Cohues 8

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La Cohusion vous présente le numéro 8 de Cohues et vous souhaite une bonne lecture

Medusa , Rubens

Quoi de neuf dans ce numéro ? - Yasmine Blum, artiste monstrueuse, est disséquée dans notre revue "Les entretiens de Cohues". - Retrouvez également nos nouveaux auteurs, Joachim Achab, Floriane Coubat, Marlène Tissot, Julien M. et tous les autres ! Édito : Néon Rédacteur en chef / Directeur artistique : Mike Kasprzak / Néon Couverture et dernière page : Yasmine Blum Avec la participation de : Néon, Marlène Tissot, Lux Lisbon, Langda, Floriane Coubat, Jean Louis Michel, Joachim Achab, Heptanes Fraxion, Yasmine Blum, Djamila Brutale, Julien M., Eva L.Esterd, Mu, Doc Quote et Mike Kasprzak Les textes sont publiés sous licence Creative Commons BYNCND. http://www.cohues.fr Ce document PDF contient des liens internes (sommaires et renvois) et liens externes (URL). Profitez-en ! Remerciement spécial à Langda qui saura très bien pourquoi !


ÉDITO

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GALERIE PHOTO

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NOUVELLES

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5 Mon grenier est une forteresse imprenable

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Handicapé, mon cul ! par Mike Kasprzak Regarde-toi par JLM Épineux par Marlène Tissot Chère jeune femme inconnue d’hier soir par Eva L. Esterd Sister par Julien Mart La porte d'entrée par Mu Poésie hitlérienne, amours et camps de concentration par Néon

GALERIE ARTISTIQUE

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POÈMES

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LES ENTRETIENS DE COHUES

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PANTHÉON

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LES JEUX DE COHUES

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28 Rouilles par Mu

32 Une certaine élégance par Néon 33 Découverte des Astres par Néon 34 C'est ainsi que les hommes vivent par Néon 35 Nouveau trajet en train par Mike Kasprzak 36 La guerre de la médiocrité par Mike Kasprzak 37 Vision d'un paquebot faisant naufrage dans une mer infestée de requins par Mike Kasprzak 38 Voeux du fakir par Langda 39 Strip-tease intégral par Langda 40 Supplique céleste du mollusque par Langda 41 C'est un temps à hennir en buvant du vin par Heptanes Fraxion 43 Tout va bien en général jusqu'à ce que tout aille mal par Heptanes Fraxion 44 Un grand merci au petit requin à bosse par Heptanes Fraxion 45 Hymne aux amants des trottoirs par Joachim Achab 46 La nuit avait un sourire édenté par Floriane Coubat 47 Parce qu'on est tous des moucherons cloîtrés par Floriane Coubat 48 Et si le coeur n'y était pas ? par Lux Lisbon 49 Reconversion par Djamila Brutale 50 Smalltown girl par Djamila Brutale 51 Sans titre par Djamila Brutale

53 Yasmine Blum, monstrum coitum

59 Michel Houellebecq 61 Serge Gainsbourg

63 Coin pause par Doc Quote


Édito

N

ous avons rêvé d'Apocalypse, de jugement de Dieu, de gambader enfin dans les prairies de l'éternelle insouciance la bite à l'air ou les seins qui pointent ; les plus prévenants s'étaient convertis à toutes les religions sérieuses à la fois, et à l'heure prévue nous étions montés sur les toits, notre chat-poisson rouge sur les genoux, les yeux dans le cosmos afin de profiter à fond du spectacle. Et puis voilà, à minuit, il fallut bien se rendre à l'évidence : le père Noël ne traversa pas l'immensité du ciel sur son traîneau hybride mi-rennes miélectrique. Aucune lueur fantastique ne vint embraser l'atmosphère terrestre, et nul dragon avec sept têtes et sept diadèmes ne surgit des enfers. Et merde. Pourtant cette histoire de fin de cycle, ça avait de la gueule. Qui ne rêve pas de tout recommencer ? Passer d'un âge à un autre, c'est vendeur ! Après l'âge de pierre, l'âge de bronze, l'âge de fer, et l'âge bête que nous vivons aujourd'hui, on était en droit d'attendre un truc. Je sais pas quoi exactement, mais un truc. N'empêche, si ça nous excite autant ces calembredaines, c'est bien parce qu'on se fait chier ! Si on espère secrètement une razzia apocalyptique, un bouleversement social sans précédent, et si on l'attend en nourrissant un sentiment mêlé d'envie malsaine et de crainte joyeuse, c'est sans doute parce qu'on est pas vraiment satisfaits de l'état actuel des « choses ». On doit avoir la prémonition un peu floue d'un possible nettement plus exaltant. Qui ne viendra sans doute jamais. Alors ? Alors nous sommes écartelés. Écartelés entre la mesquinerie des tâches quotidiennes et nos aspirations légitimes les plus pures ! Damned. Entre le vil et l'absolu il y aura toujours cette nécessité de la poésie, des arts plastiques, de la musique, unis dans un opéra maelström à nous retourner les sens. Il y aura toujours Cohues et les autres besogneux du Sacré, de l'envie, de la Vie. Il y aura toujours vous. Cohues vous la souhaite enchanteresse, explosive et foutrement, Sacrément belle, cette nouvelle année !

Cohues

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Mon grenier est une forteresse imprenable

Le proprio du grenier dispose d'une formidable collection de photos insolites, surréalistes et péremptoires. Déjà très présent sur Facebook, il débarque sur Cohues avec cette galerie d'images inédites et d'autres issues de sa forteresse imprenable.

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Pour rester en contact permanent avec le proprio du grenier et ses photos insolites, rejoignez le sur sa page Facebook (plus de 30.000 fans !)

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NOUVELLES Handicapé, mon cul ! Regarde-toi Épineux Chère jeune femme inconnue d’hier soir Sister La porte d'entrée Poésie hitlérienne, amours et camps de concentration

Photo par kevin dooley


Une nouvelle écrite par Mike Kasprzak Photo par Trevor Coultart

Handicapé, mon cul !

J

e m'étais dégoté un petit boulot en plein mois d’août. Pendant quinze jours ou trois semaines, je sais plus exactement. Le boulot consistait à s'occuper d'adultes handicapés et à leur faire faire des activités. Peinard, je me suis dit, comme boulot. On les emmène au cinéma, à la piscine, jouer à la pétanque, comme des gosses, du coup, on est tranquille toute la journée. Ça me semblait être une bonne planque. Mais y a un détail qui me semblait bizarre, c'est que j'avais été pris, alors que j'avais strictement aucune connaissance dans ce genre de taf. On a eu une journée de préparation une semaine avant de commencer. J'ai remarqué tout de suite un truc bien sympa. Il y avait que des gonzesses ! Enfin quasiment. On était une trentaine, répartis en plusieurs équipes, et il y avait que trois mecs, moi compris.

Putain, j'ai pensé, ça, c'est un boulot pour moi. C'est vraiment une bonne planque ! Oh oui oui oui. Et il y avait pas que des moches, il y avait de tout, je connais aucun mec qui y aurait pas trouvé son bonheur là-dedans. Y avait plus qu'à faire son choix. J'ai appris ensuite, que c'était censé être un boulot infernal, que personne ne voulait le faire et qu'ils prenaient n'importe qui parce qu'il devait y avoir un nombre suffisant d'animateurs – rapport au nombre d'handicapés en vacances, aussi appelés résidents. Mouais, on verra bien, je me suis dit. Le premier jour, il fallait faire l'inventaire de toutes les affaires des résidents. Pour être sûr qu'ils repartent avec exactement les mêmes choses que quand ils sont arrivés. Si le pull est rouge, on nous 10

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Les journées se passaient pas mal, c'était à peu près comme je l'avais imaginé, sauf qu'on allait pas au cinéma. On leur faisait faire un peu de tout, jeu de piste, activités manuelles, chanson. Un peu comme au centre, mais avec un public différent. La plupart des filles avaient du mal avec eux. Elles étaient trop autoritaires, comme si elles avaient des gosses en face d'elle, mais les handicapés c'est différent. Ils tournent beaucoup plus à l'affect, comme des gosses qui seraient très lunatiques et un peu idiots, mais pas comme de vrais gosses. Ils peuvent piquer une colère pas possible parce qu'on leur a marché sur le pied ou frôlé l'oreille et rigoler quand on les engueule. Mais avec moi ça se passait nickel, j'étais leur pote. Ils m'écoutaient tout le temps, venaient toujours me voir quand ils avaient des questions, m'obéissaient toujours. À chaque fois qu'il y avait un problème, on venait me consulter. Les gonzesses en revenaient pas. « T'es sûr que c'est la première fois que tu fais ça ? — C'est la première fois que je fais ça, miss. — Et t'as jamais passé le BAFA ? — J'ai jamais passé le BAFA, chérie. » Elles étaient sur le cul, elles passaient leur temps à gueuler et courir après les résidents qui se sauvaient alors que moi je les attirais tous, ils me chantaient des chansons et m'offraient des cadeaux – comme des chewing-gums déjà mâchés ou des brins d'herbe qui sentaient la pisse de chat. Mais du coup, vu qu'ils étaient toujours tous avec moi à parler comme un pote et tout, et que moi je ressemblais à rien – cheveux pas coupés depuis 3 mois et vieille casquette posée dessus – parfois d'autres personnes du service me prenaient moi aussi pour un attardé. Ça faisait rire tout le monde, les vrais attardés, les gonzesses et moi aussi, ça me faisait rire. J'en jouais même des fois. Un coup que je suis remonté dans une chambre pour vérifier qu'il restait plus personne, y a deux 11

Nouvelles - Handicapé, mon cul !

est partie. J'ai regardé la résidente aux CD, du genre à nous deux ma grande et je me suis plongé dans la liste. La fille était en train de répertorier le titre de TOUS les CD, c't'une dingue, je me suis dit. « Combien t'as de CD en tout ? j'ai demandé. — 215 exactement. Exactement ! — Impec ça, merci. » « 215 CD », j'ai marqué. Ensuite j'ai fait ça avec tout le reste, et c'était fini dix minutes plus tard. Y aura pas mort d'hommes, elle retrouvera sûrement tous ces CD à la fin et de toute façon, elle s'apercevrait même pas s'il en manquait un. Et comme ça, ça évite à la petite de taper une crise dès le premier jour.

a dit, vous marquez « pull rouge », et la taille, etc. Les anciennes, celles qui avaient déjà travaillé là une fois ou deux, nous avaient dit que c'était l'enfer de faire l'inventaire ! Que parfois, y a des filles qui y passaient la nuit entière et qui devenaient complètement dingues. Ça me faisait pas peur moi. Je me suis occupé d'un premier type. Il avait pas l'air trop chiant, je lui demandais de sortir ses habits un par un et il le faisait. Au début je marquais comme c'était demandé « Pantalon gris », « Pull vert avec une tache de merde sur le col », « Chaussettes trouées ». Y a eu d'un coup une forte odeur, comme un fromage de cent ans. Une infection. J'ai rectifié « Chaussettes trouées – forte odeur de pourriture ». Je trouvais ça marrant, mais je me suis vite aperçu qu'il y avait beaucoup trop d'affaires ! Et il fallait avoir tout bouclé le jour même ? Foutaises ! Du coup, j'ai changé de méthode. « 5 jeans », « 6 pulls », « 2 chemises », « 10 paires de chaussettes et 10 slips » et hop, ça a été plus vite réglé. Je suis passé au deuxième puis au troisième. On en avait environ cinq chacun et moi j'ai fini en premier vers 17 heures, alors j'ai tapé discute avec les handicapés. Je leur demandais ce qu'ils avaient, tout ça et ils me disaient qu'ils étaient malades dans leur tête, on rigolait bien. Je suis sorti un peu après, y en a d'autres qui finissaient leur inventaire et moi je me suis posé au soleil sur un transat. C'était mon tout premier boulot comme salarié. C'est la première fois que j'étais vraiment payé suivant un contrat de travail et tout ce qui va avec. Du coup, je m'étais pas vraiment dit, que là pendant que je trainassais devant le gros soleil tout chaud j'étais aussi en train d'être payé. La directrice est passée, m'a demandé si j'avais fini, et m'a dit que je pouvais aller aider les autres s'il en restait. Alors j'ai été faire un tour dans les studios. Dans une chambre, y a une des filles qui faisait un inventaire, je suis entré, elle était quasiment en train de pleurer. « Qu'est-ce qui se passe ? je lui ai demandé. — Regarde toutes ses affaires. T'as vu tout ce qu'elle a ? Elle en a trop ! Comment on peut faire pour vérifier tout ça ? Y faudrait la semaine. Elle a deux cents CD en plus ! Des CD de musique. J'EN PEUX PLUS. J'EN PEUX PLUS. — Et tu notes tout en détail ? Il t'en reste encore après elle ? Attends, va faire une pause, je vais finir à ta place. » Elle était tout émue, comme si je l'avais demandée en mariage ou que je lui avais offert un voyage dans les îles. « Je suis peinard depuis une heure moi, je lui ai dit. Je vais finir ça. » Elle m'a embrassé sur la joue – facile – et elle


Nouvelles - Handicapé, mon cul !

— Non, non, je veux pas. Mais si on perd le linge ? — Si t'as du linge qui s'est perdu, tu viens me voir Fred. Tu viens me voir et j'irais moi-même te le retrouver ! Ça roule ? Tu me fais confiance ? — Ça roule, il a fini par me dire. » Et il m'a pris dans ses bras pour me faire une sorte de câlin, j'avais toujours la larme à l'oeil quand ils partaient dans leurs grands élans d'affection. Ça restait des êtres humains avant tout et même plus que ça, souvent ils me paraissaient même bien plus sensibles que la moyenne. C'était touchant. J'ai dit à la petite de prendre le linge, elle était impressionnée, et je suis sorti. Trois jours plus tard, le linge est revenu et il ne lui manquait pas une loque. Tout se passait assez bien, mais les journées étaient épuisantes, on commençait le matin vers 8 heures, jusque 22 heures, le temps que tous les résidents se couchent, ensuite on faisait le point avec toutes les animatrices, et on dormait sur place ! Au cas où... Malgré le veilleur de nuit et la directrice... On dormait dans les mêmes studios que les handicapés, mais eux étaient à l'étage et nous, un studio sur deux, au rez-de-chaussée.

femmes de ménage qui étaient là et y en a une qui m'a dit : « Mais qu'est ce que tu fais là ? C'est la chambre des filles ici. Ouste. » Elle me prenait pour un des résidents alors j'en ai profité. « Je cherche de la chatte, je lui ai répondu avec des yeux fous. — Oh, descends vite d'ici avant que j'appelle la directrice. » Je suis redescendu raconter ça à tout le monde et on s'est tous marrés. Une fois que j'étais en train de faire un bras de fer avec un coriace – et j'étais toujours invaincu, pour le plus grand bonheur de mes admiratrices – j'ai entendu une sorte d'engueulade dans un studio. « JE TE DIS QUE TU DOIS ME DONNER TON LINGE ! — NAAAONNNN. C'EST MON LINGE ! — Mike, m'a dit une des filles, tu devrais aller voir. » Je me suis levé et la fille qui venait de taper une gueulante est sortie au même moment. « Il se passe quoi ? — Il veut pas donner son linge. — Pourquoi ? — Je sais pas, il me dit qu'il le donne pas. — Viens avec moi, je lui ai dit, je vais te montrer. » On est entré, j'ai vu que le type avait l'air vraiment en colère. Je savais qu'il m'avait à la bonne alors je pouvais la jouer relax, parce que malgré tout faut faire gaffe, des fois ils sont capables de tout retourner s'ils sont vraiment contrariés. « Alors, Fred, ça va ? La petite, elle me dit que tu veux pas donner ton linge. C'est vrai ? Pourquoi ? Tu veux pas qu'il soit propre ton linge ? » Fred était un des moins atteints, donc je savais qu'il comprendrait. « Si, mais à chaque fois, ils en perdent quand ils font les machines. Ils mélangent le linge et ils en perdent. À chaque fois. À chaque fois, moi j'ai du linge qui est perdu. Et on peut jamais le récupérer. La femme de la machine, elle dit tout le temps comme ça, ah non on perd pas de linge ici, c'est moi qui le mets dans la machine et c'est moi qui le sors. Alors quoi ? Le linge, il disparaît ? Il se fait bouffer par des rats ? Alors moi je le donne plus. — Je comprends, Fred, mais si tu le donnes pas, il va puer ton linge, t'es d'accord ? Alors t'as envie que tout le monde dise que Fred, il pue ? Parce que c'est ce que tout le monde va dire, que Fred il pue ! C'est pas ce que tu veux hein ?

Un jour, la directrice nous a dit qu'elle ne pourrait plus dormir là, la nuit, mais que ça changeait pas grand-chose finalement puisqu'il y avait un veilleur. Et le veilleur il m'avait à la bonne aussi. Le premier soir, quand on était enfin peinard, j'ai dit à un des autres animateurs – le seul autre type finalement – d'aller chercher un peu de quoi boire et je lui ai donné un billet. Il est revenu vite fait avec de quoi faire. Bière, vin, whisky. Au poil, et toutes les gonzesses m'avaient à la bonne. On s'est torché comme des crevards du désert qui n’auraient pas vu une goutte de flotte depuis des semaines. Ça a été vite fait. Puis je me suis levé et j'ai dit : « Je vais toutes vous fourrer ma langue jusqu'au fond de la gorge ! » Y en a pas une qui a bronché. J'ai pris la première et je lui ai roulé une galoche terrible comme si c'était la langue de Dieu qu'elle se prenait en bouche, quand j'ai eu fini, elle avait de la bave jusqu'aux oreilles. J'ai pris la deuxième pareil. Et ainsi de suite. Puis je suis arrivé au type, tant pis je me suis dit, il va y passer aussi. Il a pas bronché non plus. J'avais l'impression d'être le maître du monde et de dominer tout ce qui se trouvait sur cette Terre. Après on a continué de boire et y a une des nénettes qui a crié : « Qui est ce qui veut dormir avec moi ce soir ? » 12

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Finalement, ça s'est vite terminé, j'ai pas trouvé l'enfer qu'on m'avait annoncé, j'y ai trouvé que des êtres hypersensibles et des gonzesses tout en admiration. J'avais été embauché pendant une période plus courte que les autres animateurs et du coup j'étais un des premiers à partir. Tout le monde était dégoûté, les filles et les handicapés. Ils m'ont ramené des mouchoirs utilisés, des chewing-gums périmés, des crottes de lapin, et d'autres conneries dans le même genre et j'allais tous leur manquer, ça m'a presque fait pleurer. Toutes les filles sont venues me faire la bise, je suis monté dans ma voiture et je suis reparti. Je regardai le ciel tout vide, bleu comme une orange pour un peu, et je me suis dit que des fois, y a des moments au boulot qui pouvaient être sympas tout de même.

Après on en a encore bu et on s'est tous éparpillé et plus moyen de remettre la main sur ce coup gratuit qui m'attendait. Tant pis, je me suis dit. Finalement, incognito, y a une autre gonzesse qui m'a amené dans sa chambre. « J'te veux ! J'te veux ! Elle me répétait. » C'était la fille du début, avec l'inventaire infernal. Elle m'a quasiment arraché mon fut et elle me léchait partout. Elle embrassait, suçait, léchait, mouillait, mordait tout ce qui se trouvait autour de ma queue, mais sans jamais y aller. Elle avait deux couettes qui fouettaient l'air et je les ai attrapées comme j'aurais attrapé les cornes d'un taureau fou pour réussir à lui rentrer mon sexe dans la bouche. Je l'ai enfoncé jusqu'au bout, je la tenais bien alors je l'ai pas lâchée, elle est restée comme ça, avec mon engin qui lui remplissait toute la bouche pendant une dizaine de secondes et je l'ai relâché. Et le taureau fou s'est déchaîné. Elle m'a jeté sur le lit et s'est mise sur moi, elle s'excitait tellement que j'ai cru qu'on allait prendre feu, comme si mon sexe n'était plus qu'un cyprès des Landes prêt à s'enflammer. Je l'ai retournée, mise sur le ventre, elle a levé son cul vers mon nez, il s'offrait complètement à moi. J'y suis rentré et j'ai fait ça à mon rythme. Dehors, il y avait une écurie et les chevaux hénissaient comme des cochons, des chats gueulards étaient en train de se battre et la lune surveillait tout comme dans un comte de Grimm ou un vieux poème russe et j'avais ce gros cul juste devant moi que je travaillais à mon aise. J'ai accéléré un coup, je l'ai entendue gémir, je me suis dit que je lui avais fait son affaire, alors j'ai redoublé d'un autre coup et j'ai tout lâché. Je la tenais toujours pendant que je finissais de profiter de cette bonne baise et j'ai même cru voir la lune me faire un clin d'oeil comme pour me dire : « C'est ça mon petit, c'est ça. » Je l'ai relâchée, elle est partie à la salle de bains, moi je me suis allongé et le clair de lune me berçait pendant que je m'endormais, la queue encore pointée vers les étoiles. Le matin, je me suis levé en premier, j'ai ouvert la porte et j'ai vu tout de suite, juste devant mes yeux, à peine levé, un des résidents en train de fouiller dans notre frigo. C'était un vieux qui bégayait tout le temps. Je l'ai regardé et il m'a dit : « Je je je... viens prendre du lait... lait lait. » J'ai refermé la porte et je me suis recouché, une Retour au sommaire

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Nouvelles - Handicapé, mon cul !

heure de plus.

Tout le monde m'a regardé, comme si sa proposition m'était exclusivement dédiée. « Ça roule, j'ai répondu. »


Regarde-toi

Une nouvelle écrite par JLM Retrouvez le sur son blog : http://superfuzz.over-blog.com Photo par Roon Ashore

R

egarde-toi, oui, regarde-toi bien dans le miroir en face de toi, celui qui trône entre la caisse enregistreuse et le percolateur de deux mètres de long. Regarde-toi et qu’est-ce que tu vois ? Tu les vois ces rides sur ton front ? Ce visage rouge, pas encore violet, mais qui y va certainement, que tu le veuilles ou non ? Tu les as souvent vues chez les autres ces veinules explosées, éclatées autour d’un nez presque noir d’avoir trop picolé. Tu t’es souvent moqué, le verre joyeux à la main quand tu faisais la fête autour d’un babyfoot et que tu avais vingt ans. Tu les voyais les vieux grincheux collés à leurs quarts de mauvais rouge avec leurs vestes usées et leurs casquettes grises. Pour toi ils ne représentaient rien dans les années quatre vingt, ils avaient quoi ? Cinquante ? Soixante ans ? Nés en trente ou en vingt, une ou deux guerres dans la gueule suivie de la reconstruction du pays au cours des trente merdeuses, ils avaient râpé leur santé tout au long d’un parcours rugueux avant d’échouer au comptoir, mais toi ? Tu avais ta vie entre tes mains, mais que fais-tu pour changer les choses ? Tu ne fais rien, tu n’en peux plus. Parfois tu te dis que tu as fait des mauvais choix, ou qu’on en a fait pour toi, mais au fond, tu sais parfaitement que tu es le seul responsable de ton destin minable. Tu n’as jamais refusé une after ou une dernière tournée. Tu n’as jamais refusé « le

petit dernier pour la route » ou le « on ne va quand même pas finir sur une seule patte ? » Il est là ton problème, tu n’as jamais su dire non. À vingt ans tu étais le roi de la fête, tu étais plutôt beau mec et tu arrivais toujours à sortir avec LA fille, oui, tu ne finissais jamais la soirée seul, mais maintenant ? Aujourd’hui tes anciens potes encore vivants sont tous casés, pères de famille avec des mômes, deux voitures dans le garage de la maison de province et une maitresse dans un appartement bourgeois du quinzième pendant que tu traînes ta carcasse dans les rades de la place Gambetta et que, quand tu le peux, tu te branles au fond de ton pieu. Tu n’as su garder personne autour de toi. Il n’y a plus de femmes dans ta vie, la dernière est partie il y a déjà un bail. Tu te souviens encore de ce jour où elle a fait ses valises le cœur gros et les cheveux défaits. Tu te souviens de ses larmes qui semblaient vouloir dire qu’elle aurait bien aimé continuer, mais qu’avec ton comportement à la con tu as tout gâché. Tu te souviens comme elle t’avait aimé et comment tu l’avais dégoutée. Tu te souviens quand elle te parlait bébé et que tu lui répondais « vas te faire foutre » avec le plus grand cynisme. Tu te rappelles les soirées interminables qui finissaient en engueulades et en cris. Tu sais 14

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Pourtant, tu n’es pas une cloche au sens littéral du terme. Tu ne vis pas dans la rue, tu es même propriétaire, imperceptible trace d’une ancienne fortune, d’un appartement minable rue de la mare, près de l’ancienne ligne de la petite ceinture. C’est un deux-pièces usé, mal entretenu qui te servait de piège à fille quand tu faisais la fête au squat de la vieille usine il y a bientôt trente ans. Tu avais alors le sentiment d’être un vrai apache, à courir les concerts de groupes alternatifs du côté de Belleville, là où tu as vu naître les Bérus et les Rita à partir des squats du quartier. Aujourd’hui c’est un taudis, une porcherie où s’entassent les détritus du quotidien, amoncellement de boites de bières et de cartons à pizzas sur lesquels se nourrissent les cafards du quartier. La moisissure y livre un combat quotidien pour la colonisation totale de ton espace vital, le bac de la douche n’a Retour au sommaire

Regarde-toi bien dans la glace du Balto, portes une attention toute particulière sur tes yeux, qu’y 15

Nouvelles - Regarde-toi

plus vu d’eau depuis longtemps et tes lavabos servent à laver ta vaisselle quand tu y penses. Tu aurais pu écouter tes parents quand ils venaient encore te voir, ta mère pleurait quand tu jouais l’indifférent et ton père te menaçait de te casser la gueule. Ils t’aimaient pourtant fort, incapable de te récupérer ou de faire lâcher prise aux démons qui te tenaient fermement, tu ne les vois plus à présent, ils ne sont plus qu’un souvenir. Tu ne sais même pas s’ils sont encore vivants et de toute façon tu as trop honte, tu t’es coupé d’eux à jamais. Tu aurais pu également écouter tes professeurs à l’école quand ils t’encourageaient à ne rien lâcher parce qu’ils voyaient en toi quelqu’un de brillant, tu aurais pu grandir, tu aurais pu devenir un jour adulte et te caser, te ranger des voitures comme les autres, mais tu as préféré rester un rebelle pitoyable, un Peter Pan victime de mauvaise dope coupée aux billes de verre et au caoutchouc de vieux pneus. Trop d’alcool, trop de filles, trop de came, trop de tout, une vie entière d’excès en tous genres qui t’ont cramé les veines, le gosier et un nombre incalculable de neurones. Tu ne te rappelles plus la dernière fois où tu as chié dur, tu vis maintenant dans la crainte permanente d’une diarrhée qui dégénère, d’un estomac qui te lâche, d’une gerbe assassine. La nuit tu as des palpitations, parfois ton cœur s’emballe et tu crois paniqué que tu vas crever tout seul, tu ne contrôles pas les tremblements, tu ne contrôles plus rien et tu pleures comme un môme sur ton sommier défoncé. Tu bois pour oublier que tu vis et tu dors pour oublier que tu bois, c’est ce que te disait ton pote Noël avant de crever lui-même une nuit d’hiver, chez lui, rue de l’Ourcq, d’une surdose d’héro, seul. Tes morts tu y penses parfois, Helno, Tintin, Racine, fauchés par un trop plein de seringue, les frères Perez et Chocho passés sous un camion sur le périph près de la porte des Lilas alors qu’ils roulaient trop vite, Spartacus cueilli à froid par un taxi alors qu’il roulait à fond lui aussi avec un scooter volé devant l’entrée du Père Chèzla et Gizmo emporté par le SIDA alors qu’il n’avait pas vingt ans. Dans ton histoire, il y a les vivants et les morts, les plus héroïques sont partis les premiers alors que les autres ont perdu la mémoire et ton souvenir. Alors, pour toi l’enfer est définitivement sur terre. Quand tu fais les comptes, tu t’aperçois que la camarde a toutes les raisons du monde de te courir après, tu t’es trop foutu de sa gueule, tu as trop joué avec ses nerfs entre Belleville et les Halles. *

bien au fond qu’elle avait eu raison de partir, que si elle était restée elle aurait sans doute sombré avec toi, parce que l’histoire de ta vie n’est qu’un long, très long naufrage. Tu le dis toi-même que l’iceberg tu l’avais calculé depuis longtemps, pratiquement dès le début, mais tu as joué au con, comme à la roulette russe. Tu te disais que tu saurais l’éviter au dernier moment parce que tu te croyais immortel, indéboulonnable, mais tu étais trop bourré quand il t’a percuté en pleine face, tu t’es mangé le mur sans t’en apercevoir et il t’a laissé sur le carreau, inconscient. Il y a des jours comme ça, tes yeux s’ouvrent un peu plus que d’habitude et tu te vois dans la glace de ce rade, tu vois ce que tu as gâché. Tu vois bien que le serveur trop propre sur lui se pince le nez quand il t’apporte ta bière. Oh, bien sûr il ne dit pas un mot, il ferme sa gueule et empoche tes pièces, d’ailleurs ils te connaissent tous depuis le temps, les serveurs, les patrons de bar, tu évites de croiser leurs regards quand tu y mets les pieds parce que tu sais ce que tu vas voir dans leurs yeux. Tu vas y voir de la pitié, de la condescendance, tu vas y voir des airs chagrins qui semblent dire « pauvre vieux » ou tout simplement « quel déchet », tu vas croiser le regard faussement supérieur de ce gros con de patron du Balto qui aimerait te foutre dehors d’un grand coup de pied au cul, mais qui ne le fera jamais par lâcheté, comme un fils de collabo sans âme, tu vas voir dans leurs regards à tous qu’ils savent que parfois tu finis tes nuits d’ivrogne dans le jardin de Pali-Kao sous la protection bienveillante de ses bambous. Tu vas voir dans leurs yeux qu’ils savent que parfois tu remontes la rue du télégraphe à quatre pattes quand tu ne tiens plus debout. Tu sais bien qu’ils lisent en toi comme dans un livre ouvert, tu portes si bien les stigmates de ta vie, c’est visuel et olfactif, t’es une cloche.


Nouvelles - Regarde-toi

vois-tu ? Tu n’y vois rien et pour cause. Si tu te concentres assez, tu finirais par avoir envie de gerber. Tes yeux dansent sur une mer agitée, des yeux gris délavé qui semblent flotter sur une ligne d’eau imaginaire. Tes yeux sont les glaçons dans un verre, instables, tu es ivre. Alors, pour te rassurer tu poses une main sur le comptoir, l’autre sur le bord de ton verre, tu ne leur fais pas confiance à tes pognes, il faut les occuper sinon c’est la tremblote assurée et ça n’a rien de parkinsonien. Ils en ont vu, ces yeux-là pourtant ! Ils ont vu les filles presque nues du Palace, les virées au Gibus et les bastons nocturnes dans la rue du Faubourg du Temple, ils ont vu les petits matins frais à finir les bouteilles avec les potes, adossés au mur des Fédérés avant de remonter la rue de Bagnolet jusqu’au Squat de la rue Saint Blaise. Ils ont vu les courses en charrette contre les paniers à salade de la maison pandore entre Belleville et Nation et quelques potes prendre un aller simple pour le paradis, tes yeux se souviennent des infirmiers de Sainte-Anne et de la camisole qu’on te passait de force alors que tu t’enfonçais en plein délire. * Aujourd’hui tu es bien seul, tes amis sont partis, tes femmes aussi. Tu vis de petits boulots et d’allocations diverses vite bues. Tu te lèves à pas d’heure et tu te fringues comme tu peux. Quand tu y penses, tu te laves et entre deux cuites tu fais une lessive improbable pour rester à peu près propre, mais sans grande illusion. De toute façon tu n’as plus goût pour rien et tu songes de temps en temps à rejoindre Helno, les frères Pérez et les autres. C’est si tentant…Whisky et médocs, le métro, la Seine, une corde, le gaz, quelque chose de rock’n’roll… Tu te rappelles « It’s better to burn out than to fade away » et tu te dis que tu as raté le coche, que c’est trop tard pour illuminer le ciel d’un ultime feu d’artifice, ta chute prévisible à plus ou moins brève échéance ne ferait guère mieux qu’un faible « plop » au coin d’une rue mal éclairée. Tu aurais aimé finir comme James Dean, tu sais que tu finiras comme Kerouac, seul et abandonné, titubant, marmonnant des phrases vides de sens, des paroles de pochard ivre à en crever. * Regarde-toi bien dans la glace du Balto, qu’y vois-tu ? Rien de plus qu’un déchet, un humain mal monté, un pantin en pleine détresse, incapable de mettre des mots sur son existence de misère alors qu’il fut un temps où l’on t’écoutait avec plaisir. Aujourd’hui l’on peine à déchiffrer ce que tu tentes de dire, on tourne la tête pour ne pas avoir à faire cet effort, on t’ignore et on te

méprise. Aux yeux des autres, c’est simple, tu es déjà mort, tu n’existes plus, tu n’es rien qu’un souvenir de ce qui fut, une anomalie temporelle comme une maladie contagieuse qu’on essaierait de ne pas chopper à trop te fréquenter. D’ailleurs tu le vois bien quand tu te poses au comptoir, qu’imperceptiblement l’on s’écarte d’un pas ou d’un coup de fesse dans le tabouret. * Quand tu t’es bien regardé, quand tu as vu encore une fois ta main porter le verre à tes lèvres pour finir jusqu’à la dernière gorgée de ce que tu pouvais payer, tu te lèves avec précaution, toujours trois appuis minimum et tu t’en vas par la grande porte après avoir jeté tes dernières pièces dans la coupelle. En cette fin de matinée d’été, alors que le soleil tape dur les crânes offerts en pâture et fait fondre le bitume, tes yeux ne voient plus, éblouis. Tu aimerais rentrer chez toi et dormir, peut-être aussi vomir…Mais tu n’as pas vu. Tu n’as pas vu le feu passer au vert. Tu n’as pas vu, au moment où tu posais le pied sur la première bande blanche du passage piéton, foncer les voitures et les camions. Tu n’as rien senti et c’est tant mieux. À peine cette douce sensation de voler quand le camion t’a percuté. Tu n’as pas entendu le crissement des pneus et le concert d’avertisseurs, pas plus que les cris de quelques passantes effarées. Tu n’as rien senti quand ton vol s’est terminé dans la fontaine, au milieu du rond-point. Tu n’as rien senti non plus quand un bout de la structure de verre a traversé ton abdomen de part en part. Tu n’as pas eu le temps de voir ton sang se mêler à l’eau du bassin et c’est tant mieux. Tu aurais vu quelle fin misérable aura été la tienne. Tu aurais vu comment finissent les épaves dans les casses, broyées, brisées, pulvérisées. Peut-être vas-tu revoir Gizmo et Spartacus, Helno et les frangins Perez, Tintin et Chocho, qui sait… Ce que tu as vu, je n’en sais rien, mais moi ce que j’ai vu c’est un mannequin désarticulé, embroché sur une œuvre d’art au milieu du bassin de la place Gambetta. Je suis un de tes anciens amis casé et embourgeoisé, je suis serveur dans un troquet, je suis le voisin de la rue de la mare, le type à l’entrée du Père-Lachaise et le mec que tu croises quand tu rentres chez toi à quatre pattes. Je suis le souvenir de ce que tu as vécu, le malabar à l’entrée du Gibus et la fille presque nue du Palace. Je suis la dernière femme que tu as baisée, je suis le scooter volé, un pandore et le camion qui t’a projeté loin dans l’eau un matin de juin… 16

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Une nouvelle écrite par Marlène Tissot Photo par Hair-Flick Retrouvez Marlène sur son blog : http://monnuage.free.fr/

ÉPINEUX

J

’ai retrouvé un vieux carnet avec mon écriture dedans. Perdu au fond d’un carton jamais vidé, exilé au garage depuis notre dernier déménagement. J’ai été prise d’une frénésie de rangement ces derniers jours. Ça m’arrive parfois et pas seulement au printemps. Je vide, je range, je trie, je jette. J’élimine beaucoup de choses. Les souvenirs m’agacent, les objets inutilement entassés me font chier. Tout ce qui est mort ou rappelle des choses mortes, tout ce qui dort sous la poussière : à dégager ! Sur les pages du vieux carnet, il y a des inscriptions désordonnées, des phrases, des numéros de téléphone, des dessins, des pensebêtes, des listes. Beaucoup de listes. Déjà à l’époque le mal couvait. Névrosée. Il me disait que j’étais névrosée. Et pourtant, sur mon petit carnet, j’avais listé des idées de cadeaux à lui offrir, je

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traçais des cœurs et des fleurs autour de son prénom. Névrosée. Névrosée, mon cul ! Maintenant, je fais moins de listes. Mais je compte. Je compte beaucoup, presque tout le temps. Je compte mes pas, les voitures rouges en allant au boulot, les passagers du bus, les bonbons restants dans le bocal, les carreaux de carrelage, les bretzels, les pâtes dans mon assiette. Je recompte mes dents aussi de temps en temps, en passant ma langue dessus, lentement, une par une. Trente. J’ai deux dents de sagesse qui refusent de pousser. Ça veut dire quelque chose ? La première fois qu’il m’a traité de névrosée, c’était parce que je pleurais sur un plateau de toasts. Il y avait plus de saumon que de foie gras : impossible de les installer en un damier 17


Nouvelles - Épineux

symétrique. Il m’a dit « Putain, je croyais qu’il se passait un truc GRAVE ! Tu fais chier avec tes névroses débiles ! ». J’ai bouffé les trois saumons surnuméraires avec rage. C’est là, je crois, qu’il a commencé de m’agacer sérieusement. Mais j’ai fermé ma gueule. Peut-être que je n’aurais pas dû. Tu la boucles, les lèvres hermétiques sur les mots et alors, la pression monte. Tu deviens une vraie cocotte-minute prête à exploser. Enfin, pour moi ça s’est passé comme ça.

Après ça, je pensais finir ma nuit tranquille et, au petit matin, on se serait réconciliés, comme d’habitude. On aurait déballé nos cadeaux bien rangés au pied du sapin. On se serait préparé un cappuccino bien mousseux. Mais ce con s’est mis à pisser le sang sévère, ça dégueulassait tout le carrelage, ça ruisselait vers la crèche et les paquets enrubannés. Il a fallu que je sorte les serpillières et que je me tape une séance de ménage à quatre heures du mat’.

Ensuite, il a continué de me reprocher des tas de choses, de plus en plus souvent. Et j’ai continué de me taire. Parce que si tu ne l’as pas ouvert avant, on va te demander pourquoi tu le fais maintenant. Je sentais la colère enfler en moi, pleine de rage sous la peau et j’aurais pu me barrer, tout simplement. Oui, parfois je me demande pourquoi je n’ai pas fait ça. Bon, je suis restée. Un peu comme un animal foutrement bien domestiqué. Mais j’avais la sauvagerie qui remontait à la surface tout doucement. J’avais des pensées violentes et des rêves sanglants. Je n’y ai pas trop prêté attention au début puis, à la longue, je me suis surprise à imaginer des plans macabres.

Je l’ai emballé dans le duvet pour absorber le reste et pour pas qu’il prenne froid quand même. Il était vachement froid. J’ai touché dans son cou et sur son torse et je crois que plus rien ne battait. Mais j’étais trop épuisée pour y réfléchir. Je me suis endormie comme une masse sur le canapé. Quand le jour s’est levé, je me suis rappelé que ses parents devaient venir à midi. Et merde ! Il était toujours aussi froid avec son visage un peu blanc-bleu. Bon, c’était pas le moment de paniquer. Il l’avait bien cherché quand même, faut pas déconner. Alors je suis allée dans mon garage parfaitement rangé et j’ai avisé le carton du sapin synthétique. À vu de nez, il faisait la bonne taille.

À la cuisine, j’aiguisais mes couteaux de plus en plus souvent. Étonnant d’ailleurs que ça ne lui ait pas mis la puce à l’oreille. Mais non. Il ne se doutait de rien. Il était toujours là, comme un con, à me traiter de névrosée, de détraquée, de pauvre fille, de faut-te-faire-soigner. Bon, moi ce genre de soins, c’est pas ma tasse de thé. Je préfère les méthodes plus radicales. L’ablation, par exemple. Avec lui, c’est par la langue que j’ai commencé. Et il l’avait bien pendue, bien longue et grasse. Je la lui ai tranchée un soir qu’il était ivre mort et particulièrement mauvais à mon égard. Aussitôt, il s’est mis à beugler comme un putois en éructant une salive mousseuse et sanglante. Fallait bien que je le fasse taire. Alors je l’ai assommé avec une bouteille de rouge à moitié pleine que j’ai vidée pour m’éclaircir les idées. Plus tard dans la nuit, il s’est réveillé, des croûtes de sang plein le menton et il a entrepris de m’étrangler parce qu’il ne pouvait rien faire de mieux. Incapable de m’injurier sans sa langue, il gueulait pathétiquement des meuh-meuh-meuh, les mains serrées sur mon cou et ses yeux exorbités. Fallait bien que je me libère et il était plus fort que moi. Alors j’ai chopé l’Opinel dans ma poche et l’ai planté dans son ventre. Au bout de sept ou huit coups de lame, il a lâché enfin prise. Comme je me méfiais un peu, je lui ai refait quelques boutonnières sur le poitrail. 18

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Chère jeune femme inconnue d’hier soir

J

e ne t’ai rien dit quand tu m’as insulté alors que j’essayais, en nage, de faire tant bien que mal mon boulot, hier avant la fermeture. J’ai d’abord cru que mon silence tenait à cet incroyable gilet Auchan dont on m’a affublé, et que je suspectais alors d’être enchanté. Il m’arrive en effet de ressentir parfois de légers fourmillements dans le dos, à l’occasion de l’exercice de mes basses fonctions, et j’imaginais jusque-là que cela tenait à une forme de magie étrange ; que dans les moments de crise, et tandis que des clients énervés de ton genre passaient leurs nerfs sur ma personne, cette inscription se mettait à briller et que ses lettres changeaient de place pour former un nouveau mot aux vertus apaisantes dont Auchan serait une anagramme. Peut-être Aunach. Ou Cha’ûn’a. Un mot aux origines secrètes, Cheyennes ou Mésopotamiennes, qui se prononcerait d’une voix rauque propre à invoquer les esprits de la Patience ou de la Tolérance. Ou les deux à la fois. Un genre d’incantation cataplasme, comme un patch anti-tabac. Il est vrai qu’on ne fume jamais, quand on est sapé en Auchan. Mais il n’en était rien. Wrong way. Que dalle, ouais.

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Une nouvelle écrite par Eva L. Esterd Photo par Hippydream

Mes collègues m’ont affirmé que les lettres de mon gilet ne changeaient pas de place, et ne brillaient absolument jamais. Ce n’était donc pas ça. Pourtant je ne t’ai pas insultée en retour, hier soir. J’ai préféré étouffer ce reflexe sous les 58 kg de pression au centimètre carré de mes mâchoires verrouillées. Je t’avouerai pourtant qu’excédé et épuisé, fourbu aussi, j’ai manqué le faire. Tout comme je me suis vu broyer ton petit corps d’idiote comme j’aurais essoré une serpillère. Cela m’eut été facile, je peux écraser une pomme dans mon poing. J’aurais fait de même avec toute ta viande, je t’aurais brisée comme une poignée d’œufs de pigeons, et aurais jeté aux quatre vents tes cellules épithéliales en sifflotant comme un semeur du siècle dernier. Ou du siècle d’encore avant. S’en branle. Tu m’as compris. A plus ma puce, à toute ma choute. Mais tes yeux m’en ont empêché. Un jour j’ai vu deux femmes se battre pour un jeton de caddie. J’ai bien dit : pour un jeton de caddie. Tu avais leurs yeux de verres renversés, hier soir, baby. Leurs yeux de départ précipité, quand 19


Nouvelles - Chère jeune femme inconnue

on bouscule la table des genoux. Ce sont les yeux de la raison qui se barre.

de ta chatte ; et une clé sur la chair de ton avantbras que tu afficheras sur le time-line black&white de ton FB, pour donner de ta personnalité un aperçu made in 2012, aussi Sex Drugs & Rock’n’Roll qu’un court-métrage Nescafé. Tu tomberas amoureuse d’un type TrOp sWaGg , coiffé comme dans les pubs Taft Power Gel, et habillé d’un slim vert taille basse comme cette petite tapette de Peter Pan. Tu te perdras dans une vie merdique et sans intérêt à laquelle tu ne sauras donner de relief qu’en te préoccupant des déménagements de Depardieu ou des manifs contre la filiation et la loi Taubira, que mèneront des Frigide Barjot aux pseudos de bandes dessinées. Et toute cette vacuité te brulera. Avant longtemps, tu somatiseras toutes tes frustrations et tu te désintégreras de l’intérieur. Rien ne te sauvera plus, car il n’y a pas d’application pour ça. La pomme est déjà bouffée. Regarde, si tu ne me crois pas. Too late, my love. Ils l’ont dessiné sur ton téléphone. Comme ces étoiles qui crèvent en s’effondrant sur elles-mêmes, tu deviendras une manifestation du vide comme j’en vois tant chaque jour. Une nouvelle tache noire sur la robe ocellée d’une populace aussi fière, sauvage, et libre qu’un léopard empaillé. Je l’ai lu hier dans tes yeux plastifiés de peluche de musée. De descente de lit.

Chère jeune femme inconnue d’hier soir, en vérité, j’eus aimé poser un index léger sur ta bouche venimeuse avant d’ôter ce gilet absurde afin que tu constates que sous l’employé sommeillait un homme, puis te dire que dans un autre contexte, nous aurions pu être amis. On aurait fait des pique-niques dans des parkings souterrains. Ou frères et sœurs. Y aurait quelque part des photos de nous à cheval sur un grand chien. Ou même amants. Imagine ce que tu veux, ici. Je regrette toujours, en vrai. Toujours. Toujours. Chère jeune femme inconnue d’hier soir, il semblerait que la rage ne se transmette plus par la salive, mais la paix peut-être, la raison sinon. Qui sait. J’aurais du essayer, hier soir, de te la transmettre. Te rattraper et poser ma main sur ton épaule pour te la filer, comme on jouerait au Loup Glacé. Ou juste déposer un baiser sur ton front haineux. Te rouler une pelle. Je t’aurais soufflé Cha’ûn’a, Aunach, ou simplement de te calmer. Que ça n’en valait pas la peine. Mais je ne l’ai pas fait.

Et tout cela sera toujours un peu ma faute.

Je ne t’ai pas retenue hier soir, et t’ai laissé partir en brandissant ton majeur. Je n’ai pas tenté de te sauver, de te rendre meilleure. Je t’ai laissé te vautrer dans la boue de ta bêtise, en sachant que demain tu t’y noierais. Je n’ai pas su trouver la force de t’insuffler quelque chose d’autre. J’aurais du te secourir et te laver. Essorer tes cheveux emmêlés de merde, souffler mon haleine tiède sur ta nuque ou le bout de tes doigts engourdis par ta propre froideur, allumer un feu sur le carrelage du magasin et te draper avec mon t-shirt ou mon gilet désenchanté dont les lettres restent immobiles. Mais je n’ai rien fait. Rien. Je le regrette aujourd’hui.

Chère jeune femme inconnue d’hier soir, je ne t’ai pas sauvée quand j’aurais du essayer de le faire. Je ne t’ai pas aidée. J’ai jeté ailleurs mon regard et continué mon chemin, t'ai laissé à ton sort en sachant pertinemment ce que je faisais. Sans doute ne m’en tiendras-tu jamais rigueur. Quelques secondes après m’avoir craché toute ta haine, tu avais surement déjà tout oublié. Mais ça ne justifie rien. Moi je pensais encore à toi en m’endormant, ce matin. Je t’ai abandonnée par faiblesse. Par lâcheté. Par lassitude. J’ai lâché ta main par manque de foi et t’ai laissé dans ta crasse. Je n’aurais pas dû. Alors voici. Et qu'importe que tu ne lises jamais cette lettre étrange. Hier, planqué derrière mon silence, je te ressemblais un peu, je crois.

Chère jeune femme inconnue d’hier soir, à cause de moi, ta suffisance n’aura d’égale que ta bêtise, sans espoirs aucuns de rémission. Tu es condamnée à t’accorder à ton siècle imbécile. Tu tatoueras un revolver mal fait sur le pli de ton aine, en direction de ton idiote intimité, célébrée pour l’occasion comme s’il ne s’agissait pas juste

Je te ressemblais. Je tenais simplement à m’en excuser. 20

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Une nouvelle écrite par Julien Mart Photo par Send me adrift

Sister « Ça sent la sueur » se surprit-il à penser. Il régnait en effet une odeur de transpiration dans la chambre salon du petit studio qu'ils louaient. Un parfum un peu âcre, moite, mêlé de relents de vieux tabac, d'alcool et de cannabis. Il faisait encore sombre malgré les fins rayons qui s’immisçaient par les interstices des volets fermés. Sombre et lourd. « Comme dans une chatte » avait-il envie de dire. Lost était un lecteur avide de Poppy Z.Brite et ce genre d'images miécœurantes mi-rassurantes s'enroulaient souvent dans son esprit pendant qu'il était encore dans une phase entre le sommeil profond du type qui a trop bu, et l'éveil migraineux de ce même type qui regrette atrocement la veille.

lorsque les rayons du soleil frappant ses yeux devinrent trop forts, il les ouvrit non sans pousser un léger grognement. « Putain ». À côté de lui, bien que le jour fut largement avancé, dormait une jeune fille. « Sis', bordel, t'es qu'une feignasse ». Elle avait sa tête posée sur le ventre mou du garçon. Ses cheveux ondulés formaient, ainsi éparpillés, comme une immense mare noir corbeau sur le t-shirt gris sale du jeune homme. Ce dernier essaya nonchalamment de la réveiller. Mais c'était peine perdue. Elle était hermétique aux chuchotements et aux secousses. Lost se contenta donc de la dégager avec douceur un peu plus loin sur le matelas blanc qui leur servait de lit.

Lost demeura de longues minutes à humer l'air pesant de la pièce et à s'imaginer quelque part dans le Calcutta méphitique où La NouvelleOrléans liquoreuse de Poppy Z.Brite. Puis,

Il se leva, se déshabilla en silence et enfila un autre t-shirt, blanc cette fois-ci, ainsi qu'un jean délavé et troué par les multiples usages qui en

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Nouvelles - Sister

avaient été faits sur son corps malingre et pâle. Il se dirigea ensuite vers la modeste bibliothèque où trônaient quelques livres dont les auteurs étaient probablement défoncés à la mescaline, à l'opium ou au DMT lors de leur rédaction. Là, Lost en choisit un — Les fleurs du mal — et, tout en allumant une lucky strike, se mit à lire : « Tout cela ne vaux pas le poison qui découle/De tes yeux, de tes yeux verts ». « Le Poison ». Lost sourit. Il jeta un regard en coin à Sister inconsciente. Il était vrai que rien ne valait le poison des yeux verts de Sister « Lacs où mon âme tremble et se voit à l'envers » compléta-t-il machinalement.

torpeur afin d'aller travailler au restaurant minable qui avait eu le malheur de les embaucher récemment —, il versa du whisky dans une tasse à café qu'il siroterait — espérait-il — tout en écoutant le dernier album de Marilyn Manson -Mechanical Animals- sur son baladeur. Ce qu'il fit approximativement l'espace d'une minute. Mais, Sister, entendant les notes torturées de « Coma White », émergea péniblement. « Baisse le volume... ». Lança-t-elle d'une voix enrouée. Puis, remarquant que Lost avait ses pupilles tristes posées sur elle ; elle demanda, étonnée : « Un truc ne va pas ? J'ai un visage de déterrée, non ?». Lost esquissa un sourire. Le deuxième de la journée, ce qui plaçait celle-ci dans les « journées où se pendre n'était plus une priorité ». « Non, rien, t'inquiète » et dans sa tête, il estima qu'après tout, ils seraient peut être heureux tous les deux.

Elle gémissait dans son sommeil. « Au moins, tu ne parles pas aujourd'hui ». Elle avait l'habitude de parler quand elle rêvait. Il se souvenait d'elle en plein monologue onirique à l'époque où ils n'étaient encore que deux enfants orphelins. C'est d'ailleurs à cause de ça qu'il n'a jamais vraiment pu avoir une nuit complète et que, très tôt, parce qu'il était hors de question de ne pas dormir dans le même lit, des cernes vastes comme le Grand Canyon s'étaient formées sous ses yeux d'émeraudes et les avaient ternis. Il la détailla. Elle paraissait si fragile, frêle et blanche avec ses taches de rousseur imperceptibles sous ses yeux d'absinthe et ses lèvres roses comme celles d'une enfant. Elle avait toujours semblé plus jeune que son âge. Même désormais qu'elle était majeure on lui donnait rarement plus de seize ans et on lui demandait systématiquement sa carte d'identité dans les bars miteux qu'ils fréquentaient, ce qui la faisait enrager, mais qui amusait surtout Lost au plus haut point. Lost la fixa ainsi jusqu'à ce que sa cigarette se consume presque entièrement entre ses doigts. Ce n'est qu'en ressentant la brûlure de la braise rougeoyante sur son index qu'il retourna à la réalité. « Merde ! ». Sister entrouvrit la bouche. Il ne s'en échappa qu'une poignée de sons incompréhensibles. Elle replongea aussitôt dans ses chimères. « C'est pas passé loin... ». En vérité, il détestait interrompre les nuits de Sister. Il s'en voulait de la contraindre à se rappeler que le monde n'était pas rempli d'endroits ni peuplé de personnages dignes de l'imagination de Lewis Caroll et qu'au contraire, les connards en cravate et les enfoirés qui souhaitaient les séparer étaient bien plus nombreux que les chapeliers fous et les lapins à la bourre. Il continua à la dévisager. En attendant midi — heure à laquelle il faudrait pourtant l'extraire de sa 22

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LA PORTE D'ENTRÉE Une nouvelle écrite par Mu Photo par Mu

C

'est le matin, très tôt, la maison est encore obscure et calme. La famille se réveille, je suis en pyjama.

Il est fait comme un dessin d'enfant, mais avec des objets réels. Des concepts d'adultes, déguisés, pour les enfants.

Ça frappe à la porte d'entrée. Mais ça ne vient pas de la porte au Sud, celle par laquelle on passe sans frapper. C'est à La Porte d'Entrée, L'Officielle, celle du Nord, la froide, celle que les gens qu'on aime n'utilisent jamais.

Il est structuré par une logique d'enfant, mais se compose d'un matériel dérangeant... Cette horrible tête qui fige cet horrible idéal masculin... Ce manteau criard (c'est un rouge très moche, genre Auchan) qui pue lui aussi l'artifice, ce cache-misère qui dissimule ces bois de potence... Ce vide qui sent la mort.

Au travers du glacial verre dépoli, je vois se tenir une forme dans la lumière diffuse et grise. Ça fait humain, mais c'est un peu trop grand. Un peu trop maigre. Un peu trop rouge.

Son anatomie est atroce. Ce truc n'est pas viable. Mais il est là, et il se tient.

Qui ouvre la porte ? Moi ? Mon père ? L'une de mes sœurs ? Ma mère ? Peut-être était-ce lui-même... Il me pétrifie. C'est le père Noël. Son manteau rouge et flasque cache un vide terrifiant. Il essaie de le dissimuler, mais je vois bien que sous son manteau, il n'y a rien. Les manches flottent. Il n'a pas de corps. Il n'est qu'une tête de Ken en plastique, directement fichée sur une paire d'échasses. Il a mis des chaussures en bas des bouts de bois, pour faire illusion. Il est trop grand, trop maigre, trop vide, ses cheveux sont trop en plastique, son sourire aussi. Il est fait comme un dessin d'enfant ; un bonhomme sans ventre, juste une tête souriante, avec des jambes trop longues pour remplacer l'espace manquant. Retour au sommaire

Toute ma famille est saisie d'effroi. Toute ma famille a peur du père Noël. Toute ma famille a toujours eu peur du père Noël. C'est comme si elle s'attendait à ce que sa visite arrive un jour, et que ce moment redoutable était enfin là. Je cours me cacher sous les coussins des fauteuils du salon. Je suis assez petite pour ressembler à un coussin. Ma famille se disperse. Où vont-ils se cacher, eux ? Sur le carrelage, j'entends ses lents pas sinistres, irrévocables.

(rêvé vers 1988)

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Poésie hitlérienne, amours et camps de concentration Une nouvelle écrite par Néon Photo par Duensentrieb

S

a silhouette de grand traumatisé entre en scène comme un ver sort d'un fruit moisi. C'est Desdichado dans l'embrasure de la nuit qui se présente à nous, dans le bar. Il est drapé de gazole marron. Plus schopenhauerien que le Maître luimême, largué au front. Il semble revenir d'un tumulte inimaginable, ou avoir coulé là depuis les gouttières de la façade du pub. Il entre tout à fait, me voit, fait deux pas et s'encroûte là, à mon côté, face au comptoir. Avant que j'aie pu le saluer, il écarquille les deux boules noirâtres de ses orbites et décrète : « J'arrête la poésie ! » (Tiens, ça me fait penser aux toxs qui sont fiers d'annoncer pour la millionième fois : « j'arrête la came ». Sauf qu'il est pas fier Desdichado, pas du tout.) « J'arrête la poésie, je me mets à l'économie à la fac et après je ré-ouvre les camps. » Lui, il était en délicatesse avec une nana, c'était évident. Je savais laquelle en plus : une gamine de vingt ans avec des jolis yeux et pas de conversation du tout, un coup minable au pieux, j'en étais certain. Vraiment pas de quoi se mettre l'âme à l'envers. J'étais avec une copine de Desdi avec qui j'avais vaguement fricoté une fois. Elle devait me payer des verres, mais en fait c'était un vieux gitan Andalou qui nous allongeait les bières. Un groupe jouait dans le pub, le chanteur, très jeune, souffrait d'une calvitie naissante ; comme il chantait plutôt bien je me focalisais sur la calotte de chair

apparente au sommet de son crâne, ça m'évitait d'être trop jaloux. La fille prend Desdi dans ses bras pour le réconforter. Elle est au courant : jolis-yeuxmauvais- coup, c'est sa copine. Desdi me serre la main (d'habitude il me fait la bise, beurk), enfin non, il pose un chiffon entre mes doigts, ce chiffon, c'est sa main. « Ou alors je vais me jeter dans le Rhône. Ou je me pends à un lampadaire. – Je t'ai toujours dit que tu me faisais penser à Nerval... » D'accord, c'était pas très drôle, mais c'était vrai. Suite à ma blague un peu stupide je sais plus quoi dire. Alors je fais dans le très con : « T'es venu noyer ton chagrin ? – Si tu me payes un verre, j'ai pas une thune. » (Vraiment très très con.) Pris à mon propre piège je lui refile trois euros. Le gitan en rajoute un ou deux autres. Ça paye, le désespoir. « On s'est embrassé hier, qu'il me fait, tout piteux. – Ah. Et elle embrasse bien ? – Non, très mal. – Je t'avais dit que c'était un super mauvais coup, ça se sent à dix mètres. – Ensuite elle me dit ''je vais te faire voir les étoiles'', et puis elle a couru auprès de son mec, un 24

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Desdi (Christo c'est son vrai nom. Très forts les parents pour ça). Et puis ! ô diabolique miracle ! El Desdichado voit passer sa seule étoile morte au coin de la rue. Elle le mate subrepticement. Sûr qu'elle le fait exprès, la pute. Et lui, il court. Normal.

– Je vais ré-ouvrir des camps de concentrations, mais pour nègres. – C'est un bon programme, t'auras des voix pour toi. Pas la mienne par contre. – C'est la pire humiliation que j'aie vécue ces dernières années. » (Je serais curieux de connaître les autres, mais j'ose pas demander dans cet instant ô combien dramatique...)

Bon. La petite et moi on s'intensifie. C'est le moment. En plus y a personne et il est même pas tard, pas encore vingt-deux heures. Les rats quittent le navire. Elle habite juste à côté. Bien foutu ça. J'achète une bouteille de 1664 pour la forme, style je la suis pas que pour ça. Une fois chez elle on fait ça vite. Elle veut que je reste, je reste pas : Desdi est un bon prétexte -je vais pas abandonner un pote quand même ! on est pas des bêtes ! ah si ? ah bon. Je trace. Je me serai même pas absenté deux heures.

Bon, on est là, nous quatre, le gitan, la nana, Desdi et moi avec le malheur mazouté de Desdi qui s'étend comme l'ombre d'une cathédrale gothique. La nana le reprend dans ses bras. Si j'étais une fille avec des bras, je ferais pareil.

Banco. Desdi est là, à table avec sa méchante greluche. Il a les pieds dans le magma gelé du centre de la terre et la tête qui dépasse à peine du permafrost. Ses sourcils s'enfoncent dans sa bouche et ses épaules se sont déplacées au niveau des hanches. Alors, petite garce ! tu jouis de le voir comme ça ? d'observer les effets de ton pouvoir sur une toute petite race d'hommes ? Oui ? je te comprends. Petite garce, va. Je vais me prendre une bière, parce qu'une bière c'est grand et pas cher. Quand je ressors le micro succube sadique s'est barré. Reste plus que Desdi à sa table comme l'anachorète en haut de sa colonne. Il lit Libé pour pas devenir dingue. Je suis pas certain que cette méthode soit agréée par le syndicat des dépressifs mais je fais pas de commentaire, je reprends place avec lui.

« Mon pauvre ami, que je dis pour lui redonner du baume au cœur, le plus ironique c'est que dans quinze jours tu écriras sûrement un beau poème avec une garce et des étoiles moribondes. C'est un peu ça la poésie, avoir une bassine de merde à portée de la main pour y tremper sa plume et dessiner des fleurs malodorantes. – J'arrête la poésie je t'ai dit. – Ah oui, c'est vrai. » Je change de méthode : « Ma grand-mère est en train de crever. » Je lui annonce ça en secret de la petite et de l'Andalou, déjà je suis pudique et en plus j'ai pas envie de leur péter le moral. « Ah. Désolé. » Et il lève les yeux au ciel sans étoile ; normal, c'est le plafond du pub, noir et rouge, et donc plutôt pompier.

« C'est une vraie pute, qu'il lâche comme ça, comme un pet qu'on peut plus retenir et qui sort en douce. – Hum... – Qu'est-ce que vous avez foutu, je vous ai cherché... – J'ai raccompagné la petite. – C'était bien ? – Efficace, elle est chez elle maintenant, et bourrée comme elle l'est, elle doit déjà dormir. – Pendant que t'étais pas là j'ai vu Ésthera et deux ou trois mecs du RADAR, elle m'a dit qu'elle revenait. – Ok. »

Ce zoo pue la tristesse mortifère des charniers en cours de formation. On file se foutre dehors. Dehors c'est aussi con, mais au moins l'air circule sous les lampadaires de lumière poussive, lampadaires que Desdi zieute toujours comme un futur possible. La petite est absolument pétée, elle rigole pour rien, elle rigole pour tout. Pratique. Ça encourage Desdi à un peu de légèreté. L'Andalou ne nous a pas suivi, il a pas bougé de son chapeau gris et blanc, de sa moustache fine style codebarre, de son Duende à lui, de ses bretelles, de son comptoir et de son ballon de rouge. Mamamia que nous sommes malheureux sur cette croûte bétonnée et insensible ! Sauf la petite qui est pétée (qui cache peut-être son malheur, allez savoir), sauf moi qui ne l'avouerai jamais. Bref, Desdi est malheureux, mais il l'est pour trois, c'est ça ÊTRE un poète. Merci ChristoRetour au sommaire

Je partage ma bière avec lui, parce que bien sûr il est pas plus riche que deux heures plus tôt. Si, il est un peu plus riche de haine, mais ça s'échange pas contre de l'alcool, pas dans ce bar-ci. Il me raconte comment et à quel point sa pute 25

Nouvelles - Poésie hitlerienne, amours et camp de concentration

Noir. – Bah, les étoiles qu'on peut voir, à part le soleil et une ou deux autres, elles sont toutes déjà crevées, tout le monde sait ça.


Nouvelles - Poésie hitlerienne, amours et camp de concentration

est une petite pute perverse. J'en conviens sobrement. Faut pas jeter de l'huile sur le feu. Ah, les crocodiles et leurs amours suburbaines ! On est tous rampants dans les égouts ! Hein, Desdi ? Sauf que c'est pas des larmes de crocodiles qui lui coulent sur la gueule, d'ailleurs il pleure pas, il est tout sec, tout déshydraté. Plutôt un sac en croco que l'animal avec la queue battant le pavé.

"Une saison en enfer" qu'il tient à la main, mais

dans son cas, ça ressemble trait pour trait à une corde avec tous les tours et le nœud coulant, comme dans les Westerns. Il dodeline péniblement en cherchant une chaise. Pus de chaise. Il fait la danse de la liane dans le vent, au bord de notre petite assemblée. Paul Fort aussi il est amoureux, il le dit pas, mais tout le monde le sait. D'une gamine qu'a trente ans de moins que lui et qui n'en a rien à foutre ni de sa culture, ni de sa vieille tronche de poivrot, ni de sa veste beige de maquereau des années soixante-dix. La saison en enfer, il est en plein dedans. Ironie. Il reste là, mi debout mi mort, un œil ouvert, un œil mi-clos. Il est sujet à des pulsions. D'un coup il se tire. D'un coup il réapparaît. Il est un peu magicien, Paul Fort. Et tout à fait imprévisible. Il revient avec une chaise, il tombe dedans, on se dit que là cette fois c'est bon, qu'il va rester en place, et puis trois minutes après, SHLOUF, il s'éjecte comme un cotillon et puis, POUF, le revoilou. Desdi crache encore son aigreur au travers de quelques saillies vaguement surréalistes, parfois drôles, que tout le monde ne comprend pas. Vince surtout, il comprend que d'chie. C'est au tour de Desdi de s'échapper. Vince se tourne vers moi, d'un genre gestapiste :

V'là Vince, le casse-couille de l'autre fois avec sa drague à deux balles et son armure de Léo Ferré. « Je m'assois hein, ça vous gêne pas ? » (Je m'assieds, crétin) « Ben non, assieds-toi donc. » Desdi lève des yeux de six pieds de long, ça met une heure, et les replonge au sol, encore une heure. Et puis oui, arrive Esthera, au milieu de RADARIENS* errants. Y a Vlad le grand qui pue et qui fait des blagues, Sun-Tzu avec ses bras immenses et un pro du billard. Tiens, vlad pue pas aujourd'hui. Etrange. Tout le monde brasse, jacte, rigole. C'est fatiguant. J'apprends que le RADAR est en vente. (NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOONN NNNNNNNNNNNNNNN !!!!!)

« Il fait quoi ce mec ? – Christo? C'est un poète. – Un poète ?! mais... un vrai poète ? – Ben il écrit de la poésie quoi. A mon sens ça suffit pour en faire un poète, après si tu me demandes si c'est un bon poète, si il deviendra immortel, là je me prononce pas. – Non mais je veux dire, y en a qui font de la merde et qui appellent ça de la poésie, tu vois, quoi ? – Bof... Disons alors que c'est plutôt un ''bon'' poète. – Ah... »

Les RADARIENS restent debout, Ésthera prend une chaise. Ils ont un grand projet les RADARIENS : se peindre les poils de la bite chacun d'une couleur arc-en-ciel, genre pub Benetton. Magnifique. Ils bougent, ils vont à l'intérieur du pub, ils reviennent, ça arrête pas. Je vois bien que ça tue Desdichado, qu'aux œillades qu'il fait, il ouvrirait bien son futur camp de concentration à ses amis aussi, pas de raison qu'il y ait que les Noirs qui en profitent. Il va devenir sage Desdichado, à la longue. Vince, il faut le buter, on le fera un de ces quatre. Il veut faire la leçon à tout le monde, sur toutes choses. Y aurait un lièvre variable avec nous qu'il lui recommanderait une teinte de fourrure pour l'hiver alors qu'on arrive au printemps. La nature est bien faite. La providence, gentille. A quelques pas (quelques pas pour nous, une demi-heure de zig-zag pour lui) je vois Paul Fort, le vieux poète cramé qui godille jusqu'à nous, de façon très hasardeuse : le plus court chemin d'un point à un autre, il connaît pas. Ça va faire du bien à Desdi de se confronter à lui, il va se sentir fort et heureux, en comparaison. Paul Fort a presque la corde à la main. En fait, c'est

Retour de Desdi. C'est bien réglé ces allées et venues, on se croirait au théâtre. Vince a encore envie de dézinguer quelqu'un : « Il parait que t'es poète ? quel genre ? – Ouais. En ce moment je fais des poèmes de haine. » Paul Fort en était à avoir la tête totalement parallèle avec la table. Son malheur amoureux statufié par l'alcool lui faisait défier les lois immuables de l'apesanteur. Impossible de savoir si il dormait ou pas. Vince est content, il a trouvé LA faille : 26

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saisis aucune nuance ce soir... – QUELLES NUANCES ??? TU L'AS PAS ECOUTÉE ! HITLER UN GRAND POÈTE ! NOM DE DIEU !!! – Hin hin hin : vos races sont dégénérées... »

« TOUT LE MONDE EST POÈTE ! BEN VOYONS ! HITLER AUSSI ÉTAIT POÈTE ALORS ! »

« Bon écoute, vous vous êtes pas compris du tout, elle a pas dit ce que tu crois, alors stop. »

Comme je l'ai pas ouverte depuis un moment, j'espère que ma voix portera. Je tente : Gagné. Paul Fort me scrute (difficilement derrière sa barrière éthylique), enregistre le message, puis il s'éteint. Ouf. Vince se taille en ricanant, puis il est remplacé par Vlad. Les serveurs commencent à ranger la terrasse. Vlad a du rhum chez lui et un peu de bière. Très bonne idée. On abandonne Paul Fort à son "bien triste, bien triste sort".

Ésthera évalue mal le danger : « Peut-être qu'il écrivait des petits poèmes, Hitler, on sait pas... – HITLER POÈTE !!!!!! ON AURA TOUT ENTENDU !!! HITLER POÈTE !!! BEN MERDE, ALORS HITLER, MUSSOLINI, MILOSEVIC, PINOCHET, CEAUCESCU ET STALINE, TOUS DE GRANDS POETES, AUSSI BONS QUE RIMBAUD ! PUTAIN, C'EST L'HORREUR !!! »

On en revient au plus important. Le désordre amoureux de Desdichado. Rhums, bières et putes. Pour se marrer on se met "Chagrin d'amour" des Inconnus. C'est plus calme, plus feutré, plus intello aussi. Même Vlad a des choses à dire, et surtout il a du rhum. Je lance l'idée d'un sonnet cadavérique, sur le principe des cadavres exquis. Comme on est quatre, ça fait trois vers chacun, plus deux à se partager, ça peut quand même être sympa. L'idée plaît, mais le côté métrique ça fait flipper Esthera et Vlad, du coup on fait ça sans métrique, en vers libres. Ça prend presque une heure et le résultat ne vaut rien. J'ai tellement siroté de rhum agricole que je suis même plus maître à bord. Il est trois heures. Ésthera préfère me raccompagner.

(Je crois bien que Staline écrivait des poésies, mais je suis pas sûr de mon coup, alors je la ferme sur ce point.) Vince est heureux, c'est le bordel, il nous improvise deux vers comme ça, deux vers hitlériens, qu'il ressortira au moins trois fois : « Ah ouais, je connais un poème d'Hitler moi, ça fait ça: Vos races sont dégénérées, il faut les brûler. »

Il est très fier de son éloquence, il nous le montre en crachotant un petit rire satisfait.

Dans mon lit, y a du roulis, beaucoup, je peux pas fermer les yeux. Ésthera (qu'elle est gentille !) me dégote une petite loupiote, comme celles qu'on met aux gosses pour qu'ils se laissent pas dévorer par les monstres de la nuit. Elle est gentille Ésthera.

« HITLER POÈTE !!! BEN MERDE !!! – Mais j'ai pas dit ça, j'ai dit que ''peut-être il en avait écrit''... – Ah ouais trop bons les poèmes d'Hitler : vos races sont dégénérées, il faut les brûler ! hin hin hin hin hin ! – SI !! TU AS DIT QU'HITLER ETAIT UN POÈTE !! NON MAIS VOUS ENTENDEZ CA ??? »

« Notre race est dégénérée, il faut la brûler... »

FIN

Et il lève les bras au ciel d'un geste puissant pour prendre à témoin les anges, les dieux, les morts, tous les grands poètes du monde ainsi que tous les gens de la place, qui commencent à reluquer franchement vers notre table. Desdi intervient, avec une tenue de pompier : « Non, mais elle a jamais dit ça, t'es lourd là, tu Retour au sommaire

* Le RADAR est un bar dans lequel se situe nombres de nouvelles du recueil dont est tiré Poésie hitlérienne, amours et camps de concentration.

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Nouvelles - Poésie hitlerienne, amours et camp de concentration

« De haine ? ah ben d'accord, moi aussi je peux être poète alors ! – Mais tout le monde est un peu poète. » Ça c'est Ésthera qui en casque bleu des discussions d'ivrogne essaie de prévenir le conflit. Raté. Paul Fort surgit de sa rêverie comme un diable à ressort comprimé dans sa boîte de Pandore qu'une imprudente vient d'ouvrir.


Rouilles par Mu Acide sur mĂŠtal

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Poésie Une certaine élégance Découverte des Astres C'est ainsi que les hommes vivent Nouveau trajet dans le train La guerre de la médiocrité Vision d'un paquebot faisant naufrage dans une mer infestée de requins Voeux du fakir Strip-tease intégral Supplique céleste du mollusque C'est un temps à hennir en buvant du vin Tout va bien en général jusqu'à ce que tout aille mal Un grand merci au petit requin à bosse Hymne aux amants des trottoirs La nuit avait un sourire édenté Parce qu'on est tous des moucherons cloîtrés Et si le coeur n'y était pas ? Reconversion Smalltowngirl Sans titre

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Une certaine élégance on est des dégueulasses faudrait arrêter de s'mentir et c'est p'têtre ça la classe monstres de nous dès les premières pépites de l'aurore au chant des rossignols nous suons dans nos draps le transfert de la conscience dans le corps est toujours délicat ou alors y a que moi ? et entre les dents, c'est bien des capsules de venin tout ça parce que ça fait mal les dents et que les murs y crissent comme c'est pas permis que ça file la chair... moi j'ai pas fait la guerre mais j'y ai pensé, une fois une fois que c'était trop beau le soir avec la poussière colorée et la ville au cuter et les lucioles de pensées trop beau pour être habité par des dégueulasses la fille faisait semblant de pas vouloir et moi j'pouvais pas dire qu'on est des dégueulasses qu'y faudrait arrêter de s'mentir et qu'elle voulait s'faire baiser je pouvais pas dire et la ville grésillait la ville trop belle de loin et si dégueulasse de près comme vous et moi.

Néon 32

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Découverte des Astres C'est une fille en mini jupe rose qui vous dit « merde » c'est un cri inconnu dans la nuit c'est une bouteille, la dernière bouteille qui tombe et se vide au sol c'est l'odeur infecte d'un égout vorace la glace écrasée d'un enfant c'est la mort du plus cher c'est une drogue inédite c'est une ombre dans la rue qui aurait pu être bien plus qu'une ombre si seulement... c'est un amour perdu et un amour trouvé c'est un petit bout de machin rouillé ou vermoulu par terre mystérieux c'est un sentiment venu et enfui sur des ailes de papillons inexplicable ou le vide dans les yeux c'est l'orgasme en petits hoquets de la fille à la jupe rose du début c'est quand on sent bientôt la fin comme les nuages ternissent sur nos têtes c'est la ville affamée, enflammée la ville vidée, creuse un caniveau mal entretenu c'est le bordel dans la cuisine la descente d'un fleuve impossible c'est Dieu qui se pose des questions et la mouche sur mon bras, ses petits pas excitants, une odeur de vomi qui enlace une table entre deux jolies nanas c'est un non-dit poli par l'absurde besoin de le communiquer c'est une lettre adolescente un carambolage un carnage un témoignage de quand je reviens de chez le boucher par des ruelles qui sentent la pisse, mes merguez au bout du bras c'est le monde bientôt éteint par des lampadaires tués ce même monde noir éclipsé quand vient l'heure d'éclairer la ville c'est de A à Z de l'alpha à l'oméga des pleurs, des cris et des joies une enveloppe pour tout ça c'est le corps c'est c'est un poème.

Néon Retour au sommaire

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C'est ainsi que les hommes vivent

Je me suis longtemps interrogé sur la poésie sur l'orgasme des femmes sur l'astrophysique sur la manière de réaliser une amortie parfaite au tennis J'avais huit ans, une nuit qu'il devait faire chaud et que mes congénères pourrissaient patiemment la mort me questionna j'eus soudain très, très froid Mon père m'expliqua ce qu'est la mort : « Tu vois, les tartes aux fraises, tu aimes ça, non ? – Oui... – Et bien quand tu l'as mangée, il n'y en a plus. La mort c'est pareil. » Aujourd'hui, il m'arrive de faire de la poésie de faire jouir des femmes l'astrophysique reste la plus belle part de mystère je réussis quelques amorties et j'aime toujours autant les tartes aux fraises.

Néon

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Nouveau trajet dans le train Des types parlaient avec des filles et je me demandais bien ce qu'elles pouvaient leur trouver ils avaient ni classe, ni style, ni bravoure ni semblant de volonté et je me demandais si ces filles étaient réellement connes ou non ils n'avaient que le bon mot savaient juste quoi dire comment mentir au bon moment et ça sautait aux yeux comme une vache sacrée égorgée dans un champ de marguerites et je me demandais ce que j'avais moi à offrir aux femmes quelques mots ratés beaucoup d'alcool autant d'ego et la gamine a côté de moi 16 ans grand max avait des jambes divines Et un téléphone portable grand comme mes mains et j'ai de grandes et belles mains riche gamine je me suis dit que je pouvais coller ma cuisse contre la sienne recouverte de nylon noir sexy et c'est ce que j'ai fait sans qu'elle bronche puis le train est arrivé et je suis descendu et dehors tout était pareil sauf que ma cuisse n'avait plus rien à quoi se frotter.

Mike Kasprzak Retour au sommaire

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La guerre de la médiocrité Ces armées de fils de pute brûlent des drapeaux dans leur guerre invaincus depuis des milliers d'années se soutenant main dans la main l'égalité sur le cœur leur égalité drapée du sceau de la faiblesse héros des faibles leur plus vaillante alliée un monstre dévoreur d'aigles, de lions solitaires aux ailes encore trop faibles aux racines encore trop ancrées dans la boue purulente et contagieuse de la somme d'inaction de la somme de bêtise de la somme d'attentisme et de misérabilisme de leurs congénères et de leurs aïeux leur guerre d'extermination invisible, universellement humaine, muette suce le peu de noblesse, de courage et de caractère restant à leurs ennemis les fous, les étranges, les anormaux parasitaires, ininfluencables, inactuels, les ennemis des faibles, (de la faiblesse, de la banalité) les ennemis de la médiocrité

Mike Kasprzak

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Vision d'un paquebot faisant naufrage dans une mer infestée de requins J'étais allongé sur mon pieu et je me branlais j'étais sur le point de jouir je sentais ma semence remplir les canalisations de ma verge la sensation était agréable j'ai foutu un mouchoir sur mon gland et j'ai balancé la sauce mon cerveau a crépité l'orgasme était bon mais le mouchoir s'est troué et le sperme se répandait partout je voyais ma queue morte se vidait de ses entrailles comme une guerre qui ravage l'Europe comme un paquebot faisant naufrage dans une mer infestée de requins comme un meurtre un matin d'hiver comme un génocide comme un suicide j'ai nettoyé tout ça puis je me suis habillé dehors ma voisine m'a salué alors que j'allais chercher le pain et le soleil aussi était bon

Mike Kasprzak Retour au sommaire

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Voeux du fakir

qu’une pluie d’innombrables malheurs s’abatte sur vous et vous aide à goûter pleinement de rares instants de bonheur réveillez-vous de votre gueule de bois à l'instar de « Jesus » vous n'avez plus de prépuce pleurez, riez, oubliez voyez combien la vie est belle apprenez à dompter la magie du fakir à vivre en harmonie avec le monde en sortant vos poubelles au moment adéquat à faire pousser le blé en charmant les serpents à sonnette à être heureux avec des pointes de fer enfoncées dans le cul et tout un tas d’autres merveilles que diriez-vous de vous envoyer en l'air ? d’avoir la consistance d'un nuage ? de devenir yogi, ou mage ? et de brûler au cœur de l’atmosphère ? mes meilleurs vœux à tous apprêtez-vous, Mesdames, Messieurs, à vivre une année remarquablement semblable à la précédente

Langda

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Strip-tease intégral enlever un à un les vêtements de nos âmes manteaux de pierre bulldozers de coton frusques des tapisseries pansées de pantalons maillots de cœur chaussettes de soi culottes en oit' dentelles d'ozone les tissus de nos chairs dissolues dans les cieux et l'envers du dé-corps nu comme un univers dans un nouvel endroit des larmes de reptiles et nos cœurs d'artichauts

Langda

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Supplique céleste du mollusque aléas du ressac menu plancton glané avant que je ne re-

produise

moule flasque et stoïque scotchée au roc des destinées quelque perle de nacre dans la chanson d’un coquillage puisse la tong du baigneur m’épargner et ne pas me splatcher dans mes propres morceaux de coquille et de chair en bouillie

Langda

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C'est un temps à hennir en buvant du vin moi je dis c'est un temps à hennir en buvant du vin c'est un temps à faire de la capuche c'est un temps à faire du baladeur c'est un temps à fesser les princesses c'est un temps à ne pas respecter les consignes d'une certaine gauche conservatrice c'est un temps à choisir le raccourci qui rallonge à confier mes vieux dossiers à la menthe sauvage des fossés c'est un temps à me construire une putain de sieste dans l'habitacle plutôt que de faire mon beurre en entretenant la peur plutôt que de refaire le film en me donnant le beau rôle hein mon copain gang bang big bang point G plan B ça et d'autres choses ça et d'autres choses moi je dis c'est un temps à m'entretenir dans la débauche à prendre le frais auprès d'une femme fontaine c'est un temps à me servir des médias avant que les médias ne se servent de moi c'est un temps à me servir des médias en ne m'en servant pas c'est un temps à éteindre la télé pour me tenir au courant plutôt que de soigner ma carrière en la jouant bien fourbe plutôt que d'embrouiller ma sœur avec le respect de la religion hein mon cousin clientélisme massification shuriken shibari ça et d'autres choses ça et d'autres choses Retour au sommaire

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moi je dis c'est un temps à rester poli mais pas policé à se montrer serviable mais pas servile oisif et doux mais pas oiseux mais pas docile c'est un temps à saluer certaines inconduites à exécrer certaines lois à bouger comme une exception non gérable à me soustraire ouais au lieu de me soumettre c'est un temps à bonifier mon karma en boycottant les connasses plutôt que de rire avec la hiérarchie en bavant sur les collègues plutôt que de gruger les humbles en faisant encore crédit aux nantis hein ma grosse pneumatophore bouzellouf noctiluque pliométrie ça et d'autres choses ça et d'autres choses moi je dis c'est un temps à ne pas répondre au téléphone pour t'entendre dire que tu n'as rien à me dire c'est un temps à ne pas confondre monogamie et monotonie grosse poucave et chauffeur de taxi c'est un temps à me passer des autorisations des gens qui sont gentils par superstition c'est un temps à revenir à feu doux sur le balcon plutôt que de parler mariage en rêvant CDI plutôt que de m'extasier en léchant les vitrines hein ma chérie THX THC TNT tancarville caillebotis ça et d'autres choses ça et d'autres choses moi je dis c'est un temps à hennir en buvant du vin

Heptanes Fraxion 42

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Tout va bien en général jusqu'à ce que tout aille mal ma mère c'est pas le style de personne à attraper une tique avec ses poils pubiens quoique l'idée serait plutôt sympathique qu'une quelconque forme de vie puisse sans danger s'approcher de son clitoris et ma sœur c'est pas le style non plus ni à chier dans les bois ni à baiser dans la nature faut voir comme elle vaporise tout à la vanille artificielle quasiment après chaque miction de son petit mari si présentable pourtant depuis que choyé depuis que chéri par le syndic et l'opinion publique encore un à qui je ne peux pas expliquer que l'herbe est vachement bonne qui va vachement bien avec le vin ni que la poésie de Johnny Lechien me rend carrément amoureuse là bas tout au bout du toit dont le ciel fait des étoiles en respirant c'est simple ma mère à part donner des ordres n'aime rien sauf sa cuisine si bien intégrée un modèle du genre faut dire dommage que personne n'y vienne manger à part ma sœur bien sûr ma sœur qui n'a jamais vu de médecin de sa vie ma sœur qui se soigne en rendant les autres malades avec un tel entrain que chantage et harcèlement doivent être certainement deux façons de jouir ça fait qu'une fois seule,sourire me fait mal ça fait qu'une fois soûle,souffrir me fait rire mais tout va bien tant que personne ne saigne sur les places de parking réservées aux copropriétaires tout va bien en général jusqu'à ce que tout aille mal ma mère a encore assez d'amour pour moi pour continuer à me détruire

Heptanes Fraxion

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Un grand merci au petit requin à bosse lorsque j'invite une copine à venir boire le café et que je n'ai ni copine ni café et qu'en plus je n'ai pas de tête et qu'en plus je n'ai pas de cul et que même tout nu je suis mal fringué et que je suis sensible comme un quartier et que j'entends une femme jouir à travers la VMC et que je m'emmerde encore à lire du Philip K Dick et que je fais encore du stop devant un hôpital psychiatrique et que tous mes rêves sont des jardins en ruine qui donnent sur le vide ben je ne me sens ni utile ni agréable dans ce monde de douleurs ... alors je repense au petit requin à bosse le petit requin à bosse qui est très fort pour changer la merde en chocolat et alors je dépanne le clochard du coin celui qui dessine tout le temps des vélos volants et alors je me laisse rafraîchir par le rire des enfants et alors je mate la voisine qui arrose en string rose ses rangées de tomates et son massif de roses et alors je discute avec le mec du rez -de- chaussée qui ne discute jamais avec personne et alors je retombe sur un bouquin de Marc Behm et alors je prends le risque de ne plus me faire chier et avec cette devise je deviens d'un coup très riche riche comme le Grand Éric qui pourtant ne peut rien acheter ...

Heptanes Fraxion

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Hymne aux amants des trottoirs Aux marcheurs solitaires Qui sur tous les trottoirs Ont le même mal de mer Paument leur désespoir Dans des relents de bière Qui boivent jusqu'à ce que cirrhose ou civière Emporte leur marre de vivre Sous six pieds de terre Aux marcheurs sans but A qui les murs murmurent Des murailles de haine brute Qui chantent leur biture Toujours prés de la cuite Ou de la chute qu’elle précipite Aux marcheurs de la nuit Qui dans les yeux ont des pépites De soleil faute d’or Des pépites de rouge Pour réchauffer le dehors Des pépites rouges d’espoir A faire fondre l’or Et ce mine de rien Pour les mineurs des cœurs éteints A ceux balancés dehors Par la soif et l’insomnie Et qui trompent leur ennui Dans les replis du ventre de Paris

Joachim Achab

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La nuit avait un sourire édenté Une nuit, que les lumières des fêtes n'éclairaient pas encore, un homme m'a chanté : « C'EST PAS LA NUIT ! C'EST PAS LE NUIT ! » Il déambulait dans la rue, les bras au ciel. Mi-prophète, mi-fou. Imbus de ses paroles. Ivre de ses mots. L'alcool qui coulait dans ses veines irrigua mon cerveau. Mais je l'ai laissé derrière moi, chancelant, me répétant ces mots qui résonnent encore : « C'EST PAS LA NUIT ! C'EST PAS LA NUIT ! »

Floriance Coubat

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Parce qu'on est tous des moucherons cloîtrés Une bête Une infime bête. Une ridicule bestiole qui vole et s'affole. Elle bondit de part et d'autre, d'entre les humains (ces énormes bêtes informes). Elle se gratte, se frotte les pattes, y retire la graisse humaine jadis collée à la glace, et essaie de s'enfuir de cet endroit poisseux. Insecte prisonnier d'un monde de pisseux infectes. Alourdies par l'atmosphère humaine, ses petites ailes crépitent au milieu de mon souffle. Je m'en vais. Je la laisse se débattre dans la volupté du parfum d'une femme.

Floriance Coubat

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Et si le coeur n'y était pas ? Et si nous en avions soupé, des aubes dorées, des aubes salées, des aubes navrantes – qu’importe ! Et si tout cela se délitait, se rétrécissait, s’anamorphosait dans le rétroviseur d’une vie d’ennui et d’oubli ? Nous ne sommes pas qu’un, mais nous partageons cette lassitude semblable, qui nous broie le cœur, empêche le mouvement des âmes et amplifie le mouvement des corps. La mécanique est rouillée et se grippe : je me grippe de toi et qui sait si tu ne te grippes pas de moi. Il y a eu les pluies battantes et il y a eu les lendemains qui chantent, il y a eu le soleil après les tempêtes et les rideaux que j’ai ouvert de mes mains cramoisies. La marque imprimée au fer rouge entre mes seins se reflétait dans le miroir alors que les effluves de peau cramée faisaient frémir mes narines. Recommencer le jeu initial. Repartir de zéro. Les lunettes de soleil sur mon nez trop grand. Ma peau trop blanche. Les vapeurs éthyliques me noyaient chaque jour davantage. Le cœur n’y était déjà pas, mais le cœur n’y entendait rien, le cœur flottait dans le liquide amniotique de ton sperme étalé dans mes cheveux. Il nous aura fallu les marées incessantes et mes vomissures couleur de sang pour qu’enfin nous voyions apparaître la rive, sèche et esseulée, nous laissant jeter l’ancre sur nos maux absurdes et nos réveils tardifs. L’encre de nos passions est jetée, je la lance à la mer en espérant que le ressac ne me ramènera pas des souvenirs écumant de nos nuits bleues amères. Défais le nœud de ton mouchoir, mes jambes désormais ne chercheront plus l’écartèlement de nos mélancolies bilieuses. Le cœur n’y est pas, et tu sais quoi ? le cœur n’y a jamais été.

Lux Lisbon

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Reconversion

Je voulais maquiller les morts; Le décès naturel pullule Lorsque survient la canicule Et c'était bien payé. Se retirer des autres, les embaumer, Et les voir froids, au grand sommeil... Je m'étais fait larguer la veille. J'aimais beaucoup cet imbécile. Dans mes songes éthérés Je le vois froid, bleu, immobile, Je m'apprête à le préparer : Je lui colle alors deux faux cils De grande passive dégénérée. Je le présente à sa famille Grimé en pute de Las Vegas. Sa mère me souffle, ivre et lasse: « J'ai toujours su que c'était une fille »

Djamila Brutale

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Smalltown girl

Immergés dans le chlore, Nos chairs narguaient l’apesanteur J’oubliais la nausée des corps, Des premières règles et des odeurs Je coulais en apnée, feignant la mort J’imaginais des dauphins accueillants Je devenais l’eau, les atomes, le néant Me délectant de cet univers inodore Dans les toilettes des injures étaient écrites : Sur la porte, « Amélie la pute » A côté était gravée une bite ; Je m’enfermais quelques minutes. Après quoi c’était les vestiaires, Dans une petite effluve de pisse. Je remarquais les duvets aux pubis ; Quelques carreaux manquaient par terre.

Djamila Brutale

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Sans titre

Je mange donc je suis C’est ce que dit la mine idiote De l’oncle suçant la dinde calorique Derrière, le sapin clignote Sur le petit Jésus qui en oublie l’Afrique

Djamila Brutale

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Les entretiens de Cohues dirigés par le détective Néon

Photo par David Blackwell


Yasmine Blum, monstrum coitum

J

'étais juste en train de devenir totalement barjot. Ces putains de signes ! Alphabet ? Code, comme un genre de morse ? Ou simplement des gribouillis sans aucun sens ? Je commençais à en voir partout, sur tous les murs, dans les chiottes des bars, parterre sur le goudron, je pouvais pas sortir sans en croiser de nouveaux, tout frais. Apparemment j'étais le seul à m'en inquiéter, le seul à les remarquer. Ceux à qui je demandais leur avis me répondaient des trucs à péter les plombs du genre : « Ah, oui, ça, non, j'sais pas, jamais vu avant, c'est un tag à la con », ou encore pire et mystérieux : « Bof, ça a toujours été là, j'crois, pourquoi ? ». Non, ça n'avait pas toujours été là, hier y avait rien sur ce mur. Certains se jouaient de moi d'un sourire énigmatique et refusaient ensuite d'aborder la question. C'est simple, j'avais zéro indice. Des notes éparses qui se recoupaient jamais. Comment ils faisaient dans les romans pour que d'un coup, devant une semelle qui baille, toutes les pièces se regroupent et s'emboîtent ? Qu 'est-ce qu'ils avaient de plus que moi dans le ciboulot ? L'intelligence peut-être... J'appelai mon ami Roger La Fouine, un type pas fréquentable mais qui avait des yeux et des oreilles dans toute la ville. Il s'est foutu de ma tronche en me disant que j'étais pas fait pour ce métier. Puis il a ajouté qu'il connaissait une nana, une artiste, que j'aurais tout intérêt à rencontrer. Il m'a filé son mail et a raccroché. Énervé mais intrigué, j'ai contacté la fille en me faisant encore passer pour un web journaliste. Elle avait une expo en Avignon les jours prochains et frétillait à l'idée d'une interview. Avant d'y aller, j'ai voulu me faire beau. Peine perdue. Trop de boulot. Quoi que je fasse, c'était grotesque. Sur son mail retour elle m'avait mis des photos de ses boulots. Des humanoïdes dégénérés, monstrueux. Finalement me présenter nature me parut raccord avec son travail. L'expo était assez grande et plutôt nulle. Par chance la seule artiste qui faisait preuve d'originalité, qui osait prendre un risque et ne manquait pas de talent était mon contact,Yasmine Blum. « Moi : Je m'attendais à une Marilyn Manson livide et trouée de la tête aux pieds, finalement je suis face à une jeune femme rigolarde... Va falloir que je m'adapte. Tu me parles de ton parcours scolaire pour commencer ? Yasmine Blum : Ah, mais je peux faire la tronche si ça te met à l'aise. J'ai un bac option théâtre, puis DNAP aux Beaux-Arts avant d'en avorter le second cycle. Moi : Vu tes broderies de bébés mal formés, je m'attendais à ce que tu parles d'avortement... Avant de te poser des questions un peu techniques sur ton travail, j'ai envie de savoir : d'où viennent tous ces monstres ? YB : De l'intérêt que j'ai pour eux, pour l'anormal. Houellebecq décrit le sentiment de l'étrange comme étant désagréable pour la plupart des gens. Pour moi non, le bizarre excite ma curiosité. D'ailleurs on emploie souvent le terme « curieux » dans le sens de « bizarre ». Mais c'est pas un intérêt scabreux, sordide. Les gens cachent leur monstruosité, ils manipulent, et sont donc pervers, c'est assez dramatique. Surtout qu'ils pensent parfois bien faire. Les voir tels qu'ils sont me les rend plus vrais, plus touchants. Ça doit me rassurer. La nature humaine, au fond, est souvent grotesque et vile, je préfère chercher à la voir et à la décrire comme elle est, avec une certaine tendresse. Ce n'est pas négatif de la représenter comme ça, au contraire. J'ai toujours balancé entre le mépris et l'amour pour les autres, au final je préfère aimer les monstres que mépriser les pervers. Moi : Je trouve ton travail assez drôle en effet, sans qu'il y soit jamais moqueur. Mais cette

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dimension-là doit échapper à certains spectateurs, ceux pour qui les frontières de la convenance sont tracées trop près de leur barrières psychologiques. YB : Être marginalisée par des têtes de cul me dérange pas trop. Moi : Quels sont tes supports de prédilection ? YB : Papier arche pour le dessin et l'aquarelle et le tissu pour la broderie. À l'ancienne. J'ai pas trop d'affinités avec tout ce qui est virtuel, j'aime toucher, sentir. Moi : Et comment diffuses-tu ton boulot ? YB : Je peux démarcher si j'ai repéré un lieu qui me convient, ou bien après avoir été recommandée. À l'ancienne là aussi, je suis pas trop au fait des moyens de protéger son travail sur internet, réseaux sociaux etc. Moi : Quelles sont tes influences picturales ? YB : Goya, Bosh, les grotesques de la Renaissance. Mais en fait, je me sens plus proche des dessinateurs que des peintres. Hans Bellmer, Killoffer, ou Reiser que j'adore. On peut encore citer Winsor MacCay... Moi : D'autres influences, dans d'autres domaines ? Tu écoutes de la musique quand tu dessines ? YB : J'ai un processus créatif assez impulsif, ça me prend d'un coup, comme une envie de chier. Là je me mets de la musique sacrée, répétitive, souvent traditionnelle, genre d'Inde, du Kazakstan, du Népal, parfois de la musique baroque. En littérature, j'aime ce qui est radical. Les gens qui ont une relation triviale à l'écriture, comme Bukowski, Lydia Lunch, ou Sade et Bataille. D'ailleurs, c'est en lisant « Rester Vivant » de Houellebecq que j'ai été convaincue de l'intérêt de diffuser. Je crois en la « charge » du poète. Moi : Bon, c'est pas tout mais j'ai des questions sérieuses aussi. Mettons que tu sois obligée de balancer une malédiction à l'humanité. T'as le choix entre deux sortilèges, le premier ferait apparaître les gens aussi monstrueux physiquement qu'ils peuvent l'être par essence et en pensée, le second forcerait tous les hommes à devoir se mettre une jambe en plastique dans le cul pour pouvoir éjaculer lors d'un coït. Tu opterais pour ? YB : Les deux sont super tentants... Mais la première, pour voir ma gueule. Moi : Le dilemme d'Achille : une vie courte et glorieuse ou longue et chiante ? YB : Longue et chiante. Moi : Ok, oublie tout ce qu'on vient de dire et donne-moi un mot. » Yasmine réfléchit un long moment, tout en me fixant avec défiance, puis l'éclair semble jaillir. Elle ouvre la bouche : « YB : Heuuuuu... » Et puis elle se tourne vers une personne qui lui demandait le prix d'une aquarelle. Elle se fait happer par la foule. Je ne lui parlerai plus jamais. J'aurai pas pu lui demander si elle avait des infos au sujet de mon affaire. Il a raison Roger La Fouine, je dois pas être fait pour ce taf. 54

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J'ai encore tout raté. Je me sens tellement minable que pour rentrer chez moi je prends par les rues les plus exiguës, les plus sombres, en espérant qu'une ombre se jette sur moi et m'égorge. Dans une épicerie de nuit je m'paye un petite flasque de whisky dégueu et la sirote tout seul, le cul transi sur le béton glacé. En face de moi, une de ces putains d'énigmes insolubles pour ma cervelle défaillante. Le whisky m'enveloppe de tendresse et de douceur comme une berceuse que m'aurait chanté ma maman. Je m'réveille trente minutes ou une heure après, la joue collée au bitume. Preuve que je devenais jobart, en arrivant chez moi je trouve rien de mieux que de me laver les dents. Perte de repères totale. J'allume la lumière, et dans la glace au-dessus de l'évier j'aperçois ma tronche. Ma tronche avec sur la joue ces putains de signes indéchiffrables ! Je hurle. Je hurle et je me pisse dessus.

Retrouvez Yasmine sur : http://yasmineblum.free.fr/

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Depuis la nuit des temps, les livres guident les hommes, définissant leurs manière d'agir et de penser. Tout auteur a ses influences. Autrefois, les grecs et les romains les dédiaient à leurs dieux. Aujourd'hui les Cohusards rendent hommages à ces hommes de lettres qui continuent de les inspirer chaque jour que les dieux greco-romains font. Chaque mois, trois nouvelles intronisations (sauf ce mois-ci !).


Photo par Mariusz Kubik

Michel Houellebecq Né le : 1956 ou 1958 « Hé, je suis pas mort, moi ! - C'est pas flagrant-flagrant... » Dans Rester Vivant, Michel Houellebecq remarquait, non sans malice, qu' « Un poète mort n'écrit plus » . On ne saurait lui donner tort. Michel Houellebecq est probablement le romancier français contemporain le plus influent, c'est pourquoi nous passerons sous silence l'intégralité de son œuvre romanesque, bien suffisamment commentée. Avant d'être auteur de romans, ce bougre taquinait la muse. Quoique « taquiner la muse » soit une expression aussi déplacée à son endroit que peut l'être une langue de belle-mère à l'enterrement de cette dernière. Rien n'est « taquin » dans la poésie de Houellebecq, et ses muses auraient plutôt la gueule de congélateurs dans une banque de sperme que de la célèbre Lili Brik, chère à Maïakovski. Ceux qui attendent de la poésie qu'elle soit une tapisserie destinée à colorer la décourageante monotonie du monde, ou bien une ode à la munificence de la nature, peuvent d'emblée retourner à Prévert. Houellebecq, tout comme son idole Baudelaire, déteste la nature « Car, la nature est laide, ennuyeuse et hostile ; / Elle n'a aucun message à transmettre aux humains » . La poésie de Houellebecq est une arme et un révélateur. Je n'ai pas peur de l'affirmer ici : nous parlons là du plus grand poète français vivant. Une arme et un révélateur. Une arme contre le mensonge et un révélateur de tartuffes. Il ne fait les choses comme personne. La poésie contemporaine s'était débarrassée de la forme tellement surannée de la métrique, du sonnet, de la rime, des métaphores, etc etc. Tout ça pour que la poésie éclate, libre, comme le souhaitait par exemple Léo Ferré. Qu'en est-il resté ? Le mot. Le mot pour le mot, la poésie pour la poésie. Il n'y a qu'à voir le nombre de revues poétiques actuelles qui comportent dans leur titre « mot » ou « poésie », comme s'il fallait bien le spécifier, le rappeler, puisqu'en ouvrant le dit magasine, le doute risquait de surgir du vide. Retournons à Ferré pour qui : « Ce n'est pas le mot qui fait la poésie, mais la poésie qui illustre le mot » . Et paf. Houellebecq écrit le plus souvent en alexandrins ou en octosyllabes. Il affectionne les sonnets. Il lui arrive même de sombrer dans la comparaison, voire la métaphore. Quel scandale ! Plus drôle encore, il écrit en rimes ! On aura tout vu. Ses premières publications auraient pu créer le tumulte : « Mais les gens se disaient, ah tiens, des rimes, pourquoi pas, c'est une idée... » . Pourtant, si l'architecture est classique et ancienne, la forme est résolument moderne, les mots sont ceux de tous les jours, plats, ternes, presque sans âme, à l'image de l'Homme occidental actuel. Il appuie « là où ça fait mal » , pour être vrai. Après-midi Les gestes ébauchés se terminent en souffrance Et au bout de cent pas on aimerait rentrer Pour se vautrer dans son mal d'être et se coucher, Car le corps de douleur fait peser sa souffrance. Dehors il fait très chaud et le ciel est splendide, La vie fait tournoyer le corps des jeunes gens Que la nature appelle aux fêtes du printemps Vous êtes seul, hanté par l'image du vide, Et vous sentez peser votre chair solitaire Et vous ne croyez plus à la vie sur la Terre Votre cœur fatigué palpite avec effort

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Pour repousser le sang dans vos membres trop lourds, Vous avez oublié comment on fait l'amour, La nuit tombe sur vous comme un arrêt de mort.

Il y a pire, bien pire. Chez Houellebecq, le trivial le dispute au pessimisme le plus assumé. Voici le premier quatrain de « Hypermarché - Novembre » : D'abord j'ai trébuché dans un congélateur Je me suis mis à pleurer et j'avais un peu peur Quelqu'un a grommelé que je cassais l'ambiance ; Pour avoir l'air normal j'ai repris mon avance. « Soyez Abjects, vous serez vrais » , énonce-t-il dans Rester vivant (qui est son « Lettres à un jeune poète »), et s'il est un reproche qu'on ne peut faire à cet homme, c'est celui de la posture. Pour écrire comme ça, il faut des couilles. Pour ne pas craindre la raillerie, il faut écrire poussé par l'impérieuse nécessité de dire ce que l'on ressent dans sa chair comme la stricte, abjecte, et absolue vérité. Ceux qui contestent à Houellebecq sa nature de poète sont des ayatollahs de la fraude poétique. En lieu et place du cœur, ils conservent une version antique et parcellaire du Lagarde et Michard. Citant Schopenhauer, Houellebecq affirme dans une interview : « La première - et pratiquement la seule - condition d'un bon style, c'est d'avoir quelque chose à dire » . Et Houellebecq a des choses à dire, des choses que tous ne souhaitent pas entendre, des choses qu'il résume ainsi dans ladite interview : « L'homme aujourd'hui manque d'affection, de société, d'une ontologie rassurante parce que les éléments de la conscience contemporaine ne sont plus adaptés à la condition mortelle... »

Quand je lis sa poésie, j'ai la sensation de trouver là un frère d'arme sans armes. Un homme vrai et cru, intègre et lucide. La poésie ne s'en sort pas grandie, c'est vrai, elle est même presque rabaissée, mise au niveau de l'Homme, elle n'est qu'une compagne, qu'une extension du corps si misérable. D'ailleurs, jamais poète, même le grand Baudelaire, ne fut si loin de son corps que ne l'est Houellebecq. Il faut remonter jusqu'à Villon pour trouver un poète français capable d'une telle distance, même avec sa propre chair. Villon, plus provocateur, « taquin » pour le coup, offrait comme héritage à son barbier les rognures de ses cheveux. Houellebecq, lui, n'offre qu'une insupportable sensation de malaise, assez proche de la torture. Si Houellebecq est à une telle distance de son corps, ce n'est pas pour l'oublier – impossible ! – c'est pour mieux le constater : le corps est gras, souffreteux, déjà ou bientôt délabré. Il n'est plus qu'un concept. Un concept dont il se serait bien passé : « Je te hais Jésus-Christ, qui m'as donné un corps » . Veut-il mourir ? Ne soyez pas sots ! C'est bien là tout notre drame : nous ne pouvons vivre et n'acceptons pas de mourir. Et dans cette aporie éclot la poésie, une nécessité pour ne pas devenir fous. Marc-Édouard Nabe, qui fut voisin de Houellebecq, et qui le jalouse à mort, déclara qu'un écrivain est un assassin. La Poésie de Houellebecq me semble tuer la poésie. En vertu de cette mort fameuse, de ton corps fatigué et de ta vie presque en ruine *, je déclare, avec un à-propos dont je m'enorgueillis : Entre ici, Michel Houellebecq, avec ton terrible cortège.

Néon * le véritable vers est : « Mon corps est fatigué et ma vie presque en ruine ». « Après-midi » est extrait de « Le sens du combat », chez Flammarion, « Hypermarché-Novembre », de « La poursuite du bonheur », toujours chez Flammarion. L'interview citée est un entretien de Catherine Argand pour Lire. Je me suis également servi de l'excellente émission radio « Ça rime à quoi » de Sophie Nauleau, où un Houellebecq très touchant lit quelques-uns de ses derniers poèmes.

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Serge Gainsbourg Lucien Ginsburg, dit Serge Gainsbourg Né le : 02 avril 1928 Mort le : 02 mars 1991 « Une nuit que j’étais à me morfondre Dans quelque pub anglais du cœur de Londres Parcourant l’Amour Monstre de Pauwels Me vint une vision dans l’eau de Seltz »

Photo par Claude Truong Ngoc

On aurait tous aimé aller boire un Pastis avec Serge, dans sa chambre noire aux tentures représentant la Bardot encore capable de nous faire bander, avec dans un coin la petite Jane donnant son biberon de 4h à son bébé qui quelques années plus tard émasculera sans complexe Willem Defoe pour les beaux yeux de Lars Von Trier. On aurait parlé de Lautréamont, de Baudelaire, mais surtout de Bacon et de la peinture que Lucien, dans un accès de rage égotique, avait fait cramer de désespoir. On aurait parlé culs et seins, on aurait parlé chiens (d’ailleurs on aurait eu le museau de Nana entre les cuisses), peut-être même qu’on aurait fait un jeu de mots pourri sur l’anis et les sucettes de France Gall. Au fond, Gainsbourg c’était un mec comme nous, amateur de beaux mots, capable de les mettre en musique et d’y accoler son timbre et surtout son phrasé si particulier. Chanter, c’était trop simple : il l’avait bien fait au début, à l’époque de l’ Alcool et de Ronsard 58 (quelques mots qui aujourd’hui encore nous font rêver, « putes des trottoirs putes des palaces, pour les hommes c’est le même tabac » ), capable de cracher sa haine des femmes, des hommes, des gens en général, sa timidité maladive liée à son nez dégueulasse et à sa gueule cassée ; mais ce n’était pas fait pour durer. Ce qui devait durer, c’était le Gainsbourg flamboyant de l’époque Melody Nelson, et son amour immodéré pour les gamines, surtout quand elles ont les cheveux rouges. À l’image de la Brigitte qui lui permit d’écrire ses deux plus belles chansons d’amour (en une nuit, Bonnie and Clyde et Je t’aime moi non plus), il allait marquer la chanson française en parlant davantage qu’en ne chantant, comme s’il revenait à ses amours poétiques, comme si le texte importait plus que le rythme, comme s’il fallait ne pas se plier à l’académisme des Johnny et des Cloclo qui lui ont si souvent volé la vedette au panthéon du Top 50. « J’ai retourné ma veste quand je me suis aperçu qu’elle était doublée de vison. » Écrire pour les vedettes, ah ça non – mais un jour Serge comprend que les titres écrits pour les autres fonctionnent mieux que les titres qu’il écrit pour lui. Drame : l’ Histoire de Melody Nelson et l’Homme à la tête de chou sont des bides retentissants, alors que Poupée de cire poupée de son gagne l’Eurovision. Il faudra attendre que Gainsbourg devienne Gainsbarre et se barre en Jamaïque pour qu’il connaisse enfin le succès qu’il mérite : l’album reggae qui lui vaudra d’aller emmerder les paras sur leur propre territoire en fera la coqueluche des jeunes, lui qui à l’époque venait de fêter ces cinquante ans. Son dernier pied de nez, ce sera l’achat aux enchères du manuscrit de la Marseillaise signée de Rouget de Lisle himself.

Cinéaste à ses heures, Serge fait crier Jane pendant plus d’une heure et demie dans la version filmée de Je t’aime moi non plus, mais c’est probablement sa déclaration d’amour à Charlotte dans le film du même nom qui nous laisse pantois : entre inceste rêvé et suggéré, le père déjà vacillant se fout à nu et nous rappelle que s’il est allé pomper Chopin pour écrire Lemon incest, il n’en reste pas moins le seul capable de nous filer des frissons quand il évoque l’amour d’un père pour sa fille.

Le fumeur de Gitanes devant l’Eternel fait chanter toutes les bombes du cinéma français : bien sûr BB (qui lui inspire probablement la plus belle chanson du répertoire français lorsqu’elle le largue pour retourner Retour au sommaire

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auprès de ce con de Gunther Sachs), Birkin, mais aussi Deneuve, Adjani aux yeux pull bleu marine, et il avait même avait même tenté sa chance avec Béatrice Dalle qui préférait malheureusement déjà les loubards aux poètes. Jolie réussite pour l’ancien immigré russe qui dût porter l’étoile jaune pendant la période nazie – et c’est en parfait Baudelaire (« tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or » ) qu’il se sert de cette expérience traumatisante pour nous sortir Rock around the bunker et se moquer des nazis qui sirotent leur jus de papaye en Amérique du Sud. Gainsbarre aussi nous manque un peu : brûler les billets de 500 balles, insulter Catherine Ringer, tout ça, c’était un peu borderline mais ça nous collait le même frisson qu’un passage de Bukowski à Apostrophes. Au fond, même en libidineux vulgaire, Lucien restait un poète : le plus beau compliment qu’on puisse faire à une femme, c’est bien de lui avouer qu’on a envie de la baiser – et visiblement, c’est une bonne technique pour choper, nous répondent en chœur Bardot, Birkin et Bambou.

Lux Lisbon

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LE FUTUR DE COHUES Allez, hop, projetons-nous un peu dans l'au-delà, dans le futur. Si Dieu et le RSA nous prêtent vie, CoHuEs vous proposera un numéro autour de :

L'amour et ses vicissitudes

En couverture nous mettrons à l'honneur une peinture de Mathilde Bouvard qui nous fait le plaisir de participer à l'aventure. Pour vous mettre la bave aux lèvres :

Et non, ne désespérez pas, ne tuez pas vos parents, ne faites pas sauter la République (quoique...), ne frappez pas les Bouddhistes, le prochain numéro fera encore et toujours la part belle aux nouvelles, à la poésie, à la photographie... Alors accrochez-vous aux branches des lampadaires, grattez l'écorce des murs, roulez-vous dans les prairies bétonnées, transformez-vous en loups-garous à la lueur des lampes sodium, dansez des mazurkas avec les rats, faites des sauts de l'ange dans les bennes à ordures, critiquez la lune et sa stupide fascination pour les poètes, rongez-vous les ongles mais ne ratez pas le numéro #9 de Cohues et surtout Participez, la Cohues monte et grandit grâce à vous !

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Illustration par Yasmine Blum

La Cohusion vous remercie pour l'intérêt que vous portez à son Webzine. Pour d'autres textes, retrouvez nous sur Cohues, rubrique Oeuvres Pour participer au Webzine, contactez nous sur Cohues, rubrique Contact Et n'oubliez pas notre page Facebook et Twitter Et à la fin, l'amour a toujours quelque chose de monstrueux.

Citation personnelle


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