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CHRONIQUE DES MEDIAS
DES MÉDIAS ET DES HUMAINS
EN AVRIL DERNIER, NOTRE CHRONIQUEUR MEDIAS, JULIEN LECOMTE1, DONNAIT UNE CONFÉRENCE TEDX INTITULÉE LES MEDIAS NOUS MANIPULENT-ILS ? DES MEDIAS ET DES HUMAINS. POUR LE COJ, IL REVIENT SUR LE SUJET.
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Les médias nous manipulent-ils ? La question touche à la notion de confiance. À la base, une évidence : nous sommes obligé.e.s de faire confiance à d’autres personnes lorsque nous nous informons, parce que nous ne pouvons pas tout vérifier par nous-mêmes. Même nos connaissances scientifiques scolaires, nous les avons pour la plupart apprises sans pour autant avoir pu les confronter empiriquement à la réalité. Les médias nous manipulent-il ? La chose qui frappe dans la question telle qu’elle est formulée ici est qu’elle distingue un « eux » (« les médias ») et un « nous ». Comme si nous avions affaire à deux entités distinctes : d’une part des machines et d’autre part des humains. Ces derniers mois, il il semble que le fossé s’est davantage creusé entre « les médias » et « nous ». La presse d’information est régulièrement accusée de tromper les citoyen. ne.s. Ces accusations généralisantes méritent d’être nuancées.
De qui parlons-nous exactement ?
En effet, de qui parlons-nous lorsque nous nous demandons si « les médias » nous manipulent ? Parlonsnous de la presse d’information dite « traditionnelle », du journalisme dit « mainstream » ? Si oui, cela reste assez large et flou. De plus, de nombreux médias nonjournalistiques comme des blogs d’opinion et autres sites dits de « réinformation » (souvent d’extrême droite, complotistes…) sont parfois bien plus trompeurs que cette presse généraliste. Nous devrions dès lors spécifier davantage en identifiant « la presse », en précisant des chaines de télévision, de radio, des titres de presse écrite, etc. Faisant cela, on progresse, même si le propos demeure encore vague. Comment s’y retrouver dans la galaxie des diffuseurs d’informations ? De qui parlons-nous exactement ? Il existe des critères pour différencier des médias entre eux. Quels sont leurs supports et leurs formats (écrit, vidéo, audio, en ligne ou pas, etc.) ? Quelles sont leurs étiquettes politiques, s’ils en ont une ? Quels sont leurs modèles économiques (public, avec publicité, avec abonnements…) ? Comment y exerce-t-on (ou non) le métier de journaliste ? Un média n’est pas l’autre. Il y a peut-être autant de différences entre la RTBF et Le Soir qu’entre un.e vidéaste de vulgarisation ou d’opinion sur Youtube et La Libre. De plus, au sein de ces médias, une émission n’est pas l’autre, un contenu n’est pas l’autre, une personne qui prend la parole n’est pas l’autre.
Remettre l’humain, sortir de la mystique des médias
Par conséquent, j’irais encore plus loin dans la réflexion, en remettant l’humain au centre de l’analyse des médias. Il s’agit de démystifier le fonctionnement de ce que nous appelons les médias. Les rédactrices et rédacteurs en chef et les journalistes sont des citoyen.ne.s. Les publicitaires, les actionnaires, elles et eux aussi. Comment fonctionne une réunion de rédaction dans tel titre de presse ? Comment les sujets sont-ils investigués par les journalistes de cette rédaction ? Comment sont choisis les thèmes mis en avant, et l’angle pour les aborder ? Quelle place est accordée à l’éthique et aux opinions personnelles ? Quels moyens sont alloués aux personnes pour exercer leur métier ? Il n’est pas question de ramener l’explication du fonctionnement des médias à une dimension individuelle, mais de montrer que ces mécanismes n’ont rien de mystique. Les médias ne sont pas des machines magiques qui nous transforment en marionnettes. Derrière les informations que nous consommons, il y a avant tout des humains, avec leurs qualités et leurs failles, avec leurs opinions sur la société, avec leurs intérêts plus ou moins égoïstes, cupides ou altruistes, avec leur plus ou moins grand professionnalisme, avec leurs ressources, etc. À l’heure où « tout le monde est un média » (lire COJ#27), il est temps de laisser tomber la science-fiction. Posons ces questions : « Quels rôles occupons-nous dans ce système d’info et de désinfo ? Comment interagissons-nous en son sein ? Qui est responsable de quoi, à quels niveaux ? ». Nous pouvons tou.te.s nous poser ces questions. Que nous soyons émettrices/émetteurs ou réceptrices/récepteurs. Que nous soyons journalistes ou citoyen.ne.s. l
Julien Lecomte
1. Julien Lecomte a étudié la sociologie des médias. Actuellement, chargé de communication à l’Université de Paix Asbl (UP, membre de la COJ), il est avant tout un témoin attentif de son époque et un ardent défenseur de l’éducation aux médias. Il partage ses analyses et réflexions dans les pages du COJ mais aussi sur son blog Philosophie, médias et société (www.philomedia.be).
LAISSEZ VENIR À MOI LES PETITS ENFANTS !
Le joli mois de mai a été l’occasion pour l’enseignement catholique de dévoiler, avec tambours et trompettes, son texte de référence1 qui définit la « Mission de l’école chrétienne » (en abrégé, « la MEC », ça ne s’invente pas !). Il s’agissait, selon Etienne Michel, directeur du SEGEC, le Secrétariat général de l’enseignement « d’actualiser la philosophie de l’éducation catholique dans le contexte de notre époque » et de dépoussiérer la précédente version datant de 1995. Du coup, le respect de la nature fait son apparition, et même le développement sexuel dans le paragraphe sur l’accomplissement corporel… La preuve que le réchauffement climatique, c’est aussi sous les soutanes ! Alors que la précédente version faisait apparaitre « la lumière de l’évangile » toutes les deux pages, ce nouvel opus est bien plus discret à ce sujet au motif d’un possible malentendu2 sur le prosélytisme de l’école catho qui prône « la liberté de penser et de croire ». Liberté conditionnelle tout de même, lorsque le texte oriente la spiritualité sur la foi chrétienne comme « voie privilégiée en dialogue avec d’autres formes de spiritualité » ou encore lorsque l’école catholique, s’agissant de la transmission et de l’élaboration des savoirs, reconnaît différents ordres de validité de ceux-ci, mais précise que « la religion possède son propre ordre de validité, fondé dans l’alliance de la foi et de la raison ». Comme si foi et raison étaient chou vert et vert chou. J’adore l’humour jésuite ! Soulignons encore que l’enseignement catholique du début du deuxième millénaire après JeanClaude veut construire des hommes ou des femmes capables de se tenir debout… Mais aptes à s’ouvrir à plus grand que soi… C’est que les prières, pour être entendues par le Tout Puissant, c’est mieux à genoux ! La dernière partie de la « MEC » situe l’école libre dans l’État de droit, convoquant tour à tour la liberté de conscience, de religion et de culte reconnus à chaque personne en lien avec la neutralité de l’État, la liberté d’enseignement et le droit à l’éducation. Ce triptyque sert à justifier, avec un soupçon de malhonnêteté intellectuelle, le soutien de l’État à des structures d’enseignement confessionnelles, le fait que les autorités publiques n’aient rien à dire sur les projets pédagogiques et que les enfants qui fréquentent cet enseignement soient financés au même niveau que dans l’officiel. Dissimulant autant que faire se peut l’aspect confessionnel, se présentant quasi comme un service public (mais en réalité largement hors de contrôle des citoyens) sans en assumer toutes les obligations et en ne faisant appel à l’État de droit que sur ce qui l’arrange, l’enseignement catholique s’applique à lui-même l’adage « charité bien ordonnée commence par soi-même ». Et c’est encore la même logique lorsqu’il s’agit de parler « gros sous » dans le dossier des bâtiments scolaires3. Mais pourquoi diable l’argent public devrait-il financer du patrimoine privé ? L’enseignement qui se proclame libre est en réalité privé et il a beau répéter en boucle qu’un enfant vaut un enfant, particulièrement lorsqu’il y a de l’argent à la clé, on sait tous que les enfants de Dieu valent beaucoup plus que les autres... l
Père Pétuel
1. https://enseignement.catholique.be/decouvrir-penser-lenseignement-catholique/decouvrir/le-projet 2. Vers une introduction systématique aux grands courants religieux et de la pensée dans l'enseignement ?,
Interview d’Étienne Michel par Monique Baus, La Libre Belgique – 19/05/2021 3. http://www.cedep.be/wp-content/uploads/2021/03/CEDEP_CP_Financement_du_Libre.pdf