Thunder Road s’ouvre sur un hallucinant plan-séquence de dix minutes, très lent travelling avant qui cadre, de plus en plus serré, un flic en uniforme prononçant, dans une église, l’éloge funèbre de sa mère. Il est interprété par Jim Cummings, qui est aussi crédité comme réalisateur, producteur, scénariste et compositeur : un véritable homme-orchestre qui peut rappeler, à certains égards, le tragi-comique (et solitaire) Vincent Gallo. Ce plan était à l’origine un court-métrage (…) et il fut refait à l’occasion de cette adaptation en long-métrage. Cummings y est, comme d’ailleurs dans la quasi-totalité des plans suivants, sur le fil, passant d’une émotion à l’autre en un claquement de doigt, semblant s’effondrer sur lui-même de gêne et rebondissant l’instant d’après. Une performance burlesque phénoménale On ne sait avec certitude s’il joue faux ou non, mais c’est précisément cette indécidabilité qui fascine : le deuil, le rude divorce et la crise existentielle que traverse le personnage le ravagent de l’intérieur, et font de lui cet histrion imprévisible. Sa performance, qu’on peut qualifier sans peine de burlesque, est phénoménale ; et son jeu bizarre vaut mille fois plus que la sacro-sainte justesse psychologique des acteurs professionnels. Il faut le voir hurler, pleurer, rire, danser — et mettre en scène avec une précision redoutable — pour comprendre qu’on tient là une des personnalités les plus originales récemment apparues dans le cinéma indépendant américain. Jacky Golberg • Les inrocks

TERRA FRANCA de Leonor Teles Portugal • 2018 • 1H20 | Docks66 • 10 octobre 2018 Festival du Cinéma du Réel - Prix International de la SCAM | Sélection ACID Cannes 2018

Edition d'un document ACID | Site du film ici | Site ACID ici Entretien vidéo avec la réalisatrice à Cinéma du réel ici Sur les berges du fleuve Tejo, dans une ancienne communauté piscicole, un homme vit entre la tranquillité solitaire du fleuve et les relations qui le rattachent à la terre. Filmé aux quatre saisons, TERRA FRANCA fait le portrait de la vie de ce pêcheur, Albertino Lobo.

Sur les rives du Tage, à Villa Franca de Xira près de Lisbonne, Leonor Teles filme un an de la vie d’Albertino Lobo ; au petit matin, il enfile sa salopette cirée et part pêcher tandis que sa femme, de derrière le comptoir d’un café, frit des beignets. La conversation quotidienne porte bientôt sur un événement familial qui se profile, le mariage de leur fille aînée. La cinéaste ouvre progressivement le champ à la famille – filles adultes et petite-fille –, à mesure que les préparatifs, entravés par l’interdiction de pêcher qui frappe Albertino, génèrent joie et inquiétude matérielle.


Elle porte au jour sans les dramatiser la ligne de démarcation qui se dessine parfois au sein du couple, l’accroc dans les liens familiaux. Des plans splendides du pêcheur sur le fleuve, cadré à la taille comme un esprit des eaux, contrastent avec les desiderata de l’épouse : il faudrait qu’Albertino sorte au théâtre avec elle et ses filles, qu’il remarque qu’elle a changé la cuisine... Si le film fait état de la fin d’un cycle de vie, c’est avec finesse que Teles en capte les ondes de choc sur les visages et les gestes, sans nostalgie complaisante. De part et d’autre d’une réplique que l’on se lance, un conflit s’apaise, un refus se transforme. Le montage accueille et souligne cette douce réversibilité. Devant un couple de fiancés radieux à la télévision, le pêcheur lâche à son épouse : « Le pire vient plus tard, hein Dalia ? » Avant d’ajouter : « Et le meilleur. » Charlotte Garson • Cinéma du réel

PROCHAINS SOUTIENS DE L'ACID IL SE PASSE QUELQUE CHOSE d’Anne Alix (Shellac • 15.08.18) | THUNDER ROAD de Jim Cummings (Paname • 12.09.18) | AVANT L'AURORE de Nathan Nicholovitch (New Story • 19 .09.18) | TERRA FRANCA de Leonor Teles (Docks66 • 10.10.18) | CASSANDRO, THE EXOTICO! de Marie Losier (Urban • 05.12.18) | UN VIOLENT DÉSIR DE BONHEUR de Clément Schneider (Shellac • 26.12.18) | L’AMOUR DEBOUT de Michaël Dacheux (Epicentre • 30.01.19) | DANS LA TERRIBLE JUNGLE de Caroline Capelle et Ombline Ley (Les Acacias • 13.02.19)

SOUTIENS AFCAE ACTIONS PROMOTION BURNING de Lee Chang-dong

Corée • 2018 • 2H28 • avec Ah-in YOO, Steven YEUN, Jong-seo JUN Diaphana • 29 août 2018 | Compétition Cannes 2018 : Prix FIPRESCI de la Critique Internationale

Edition d'un document AFCAE | Site distributeur ici Lors d'une livraison Jongsu, un jeune coursier, tombe par hasard sur Haemi, une jeune fille qui habitait auparavant son quartier. Elle lui demande de s’occuper de son chat pendant un voyage en Afrique. À son retour, Haemi lui présente Ben, un homme mystérieux qu’elle a rencontré là-bas. Un jour, Ben révèle à Jongsu un bien étrange passe-temps...

[…] Sorte de Jules et Jim du matin (pas toujours) calme, Burning nous raconte l'histoire de Haemi, Jongsu et Ben. Haemi est fantasque, vivace, avec un fond dépressif, Jongsu est fils de paysan, taiseux, timide, écrivain velléitaire, alors que Ben est un bobo friqué, arrogant, sûr de lui. Les trois sont aussi très sexys. Que se passe-t-il exactement entre eux ? On sait que Haemi et Jongsu ont couché une fois ensemble et que Jongsu en devient fou amoureux, mais pour le reste, c'est plus mystérieux. Haemi aime-t-elle Ben ou Jongsu, ou les deux, ou aucun des deux ? Ben aime-t-il Haemi ou est-elle pour lui un coup parmi d'autres ? L'amitié est-elle possible entre Ben et Jongsu alors qu'ils courtisent la même fille et ont des personnalités opposées, sans oublier leur différence de classe sociale (subtil substrat politique du film) ? Toute la tension à feu doux du film réside dans ces questions alors qu'on voit ces protagonistes évoluer dans des situations banales : repas, pots, virées à la campagne, discussions, tâches quotidiennes... Mais chacun (et le film en sa globalité) secrète du mystère, cette part de béance en laquelle peut s'engouffrer le spectateur. Puis un jour, Haemi disparaît, motif hitchcockien très en vogue cette année à Cannes (...). Rongé de chagrin, Jongsu la recherche, tandis que le cynique Ben semble prendre la chose plus légèrement. Et insidieusement, Burning parvient à ce tour de force qui est en fait un tour de grâce : tout ce qui se passe de fondamental entre ces trois êtres a lieu hors champ, n'est jamais montré frontalement mais simplement suggéré par une foultitude d'indices et d'allusions savamment distillées au long du récit. Derrière les apparences de ce film, un autre film caché se trame, que l'on devine sans que jamais les choses soient explicites. (...) Admirablement mené, photographié, mis en musique, laissant toujours planer une part d'incertitude, Burning nous hante longtemps après la projection. Serge Kaganski • les Inrocks

SHÉHÉRAZADE de Jean-Bernard Marlin

France • 2018 • 1H49 • avec Dylan Robert, Kenza Fortas, Idir Azougli... Ad Vitam • 5 septembre 2018 | Semaine de la Critique 2018 | prix Jean Vigo 2018

Edition d'un document AFCAE | Site distributeur ici Zachary, 17 ans, sort de prison. Rejeté par sa mère, il traîne dans les quartiers populaires de Marseille. C’est là qu’il rencontre Shéhérazade...

[…] C’est toujours un grand bonheur (...) que d’assister à la naissance en direct d’un cinéaste, à Cannes ou ailleurs. Shéhérazade est sans nul doute l’une des plus belles révélations de ce festival. Le film confirme le talent exceptionnel de Jean-Bernard Marlin entrevu dans ses premiers courts métrages. A partir d’un fait-divers sordide, il tord le cou à la tentation du pseudo-réalisme documentaire et à l’apitoiement pour raconter une histoire d’amour fou entre deux jeunes adolescents propulsés dans un monde de violence et de prostitution, dans les rues de Marseille. Marlin refuse de faire la distinction entre cinéma de genre et cinéma de poésie. Pour raconter cette rencontre passionnelle entre un jeune proxénète accidentel et une gamine qui fait le trottoir, Marlin tord le cou aux clichés du polar à la française aussi bien qu’aux bonnes manières du cinéma d’auteur. Il opte pour une stylisation virtuose arrachée à des conditions très précaires de tournage, entre ambiances nocturnes sous haute tension et comédiens non professionnels formés à l’école de la rue et de la prison. Shéhérazade débute par un hommage à Scarface de Brian De Palma – le générique constitué d’images d’archives retrace l’histoire des migrants venus trouver refuge dans le port de Marseille, des familles italiennes jusqu’au récents réfugiés d’origine africaine ou moyen-orientale puis se poursuit comme un mélodrame pasolinien, sans oublier les amants de la nuit de Nicholas Ray. Les éclairs de violence, les humiliations subies par le couple d’amoureux alternent avec des instants de tendresse et d’intimité qui nous arrachent les larmes. Shéhérazade raconte la trajectoire d’une bête féroce qui trouve le chemin de la rédemption grâce à l’amour le plus pur d’un ange du trottoir. Shéhérazade irradie du feu intérieur de ses jeunes interprètes, sauvages et magnifiques. Marlin signe un film lyrique et brûlant, et ses mille et une nuits commencent à peine à nous hanter. Olivier Père • Arte.tv


MADEMOISELLE DE JONCQUIÈRES d'Emmanuel Mouret

France • 2018 • 1H49 • avec Cécile de France, Édouard Baer, Alice Isaaz, Natalia Dontcheva, Laure Calamy | Pyramide • 12 septembre 2018

Edition d'un document AFCAE | Site distributeur ici Madame de La Pommeraye, jeune veuve retirée du monde, cède à la cour du marquis des Arcis, libertin notoire. Après quelques années d’un bonheur sans faille, elle découvre que le marquis s’est lassé de leur union. Follement amoureuse et terriblement blessée, elle décide de se venger de lui avec la complicité de Mademoiselle de Joncquières et de sa mère...

MADEMOISELLE DE JONCQUIÈRES est votre neuvième long- métrage et votre premier film en costumes. Quand Frédéric Niedermayer, producteur de tous mes films, a évoqué l’idée d’un film en costumes, j’ai immédiatement pensé à un récit conté par l’aubergiste dans JACQUES LE FATALISTE, le roman de Diderot, récit coupé par de nombreuses digressions et parenthèses, comme tous les autres moments du livre. Un récit souvent relu, qui m’avait frappé, beaucoup ému, notamment sa fin. La modernité de cette histoire m’avait semblé saisissante, j’entends par là que ce qui est moderne est ce qui ne vieillit pas et traverse le temps. Les désirs, les sentiments, les élans, les conflits qui traversent les personnages et les questions que soulève le récit me semblent très contemporains. Les questions morales que se pose le 18e siècle sont toujours à l’œuvre de nos jours. Pendant et après la Régence, la société est clivée comme jamais, comme la nôtre, entre l’amour profane, le goût des plaisirs, et un amour plus sacré. Libertins ou pas, ceux qui ont traversé cette époque sont aussi intérieurement clivés que nous le sommes aujourd’hui. Robert Bresson a déjà adapté ce récit de Diderot dans LES DAMES DU BOIS DE BOULOGNE. Il adapte ce récit à son temps, 1945. L’existence de ce film de Bresson m’intimidait évidemment, mais je me suis rendu compte que j’étais intéressé par d’autres aspects du récit, notamment par le personnage de Madame de La Pommeraye que je souhaitais développer davantage. C’est pourquoi je me suis non seulement attardé sur les prémisses de l’histoire, mais aussi sur sa fin et son épilogue. Par ailleurs, je souhaitais rester fidèle à Diderot concernant le traitement narratif de Mademoiselle de Joncquières, dont est épris le marquis. Bresson la met très tôt en avant alors que Diderot le fait vers la toute fin : elle est longtemps un personnage en arrière-plan, une silhouette, qui prend subitement une consistance et une profondeur qui éclaire tout le récit. Je voulais essayer de conserver cette « surprise dramatique » à la fois originale et forte en émotion. [...] extraits d'un entretien avec E. Mouret - dossier de presse

GIRL de Lukas Dhont

Belgique • 2018 • 1h45 • Victor Polster, Mathias Arieh, Worthalter Milo, Oliver Bodart Diaphana • 10 octobre 2018 | Un Certain Regard Cannes 2018 : Caméra d'Or | Prix d'interprétation masculine Un Certain Regard à Victor Polster

Edition d'un document AFCAE | Site distributeur ici Lara, 15 ans, rêve de devenir danseuse étoile. Avec le soutien de son père, elle se lance à corps perdu dans cette quête d’absolu. Mais ce corps ne se plie pas si facilement à la discipline que lui impose Lara, car celle-ci est née garçon.

Avant de rafler la Caméra d’Or et la Queer Palm, le premier film de Lukas Dhont, Girl avait été accueilli par une standing ovation retentissante lors du premier weekend cannois, qui en a fait d’emblée le chouchou d’Un Certain regard. Un coup d’essai à l’équilibre pourtant périlleux, puisqu’il repose en grande partie sur les frêles épaules de Viktor Polster, récompensé par le Prix d’interprétation de cette même sélection. Celui-ci y joue le rôle de Lara – anciennement Victor –, qui veut mener à son terme sa transition en subissant l’opération chirurgicale nécessaire à son changement de sexe. Sa décision coïncide avec son admission dans l’une des plus prestigieuses écoles de danse de Belgique, où elle doit rattraper son retard sur les autres ballerines, formées depuis l’enfance à l’éprouvante technique du ballet. La caméra frémissante de Dhont épouse le moindre mouvement de Lara, qui enchaîne les rotations avec une persévérance ne laissant aucun doute sur sa détermination à réussir sa mue, à la fois de femme et de danseuse. Girl pourrait se résumer à ce mouvement giratoire, réitéré jusqu’à l’épuisement et au vertige, s’il n’avait l’heureuse idée d’inscrire sa métamorphose dans une configuration familiale qui déjoue les attendus de ce type de récit. Derrière la fille, se cache ainsi un beau portrait de père (excellent Arieh Worthalter), chauffeur de taxi divorcé qui soutient inconditionnellement le choix irréversible de Lara, tout en prenant en charge les appréhensions légitimes qu’il nourrit chez le spectateur. Refusant les circonstances atténuantes, Girl touche par la justesse de son dialogue parental, propice aux mêmes frustrations et non-dits qu’avec n’importe quel autre adolescent. Lara est parfois pénible, difficile, voire indifférente aux sacrifices consentis par son père, qui s’est réinstallé pour elle à Anvers. Elle brûle de cette impatience propre à son âge, devant l’absence de résultats immédiats du traitement hormonal censé faire apparaître ses seins. Une attente intenable quand les conséquences de l’entraînement, elles, sont douloureusement visibles, Lara redescendant de ses pointes les doigts de pied en sang. Cette mutilation en augure une autre, vers laquelle ce grand corps gracile virevolte inéluctablement. En dépit d’une difficulté à s’astreindre au cadre, ce cinéma aux trémolos parfois agaçants émeut, en trouvant la bonne distance entre frontalité et pudeur. Damien Bonelli • Critikat

NOS BATAILLES de Guillaume Senez

Belgique / France • 2018 • 1H38 • avec Romain Duris, Laetitia Dosch, Laure Calamy et Lucie Debay Haut et court • 10 octobre 2018 | Semaine de la critique 2018

Edition d'un document AFCAE | Site distributeur ici Olivier se démène au sein de son entreprise pour combattre les injustices. Mais du jour au lendemain quand Laura, sa femme, quitte le domicile, il lui faut concilier éducation des enfants, vie de famille et activité professionnelle. Face à ses nouvelles responsabilités, il bataille pour trouver un nouvel équilibre, car Laura ne revient pas.

La finesse d’observation et d’écriture de Guillaume Senez avait fait mouche il y a trois ans avec Keeper. Si son premier long-métrage n’avait pas eu les honneurs cannois, son deuxième film vient de démarrer son parcours en séance spéciale à la Semaine de la Critique.


Le héros adolescent du premier, qui se battait avec ses choix de vie de footballeur et sa paternité précoce, laisse la place ici à un quarantenaire en pleine lutte avec lui-même et avec le monde. Et Romain Duris trouve en Olivier l’un de ses plus beaux rôles, treize ans après De battre mon cœur s’est arrêté de Jacques Audiard. Un personnage puissant dans sa combativité sociale, professionnelle, familiale, paternelle. Puissant dans ses faiblesses aussi. Car le cinéaste belge, qui passe lui-même le cap des quarante ans cette année, et s’est nourri de sa séparation conjugale et de son lien à ses enfants, cisèle avec sa scénariste Raphaëlle Desplechin le portrait d’un homme qui reçoit et affronte les événements à bras-le-corps. Sans esbroufe stylistique, mais avec une construction subtile des caractères, des situations, des dialogues, et de leur enchaînement narratif, le film emporte le morceau. Une véritable fresque des temps modernes, à l’ère de la mondialisation, de la déshumanisation, du burn out et de la course épileptique à la performance et à la satisfaction immédiate. Nos batailles est un chant d’amour à l’humanité. À ses peurs, à ses coups durs, à ses combats, à ses pertes de vitesse, à ses résignations, à ses abandons, à ses résistances. Un chant qui embrasse le champ des possibles. Celui de passer dans la même scène de l’affrontement à la tendresse, comme lorsque Olivier et sa sœur Betty finissent enlacés sur Le Paradis blanc de Michel Berger. Celui de passer de l’énergie combative à l’émotion du retrait de la lutte syndicaliste, avec la collègue et amante Claire. En visant juste, Senez touche au cœur et serre la gorge de ses spectateurs. Grâce à sa direction d’acteurs, faite d’alchimie entre improvisation et dialogues écrits. Grâce à son casting hors pair, où les aguerris, d’une modulation interprétative de stradivarius (Duris, Calamy, Dosch, Debay, Valadié), est illuminée par la présence de deux enfants au flair d’incarnation dingue : Basile Grunberger et Lena Girard Voss. Nos batailles sont définitivement nôtres. Olivier Pelisson • Bande à part

COLD WAR de Pawel Pawlikowski

Pologne • 2018 • 1H24 • avec Joanna Kulig, Tomasz Kot, Jeanne Balibar, Cedric Kahn Diaphana • 24 octobre 2018 | Compétitio, Cannes 2018 : Prix de la mise en scène

Edition d'un document AFCAE | Site distributeur ici Pendant la guerre froide, entre la Pologne stalinienne et le Paris bohème des années 1950, un musicien épris de liberté et une jeune chanteuse passionnée vivent un amour impossible dans une époque impossible.

Le réalisateur d’“Ida” et de “La Femme du Ve” vient pour la première fois en compétition présenter le magnifique “Cold War” (“Zimna Wojna”), porté par une mise en scène intense. [...] « Ni avec toi, ni sans toi », disait François Truffaut dans La Femme d’à côté. « Ni près, ni loin de toi », semble, en écho, répondre Pawel Pawlikowski. Dans La Femme du Ve (2011), d’après Douglas Kennedy ...), il transformait Paris en une cité aussi asphyxiante qu’une nouvelle de Kafka. Dans Ida (2013), énorme succès inattendu, il filmait en cadrages géométriques des personnages hors normes dans une Pologne grise et somnolente… Il se sert à nouveau – et magnifiquement – du noir et blanc dans Zimna voïna (Cold War) : au gris terne des scènes polonaises succède le velouté sombre, presque violent de la boîte parisienne où joue Wiktor et où, durant un temps, se produira Zula. Le jazz, pour le cinéaste, est, visiblement, le symbole de la norme transgressée, de l’oppression vaincue : dans Ida, c’était la musique de John Coltrane, déjà, qui révélait à l’héroïne un monde qu’elle ignorait et qui, un instant, la grisait. Les mises en scène de Pawel Pawlikowski sont toutes belles et graves, elliptiques (ne rien révéler sinon l’indispensable) et intenses sous leur apparente distance. Les femmes en sont toujours l’âme : les deux ados de My summer of love (2004), la nonne juive et sa tante, ex-juge féroce dans Ida. Et même Kristin Scott Thomas dans La Femme du Ve, sorte de déesse implacable assurant l’immortalité de l’artiste en échange de son corps et de son âme. De Joanna Kulig, il fait un personnage inouï qui, dès le départ, provoque, suscite le rejet : n’a-t-elle pas presque tué son père dans un accès de colère ? (…) Tout au long des ans et des rencontres avec Wiktor, c’est elle qui incarne la révolte. La colère. Puis la lassitude devant un monde peuplé d’hypocrites et de lâches. Devant une société envoyant dans des camps tous les gêneurs qu’elle fait passer pour des « sociaux- traîtres ». (...) C’est évidemment ce passé douloureux bien connu de ses parents (...) que recrée Pawel Pawlikowski, sous le masque d’un mélo à l’ancienne. Et l’on s’émeut, et l’on frissonne devant le sort de ces pauvres amants qui vont droit vers un destin qu’ils connaissent, acceptent et désirent. Pierre Murat • Télérama

LETO de Kirill Serebrennikov

Russie • 2018 • 2H08 • avec Teo Yoo, Irina Starshenbaum, Roman Bilyk Bac Films • 5 décembre 2018 | Festival de Cannes 2018 - Sélection Officielle

Edition d'un document AFCAE | Site distributeur ici Leningrad. Un été du début des années 80. En amont de la Perestroïka, les disques de Lou Reed et de David Bowie s'échangent en contrebande, et une scène rock émerge. Mike et sa femme la belle Natacha rencontrent le jeune Viktor Tsoï. Entourés d’une nouvelle génération de musiciens, ils vont changer le cours du rock’n’roll en Union Soviétique.

Après Le Disciple (...) sur le fanatisme religieux, projeté dans la section Un Certain Regard en 2016, Kirill Serebrennikov revient sur la croisette et fait son entrée en compétition officielle avec L’Été. Dans un superbe noir et blanc matifié, le cinéaste et dramaturge russe, actuellement assigné à résidence par les autorités pour détournement de fonds, nous entraîne dans le Leningrad grisâtre des années 80 pour capturer l’émergence de la scène rock underground. S’il ne présente pas de prime abord ses personnages principaux, se dessine progressivement la trajectoire de Mike Naumenko, guitariste de renom et leader du groupe Zoopark -avec sa compagne Natacha- et de Viktor Tsoï, chanteur et leader du groupe Kino. Deux figures de proue qui ont façonné l’histoire du rock’n’roll en Union Soviétique sous Brejnev, décédés dix ans plus tard. Serebrennikov signe sans doute l’un des meilleurs films dans l’univers du rock, grâce à sa mise en scène privilégiant plans d’ensemble et travelling, renforcée par une superbe photographie avec ses effets contrastés de lumière. Sa caméra immersive, souvent portée, retrace ainsi l’impact de ces deux chefs de file sur la jeunesse et la culture soviétique, à l’aube de la Perestroïka. Le film brasse des thématiques universelles sur la liberté, l’amour, l’amitié et l’espoir, qui fonctionnent pendant les deux heures. Excellemment bien rythmé, Leto est une belle lettre d’amour où se mélangent et se consomment sans modération groupes, albums, morceaux et pochettes de disques emblématiques (Beatles, Blondie, Lou Reed, T.Rex, Velvet Underground, Sex Pistols, etc). Un film extatique donc, qui laisse place à quelques interludes musicales hallucinatoires à la touche clipesque, comme ce passage dans le train avec Psycho Killer des Talking Heads. Serebrennikov oppose ainsi « le souffle de liberté » de cette génération de rockeurs et de musiciens qui ont bâti le mouvement, avec en toile de fond les idéologies du régime répressif, pour ainsi mettre en exergue leurs vocations, leurs aspirations et leur dévouement au rock. Mention aux trois acteurs principaux (Roman Bilyk, Teo Yoo, Irina Starshenbaum) qui incarnent un triangle amoureux porteur. Serebrennikov se débarrasse habilement des écueils du biopic musical et ses éléments inhérents pour se concentrer sur les espoirs de cette jeunesse du pays en quête de renouveau. Une ode musicale organique, douce, légère et fluide qui nous embarque totalement dans ce microcosme nostalgique, repoussant toutes les frontières du climat politique soviétique de l’époque. Nathalie Dassa • Cinéchronicle


SOUTIEN AFCAE JEUNE PUBLIC TA MORT EN SHORT(S) programme de courts métrages • France • 2018 • 54' • à partir de 11 ans • Folimage • 31 octobre 2018

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Composé de six courts métrages, ce nouveau programme, imaginé par Folimage, propose d’aborder avec philosophie, humour et inventivité le thème encore tabou de la mort. Mêlant des univers graphiques et des ambiances très variés, ces films prouvent que les morts peuvent être d’une grande vitalité ! Jamais dépourvus de ressources face à la fatalité, les personnages que l’on croise dans ces récits métaphysiques puisent en eux les trésors d’humanité et d’impertinence pour conjurer le sort. Et ils n’ont jamais été aussi émouvants, courageux et attachants ! Nés de l’imagination de jeunes réalisateurs, mus par le désir d’en découdre avec la mort, chacun de ces courts métrages possède une force intrinsèque et une puissance, qui dépassent le pur divertissement. La vitalité et la jeunesse se retrouvent aussi du côté des réalisateurs qui commencent leur carrière. (…) Les auteurs se sont inspirés de leur propre histoire pour imposer un style, une voix et un regard tout personnels, sur un thème aussi intime qu’universel. S’il n’était pas évident de garder un regard tendre quand on traite d’un sujet aussi éprouvant que celui de la mort, les réalisateurs ont su toutefois l’apprivoiser avec grâce et même insolence. La poésie, qui irrigue chacun de ces films, permet de libérer la parole sur un sujet peu abordé naturellement dans nos sociétés et dont le cinéma d’animation s’est, jusqu’à présent, saisi à la marge. C’est la force de ce programme revigorant, dans lequel la farce se conjugue à l’humour noir et où les morts n’ont jamais été aussi vivants.

PÉPÉ LE MORSE de Lucrèce Andreae 15' • Animation 2D

CHRONIQUES DE LA POISSE d'Osman Cerfon 6' • Animation 2D

Sur la plage sombre et venteuse, Mémé prie, Maman hurle, les frangines s’en foutent, Lucas est seul. Pépé était bizarre comme type, maintenant il est mort.

La Poisse est un homme à tête de poisson. De sa bouche s’échappent des bulles qui portent malheur. Lorsque l’une d’elle suit un personnage, le sort s’acharne sur lui...

MON PAPI S'EST CACHÉ d'Anne Huynh 7' • Pastels gras sur cire

MAMIE de Janice Nadeau 6' • Animation traditionnelle (papier)

Un grand-père explique à son petit-fils qu’il devra prendre grand soin de son jardin après sa mort. S’ensuit une discussion, touchante et poétique, sur les traces qui restent après la disparition d’un être cher..

Mamie habite en Gaspésie dans une maison faisant dos à la mer. L’univers cloîtré de la vieille dame bascule lorsqu’elle reçoit un avis d’expropriation. Ce déracinement se fait sous le regard de sa petite-fille qui interroge l’absence de liens entre elles.

LA PETITE MARCHANDE D'ALLUMETTES d'Anne Baillod et Jean Faravel 10' • Animation en volume

LOS DIAS DE LOS MUERTOS de Pauline Pinson 9' • Ordinateur 2D

Directement adapté du célèbre texte d’Andersen, le film raconte le sort d’une petite marchande qui tente de vendre des allumettes, dans une grande ville, en plein hiver.

Gonzalo, mort depuis peu, retourne chez sa femme Séléné à l’occasion de « Los Dias de los Muertos ». Alors qu’il espérait manger des burritos et des beignets aux patates, il découvre que Séléné lui a cuisiné un poisson microscopique..

SOUTIEN AFCAE PATRIMOINE RÉPERTOIRE ANATAHAN de Josef Von Sternberg

Japon • 1953 • 1H32 • avec Akemi Negishi, Tadashi Suganuma, Kisaburo Sawamura, Shôji Nakayama

Capricci / Bookmakers • 5 septembre 2018

Edition d'un document AFCAE | Site distributeur ici | Fiche exploitant AFCAE ici Jean-François Rauger, "Josef von Sternberg", Cinémathèque Française, à lire ici | Nathalie Dray, "Sternberg, le faiseur d'Ange", Libération, à lire ici | Jean-Jacques Birgé, "Anatahan, violence et passion", Mediapart, à lire ici | "Josef von Sternberg : Retour à Anatahan", conférence d'Emmanuel Burdeau à la Cinémathèque Française, à visionner ici | "Fièvre sur Anatahan" et le Japon, par Emmanuel Burdeau, Revue du Café des images, à lire ici Un groupe de pêcheurs et soldats japonais échoue en 1944 sur l’Île d’Anatahan, qu’ils trouvent déserte à l’exception d’un couple. Ignorant la défaite du Japon puis refusant d’y croire, attendant l’arrivée d’un ennemi qui n’existe plus, ils en viennent à se faire la guerre entre eux pour la possession de l’unique femme à leur portée : Keiko, surnommée la Reine des Abeilles. De l’aveu même de Josef von Sternberg, Fièvre sur Anatahan est son film testamentaire. Véritablement tourné au Japon, mais dans un entrepôt de Kyoto, non sous-titré mais doté d’une voix-off du maître lui-même, c’est une variation ultime sur les thèmes du faux et de la nature humaine. Au sein d’un décor de carton-pâte, la vérité des corps qui se désirent et s’entretuent. (…) Vincent Poli • FID Marseille […] Avec des moyens limités, Josef von Sternberg invente un monde fascinant de désirs et de peurs. Le cinéaste s’intéresse aux ombres subtiles qu’il projette sur ses personnages. Et sur ces éclairages qui les emprisonnent. Les comédiens sont observés comme des poissons dans un aquarium. Raffinement suprême, on ne les comprend pas : le dialogue n’est pas traduit. Tout le sens est porté par la voix sèche de Sternberg, dans le rôle invisible du commentateur. A lui seul, il est le chœur de cette tragédie. Philippe Roger • Télérama


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