Une collection d’outils à emprunter
Usages disparus et prolifération
Cueillir une canne
Jardiner le cannier
Travailler la canne
Ébrancher la canne
Refendre la canne
Le sens de la canne
Affiner une éclisse
Planter un piquet
Tresser la canne
Conception, texte et dessins : collectif SAFI (Stéphane Brisset et Dalila Ladjal)
Photos : Geoffroy Mathieu (couverture et p.5, 34 et 38), Charly Fox (p.2 et 6), Grégoire Laude (p.39), SAFI (autres photos)
Relecture : Julie De Muer et Mathilde Rouzies
Graphisme : Atelier Moustier
Introduction
Depuis la nuit des temps, la canne de Provence est la plante à tout faire des civilisations méditerranéennes. Elle nous accompagne si bien et depuis si longtemps que mille gestes ont été produits pour la travailler. Au fil du temps, elle a pourtant été délaissée pour le plastique qui, petit à petit, l’a remplacée. Aujourd’hui, elle est devenue envahissante, notamment le long des berges et dans les milieux humides, où elle pose des problèmes de gestion. Ainsi, l’abandon et le manque d’usage ont fait disparaître ses vertus et disqualifié la canne. Partant de ce constat, le collectif d’artistes SAFI propose d’explorer l’hypothèse de vivre avec la canne et souhaite développer les usages qui jardinent les canniers et prennent soin de la rivière. C’est en observant les gestes et outils des vanniers espagnols et marocains, où l’usage de la canne est encore bien présent, que le collectif SAFI a imaginé et (re)dessiné un ensemble d’outils, une mallette, qui contient le nécessaire au travail de la canne.
À partir d’une série de chantiers collectifs qui ont réuni des citoyens et des acteurs engagés autour des rivières, ils ont retrouvé les gestes de tressage et de construction puis imaginé ce cahier d’exercices. Ils ont également conçu et édité en trois exemplaires, une mallette d’outils pour travailler la canne qui peuvent être empruntées pour animer la gestion des canniers à proximité des rivières gérées par l’Epage HuCA.
Ce projet, porté par le collectif SAFI et le Bureau des guides du GR2013, s’inscrit dans le cadre des actions portées par le collectif des gammares qui réunit des associations et acteurs actifs le long du ruisseau des Aygalades. Il fait partie des actions soutenues par l’EPAGE HuCa (Établissement public d’aménagement et de gestion des eaux Huveaune – Côtiers –Aygalades) avec la vocation de tisser des liens entre communautés riveraines des fleuves côtiers, Aygalades et Huveaune.
Une collection d’outils à emprunter
La mallette contient un ébrancheur et deux fendoirs.
Fendoirs
Les fendoirs sont utilisés pour refendre la canne en 4 éclisses. Les diamètres des fendoirs s’adaptent aux cannes les plus courantes mais aussi à la dimension de vos mains. C’est en les utilisant que vous choisirez votre instrument de prédilection.
Ébrancheur
L’ébrancheur sert, après la coupe, à enlever les ramifications et les gaines sèches des feuilles pour obtenir un chaume lisse, prêt à être refendu.
3 mallettes peuvent être empruntées en envoyant un mail à : collectifgammares@gmail.com
Matériel supplémentaire à prévoir
·1 scie ou un coupe branche
·1 couteau (type opinel N° 12)
·1 paire de gants en cuir (pas de caoutchouc qui se déchire trop vite)
·1 morceau de cuir épais (pour affiner les éclisses)
Et pour les exercices : ficelle, piquets, masse, baramine, scotch papier, marteau, clous, mètre.
Usages disparus et prolifération
Arundo Donax est le nom scientifique de la canne. Son nom vient du celtique Aru qui désigne l’eau et du latin Donax, le roseau. Cette herbe géante possède une tige très haute (jusqu’à 8 m), creuse et entrecoupée de nœuds, ce qui lui offre une rigidité exceptionnelle. C’est la seule graminée méditerranéenne à fleurir à l’automne, mais ses fleurs, presque toutes stériles, sont inutiles car la plante se reproduit essentiellement par multiplication végétative du rhizome. Travaillée depuis l’antiquité pour ces nombreux usages (tuteurs, tuyaux, étuis, récipients, flotteurs, emballages, instruments, calames, brise vents, canisses…), la canne a suivi les humains dans ses migrations. En rejetant des fragments de rhizome, ils ont favorisé sa dispersion et c’est donc naturellement qu’on retrouve la canne dans les lieux humides le long des fleuves et jusque dans les villes.
La canne contribue à faire de l’ombre et à stabiliser les berges, mais lorsqu’elle n’est pas récoltée, elle peut aussi devenir envahissante. Elle pose alors des pro- blèmes de gestion, notamment lors de fortes pluies où l’excès de matière sèche peut tomber dans l’eau, arracher la berge et former des embâcles qui feront déborder la rivière. Il est donc nécessaire de réaliser des gestes de gestion qui sont souvent intrusifs et onéreux. Renouer avec l’usage de la canne, pourrait être une manière de participer à la gestion raisonnée des berges.
« Prélever des cannes peut être l’occasion d’enlever les chaumes secs, de créer des alcôves dans les canniers, des circulations qui font entrer la lumière et invitent les autres plantes. »
Cueillir une canne
Pour les exercices présentésdansle livret, la canne est récoltée àpartirde2ans,avec ramifications au fur et à mesure des besoins.
Important : mettre des gants en cuir
La canne contient de la silice (comme le verre) elle est donc extrêmement coupante
La coupe se fait à la scie ou au coupe-branche, au plus près de la racine.
Une fois la canne enlevée, le morceau resté au sol peut être recoupé pour éviter les stagnations d’eau (moins de moustiques) et le pourrissement du rhizome.
Les cannes se travaillent à différents stades de maturité.
À chaque âge,
son usage
Avant 2 ans
Sans ramification (Verte)
Souple et cassante, elle peut être mise en forme par étuvage.
En Arménie, l’embouchure de la flûte traditionnelle, le duduk, est fabriquée à partir d’un morceau de canne verte mise en forme en étuve.
À partir de 2 ans
Avec ramification (Légèrement jaune-verte)
Les fibres qui composent le chaume sont solidifiées mais lui reste souple. C’est le stade parfait pour que la canne soit refendue et tressée.
Après 3 ans
Sèche (jaune)
C’est dans ces chaumes presque secs qu’on fait des tuteurs. la canne s’utilise alors entière et devient difficile à refendre.
Jardiner le cannier
Cueillir des cannes, c’est prélever la matière dont vous avez besoin mais aussi prendre soin de la rivière en « cultivant » votre cannier.
Pour cela il s’agit d’enlever au fur-et-à-mesure la matière sèche (faire un tas de cannes coupées) et « conduire » votre cannier, en prélevant les cannes de l’extérieur vers l’intérieur Cela crée des alcôves et des trouées qui limitent l’expansion du cannier et favorisent l’installation de plantes, souvent des lianes. (Plus de biodiversité). Après la cueillette, nettoyez bien votre zone de travail, on ne devrait pas, ou peu, voir qu’un prélèvement a eu lieu. Ne laissez pas de morceaux de rhizome, à moins de vouloir planter un nouveau cannier.
Ébrancher la canne
Pied
Enlever les premières branchettes à la main, placer la cime de la canne dans l’ébrancheur. Avancer vers le pied, en tirant sur la canne. Enlever toutes les ramifications et racler les feuilles pour obtenir une canne parfaitement lisse.
Tirer sur la canne, dans un geste qui va de la cime vers le pied.
Faire des fagots de 10 cannes pour les transporter. un chaume
Refendre la canne
1.
Couper la canne sous un nœud. Faire une croix avec un couteau pour fendre le chaume en 4. Pour cela, poser le couteau, sans forcer, et effectuer un mouvement de va-et-vient. Dès que le couteau a entamé le chaume, faire un geste de rotation de la main (comme lorsqu’on tourne une clé dans une serrure). Ouvrir la canne en suivant les fibres et en dépassant le 1er nœud.
Placer votre main sous un nœud pour la proteger.
Important : mettre des gants en cuir
Vous obtenez 4 éclisses.
Lorsque que vous avez fendu environ un tiers de la canne, placez-vous de manière à ne pas courber et casser les éclisses. Trier ensuite les éclisses par largeur. Utilisez-les dans les jours qui viennent.
Glisser le fendoir entre les 4 morceaux de canne. Le faire avancer en donnant un à-coup au niveau des nœuds. Penser à maintenir le fendoir dans l’axe de la canne.
Le sens de la canne
LA FACE VERNIE
La canne possède une surface vernie qui la protège des intempéries. Lorsqu’elle est refendue en éclisse, la face vernie est capable de supporter les courbures. Elle est utilisée comme la face visible dans tous les exercices suivants.
Face vernie (endroit) au-dessus, ça claque, mais ça ne casse pas !
Face mat (envers) au-dessus, ça casse !
Faire une boucle aide parfois lors du tressage. Pour enrouler l’éclisse, placer la face vernie vers l’extérieur.
CLACK
CRRACK
Affiner une éclisse
Affiner une éclisse permet de l’assouplir. Cela la rend régulière et favorise une courbure homogène. Trop affinée, c’est l’effet inverse. C’est donc une histoire d’équilibre. On peut aussi faire « claquer » la canne pour l’assouplir.
Tirer l’éclisse vers l’arrière pour enlever les noeuds.
Poser une éclisse fraîchement fendue sur un morceau de cuir placé sur votre genou, face mat vers vous.
1. 2.
Enlever les nœuds au couteau. Puis placer le couteau à l’horizontale, tirer l’éclisse vers l’arrière
supprimer de la matière pour obtenir une éclisse
Planter des piquets
Faire un trou
Soulever la baramine, la laisser retomber de tout son poids, puis la tourner pour agrandir le trou. Recommencer jusqu’à atteindre la profondeur voulue (env. 1/3 du piquet). L’axe du trou est important, s’il n’est pas perpendiculaire, votre piquet se positionnera mal.
Une ficelle tendue permet d’aligner les piquets.
Perpendiculaire au sol
Enfoncer le piquet à la masse en veillant à ce qu’il soit bien droit.
Au cordeau
Planter un nombre impair de piquets également repartis.
Planter un piquet à chaque extrémité du futur tressage mesurer la distance entre les deux. Diviser cette distance par l’espacement voulu entre chaque piquet (souvent 25 cm).
Exemple : Longueur du tressage : 375 cm ÷ 25 = 15. Je plante donc 15 piquets avec 25 cm cm entre chaque piquet.
Pour faire un tressage courbe, placer un repère le plus à l’extérieur de l’arc voulu. Avec une corde, ou mentalement, tracer un cercle qui passe par ce repère et les 2 piquets. Mesurer l’arc pour connaitre le nombre de piquets.
Choisir ses piquets
Nous utilisons souvent des piquets carrés en châtaigner, appelés échalas, mais on peut utiliser des piquets ronds, un chaume de canne, ou une canne vivante. Dans ce cas, il durera moins longtemps.
Tresser la canne
Ajouter des éclisses
Les nouvelles éclisses sont placées derrière un piquet, exactement là où s’est arrêtée la précédente. Les erreurs de tressage sont souvent dues à des décalages dans le démarrage des éclisses. Une éclisse terminée en cime, est remplacée par une cime de la même largeur, mais pour équilibrer le tressage on peut repartir en pied.
Trier les éclisses
Trier vos éclisses par largeurs. Des éclisses homogènes favorisent un travail régulier. Les faire claquer ou les affiner.
Démarrer et terminer derrière un piquet
Pour tresser, passer une éclisse devant ou derrière chaque piquet. La face vernie est du côté visible.
Tresser comme un fil continu
Aux extrémités, faites demi-tour. L’éclisse peut casser, allez-y doucement. Plaquer l’éclisse contre le montant avec une main, de l’autre tenez l’éclisse légèrement vers le haut. Une boucle peut aider à la tenir si vous avez peu d’espace.
Une petite torsion
Au demi-tour, effectuer une torsion de l’éclisse pour maintenir la face brillante toujours devant vous.
Un tressage régulier
Tasser régulièrement le tressage. Observer sa régularité. Le tressage fini, couper les éclisses 15 cm après chaque montant (il y a du retrait en séchant.)
Un canissos
exercice 1
Matériel
Cannes entières, éclisses, piquets, baramine, masse, sécateurs, chambre à air ou ficelle
1.
Réaliser une « chèvre » en fixant deux piquets dans le sol reliés par une traverse. Utiliser de la chambre à air ou de la ficelle pour les ligatures.
2.
Préparer un « cadre » selon vos dimensions (max : Larg 1m20 x 3 m) : Sur une canne, fixer un nombre impair de montants (des fagots de 2 ou 3 cannes). Repartir régulièrement les espaces. Fixer les montants aux extrémités sur la chèvre, ceux du milieu sont juste posés..
3.
Préparer des éclisses homogènes, non affinés.
4.
Démarrer derrière le 2e ou le 3e montant. Passer dessus ou dessous chaque montant, en soulevant ceux du milieu si besoin. Faire une boucle avec l’éclisse facilite la manœuvre.
Et voilà le travail !
Démarrer chaque nouvelle éclisse là où s’est arrêtée la dernière. Aux extrémités, avec le pouce, bien plaquer l’éclisse contre le montant, faire un demitour et poursuivre le tressage. Veillez à ne pas déformer le cadre.
Réaliser une torsion pour garder la face brillante vers vous. Tasser régulièrement le tressage. Terminer, en attachant une barre transversale qui empêche les éclisses de se défaire. Couper ce qui dépasse à l’arrière. 5. 6.
Une clotûre
Matériel
Éclisses, piquets, mètre, baramine, masse, cordeau (ficelle), scie, sécateur, marteau, clous
Préparer des éclisses homogènes.
Délimiter la longueur de votre tressage en plantant un piquet à chaque extrémité. 2.
Planter un nombre impair de piquets, bien droits et régulièrement espacés. Penser à placer une face contre le futur tressage.
Démarrer le tressage derrière le 2e ou 3e montant. Partir vers la droite ou la gauche peu importe. Passer devant ou derrière chaque piquet.
Les éclisses sont tressées, face vernie vers vous.
Observer régulièrement le tressage pour l’équilibrer. Lorsque qu’une éclisse se termine, redémarrer avec une de la même épaisseur, en plaçant celle-ci précisément à l’endroit ou se termine la précédente (voir page 10).
Effectuer une torsion pour avoir toujours la face vernie vers vous.
Terminer le tressage en plantant de petits clous à travers les éclisses.
Couper ce qui dépasse à l’arrière du tressage, scier les piquets pour égaliser la hauteur.
Et voilà le travail !
Un tressage flou
Éclisses, sécateur, ficelle ou scotch-papier exercice 3
Continuer à entremêler des éclisses jusqu’à ce que le tissage soit suffisamment ferme pour être soulevé.
Soulever le tressage pour trouver une forme, une architecture. Consolider en ajoutant des cannes, entières si besoin. Finaliser en coupant ce qui dépasse.
Matériel
Préparer des éclisses. et enlever les noeuds pour les glisser plus facilement les unes sous les autres.
2. 1.
Poser des éclisses au sol en les passant dessus puis dessous. Le motif peut être aléatoire ou régulier.
Et voilà le travail !
Une boule
Préparer des éclisses affinées.
Dessiner au sol un cercle à la dimension voulue.
Avec une éclisse, faire un cercle le plus rond possible, le scotcher pour le tenir en forme.
Fabriquer une croix, avec 2 morceaux de canne de même taille, la scotcher pour équerrer le cercle.
exercice 4 Matériel
2 morceaux de canne, éclisses, scotch-papier, craie, mètre.
Ajouter des cercles pour compléter la sphère.
Vérifier régulièrement les écarts. Ajouter du scotch pour maintenir les éléments.
Et voilà le travail !
Ajouter des éclisses en passant par-dessus et par-dessous des cercles, jusqu’à ce que la boule soit solide.
4. 5.
Scotch papier
Pour finir, enlever le scotch et la croix en canne à l’intérieur.
Collectif SAFI collectifsafi.com
Ce collectif d’artistes, marcheurs-cueilleurs travaille, apprend, rêve, partage, imagine et transmet à partir du végétal. Basés à Marseille, ils arpentent la ville et ses environs depuis de nombreuses années à la recherche de ressources insoupçonnées. C’est ainsi qu’ils ont découvert la Canne de Provence et ses multiples vertus, mais aussi Caravelle-Aygalades, un petit fil d’eau qui deviendra l’objet de leurs attentions partagées avec le collectif des Gammares.
Les Gammares collectifdesgammares.com
Caravelle-Aygalades a vu fleurir le long de ses berges des citoyens et des structures qui se sont mobilisés pour en prendre soin. En 2019, ces initiatives se sont structurées autour du collectif des Gammares. Au travers des projets artistiques, des balades, des chantiers d’insertion et une fête annuelle du ruisseau, les Gammares font petit à petit émerger une meilleure connaissance du fleuve. En 2021, l’Epage HuCa a été nommé gestionnaire et contribue à soutenir des actions citoyennes, comme celle du collectif des Gammares. C’est dans cette dynamique que le collectif SAFI anime le projet Renouer avec la canne et imagine des outils et des gestes partagés pour jardiner les canniers et prendre soin de la rivière et de ses berges.
Bureau des guides du GR2013 bureaudesguides-gr2013.fr
Le Bureau des guides du GR2013 est une association regroupant des artistesmarcheurs, initiateurs du sentier de randonnée GR2013, créé en 2013 dans le cadre de l’année Capitale Européenne de la Culture à Marseille. Ce sentier métropolitain atypique traverse 38 communes de la Métropole Aix-Marseille-Provence, offrant une diversité de paysages naturels, urbains et périurbains sur 365 km. Le Bureau des guides du GR2013 défend une vision artistique du sentier et propose une programmation régulière de balades et d’événements.
EPAGE HuCA epagehuca.fr
Cet établissement public a pour mission de veiller à la préservation et la restauration du bon état écologique mais aussi de prévenir les inondations des fleuves Caravelle-Aygalades, Huveaune et de plusieurs fleuves côtiers. Il accompagne et coordonne en ce sens les acteurs du territoire, il mène des études, assure les chantiers d’entretien nécessaires à ses missions et propose une assistance technique et des conseils aux riverains.
