N° 97 juillet 2014
Sommaire 1.
Editorial
2.
Villes en développement, recherche et action en coopération internationale
4.
Intégrer et valoriser la recherche urbaine pour l’aménagement d’une ville du Sud
5.
L’implication des membres de AdP dans la recherche
6.
Le rôle des centres de recherches dans l’université américaine
8.
Publications
8.
En bref
Recherche et action pour une ville durable La
Journée d’échanges 2013 de AdP -Villes en développement a été consacrée aux relations entre la recherche urbaine et l’action opérationnelle… Il y a été beaucoup question de la ville durable, envisagée comme un objet d’étude pluridisciplinaire où interviennent de très nombreux acteurs et où il est essentiel d’associer connaissance et action. Que retenir des débats de cette Journée ? La recherche est-elle tenue à des résultats opérationnels? Cette question a cristallisé les différences d’approches qui opposent parfois les chercheurs en sciences sociales et ceux des sciences technologiques. Pour les premiers, la recherche doit se déployer dans le savoir, dans la réflexion et aussi parfois dans des engagements personnels. Pour les seconds, elle s’inscrit dans une stratégie de développement de l’entreprise. Elle vise la conquête de marchés et elle doit conduire à des gains de compétitivité. À quels besoins doit répondre la recherche ? Elle doit d’abord répondre aux questions que se pose la société. Cette exigence impose une relation étroite avec ceux qui décident et qui agissent. La production de la recherche doit être encadrée par des instances d’orientation associant les décideurs politiques et la société civile. La recherche doit être lisible, accessible, et largement diffusée. Plusieurs intervenants ont évoqué leur difficulté à transmettre leur expertise et leurs expériences. D’autres ont souligné la difficulté de faire percoler les avancées technologiques au sein des
entreprises. La mise en réseau des chercheurs et de leurs instituts est à cet égard une étape déterminante. La recherche s’inscrit dans des cadres académiques, économiques et sociétaux très différents selon les pays. Le système américain fait ainsi une large place au mécénat et le bouclage du budget est une étape essentielle d’un programme de recherche. Le système français est marqué par le rôle du CNRS et le poids des financements publics. Tous les systèmes ont cependant du bon dès lors que fonctionnent des instances de contrôle et de régulation. La recherche urbaine doit être transversale et pluridisciplinaire et les entreprises en ont, elles aussi, pris conscience. Elle ne sera féconde que qui elle sait marier les savoirs scientifiques, les cultures professionnelles et les métiers. Les solutions d’aménagement toutes faites, importées des pays développés et fondés sur des savoirs extérieurs ne sont pas forcément les meilleures. D’où l’importance d’une recherche-action qui tire les enseignements de l’opérationnel et ancre les projets dans les réalités locales. Enfin, et cela est revenu comme un leitmotiv tout au long de la Journée, il est essentiel d’établir des passerelles entre la recherche et l’action. AdP Villes en développement s’y emploie à sa manière en rassemblant et en faisant dialoguer les professionnels qui font la ville et les chercheurs qui réfléchissent à son avenir. g Marcel Belliot, Président de AdP Villes en développement
Les contraintes du Bulletin ne permettent pas de restituer ici toute la richesse des interventions. Nous recommandons au lecteur de poursuivre sa lecture en retrouvant les actes de la Journée sur le site www.ville-developpement.org.
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Crédit photo : B. Michelon
développement
Villes en
Bulletin des professionnels de AdP Villes en développement
Une habitante d’un des quartiers de Lagos
Villes en développement, recherche et action en coopération internationale Jean-Claude Bolay, Professeur à l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, Directeur du Centre Coopération & Développement Les citadins représentent un peu plus de la moitié de la population mondiale. Et la tendance va se poursuivre avec l’urbanisation massive des pays du Sud, prolongeant le lien fort entre le développement économique, le pouvoir politique et la centralité qu’offre les villes. Fort de cette analyse et de son expérience, Jean-Claude Bolay propose une vision des évolutions possibles entre la recherche urbaine et le milieu opérationnel.
Un monde toujours plus urbain
L’urbanisation du monde
Si l’on prend à titre d’exemple l’Afrique, qui reste la région la plus rurale à ce jour, avec 40% de population urbaine pour tout le continent, il ressort que le processus de changement majeur aux plans démographique et spatial ne concerne pas que les grandes métropoles, mais concerne toutes les villes, de toutes tailles, dans tous les pays de ce continent. Le phénomène s’est ainsi globalisé et les centres urbains, s’ils représentent toujours une source d’emploi indéniable, le plus souvent informelle, attirent également les populations rurales par leurs services, équipements et infrastructures dans des secteurs tels que santé, éducation, transports et communication.Cette évolution est à la fois économique, sachant que l’Afrique, après l’Asie est le continent du plus fort taux de croissance annuelle, avec 5,7% au cours de la dernière décennie ; elle est aussi et surtout démographique. C’est la région du monde où l’urbanisation de la population est la plus rapide, avec une moyenne annuelle de 3,4%. Ce ne sont pas seulement les grandes métropoles qui se confrontent aux questions d’aménagement de leur territoire pour accueillir ces nouvelles populations. Les experts des Nations Unies estiment que la pression sera plus forte encore, toutes proportions gardées, dans les villes petites et moyennes, là où très souvent les ressources financières et les compétences humaines sont plus rares encore. Ces tendances devraient guider tant l’analyse de l’urbanisation que les priorités d’actions pour un développement urbain durable et socialement inclusif : • entre 2000 et 2025, la population urbaine des pays en développement aura doublé, passant de 2,2 à 4,4 milliards : 42% des citadins vivront dans des villes de moins de 500 000 habitants ; • les pauvres urbains, qui atteignaient le milliard en 2007, sont censés passer à près de 1,4 milliard en 2020 et 2 milliards en 2030 ; • dans le cadre des processus de décentralisation politique et administrative en cours, les villes bénéficient de marges de manœuvre plus larges, même si elles n’ont pas toutes les ressources financières et humaines pour faire face aux nécessités ; • les organismes de coopération soutiennent plus aisément des investissements en milieu urbain si ceux-ci s’insèrent dans des politiques de renforcement de la gouvernance locale ; • les populations urbaines sont de plus en plus fréquemment associées aux décisions et à leurs applications. Villes en développement Juillet 2014 - n° 97
Selon le rapport de 2010 sur l’état des villes d’ONU-Habitat, la tendance à l’urbanisation, aujourd’hui 52% de la population de notre planète, va se poursuivre. C’est ainsi qu’en 2050, 70% de la population mondiale vivra en milieu urbain. C’est déjà largement le cas en Europe, en Amérique du Nord et en Amérique latine. Mais les populations des pays d’Asie et d’Afrique restent encore majoritairement rurales, à près de 60%. C’est donc sur ces deux continents que les transformations les plus conséquentes vont s’opérer au cours des prochaines décennies. g
De la gestion urbaine à la gouvernance urbaine Dès les années 1980, différents courants ont émergé afin de repenser l’organisation du territoire en général et plus particulièrement celui des agglomérations urbaines. Ces tendances peuvent être rassemblées derrière ce que l’on nommera désormais la planification urbaine stratégique, moins focalisée sur une programmation de grands travaux inscrits dans le temps, mais plus orientée vers une vision globale des activités humaines et des interactions entre infrastructures, équipements et services pour un aménagement répondant mieux aux desiderata des différentes groupes sociaux. Le succès de ces initiatives dépendra grandement de la structuration politique en place, tant au niveau national qu’à l’échelle locale, et de la participation réelle des représentants de la société civile. On préfère à cet égard désormais parler de gouvernance urbaine, mettant en exergue la concertation entre groupes d’intérêts, de manière à fixer des objectifs communs, des travaux jugés prioritaires par l’ensemble des forces en présence. Pour autant, la reproduction de modèles urbains hérités de sociétés occidentales dans des contextes fort différents, en Afrique, Asie et Amérique latine, fait cependant peu cas de la complexité que l’on rencontre dans ces villes. Et la question de la prise en compte des besoins et demandes de la majorité des citadins, pauvres et précaires reste largement ouverte. La planification ne se focalise que rarement sur les nécessités vitales des couches les plus défavorisées de la population : régularisation des quartiers précaires, installation des réseaux et des 2
services de base. Les villes du Sud se singularisent d’abord et avant tout par la fragmentation spatiale (allant des bidonvilles aux gated communities), une gentrification opérée à partir des besoins de certains groupes sociaux et une ségrégation sociale qui tend à accroître les disparités socio-économiques. Dans le présent comme au futur, penser la ville du Sud et travailler à son aménagement impliquera d’abord de mieux comprendre les différentes logiques en conflit entre la rationalité technocratique des gouvernements et des élites en place, et les actions menées par les populations pauvres pour s’en sortir tant bien que mal. Entre les deux, les professionnels de la ville doivent jouer de ces tensions, soumis aux impératifs des décideurs et financeurs, bien que sensibles très souvent aux récriminations des secteurs marginalisés de la société urbaine.
tion congrue de la recherche européenne, sans grands programmes spécifiques, sans réseaux forts et influents, constituant plus une niche qu’un courant puissant au plan scientifique. Et la coopération Nord/Sud, en tant que telle, ne fait pas partie des domaines de prédilection de la lutte pour l’excellence entre élites scientifiques mondiales. Face à cela, deux constatations optimistes : d’une part, les étudiants dans les universités européennes sont fortement intéressés par les questions urbaines qui touchent les pays en développement ; d’autre part, les compétences en recherche urbaine et au plan professionnel sont de plus en plus évidentes dans nombre de pays du Sud, permettant une appropriation des questions de recherche et de leur application sur le terrain.
Pour conclure : quelques recommandations
Recherche urbaine en Europe sur le Sud
La cité Baraka au centre de Dakar
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Crédit photo : B. Michelon
Quelques remarques pourraient servir de lignes de conduite pour la recherche urbaine à venir et ses liens avec l’aménagement des villes du Sud : • la recherche urbaine sur les villes du Sud doit être pensée dans une perspective interdisciplinaire afin de mieux appréhender la réalité urbaine dans son processus accéléré de transformation ; • la recherche urbaine doit favoriser une approche transdisciplinaire, associant les chercheurs aux acteurs urbains ; • une recherche urbaine novatrice doit favoriser des projets ambitieux à caractère institutionnel, à partir d’équipes scientifiques, de laboratoires, d’unités en collaboration interuniversitaire ; • les institutions académiques devront plus et mieux associer leurs homologues des pays d’intervention dès la conception à ces travaux scientifiques et à leurs déclinaisons opérationnelles; • la mise en place de réseaux de chercheurs et de professionnels urbains, au plan national et aux niveaux européen et international, représente une force de mobilisation pour les nouvelles générations avec un impact probable sur les axes d’intervention des décideurs urbains et des bailleurs de fonds. g
Les chercheurs urbains, bien que plus libres que leurs collègues professionnels et consultants (quoique certains aient les deux casquettes !), suivent néanmoins de près les modes de faire et de penser qui se diffusent au plan international. Les thèmes étudiés s’alignent sur les grands courants définis par les organisations internationales et les agences de coopération : Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), gouvernance, partenariat public privé, changement climatique... Celles et ceux qui se sont spécialisés sur le Sud se démarquent très souvent des travaux menés sur les villes européennes et nord-américaines, sans beaucoup de mixité. Les disciplines privilégiées vont des sciences sociales à l’urbanisme; elles valorisent peu les dimensions technologiques et architecturales de l’urbain, dessinant en cela une image renversée de la pratique professionnelle dans laquelle l’ingénierie et la construction sont le socle sur lequel s’opèrent les transformations urbaines. A partir des exemples de France, de Belgique, de Suisse et des programmes de l’Union européenne, il est possible d’affirmer que la recherche urbaine sur et avec les pays du Sud représente une por-
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Crédit photo : B. Michelon
Le centre-ville d’Antananarivo
Intégrer et valoriser la recherche urbaine pour l’aménagement d’une ville du Sud Jean-Jacques Helluin, Expert Technique - Coopération française, Ministère de la Décentralisation de Madagascar Praticien et producteur d’une pensée urbaine, Jean-Jacques Helluin décrit ici l’action qui a pu être mise en oeuvre dans le cadre d’une coopération décentralisée à Antananarivo, capitale de Madagascar. Elle traduit à la fois la volonté de développer des activités concrètes pour améliorer le fonctionnement urbain et de produire des connaissances sur le processus d’urbanisation longtemps sous-estimé dans la grande île.
Un témoignage du terrain
pose pas des outils et concepts de base ne seraitce que pour appréhender le processus d’urbanisation. On continue par exemple à Madagascar à entendre parler, dans l’administration d’Etat, de programmes de désurbanisation ou de retour à la terre ; • celle des bailleurs et des partenaires du développement, qui font face à des autorités nationales ou locales sans aucune capacité à produire des projets urbains. Quand, malgré tout, ces acteurs interviennent en ville, c’est trop rarement d’une manière intégrée. Le cas des rocades routières à Antananarivo est particulièrement frappant, avec une approche limitée à l’infrastructure, alors que les conséquences urbaines sont considérables, ainsi que la captation privée des plus-values foncières. Dans ce contexte, l’IMV est une structure relais pour certains travaux de recherche urbaine, car elle est présente dans la durée, au contact direct des problèmes de la collectivité locale mais avec la volonté et les moyens de traiter le fond des problèmes dans le cadre de ses programmes de coopération. Elle dispose d’une liberté au moins partielle de commander des recherches ou d’encadrer de la recherche-action en lien avec ses programmes, de faire de l’auto-commande, et devient un lieu unique de rencontre entre chercheurs et décideurs. L’IMV a ainsi créé le prix du meilleur mémoire universitaire sur la ville malgache qui est inspiré du Prix FNAU/PUCA/APERAU/CERTU. Ce dernier est organisé autour d’un jury constitué pour moitié de professionnels, et pour moitié d’uni-
L’Institut des Métiers de la Ville (IMV) est le lieu de mise en œuvre d’une coopération décentralisée urbaine exceptionnelle, en volume, en projets, en méthode : celle de la Région Ile-de-France avec la Commune Urbaine d’Antananarivo. Cette coopération occupe une position rare et importante au sein même d’une grande collectivité locale du Sud, puisque l’IMV en constitue un service à part entière, qui appuie les autres services dans la mise en œuvre des programmes. Ces cinq dernières années, l’IMV a initié un ensemble de travaux, à la frontière entre recherche, pratique, et décision, tout à fait originaux à Madagascar.
Recherche et action sur la ville malgache Madagascar est une excellente illustration du déficit quantitatif considérable de recherche urbaine au Sud. La première faillite est bien celle de la recherche, dont on compte les travaux significatifs, sur les villes, avec quelques doigts d’une main. Sur plus de 1000 réponses aux appels à communication des deux symposiums de la Banque mondiale 2007 et 2009 sur la recherche urbaine, l’Afrique sub-saharienne était considérablement sous-représentée, et Madagascar totalement absent. On peut dire que la recherche urbaine sur les villes du Sud se fait très majoritairement au Nord. Cette faillite universitaire contribue à alimenter les autres faillites : • celle de l’Etat à gérer les villes, puisqu’il ne disVilles en développement Juillet 2014 - n° 97
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versitaires. Sur les six critères d’évaluation, il y en a trois qu’il est utile de rappeler ici : • une approche théorique et critique d’une part, concrète ou opérationnelle d’autre part, ces deux dimensions s’enrichissant l’une l’autre ; • une réflexion sur l’action et (ou) vers l’action ; • un cadre de référence international. Les deux prix remis fin 2013 portaient d’ailleurs sur des villes étrangères : Bangkok et Santiago du Chili. C’est ainsi que l’IMV a réalisé les premières enquêtes et études de l’histoire de Madagascar, par exemple sur la satisfaction des transports en commun, la sociologie des transporteurs urbains, le marché immobilier urbain, les stratégies de localisation des marchands de rue, la planification du Grand Antananarivo, le tourisme urbain et le patrimoine, la récupération des plus values foncières liées aux infrastructures routières. Ce sont autant de travaux qui peuvent donner lieu à des publications universitaires classiques, mais aussi servir à orienter l’action en cours car ils s’inscrivent dans la durée d’un programme de coopération décentralisée.
des travaux existent sur les autorités organisatrices des transports à Antananarivo et des jeux d’acteurs (Capitale / Etat ; petits transporteurs et propriétaires de bus etc.), sur les stratégies foncières des grands promoteurs. Ces travaux sont cruciaux pour permettre aux collectivité de défendre leurs intérêts face à ceux du secteur privé. Le financement de la ville, le développement endogène et l’économie urbaine, sont particulièrement délaissés, bien qu’au cœur des enjeux. Une thèse de doctorat est en cours sur la captation des plus-values par les remblais à Antananarivo, un sujet crucial qui aurait dû intéresser depuis bien longtemps compte tenu des sommes en jeu. En aménagement urbain, il y a un énorme décalage entre la ville normée et rêvée par les institutions malgaches, et la ville pratiquée dans la réalité, et donc un terrain de recherche considérable. Dans des contextes où il est courant d’agir de manière très autoritaire sur la ville, il y a eu quelques résultats intéressants démontrant que les habitants ont aussi des idées et des pratiques innovantes et efficaces pour leurs quartiers. La démarche de concertation menée par l’IMV avec les habitants et les usagers du site du Grand Projet Urbain de Mahamasina, ou celle visant à l’intégration des gargotes informelles dans l’aménagement du terminus des bus à Ankatso / Antananarivo constituent des processus intéressants et prometteurs pour la mise en oeuvre de nouvelles actions. En conclusion, il y a un véritable problème de relation entre la recherche et l’action dans les villes du Sud. Créer des lieux de rencontre ne suffit pas : il faut des programmes lourds qui puissent intégrer la recherche dans la durée, et renforcer les capacités de tous les acteurs de l’urbain. La coopération décentralisée peut en être une composante essentielle, mais les cas où on lui en donne les moyens sont encore bien trop rares. g
Les enjeux urbains à Madagascar Beaucoup reste à faire sur la connaissance statistique des villes en développement. On reste, partout, largement au stade artisanal avec, par exemple, l’utilisation des cartes Google Earth ou de statistiques démographiques obsolètes. A Madagascar les lémuriens sont bien plus connus que les urbains ! Le dernier recensement date de 1993 et il n’existe toujours pas de zonage pour saisir la polarisation du territoire par l’urbain. Cela est envisagé pour le prochain recensement, qui pourrait alors profondément remanier la représentation actuelle, essentiellement administrative, du fait urbain. S’agissant de la gouvernance des villes malgaches,
L’implication des membres de AdP dans la recherche Camille Le Jean, AdP
Une enquête a été réalisée en 2013 au sein de l’association. Elle visait à répertorier les thèses et travaux de recherche : thèmes, titre, zone géographique, mots-clés, nature des travaux (publications, travaux universitaires, communications, recherche-action, etc.) réalisés par les membres de l’association, sur la période allant de 1993 à 2013. 31 membres d’AdP ont répondu. Ceci permet de tirer quelques enseignements. Si les membres de AdP – Villes en Développement alternent fréquemment entre les secteurs public et privé, un petit nombre de personnes évoluent de la recherche vers des activités opérationnelles ou inversement. Seul 11 % des membres ayant répondu au questionnaire ont réalisé une thèse ou sont en cours de Doctorat et la moitié des thèses porte sur l’urbanisme. Ce faible pourcentage est à mettre en parallèle avec la pyramide des âges des adhérents et la période choisie pour réaliser l’inventaire. Cela montre donc un signe encourageant et une évolution qui fait émerger la nécessité de valoriser l’expertise professionnelle par la réalisation d’un parcours universitaire plus long. Les dimensions de recherche historique, technologique ou architecturale des villes du Sud ne sont pas ou très peu abordées au sein de ces travaux. Les activités de recherche portent majoritairement sur le développement urbain, les services urbains ou la gouvernance urbaine. Le logement, l’habitat et le foncier représentent 11 % des thèmes de recherche des membres. Durant ces dernières années, les travaux de recherche consacrés au financement des services urbains et à l’environnement – changement climatique ont sensiblement augmenté. Développer les discussions entre les différents milieux au sein de AdP-Villes en développement constitue un levier favorisant une approche transdisciplinaire du développement urbain. g 5
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Le rôle des centres de recherches dans l’université américaine François Vigier, Président de l’Institute for International Urban Development Ancien directeur du Centre d’études du développement urbain de 1987 à 2005 à l’université de Harvard, dont l’Institute for International Urban Development, société à but non lucratif constituée en 2005, est une émanation, François Vigier nous livre ici son expérience et ses réflexions sur les évolutions du lien entre recherche urbaine et action opérationnelle au profit des villes en développement.
Le rôle et le fonctionnement des centres de recherche aux USA
chés à une faculté dont les priorités intellectuelles influencent leurs activités. Ils sont financièrement autonomes : leurs revenus proviennent de contrats de recherche et de donations. Ils doivent couvrir tous leur frais. Certaines universités prennent en plus un pourcentage de chaque contrat pour couvrir des frais généraux. Leur état financier est souvent précaire.
Aux Etats-Unis, les centres de recherche universitaires jouent un rôle important : les produits de leurs contrats de recherche et des brevets qu’ils génèrent représentent autour de 20 % du revenu des universités américaines. Initialement concernés surtout par les sciences technologiques, ils se sont aussi préoccupés des problèmes sociaux, économiques et politiques de l’après-guerre, aux Etats-Unis et en Europe et, à partir de la fin des années 50, du tiers-monde. Regroupant professeurs et chercheurs spécialistes d’une région, ils ont une vocation pluridisciplinaire et ont souvent joué un rôle important dans l’élaboration des politiques urbaines. L’Institut pour le Développement International de Harvard, par exemple, a joué un rôle clé dans la structuration du ministère du Plan au Pakistan et des ministères des Finances et du Plan en Indonésie ; une antenne du Centre de recherche de l’Université de Stanford a servi de bureau du plan à l’Arabie Saoudite jusqu’au début des années 1980 ; au Venezuela, le plan de la nouvelle ville de Santo Tomé de Guyana a été conçu par un centre qui regroupait des professeurs de Harvard et du Massachusetts Institute of Technology .
Le Centre d’études sur le développement urbain de l’université de Harvard Les activités de ce centre que j’ai fondé en 1987 comportaient trois volets : • La documentation d’initiatives qui a donné lieu à des publications et un matériel important pour l’enseignement. Les sujets traités comprenaient le développement périurbain et l’évolution des quartiers spontanés; la microfinance de l‘habitat et des activités économiques; le rôle des organisations de quartier dans la gestion de la ville ; • Des programmes de formation destinés aux professionnels du Tiers Monde. Dans le cadre de nos activités au Maghreb et en Afrique du Sud, nous en avons formé plus de 700 en six ans ; • Des projets d’assistance technique financés par la Banque Mondiale et l’USAID portant surtout sur l’amélioration des capacités des gouvernements locaux à s’autogérer et à s’autofinancer.
Actuellement, un centre particulièrement intéressant est le Earth Institute à Columbia University qui regroupe une série de centres spécialisés ; il a joué un rôle clef dans l’élaboration des Objectifs du Millénaire pour les Nations Unies. Administrativement, les centres de recherche sont généralement ratta-
Le centre historique de Mexico Villes en développement Juillet 2014 - n° 97
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Nos activités on surtout porté sur l’Europe de l’Est, après l’écroulement de l’Union Soviétique, le Proche Orient et l’Afrique du Nord. Nos sources de reve-
nus consistaient en prestations de services (73%), en frais de scolarité des programme de formation (14%) et en dons (13%). Concernant la répartition de nos dépenses, 59% relevaient des prestations de services, 12% de programmes de formation et 29% d’activités de recherche. La possibilité d’autofinancer des projets de recherche indépendante permettant de tirer la leçon d’activités sur le terrain, puis de la diffuser, est la différence primordiale entre un centre de recherche et un bureau technique. Par ailleurs, ces derniers sont rarement intéressés (ou qualifiés) à monter des programmes de formation d’élus locaux et de techniciens.
sur les services publics urbains au Proche-Orient vient de paraître. Enfin, nous avons participé à l’élaboration d’un petit manuel de gestion urbaine pour les gouvernements locaux dans les pays en voie de développement. Les recherches actuelles que nous finançons nous-même ou cofinançons portent sur les moyens d’aider les quartiers les plus défavorisés des villes du tiers-monde à s’organiser pour s’adapter aux conséquences du changement climatique : les quartiers en zone inondable ou à flanc de colline susceptible de s’écrouler. Ce chevauchement de l’assistance technique, de la recherche nous a permis de participer activement aux discussions des organismes internationaux actifs dans notre domaine.
L’Institute for International Urban Development
La recherche-action, outil de pacification
Notre centre de Harvard a été fermé en 2005 par un nouveau président et un nouveau doyen qui estimaient que nos revenus n’étaient pas suffisants. Mécontent de cette décision, le groupe de donateurs que nous avions constitué et dont les dons annuels finançaient un pourcentage important de nos recherches, nous a encouragé à créer une ONG. L’autonomie de gestion de notre nouveau statut nous a permis de réorganiser nos finances et le montant de nos donations a doublé. Les activités que nous menons aujourd’hui sont presque identiques à celles que nous avions à Harvard ; la seule différence étant que le produit de nos recherches n’est plus systématiquement intégré dans les cours de maitrise en urbanisme. Nous poursuivons l’assistance technique et la recherche. Une part importante de nos activités sur le terrain inclut la formation du personnel technique des bureaux du plan ; à Belize par exemple, où nous travaillons sur la décentralisation des responsabilités de gestion de la ville, nous avons mis sur pied une série de modules de formation pour les membres de comités locaux nommés par les élus locaux pour participer à la préparation des plans directeurs. Le gros de nos recherches est commandité par UN-Habitat, la Banque Mondiale et d’autres organismes internationaux, tel que Cités et Gouvernements Locaux Unis. Nos publications récentes ont porté sur les villes arabes. Un ouvrage
Je souhaiterais pour conclure évoquer une expérience qui me tient particulièrement à cœur. Depuis 2002, nous jouons un rôle actif en Irlande. A la demande du gouvernement, nous avons créé en 2006 un consortium d’universités du Nord et du Sud, dont nous avons pris la présidence. Le but de cette alliance était d’essayer de créer une politique transfrontalière d’aménagement du territoire entre l’Irlande du Nord et la République Irlandaise. Nous étant aperçus que les statistiques des deux pays étaient établies sur des bases géographiques et numériques différentes, notre premier effort a été de publier un Atlas qui, pour la première fois documentait l’Irlande comme un seul territoire ; ces informations sont désormais accessibles sur internet. Nous avons ensuite organisé des réunions d’urbanistes et de dirigeants locaux pour leur expliquer ce qui se passait en Europe et leur démontrer les avantages d’une collaboration transfrontalière. Nous sommes parvenus à négocier un accord entre deux villes frontalières importantes, Newry et Dundalk. Avec notre aide, elles ont élaboré un plan d’action commun. Nous nous penchons actuellement sur la coordination des politiques de protection de l’environnement des deux pays. Cette activité, qui représente environ 20 % de notre budget, est une initiative originale, qui réunit à la fois l’éducation, l’assistance technique et mobilise le politique ; elle est en partie financée par des dons. g
Evolution de la recherche urbaine française pour les villes en développement Dynamique dans les années 80, grâce à un soutien ministériel important, la recherche urbaine pour le développement a connu en France une période de crise à partir du milieu des années 90. Face à cette situation, en 1998, le groupe urbain du Groupement pour l’Étude de la Mondialisation et du Développement (GEMDEV) instaure un groupe de travail qui va produire des documents de synthèse mettant au jour les questions urbaines liées à la mondialisation. Cette démarche incite le Ministère des Affaires Etrangères à s’intéresser à cette problématique et à mettre en oeuvre le Programme de Recherche Urbaine pour le Développement (PRUD). À la fin de ce programme en 2004, c’est de nouveau la rupture, malgré le succès de ce programme. Pour autant, le dynamisme de la recherche consacrée aux villes du Sud reste toujours d’actualité. Il se manifeste de diverses manières : des recherches réalisées dans le cadre de programmes thématiques (et non géographiques) financées par l’Agence Nationale de la Recherche, celles menées dans le cadre des instituts français de recherche à l’étranger ou encore des travaux de thèses. La recherche urbaine oscille entre une démarche conventionnelle difficilement soutenue par des financements publics et des initiatives de recherche individualisées complétées par des expertises alimentant les recherches. La question du financement et de l’opérationnalisation des recherches incitent aujourd’hui les chercheurs à adapter les stratégies, les postures et les partenariats pour continuer à produire une recherche de qualité. g 7
Villes en développement Juillet 2014 - n° 97
Publications arc en rêve, revue en ligne n°1, #1 / Afrique(s)
arc en rêve, le centre d’architecture de Bordeaux, met en ligne sa revue. Cet espace est destiné à rendre accessibles certaines de ses archives pour la plupart inédites. Le numéro 1 est consacré à/aux Afrique(s). Il contient des articles consacrés aux grandes villes africaines : Addis Abeba, Casablanca, Dakar, Gando, Johannesburg, Kinshasa, Lagos, Lubumbashi. http://revue.arcenreve.com
La justice spatiale et la ville. Regards du Sud
Cet ouvrage est le fruit d’un travail collectif de recherche sur les questions urbaines vues depuis les villes du Sud. Les auteurs veulent montrer que la compréhension des interactions entre espace et société est indispensable pour faire face aux injustices sociales urbaines. Sous la direction de Gervais-Lambomy P., Benit-Gbaffou C., Piermay J.-L., Musset A., Planel S., 2014, Edition Khartala, Paris, 188 p.
Orientations de l’aide française en faveur de la maîtrise d’ouvrage publique locale Ce document, présenté à l’occasion du 7e Forum urbain mondial à Medellin en avril 2014, a été élaboré dans le cadre d’un groupe de travail du PFVT. Il défend une approche globale et politique de la ville dont la gouvernance doit s’articuler autour des autorités locales, porteuses de la maîtrise d’ouvrage publique. http://www.pfvt.fr/fr/ressources/strategies-francaises
En bref Les diners débats d’AdP L’association AdP-Villes en développement a organisé trois dîners débats au cours du premier semestre 2014. Le premier s’est tenu à Lausanne le 13 janvier sur le thème des « Villes de l’après catastrophe : Comment anticiper et réparer, en milieu urbain, les effets des catastrophes naturelles ou d’origine humaine ?». Le second s’est tenu à Paris le 29 avril afin de présenter « Les premiers enseignements du 7ième Forum Urbain Mondial de Medellin ». Le troisième, organisé à Marseille le 10 juin 2014, s’est focalisé sur le thème suivant : «Les retombées des grands évènements sur l’image et le développement des villes du Nord et du Sud» à partir des exemples de Rio de Janeiro et de Marseille. Les compte-rendus de ces évenements sont accessibles sur le site : http://www.ville-developpement.org/travaux-adp/diners-debats. Un nouveau site internet pour le PFVT Le Partenariat français pour la Ville et les Territoires (PFVT), est la plateforme d’échanges et de valorisation de l’expertise des acteurs français du développement urbain à l’international. Lancé en juin 2014, le site www.pfvt.fr recense les membres du Partenariat, présente une cartographie de leurs projets et de leurs réalisations innovantes à l’international. Il offre également de nombreuses ressources documentaires : publications éditées par le PFVT et ses membres, stratégies françaises dans le domaine du développement urbain, bulletins Villes en Développement... 8
Ce numéro est publié en version numérique par l’association de professionnels AdP-Villes en développement. Directeur de publication : Yves Dauge, Co-Président du Partenariat Français pour la Ville et les Territoires Rédacteur en chef : Marcel Belliot, association de professionnels AdP-Villes en développement Comité de rédaction : Gilles Antier, Michel Arnaud, Francine Gibaud, Emilie Maehara, Louis-Jacques Vaillant, Françoise Reynaud Ce numéro a été publié avec la collaboration de Benjamin Michelon, Groupe Huit, Vice-Président d’AdP, organisateur de la Journée d’études de septembre 2013. Mise en page et crédits photographiques : Benjamin Michelon ISSN 1151 – 1672 Abonnement : 4 nos par an : 20 euros Ce bulletin est en ligne sur le site de AdP-Villes en développement www.ville-developpement.org