Pages from testament de jerome sharp

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Une Devinereffe voulant débiter fes oracles d'une manière myftérieufe , les écrivait quelquefois en notes muficales , comme ci-defTus. Pour mettre en état de bien lire fa réponfe ceux même d'entre les Confultans qui ne favaient pas la mufique, elle n'avait qu'à prononcer trois mots qu'on trouve dans cet Ouvrage, Chap. I , Art. III.


TESTAMENT D E

JÉRÔME SHARP, Pfofejjeurde Phyjiquë amufante ; Où l'on trouve parmi plufieurs Tours de fubtilité, qu'on peut exécuter fans aucune dépenfe , des préceptes & des exemples fur TArt de faire des Chanfons impromptu ; Pour fervïr de compliment

A LA MAGIE BLANCHE DÉVOILÉE ; PAR

M. D E c R E M P s , du Mufée de Paris.

Prodigia exercent : digitis lii namque micantes Attentos fallunt oculos, dutn vafcula traitant Apta dolis : Fraudcm velatam pra?pete geftu , Vijrgâ &ç voce juvant 5 Se ubi pofuêre lapillum , Oftendunr. vplucrem. Stupet ore ignarus hianci Speftator . \ . . . ÂNTI-Luc. Lib. IV,

Avec 6 9 Fig. P R I X

SECONDE

A

3 liv.

ÉDITION.

P A R I S,

' L ' A U T E U R . , tue des Rats , près la Place Maubert, n ° . j , L GRANGES. , au Cabinet Littéraire , rue du Jour , n°. 5 , ^BAILLY , Libraire , rue S. Honoré, près la Barrière desSergens, Chez /LEJCLAPART , Libraire de MONSIEUR, rue du Rouie , n ° . 11 , \HARDOUIN &GATTEY , Libraires, au Palais Royal, n". I J & 14, FYAIUN , Libraire , rue du Petit-Pont , n", i l , près S. Scverin , LAGRANGE , Libraire , fous les Arcades du Palais Royal, n ° . 1*3,

M. DCC. LXXXVI. Aves Approbation , & Privilège du Roi,


TRADUCTION DE L'ÉPIGRAPHE, PAR

M. DE

BOUGAXNVILLZ.

I

LS font briller aux yeux du peuple une multitude de preftiges & de faufles merveilles. La fouplefle & l'agilité de leurs doigts en impofent aux regards les plus attentifs ; des geftes éblouilTans & rapides ; beaucoup de paroles, leur baguette ; tout confpire à cacher leur fraude j une pierre entre leurs mains devient un oifeau ; le Speftateur ignorant s'étonne &. les admire.

AVIS

INTÉRESSANT.

accordera dorénavant une forte remife à tous ceux qui, ayant acheté ce nouvel Ouvrage , voudront fe procurer les éclairciflemens fur le Tour extraordinaire décrit dans le premier Volume , & fur les moyens d'écrire en latin fans favoir cette langue , dont il efl: parlé dans le Supplément. Les premiers acquéreurs ne fauraient fe plaindre de cette diminution , qui, en rendant le fecret un peu plus commun , femble devoir le rendre moins précieux , foit parce que plufieurs d'entr'eux, APRÈS UNE ENTIÈRE POSSESSION D'ENVIRON UN AN OU DEUX, n'ont fait aucune difficulté de le divulguer eux-mêmes pour rien , foit parce que des Contrefacteurs l'ayant déjà donné à un rabais confidérable , il «fl jufte que l'Inventeur , pour nêtrc pas entièL'AUTEUR

rement dépouillé de fa propriété, offre au Public le même

avantage.


T A B L E D E S

M A T I E R E S .

RÉJMBl/LE du Teflament, & principes généraux. Page i CHAP. PREMIER , ou ton dévoile les opérations merveilleufes d'une Devinerejje. 15 ARTICLE PREMIER. Logement & ameublement de la Devinerejfe. Après avoir coupé & raccommodé des jarretières & des rubans deplufeurs manières, elle devine la fomme d'argent qu'un homme a dans fa bourfe ; non -feulement elle prédit des aventures ù des mariages , mais, encore elle connaît la virginité des filles , la fécondité des femmes 3 ù le nom des perfonnes préfentes ou abfentes , ôc. &c. z1 ART. II. Fontaine de Circulation,paradoxe & digrejfwn. 43 ART. III. Explication des Tours dont il eji parlé dans l'Article Premier de ce CRa.-

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T A B L E

pitre. Moyen de faire une petite Figure découpée qui fe remue d'elle-même fur la main : par quel art peut - on {en apparence') faire pajfer inyifibhment une carte, d'une boîte dam une autre , &c. Oc ? . . Page 64 CHAP. IL 91 ARTICLE PREMIER. Principes particuliers pour les Tours de Cartes. 93 SECTION PREMIÈRE. Faire fauter la coupe. des deux mains. IbicL SECT. IL Faire fauter la coupe d'une feule main. 97 SECT. III. Les faux mélanges. 101 SECT. IV. Filer la carte. 105 SECT. V. Gliffer la carte. 107 SECT. VI. Enlever la carte. 109 SECT. VII. Pofer la carte. , 110 A R T . IL Tours de cartes nouveaux ou nouvellement perfectionnés. 11 z SECTION PREMIÈRE. Dire d'avance la carte que quelqu'un choijîra. 113 SECTO IL Faire tirer une carte au hafard, & la faire mêler avec les autres par un des Speclateurs 3 pour la faire trouver


DES

MATIERES.

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enfui te fur le jeu ou. dans le milieu 3 au gré de la Compagnie. Page 115 SECT. III. Faire tirer une carte au hafard ; ô après avoir divifé le jeu en quatre paquets , la faire trouver infailliblement dans celui que la Compagnie ckoifira librement. 1 20 SECT. IV. Prévoir la penfée d'un homme , en mettant a*avance dans le jeu une cane choifie au hafard 3 au rang & au numéro que cet homme doit choifrun inflant après. \ 14 SECT. V. Faire tirer des cartes par différentes perfonnes ; les bien mêler enfemble par différens mélanges; montrer enfui te quelles ne font ni dejfus ni dejfous , ô les tirer du jeu d'un coup de main. 127 SECT. VI. Faire tirer une carte, la mêler avec les autres ; ù après avoir montré quelle nefi ni dejfus, ni dejfous , la faire refier feule dans la main gauche , en faifant tomber les autres par terre d'un coup de la main droite. 132 SECT. VII. Faire trouver les quatre rois dans a iv


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T A B L E

le milieu , après les avoir fait pofer fépa* rément. Page 13 5 SECT. VIII. Prouver combien il eft imprudent de jouer de Vargent a la Triomphe, avec des perfonnes dont lu probité eji équivoque» 13 9 SECT. IX. Faire une pareille démonfiradon, au Brelan, en fe donnant brelan de rois. 14 1 SECT. X. Deviner la carte penfée. 144 SECT. XI. Deviner d'avance celle de quatre cartes quune perfonne prendra libre' menu " 149 SECT. XII. Deviner d'avance le paquet d& cartes quune perfonne choifira. 153 SECT. XIII. Faire tirer des cartes par quatreSpeclateurs dijférens ; les nommer enfuite fans les avoir vues , & faire qu'une de ces cartes, fe métamorphofe fuccejf.vement en chacune, des autres. 156 SECT. XIV. Deviner la, penfée d'autrui par un ancien moyen nouvellement perfeclionné. 16y SECT. XY. Faire changer un roi de cœur


DES MATIERES. lx en as de pique t & un as de pique en roi de cœur. , Page 170 SECT. XVI. Moyen prefque fur de gagner un pari aux canes , en faifant fortir du. milieu du jeu , avec la pointe d'un couteau , une carte que les Spectateurs croient ître fous le jeu, 172 SECT. XVII. Faire qu'une carte choijie par un premier Spectateur, & mêlée dans le jeu par un fécond, fe trouve la première yiCun troijîeme Spectateur louchera librement ; la métamorpkofer en une autre carte au gré d'un quatrième, & la faire reparaître un infiant après. 175 $ECT. XVIII. Faire croire qu on fait avec une adreffe merveilleufe une opération quon fait fans adrejje > ou qu'on ne fait même pas du tout.

180

CHAP. III. ART. I. Voyage noclurne ; terreur panique. 190 A-RT. II. Faujfe expérience de Magdebourg de trois manières j deux moyens de manger un couteau ; hifioire abrégée d'un Mangeur de pierres. 197

ART, III. Moyen de défaire un double noeud,


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TABLE DES MATIERES.

fans le toucher ; faire pajfer un écu a travers une table ; digre/Jïon intérejfame. Page 218 ART, IV. Le Courrier invijible ; mononme de cent cinquante-un vers fur l'Empyrifme ; moyen defe donner de grands coups de tête contre une cloifon fans fe faire de mal; par quel art peut-on imiter le Chant du RoJJignol? Obfervations fur quelques fupercheries en fait d'Hifloire Naturelle , ôc. 246 ART. V. Exemple & préceptes fur l'Art de faire des Chanfons impromptu. 275 ART. VI. L'Improvifateur en latin ; par quel Art peut • on faire accroire qu'on a une mémoire prodigieufe ; divers exemples de mémoire artificielle* ' 314 Le mot de la Charade efî ORPIN", minéral qui efi également connu fous le nom ^'ORPIMENT.

Fin de la Table.


P R É FA A N D le premier Volume de cet Ouvrage parut, il excita, dans la Capitale , une efpece d'enthoufîafme auquel l'Auteur ne s'attendait point ; l'impoflure aux abois voulant faire un dernier effort pour prolonger le règne du menfonge, emprunta le fecours de la calomnie. Des Prôneurs foudoyés par l'envie , après avoir déprimé l'Ouvrage recherché du Public, réfolurent de lui porter le dernier coup, en publiant complaifamment un autre Ouvrage , qui promettait faflueufement, fur la même matière , des explications plus claires & plus vraies , mais dans lequel il n'était même pas queftion d'expliquer bien ou mal les objets annoncés par le titre. Cette rufe , quoique mal ourdie , prod u i t quelque effet ; car il fe trouva des perfonnes j qui , après avoir perdu leur


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P'R

É F A C E.

temps à lire le fécond Ouvrage, cerent à la ledture du premier , s'imaginant , contre toute vraifemblance , que celui dont le titre était moins emphatique, devait être le plus faftidieux. Cependant l'Auteur calomnié ne répondit pas d'abord à cette première attaque -, il prévit que fes Adverfaires fuccomberaient par leur propre faiblefTe , que la vérité triompherait un jour d'elle-même, & que la raifon reprendrait peu-à-peu fon empire:. Ce temps efl arrivé ; les réponfes folides que nous avons données dans notre fécond Volume , à la feule objection qui çût été propofée contre le premier , ont réuni tous les fuffrages , & font reftéçs fans réplique. Après avoir dévoilé au Pu-' blic les moyens ignobles de Compérage, dont on s'était fervi pour l'étonner , & pour efcamoter , en quelque forte , fon admiration , nous avons expliqué des Tours un peu plus dignes des honnêtes gens , en ce qu'ils font fondés fur des

moyens phyfiques, fur des. combinaifons


PRÉFACE. îngénïeufes 3 ou fur de petites rufes quî réunifient l'adreffe des mains à celle de l'efprit. Les détails où nous fommes entrés'dans le fécond Volume , fur toutes les circonilances auxquelles il faut avoir égard pour produire l'étonnement au plus haut degré , prouvent que nous connaifîbns également la théorie & la pratique de l'Art dont nous avons dévoilé les principes : nous ne prétendons pas parlà nous encenfer nous - mêmes , fk. nous vanter de nos petits fuccès ; notre but eft feulement de faire voir que l'Ouvrage que nous avons entrepris ne devait pas nous paraître au-deflus de nos forces. EN effet, û , en compulfant les Ecrits des Anciens & des Modernes , nous avons commencé par nous inftruire de ce qu'on a inventé dans tous les temps pour étonner les hommes ; fi, après avoir inventé nous-mêmes , nous avons mis en pratique nos inventions & celles d'autrui pour l'amufement de nos amis ; fi nous avons feit


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PRÉFACE.

un échange de nos connaifTances cette partie avec celles des principaux Amateurs , que nous avons vus , tant en France qu'en pays étrangers ; fudes perfonnes de la première diftinclion 3 qui avaient la même paffion que nous , ont daigné nous écrire des pays lointains pour nous honorer de leurs avis & nous communiquer leurs idées ; & fi , par notre correfpondance dans différentes parties de l'Europe , nous nous fommes trouvés placés comme dans un centre de lumières : efl-il bien étonnant que nous ayons pu en réfléchir quelques rayons fur nos Concitoyens , 6k que nous ayons entrepris un Ouvrage que tout autre aurait pu faire à notre place ? Cet Ouvrage n'excite point, II eli vrai , le même empreffement que lorfqu'il parut pour la première fois , parce que ce n'eft plus ce premier trait de lumière apperçu par un Voyageur dans les ténèbres j mais fi l'approbation du Public eft aujourd'hui un peu plus modér é a , elle doit nous être plu^s agréable ,


PRÉFACE. puifque nous ofons croire qu'elle eft en même temps plus réfléchie. D E S Libraires de Londres difent, à la tête d'une Traduction qu'ils ont fait faire de nos deux premiers Volumes , qu'ils les croient dignes d'être préfentés à la Nation Anglaife. Fiâtes de ce premier accueil chez un Peuple éclairé, nous donnons aujourd'hui untroifîemeVolume,dans lequel, pourfatiffaire aux demandes qui nous ont été faites, nous expliquons principalement des Tours que l'on peut exécuter fans faire aucune dépenfe. Nous avons tâché , au refte, de rendre nos inftruéKons utiles & agréables : elles feront utiles, fi elles peuvent bannir certains préjugés , & démontrer enfin que les Tours n'ont jamais rien de merveilleux, puifqu'ils ont tous des apparences trompeufes, & que par eux on ne fait jamais ce que l'on femble faire ; elles feront agréables , fi, après avoir décrit des effets d'autant plus frappans , qu'ils paraiiTent furnaturels, nous parvenons à fatisfaire pleine-


xvj P RÉ FA C E. ment la curiofité de nos Lecteurs, & û nous leur prouvons que chacun peut facilement obtenir les mêmes réfultats, en fuivant les plus fimples loix de la nature.

LETTRE


LETTRE A M.

DENTON,

Libraire dans Coventry-coun, Hay-market, h Londres.

M

ONSIEUR

Si vous jugez à propos de faire imprimer une traduction de ce Volume, comme vous avez fait des deux premiers, de la Magie Blanche dévoilée , je vous prie d'y inférer un Errata pour corriger les fautes qui fe font gliffées dans la Traduction du premier Volume. ( Je n'ai pas encore reçu celle du fécond, & je ne peux vous en parler.) Je ne faurais attribuer ces fautes au Traducteur, qui eft, à ce qu'on m'affure, un homme de Lettres très-inflruit. Il n'eft point inutile de les corriger dans les éditions fubféquentes, ou dans la première édition de ce troifieme Volume, foit parce qu'elles rendent

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le difcours faux & énigmatique dans des endroits où il faudrait réunir la clarté & la vérité au plus haut degré , foit parce que fouvent c'eft d'après un petit nombre de phrafes qu'on accufe un. Auteur d'être obfcur & embrouillé , fans faire aucune diftin&ion entre les fautes qui lui font perfonnelles, & celles du Secrétaire, du Copifte, de l'Editeur, de l'Imprimeur, ou du Traducteur. Au refte , voici les principales. i ° . En parlant du Tour connu fous le nom du Chapelet de ma grand* mère , j'ai dit, page 39, qu'il faut demander à chaque Spectateur un des bouts, &c. La traduction , au lieu d'un bout, en met deux; ce qui rend le Tour impraticable : afking each of them for the ends they hold, &c. 2 0 . J'ai dit , page 40 , en parlant de cartes : Auffl-tôt que le Faifeur de Tours en a fait tirer un paquet, &c. la traduction ne rend point cette idée , en difant : As foon as they hâve, been eut, &c. ce qui fignifie , félon moi, aufji-tôt que les cartes ont été coupées,

&c.

3°. Page 41 , j'ai dit : La carte de deffous, &c. .ce qui eft traduit par the uppermoji card, &c., expreffion q u i , comme vous favez, lignifie la carte de diffus. 4 0 . J'ai parlé , à-propos d'un Orgue, page 7 7 , d'un certain nombre de touches plus ou moins grand ; la traduction dit : A certain number of them ( Keis ) °S différent dimenfions ,; ce qui exprime : Un


Certain nombre de touches de différentes dimtnjlons ; cette faute eft très-palpable , puifqu'il eu de fait que , dans un Orgue , toutes les touches font égales en longueur, largeur & profondeur. 5 0 . J'ai dit, page 8 7 , fur l'Automate Joueur d'échecs , qu'on tourne une manivelle , fous prétexte de rûontzr , c ' e f t - à - d i r e , de bander U riffort.. La traduction : Under prétence offhewingthe fp rings r fignifie, au contraire , qu'on tourne une manivelle, fous prétexte de montrer , on de faire voir des refforts. 6°. J'ai d i t , page 98 , fur l'Automate jouant de la flûte , par quel mlchanifmt un Automate, une fois monté, peut jouer trente-fîx airs diffc'rens. La traduction : By what mecanifm an Automaton is wound up , and can play fo much as thirty Jîx différent airs, iîgnifie : Par quel méchanifme un Automate eft monté , & peut jouer, &c. J'ai l'honneur d'être , &c.


A V I S Sur cette nouvelle Edition. i O U R ne pas mettre les acquéreurs de la première édition dans la néceffité d'acheter la féconde, nous avons fait celle-ci parfaitement conforme à la première , à l'exception de quelques fautes d'impreffion que nous avons corrigées. Les additions & obfervations que nous aurions pu faire feront données à part dans un petit Supplément, s'il y a lieu. Au refte, la fucceffion de Jérôme Sharp, loin d'être répudiée, a été recueillie avec avidité : les héritiers fe font préfentés en fi grand nombre à Paris, en Province & chez l'Etranger, que, dans l'efpace de deux mois, il a fallu expédier plus de 1500 copies du Teftament... Les Légataires qui ont témoigné leur impatience pour la délivrance de certains legs, font avertis que plufîeurs raifons obligent l'Exécuteur Teftamentaire à retarder de quelques mois la publication du Codicile.

TESTAMENT


TESTAME D E

JÉRÔME SHARP, Profejfeur de Phyjiqiie amufante.

PRÉAMBULE.DU TESTAMENT, ET

PRINCIPES

GÉNÉRAUX.

T - L J E premier Janvier 1786, je fonfïigné Jérôme Sharp (1) , natif de SufTolc, domicilié à Paris, &c., enrichi par mes voyages (1) Sharp eft un mot anglois , qui fignifie pointu , fubtit

fét &c.


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T E S T A M E N T

dans des pays où beaucoup d'autres fe font ruinés ; & parvenu à cet âge où l'on ne voyage plus que dans les efpaces imaginaires pour y bâtir follement des châteaux en Efpagne, toutefois en bonne fanté de corps & d'efprit, mémoire & jugement, craignant d'être furpris, dans mes projets,, par la Parque meurtrière qui ne craint perfonne, & que la garde ne peut arrêter aux barrières du Louvre ; & voulant faire connaître mon intention & ordonnance de dernière volonté, ai fait, écrit & nommé mon préfent teftament olographe , pour être obfervé, félon fa forme & teneur, dans la difh'ibution des biens que j'ai acquis. Ces biens ne font ni immeubles, ni héréditaires, & cependant ils feront tellement propres à mes héritiers, qu'ils ne pourront jamais en être privés par retrait-licnager de la part de mes parens en ligne directe ou collatérale. Ces biens , quoique mobiliers, comme la perfonne qui les polTede, font d'autant plus précieux, qu'ils font exempts des droits


DE

JÉRÔME

SHARP;

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é la douane, & à l'abri des in valions 8c des déprédations} Quoique biens temporels, ce font des bénéfices Qui jamais chez Thémis ne payèrent d'épices.

Ils ont aufïi deux autres qualités particulières qui les diftinguent des autres biens ; la première confiile en ce que, nonobstant le texte précis de la Coutume de Paris , qui dit, damier & retenir ne vaut, on peut les donner fans ceffer d'en être propriétaire, & même les livrer au nouvel acquéreur fans en perdre la pofTeffion ; la féconde, c'eft qu'on ne peut en prendre pofTeffion qu'à force de réflexions, de temps & de patience ; quiconque voudrait s'en faifir à la hâte, ne faifirait que du vent, vtrba & voces preetereaque nihil.

On voit bien que je prétends donner à mes héritiers des inflruc^ions & des connaiffances ; & fur cela quelques-uns d'en--' tr'eux renonceront peut-être à la fucceilion, foit parce qu'ils fe croiront afiez riches à cet égard fans accepter ma donation teftaAij


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T E S T A M E N T

mentaire, Toit parce qu'ils regarderont mon préfent comme un bien chimérique : mais je les avertis que la fcience dont je veux leur faire part, n'eft point auffi ftérile que l'Ontologie, ni auffi commune que l'art de perfifler ck de parler fans rien dire; c'eft au contraire une fcience fi utile & û rare, qu'on pourrait prefque l'appeler la fcience •par excellence , ou l'art de gagner de targent ; c'eft la fcience des Tours, qui, quoique bien naturelle, produit des effets prefque furnaturels & magiques ; c'eft une fcience qui pourrait nuire au genre humain fi elle était méprifée, parce qu'alors .elle ne ferait cultivée que par des gens mal intentionnés qui auraient plus de facilité à en abufer. Elle fera au contraire très-utile dans tous les temps où elle fera en vogue , parce qu'alors elle rappelera aux loix fimples & vraies de la nature des hommes qui ne cherchent que trop à s'en écarter. On verra dans la fuite de ce teftament un grand nombre de préceptes qui, en dévoilant l'art de féduire, mettront mes hé-


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JÉRÔME

SHARP.

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ritiers à l'abri de la féduclion; on verra que mes infr.ruftîons peuvent leur être unies dans mille oecafions ; cependant je m'emjïreffe de citer, parmi cent exemples, les trois que voici, dont j'ai été témoin il n'y a p^s longtemps. Premier exemple : Un Agioteur fxt dans une Compagnie des Tours de cartes, par lefquels il fembrait connaître d'avance la penfée d'autrui. Ses opérations étaient ac- ' compagnées de l'éloquence la plus fédui-1 fante. Un efprit faible, plaideur de profefîion, témoin de ces expériences, conclut de-ià que l'Agioteur pouvait prévoir des événemens plus intérefîansj qu'il pouvait lire dans le cceur des Juges, &:c. En conféquence, il le confulta fur l'ifiue d'une affaire épineufe ; & d'après fa réponfe, il s'engagea imprudemment dans un procès ruineux, au lieu de figner une tranfa&ion dic~r.ee par un Avocat prudent & honnête homme. ' , . \ Second exemple : Un Empyrique-, d'autant plus à craindre, qu'on ne fe méfiait point de lui (parce qu'il portait le coflume A iij


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de Médecin), après avoir montré chez lui, à plusieurs perfonnes de fa cennaiffance % des malhines électriques , hydrauliques, aéro&ariques Sz pneumatiques , éteignit, comme* par rnégarde , la feule bougie qui

éclairait ion appartement : Je/us bien maladroit , dit-il, mais je vais réparer ma faute en allumant la bougie avec le bout de mon

doigt. Un inftant après, le bout de fon index préfenta une flamme comme celle d'une chandelle : une vieille Dame voyant allumer une bougie par un moyen au/fi, extraordinaire, conclut de-là que cet homme avait des fecrets* inconnus à toutes les Far cultes de Médecine étrangères ou nationales. Le même jour elle donna fa confiance & fon or pour fe faire traiter d'une maladie imaginaire ; 6k l'Empyrique, au lieu de guérir l'imagination , donna des breuvages qui occaiionnerent la fièvre. Troifieme exemple : Une jeune Demoi-r felle, effrayée d'un fonge & faifie d'une terreur panique, à la veille de fe marier, confulte un Devin fur fon mariage ; celuici ayant des raifons d'intérêt pour empê-


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JÉRÔME

SHARP.

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cher cet hymen, étale de faufTes merveilles, augmente la terreur de la jeune perfonne, s'empare de toutes les facultés de Ton aine, & l'oblige de fe dévouer à une perpétuelle folitude. Si les trois perfonnes que je viens de citer avaient été cohéritières d'une fuccerlion pareille à la mienne, elles n'auraient point été dupes ; un pareil héritage aurait épar<gné à chacune une faillie démarche ; le Plaideur n'aurait point perdu fou temps & fon procès ; la vieille Dame aurait confervé fon or & fa fanté ; &: la jeune Demoifelle n'aurait pas eu le malheur de congédier fon Amant. Il s'enfuit de-là que les biens dont je prétends difpofer, tendent naturellement à la confervation des autres biens, & que par conféquent ils font euxmêmes des biens réels. Nota. L Exécuieur-teflamentaire fupprime. ici quelques détails peu inté'reffians quon trouve dans Voriginal touchant les biens dont h Teflateur avait déjà, difpofé par donation entre-vifs.

Je donne & lègue le premier Chapitre. A iv


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de mes irrftructions à ceux qui, voulant fe mettre en état d'àmnfer leurs amis 'dans l'occafion, réuniront en eux l'agilité des inains à la- iubtilité de l'efprir. licm. Je donne & lègue le fécond Chapitre à toutes les perfonnes curieufes qui feront capables d'une étude réfléchie , & qui auront reçu de la nature une main large & des doigts longs. hem. Je donne & lègue le dernier Cha-< pitre de mes Leçons à tout homme qui aura dans fes mains un peu d'adreffe, & dans fa tête un commencement de génie poé-> tique. Je nomme pour mes héritiers univerfels . tous ceux qui réuniront l'univerfalité des dons & des talens ci-deiïus nommés, c'eftÀ-dire, tous les gens fenfés, les gens d'esprit 6k les amis de la vérité, qui fe trou~> veront habiles à me fuccéder, habiles ad fuccedendum : je veux & j'entends que cha-. cun d'eux fe faififfe de la fucccffion toute entière, fans aucun partage, & fans fuivre les formalités requifes pour les légataires ïiniyerfels, vu crue les biens dont je dif-


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pofe ne font point fujets aux difpofïtions de la Coutume ou du Droit écrit. J'exclus nommément de la fucceffion les gens crédules qui croient tout, les incrédules qui ne croient rien, les efprits faibles qui croient fans preuve qu'il y a des devins & des revenans, & certains érudits qui croient quelquefois , fur de fauffes preuves, que le diable avec fes cornes préfide au fabbat, & qu'il porte un habit de tôle doublé de faïence , &c. . Nota. Les critiques blâmeront peut-être , fans être, trop féveres s Ucxhérédation portés dans ce dernier article, parce que exhteredatio inepta res eft in perfonâ extranei. Leg. Quidam ff. de Verb. obi. L'Editeurfoufcrit volontiers a leur obfervation ; pourvu qu'ils conviennent a leur tour que cela n'empêche pas la validité du Tejliment. Non fuient, quas abundant vitiare fcripturas, Leg. Non folent 64, ff. de Regulis Juris. Avant de venir au détail de mes Inftruâions, je vais donner ici des principes généraux qui s'appliquent à tout : puiiîent mes héritiers 3 en lifant J'^Ut de faire illu-


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fion 3 trouver un moyen fur de fe garantir de l'erreur! i°. N'avertiriez jamais du Tour que vous allez faire, crainte que le Speclateur, prévenu de l'effet que vous voulez produire, n'ait le temps d'en deviner la caufe. 2°. Ayez toujours, autant qu'il fera poffible, plufieurs moyens de faire le même Tour, afin que fi on en devine un , vous puiffiez recourir à un autre, 6k vous fervir de ce dernier pour prouver qu'on n'a rien deviné. 3°. Ne faites jamais deux fois le même Tour à la prière d'un des Speftateurs, car alors vous manqueriez contre le premier précepte que je viens de donner, puifque le Speclateur ferait prévenu de l'effet que vous voudriez produire. 4°. Si on vous prie de répéter un Tour, ne refufez jamais directement , parce que vous donneriez alors mauvaife opinion de" vous, en faifant foupçonner la faiblefTe de vos moyens ; mais pour qu'on n'infiile point à vous faire la même demande, promettez. de répéter le Tour fous une autre forme %


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Se cependant faites-en un autre qui ait un rapport direct ou. indirect avec celui qu'on vous demande ; après quoi vous direz que c'efr. le même Tour, dans lequel vous employez le même moyen préfenté fous un autre point de vue. Cette rufe ne manque jamais de produire fon effet. 50. Si vous faifiez toujours des Tours d'adrefTe ; comme ils dépendent tous de l'agilité des mains, le Spectateur, continuant de voir les mêmes geiles , pourrait enfin deviner vos mouvemens : faites donc fuccefïivement des Tours d'adreffe, de combinaifon, de collufion, de phyflque, & c , de forte que le Speclateur fe trouve dérouté en voyant prefque toujours les mêmes effets , quoiqu'ils appartiennent à des caufes difparates. 6°. Quand vous emploierez un moyen quelconque , trouvez toujours une rufe pour faire croire naïvement, & fans affectation de votre part, que vous employez un autre moyen. S'agit-il par exemple d'un Tour de combinaifon, faites, s'il y a lieu, comme s'il dépendait de la dextérité des


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T E S T A M E N T

doigts ; & fi au contraire c'effc un Totîr • d'adreffe , tâchez alors de paraître maladroit. 7°. Si vous faites des Tours dans un • ' petit cercle compofé de demi-favans, ou de • gens trop pareffeux pour fe donner la peine de réfléchir, il n'y aura pas grand inconvénient à faire indistinctement les nouveaux Tours & les anciens , les fimples & les compliqués; mais s'il s'agit d'âmufer une grande Affemblée, & de paraître fur un grand théâtre, où il y aura vraifemblablement des gens inftruits & des furets de bibliothèques , gardez -. vous de donner comme inconnus des Tours expliqués dans des Livres ; & fouvenez.-vous qu'il eu. abfurde d'intituler un Livre, Recueil de Se~ crets, parce qu'un fecret quelconque cefTe de l'être quand il efr. imprimé. .8°. Ne lifez donc les Livres que pour vous mettre au pair de vos contemporains y & pour favoir fi ce que vous inventez a déjà été inventé par d'autres j fans cette dernière précaution, les gens de génie pré{entent fouvent comme nouvelles des in«


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