Abrégé psychomotricité

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DANGER

LE

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© 2007, Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. ISBN 978-2-294-70135-1 ELSEVIER MASSON SAS, 62, rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux cedex


AVANT-PROPOS Pour questionner la psychomotricité, il nous faut revenir d’une part sur l’origine du concept et d’autre part, au plan de la pratique, sur les corrélations existant entre les troubles psychomoteurs et les difficultés d’apprentissages scolaires. La notion d’échec scolaire pose un certain nombre de questions, et notamment, tout d’abord, une question d’ordre social, concernant l’inadaptation de l’école aux besoins psychophysiologiques de l’enfant, ce qui implique par conséquent un réaménagement scolaire (horaires, rythmes, type d’enseignement à adopter pour permettre le plein épanouissement de l’enfant). Ceci nous amène à nous demander s’il existe actuellement un aménagement du cadre scolaire qui soit entièrement satisfaisant et de nature à constituer une prévention efficace contre l’échec scolaire. C’est l’interrogation que posent les nouvelles tendances sociologiques, pédagogiques et psychiatriques. D’autres spécialistes considèrent le problème d’une manière toute différente, au moins en apparence : pour eux, l’école est le lieu révélateur des difficultés psycho-affectives de l’enfant, que le maintien de celui-ci dans le milieu familial avait masquées jusqu’alors. Il y a un double questionnement auquel les psychomotriciens sont confrontés comme en bien d’autres circonstances, et ce au plan de la pratique clinique. En effet, on a d’un côté le problème de l’éducation/ prévention et de l’autre, celui, différent, d’une rééducation/thérapie, problèmes auxquels les psychothérapeutes ne se trouvent généralement pas confrontés. Cette situation qui tend à mettre le psychomotricien dans une position d’« équilibriste mal assuré » est-elle à mettre sur le compte de la seule ambiguïté d’une conception équivoque? N’y a-t-il pas lieu de s’interroger sur un tel cadre de référence, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il constitue une espèce de négatif des pratiques neuropsychiatriques et récupère ainsi toutes les contradictions que la psychiatrie a repoussées et qui font retour en psychomotricité à travers les troubles instrumentaux. Autrement dit, si la psychomotricité existe à la fois comme concept et comme pratique — et il faut pour cela s’en référer à Dupré qui créa ce concept en 1900 — c’est bien de répondre à des questions restées jusque là sans réponse dans le domaine de la neurologie psychiatrique. Il faut en effet souligner que Dupré forma un concept « psychomotricité » en vue d’y insérer des troubles dont l’étiologie ne pouvait se


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conservation n’a pas eu lieu. Cet étayage va dépendre de l’accès à une première distinction sujet-objet. L’hypothèse qu’on peut avancer est donc d’affirmer qu’une perturbation psychique et biologique relationnelle issue de cette phase va d’abord adopter les stigmates spatiaux et temporels de cette même phase, puis conditionner l’ensemble des développements et identifications sexuels ultérieurs. Dans cette optique, l’espace et le temps ne peuvent donc être considérés comme simples adjuvants instrumentaux de la psyché ou du somatique. Ils peuvent être regardés comme des équivalents symboliques d’un trouble psychonévrotique dans la mesure où le franchissement des processus primaires par le sujet s’est effectué sans perturbation majeure de la relation intersubjective. Ils acquièrent ainsi, au cours des processus secondaires, un statut psychique sexualisé et symbolique qui peut donner, par exemple, à un retard systématique, chez un sujet névrotique, le sens d’une opposition à une autorité. Chez un sujet psychosomatique, le même retard n’aura pas la même signification : il reste relationnel, mais reflète l’inorganisation d’une fonction en voie de constitution. Et la solution adoptée sera bien souvent une hyperadaptation au temps social de la montre ou de l’agenda, pour compenser la béance du temps subjectif. Autre remarque importante : l’observation clinique permet de constater comment la modification des rapports du sujet à son espace et à son temps propres peut le conduire progressivement vers une impasse psychosomatique et donc vers la maladie. L’impasse est autant relationnelle que biologique : appréhendée à travers un espace figé irréversible (lorsque le sujet ne parvient pas à transformer l’autre en image de lui-même), et un temps qui devient réversible, circulaire (en annulant le sentiment du temps qui passe), et débouche sur un destin sans horizon. La répétition projette dans le futur un passé sans mémoire qui refuse de s’effacer. Tout se passe comme si, à l’opposé de l’hystérique qui souffre de réminiscence, le psychosomatique s’épuisait de ne pas pouvoir oublier — pour se remémorer. Parallèlement, la redécouverte de l’œuvre de D.W. Winnicott, grâce aux écrits de R. Roussillon, allait permettre d’enrichir encore le concept de psychomotricité en apportant des éléments autorisant d’en dégager l’originalité sur le plan théorique (Calza et Contant, 2002). À l’instar des théories de D.W. Winnicott, le corps doit se concevoir sous l’angle du paradoxe, état « psychosomatique », qui permet de jeter des passerelles reliant des ensembles hétérogènes tels que subjectivité et réalité. L’intérêt de la pensée de D.W. Winnicott, revisitée par R. Roussillon (1991, 1999) et M. Berger (1990), se situe dans la structuration de la psyché par l’expérience paradoxale. De cette expérience limite, où réalités interne et externe deviennent compatibles et élaborent un rapport


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d’approche, d’aider le patient qui se présente avec un trouble partiel isolé, à relier ce symptôme ou syndrome à la globalité du fonctionnement psychosomatique, dans les meilleurs délais. C’est à partir de cette mise en place articulant le corps réel (maladies organiques) avec le corps imaginaire (rêve, jeu, fantasmes, émotions, expressions affectives) qu’il faudra resituer le trouble psychomoteur instrumental ou fonctionnel dans l’économie du sujet, en l’aidant à repérer l’oscillation temporelle et spatiale des différents plans d’expressions somatiques ou psychiques. C’est donc dans l’interaction de ces trois formes majeures d’expression — troubles psychomoteurs, maladie, fonction de l’imaginaire — que se dégagera progressivement le fonctionnement psychosomatique de l’individu. Il ne s’agit nullement ici d’inscrire le sujet dans une grille diagnostique permettant le recensement plus complet des voies d’expression repérables chez lui, mais plutôt d’apprécier la dynamique d’un fonctionnement psychosomatique en « remettant en jeu » des fonctions généralement traitées par des domaines thérapeutiques différents, donc tendant à isoler, à dissocier des manifestations appartenant soit au champ somatique, soit au champ psychique. La problématique de l’espace et du temps est, notons-le encore, le dénominateur commun aux maladies organiques, aux affections psychiques et aux troubles psychomoteurs, qui se retrouvent aussi bien dans un champ que dans l’autre. Adopter le point de vue psychosomatique, c’est, pour le psychomotricien, savoir apprécier si le trouble psychomoteur est à mettre en relation avec la pathologie de l’adaptation, la somatisation littérale, l’atteinte du corps réel — auquel cas il prend le caractère d’un trouble instrumental, ou bien s’il relève de la psychopathologie, se situant alors, en tant que trouble fonctionnel, dans le champ des psychonévroses, ce qui détermine une prise en charge différente. Ce type d’appréciation actuelle s’articule à la temporalité passée du sujet et à la variation symptomatique oscillant du plan somatique au plan psychique et inversement.. Pour clarifier ce qui précède, nous avons constitué un tableau récapitulatif des différents éléments pris en compte dans l’examen psychomoteur pour tenter de déterminer la nature de ces troubles (v. p. 19). Nous constatons combien il est difficile de mettre en pratique une conception évitant des prises en charges multiples. En effet, dans le cadre actuel de la division du travail et dans les applications de la théorie de la pathologie qu’on y met en œuvre, il devient souvent extrêmement délicat et complexe de ramener à un ensemble unitaire une pathologie qui se développe sur plusieurs plans. Le travail, remarquons-le, s’effectue sur différents plans, sans qu’on puisse en faire ressortir non pas la synthèse — qui peut se faire extérieurement — mais


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cette mise en sens passe nécessairement par l’établissement et le maniement du langage. Il existe alors, chez l’homme, des signifiants propres aux contenants psychiques : ils décrivent la configuration particulière des enveloppes, leur manque, leur effraction, leur morcellement, et nous le signifient non pas en termes dynamiques ou économiques, mais en termes d’espace, d’espace psychique, en termes relevant de la topologie. D. Anzieu les appelle les « signifiants formels » (Anzieu, 1987). Ce sont des signifiants dont la dimension spatiale est essentielle, qui traduisent une configuration particulière du contenant. Ils s’originent dans le ressenti du sujet et sont différents des fantasmes. « Ils parlent d’une transformation d’une caractéristique géométrique ou physique du corps », ils sont « constitués d’images proprioceptives, tactiles, cœnesthésiques, kinesthésiques, posturales, d’équilibration. (…) Le sujet grammatical est une forme physique isolée ou un morceau de corps vivant, non une personne entière » (Anzieu, 1987). La pratique psychomotrice semble privilégiée quant au soin des pathologies du contenant psychique : c’est peut-être là que se situe une limite épistémologique entre le psychomotricien et les autres thérapeutes d’un sujet en souffrance psychique. Cette prédilection est en fait le reflet d’une équivalence conceptuelle. Grâce à la réflexion de Sami-Ali, nous allons constater l’équivalence ou l’analogie conceptuelle entre la genèse d’une théorisation de la psychomotricité et la genèse du contenant psychique. Le moi-peau, constitué des enveloppes psychiques, naît de la perception sensorielle et s’accomplit dans la projection fantasmatique. Pour Sami-Ali, « le champ qu’explore la psychomotricité aura, en conséquence, pour limite inférieure la projection sensorielle et pour limite supérieure la projection fantasmatique » (Sami-Ali, 1984). Or c’est de cette projection sensorielle qu’il s’agit quand Anzieu aborde la genèse du moi-peau d’abord comme peau-psychique (projection sensorielle de la peau comme enveloppe du corps), puis par l’élaboration fantasmatique comme enveloppe des contenus psychiques. Nous rejoignons là le double aspect du contenant psychique : – l’aspect structurel : élaboré par la projection sensorielle, la peau psychique; – l’aspect fonctionnel : élaboré par l’imaginaire et la projection fantasmatique, le moi en tant que fonction contenante. Ainsi, nous pouvons superposer conceptuellement les limites inférieures et supérieures de la psychomotricité et les deux aspects de la genèse des contenants psychiques. Quand on considère les deux concepts, on s’aperçoit que les deux s’originent dans le corps, leurs limites sont les mêmes, et d’un point de vue dynamique les deux ten-


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(En fait, ce qu’il ne supporte pas, c’est de voir l’ensemble de l’équipe soignante adopter une conduite unitaire à son égard pour ce qui concerne les sorties, visites, etc. : « Qu’est-ce que c’est que cette équipe, ils sont tous d’accord » — ce qui contraste avec ce qui se passe chez lui.) Au sujet du placement temporaire de Yann, le père nie ses actes de violence, en dépit de la décision du juge : « soi-disant que le gosse était martyrisé. (…) Je n’ai pas tapé, il est trop faible, et puis, si je veux, je n’ai pas besoin du juge pour lui donner des baffes ». De son séjour précédent à la maison de l’enfance, Yann ne verbalise que des vécus d’agression : « Il y a un copain qui met du parfum dans ma chambre… après, je tousse et je fais une crise », « Quand ils reviennent du sport avec de la poussière, ils se secouent près de moi. » Au cours de l’hospitalisation de Yann en psychiatrie, le projet qui émerge est de faire se briser le cercle vicieux de l’angoisse dans la relation de Yann à ses parents et dans celle qui englobe la maison de l’enfance. Le discours que Yann prononce sur sa mère est très agressif : parlant du regard, il dit se sentir observé par sa mère lorsqu’il regarde la télévision et sentir ce regard « méchant » qu’elle porte sur lui. Plus tard, à propos du visage, il dit qu’il ressemble à sa mère, puis, se ravisant, il fait porter sa ressemblance sur plusieurs personnes successivement, signifiant par là l’identité de tous les visages. La prise en charge psychomotrice a été décidée en synthèse, à partir de tensions corporelles repérées à l’examen en liaison avec les crises d’asthme. L’organisation de l’espace est déficiente. La chronologie de l’histoire de Yann reste des plus floue. Il ne parvient pas à réorganiser la succession de ses divers placements. Le discours est banal, uniquement axé sur des faits concrets de la vie quotidienne dans le service. Il n’arrive pas à parler de son vécu, ce qui se confirme à travers les séances de relaxation qu’on lui propose. L’expression de ce vécu est pauvre et répétitive. Les dessins du corps qu’on lui fait exécuter demeurent identiques d’une séance à l’autre. Pour tenter de contrecarrer cette pauvreté de l’imaginaire, il lui est proposé un travail avec la vidéo : les séances seront filmées et l’exercice sera ensuite discuté. Ce projet l’intéresse. Yann vit dans un état d’indifférenciation totale par rapport aux gens, ce qui se répercute même au niveau de son propre corps : il ne parvient pas, en position allongée, à différencier les parties de son corps en contact avec le sol de celles qui ne le sont pas. Le travail consiste alors à lui faire prendre conscience de ces différenciations, grâce au contact des mains sur les parties du corps qui ne touchent pas le sol. La séance se poursuit alors par une relaxation plus classique : il lui est proposé un travail sur l’imaginaire à travers la respiration dedans-dehors. La peau étant considérée comme zone frontière, limite entre les deux, Yann se trouve à ce moment mis en difficulté et, se redressant, demande d’arrêter la séance, car, dit-il, il a très mal aux yeux avec les yeux fermés, et il veut retourner dans le service (alors que la salle de psychomotricité se trouve à l’intérieur même du service, mais elle est vécue par lui à cet instant comme extérieure). Lors de la séance suivante, il pourra parler de ce qu’il avait alors ressenti et dit au thérapeute : « C’est quand vous avez parlé de la peau que ça a été difficile ». Aux séances suivantes, le thérapeute lui propose de continuer ce travail, en l’enveloppant dans un drap constituant une seconde peau protectrice. C’est alors qu’apparaît pour Yann une série de rêves (jusqu’à ce moment, il ne rêvait pas) qu’il désigne comme des cauchemars. Il raconte : « J’étais mort d’un accident (…) on m’a mis dans un cercueil. (…) J’avais un accident de voiture, je tapais dans un camion-citerne de gaz qui s’enflammait et j’étais défiguré (…) on me mettait dans un cercueil avec un petit coussin dans le dos, et on me mettait dans la terre. Il y avait mes parents, mes frères, ma sœur, mes copains, toute la famille. Ils faisaient la prière (…) ». À propos du rêve, Yann


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excitations, joue pour le nourrisson le rôle de synchronisateur de plusieurs rythmes, permettant à ceux-ci de s’accorder et de s’harmoniser. Nous avons, à la suite des travaux de Sami-Ali, tenté d’élaborer une conception psychomotrice de l’espace et du temps donnant à ces déterminants la place centrale qu’ils occupent dans la vie psychique. M. Berger, de son côté, a mis en évidence l’autonomie relative existant entre pulsions épistémologiques et pulsions sexuelles. Il nous incite à approfondir les positions de W. Bion, qui exposait en 1962 l’importance des liens de connaissance, distincts des liens d’amour et de haine. S. Freud lui-même, en 1905, écrivait que l’origine de la pulsion de savoir constitue d’autant plus une forme du besoin de maîtriser, qu’elle ne relève pas de la sexualité. Un débat dans ce contexte oppose les tenants d’une théorie de l’espace et du temps (Sami-Ali), qui occupe une place centrale dans la vie psychique précédant par là l’avènement du sexuel, dans un « endeçà » de l’étayage. Une topique de la profondeur est développée par M. Berger, s’articulant aux topiques freudiennes. Ce débat à distance est relayé par des auteurs comme C. Smadja, qui remettent en cause les théories de P. Marty, inspirées de M. Ziwar qui développe une théorie psychosomatique qui selon lui n’est pas fondée à l’origine sur la sexualité. La sortie du narcissisme primaire par le biais de l’expérience de la destructivité s’ouvre au champ de l’altérité. Les troubles psychomoteurs prennent racine en ce moment crucial où doit s’instaurer la différence, qui n’est pourtant pas à ce stade une différence des sexes, ni des générations. Pour autant, elle en constitue la préforme. Il faut probablement que s’instaure durablement cet accès à l’altérité pour qu’advienne ultérieurement le complexe œdipien. Quels sont les constituants de cette mise en place et quelles en sont les modalités? J. Guillaumin nous apporte un éclairage sur ces questions. Il souligne l’importance du préconscient comme lieu de stockage des représentations perceptives. Le préconscient tiendrait ainsi à la disposition du moi les automatismes sensori-perceptifs, sensori-moteurs… acquis par identification. Pour être utilisables par l’enfant, ces schèmes sensori-moteurs doivent être désexualisés, puis resexualisés dans un deuxième temps, condition de leur détachement d’avec le modèle identifiant. Dans l’œuvre de M. de M’Uzan, on retrouve cette préoccupation moniste dans laquelle l’espace et le temps du double sont référencés de manière primordiale aux pulsions d’autoconservation. Ces déterminants primaires se distinguent dans un premier temps des pulsions


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d’abord sur un vécu de rassemblement de la personnalité. Ce vécu s’appuie sur les capacités interprétatives de l’objet maternant et sur la capacité d’attention du bébé. L’attention est la première manifestation de l’existence d’un moi (cf. D. Marcelli, 1985). La capacité d’attention, de porter attention à ce qui se présente, à l’intérieur ou à l’extérieur du corps (cette distinction n’étant pas organisée chez le bébé), est une des conditions au développement du sentiment d’identité. Les premiers objets contenants sont des objets sensuels, nous l’avons vu. Ceux-ci sont proches des objets ou des formes autistiques décrits par F. Tustin. On peut d’ailleurs, suite aux conceptions de M. Mahler (1968) et de F. Tustin, retenir l’idée d’une position autistique à l’aube de la personnalité (cf. aussi D. Marcelli, 1983; T.H. Ogden, 1989), plus précoce que les positions paranoïde-schizoïde et dépressive décrites par M. Klein, à condition d’une part d’insister sur le terme de position qui suppose une « muabilité » de la psyché (qui peut osciller d’une position à une autre), et d’autre part de considérer l’état mental autistique non pas comme un état de fermeture absolue, mais comme un état où les relations d’objet, même si fortement narcissiques, sont indéniablement présentes et où l’ouverture objectale, même si éphémère, est aussi toujours présente (cela est également vrai d’ailleurs de l’état symbiotique caractéristique de la position paranoïde-schizoïde) — cf. A. Ciccone et M. Lhopital, 1991. Il faudrait aussi repréciser les modalités de pathologisation de ces positions développementales (cf. F. Tustin, A. Ciccone et M. Lhopital). Les angoisses archaïques propres à la position autistique poussent la psyché à utiliser deux mécanismes de défenses principaux : l’identification adhésive et le démantèlement (E. Bick, 1986; D. Meltzer, 1975). Ceux-ci conduisent le moi naissant à se coller à la surface des objets, ou à éparpiller l’objet en une multitude d’éléments sensuels non reliés les uns aux autres et à s’agripper à l’une des modalités sensuelles qui sert alors de surface. Comme toute défense, celles-ci ont potentiellement un double effet : intégrateur ou désintégrateur. D’une part, l’identification adhésive et le démantèlement ont pour effet, en portant l’attention sur une seule stimulation sensorielle ou sensuelle, de suspendre la psyché, d’interrompre l’ouverture sur l’extériorité et de mettre en arrêt momentanément le mouvement développemental, mais, d’autre part, ces processus défensifs protègent, même si temporairement et d’une façon peu efficace, le moi naissant d’angoisses catastrophiques. Ces angoisses primitives et archaïques (chute sans fin, liquéfaction, anéantissement…) poussent le bébé, nous l’avons vu, à s’agripper, à se coller à un objet support, et donc à constituer un objet, si primitif soit-il. Il faut en effet souligner le rôle essentiel de ces angoisses primitives comme facteur de développement (ainsi que le fait


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mettre en évidence les aptitudes relationnelles et motrices du nourrisson et de pronostiquer un fonctionnement cérébral normal. La mise en œuvre de la motricité libérée nécessite un temps de déparasitage qui consiste à suspendre temporairement les réflexes primaires parasites du nourrisson de moins de trois mois, afin d’obtenir sa participation active. En effet, avant cet âge, la motricité réflexe est au premier plan et sous la dépendance de l’impotence physiologique de la nuque. Chaque fois que la tête bascule sans freinage, les étirements brusques du cou déclenchent des mouvements parasites irrépressibles des membres supérieurs, un réflexe de Moro, une dispersion de l’attention, qui interrompt toute activité sensorielle relationnelle et motrice intentionnelle. L’examinateur doit donc fixer manuellement la tête du bébé lorsque celui-ci est assis sans dossier, soit sur la table d’examen, soit sur un petit banc. Il peut être également en position demi-allongée sur le côté (position latérale dite de « Récamier ») face à l’examinateur ou bien face à un miroir, le miroir renvoyant à l’examinateur, au bébé et aux parents un reflet plus global de chacun. Quelle que soit la position choisie, dès que la nuque est fixée et que l’enfant s’est adapté, l’examinateur cherche à établir « l’état libéré » qui correspond à une disponibilité sensorimotrice et relationnelle du nourrisson. C’est un état de communication, au départ purement sensoriel où il écoute la voix de l’examinateur, suit les déplacements de sa tête… Il arrive qu’il n’aille pas audelà de ce stade de disponibilité sensorielle. Mais le plus souvent la communication qui s’instaure dans ce « bain sensoriel » évolue vers un véritable état relationnel où il entreprend une réelle recherche de l’examinateur et répond à ses sollicitations. Son regard semble « aimanté », il imite les mouvements de langue et de bouche, ses quatre derniers doigts s’ouvrent et quelques mouvements spontanés se produisent, comme ceux des enfants plus âgés. Ses gestes ont perdu leur caractère réflexe. Ils sont plus lents, plus harmonieux et plus coordonnés. Au fur et à mesure que l’état relationnel évolue, l’examinateur sent que le tonus postural se renforce, tout comme le tonus de la nuque, ce qui témoigne de la participation de l’enfant et de sa présence réelle dans la communication. Le nourrisson tient de mieux en mieux sa tête, jusqu’à pouvoir la redresser quand l’examinateur ne la soutient plus. La mise en évidence de cet état libéré, en présence des parents, s’avère, bien évidemment, très précieuse pour révéler les potentialités du bébé à être en relation avec son entourage. C’est à partir de l’obtention de cet état de motricité libérée que l’examinateur sollicite alors le bébé, sur un autre registre pour l’inciter à exécuter des changements de position au cours desquels il sera possible de pronostiquer l’absence de handicap moteur lourd. C’est la phase de « motricité dirigée ». A partir de la position de Récamier, l’examinateur propose alors deux épreuves


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interactive entre le bébé et les parents, ce dysfonctionnement interactif prenant part à l’apparition ou au maintien de ce trouble. Afin de systématiser leurs impressions cliniques éprouvées au contact de ces bébés et de leurs parents, ils furent amenés à élaborer une grille d’évaluation pour apprécier, d’une part la motricité du bébé, d’autre part les interactions entre le bébé et ses partenaires. Cette grille, qui s’adresse à des bébés de moins d’un an, se compose de deux parties, une pour appréhender la motricité du bébé, l’autre pour saisir les interactions. Nous nous contenterons ici de dresser la liste des principaux items qui composent cette grille, les lecteurs plus spécifiquement intéressés pouvant la retrouver dans son intégralité dans d’autres publications (M. Myquel et coll., 1989, 257-280; 1990, 13-18). Pour la partie motrice, les items sont les suivants : – tiré assis; – tenue assise; – soutenu debout; – suspension, adaptation posturale; – décubitus ventral; – décubitus dorsal; – retournement spontané; – retournement provoqué; – déplacement; – tonus avec son appréciation neurologique. Pour chacun de ces items la grille permet une évaluation dynamique et qualitative et non pas seulement statique d’une acquisition. Son objet est de cerner au mieux la capacité du bébé à faire des efforts ou non pour arriver au résultat. Elle permet de repérer les possibilités motrices du bébé et surtout, ses aptitudes à les utiliser à des fins posturales. Ces items moteurs sont complétés par une appréciation générale de la gesticulation et de la manipulation d’objets, qui se déroule lors de l’examen physique et lorsque le bébé est dans les bras de ses parents au cours de l’entretien. Pour la partie évaluant les interactions, les items s’organisent autour de l’appréciation : – des variations interactives du comportement du bébé, pendant l’examen, avec la mère et avec le père, – du comportement traduisant l’état affectif de l’enfant, – des capacités interactives du bébé selon différents canaux (vocal, regard, sourire…),


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tiel, concernent des retards dans les acquisitions posturales et/ou des troubles des fonctions tonicomotrices et sensorielles. Ces bébés nous sont adressés au CAMSP par des pédiatres, des médecins généralistes, des médecins de PMI ou plus occasionnellement à partir de consultations spontanées des parents. Les retards et troubles du développement psychomoteur constituent une large part des indications qui amènent les bébés et leurs parents à consulter au CAMSP. Si la prévalence des troubles psychomoteurs est relativement élevée, elle masque cependant une disparité à la fois clinique et étiologique qui nécessite dans un premier temps une investigation pluridisciplinaire (pédiatre, pédopsychiatre), où l’observation psychomotrice occupe une place centrale.

De la conception des troubles psychomoteurs La manière d’aborder le travail thérapeutique auprès des bébés et de leurs parents dépend pour une large part de la conception que l’on se fait des troubles psychomoteurs. Les facteurs favorisant l’existence de ces retards ou troubles du développement psychomoteur sont d’ordre somatique (génétiques, souffrance néonatale, etc.) et/ou environnemental dans les cas de dysfonctionnement interactif précoce ou de carence affective. La recherche des facteurs étiologiques, bien que nécessaire, demeure souvent peu opérante et se heurte à la complexité des facteurs qui interviennent dans le développement psychomoteur de l’enfant. Derrière les termes de retard et/ou de trouble précoce du développement psychomoteur se recoupent en fait des réalités cliniques et des évolutions bien distinctes. Si le développement psychomoteur est un processus continu qui débute à la fécondation, la complexité des interrelations entre l’organisme, le milieu et l’instrumentation du bébé interdit toute vision par trop réductrice et simplificatrice des troubles précoces du développement psychomoteur (Bullinger, 2004). Par exemple, il nous paraît difficile d’inférer directement un trouble précoce du développement psychomoteur à tel dysfonctionnement neurodéveloppemental supposé. Nous ne partageons pas la vision d’une « neuropsychomotricité » qui considère les troubles psychomoteurs comme des troubles neurodéveloppementaux et qui vise comme ultime objectif thérapeutique « la mise au point de programmes de stimulations psychomotrices directement ciblés sur certains troubles » (Rivière, 1999, p. 157). Dans cette perspective, le trouble psychomoteur est supposé être la conséquence d’un dysfonctionnement cérébral a minima (notion venue remplacer celle de « lésion cérébrale a


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lité et l’ambivalence des parents sont d’autant plus compliquées à vivre que le bébé est authentiquement en difficulté dans son développement. Il convient en effet de ne pas travailler trop prématurément sur la haine, les conflits ou l’ambivalence éprouvée par les parents afin de ne pas aggraver l’état de sidération psychique qu’évoquait notamment la mère de Pierre. Le dispositif particulier de la thérapie psychomotrice parentsenfants, en ne portant plus toute l’attention du thérapeute sur le ou les parents, peut permettre de ranimer psychiquement la capacité des parents à penser leur enfant. Le dispositif déplace le face-à-face vécu comme trop intrusif pour ouvrir un espace tiers d’attention conjointe où l’enfant réel occupe le devant de la scène. Le principe de cette approche spécifique de la thérapie parents-enfants est d’« être-avec » le bébé, au sens de D.W. Winnicott : d’établir un lien direct avec le bébé. Si habituellement on considère que le changement des représentations parentales modifie le comportement et l’interaction, nous proposons de considérer le changement dans l’autre sens : les modifications des capacités instrumentales et représentatives de l’enfant permettent de modifier en retour les interactions et représentations parentales.

Le bébé : un partenaire privilégié et un sujet à part entière Le cadre thérapeutique des TPPB n’est pas le cadre habituel des psychothérapies mère-enfant, qui vise à modifier les « fantômes dans la chambre des enfants », c’est-à-dire les représentations internes que les parents ont d’eux-mêmes et de leur enfant. Il s’agit, par un travail direct auprès du bébé, de soutenir ses capacités instrumentales et représentatives, d’établir un lien dont les parents peuvent se servir pour retrouver leur bébé. Le principe fondamental qui sous-tend ce dispositif est de considérer que le bébé est un partenaire privilégié, un sujet à part entière capable de représentations complexes et d’avoir une action sur son environnement et notamment ses objets privilégiés, père et mère. Lorsque l’on sait que quatre fois sur cinq l’interaction est à l’instigation de l’enfant (Moss et Robson, 1968), on comprend mieux l’impact des différences individuelles sur la qualité des modalités interactives. Ainsi, un bébé qui pleure souvent et longtemps tend à déclencher davantage d’interactions avec sa mère qu’un bébé calme. Ce ne sont donc pas seulement sa compétence et son dévouement qui font d’elle une mère plus ou moins efficace, mais aussi le tempérament du nourrisson, qui demeure un facteur de premier plan. Les bébés et jeunes enfants que nous rencontrons sont souvent en difficulté dans leurs capacités posturales et instrumentales. Toute limi-


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L’enfant : de l’agi au représenté

demeure omniprésent dans l’esprit des étudiants, il faut bien dire que les modèles jusqu’alors immuables qui s’en veulent les référents, de Guilmain à Bergès en passant par Harris ou Ozeretski, commencent à prendre des rides et j’espère même — sans pour autant mésestimer les services qu’ils ont pu rendre — qu’ils deviendront bientôt franchement anachroniques. Pour pondérer ce propos très subjectif, je dirai que ce n’est pas tant la technique du bilan psychomoteur qui doit être remise en cause que la manière dont nous pouvons le pratiquer : cet examen ordonné, quantifié, étalonné, transcrit (dont il existe des « formulaires-types ») qui permet de dépister, d’évaluer, de juger et de concrétiser des troubles dits spécifiques, est en effet généralement proposé à l’occasion d’une première rencontre avec le patient; première rencontre qui met en présence deux réactions émotionnelles, dont l’une — celle du thérapeute — est tempérée par ce que l’on peut appeler expérience professionnelle, habitude de la pratique et du contact avec les patients, maîtrise du contre-transfert… par le seul fait qu’il est « du bon côté de la barrière », c’est-à-dire en position de pouvoir, de savoir et de juger, que ce soit dans la réalité de la situation ou dans l’imaginaire du malade, porteur quant à lui de l’autre réaction émotive et qui occupe au contraire à ce moment là la place la plus angoissante : celle d’une situation d’examen. Et si cette inquiétude peut se désarmorcer parfois par la qualité de la relation et des échanges verbaux auprès des patients adultes, il en va tout autrement avec les enfants. Il est en effet généralement admis que le premier examen psychomoteur, qui doit nous permettre de situer précisément, sinon la nature profonde de la souffrance ou du mal-être de l’enfant, du moins les manifestations, les signes cliniques induits par cette souffrance ou ce mal-être, il est donc généralement admis que cet examen se pratique à l’occasion de notre première rencontre avec le jeune patient. Or, comment pourrions-nous prétendre à une estimation objective, par exemple des qualités de tonus, d’adresse manuelle, ou encore des possibilités d’attention d’un enfant nécessairement en état d’inquiétude, sinon d’angoisse, ou pour le moins en questionnement de ce que peuvent être cet homme ou cette femme qui le reçoit, dans ces locaux intégrés dans un contexte toujours plus ou moins médicalisé, pour ces épreuves qui le placent, qu’on le veuille ou non, en situation d’examen c’est-à-dire d’échec possible, faisant ainsi tout ce qu’il convient pour provoquer réactions de prestance, manifestations tonico-émotionnelles parasites, instabilité ou inhibition, etc., et ceci d’autant plus que cette consultation pourra éventuellement devenir le préliminaire à un suivi thérapeutique et constitue, dans ces conditions, un engagement bien compromettant dans la relation de transfert.


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L’enfant : de l’agi au représenté

beaucoup travaillé pour s’en sortir seule. Son père est revenu, et a réépousé sa mère, quand elle s’est mariée elle-même. Les parents de Thomas en se rencontrant étaient avides de former une famille très unie. Leur fille aînée fut à ce point colérique et difficile qu’ils ont attendu dix ans pour faire leur second enfant et ont renoncé au troisième. Le père se présente comme un « grand-père » et est peu présent. La différence des générations est déniée. L’enfant fait partie d’une cellule familiale et semble plus considéré comme « objet » que comme « sujet ». Son temps et son espace sont appropriés par la mère qui elle-même ne fait rien pour elle. La famille n’a pas de liens extérieurs.

Il y a un fonctionnement entre le tout ou rien qui infiltre les difficultés d’apprentissage. « Cette confusion permanente entre la partie et le tout se retrouve au niveau corporel : lors des syncinésies, un geste d’une partie du corps s’accompagne de mouvements des autres parties et lors des paratonies, le corps du sujet est pris par l’hypertonie. Dans les troubles praxiques, le transfert du mouvement s’opère non dans une partie ou sur la totalité du corps propre, mais dans un espace qui est celui d’autrui… par une sorte d’identification de substitution d’autrui à soi-même » (M. Berger, 1990). Je pense que le problème d’identité est réel chez Thomas et qu’il ne peut actuellement se distancier et se différencier que par une agressivité violente et destructrice. La fusion et la confusion du système familial, l’inhibent et lui interdisent de fantasmer… Fantasme et réalité se confondent et l’angoissent. Son corps n’est pas sa propriété. Je pense qu’avant d’entreprendre une thérapie de développement avec Thomas visant l’investissement de son propre corps, l’investissement d’un espace privilégié dans une relation privilégiée, l’appropriation de son temps et de son espace, le thérapeute doit montrer la nécessité d’une collaboration avec la famille. En effet, l’enfant serait pris dans des messages contradictoires : s’approprier un espace qui lui serait propre, et partager l’espace parental. C’est pourquoi, c’est avec l’aide de la famille qu’un traitement de l’enfant est possible. Les parents de Thomas ont vite compris qu’il était nécessaire de redistribuer les espaces dans leur intérieur. Dès lors un traitement individuel put s’entamer où les parents se sont sentis d’emblée « les partenaires » nécessaires du thérapeute de leur enfant. Berger nous dit en 1990 : « Le fonctionnement étroitement fusionnel est maintenu parce que la relation entre les membres du groupe était source d’insatisfaction profonde qui empêchait tout détachement » (M. Berger, 1990). « Les affects qui apparaissaient comme les plus originels étaient des sentiments de dépression profonde, d’angoisse de ne pas arriver à se relier à autrui. Nous nous trouvons confrontés au paradoxe suivant : plus une famille est fusionnelle, moins les sujets qui la composent peuvent se représenter comme unis. Cette carence de représentation « objet–famille » les oblige à maintenir une symbiose comportementale dans la réalité »


Clinique psychomotrice de l’enfant

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Mais face à la répétition et aux passages par l’acte, que je pourrais avoir vécus comme des attaques réelles adressées à ma personne (ce qu’elles étaient en réalité), il demeurait fondamental de tenter, coûte que coûte de rester vivant et créatif face à cette destructivité. Il me fallut m’adosser à un contre-transfert épistémologique afin d’éviter les contre-attitudes de rejet, d’évitement phobique et de rétorsion, d’une part, et de solution masochique, d’autre part. Je sentis là une transformation de ma position initiale, où Noé et sa mère me demandaient en quelque sorte d’agir (« Que pouvez-vous faire? ») comme un remède (du latin re-medium), à une position que j’adoptai non sans peine et qui se référait à ce que R. Roussillon (1991) décrit sous le concept de médium malléable, c’est-à-dire le représentant-chose ou représentant-objet de la représentation de la fonction représentative. Noé était furieux parce que j’étais en retard : « Où tu étais? ». Il avait apporté un objet avec lui qu’il cachait derrière son dos : « Le bateau de l’armée du roi ». Il commença à dessiner ce bateau tout en me demandant : « Pourquoi tu détestes la fin de la séance? » et en me proposant un troc : il voulait échanger un paquebot (qui est dans la salle) contre son bateau du roi. Je lui fis remarquer que tous les objets de cette salle devaient y demeurer. Mais, devant son insistance, je lui proposai de lui prêter ce paquebot en échange de son bateau — reliant en paroles cet échange de prêts à la difficulté de se séparer. Il ajouta que, dès qu’il le pourrait, il me rendrait le paquebot. Il voulait immédiatement aller voir sa mère pour lui parler de cet échange. « Je vais te signer un contrat », me dit-il. Je rédigeai avec lui ce contrat que nous signâmes tous les deux. Puis il ajouta : « Je fais un dessin pour toi, pour que les jours où je ne viens pas, tu penses à moi… ». Ensuite, me regardant : « Tu as un peu les cheveux de Pépé Atchoum » pour évoquer mes cheveux grisonnants, puis il poursuivit en disant : « Pourquoi les pépés et les mémés qui vont bientôt mourir, ils ont pas besoin de garder tout ce qu’ils ont - ils donnent tout - ma mémé me donne tout ce qu’elle a - mon papa aussi il est mort… » et il évoqua un souvenir (le premier) : « Une fois, mon papa et mes deux frères, on a fait les fous - maman disait : “vous allez vous faire mal” (…) on rigolait bien, mais des fois mon père me donnait des coups sur les fesses avec la brosse quand on était pas sages ». À l’entrée de sa mère, il dit calmement : « Notre contrat est fait - on est en paix ». À la séance suivante, Noé vint avec le paquebot emprunté et me dit : « J’ai bien dormi », et il commença à dessiner sur le tableau le bateau Santa-Maria. Puis, il dessina mon bateau : « De face ou de profil? ». Ensuite, il voulut dessiner un voilier miniature qu’il avait eu lorsqu’il avait six ans, il se dessina sur le voilier avec une barbe en remarquant : « Y a une tête de mort sur la voile. J’avais la barbe, maintenant je l’ai rasée… ». Me regardant du coin de l’œil, il nota chez moi l’absence de barbe naissante que j’avais la fois précédente. Il dit alors : « Mon père aussi il avait la barbe des fois ». Puis continua par une série de questions : « Est-ce que tu es intéressé par les bateaux? Est-ce que tu crois en Dieu? Est-ce que tu préfères la glace à la vanille ou celle au chocolat? ». Puis, il s’exclama : « On est pareil ». Je lui fis alors remarquer sa grande inquiétude lorsqu’il constatait une différence importante dans ce que nous pouvions ressentir l’un et l’autre. À ce moment, il semblait proche de moi, détendu et en confiance. En réfléchissant à l’ensemble des diverses manifestations qui se sont développées au cours de ces séances, plusieurs remarques et hypothèses se sont présentées à moi : – pour tenter de repérer son identité, Noé expérimente différence et similitude par toute une série de questions « pareil/pas pareil » (Dieu, les bateaux, les glaces, etc.) ;


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L’enfant : de l’agi au représenté

vue comme sens substitutif à l’ouïe défaillante, l’enfant sourd développe des conduites de collage à l’objet et de fixation du visage d’autrui, qui l’empêchent de s’ouvrir au monde extérieur et d’organiser des actions motrices indépendantes. Ainsi, l’apparition de la marche tardive (souvent vers 16-20 mois) doit s’analyser dans deux directions : – le contexte familial, qui a pu freiner inconsciemment l’agi autonome de l’enfant (plus fragile, car handicapé), – la difficulté propre de l’enfant à se dégager d’une relation sécurisante basée sur les repères tactiles et visuels… Les difficultés d’installation d’une latéralisation ferme témoignent de cette même impossibilité de l’enfant (qui a fondé tout son registre communicationnel sur la vue) d’opérer une reversilité des repères spatiaux, et de se dégager d’une identification en miroir (à un autre détenteur de l’outil communicatif). L’appropriation défaillante de l’espace,qui entrave ses acquisitions, semble donc s’originer dans le manque d’outils de communication adaptés à son handicap ; en privilégiant le mode d’expression verbal dans son éducation, nous privons l’enfant sourd pendant un temps (temps nécessaire à la construction de l’oral) des moyens d’affirmer son autonomie et d’agir seul. Notre pratique psychomotrice en institution nous amène à rencontrer quotidiennement des enfants sourds en difficulté motrice globale, ne pouvant se situer dans un continuum temporo-spatial. La nécessité d’offrir à l’enfant sourd très précocement un ensemble de procédés de communication, apparaît fondamentale pour son identité et la gestion des repères temporo-spatiaux. Sinon, nous l’encourageons à utiliser des repères parcellaires, essentiellement issus du canal visuel, qui dépossède le regard de sa composante relationnelle, et fige l’enfant sourd dans un comportement de dépendance aux agis d’autrui. La clinique psychomotrice auprès d’enfants sourds en grande difficulté nous montre qu’en restaurant chez eux les bases d’une communication signifiante, ils parviennent progressivement, par la réorganisation de leur champ visuel, à investir l’espace et à s’y mouvoir avec efficacité. – Les capacités de communication. — Le bilan doit tenir compte des possibilités langagières de l’enfant sourd et de son niveau de surdité. Quand l’enfant sourd souffre d’un manque important de moyens de communication et ne parvient pas à exprimer clairement son questionnement, le corporel prend le relais « du dire impossible » et les difficultés psychomotrices se précisent. Toutes les manifestations psychomotrices énoncées ci-dessus semblent découler de cette impossibilité d’établir une communication avec


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L’enfant : de l’agi au représenté

l’enfant. Hugo, très attiré par les jeux éducatifs (puzzles, Memory, jeu de cartes) qu’il utilise sans cesse, permet de placer les séances sous le signe de la délimitation : à travers toutes ces situations, il apprend et acquiert des repères qui balisent le champ de sa pensée. Des repères cognitifs, des repères spatiaux, des repères temporels, des repères corporels, le dessin du bonhomme se structurant en parallèle. Ces repères permettent de délimiter une pensée qui peu à peu émerge et prend corps, la pensée est en train de se structurer. Cette étape me semble après coup avoir été primordiale et incontournable.

Après coup seulement, parce que pendant cette première année, chaque séance a ressemblé aux autres. Cela n’a pas été sans provoquer chez moi une certaine lassitude. Séances répétitives, sensation d’absence de matériel psychique… pourtant, c’est au sein de cette répétition que l’enfant construit sa pensée. Si je ressens, moi, un affect s’éloignant de plus en plus d’un affect positif au fur et à mesure des séances, il n’en n’est pas de même pour Hugo. Il répète, et il répète dans le plaisir. La répétition n’est sûrement pas là le reflet de la compulsion de répétition mais bien le signe que quelque chose, une fonction, est en train de se constituer et qu’elle se constitue dans l’association plaisir-répétition. Il me faut apprendre alors à devenir le témoin patient de cette constitution, en accompagnant l’enfant dans ce cheminement. Le thérapeute a une fonction qui ne se résume pas comme le dit D. Anzieu à « interpréter dans le transfert les failles et les surinvestissements défensifs du contenant et à « construire » les empiétements précoces (…), mais à offrir à son patient une disposition intérieure et une façon de communiquer qui témoignent à celui-ci de la possibilité d’une fonction contenante et qui lui en permettent une suffisante intériorisation » (Anzieu, 1985). Lorsque Hugo propose un jeu, il lui faut tout d’abord en apprendre les règles pour les utiliser, afin, dans la répétition, d’en retirer des bénéfices en termes d’acquis cognitifs. Petit à petit, dans la collaboration ou la compétition, la pensée concrète de l’enfant se structure; il apprend par exemple à compter lorsque, après chaque partie de Memory, il désire savoir qui de nous deux a gagné : il se saisit alors de nos tas respectifs et en compte les cartes. C’est d’un besoin interne qu’a surgi la nécessité pour l’enfant de compter, et non d’une exigence externe, qu’Hugo investit encore comme une contrainte inutile ou dangereuse. C’est à ce titre sans doute qu’une thérapie d’enfant, sans être galvaudée, permet un bénéfice en terme d’acquis, d’apprentissages éducatifs, sans que cela ne soit ni, d’une part, un but en soi, ni, d’autre part, une approche suffisante dans ce domaine pour des enfants atteints à ce point dans leur fonctionnement cognitif. La mise en chantier de la pensée et des représentations s’exprime à tous les niveaux, la projection sensorielle se met cette fois au service de la constitution d’un espace de la représentation. Le dessin du bonhomme apparaît subitement, sans phase transitoire par le bonhomme têtard.


Troubles psychomoteurs de l'adolescence…

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périphérie d’eux mêmes (D. Marcelli, A. Braconnier, 1983). Dans ce processus la mort se pose en contrepoint paradoxal : « se tuer pour exister ». Ces conduites ne flirtent avec la pathologie que lorsque elles se répètent et construisent une néo-identité corporelle négative. En d’autres cas le débordement des capacités d’organisation névrotiques conduiront l’adolescent vers un aménagement de nouvelles relations objectales via un processus de névrotisation. Ces divers devenirs corporels cheminent dans le marais des ruptures bio-psycho-socio-culturelles avec en dénominateur un choc-entrechoc du dedans, du dehors, du fantasmatique et du symbolique. In fine, il s’avère bien plus aisé pour l’adolescent de se sentir étranger à son corps qu’à sa psyché. Vivre un changement tout en le pensant (pansant) n’est réalisable que dans un après coup (Ph. Jeammet, 1980). Au décours de ce trajet « l’être-corps » adolescent s’édifie et se définit dans la formulation ramassée : « exister par, avec et dans son corps ». En s’adressant à « l’être-corps » la clinique psychomotrice dispose d’un champ d’action électif (secondairement préventif) justifiant pleinement toutes les procédures de soins médiatisées. TROUBLES PSYCHOMOTEURS DE L’ADOLESCENCE : DEFINITIONS, CLINIQUES ET ACTUALITES

Plurifactorialité du trouble psychomoteur de l’adolescent La plupart des écrits emploient quasi-aléatoirement, l’un pour l’autre, des concepts aussi variés que « trouble », « symptôme », « syndrome » … pour désigner des difficultés psychomotrices spécifiques étiquetées sur l’étayage de conceptions neurologisantes. Trois d’entre elles hantent toujours ce champ : – l’une à substratum purement neurologique s’origine dans les types moteurs7 définis par H. Wallon dans les années 30. La difficulté psychomotrice s’entend alors comme un syndrome bien déterminé du système nerveux central dont le type n’est qu’une forme atténuée avec une multiplicité de variantes auxquelles s’adjoignent des caractéristiques psycho-affectives; – l’autre, plus souple, développée par l’équipe de J. de Ajuriaguerra dans la décennie 1950, propose une approche neuro-psychologique. Le trouble psychomoteur est identifié comme une entité n’existant qu’en 7. H. Wallon distinguera pas moins de 7 types différents : infantilisme moteur, asynergie motrice et mentale, extrapyramidal inférieur, extra-pyramidal moyen, extra-pyramidal supérieur, cortico-projectif, cortico-associatif.


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L’adolescent : le corps entre biologie et passion

l’absence de lésions en foyer susceptibles de donner des symptômes neurologiques classiques. Toutefois ce trouble s’inscrit dans le neurosomatique à la croisée de l’affectif et du milieu d’évolution; – enfin, depuis une vingtaine d’années « le dysfonctionnement cérébral à minima » ou MBD (Minimal Brain Dysfunction), que certaines écoles prônent dogmatiquement, reprend dans une essence neurobiologique les apports de J. de Ajuriaguerra pour définir toutes les difficultés psychomotrices. En clair le MBD désigne un trouble léger ou sévère de la conduite ou de l’apprentissage relié à une atteinte structurelle du système nerveux central (sans lésion en foyer) issue de multiples étiologies (biochimiques, onto-néo-post natales, traumatiques, sensorielles, affectives, etc.) combinées ou non, s’exprimant de manière ponctuelle ou intermittentes essentiellement dans des signes neurologiques et/ou neuropsychologiques légers (J. Corraze, 1981 ; L. Warzyniak, M. Rodriguez, E. Pidoux, O. Mayano, 1990). Ainsi toute une catégorie de troubles psychomoteurs (hyperkinésie, dyspraxie, trouble de l’orientation temporo-spatiale…) ont été considérés comme des troubles de l’apprentissage (learning disabilities) résultant d’un MBD inféré et/ou scientifiquement détecté (psychométries, investigations neurologiques, examens para-cliniques) (H.G. Weiss, M.S. Weiss, 1976 ; W.M. Cruickshank, 1977). Le réductionnisme véhiculé par ces approches ne saurait conduire à oublier que toute difficulté psychomotrice chemine dans un contexte socio-écologique donné et résulte d’un ensemble de facteurs culturobio-psycho-moteurs s’agençant singulièrement (même s’il existe les entités syndromiques). Une telle position fonde une évaluation psychomotrice pluriaxiale afin de disposer d’un état des lieux intelligible influençant directement les modalités de prise en charge thérapeutique de l’adolescent. Schématiquement, dans l’usage générique de l’expression « trouble psychomoteur » se logent (sans préoccupation étiopathogénique) : – « la difficulté psychomotrice », simple reflet d’un retard de développement dans une ou des habiletés 8 spécifiques (coordination des mouvements, équilibre, motricité manuelle,…); – « le symptôme psychomoteur » qui, tout en incluant la difficulté psychomotrice, reflète davantage un dysfonctionnement et/ou une conduite stérile (agnosie digitale, stéréotypie, impulsivité…); 8. Il convient de différencier « les aptitudes psychomotrices » déterminées génétiquement des « habiletés psychomotrices » sensibles à l’environnement socio-culturel, éducatif, affectif, etc.


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L’adolescent : le corps entre biologie et passion

Trop souvent l’être-corps du jeune se voit reléguer dans une accessoirité niant sa dynamique et sa place. Ainsi quand ces troubles de l’être-corps apparaissent au sein même d’une entité psychopathologique, ils se doivent d’être investigués et contextualisés en maniant à chaque fois des analyseurs pluriaxiaux. L’être-corps est le mode identitaire permettant au jeune de rencontrer une ou des identités au sein même d’une ambiguïté (inévacuable) à terme tolérable et tolérée. EXAMEN PSYCHOMOTEUR DE L’ADOLESCENCE : PLURIDISCIPLINARITE THEORIQUE, TECHNIQUE ET CLINIQUE

L’examen psychomoteur en question… Opter pour le terme d’« examen » s’avère en soi significatif dans le sens où il s’agit bien de considérer, d’observer et d’analyser ce qui est présenté (en l’occurrence un symptôme) dans un axe d’intelligibilité holistique. Tandis que le terme de « bilan », certes plus usité, renvoie davantage à un inventaire descriptif où quelquefois seules des difficultés sont mises en exergues. Quant au terme d’« évaluation », qui jouit actuellement d’un engouement, il apparaît en tant que jugement sur une situation donnée et est plus adapté à l’appréciation des effets de changement dans une thérapie (P. Gerin, 1984). Ce point de vocabulaire conduit à pointer la présence sur un continuum de deux tropismes : l’un à connotation purement psychométrique et neuromotrice, l’autre plus éthologique et analytique (J.-L. Laurent, P. Pontradolfi, 1990). L’affrontement, tout comme l’apanage de l’une de ces positions, n’apportent qu’une efficacité clinique partielle pour investiguer l’adolescent. En conséquence, l’examen psychomoteur de cette population ne peut que cheminer dans une pluridisciplinarité créatrice. Les apports théoriques, techniques et cliniques de disciplines comme la neurologie, la psychiatrie, la psychologie, l’orthophonie,… dans des agencements et modélisations novatrices confèrent à l’examen psychomoteur une identité. Si depuis longtemps, des praticiens s’essaient à l’édification d’un examen psychomoteur standard pour l’enfant, l’adulte et l’âgé, l’adolescent n’a pas été gratifié d’un tel intérêt (S. Masson, 1983, 1986). Outre la totale hérésie clinique de proposer « un examen clef en mains » à l’adolescent ou encore de projeter les procédures d’investigation utilisées pour l’enfant et/ou l’adulte, il devient pertinent de réaliser « un examen à géométrie variable ». Autrement dit, même si un corpus investigatif basal (latéralité, orientation temporo-spatiale, équilibre, dissociation-coordination des mouvements, être-corps…) apparaît incontournable, le praticien se doit d’adapter son approche au problème du sujet (et non l’inverse) dans une perspective bio-psycho-


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L’adulte : corps, affect et représentation

Il me paraît intéressant dès le premier entretien de porter son attention non seulement au discours du malade mais aussi à sa présentation physique, son attitude corporelle, ses modes de déplacement, ainsi qu’à son débit verbal. Ces éléments déterminent chez le sujet un certain investissement de son corps et son propre rythme corporel. Un repérage sur la composition de la famille, le développement psychomoteur du sujet, son parcours scolaire, la formation professionnelle et son insertion professionnelle seront l’objet également de ces premiers entretiens. Il me paraît néanmoins plus intéressant d’insister sur les troubles instrumentaux ou les somatisations du patient, leur mode d’apparition, leur inscription dans l’histoire du patient. Même si le sujet ne peut pas faire de lien entre les troubles somatiques et des difficultés d’existence personnelles, il est important dès le début du travail thérapeutique, de mettre les deux plans somatique et psychique en parallèle. Le travail de lien se fera par la suite… Un essai de repérage autour des identifications transgénérationnelles me paraît également déterminant dans notre travail. Par exemple, dans un cas clinique de relaxation (cf. observation de Claude présentée par l’auteur in Contant M. - Calza A. Les Troubles psychomoteurs et le thérapeute en psychomotricité, Masson, Paris, 1993), nous pouvons noter l’apparition de vertiges chez cette patiente à 30 ans, troubles que décrivaient également sa mère à sa fille lorsqu’elle avait eu elle-même 30 ans. Un travail autour de la problématique de la séparation sera abordé avec précaution. En effet, un bon nombre de somatisations apparaissent à la suite d’événements faisant référence à la notion de quitter (deuil, séparation, déménagement). Des affects dépressifs n’ont pas pu s’exprimer à cette occasion et une forme de somatisation vient camoufler en quelque sorte une dépression dite essentielle. Un questionnement à propos du mode de fonctionnement imaginaire du malade nous permettra de mieux cerner son comportement face au rêve et à tous ses équivalents (nous entendons par là, la rêverie, le fantasme, la croyance magique, le jeu, le transfert, l’hallucination, etc.). Cela nous donnera un certain aperçu de son mode de fonctionnement psychopathologique. S’agit-il plus d’une somatisation faisant référence à la psychopathologie freudienne (névrose, psychose, hystérie…), ou bien de la pathologie de l’adaptation, ou bien d’une personnalité allergique (eczéma, asthme), ou d’une forme de symptomatologie mixte. Le travail thérapeutique qui pourra être proposé par la suite tiendra compte de tous ces éléments recueillis au cours des premiers entretiens, du travail d’élaboration du thérapeute quant à définir un diagnostic non pas en terme de sémiologie psychiatrique mais plutôt sous la forme d’une nosologie psychanalytique.


Engagement corporel en thérapie d’adultes

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Mouvements, gestes, regards se transforment. Bruits, souffle, cris, rires, pleurs participent à la représentation. Et si le verbal accompagne le jeu du corps, c’est celui-ci qui est premier et thérapeutique, et engage l’être tout entier. La dimension verbale est alors, encore, secondaire à la dimension non-verbale. « Le langage des mots doit céder la place au langage par signes » (A. Artaud). Car l’émotion se fait violente; l’asservissement de l’affect permet la levée du refoulé, et surviennent la remémoration et l’évocation de l’expérience traumatisante. L’émotion bloquée, non vécue parce qu’insupportable charge le somatique ; l’émotion perçue et refoulée, charge l’imaginaire. Dans les deux cas la voie somato-psychique se verrouille. L’expression émotionnelle retrouvée va permettre la décharge tensionnelle et le retour du refoulé. La vivance affective de la situation conflictuelle, va par la voie des associations permettre l’élaboration des conflits. Ainsi le patient retrouve des niveaux de régression profonds et des points de fixation très anciens. Il défait des circuits de répétition et sort de deuils pathologiques. Le corps devient métaphorique, porteur d’imaginaire et de symbolique, décrypté par le sujet qui le vit et l’exprime au thérapeute qui reçoit et renvoie. La verbalisation Si la relaxation permet au sujet de lier sensations, mouvements et émotions, l’émotion mise en jeu, au lieu de rester rivée au corps, permet le passage à la sphère mentale. Ce travail qui, au départ était recherche, exploration, est devenu dans l’espace thérapeutique explosion de projections, ressaisies et intériorisées : la représentation ouvre et organise l’espace mental. Respiration, voix, cris vont solliciter les représentations et permettre que des mots viennent ponctuer le mouvement corporel et émotionnel. Au-delà du confus, de l’inexprimé, du vécu figé, du mal-être, un chemin se trace vers l’organisé, le dire, la parole, le discours verbal. Le cri du nouveau-né était signal, décharge tonique et émotionnelle en dehors de toute représentation. Ce cri appelait une réponse. C’est pourquoi le mouvement dans sa qualité tonique est lié à la sensibilité du sujet qui parle. Lié à l’activité motrice, peu à peu le verbal s’en détache pour devenir lui-même, comme le mouvement, organisateur de cet « être au monde ». L’un est organisateur de l’être, dans l’espace extérieur, l’autre est organisateur de l’être dans son espace interne et mental. C’est le jeu continu des échanges externes-internes, projections-introjections, qui constituent la dimension de l’homme.


La relaxation psychomotrice et l’« ombilic psychosomatique »

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LA RELAXATION PSYCHOMOTRICE ET L’« OMBILIC PSYCHOSOMATIQUE » : PERSPECTIVES CLINIQUES ET THEORIQUES4

La relation ombilicale fœto-maternelle et son devenir psychique Le premier mode de relation entre une mère et son enfant s’origine dans la vie intra-utérine, à travers une relation symbiotique organique. La mère nourrit l’enfant qu’elle porte par le biais d’un lien physiologique et affectif intense, son corps étant prêt et fonctionnel pour cet échange, parfois, bien avant que son esprit ne prenne conscience de la vie naissante que le corps porte depuis quelques semaines déjà. Pendant neuf mois, une relation ombilicale permet un échange sanguin entre la mère et son enfant. Le corps maternel nourrit le corps de l’embryon puis du fœtus, s’occupe d’en recycler les déchets, soit par voie sanguine, soit en filtrant le liquide dans lequel baigne l’enfant à venir. Si la mère subit un stress intense, son système hormonal va saturer son corps d’hormones spécifiques qui franchiront la barrière fœtoplacentaire et viendront irriguer le fœtus. Si la mère est calme et détendue, le fœtus ou l’embryon le sera aussi. D’emblée, l’être humain se forme dans une niche psychosomatique, dans laquelle il partage non seulement des nutriments nécessaires à sa croissance, mais aussi, par le biais de la voie sanguine via le cordon ombilical, les retentissements physiologiques et hormonaux de l’état psychique de la mère. Ne seraitce, par exemple, qu’en entendant les bruits internes maternels qui, en condition calme, d’agitation ou d’angoisse, subissent eux aussi de grandes variations (rythme cardiaque, bruits digestifs, accélération respiratoire, etc.). Il y a aussi matière à présumer de la capacité psychologique du fœtus à s’accorder à l’état psychologique de la mère ou du père. Si les appareils digestif, excrétoire et respiratoire, le système sanguin, les appareils sensoriels et le système locomoteur sont amenés à fonctionner pendant la vie intra-utérine, on peut imaginer qu’il en est de même de l’appareil psychique, qui utilisera tous ces rudiments fonctionnels pour y ancrer sa propre activité. La psychanalyse nous a appris l’importance, dans le développement de l’appareil psychique, que revêtent les castrations successives, dans leur fonction autonomisante et symboligène (Dolto, 1984). Chaque castration vient signer une étape importante de la vie d’un sujet, étape que celui-ci aura à symboliser pour permettre le passage à un autre niveau de fonctionnement, en intégrant les modes antérieurs. P. Aulagnier (1975) a montré combien les processus originaires puis primaires 4. Olivier MOYANO.


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L’adulte : corps, affect et représentation

s’intégraient au mode général de fonctionnement de la psyché, en remarquant que l’appareil psychique ne renonçait jamais à ses modes antérieurs de fonctionnement, qui constituent en quelque sorte les strates ou fondations inconscientes de l’édifice psychique. Par un effet de régression appelé par une fixation, il n’est pas rare, notamment dans les processus pathologiques, de faire appel à nouveau et en les privilégiant, à ces modes antérieurs de fonctionnement. Ainsi l’obsessionnel devient soudain dominé par la mainmise de la pulsion anale et de ses dérivés, qui non seulement ont forgé son caractère, mais viennent maintenant s’inscrire au-devant de la scène névrotique. Le symptôme obsessionnel, les mécanismes de défense étayés sur le fonctionnement corporel de la sphère anale envahissent la sphère psychique, au détriment du reste. Les castrations orale, anale et génitale constituent la triade du développement libidinal de l’humain, en tenant compte des destins de la pulsion à chacune de ces étapes. La personnalité psychonévrotique se structure dans les bornes ainsi délimitées, avec, comme application des avatars de ce développement, la survenue de la psychopathologie. Mais peut-on oublier pour autant, encore aujourd’hui, la première des castrations, la castration ombilicale ? En reprenant deux arguments cités plus haut et en les énonçant comme des postulats, à savoir que l’appareil psychique ne renonce jamais à ses modes antérieurs de fonctionnement et qu’on peut y avoir accès par fixation-régression, notamment dans les processus pathologiques, comment élaborer, à travers ces deux postulats, le destin psychique de la castration ombilicale et ses avatars ?

Une expérience clinique Mme Navel m’est adressée en consultation par son psychiatre qui la connaît depuis de nombreuses années. De personnalité schizotypique, elle entretient un rapport parfois flou avec la réalité, sans pour autant avoir jamais développé de délire organisé. Mme Navel est retraitée, vit seule depuis la mort de sa mère qui remonte à quelques années. Les deux femmes ont passé la plus grande partie de leur existence ensemble: la mère ne s’est pas remariée après le décès de son mari, Mme Navel de son côté n’a jamais rencontré d’homme pour en faire un compagnon dans l’existence. Les deux femmes étaient extrêmement liées, et le deuil de la mère, comme on le verra par la suite, n’a jamais été accompli chez Mme Navel. Cette dernière vient en consultation pour essayer, sur les conseils du psychiatre, une thérapie par relaxation. Mme Navel est toujours extrêmement angoissée et les soirées sont un véritable calvaire depuis plusieurs années, en raison du traitement draconien que lui impose un psoriasis qui recouvre l’ensemble du corps et une grande partie du visage. Tous les soirs M me Navel doit prendre un bain et


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