Pour Évelyne et Élisabeth qui ont vu naître cette histoire en atelier. Marie
À Orson, Idas et Coco, des mots et des fleurs pour jouer ensemble dans votre jardin imaginaire. Karolien
Texte : Marie Colot Illustrations : Karolien Vanderstappen Relecture : Anne-Soazig Brochoire Livre imprimé en Europe sur papier issu de forêts gérées durablement ISBN 978-2-930941-17-2 Dépôt légal : février 2021 © 2021 CotCotCot Éditions – Des Carabistouilles Sprl www.cotcotcot-editions.com
DES MOTS
EN FLEURS M A R I E CO LOT & K A R O L I EN VA N D ER S TA PPEN
COTCOTCOT ÉD I T I O NS
Un livre est comme un jardin que lʼon porte dans sa poche. Gladys TABER
Le long du chemin de fer, de petits jardins se succèdent comme les wagons dʼun train. Le septième de cette ribambelle, avec la jolie barrière rouge, est un jardin pas tout à fait comme les autres : celui de Monsieur Mots. Monsieur Mots a un métier très spécial. Il est jardinier. Jusqu’ici, rien d’extraordinaire, me direz-vous. Sauf qu’il cultive des mots dans son jardin hors du commun…
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PRINTEMPS
1 ER JOUR
Comme tous les matins, à lʼheure où le premier train siffle, Monsieur Mots pousse la barrière de sa parcelle. Il se balade de rosiers en buissons, de bourgeons en feuilles, et salue chacun et chacune d’une caresse. La terre est multicolore, les fleurs prêtes à éclore. Elles se gorgent de lumière tandis que les abeilles se promènent dans un joyeux désordre. Tout va bien. Monsieur Mots respire l’odeur délicieuse de cette nature encore assoupie. Il s’installe sur son tabouret en bois et savoure la beauté du moment pendant qu’une chenille grimpe jusqu’à la poche de son pantalon.
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Dans la parcelle d’à côté, son voisin s’affaire déjà : il bêche, ratisse et enlève les herbes revêches. Monsieur Terre travaille avec tant d’ardeur que des gouttes de sueur arrosent ses légumes plantés en rangs d’oignons. Ce monsieur porte bien son nom. Ses deux bottes dans le sol, c’est un terre à terre. Et un expert. Paré de ses gants en plastique, il sélectionne les meilleures graines et les sème avec une précision alphabétique : les asperges avant les brocolis, les carottes juste après, suivies par les daïkons, les épinards, le fenouil et, plus loin, les topinambours. Chez lui, pas une feuille de travers, pas une branche rebelle Aucune plante ne s’aventure au-delà de la clôture qu’il a posée autour du territoire où il jardine sans lever le nez. — Que
vos
lavandes
sentent
bon !
le
complimente
Monsieur Mots. — Je les ai achetées pour éloigner les pucerons.
Monsieur Terre ne prend pas le temps de respirer leur parfum. Il n’est pas du genre à se reposer sur ses lauriers. « Quelle idée de s’agiter comme ça ! » pense Monsieur Mots, qui sort un livre de sa poche. Sur la couverture, la chenille se détend après son escalade. Jusqu’au soir, il lit en silence pour ne pas déranger les fleurs qui grandissent…
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5 ÈME JOUR
Il pleut à verse aujourd’hui. La terre est rose, jaune citron, framboise. De belles fleurs blanches se sont ouvertes. À l’intérieur, les mots qui ont poussé s’étirent et chuchotent. Sous son parapluie, Monsieur Mots ouvre son livre à la page un, encore vierge. « Au travail ! » Au creux d’une tulipe, il cueille un premier mot : poème . Il le couche sur le papier et s’en va récolter les mots d’amour et de colère, vieillots et ultra-scientifiques, tordus et à rallonge, latins et étrangers, sans oublier les mots laids et coquets, rares et à la mode. « Quelle chance ! zombie . Je n’ai plus déniché de mot qui fait peur depuis des années. Il ira parfaitement avec
mayonnaise que je viens de ramasser ». Notre jardinier remplit ses poches et poursuit son exploration, mot à mot. « Oh, désolé, fanfreluches, j’ai failli vous oublier ! C’était moins une, n’est-ce pas in extremis ? »
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Dans le cœur d’une anémone, il trouve le début d’un mot et la fin d’un autre. « Tous les deux collés-serrés, voici une
larmoire pour ranger les chagrins ! »
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Monsieur Mots mélange sa récolte entre ses paumes terreuses et crée, dans son livre, des morceaux de phrases inattendus : un zombie in extremis à la mayonnaise et le poème
d’une larmoire à fanfreluches, par exemple. L’après-midi, le soleil revient et Monsieur Terre aussi. Il ausculte son enclos à l’horizontale puis à la verticale et arrache les herbes folles. Arrivé près de sa clôture, il désigne le livre de Monsieur Mots : — Vous faites quoi ? — Je savoure mes récoltes. — C’est bon ? — Succulent.
Monsieur Mots lui montre sa réalisation préférée, page cinq : le vomi intersidéral d’un filou d’ornithorynque . — Mais ça ne se mange pas ! proteste Monsieur Terre. — Bien sûr que si ! Certains mots fondent dans la bouche,
d’autres croquent sous la dent et les plus durs restent sur l’estomac, croyez-moi. — Vous racontez des salades !
Monsieur Terre hausse les épaules et s’en va planter des scaroles. Il aime avoir le dernier mot.
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La suite à découvrir chez votre libraire ou en bibliothèque...
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