C'EST FAIT J'AI FAIT L'IMAGE.
#2
C'EST FAIT J'AI FAIT L'IMAGE. par
PÉRISCOPE Novembre 2015 Villeneuve-d' A scq Aurélien Gabriel Cohen Sylvain Granjon Boris Rogez Maud Bernos
préface Que faire maintenant que le rouge s’est fait nuit ? Après notre résidence à Lisbonne, cette première tentative pour amorcer une trajectoire collective, nous nous sommes demandé comment continuer à faire et à questionner ensemble l’art et la photographie. La réponse a été relativement simple : avant tout, nous voulons poursuivre notre voyage avec cette forme brève du fanzine. Elle nous paraît être tout à la fois une revendication de l’expérimentation constante face à l’objet précieux et poli, un mime de notre mouvement, de nos doutes et de nos évolutions, une manière de rendre la forme plus légère, de mettre de côté l’objet en tant qu’objet pour mieux nous concentrer sur les effets des protocoles, des textes et des images, une forme liquide, une sorte de brouillon, un murmure à mi-voix en attendant que nous parvenions à quelque chose qui soit réellement digne d’être dit — et qu’un livre mérite un jour d’advenir.
Alors nous avons décidé de fabriquer, pas à pas, non pas un, non pas deux, mais une série sans fin de fanzines fignolés et de fascicules foutoirs. À raison de trois ou quatre — ou plus — éditions par an, nous voulons essayer de filer l’expérience sans en masquer les errances, et de faire ainsi le pari d’une recherche artistique qui butine et papillonne, de protocole en protocole, d’écriture en écriture. Cette série de fanzines est une tentative pour explorer la création avec la plus grande liberté possible, en nous affranchissant au maximum des contraintes de la production, des coûts du raffinement formel et des tentations de la marchandise. Une résistance modeste, soit, mais une résistance qui se laisse ainsi du temps et de l’espace pour questionner ses failles, nuancer ses problèmes et bricoler des pensées. En l’état actuel de la recherche, ces fanzines seront quelque chose comme des protocoles en pages ; des mises en doute ; des interrogations en séries ; des images en grappes ; des mots en bataille. Mais plutôt que d’anticiper sur ce qui est en train d’advenir, il faudrait parler de ce qui est déjà là, de ces pages, qui existent bel et bien elles. Vous vous souvenez, nous vous avions promis un ornithorynque — et bien ce sera un ornithorynque en chambre. Dans notre travail collectif à Lisbonne, nous avions cohabité, de la création à l’impression, jusqu’à en devenir poulpe. Nos images, comme autant de tentacules, formaient chapitres sans jamais se rencontrer directement. Et si nous avions alors mis de côté le protocole pour laisser l’idée prendre forme, c’est à l’inverse par le recours à un protocole strict et précis que nous avons voulu, cette fois, interroger la cohabitation et la rencontre, à travers le problème de la singularité de l’artiste.
Depuis l’avènement de la figure du photographe-auteur, l’écriture est devenue, en photographie, le gage de la singularité. C’est le règne de la patte et du regard. Sauf qu’il
n’est pas anodin de faire de sa singularité une bannière dans un monde où toujours guette la marchandise, où les frontières de l’art, du document et du marché sont si poreuses ; et l’on finit souvent par affirmer son style comme on afficherait son logo. Cette injonction
de l’originalité qui colle à la peau et aux images — être soi comme personne n’a jamais été soi — change vite l’artiste en créatif ou en modèle de développement personnel, dans l’une de ces obscures transmutations dont le néo-libéralisme a le secret. Vous défendiez votre droit à créer, vous voilà devenu l’étendard de l’individualisme héroïque. Là encore, le problème résiste aux foudres, aux œuvres tapageuses et aux énièmes ready-made. Il va donc falloir déconstruire nos singularités, les remonter, les râper, les confronter,
les fusionner, les déléguer, pour comprendre ce qui nous pose problème dans ce que l’idéologie dominante cherche à faire de nous. Ce protocole est une première tentative d’érosion — en voici la recette. Choisissez un hôtel comme tous les hôtels, Aux confins de la Métropole.
Prenez quatre chambres, identiques, standards, Quatre valises, identiques, standards, Et quatre individus, singuliers, forcément.
Laissez chaque individu remplir sa valise avec ses objets, ses livres, ses appareils photographiques et ses souvenirs.
Mettez les individus et leurs valises dans le shaker du destin, Avec un peu de glace pilée, c’est le Nord, et nous sommes en novembre. Agitez longtemps.
Puis versez dans chaque chambre une mesure contenant un individu et une valise qui ne lui appartient pas.
Laissez reposer vingt-quatre heures, à l’abri de tout contact. C’est prêt.
Ouvrez les portes, une à une.
Dans la chambre 226 — Buster Keaton, John Wayne, un sanglier et une boîte de tampons encreurs ont voulu épuiser les choses, l’espace, les mots et les images. Dans la chambre 125 — un Moi a essayé de devenir tout le monde sur les photos d’une vie qui n’est pas la sienne.
Dans la chambre 229 — la solitude a fait naître un alter-ego de literie, un ami imaginaire balancé entre la corde et la joie.
Dans la chambre 108 — il a suffi d’une carte, de fleurs et de ballons pour que naisse une boum dans un désert de linoléum et d’aggloméré.
Voilà. L’identité s’est vaguement estompée dans ces espaces standardisés, la singularité s’est heurtée au manque, privée de ses traces matérielles et confrontée à la mémoire
empaquetée d’un autre. Nous avons un peu érodé nos êtres. C’est fait, ces images là sont faites. La prochaine fois, nous essayerons de n’être même plus nous-mêmes.
Périscope
Chambre 226
Photographe B Valise C
Chambre 125
Photographe C Valise B
Chambre 229
Photographe A Valise D
Chambre 108
Photographe D Valise A
C’est la valise de A.
Je suis rassurée presque apaisée de savoir qu’un peu de A est là, avec moi, dans cette chambre d’hôtel, petite, hermétique, sans âme et d’une froideur glaçante. Il fait froid dehors. Il fait froid dedans aussi. Le radiateur est en panne il paraît. Et, en même temps, il y a quelque chose de réconfortant à être ici. …
« Deux semaines après les attentats, la vie reprend son cours … »
Ahhhhhhh … Si la télé le dit c’est que ce ne doit pas être vrai. Vous pensez vraiment qu’il nous faut deux semaines pour reprendre notre cours comme vous dîtes. Mais vous êtes malades ! …
Affalée sur le lit, je viens de m’enfiler le paquet de PIM’S à l’orange quand le téléphone sonne : « Madame D. j’ai un bouquet pour vous ».
J’ouvre la porte et je découvre un énorme bouquet de fleurs. « On a tous le même ? … Qui a bien pu avoir cette splendide idée ? ».
Nous tenons à remercier l'hôtel Ascotel Grand Stade de Lillle et sa directrice, Marjorie Le Droff, d'avoir accueilli Périscope et ainsi permis la réalisation de ce projet. Et merci à Blandine Lespinasse pour son aide et sa main innocente tenant le shaker du destin ! — Contact www.collectifperiscope.com contact@collectifperiscope.com © Tous droits réservés — Collectif Périscope — 2016
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