Je tiens à remercier les professeurs qui m’ont soutenu et aidé tout au long de cette année : François MAGENDIE, Juliette POMMIER, Thierry ROZE et Philippe SIMON. Je remercie aussi mes amis : pour leurs conseils et échanges autour de projets et de bières : Mélina, Claire, Manu, Arthur, Annah, pour le dialogue intellectuel stimulant et son soutien particulier: Torben, pour leur accueil chaleureux à Berlin : Lena, Philipp, Sebastian, Johannes, Kristina, Perrine, ainsi que ma famille, Bernard, Caroline, Margaux, Noé et mes grands-parents pour leur soutien constant et leur compréhension.
Sommaire
Sommaire Avant propos Introduction
1 4 6
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Mediaspree et bords de fleuve
1. Berlin et le projet Mediaspree
• Définitions : Berlin / Mediaspree 10 • Berlin entre musée et laboratoire 11 • Mediaspree, un projet urbain dépassé 16
• Critiques formulées du projet Mediaspree
2. Expérimentations existantes : reconquête
de l’espace public
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17
22
• Définitions : Appropriation / Entre-usages
• L’appropriation de l’espace public à Berlin • Une opposition à Mediaspree : Mediaspree versenken
22 24 30
• Des alternatives en action : les projets coopératifs
31
36
36 37
40 44
3. Enjeux et ressources du site de la Eisfabrik
• Définition : Patrimoine
• Historique du site de la Eisfabrik La construction progressive La destruction progressive et la proposition Mediaspree • Patrimoine à conserver, ressource pour le projet • Eisfabrik, une troisième voie pérenne possible
1
46
Medias et espace(s) public(s) 1. Évolution de l’architecture des médias suivant celle de l’espace public • Définitions : Médias / Médias de masse /Hypermédias / Sphère publique / Espace public • Caractéristiques de l’architecture des médias • Position des médias dans l’espace public
2. D’une critique des médias de masse vers une esquisse programmatique • Définitions : contre-sphère publique / média alternatifs /
48 48 49 51 52
54
54 participation / communication 55 • Critique des médias de l’examen à la contestation 56 Contenus et esthétique 56 Mode de production, de diffusion et rapport à l’audience 58 • Logiques et pertinence du programme 59 Empowerment (« émancipation/formation ») 59 Participation 60 Démocratisation et accès aux moyens de productions 61
3. Espace(s) public(s) et médias actuels vers une mise en réseau 62 • Brèves définitions : réseau / logiques ascendantes 62 • Le réseau, renversement du système descendant 63 • Traduction sociétale : mise en place de logiques latérales 63 Homogénéité et isotropie 64 Connexité, connectivité et nodalité 65 • Traduction programmatique : être un nœud du réseau 65 Espace d’échange, de stockage, de travail, 66 de création, d’apprentissage
2
Bâtiment-outil et complémentarité programmatique
1. La complémentarité programmatique, une stratégie
pour l’indépendance
70 72
• Définitions : Complémentarité programmatique / transition
Interface / mutualisation • Logiques économiques : conservation et complémentarité • Logiques architecturales : identités et interfaces
73 75
2. L’économie coopérative, une structure pour permettre le projet
• Définitions : coopération / coopérative
• L’économie coopérative, futur en commun • Niveau local : possibilités allemandes • Niveau global : un noeud dans le réseau
72
76 76 77 78 80
3. Une posture face à Mediaspree, faire réseau • Transformer plutôt que détruire
• Impulser les échanges latéraux dans le quartier • Inventer un programme complémentaire et créer des synergies • Proposer la logique bottom up dans Mediaspree, le projet top down
82 82 82 83 83
Conclusion 84 Médiagraphie 86 Berlin 86 Espaces publics 87 Médias / Sphère publique 88 Réseau, convivialité, partage / Philosophie 89
3
ville intensément et elle m’avait donc donné envie
Avant propos
de prolonger cette expérience de vie à l’étranger. D’autre part, je souhaitais trouver un écho à mon engagement personnel en travaillant dans une association solidaire « Loesje ». Elle milite, de façon créa-
Berlin, j’avais appris à la connaître en y vivant un an...
tive, pour le droit d’expression de tous dans l’espace
En 2011, après quatre années d’études d’architec-
public urbain. Enfin, la ville de Berlin, où je n’avais
ture, je m’engage dans un Service Volontaire Euro-
jamais encore été, et sa réputation de ville créative et
péen, pour lequel je partirais dans cette ville pour un
spontanée attisait ma curiosité.
séjour d’un an . Cette décision d’une année de césure était née du croisement de plusieurs envies. D’une
La rue et les espaces publics, tels que j’ai pu les vivre
part, l’année 2010-2011, en programme Erasmus à
pendant cette année, étaient très différents de ceux
Istanbul, m’avait ouvert les yeux sur les multitudes
que j’avais jusqu’alors connus.
façons de vivre une
4
Berlin stimule intensément les habitants à se saisir
Ces expériences et recherches préalables ont
des espaces interstitiels. Ces appropriations aux
construit mon envie d’explorer, pour le diplôme, la
formes variées ont questionné ma place en tant
capacité de l’architecte à aller à l’encontre des mou-
qu’architecte en devenir. Cette question de l’appro-
vements de privatisation et de déqualification des
priation de la rue et de la ville par ses habitants est
espaces urbains contemporains pour proposer une
une des thématiques essentielles de l’architecture
alternative réaliste qui exciterait et stimulerait ses
selon moi. C’est l’intersection où l’architecture et la
possibilités de vie dans l’espace urbain.
société se rencontrent le plus profondément. Je l’ai déjà exploré sous plusieurs angles, au cours de mes études ( l’appropriation par les citadins de la friche de la Petite Ceinture parisienne et les « gecekondus » d’Istanbul, l’appauvrissement de l’urbanité et de la sociabilité lors du relogement des habitants.) Vue de la rivière Spree à Berlin depuis le toit de la Eisfabrik ( photo personnelle janvier 2013 )
5
Inclue dans le périmètre de l’opération Mediaspree,
Introduction
la Eisfabrik, ancienne usine frigorifique, est sauvée en 2003 d’une destruction prévue, grâce à son clas-
Berlin, 2013, plus de vingt ans après la chute du mur,
sement patrimonial. Depuis la fin de son activité en
les plans d’urbanisme des années 1990 sont tou-
1986, elle a été laissée à l’abandon faute de projet
jours d’actualité. Aujourd’hui, le plus célèbre d’entre
consistant et d’investisseurs intéressés. Toutefois,
eux, le méga projet urbain Mediaspree se propose
elle accueille une multitude d’usages illégaux, de
de détruire les anciens quais industriels de l’ex-Ber-
portée à la fois locale, fête par exemple, et globale,
lin Est, afin d’y installer les sièges sociaux des multi-
touristes notamment. Ainsi elle est devenu un lieu
nationales de l’industrie culturelle et des médias. La
caché mais recevant de multiples usages urbaines
déconnexion entre les attentes des habitants et po-
alternatives.
litiques urbaines, déterminées à faire de la ville une capitale du monde globalisé, se manifeste dans les
Aujourd’hui, la crise financière mondiale, commen-
mouvements de résistance urbaine et d’usages tem-
cée en 2008, remet sérieusement en cause la perti-
poraires de ses friches.
nence de fonctionnement du projet Mediaspree. Une brèche s’ouvre et cela signifie, pour le site de la
6
Eisfabrik, des possibilités de projet s’appuyant sur les
Il sera porté par la nécessité d’ouvrir la participation
dynamiques citoyennes urbaines, portant et ampli-
citoyenne dans les médias, affirmant ainsi le pouvoir
fiant leurs voix, tout en expérimentant un renouveau
fort des individus sur leur ville ainsi que dans la so-
dans le fonctionnement du projet. Ces possibilités
ciété.
sont encore accentuées par les multiples pratiques existantes de l’espace public sur le site de la Eisfabrik
Trois axes seront explorés pour répondre à ces ques-
et à Berlin en général.
tions : quels sont les enjeux du renouveau urbain sur les bords de Spree ? Comment l’amorce de change-
Si Mediaspree propose une vision verticale portée
ment sociétal influe sur l’architecture des médias ?
par des médias de masse, mon projet devra favoriser
Et enfin, quelles logiques économiques et architectu-
l’émergence d’une autre logique : la logique horizon-
rales mettre en place pour un changement réaliste et
tale et son paradigme, le réseau. Ainsi, stimuler les
pour affirmer une posture nette face à Mediaspree :
possibilités d’expression et connecter les individus
faire réseau ?
entre eux, tant au niveau local qu’au niveau global guidera mon projet de centre des médias libres. La Eisfabrik depuis Schillingsbrücke (photo personnelle)
7
8
Mediaspree et bords de fleuve Enjeux du renouveau urbain des bords de Spree Diagnostic urbain, constat d’autres options et analyse de site
9
1. Berlin et le projet Mediaspree Définitions Berlin
Mediaspree
Plus grande ville d’Allemagne avec ses quatre mil-
Un des plus grands projets urbains (en financement
lions d’habitants, elle fut la capitale à de différentes
partenariat public/privée) de Berlin, avec ses 180
périodes de l’Histoire allemande jusqu’à 1945 (pen-
hectares, son but est de ré-urbaniser les berges Est
dant la période 1945-1989, Berlin-Est est la capitale
de la Spree, qui furent désertées à partir de 1989.
de l’Allemagne de l’Est). Séparée en (quatre puis)
Ce projet vise à établir un quartier des médias (de
deux parties en 1961, elle devient un des lieux les
masse) et des télécommunications dans cette por-
plus marqué par le Rideau de fer, instauré pendant
tion de la ville encore populaire et très active sur le
la Guerre Froide. A la chute du Mur en 1989, elle re-
plan culturel et militant.
devient la capitale d’une Allemagne réunifiée. Berlin fut souvent vécue dans le vide habité et dans les reconstructions permanentes. On ne semble pouvoir dire si les espaces berlinois sont gorgés d’un passé trop dense, prêt à exploser et à se transformer une fois de plus.
Mediaspree, futur projeté (source : communication du projet Mediaspree )
10
Berlin entre musée et laboratoire
Autant d’événements qui font de Berlin, une ville où l’Histoire faconne en détruisant et reconstruisant la ville intensivement dans un laps de temps très court.
Si l’histoire de la ville de Berlin commence au 13ème siècle, il faut cependant attendre le 19ème siècle pour voir la capitale se développer et prendre l’importance
Les histoires se superposent et laissent leurs traces successives. Toutefois, à Berlin, la congestion historique n’entraîne pas nécessairement un engorge-
qu’elle revêt jusqu’à aujourd’hui. La période impériale, entre 1871 et 1918, correspond à la révolution industrielle de l’Europe occidentale et donc à l’expansion large de la ville grâce à l’essor économique et industriel. La population berlinoise passe, entre un siècle et demi de 150 000 habitants à 3,7 millions en 1910. Philipp OSWALT, architecte allemand, résume ainsi, l’histoire berlinoise :
ment mémoriel. Les friches ou ruines ne restent pas abandonnées longtemps et elles stimulent la création d’une ville en perpétuel renouvellement. C’est cette capacité de régénération répétée qui induit le caractère expérimental de la ville. Marc AUGÉ voit en Berlin, à la fois « un musée et un laboratoire », soit un lieu de mémoire, de contemplation et simultanément un lieu d’expérimentation et de recherche :
“En tant que métropole tardive, Berlin imita, dans un temps très limité, ce qui avait pris des décennies ou des siècles à se figer dans d’autres villes. Les épisodes d’euphorie furent toujours suivis de périodes de dépression : depuis les réjouissances du début de la première Guerre Mondiale jusqu’à la défaite, de l’intoxication des années 20 à la crise économique mondiale des années 30, de la prise de pouvoir nazi à la capitulation, de la joie de la chute du mur à la désillusion des années 90 »1
« Berlin est, dans une large mesure, une ville expérimentale : on y mesure la force du passé et celle de l’oubli, les possibilités et les limites du volontarisme, les rapports entre la ville et la société, entre la ville et l’art aussi, puisque, des peintures sur le mur à l’architecture agressive de la Potsdamerplatz, de la post-modernité à la culture alternative, la capitale de l’Allemagne réunifiée est à la fois un laboratoire et un musée. Elle est à elle seule un raccourci de l’histoire du siècle passé et un témoin actif de celle qui s’ébauche.1 »
1 AUGE Marc, «La frontière ineffaçable : un ethnologue sur les traces du mur de Berlin», Le Monde Diplomatique, 2001
1 OSWALT Philipp, Berlin City of the 20th century, Edition Miriam Wiesel, Berlin, 1998
11
La chute du Mur, qui sépara Berlin de 1961 à 1989,
(3 pages suivantes > plans personnels, réalisés à partir de plan disponible sur le site internet de la municipalité de Berlin et de Google Earth)
est à la fois le symbole de l’Allemagne réunifiée et de la victoire d’une idéologie sur une autre1.A partir de 1989, de nombreux projets urbains sont initiés pour reconquérir les territoires de l’ex-Berlin Est et les vider de leur signification politique et historique. De multiples exemples (dont un des plus manifestes pourrait être la destruction, en 2008, du Palast der Republik, « parlement »de la RDA, afin de reconstruire, en lieu et place, un bâtiment dont la façade sera identique à celle de l’ancien château du Royaume de Prusse détruit en 1945) viennent corroborer les propos de l’architecte engagé Carsten JOOST : « Les traces de l’ex-RDA devait disparaître, ça a tout de suite fait partie de la liquidation politique du régime 2» C’est dans cet esprit que le projet Mediaspree est lancé aux début des années 1990, pour reconquérir les berges anciennement industrialisées de l’Est berlinois.
1 MERMET Daniel, Là bas si j’y suis, 1989-2009 Berlin, il y a 20 ans …, France Inter, Paris, 2009 2 LABOREY Claire, Berlin quoi de neuf depuis la chute du mur ?, Editions Autrement, Paris, 2009
12
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14
15
Mediaspree, un projet urbain dépassé
Toutefois, on peut questionner la légitimité de ce
Le projet Mediaspree est un des plus gros projet d’in-
tinationales richissimes, telles que Universal Music ou
vestissement de Berlin (180 hectares), il se base sur
Coca Cola. La journaliste Anne Lena Mösken définit
un modèle de partenariat public/privé1. L’association
Mediapree comme « une coalition libre d’entreprises
Mediaspree, à laquelle adhèrent les investisseurs
d’immobilier, d’ investisseurs, de groupes de lobby
potentiels, reçoit des indemnités des ministères et
et de la mairie de Berlin plutôt qu’un projet consis-
s’engage en échange à investir dans une zone de
tant »1.
type de subventions publiques lorsqu’on sait qu’on compte parmi les investisseurs Mediaspree des mul-
rénovation urbaine et dans l’emploi.
En effet, le projet est défini par quelques consignes sans réelles contraintes. Ces conditions à remplir pour le développement de projets architecturaux dans le cadre de Mediaspree sont : « la conservation d’un accès public au fleuve, la construction d’immeubles avec des activités publiques en rez de chaussée, un mélange d’activités à portée locale et à portée globale et l’intégration des arts et des médias.2 » Dans l’ambition de faire de Berlin, une ville globale, le projet Mediaspree attire les grandes compagnies de médias internationales (chaînes de télévision telles que MTV, TVein, production musicale comme Universal) et de télécommunications (O2 pour l’O2 world, méga-salle de spectacle).
Simulation 3D Mediaspree avec la position de la Eisfabrik détruite et du projet Mediaspree prévu à son emplacement ( source : communication du projet Mediaspree )
1 MÖSKEN Anne Lena, «Das Kapital and the clubs», http://www.exberliner.com/articles/das-kapital-and-the-clubs/
1 PEREZ Luce, «Le coeur de Berlin en mouvement», http://lagazettedeberlin.de/index.php?id=4811 le cœur de berlin en mouvement
2
www.mediaspree.de, site internet officiel piraté et
fermé actuellement
16
Les expériences européennes à Londres et à Paris, avec le Front de Seine confirment le fait que les médias constituent un pouvoir économique puissant et
Critiques formulées du projet Mediaspree
choisissent d’établir leurs sièges sociaux au cœur
Le projet urbain en cours, qui s’éternise, suscite de
des villes .
nombreuses critiques de la part d’acteurs urbains et
1
citoyens. Seulement Mediaspree possèdent deux inconvénients majeurs : il n’a pas de plan précis des phases
D’une part, Mediaspree n’est pas un projet urbain
de développement des projets architecturaux et les
contextuel. Il se développe sans tenir compte de
années 2000 sont à la fois synonymes de l’amplifi-
son environnement immédiat, ce qui a pour effet
cation des usages d’internet et de l’émergence de la
une gentrification accélérée des quartiers populaires
crise économique mondiale, ce qui change la donne
alentours. Carsten JOOST, architecte actif dans le
pour les projets à venir. L’internet tend à redessiner
mouvement d’opposition au projet le décrit ainsi :
la façon de produire et de développer des médias.
«(c’est) une folie complètement éloignée de la réali-
La crise financière, qui commence en 2008 , retarde
té, un délire de vendre la moindre parcelle de terrain
d’autant plus les projets auxquels les banques n’ac-
à un investisseur sans réfléchir aux habitants ni aux
cordent plus facilement de prêts. Ce faisant, à Berlin,
conséquences directes pour eux.1».
les terrains et bâtiments existants restent en friches
La volonté de rayonnement à l’échelle mondiale ef-
pendant plusieurs années ou bien les terrains se re-
face les préoccupations locales, or comme on l’a
vendent à répétition sans promesse de projet à venir.
vu précédemment, ces prétentions de grandeur de-
2
vraient être remise en cause par la situation économico-politique actuelle.
1 PARENT Véronique, Enquête sur les sièges de l’info, Pavillon de l’Arsenal, Paris, 1994 2 LABOREY Claire, Berlin quoi de neuf depuis la chute du mur ?, Editions Autrement, Paris, 2009
1 LABOREY Claire, Berlin quoi de neuf depuis la chute du mur ?, Editions Autrement, Paris, 2009
17
Il n’y a, de plus, toujours pas d’adéquation entre les
D’autre part, les bâtiments Mediaspree sont pensés
envies des populations actuelles et les programmes
sans logique commune. La conservation d’un ac-
dit « publics » des projets. Les bars sont trop chers
cès public au fleuve, condition des projets accep-
pour les riverains et trop loin du centre économique
tés, prend deux formes différentes soit l’aseptisation
huppé Mitte pour attirer les populations susceptibles
de l’espace public et donc une cohérence dans la
de les fréquenter. Ainsi les rez de chaussée sont soit
non-qualification et l’austérité des espaces de pro-
déserts, soit privatisés le temps d’une soirée et donc
menade aux bords du fleuve, soit un accès public
exclusifs. On n’y trouve, d’ailleurs, aucun programme
aux quais relatifs à chaque bâtiment mais fermé du
non commercial.
reste des bords de Spree, ne formant donc pas de continuité, ni de cohérence. A propos du projet Mediaspree, Carten JOOST affirme : « A Berlin, il se passe ce qu’il se passe dans les autres capitales : un mouvement de polissage, une réhabilitation qui lustre la ville.1». Seulement ce projet est fortement rejeté par les populations locales, en 2008, pas moins de 87% des habitants se prononcent contre Mediaspree2. En opposition à cette logique urbaine descendante, c’est à dire cette volonté imposée par les investisseurs et aidée par les pouvoirs publics, des initiatives d’associations et de riverains se développent. Leurs actions latérales, c’est à dire des projets partant des citoyens ou d’associations pour profiter à d’autres particuliers, se déploient avec des formes variées depuis la chute du Mur jusqu’à aujourd’hui. Cette deuxième partie sera l’occasion d’analyser ces initiatives et le contrepoint qu’elles apportent à ce projet urbain
Photos personnelles de quais des projets Mediaspree déjà réalisés
en échec. 1 , 2 LABOREY Claire, Berlin quoi de neuf depuis la chute du mur ?, Editions Autrement, Paris, 2009
18
Quais Mediaspree barrières - mur// bÊton et acier // froid brut //
(dessin personnel)
19
^ Mediaspree // Batiments solitaires
20
21
`
2. Experimentations existantes : reconquete de l’espace public ^
Définitions Appropriation
Entre-usages / Zwischennutzung
Le terme appropriation peut sembler référer à l’ac-
On qualifie d’entre-usages, les usages et pratiques
caparement de quelque chose, ou de quelque part,
qui se déroulent pendant des temps de latence ur-
de public pour devenir privé. Selon moi, la distinction
bains, c’est à dire entre le moment où un bâtiment/
d’Henri LEFÈBVRE est cruciale : la notion d’appro-
terrain n’a plus de fonction attitrée et celui où il re-
priation est distincte de celle de propriété . L’appro-
trouve des usages destinés.
priation c’est faire sien, habiter aussi bien pour un
A Berlin, lorsque certains entre-usages sont organi-
instant que pour une vie sans toutefois posséder.
sés, par le biais d’une association ou d’un groupe de
Aussi, il sera alors possible de participer à l’amélio-
personnes, ils peuvent être régularisés. Si le proprié-
ration de l’objet ou du lieu, en gardant à l’esprit qu’il
taire l’accepte, l’association et lui feront un contrat
est partagé.
de bail précaire d’une durée allant jusqu’à deux ans
«Habiter un espace, c’est pouvoir y investir nos en-
renouvelable. L’intérêt pour les propriétaires, à ac-
vies, nos rêves ou nos souvenirs pour en faire un «lieu
corder ce genre de bail, tient au fait que les projets
» identifiable auquel nous pourrons nous même nous
urbains, notamment à Berlin, prennent beaucoup de
identifier»2
temps faute d’argent nécessaire.
1
1 LEFEBVRE Henri, Le droit à la ville, Ellipses, Paris, 1968 2 Jean Pierre Garnier cité dans LOUBES Jean-Paul, Traité d’architecture sauvage, Le Sextant, Paris, 2010
22
Ainsi les propriétaires obtiennent un loyer de tran-
Souvent les frontières entre entre-usages illégaux, lé-
sition, pendant que leurs biens immobiliers ou fon-
gaux non commerciaux et légaux commerciaux sont
ciers sont surveillés et entretenus par les locataires.
difficiles à percevoir, par exemple jeu avec la légalité
Les locataires bénéficient quant à eux de lieux cen-
des statuts pour qu’un local associatif devienne un
traux et de valeur importante pour établir leur pro-
bar, ou cinéma gratuit ouvert au public en soirée dans
jet et, soit dynamiser la vie du quartier ( création de
une boite de nuit exclusive plus tard dans la nuit.
jardin, de centre d’escalade, de zone de gratuité et d’échange...), soit engendrer des bénéfices commerciaux jusqu’à la fin du bail ( bar, boîte de nuit, restaurant...).
Plan des zones d’usages temporaires à Berlin et la raison de leur abandon (source : Urban Pionners de Klaus OVERMEYER)
23
L’appropriation de l’espace public à Berlin La capacité de Berlin à être un laboratoire urbain est fortement liée à la multiplicité des friches urbaines de cette ville. Les différents événements historiques ont laissé, plutôt que des blessures, du vide. Il y a, entre autres, les immeubles détruits de la 2ème Guerre Mondiale, le no mans land entre le mur Est et le mur Ouest ou encore les immeubles désertés de l’Est berlinois à la chute du mur.
Le Köpi, squat (logements, bar, cinéma, salle de concert et spectacle depuis 22ans ( photo de seven-resist, creative commons)
A partir des années 90, les immeubles abandonnés
La désindustrialisation du centre ville a aussi joué un
de l’Est sont investis, aménagés rapidement pour
rôle dans l’apparition de vides urbains. Or, ces espaces débordent : ils ne sont « blancs » ou « vides » que sur les cartes. De multiples façons, dans ces
donner un sens et une légitimité à l’occupation afin d’organiser ensuite une vie collective. Ils regroupent des artistes, marginaux et autres. Le mouvement, de
friches urbaines, les habitants expriment leur capaci-
très grande ampleur à Berlin, se poursuit jusqu’à au-
té d’agir sur la ville.
jourd’hui avec, par exemple Köpi (en face de la Eis-
Cette appropriation peut prendre plusieurs formes.
fabrik) ou le Tacheles. Si ces espaces sont des lieux
J’en différencie trois, qui peuvent se mêler : la mou-
de vie et de travail, la fête tient une place importante
vance squat, la ville festive et les entre-usages ou
dans l’ouverture de ces zones au public. Par le biais
usages temporaires, zwischennutzung en allemand.
de fête ou de festivals, les squats s’imposent comme acteurs de la vie locale des quartiers. Les occupants des squat peuvent être complètement illégaux ou bien occuper plus pérennement les lieux via un bail précaire.
24
Enfin, les «entre-usages» ou usages temporaires sont des projets qui investissent les temps de latence pour développer une activité commerciale ou/et utile au quartier. Le temps long de latence des projets Mediaspree a permis à ce mouvement urbain de se développer dans les friches urbaines le long de la rivière Spree. Les bords de Spree regroupent un grand nombre de clubs berlinois. Plus que des boîtes de nuits, les clubs permettent à leurs usagers une myriade d’activités selon les événements et les saisons : cinéma, boîte de nuit et de jour, restauration, bar,
Le Gorlitzer park en été (barbecue, sport, lieu de rencontre, bar, jeux, concert ) ( photo de seven-resist, creative commons)
marché aux puces, plage privée,...
A Berlin, les parcs urbains et autres dents creuses tels que Tempelhof park, Görlitzer Park ou encore l’espace sous le pont Elsenbrücke accueillent toutes les activités des usagers sans restrictions (pas de
Ces projets, montés par des collectifs d’individus, louent grâce à des baux précaires les terrains en friche aux investisseurs du projet Mediaspree via des contrats d’usages temporaires. Les contrats à durée déterminée sont précaires ce qui explique le fait
fermeture la nuit par exemple) : barbecue, sport, ren-
que les clubs changent de locations au rythme des
contres, concerts, jardinage, jeux,... L’espace quo-
décisions externes. Les investisseurs regardent avec
tidien festif s’approprie, se partage et s’habite librement. Ces espaces sont des lieux soit gérés par la ville, cas des parcs par exemple, soit par des associations qui payent ou non un loyer au propriétaire du terrain ou soit simplement par un groupe de personnes, qui décide d’investir un lieu l’espace d’une soirée.
25
bienveillance ces projets qui leur permettent d’obtenir un loyer et de garder le site en état.
`
Avantages des usages temporaires legaux (source des dessins : Urban Pioneers de Klaus OVERMEYER )
1. Mise en vente d’un bâtiment dont l’activité
2.Activités illégales aux risques et périls des
a cessé.
usagers (dégâts et accidents)
3.Bâtiment et parcelle dégradés au fur et à
4.Location en bail précaire du terrain à un pro-
mesure des usages illégaux dont l’entretien et la surveillance reviennent au propriétaire
jet d’usage temporaire. L’entretien et la surveillance sont gérés par le locataire. 26
Usages temporaires grillage-palissade // Tiers-paysage et brique // sauvage //
(dessin personnel)
27
Entre-usages temporaires et festifs
28
29
Une opposition à Mediaspree : Mediaspree versenken
Initiée en 2004, par un groupe d’acteurs urbains variés : riverains, direction et employés des clubs, activistes locaux... quant à elle, l’initiative « Mediaspree versenken » ( en traduisant : « Couler Mediaspree ») s’opposent au gigantesque projet urbain. Cette organisation se bat pour pouvoir influer sur le projet Mediaspree notamment pour une réglementation des hauteurs (les nouveaux bâtiments Mediaspree ne sont pas soumis à la réglementation des 22m d’usage à Berlin), un agrandissement de l’espace de promenade et la création d’une passerelle piétonnière plutôt que d’un pont pour les voitures1. Mediaspree versenken s’oppose à Mediaspree avec des reven-
Logo du mouvement Mediaspree Versenken (source : http://www. ms-versenken.org/)
dications pour plus d’espaces verts, moins de place aux voitures et une culture moins institutionalisée sur les bords de Spree. Alberto Magnaghi 2souligne que le fait d’être citoyen ne peut être dématérialiser de son rapport au terrain, on est citoyen d’un lieu. C’est le but de l’action Mediaspree versenken, retrouver un pouvoir d’action sur leur lieu de vie.
Vision des quais de la Spree pour le collectif Papstatt : un joyeux bazar collaboratif ( source : vidéo pour le mouvement Mediaspree versenken)
1 Site d’information contre le projet Mediaspree : http://www.ms-versenken.org/ 2 Alberto Magnaghi, Le projet local, Editions Mardaga, Paris, 2003
30
La transformation de l’espace public en espace de passage ou autre espace non qualifié est peut être un des aspects qui contribue à déresponsabiliser ou écarter les citadins de leur environnement proche. Restaurer et conserver une capacité d’action sur l’espace public est un enjeu de Mediaspree versen-
Des alternatives en action : les projets coopératifs Lancés en 2012, Spreefeld GmbH et Holzmarkt eG sont des nouveaux projets coopératifs, avec pour but commun : la reconquête de l’espace public et
ken. La forte implication des citoyens contre Medias-
le maillage local avec le quartier. Ces deux projets
pree (87% des riverains contre en 2008 et des ma-
très récents se présentent à la fois comme des alter-
nifestations bisannuelles depuis 2004) indiquent une
natives à la façon de construire Mediaspree et des
logique déjà existante d’appropriation des espaces
options plus pérennes que les entre-usages. Leur
urbains.
point commun est d’être coopératif et de proposer une «troisième voie»1 face aux usages temporaires
Toutefois, la position des clubs à l’intérieur de l’ini-
des friches et à l’urbanisme vertical de Mediaspree.
tiative est ambivalente : ils représentent des intérêts privés qui défendent une certaine vision de l’espace urbain. Les clubs restent des espaces exclusifs à but lucratif. Ils incluent une sélection du public. Atti-
Le projet de Holzmarkt eG est porté par les organisateurs d’un des anciens clubs, le Bar 25. Quant à Spreefeld GmHb, il a été conçu par un groupe d’une quinzaine d’architectes, qui souhaitent créer, plus lar-
rant un public jeune et des touristes internationaux,
gement qu’un cadre de vie, une coopérative d’habi-
ils ne sont pas des espaces publics. Les clubs uti-
tations, de commerces et d’équipements, qui s’im-
lisent le potentiel des friches : les bâtiments aban-
pliquera dans la vie locale du quartier. Le premier est
donnés et clairières urbaines sont investis avec des
en phase de collecte des coopérants et le second est
architectures minimales et installations de mobiliers
déjà en construction tout en continuant de collecter
éphémères. Ils sont des squats légaux à durée déterminée. C’est leur aspect transitoire qui permet leur popularité immédiate et les courtes périodes invitent
les personnes intéressées par le projet (habitants et commercants).
à s’emparer intensément des instants restants. 1 MÖSKEN Anne Lena, “Third way on the Spree”, http://www.exberliner.com/articles/third-way-on-thespree%3F/
31
Les structures administratives d’Holzmarkt eG et
Les deux projets misent sur l’économie créative et un
de Spreefeld GmHb sont complexes, elles intègrent
enracinement dans le quartier. Le projet d’Holzmarkt
aussi bien des investisseurs privés que la participa-
dessine une évolution de la stratégie des clubs pour
tion d’un groupe de coopérants ou sympathisants au
conserver les terrains des bords de Spree et Spree-
projet. Les deux projets s’inscrivent aussi en concor-
feld est une forme coopérative d’habitat ouvert sur le
dance avec la vive opposition des habitants des
quartier.
quartiers environnants au projet Mediaspree, notamment via le collectif Mediaspree versenken. Les projets coopératifs s’appuient sur leur vision horizontale du projet pour proposer un développement basé sur
L’émergence de ce genre de projet, dans le périmètre
l’économie créative... Plutôt que celle de la mass-in-
du projet Mediaspree, tend à démontrer, qu’après
dustrie culturelle portée par Mediaspree.
des années d’entre-usages, des installations pérennes par la proposition de projets alternatifs, se
Les programmes des deux initiatives donnent une
concrétisent.
idée de la « troisième voie » envisagée. Holzmarkt eG offrirait un club, un centre d’entreupenariat créatif,
En partant d’initiatives collectives citoyennes hori-
un hôtel, un parc, des commerces de proximité bio,
zontales, ils souhaitent démontrer que les coopéra-
« un village » de créatifs et artisans, un restaurant et
tives, en étant certes des collectifs aux intérêts va-
un centre culturel. Spreefeld GmHb propose 60 ap-
riés, peuvent avoir une implication locale beaucoup
partements à louer, des locaux pour des entreprises
plus dense et riche que les méga projets urbains
culturelles, sociales du quartier ainsi que des jardins
descendants.
partagés.
32
`
Projets cooperatifs passage - promenade// organique - mixte // partagĂŠe //
(dessin personnel)
33
`
Logiques cooperatives en projet
34
35
3. Enjeux et ressources du site de la Eisfabrik Définition Patrimoine Héritage commun d’un groupe laissé aux générations suivantes. L’époque, les personnes ou encore les sociétés choisissent ce qui doit être ou non transmis aux générations. Bien entendu, ce choix est toujours subjectif et contribue à construire une identité ou une mythologie.
36
Historique du site de la Eisfabrik1 Le complexe de la Eisfabrik est commandité par Carl
La destruction progressive et la proposition Mediaspree
BOLL, fondateur de Norddeutsche Eiswerke AG.
A partir de 1995, année du rachat de la Eisfabrik par
L’emplacement choisi se situe dans le quartier d’Hol-
la TLG Immobilien, des parties commencent à être
zmarkt (traduction : «le marché au bois»), quartier his-
détruites, notamment les entrepôts. En 2003, la Eis-
toriquement industriel de Berlin, commercialisant le
fabrik est classée au patrimoine allemand par la mai-
bois de construction et de chauffage importé des fo-
rie de Berlin car elle est la plus vieille usine à glace
rêts alentours, pour la construction de la ville. A partir
allemande encore existante. Malgré cela, en 2005,
de 1896, Carl BOLL installe ses entreprises de fabri-
la TLG Immobilien propose un projet qui prévoit de
cation de glace à plusieurs localisations dans Berlin.
détruire l’usine mais conserve les logements. L’archi-
A cette époque, la production de glace ( chimique ou
tecte Ivan REIMANN propose un projet de bureaux
naturelle) servait au café, brasserie ou particuliers (
dans le cadre de Mediaspree. Ne convenant pas à la
pas de réfrigérateur ). L’architecte Albert BIEBENDT
municipalité, il est rejeté. En 2008, la TLG Immobilien
conçoit le complexe en plusieurs tranches distinctes :
détruit la totalité des entrepôts malgré les protesta-
logements, puis usine à glace et entrepôts et enfin
tions des riverains et des acteurs politiques locaux
entrepôts supplémentaires. L’usine s’agrandit et est
puis, en 2012, elle revend l’usine et les logements à la
en partie reconstruite après la Seconde Guerre mon-
TELACOM GmbH, une autre compagnie immobilière.
diale. A partir de 1952, son activité commence à pé-
Depuis 1986, les projets proposés ne convainquent
ricliter avec l’arrivée de réfrigérateurs personnels. A
pas. La Eisfabrik est squattée aléatoirement par des
partir de 1961, appartenant au quartier de Mitte, elle
précaires comme logement, par des touristes et ri-
passe à l’Est, très proche de la démarcation entre Est
verains comme lieu de loisirs : promenade, photo,
et Ouest.
lieu de rencontre et des fêtes illégales dont une, en
En 1986, la Norddeutsche Eiswerke AG est dissoute
2010, qui déclenchera un incendie dans le toit de la
et cesse ses activités.
chaufferie.
La construction progressive
1 Site regroupant des données sur la Eisfabrik : http:// www.berlineisfabrik.de
37
38
(schéma personnel à l’aide des données collectées sur http://www.berlineisfabrik.de
39
Patrimoine à conserver, ressource pour le projet Au début des années 2000, le complexe de la Eisfabrik est déclaré Denkmalschulz (en français « monument classé ») par la mairie de Berlin. Elle fait donc, aujourd’hui, partie du patrimoine urbain à conserver, ce qui signifie que le bâtiment ne peut être détruit. Les différentes qualités des espaces existants sont intéressantes pour un projet de réhabilitation. La chaufferie en quadruple hauteur, les plateaux en double hauteur et les paliers en simple hauteur construits autour d’un atrium ont chacun des qualités d’espaces, d’ambiances et de lumières distinctes.
40
(schĂŠma et photos personnelles)
41
Plus que le bâtiment, en lui-même, le complexe est
La conservation de berge naturelle permet de dé-
aussi constitué d’un terrain vaste, où étaient situés
ployer des moyens moins lourds pour la réhabilita-
les anciens entrepôts, et d’un quai de Spree. Inves-
tion de ce terrain. Dans le cadre de ce projet, il me
ti par de la végétation spontanée depuis les années
semble pertinent de considérer à la fois le bâtiment
1990, certains arbres ont aujourd’hui une taille im-
existant et la végétation existante comme ressources
portante et ils représentent, pour moi, le patrimoine
pour la conception du projet. Ils sont des atouts pour
végétal du site. Les quais, dans les projets Medias-
la réalisation d’un projet moins coûteux.
pree, sont bétonnés car les arbres, garantissant leur stabilité, sont arrachés.
42
La réhabilitation ne doit pas se résumer à une simple
«La conservation qui ne permet aucun changement
conservation car dans ce cas car, comme on l’a vu
est stérilisante. Il faut absolument se rendre compte
précédemment, la Eisfabrik est et reste un lieu vivant
que tous les objets participent à des situations tou-
et changeant. Ma posture de reconversion sera donc
jours nouvelles auxquelles ils doivent s’adapter. (…)
d’ajouter, de retravailler, d’ouvrir et de clarifier le bâti-
Si nous voulons conserver certains objets du passé,
ment de la Eisfabrik.
nous devons toujours utiliser de nouveaux moyens.» 1
1 NORBERG SCHULZ Christian, Système logique de l’architecture, Mardaga, Paris, 1974
(plans personnels)
43
Eisfabrik, une troisième voie possible
Magnifier l’existant en le rendant vivant • conserver les usages multiples existants de l’espace public • utiliser les ressources présentes sur le site : quali-
Le site de la Eisfabrik se situe dans le périmètre du
tés architecturales et ressources végétales
projet Mediaspree et abandonné depuis 1986, il fait parti des lieux d’entre-usages. Il me semble important d’adopter trois positions fortes quant à la reconversion. Ces dernières me permettent d’affirmer une posture, qui se rapproche de celles des projets coo-
S’inscrire vient
dans
la
logique
qui
• s’opposer à Mediaspree en proposant un renversement de la logique verticale
pératifs en cours :
• proposer une logique horizontale coopérative grâce à un projet pérenne
Permettre à tous d’habiter ce lieu en le qualifiant • proposer un espace public qualifié et appropriable qui stimule le dialogue • proposer un centre de médias libres qui renverse la logique unidirectionnelle des médias de masse.
Cette deuxième partie sera l’occasion d’argumenter cette dernière position programmatique en développant sa légitimité contextuelle.
44
Enjeux de la parcelle
(document personnel à partir d’une photographie de maquette)
45
46
`
Medias et espace(s) public(s) Changement sociétal et émergence du réseau Analyse du programme et des mutations sociétales actuelles
47
` `
1. Evolution de l’architecture des medias suivant celle de l’espace public Définitions
Médias de masse
Média
XXème siècle. Largement financés par la publicité, ils
Les médias de masse apparaissent au début du jouent un rôle à la fois de diffuseur d’une informa-
D’une manière générale, un média est tout moyen et/ ou support de diffusion d’une information. Marshall MAC LUHAN définit les médias comme « prolonge-
tion et de stimulateur de la consommation de masse (cf en 2004, Patrick LE LAY, alors patron de TF1, dit « vendre du temps de cerveau disponible à Coca-Co-
ment technologique de l’Homme »1.
la»). Plusieurs médias techniques, tels que la radio, la
Ils nous permettent de communiquer aux autres un
télévision, les journaux ou la radio regroupent les 4
message, en utilisant par exemple le language, l’écri-
caractéristiques qui définissent les médias de masse
ture, la radio, etc... Raymond WILLIAMS les classera
pour MAC LUHAN. Premièrement, le système de
en trois catégories : les moyens amplificateurs (mé-
communication est descendant, c’est à dire que le
gaphone, radio en direct...), les moyens de stockage
message est transmis d’un émetteur vers de multi-
(enregistrement du son) et les moyens de substitu-
ples récepteurs. Ce message est diffusé de la même
tion( écriture, graphisme)2.
façon à tous. Ensuite, les récepteurs n’ont pas de possibilités d’interagir avec le véhicule du message. Enfin l’information est donnée comme un produit fini dont les parties sont choisies par le producteur.
1 Mc LUHAN Marshall, Pour comprendre les médias : Les prolongements technologiques de l’homme, Seuil, Paris, 1977 2 WILLIAMS Raymond, Culture et matérialisme, Les prairies ordinaires, Paris, 2009
48
Hypermédia
Il convient de revenir sur ce glissement pour redéfinir
Considéré comme un média de masse, l’internet in-
les qualités nécessaires à un espace urbain et l’es-
firme pourtant toutes les caractéristiques précédem-
pace de dialogue véritablement pour tous.
ment énoncées. Son fonctionnement en réseau favorise une communication horizontale, le message peut
Sphère publique
être adapté aux récepteurs, qui ont eux-mêmes la
Dans Introduction aux médias1, François BOURDON
possibilités de répondre, interpeller ou re-diffuser et
résume ainsi la thèse de l’espace public bourgeois
souvent l’internaute « fabriquera » son information à
d’HABERMAS développée dans l’Espace public1 :
partir des sources disponibles. Un hypermédia est un
« Le concept « d’espace ou sphère public/que
média qui collecte, comprend et présente d’autres
bourgeois/e » (ce deuxième adjectif est essentiel)
médias ( image, vidéo, texte, son...). Il peut aussi
désigne un espace de discussion correspondant à
toutefois être largement influencé par la publicité.
l’émergence du capitalisme moderne, qui serait né à la fin du XVIIè siècle en Angleterre et au XVIIIème
Différences entre sphère et espace publics
en France. Des individus privés usant de leur raison
On choisira ici les deux termes distincts de « sphère
formes de sociabilités (salons), en un public débattant
publique », lieu du dialogue citoyen et « espace pu-
ouvertement de l’exercice du pouvoir étatique. Cet
blic », lieu urbain public et partagé pour traduire un
espace public aurait connu son apogée dans la pre-
même mot allemand : celui d’offentlichtkeit. Défini
mière moitié du XIXème siècle. La naissance de l’État
par Jürgen HABERMAS, dans son livre Offentlich-
Providence et la croissance des médias de masse
keit , celui-ci concerne spécifiquement la sphère de
contribuent à son déclin. Dès lors, l’opinion publique
discussion. Il est assimilé et utilisé dans le domaine
telle que l’a théorisée ( et peut être idéalisée?) HA-
de l’architecture et de l’urbanisme par la suite, bé-
BERMAS dans l’Espace public ( le fruit de la discus-
néficiant de l’ambiguïté entre les deux termes. Ainsi
sion « rationnelle ») devient une abstraction manipu-
on tendra à assimiler l’espace public de la ville à l’es-
lée par les médias et la publicité. »
se transforment, à travers la presse et les nouvelles
1
pace de discussion démocratique.
1 1988
HABERMAS Jürgen, L’espace public, Payot, Paris,
1 BOUDON Jérôme, Introduction aux médias, Clefs politiques, Paris, 2009
49
Espace public
Ce concept relève d’un moment historique. Aujourd’hui une telle sphère de discussion peut sembler
La propriété essentielle des espaces publics est
apparaître sur internet, toutefois comme la sphère
qu’ils mettent en relation, par ce fait il sont donc à
publique bourgeoise, elle continue d’exclure une
la fois des espace d’échange et de communication
grande partie des individus (cf géographie des usa-
avec mise en scène1, fonctions essentielles de la vie
gers de l’internet et leur âge).
collective urbaine. Ils ont « une capacité à articuler
Malgré cela, Oskar NEGT annonce ce que serait un
énoncés et visibilités »2.
espace public plus démocratique et étendu, il pour-
Il s’agit donc de faire se rencontrer et de rendre ac-
rait être un « champ d’expérience de la société ».
cessible à tous. Cela permet à ces espaces d’accueil-
Ma position est d’affirmer que la sphère publique
lir une multitude d’usages du dialogue certes mais
commence à s’ouvrir et retrouver ces capacités à
aussi de l’évitement, du frottement, du croisement3...
susciter du débat et du regroupement dans la socié-
En somme l’espace public accueille le contact sous
té et l’espace « réel » en interagissant avec internet
toutes ses formes grâce à une mise en relation qui se
(par exemple apéro facebook à Nantes, événements
veut, idéalement, inconditionnelle et égalitaire.
open air à Berlin, organisant une rencontre spontanée
En effet, la responsabilité juridique de ces espaces
de 10000 personnes ). Dominique CARDON affirme :
varie et n’est pas définie de la même façon : il peut
« la richesse du web est d’avoir su faire exister, sous
s’agir de public, appartenant à l’État, de privé, ap-
les contenus dominants un espace intermédiaire où
partenant à un particulier qui y tolère des usagers ou
il est permis de partager et de discuter des sujets
encore à une association, qui prend la responsabilité
qui circulaient très mal dans l’espace public »1.Ces
de l’entretien d’un espace ouvert sur la ville.
événements, organisés virtuellement, nécessiteront un cadre réel physique pour exister, d’où le besoin de définir le concept d’espace public (physique). 1 DELBAERE Denis, Paysages de la ville la fabrique contemporaine de l’espace public, Ellipses Marketing, 2010 p 32 2 JOSEPH Isaac, prendre place, espace public et culture dramatique, Recherches, Paris, 1995 1 CARDON Dominique, La démocratie Internet : Promesses et limites, Seuil, Paris, 2010
3 PAQUOT Thierry, L’espace public, Editions la Découverte, Paris, 2009
50
Dans cette première partie, il s’agit de rappeler briè-
Les espaces de production sont les lieux qui per-
vement la composition architecturale et place urbaine
mettent la réalisation, matérialisation et production en
des sièges sociaux des médias actuels pour en dé-
série du médias en vue de le diffuser à une audience.
duire par quelles propositions urbaines et architecturales passeraient une réelle démocratisation de la
Les espaces de rencontre sont les endroits qui permettent la perméabilité entre le monde médiatique et
sphère publique citoyenne.
le monde extérieur, ils prennent des formes variées depuis les cafés du 18ème siècle, lieu d’échange ouvert ou les halls de sièges sociaux actuels qui tendent à remplir une fonction de représentation mais pas
Caractéristiques de l’architecture des médias
réellement d’accueil ou de rencontre.
Les immeubles de médias, depuis leur apparition
différents espaces ainsi que leurs besoins spatiaux
avec les immeubles de presse au 18ème siècle
particuliers (« la distribution verticale des espaces
jusqu’à aujourd’hui, articulent toujours des espaces
fonctionnels, les hauteurs d’étages nécessaires, les
qui restent similaires : des espaces de représenta-
épaisseurs de plancher, les volumes des halls et les
tion, des espaces de production et des espaces de
cours, les puits de lumière éclairant les sous-sols »1.
rencontre.
La production est reléguée dans les sous-sols car
Au 18ème, on lit, dans le bâtiment en coupe, les
bruyante et odorante, alors que les espaces de renLes espaces de représentation sont tous les moyens
contres émaillent le bâtiment, plus au moins proche
utilisés pour signifier la philosophie du média sans la
de l’espace public, selon leur degré de privacité (de-
dire explicitement. Ils contiennent les marques de
puis le hall et les cafés pour discuter, jusqu’aux salles
grandeurs, les éléments symboliqueset les événe-
de rédaction et enfin bureau de la direction.).
ments temporaires pour créer du dialogue et de la publicité autour de ces immeubles.
1 PARENT Véronique, Enquête sur les sièges de l’info, Pavillon de l’Arsenal, Paris, 1994
51
A l’heure de la société mondiale de l’information1, l’image que les médias transmettent par l’architetL’interface, qui se dilate entre l’extérieur et l’intérieur
cure est celle d’un lieu de pouvoir2. Tous ses espaces
est le lieu de la représentation, une manière de se po-
sont des lieux importants car ils dessinent, créent et
sitionner dans l’espace urbain tout en attirant l’atten-
diffusent de l’information, cela se manifeste dans l’ar-
tion des passants et des clients. Cela se manifeste
chitecture des sièges sociaux par des tours hautes
par des travaux de la façade (notamment avec des
et transparentes. Toutefois il serait incomplets de
symboles d’horloge, contrôle du temps ou de phare,
voir uniquement en l’architecture une raison de leur
repère fiable dans la ville), des logos visibles depuis
pouvoir, celui se manifeste aussi par la position prise
une longue distance, des événements temporaires
dans la ville.
: concerts, distributions au moment de la parution
Position des médias dans l’espace public
d’un nouveau numéro... Au 20ème siècle, les immeubles peuvent d’avantages se lire en plan, mais en plan large. En effet, souvent
Différents quartiers des médias existent déjà en Eu-
les lieux de production sont externalisés dans des banlieues où le terrain coûte moins cher et où il est donc possible de s’étendre peu densément. Seul un petit nombre de studios de prestige est conservé pour les émissions en direct. L’éclatement des récepteurs ( une télévision ou plus par foyer) semblent annoncer que le déclin des lieux de rencontre avec le public. Il n’existe quasiment plus hormis lors des émissions en direct.
rope, ainsi Mediaspree s’inscrit dans cette logique. Cependant il est important de rappeler que le Front de Seine parisien et le quartier des médias de Londres se sont constitués dans les années 90, à un moment différent que celui du projet Mediaspree donc les bâtiments commencent à être construits dans les années 2000 ou 2010. Mediaspree est imposé comme un projet dépassé et peu flexible, persistant malgré les changements sociétaux.
1 CASTELLS Manuel, L’ère de l’information volume 1 : La société en réseaux, Fayard, Paris, 1996 2 VIRILLIO Paul in PARENT Véronique, Enquête sur les sièges de l’info, Pavillon de l’Arsenal, Paris, 1994
52
Ces quartiers des médias existent car les médias présentent des besoins similaires : matériel, relations, reconnaissance mutuelle... Ils amènent aussi un prestige aux villes, qui deviennent les centres de l’information d’un pays. Les immeubles de médias sont aussi dans l’obligation d’être à la fois ouverts pour recevoir du public lors des émissions en direct et fermés par mesure de sécurité à cause du coût des équipements, du poids économique et du pouvoir représenté par les médias1. Ainsi, les entrées et les identités sont contrôlées lorsque quelqu’un veut assister à la production médiatique. Comme on l’a vu précédemment les lieux de production sont de plus en plus écartés des centres-villes ce qui les coupent du public. Un des enjeux amenés par les nouveaux outils de communication de retisser ce lien entre l’information et la société, pour faire des médias une expression réelle des populations. Par quels moyens passeraient donc une démocratisation du système médiatique ? Pour trouver des pistes de réponse, il convient de faire une critique du système médiatique de masse afin d’y découvrir des indications pour une alternative concrète. 1 PARENT Véronique, Enquête sur les sièges de l’info, Pavillon de l’Arsenal, Paris, 1994
(dessins personnels depuis le livre de Véronique PARENT, Enquête sur les sièges de l’info»
53
`
2. D’une critique des medias de masse vers une esquisse programmatique
Définitions
Elle signale que la sphère publique est passée « d’un mode de domination répressif à un mode hégémo-
Contre-sphère publique
nique »1, c’est à dire que les discussions et valeurs
Dans les années 1990, Nancy FRASER1, philosophe
bourgeoises masculines occidentales se sont subs-
féministe, participe à la théorisation de la « contresphère publique » ou « sphère publique alternative » ( traduction de l’anglais counter public sphere). Elle décrit l’émergence de ce mouvement face au caractère profondément excluant de la sphère publique bourgeoise décrite par Jürgen HABERMAS.
tituées aux valeurs et besoins du reste de la population. Par la force ou la reproduction, ces valeurs colonisent toujours aujourd’hui l’imaginaire collectif. Ensuite, mettre, d’une part, entre parenthèses les inégalités, qui est une condition de la discussion dans la sphère publique, contribue à conforter les dominants dans leur position. Expliciter ces inégalités contribue à comprendre le contexte et les dominations déjà présentes.
1 FRASER Nancy, « Repenser le sphère publique : une contribution à la critique de la démocratie telle qu’elle existe réellement » in sous la direction de CALHOUN Craig, Habermas and the Public Sphere, MIT Press, Cambridge, 1992
54
Média libre, alternatif, indépendant Média qui propose des informations qui diffèrent de celles proposées par les médias de masse. Cette opposition s’appuie sur le fait que les médias de masse sont massivement détenu par les États, les intérêts commerciaux et/ou la publicité. On les différencie des médias de masse par leur contenus, leur esthétique, leur mode de production, leur mode de distribution et leur audience. On recense de nombreuses expérimentations tels que les radios pirates, les télévisions de quartier, les fanzines qui s’épanouissent de D’autre part, la définition problématique du «sens
manière significative avec l’internet, blogs, site web,
commun», qui est subjective, peut excluer des sujets
etc..
de discussion, que souhaiterait traiter les populations dominées. FRASER prend l’exemple des violences
Participation
conjugales, qui au 18ème siècle, n’entrent pas dans
Action de prendre part à quelque chose (par exemple
le champ de discussion bourgeois masculin.
un événement, une action, un processus créatif...)
Ces critiques de la sphère publique, que fait Nancy
Communication
FRASER, participent à la reconnaissance des mou-
C’est l’échange d’un message entre un émetteur et
vements alternatifs (pacifistes, féministes, égalité des
un récepteur. L’émetteur peut être aussi récepteur
droits civiques...) et donc à leur légitimité à créer un
et inversement. Il faut cependant absolument tenir
espace public de discussion à part entière qui influe
compte du fait que la communication entre individus
sur la société, de la même manière que la sphère
n’est pas un système d’échange linaire. L’émetteur
publique hégémonique. Ces mouvements contri-
déforme, ajoute, résume c’est à dire modifie un mes-
buent à l’émergence de médias alternatifs et s’en
sage auparavant obtenu pour le transmettre. Le ré-
nourissent.
cepteur, quant à lui, comprend le message selon sa sensibilité, son expérience et son vécu.
55
Critiques des médias, de l’examen à la contestation « Critique veut dire à la fois examen et contestation. Cet examen et cette contestation, nous les exerçons pour objectif de travailler à une transformation de l’ordre médiatique existant. » a
Contenus et esthétique
en somme de la forme actuelle de l’art populaire. Or
Les deux critiques majeures les médias de masse,
l’industrie culturelle, c’est l’intégration délibérée, d’en
quant à leur contenu, sont celles du façonnement du
haut, de ses consommateurs.»1 .
contenu par l’émetteur exclusivement et le condition-
En effet, cette dernière phrase est importante, elle
nement orienté qu’ils imposent à la population.
souligne que la distinction producteur/consomma-
Déjà en 1847, Karl MARX et Friedrich ENGELS écri-
teur est intégrée depuis le début du processus de
ront que « Les idées dominantes d’une époque n’ont
production médiatique de masse. Ainsi les « pro-
jamais été que les idées de la classe dominante.» .
duits » médiatiques sont dirigés depuis les classes
Soixante-dix ans plus tard, les travaux de Theodor
dominantes vers les consommateurs de l’idéologie
W. ADORNO et Max HORKHEIMER sur l’industrie
dominante.
culturelle permettent de remettre en perspective
Pour conclure François Boudon écrit : « Chacun
cette affirmation des écrivains du Manifeste du Parti
a l’illusion de trouver son compte dans les médias,
Communiste. ADORNO écrira, à propos de l’indus-
alors qu’il est le jouet de processus qu’il ne contrôle
trie culturelle :
en rien.»2
« Dans nos ébauches il était question de culture de
Et Peter Sloterdjik résume : les médias veillent à « un
masse. Nous avons abandonné cette dernière ex-
nouveau conditionnement artificiel des consciences
pression pour la remplacer par « industrie culturelle »,
dans l’espace social. »3. Il est essentiel de considérer
afin d’exclure de prime abord l’interprétation qui plaît
cette idée car on a tendance à imaginer une objec-
aux avocats de la chose : ceux-ci prétendent en effet
tivité absolue des médias de masse or en analysant
1
qu’il s’agit de quelque chose comme une culture jaillissant spontanément des masses mêmes,
1 ADORNO W. Theodor, HORKHEIMER Max, La dialectique de la raison, Gallimard, Paris, 1983 2 BOUDON Jérôme, Introduction aux médias, Clefs politiques, Paris, 2009 3 SLOTERDJIK Peter, Critique de la raison cynique, Editions Christian Bourgois, Paris, 2000
a OUARDI Samira “Où en est la critique des médias ?”, Revues Mouvements, n°61 2010 1 ENGELS Friedrich, MARX Karl, Manifeste du parti communiste, Flammarion, Paris, 1999
56
le contenu et la provenance, économique et média-
A ce sujet, deux artistes et intellectuels, formant le
tique en Europe, on réalise les formes pré-construites
collectif Bureau d’Etudes, publient une carte des
des émissions et les liens évidents de ces formats
connexions entre sphère du politique, économique
avec leurs financements : la publicité ou l’État ou
et médiatique en Europe.
leurs patrons.
( Source : http://bureaudetudes.org/about/ )
57
Mode de production, de diffusion et rapport à l’audience
En restituant une plus grande accessibilité et en offrant des possibilités de formation, on peut développer un système de médias multidirectionnel. Il ne
Le mode de production et de diffusion des médias
s’agit alors plus d’une audience passive mais d’un
de masse est uni-directionnel : de un vers tous. Or
récepteur redevenant un émetteur potentiel.
Raymond WILLIAMS, essayiste britannique et initiateur des Cultural Studies, relève qu’ «il importe de reconnaître le fait que les moyens de communication constituent eux-mêmes des moyens de production »1. Effectivement, théoriquement, la communication c’est recevoir un message, puis en émettre un en réponse et ainsi de suite... Or dans les médias de masse, le message uni-directionnel est reçu mais les possibilités de réponses sont limitées (dans la forme, dans le temps,..) ou nulles. Ainsi WILLIAMS développe que dans cette situation : « les conflits sociaux portent sur l’accès aux moyens amplificateurs ou de stockage évolués ainsi que sur leur maîtrise »1. On repère ici deux idées pour transformer les modes de production et de diffusion : l’accessibilité des moyens et leur maîtrise. Par « maîtrise », WILLIAMS entend la capacité à utiliser un moyen, cela peut nécessiter un apprentissage ou la maîtrise d’autres savoirs tels que la lecture ou l’écriture. 1 WILLIAMS Raymond, Culture et matérialisme, Les prairies ordinaires, Paris, 2009
58
Dessin satirique sur les médias de masse ( : Acrimed et leur magazine Mediacritique)
Logiques et pertinence du programme Ces critiques nous permettent d’imaginer les qualités qu’un média indépendant doit posséder ou transmettre. Ces logiques esquissent le programme de la réhabilitation de la Eisfabrik.
Empowerment (« émancipation/formation »)
L’empowerment ( action de donner du pouvoir d’agir littéralement depuis l’anglais) propose à chacun de prendre conscience des « outils intellectuels» ou
Expliqué par Manuel CASTELLS, dans la Société de
« connaissances pratiques » qu’il possède ou peut
l’Information, le processus des révolutions culturelle,
apprendre afin de les utiliser pour penser librement.
économique et technologique, qui commence avec
Pour cela, les méthodes sont celles de l’apprentis-
le mouvement hippie, féministe, noir, homosexuel..
sage populaire et non formel : il n’y a pas un ensei-
et se prolonge dans l’internet, a amené des valeurs
gnant et des élèves mais un groupe qui échangent
telles que la décentralisation et la participation . Ces
des techniques et des idées afin de s’organiser et de
valeurs concourent dans le sens d’une responsabi-
prendre position individuellement ou collectivement.
1
lisation et d’une confiance dans l’émancipation possible de chacun. Pour cela Noam CHOMSKY invite à des cours d’auto-défense intellectuelle, qu’il décrit ainsi : « On n’apprend pas ça à l’école. Il s’agit d’acquérir une indépendance d’esprit. D’y travailler, car on y arrive rarement seul. La beauté du système c’est qu’il isole. Chacun est seul en face de sa télévision.»2
1 TOMAS François, Espaces publics, architecture et urbanité de part et d’autres de l’Atlantique, Publications de l’université de Saint Étienne, Saint Étienne, 2002 p15 2 ACHBAR Mark, WINTONICK Peter, Manufacturing Consent : Noam Chomsky and the Media, BFI, USA, 1992
Affiche du mouvement d’éducation populaire, une forme française d’empowerment
59
Participation « Don’t hate the media, be the media / Ne déteste Il confirme la nécessité de la participation pour la
pas les medias, soit le média» Jello BIAFRA, chanteur des Dead Kennedys
création d’un régime de plus en plus démocratique. Résumé par la phrase de Jacques ELLUL, « la propagande s’arrête là où le débat commence.»1, la démo-
Comme on l’a vu précédemment, la participation de
cratie s’épanouit avec la participation de tous dans
tous aux décisions s’installe peu à peu comme une
la discussion publique pour cela il faut permettre ré-
valeur de la société. Elle commence à apporter des
tablir un équilibre dans la représentation et permettre
solutions à la représentativité des personnes n’ap-
réellement à tous de s’exprimer.
partenant pas à la sphère publique traditionnelle. Selon Felix GUATTARI, « le problème essentiel demeure celui de la prise de parole des gens à qui elle est systématiquement refusée, ceux dont on parle, ceux à la place de qui on parle(...) »1. Ainsi un cadre est à proposer pour l’expression reconnue, individuelle ou collective des opinions publiques. Paul RICOEUR, prévoit en 1985, l’évolution de la société et le besoin de créer des lieux et moyens Graffiti avec le slogan de Jello Biafra
d’expression et de négociations des conflits : « la démocratie est le régime dans lequel la participation à la décision est assurée à un nombre toujours plus grand de citoyens... ».2
1 GUATTARI Félix, Libération, 27 août 1981 2 RICOEUR Paul, Temps et récit. Tome III: Le temps raconté, Le Seuil, Paris,1985
1 ELLUL Jacques, Propagandes, Economica, Paris,1990 60
Démocratisation et accès aux moyens de productions Permettre cette participation c’est fournir les moyens d’émancipation et de production. Déjà en 1926, Bertold BRECHT évoque la radio comme véritable moyen de communication multidirectionnel plutôt que d’un centre à une masse. Il se réfère aux possibilités de la radio d’être émettrice et réceptrice. Certes internet est un hypermédia multidirectionnel, néanmoins il est possible que, dans le futur, ces possibilités d’interaction soient effacées ou réduites par des intérêts commerciaux. Dominique CARDON évoque une risque de « reféodalisation » de l’internet, qui suivrait celle de la sphère publique habermassienne « reféodalisée par les intérêts commerciaux et par la massification de la « presse à un penny »1 ». Un des enjeux de cette démocratisation des moyens de production est de conserver une liberté vis à vis de ces intérêts. En d’autres termes, il convient d’obtenir une indépendance financière pour l’accès aux moyens de productions et de diffusion. Ces trois logiques de programme dessine une direction commune qu’il convient d’expliciter et de souligner afin d’affirmer une posture programmatique.
1 CARDON Dominique, La démocratie Internet : Promesses et limites, Seuil, Paris, 2010
Le Mediavan de Antfarm, un van de production médiatique itinérant ( source : Ant Farm (Living Archives) de Felicity SCOTT )
61
`
3. Espace(s) public(s) et medias actuels vers une mise en reseau `
Brèves définitions (développées par la suite)
Logiques ascendante (bottom-up), grassroot (venant de la base), latérale et horizontales
Réseau Ensemble formé de lignes ou d’éléments qui com-
Ces logiques d’organisation incluent directement les
muniquent ou s’entrecroisent.
individus (différenciés des leaders et des élites) dans les processus d’action et de décision.
Illustration d’une portion de réseau et de ses nœuds (source : ThinkingEntreprise, blog de Anders Jensen-Waud )
62
Le réseau comme renversement du système descendant
« a-centré, non hiérarchique et non signifiant »1, dont on peut « se servir comme d’un moyen de rencontre, faire filer une ligne ou un bloc entre deux personnes,
De manière générique, le réseau est un ensemble de relations formant un ensemble inter-connecté. Il
produire tous les phénomènes de double capture, montrer ce qu’est la conjonction ET, ni une réunion, ni une juxtaposition, mais la naissance d’un bégaie-
peut être composé d’inter-relations (arcs) et de composants (nœuds, point de croisement de plusieurs arcs). Ainsi, Gabriel DUPUY définit cinq propriétés de
ment, le tracé d’une ligne brisée qui part toujours en adjacence, une sorte de ligne de fuite active et créatrice… »2.
base des réseaux : « connexité, connectivité, homogénéité, isotropie et nodalité»1.
DELEUZE et GUATTARI insistent sur les flux créatifs amenés par l’ouverture des possibilités qui naît des frottements et confrontations multiples.
Une caractéristique majeure des réseaux est donc qu’ils offrent une multitude de parcours pour relier deux mêmes points ou transmettre un message. La racine latine du mot, « retis » signifiant « filet », offre une illustration graphique simplifiée de ce caractère. Le réseau s’oppose ainsi aux ensembles hiérarchiques ou aux autres systèmes centralisés tels que
En définissant, le terme « réseau » de manière générique, je souhaite insister sur le fait que, plus que par de simples applications matérielles (réseau télécom ou réseau de transports), il représente un système d’organisation émergent, qui transcende aujourd’hui différentes couches de la société et de la politique3...
les systèmes arborescents. Les philosophes Gilles DELEUZE et Félix GUATTARI, en faisant du rhizome un de leurs concepts centraux, décrivent la richesse intrinsèque de ce système
1 DELEUZE Gilles, GUATTARI Félix, Mille plateaux, Les Editions de Minuit, Paris, 1980 2 DELEUZE Gilles, PARNET Claire, Dialogues, Champs essais, Paris, 1996 3 ASCHER François, Métapolis ou l’avenir des villes, Odile Jacob, Paris, 1995
1Cité par ASCHER François in Métapolis ou l’avenir des villes, Odile Jacob, Paris, 1995.
63
Traduction sociétale : mise en place de logiques latérales
Manuel CASTELLS, dans son œuvre L’ère de l’information, affirme que ce changement de paradigme est du à la fois à la révolution culturelle et technolo-
Homogénéité et isotropie
gique, qui, prend réellement son essor ces vingt dernières années1. Il écrit dans La société en réseaux :
La forme d’organisation locale d’un système en
« Les réseaux constituent une nouvelle morphologie sociale de nos sociétés, et la logique de mise en ré-
réseau s’appuie sur l’égalité de pouvoir de ses membres et l’égalité de leur relation entre eux. C’est une remise en question des logiques représenta-
seau détermine largement les processus de produc-
tives et hiérarchisées. Très développée aux Etats
tion, d’expérience, de pouvoir et de culture »2
Unis et dans l’Europe du Nord1, elle s’appuie sur une
Ce changement de paradigme sociétal suppose des nouveaux médias qui renversent le fonctionnement hiérarchique existant et se base sur la participation et l’empowerment afin de stimuler la créativité et la pertinence dans la production médiatique.
confiance accordée aux individus et une conviction de leur responsabilité et capacité à gérer les affaires collectives ensemble. De cette manière, on espère que ce contrôle citoyen aura « un retentissement sur leur comportement collectif »2, Les initiatives habitantes, associations et coopératives, sont des illustrations de ce retournement d’une politique descendante à une politique « grassroot », basée sur l’action de l’ensemble des individus. DONZELOT oppose à l’intérêt général, principe que l’on retrouve en France, le bien commun, principe fondateur de l’organisation latérale :
1 TOMAS François (coordinateur et auteur), « L’espace public : un enjeu pour la ville » in Espaces publics, architecture et urbanité de part et d’autres de l’Atlantique, Publications de l’université de Saint Étienne, Saint Étienne, 2002 .
1,2,3 DONZELOT Jacques, EPSTEIN Renaud«Démocratie et participation : l’exemple de la rénovation urbaine.» in Esprit, n°326, 2006
2 CASTELLS Manuel, L’ère de l’information volume 1 : La société en réseaux, Fayard, Paris, 1996
64
« Au lieu de s’opposer aux intérêts particuliers, il (le
Saul ALINSKY résume ainsi les effets que pourrait
bien commun) cherche à les relier, à établir entre eux
avoir la mise en place de logique latérale :
un accord qui les traverse. Il ne prétend pas les fu-
« Le changement vient du pouvoir, et le pouvoir vient
sionner, les fondre dans une entité supérieure, mais
de l’organisation. Pour agir, les individus doivent se
trouver un point d’accord, un bénéfice pour cha-
rassembler.»1.
cun. »3.
Donner des possibilités de se rassembler et d’organiser, c’est permettre un retour des pratiques poli-
Le bien commun est l’expression d’une mise en ré-
tiques locales et émancipatrices dans l’espace public
seau de la prise de décision politique, où le mot « po-
et donc de réfléchir ensemble sur le bien commun.
litique » retrouve sa racine grecque « polis » et son sens premier de rapport aux affaires publiques.
Traduction programmatique : être un nœud dans le réseau
Connexité, connectivité et nodalité Si l’internet est l’une des mises en pratique existantes des logiques latérales, il est nécessaire d’effectuer des allers-retours constants entre internet et la réalité « pour ne pas laisser étouffer le caractère libérateur du web, par la technocratie et les puissances financières »1. Une des qualités d’internet est d’être un incubateur des actions qui se dérouleront dans l’espace public, une puissance à mettre les personnes en contact, à amplifier et partager les messages. Ainsi la mise en réseau de la société ne signifie pas sa numérisation mais plutôt la démultiplication des ca-
Pour réaliser cette transformation à l’échelle architecturale, il faut mettre en pratique cette logique du réseau en créant un « bâtiment-outil », disponible à tous et incubateur de participation dans l’espace public via la création de médias « latéraux », démocratiques et libres. Bâtiment-outil signifie que le bâtiment est un moyen d’action partagé. En 1971, Ivan ILLICH donne déjà, dans Une société sans école, une ébauche de ce que pourrait être ce type d’architecture pour les médias de cette époque :
pacités d’action des individus dans l’espace public.
1 DOUEIHI Milad, La Grande Conversion Numérique, Seuil, Paris, 2008
1 ALINSKY Saul, Etre radical : Manuel pragmatique pour radicaux réalistes, Les Editions Aden, Paris, 2012
65
« Pourquoi ne pas imaginer des volontaires impri-
Espace d’échange
mant des journaux dans chaque quartier urbain, ou
Échanger, c’est contrer l’isolation, avoir des possi-
dans un village, sur les presses et rotatives, rendues
bilités d’échanger malgré la division et individuation
accessibles au public ? »1
du monde. C’est aussi l’espace qui doit permettre au bâtiment de dépasser le statut de simple lieu de
Si cela reste à adapter à la société actuelle, ILLICH
diffusion pour devenir un espace collaboratif de créa-
introduit déjà l’idée d’un bâtiment comme ressource
tion, formation... La Eisfabrik devient alors un lieu de
libre et disponible pour les individus. Un bâtiment qui
réunion qui stimule les activités festives, collectives
serait donc un nœud, connecté à la ville et à ses ha-
et émancipatrices dans l’espace public. Cet espace
bitants à différentes échelles et niveaux, intégrant la
commun doit aussi servir de lieu physique de dif-
« décentralisation et la participation » comme mou-
fusion et de partage de la production médiatique.
vements essentiels de ce changement local.
L’échange est une valeur centrale d’une société en
2
réseau, il intervient donc dans toutes les sphères Au niveau du bâtiment, on peut identifier des sphères
d’activités dans un mouvement de partage multidi-
différentes d’activités. J’en différencie cinq qui en de
rectionnel.
nombreux endroits se rejoignent, s’enrichissent et
Espace de stockage
échangent.
Conserver, c’est pouvoir puiser dans les ressources existantes pour s’inspirer afin de créer de nouvelles choses. C’est aussi pouvoir mettre en perspective des documents de différentes époques, provenances, sources et/ou supports. Cet espace est 1
ILLICH Ivan, La convivialité, Seuil, Paris, 2003
une ressource à la fois pour la création médiatique et pour son apprentissage.
2 TOMAS François (coordinateur et auteur), « L’espace public : un enjeu pour la ville » in Espaces publics, architecture et urbanité de part et d’autres de l’Atlantique, Publications de l’université de Saint Étienne, Saint Étienne, 2002
66
Espace de travail
Espace d’apprentissage
Travailler est une étape préliminaire, simultanée et
« Les services d’échange des compétences, devront
postérieure de la création. En se basant sur des ser-
donc permettre, la réunion de personnes, dont l’une
vices communs mutualisés ( cuisine, équipements
est désireuse de transmettre, et l’autre de recevoir
techniques...) et en facilitant la dilatation ou le rétré-
une connaissance spécifique. »1
cissement de l’espace de travail, l’espace de travail devient un lieu de vie agréable, appropriable et
En posant ainsi les bases de l’éducation populaire
flexible.
et libre, ILLICH définit un cadre dans lequel peut se dérouler la formation. Cet apprentissage se base, en-
Espace de création
core une fois, sur une relation horizontale de « pair à
« Ne se contentant pas d’assurer la radiodiffusion au
pair » et non verticale de professeur à élèves. Il ima-
sens courant, celles ci installeraient des réseaux de
gine les formateurs comme « des gardiens ou des
télécommunications interactifs et multidirectionnels
guides de musées ou des bibliothécaires, plutôt qu’à
d’une grande flexibilité et d’une infinie complexité,
celle des enseignants»2.
dépassant la transmission « représentative » et sélective pour établir une communication de personne
Les espaces d’apprentissage sont liés aux es-
à personne et de personnes à personnes. »
paces de stockages, qui servent de ressources-mé-
L’espace de création doit être perméable avec l’es-
diathèques ainsi qu’aux espaces de travail, qui sont
pace public, susciter le dialogue, inventer des « nou-
des moyens de se former et d’apprendre en prati-
velles forces productrices et des nouveaux rapports
quant.
1
de production » . 2
Afin de pouvoir mettre en place ce programme, inSon défi est de stimuler la créativité, en proposant
dépendant de financements exclusifs public ou com-
des rapports entre émetteurs et récepteurs féconds,
mercial, il est nécessaire de faire une proposition de
perméables et inventifs qui offrent une plus grande
fonctionnement économique qui s’accordera avec la
liberté que les médias de masse. La production de
philosophie générale du projet : une mise en réseau
contenus créatifs, pertinents et inédits est un des ob-
à différentes échelles.
jectifs de l’espace de création. 1, 2 ILLICH Ivan, Une société sans école, Seuil, Paris, 1971 p143-148
1, 2 WILLIAMS Raymond, Culture et matérialisme, Les prairies ordinaires, Paris, 2009
67
`
^ Poles d’activites et leurs connexions pour le centre des medias libres de la Eisfabrik
`
68
`
Traduction programmatique ^ des poles d’activites
(schĂŠma personnel )
69
70
^
`
`
Batiment-outil et complementarite programmatique
Mise en réseau pour une alternative concrète Proposition économique et programmes complémentaires
71
`
`
1. La complementarite programmatique, une strategie pour l’independance `
`
Définitions Complémentarité programmatique
Interface
Se dit d’un projet architectural qui contient des pro-
(Langage informatique) point à la jonction ou sur-
grammes qui se complètent économiquement et/ou
face de contact entre plusieurs éléments permettant
fonctionnellement.
l’échange d’informations entre ces systèmes
Mutualisation
Transition
Mise en commun de moyens, regroupements de
Passage d’un état (ou d’un lieu) à un autre. La transi-
savoir faire afin de, d’une part, réduire les coûts
tion peut se dilater et devenir un espace à part entière
et, d’autre part, échanger des techniques et des
qui permet le changement d’état.
connaissances.
72
Logiques économiques : conservation et complémentarité
Comme nous l’avons déjà vu dans la partie «1/3 : Enjeux et ressources du site de la Eisfabrik ; Un patrimoine à conserver», une des propositions pour la viabilité économique du projet est de réutiliser l’existant. En ne détruisant pas les bâtiments présents, on garde la valeur des matériaux, de la main d’œuvre et de l’héritage patrimonial de ce type d’architecture industrielle. Toutefois, la volonté programmatique de construire un forum des médias appropriable et qui serait une boîte à outils à l’échelle locale et globale,
sins...), pensés comme partie intégrante du fonctionnement du projet. Quant à Berlin, le projet coopératif Holzmarkt e.G, déjà mentionné auparavant, s’inscrit pleinement dans cette logique pour assurer un fonctionnement économique du projet. Il mélange des programmes ambitieux ( tels que des jardins partagés et un parc aux bords de la Spree accessible à tous ou encore un centre des arts manuels ) et des programmes très lucratifs ( parmi lesquels un hôtel, un centre pour les
ne peut pas être seulement financé par une conser-
start-up, chercheurs et entreprises, un restaurant et
vation de l’existant.
une grosse boîte de nuit ).
Ainsi, le projet est conçu avec un programme complémentaire, une partie très rentable qui financera la partie indépendante, moins rentable.
L’avantage de ce type de programme est aussi d’attirer un public varié, qui pourra s’intéresser aux autres parties du projet grâce à leurs proximités. Encore
Complémentarité complémentarité
vivent 700 personnes, emploie 300 personnes dans les nombreux commerces et services (crèche, maga-
Conservation
Cette
A Zürich, la coopérative de logements Kraftwerk 1 où
économique
des
une fois on retrouve une synergie entre les différentes
pro-
grammes est utilisé dans plusieurs projets avec des programmes à but non lucratif. On peut citer à Paris, pour les projets culturels, le cinéma Grand Rex qui est complété par un immeuble de logements adjacents et pour le projet humanitaire, le siège social de Médecins sans frontière, lui aussi complété par du logement.
73
parties du programme, chacune s’augmentant mutuellement. Certes, la rentabilité du projet est assurée mais cet aspect pratique apporte aussi des avantages quant à la fréquentation du site et la mixité des usagers.
Plan de Holzmarkt e.G.(source : www.holzmarkteg.de )
Appliquer une complémentarité programmatique
Le but de ce type d’espace est de rassembler créatifs
dans le projet de la Eisfabrik signifie donc complé-
et intellectuels dans un mélange créatif entre convi-
ter le projet du centre de médias par une pépinière
vialité et travail.1 Le programme accueillera aussi un
d’entreprises dans les nouvelles technologies et des
espace de restauration/bar commun à la fois aux tra-
bureaux de coworking.
vailleurs des espaces de bureaux, aux participants du centre de médias alternatifs ainsi qu’aux passants
Le concept de co-working est de permettre aux
qui passeront par la promenade des quais et pour-
travailleurs indépendants, notamment dans les do-
ront s’arrêter à la fois dans ce bar/cafétéria à but
maines créatifs (graphiste, freelancer, architecte in-
commercial mais aussi dans la partie de promenade
dépendant, …) de ne pas rester isoler chez eux et de
et espace public le long des quais non commerciaux.
se retrouver dans des lieux identifiés, lieux de travail flexibles, ressemblant à ceux de l’entreprise tout en
Plus qu’un simple calcul économique, l’intérêt de
étant moins stricts. En effet, les travailleurs indépen-
programmes complémentaires est de créer une sy-
dants sont en dehors d’une organisation pyramidale
nergie en rassemblant des individus différents dans
hiérarchique. Cela demande une organisation spa-
un même espace.
tiale différente des bureaux traditionnels.
1 Site sur Holzmarkt eG : http://www.holzmarkteg.de/ seite/?/en/
74
Logiques architecturales : identités et interfaces
Les espaces de travail de la Eisfabrik ( montage, construction des décors...) seront aussi des espaces d’apprentissage de ces mêmes métiers. Ainsi comme précédemment expliqué dans la description
Identités Mélanger des programmes différents dans un même projet nécessite de pouvoir bien différencier les dif-
du programme, des espaces seront partagés par différentes actions. Des passerelles assureront la connexion entre les différents espaces. De plus, le
férents groupes programmatiques. Affirmer l’identité des différents espaces se réalise grâce à plusieurs procédés architecturaux. D’une part, les espaces de pépinières d’entreprise et de coworking seront installés dans des espaces différenciés du centre de médias. Le centre de médias investira le bâtiment historique de la Eisfabrik et son extension sur le toit. Quant aux bureaux, ils seront construits en face dans des bâtiments séparés. Cette séparation permet à la fois aux bâtiments de développer leurs systèmes de fonctionnement différents et leurs identités propres. Cette distinction se fera d’autant plus facilement que
travail de la différenciation de trois catégories de cour participera à l’inclusion d’un espace sur l’autre. Les cours qualifiées seront des lieux partagés entre les différents bâtiments.
Interfaces : interpénétration Des logiques d’inclusion entre différents éléments spatiaux seront aussi mis en place. Ces interfaces souligneront la perméabilité des différents espaces et leur rapprochement. Ils seront des moyens de stimuler la curiosité d’un public particulier vers un programme a priori non destiné. En ouvrant l’exté-
le bâtiment historique est existant et que les bâtiments de bureaux seront neufs.
rieur sur l’intérieur comme une fenêtre inversée, des
Interfaces : mutualisation
parence amenée par les fenêtres retravaillées de la
écrans et zones de projection compléteront la transEisfabrik. Ils offriront des perméabilités étendues et
D’une part, certains espaces seront mutualisés. On
définiront des interfaces d’échange supplémentaires,
a déjà évoqué la cafétéria mais le partage des espaces se prolonge à un niveau plus étendu dans tout le projet.
75
qui inciteront à la découverte de l’intérieur.
`
`
2. L’economie cooperative, une structure pour permettre le projet Définitions Coopération Action de collaborer à une action commune
Coopérative Entité économique dans laquelle les acteurs travaillent pour le bien commun de tous les acteurs du groupe. Un des buts est de participer à une synergie, où la somme des acteurs génère une valeur ajoutée, et une émulation entre les acteurs. Ils participent à la gestion et aux bénéfices de l’entité. Ce système suppose responsabilité personnelle, confiance entre les partenaires et compréhension mutuelle. Ce principe de gestion d’une société s’oppose à la concurrence et aux systèmes hiérarchiques.
76
L’économie coopérative, futur en commun
Dans son livre La troisième révolution industrielle, Jeremy RIFKIN, économiste américain, voit en l’éco-
On peut tracer les origines de structure coopérative
nomie coopérative, une possibilité de sortir de l’ère
dans les utopies socialistes du début de la société
économique en crise. Il écrit :
industrielle. En effet, il y a une parenté entre les ou-
« Nous pouvons apercevoir une nouvelle ère écono-
vriers recherchant à s’auto-organiser et les volontés
mique qui va nous faire sortir su mode industrieux,
plus récentes de démocratie dans l’organisation des
caractéristique des deux derniers siècles de dévelop-
entreprises ou associations et de leur économie. La
pement, et entrer dans un mode de vie coopératif. »1
philosophie de l’économie coopérative est de « se ré-
Il voit en les modes de production et de coopération
approprier tous les aspects de la gestion de nos vies
latérales, une alternative juste au système existant.
: les compétences, les savoirs-faire, l’autonomie et le lien social »1. Les caractéristiques d’une économie collaborative
Deux mots importants pour résumer le fonctionne-
sont les suivantes. La structure coopérative s’oppose
ment coopératif sont viabilité et synergie. La logique
aux systèmes hiérarchiques et prône un contrôle dé-
coopérative tend à une viabilité à long terme plutôt
mocratique : chacune des voix des coopérants a le
qu’un profit à court terme, de plus le bénéfice com-
même pouvoir de décision. Ainsi il n’y a pas une per-
mun est plus important que l’enrichissement per-
sonne prenant les décisions mais un groupe de coo-
sonnel. L’ensemble des coopérants travaillent en
pérants, c’est une gestion partagée de l’avenir de la
synergie, leur interaction dégage une valeur supplé-
structure. L’adhésion à la coopérative est libre. Un
mentaire à la somme de leur force ajoutée.
intérêt limité au capital, qui se traduit par la redistribution à tous les coopérants des profits excédentaires,
On peut voir ensuite comment procéder à une mise
une réserve en capital qui ne peut se partager afin de
en réseau du projet par l’économie coopérative à
subvenir à la structure en cas d’urgence et si jamais,
deux niveau différents : le niveau local et le niveau
la structure doit être dissolue le reste du capital sera
global.
affecté à un autre projet coopératif. 1 RIFKIN Jeremy, La troisième révolution industrielle, Les liens qui libèrent, Paris, 2012
1Site sur l’économie coopérative : www.coops.org
77
Niveau local : possibilités allemandes
Le fonctionnement coopératif permet comme, le montre les exemples de Spreefeld et de Holzmarkt, la cohabitation et des investissements multiples et
Les constructions coopératives (Wohn- und Bauge-
différenciés. Les fondateurs du projet expliquent ainsi
nossenschaft, habitat et équipement) sont très pré-
leur choix de la coopérative :
sentes en Allemagne et connaissent une augmentation des projets proposés ces derniers temps. Les principes coopératifs se retrouvent « la limitation du prix des loyers ( et donc lutte contre l’expulsion et la spéculation immobilière ) et des services de gestion, le prix coûtant, la limitation des dividendes annuels et l’obligation de réinvestissement des profits réalisés dans l’amélioration du bâti et de l’habitat.»1.
Holzmarkt, devra, par dessous tout, préserver la liberté créative. Elle offre, à la fois aux citoyens et investisseurs, l’opportunité de modeler et de participer au projet »1. Le principe permet, d’une part, d’accueillir des investisseurs grâce à des programmes très lucratifs
Contrairement à la France, ces coopératives peuvent
( bureaux et nouvelles technologies ), ainsi de finan-
avoir des locataires ( la loi Chalandon interdit la location coopérative en 1971 en France2). Ce cadre décrit donc une différence majeure dans l’idée du fonctionnement coopératif : les coopérants ne s’engagent pas nécessairement sur leur durée de vie. Par la même, lorsqu’ils contribuent à la conception ou à l’amélioration du bâtiment, c’est sous l’angle du bien commun dénué d’un intérêt personnel trop impor-
cer un programme moins rentable. D’autre part, de conserver l’indépendance des contenus ainsi que l’esprit général du projet, notamment par la présence de chaque coopérant au cours des votes : pas de représentant non élu ou de prévalence des intérêts financiers sur le bien commun et la philosophie du projet. Voici, par exemple, un diagramme du fonctionnement en coopérative de Holzmarkt :
tant.
1, 2
« La coopérative, fondé par les initiateurs du projet
1 Traduit personnellement de l’anglais depuis le site officiel du projet http://www.holzmarkteg.de/
Site sur l’habitat coopératif : www.habicoop.com
78
(Tableau extrait du site de Holzmarkt e.G, traduction personnelle )
79
Niveau global : un nœud dans le réseau On compte beaucoup de médias alternatifs, locaux
Ainsi le lieu est la rencontre de ces multiples associa-
et/ou auto-organisés en Europe et dans le monde. Ils
tions et devient donc de facto un centre d’échange et
apportent des idées non diffusées dans les médias
de confluence de différent acteurs. Les espaces de
de masse ou simplement plus dirigées vers les com-
la Eisfabrik peuvent donc aussi accueillir des sémi-
munautés locales, par exemple télévision régionale
naires européens ou rencontres internationales.
ou d’une ville. On peut par exemple citer Okto TV à Vienne en Autriche, Clot RTV à Barcelone, Espagne, TV nova à Bruxelles, Belgique ou encore Community
Ces rencontres peuvent s’organiser sur Internet où
media Network en Irlande.
des plateformes d’échanges tels que Indymedia qui propose déjà de partager les articles, photos, vidéos
Il est donc intéressant de prolonger et renforcer les
et informations libres avec des plateformes natio-
actions communes déjà existantes. Le centre de mé-
nales et internationales.
dias libres de la Eisfabrik sera le nœud d’un réseau plus large déjà existant. Il n’est pas conçu comme
Créer un réseau spécifique permettra d’enrichir les
le « siège social » d’une chaîne de télévision ou sta-
approches et de créer une émulation entre tous les
tion de radio particulière mais plutôt comme un outil
différentes plateformes
partagé à disposition des associations qui souhaitent l’utiliser et qui adhère donc à la coopérative de la Eisfabrik.
80
Différentes radios/ télévisions / journaux indépendants en Europe : Zalea TV à Marseille, Okto TV à Vienne, Rue 89 à Paris et Radio Helsinki à Graz ( photos extraites des sites internet respectifs)
81
`
3.Une posture face a` Mediaspree, faire reseau Le projet de la Eisfabrik s’insère donc dans le périmètre Mediaspree, tout en en réadaptant les aspects qui ne correspondent plus à la situation actuelle. Je différencie ici en quatre points comment la Eisfabrik doit pouvoir activer une logique de participation à la fois locale et globale.
Transformer plutôt que détruire
Impulser les échanges latéraux dans le quartier
Plutôt que prôner une tabula rasa, qui viserait à effacer le passé industriel de ce quartier de Berlin,
Le programme du projet se propose d’être un lieu
pour y réécrire une histoire, il me semble important
d’expression libre ouvert sur l’espace public. Sa
de conserver l’existant. Et cela pour deux raisons,
structure horizontale doit permettre des interactions
d’une part : ce bâti représente une ressource déjà
plus libres entre un quartier populaire, artistique et
bâtie, avec peu de dégâts, qu’il est donc potentiel-
militant. Il s’agit donc de corroborer l’engagement
lement possible de réhabiliter pour créer un projet à
militant du quartier d’offrir une plateforme d’échange
moindre coût, d’autre part, transformer le bâtiment,
à l’échelle à la fois du quartier et à l’échelle d’un ré-
c’est considérer les multiples vies de l’endroit et sa
seau plus large, celui des médias alternatifs.
capacité à continuer d’évoluer. Dans cette dernière optique, la végétation présente sur le terrain a grandi
Pour cela l’espace public est travaillé de façon à sti-
et a été entretenue pendant 20 ans, elle constitue
muler les perméabilités entre l’intérieur et l’extérieur.
un paysage spontané et agréable, une réserve natu-
La promenade des quais amène vers le bâtiment et
relle, qu’il est intéressant de conserver. C’est donc se
invite à entrer. Qualifier l’espace public c’est le rendre
poser dans une position différente que celle de Me-
appropriable par tous plutôt que d’y voir un espace
diaspree que d’affirmer que l’on peut objectivement
générique de passage, à tous par défaut.
considérer les qualités de l’existant et les conserver.
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Inventer un programme complémentaire et créer des synergies
Proposer la logique bottom up dans Mediaspree, le projet top down
Afin d’amener des personnes différentes à se rencon-
Le projet coopératif contribue aussi à un mouvement
trer et de mélanger les échelles, locale et globale, le
de fond, qui prend appui sur les échecs (analysés en
projet se présente comme un mélange de différents
partie 1/1) de Mediaspree, pour proposer une alter-
programmes. Cette multiplicité permet l’échange, la
native créative et peu à peu offrir un autre modèle
rencontre et la rationalité économique du projet. Ain-
maillé plus finement dans le tissu urbain. Il s’agit de
si, il se présente comme un lieu comportant à la fois
montrer que des alternatives portées par les habi-
des espaces techniques dédiés rassemblés, qu’en-
tants des quartiers peuvent être rentables, avec un
veloppe un espace public étendu qui se déploie de
dessin intéressant de l’espace public. Elles peuvent
l’extérieur vers l’intérieur et de l’intérieur vers l’exté-
créer de la vie et de l’activité dans l’espace public et
rieur.
se baser sur cette capacité pour proposer un projet perméable et ambitieux dans son programme et
Rassembler des fonctions différentes, c’est créer une
dans son architecture.
proximité vertueuse, qui stimule des synergies et provoque des échanges qui n’aurait pas eu lieu sans la Eisfabrik. Ce parti pris, tire aussi avantage des trois accès différenciés du bâtiment et en fait un lieu central, accessible depuis Köpenicker strasse, depuis le quai à l’ouest et à l’est. Un point de rencontre au bord de la Spree, plutôt qu’une enclave solitaire.
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D’autre part, le changement de fond, analysé par
Conclusion
Manuel CASTELLS, du passage vers une société de l’information et d’un monde en réseau, change la relation des individus aux médias. Le programme de la Eisfabrik vise donc à créer un centre des médias qui
Pour conclure, la posture adoptée pour la recon-
renverserait le système descendant. Le « public » de-
version de la Eisfabrik résulte d’une analyse urbaine
viendrait donc émetteur-récepteur plutôt que specta-
d’un projet urbain essouflé Mediaspree et l’idenfi-
teur. Le large espace public et les quais proches de
cation d’un besoin d’expression et de participation,
la Eisfabrik devenant un démultiplicateur de l’action à
un questionnement philosophique et critique sur les
l’intérieur du centre.
médias et leurs capacités à répondre à ce besoin et enfin une position sur des propositions d’alternatives
Enfin, ce changement sociétal se traduit aussi par la
réalistes et rentables pour la mise en place du projet.
redécouverte de formes de gestion coopérative qui permettent une complémentarité des programmes.
D’une part, à l’échelle urbaine, dépasser le projet ur-
L’économie coopérative se développe sur une struc-
bain existant, c’est justement conserver les bâtiments
ture latérale ou horizontale, qui correspond aux
qu’il tend à détruire. Ces bâtiments représentent une
bases philosophiques du projet. La complémentarité
ressource et un atout pour le projet à venir, tout au-
économique permet de concevoir une alternative ré-
tant que les pratiques et usages, qui soulignent, une
aliste et rentable et de stimuler les interactions dans
reconquête et des qualifications de l’espace public
l’espace public en attirant des publics différents.
par les individus. Les pistes lancées par les projets en cours permettent d’imaginer quel futur se dessine
Finalement, pour moi, s’inscrire dans une logique de
pour les projets, qui dans le périmètre Mediaspree,
mise en réseau du projet architectural d’un centre
se proposent d’expérimenter une autre forme d’ar-
des médias libres c’est permettre à la ville d’être vé-
chitecture et de relations à la ville.
cue pleinement par ses habitants et visiteurs, d’impulser un dialogue permanent dans l’espace public et de s’inscrire comme acteur décidé d’un changement déjà en marche.
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Berlin depuis une fenêtre de la Eisfabrik ( tour TV, grue, cheminée d’une ancienne usine ) Photo personnelle 85
Mediagraphie Berlin
Livres
• COMBES Sonia, DUFRÊNE Thierry, ROBIN Régine, Berlin : l’effacement des traces : 1989 2009, Fage Editions, Paris, 2009 • LABOREY Claire, Berlin quoi de neuf depuis la chute du mur ?, Editions Autrement, Paris, 2009 • OSWALT Philipp, Berlin City of the 20th century, Edition Miriam Wiesel, Berlin, 1998 • OVERMEYER Klaus, Urban Pioneers – Temporary Use and Urban Development in Berlin, Jovis, Berlin, 2007 • STIMMANN Hans, Berlin :1940-1 953-1 989-2000-2010 : physionomie d’une mégapole, Skira, Berlin, 2000
Revues
• Civic Friche, journal of emergent urbanity, Le zine n°1, Paris, 2010 • AUGE Marc, «La frontière ineffaçable : un ethnologue sur les traces du mur de Berlin», Le Monde Diplomatique, 2001
Site internet
• “La gazette de Berlin”, journal sur l’actualité berlinoise en français :
http://www.lagazettedeberlin.de/zwischennutzung.html
http://www.lagazettedeberlin.de/berge_spree.html
• Site internet de la municipalité de Berlin : cartes historique et cadastre berlinois
http://fbinter.stadt-berlin.de/fb/index.jsp
• Site regroupant des données sur la Eisfabrik : http://www.berlineisfabrik.de • Site d’information contre le projet Mediaspree : http://www.ms-versenken.org/ • “Ex-Berliner”, magazine sur l’actualité berlinoise en anglais :
http://www.exberliner.com/articles/third-way-on-the-spree%3F/
http://www.exberliner.com/articles/das-kapital-and-the-clubs/
• Site sur Holzmarkt eG : http://www.holzmarkteg.de/seite/?/en/
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Mémoire
• LAURENCE Juliette, Flusstraum, le songe du bord de l’eau, ENSAPM, 2012 • PAUQUET Sandra, “Territoires actuels”, vers un nouvel espace public? : des errances dans la friche du ost Strand à Berlin, ENSAPM, 2005
Films
• WENDERS Wim, Les ailes du désir, Argos films, Paris, 1987
Radio
• MERMET Daniel, Là bas si j’y suis, 1989-2009 - Berlin, il y a 20 ans …, France Inter, Paris, 2009
• STÖHR Hannes, Berlin Calling, Sabotage Films GmbH, Stoehrfilm, 2008
http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=1773
Espaces publics
Livres
• DELBAERE Denis, Paysages de la ville la fabrique contemporaine de l’espace public, Ellipses Marketing, 2010 • MAGNAGHI Alberto, Le projet local, Editions Mardaga, Paris, 2003 • PAQUOT Thierry, L’espace public, Editions la Découverte, Paris, 2009 • TOMAS François (coordinateur et auteur), « L’espace public : un enjeu pour la ville » in
Espaces publics, architecture et urbanité de part et d’autres de l’Atlantique, Publications de l’université de Saint Étienne, Saint Étienne, 2002
Revues
• DONZELOT Jacques, EPSTEIN Renaud «Démocratie et participation : l’exemple de la rénovation urbaine.» in Esprit, n°326, 2006 • FLEURY Antoine, «Public/privé : la (re)distribution des rôles dans la production des espaces publics à Paris et à Berlin», sur metropoles.revues.org, 2010
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Médias / Sphère publique
Livres
• BOUDON Jérôme, Introduction aux médias, Clefs politiques, Paris, 2009 • CARDON Dominique, La démocratie Internet : Promesses et limites, Seuil, Paris, 2010 • DOUEIHI Milad, La Grande Conversion Numérique, Seuil, Paris, 2008 • FRASER Nancy, « Repenser le sphère publique : une contribution à la critique de la démocratie telle qu’elle existe réellement » in sous la direction de CALHOUN Craig, Habermas and the Public Sphere, MIT Press, Cambridge, 1992 • HABERMAS Jürgen, L’espace public, Payot, Paris, 1988 • Mc LUHAN Marshall, FIORE Quentin, The Medium is the Massage : An Inventory of Effects, Ginkgo press, Berkeley, 2005 • Mc LUHAN Marshall, Pour comprendre les médias : Les prolongements technologiques de l’homme, Seuil, Paris, 1977 • MEIRIEU Philippe, Une autre télévision est possible, Chronique Sociale, Paris, 2007 • PARENT Véronique, Enquête sur les sièges de l’info, Pavillon de l’Arsenal, Paris, 1994 • POLOMÉ Pierre, Les médias sur internet, Editions Milan, Paris, 2009 • WILLIAMS Raymond, Culture et matérialisme, Les prairies ordinaires, Paris, 2009
Revues
• Magazine Mouvements des idées et des luttes, «Critiquer les médias ?», La découverte, Paris, janvier-mars 2010. • Magazine Problèmes politiques et sociaux, «Internet : la révolution des savoirs», n°978, Paris, 2010 • AcriMed, Observatoire des médias, magazine et web-mag, Action Critique Médias, Paris :
Site internet
http://www.acrimed.org/
• Bureau d’études, site du collectif d’artistes : http://bureaudetudes.org/about/ • Indymedia, site d’information alternative mondiale et locale: http://www.indymedia.org/ • Les renseignements généraux, information libre, thème médias :
http://www.les-renseignements-genereux.org/themes/6280
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Films
• ACHBAR Mark, WINTONICK Peter, Manufacturing Consent : Noam Chomsky and the Media, BFI, USA, 1992 • BALBASTRE Gilles, KERGOAT Yannick, Les nouveaux chiens de gardes, d’après le livre du même nom de HALIMI Serge, Epicentre films, Paris, 2012
Livres
Réseau, convivialité, partage / Philosophie • ALINSKY Saul, Etre radical : Manuel pragmatique pour radicaux réalistes, Les Editions Aden, Paris, 2012 • ASCHER François, Métapolis ou l’avenir des villes, Odile Jacob, Paris, 1995 • HAKIM BEY, T.A.Z., L’éclat, Paris, 1998 • CASTELLS Manuel, L’ère de l’information volume 1 : La société en réseaux, Fayard, Paris, 1996 • DELEUZE Gilles, GUATTARI Félix, Mille plateaux, Les Editions de Minuit, Paris, 1980 • DELEUZE Gilles, PARNET Claire, Dialogues, Champs essais, Paris, 1996 • ENGELS Friedrich, MARX Karl, Manifeste du parti communiste, Flammarion, Paris, 1999 • ILLICH Ivan, La convivialité, Seuil, Paris, 2003 • ILLICH Ivan, Une société sans école, Seuil, Paris, 1971 • LEFEBVRE Henri, Le droit à la ville, Ellipses, Paris, 1968 • LOUBES Jean-Paul, Traité d’architecture sauvage, Le Sextant, Paris, 2010 • NORBERG SCHULZ Christian, Système logique de l’architecture, Mardaga, Paris,1974 • P.M., Bolo Bolo, L’éclat, Paris, 1998 • RIFKIN Jeremy, La troisième révolution industrielle, Les liens qui libèrent, Paris, 2012
Site web
• Site sur l’habitat coopératif : www.habicoop.com • Site sur l’économie coopérative : www.coops.org
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^ Fenetre sur espace public Eisfabrik, mise en réseau d’un centre des médias libres Berlin, 2013, plus de vingt ans après la chute du mur, Mediaspree, un méga projet urbain est en perte de vitesse. Il fut pensé à la réunification, afin de créer un quartier des médias et télécoms sur les bords de Spree désindustrialisés. Aujourd’hui, les manifestations des riverains et la crise économique de 2008 remettent en cause la pertinence de ce type de projet urbain descendant. Une brèche s’ouvre et une nouvelle logique s’impose. La réhabilitation de la Eisfabrik, ancienne usine frigorifique située dans le périmètre du projet Mediaspree, me permettra de tirer parti du passage à une société en réseau pour penser une nouvelle architecture des médias. Ce centre des médias libres et espace de co-working s’appuiera sur les dynamiques citoyennes urbaines. Il en amplifiera les voix et impulsera un dialogue permanent dans l’espace public. La Eisfabrik sera donc l’actrice décidée d’un renversement déjà en marche dans les médias autant que dans la société. L’image de couverture est une oeuvre intitulée « Fashion network»de l’artiste turc Burak ARIKAN