Occupations temporaires : quelles opportunités pour le développement urbain?

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MÉMOIRE DE FIN D’ÉTUDES ETUDIANT : SERATI DAVID PROMOTRICE : SOPHIE DAWANCE ANNÉE ACADÉMIQUE 2016-2017 FACULTÉ D’ARCHITECTURE UNIVERSITÉ DE LIÈGE

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OCCUPATIONS TEMPORAIRES : QUELLES OPPORTUNITÉS POUR LE DÉVELOPPEMENT URBAIN ? APPROCHE À TRAVERS LE CAS DE DEUX BARS POP-UP À ANVERS



L’activité temporaire représente une réaction à un monde dans lequel le futur est plus incertain et moins sûr, et une réponse aux changements économiques, sociétaux et technologiques rapides qui raccourcissent le présent dans des cadres temporaires de plus en plus réduits. Notre perte de foi en un monde stable et solide, notre sens croissant de la fragilité de notre existence, notre réticence à faire face à notre futur incertain ou à construire un mode de vie plus durable, notre indifférence grandissante face aux leçons du passé et notre focalisation sur la satisfaction instantanée sont tous les phénomènes qui favorisent l’indulgence envers des expériences éphémères. Et sans aucun doute, ils représentent une mentalité globale émergente dans laquelle le temporaire s’épanouira encore sous toutes ses formes et à travers toutes ses expériences. 1

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P. Bishop & L. Williams, The Temporary City, Londres, Routledge, 2012, p. 213



REMERCIEMENTS La rédaction de tout mémoire universitaire constitue l’aboutissement de cinq années d’études. Je voudrais donc exprimer ici ma gratitude à toutes les personnes qui m’ont aidé dans la réalisation du présent ouvrage. En premier lieu, je tiens à remercier Madame Sophie DAWANCE, ma promotrice, pour son accompagnement bienveillant, ses remarques avisées et les précieux conseils qu’elle m’a prodigués. Je veux aussi remercier mes lecteurs, Madame Rachel BRAHY et Monsieur Jean-Sébastien DE HARVEN, pour leur disponibilité et leurs commentaires judicieux tout au long des derniers mois. Ma reconnaissance va également à Véronique DE BRUYNE, Veerle DESIMPELAERE, Enid JANSEN, Hanne WOUTERS et Bert VAN LOMMEL, qui ont accepté de me consacrer du temps dans le cadre des interviews qui constituent la base de la partie pratique de ce travail. J’adresse un merci tout particulier à mon ami Thomas pour l’aide qu’il m’a apportée par sa présence à mes côtés lors des interviews et des sondages, et tout le travail de traduction de ces derniers. Enfin je n’oublie pas ma famille à qui je dis merci pour son soutien et ses encouragements pendant l’écriture de ce mémoire et, plus largement, au cours de mes études.



I. INTRODUCTION - 3 1. CHOIX DU SUJET

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2. MÉTHODOLOGIE

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II. LE PHÉNOMÈNE DU TEMPORAIRE - 9 1. INTRODUCTION ET MÉTHODOLOGIE

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2. NOTIONS CLÉS

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2.1. 2.2. 2.3. 2.4. 2.5.

INTRODUCTION L’OCCUPATION TEMPORAIRE ET L’URBANISME TEMPORAIRE CARACTÉRISTIQUES DES OCCUPATIONS TEMPORAIRES LA NOTION DE ‘POP-UP’ CONCLUSION

3. CONTEXTE D’ÉMERGENCE 3.1. INTRODUCTION 3.2. CONTEXTE GÉOGRAPHIQUE ET SOCIAL 3.3. CONTEXTE ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE

11 11 12 12 14

15 15 15 16

3.3.1. SITUATION MATÉRIELLE DES VILLES POST-INDUSTRIELLES 3.3.2. LA QUÊTE DE LA PERMANENCE

3.5. HISTORIQUE DES ACTIVITÉS TEMPORAIRES

21

3.5.1. INTRODUCTION 3.5.3. LES PREMIÈRES FORMES D’USAGE TEMPORAIRE DE L’ESPACE URBAIN 3.5.4. LES MOUVEMENTS DE CONTRE-CULTURE

3.6. CONCLUSION

4. FACTEURS ET PHÉNOMÈNES DE L’ÉMERGENCE 4.1. 4.2. 4.3. 4.4. 4.5. 4.6. 4.7.

INTRODUCTION LE RYTHME ET LE TEMPS LES TECHNOLOGIES DE COMMUNICATION LES NOUVELLES FORMES DE TRAVAIL LA PARTICIPATION CITOYENNE LES VILLES ET LE RAPPORT À L’ART LES MILIEUX CRÉATIFS

26

27 27 27 30 31 32 33 37

4.7.1. INTRODUCTION 4.7.2. CONTEXTE D’ÉMERGENCE 4.7.3. LES ACTEURS DU SECTEUR CRÉATIF 4.7.4. LA VILLE CRÉATIVE 4.7.5. LE CITY MARKETING 4.7.6. CONCLUSION

4.8. LES ÉVÉNEMENTS

42

4.8.1. LA NOTION D’ÉVÉNEMENT 4.8.2. L’USAGE DES ESPACES PUBLICS 4.8.3. CONCLUSION

4.9. CONCLUSION

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5. LES ‘POP-UPS’ 5.1. 5.2. 5.3. 5.4. 5.5. 5.6. 5.7.

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INTRODUCTION CONTEXTE D’ÉMERGENCE LA RECHERCHE D’EXCLUSIVITÉ ET D’EXPÉRIENCE LA COMMUNICATION ET LE MARKETING L’IMAGE DE LA VILLE ET LE CITY MARKETING ESSAI DE TYPOLOGIE DES ‘POP-UPS’ CONCLUSION

47 48 50 50 53 55 56

6. L’OCCUPATION TEMPORAIRE COMME OUTIL DE DÉVELOPPEMENT URBAIN

57

6.1. 6.2. 6.3. 6.4. 6.5.

INTRODUCTION LIMITES DE LA PLANIFICATION URBAINE TRADITIONNELLE IMPORTANCE DE LA TEMPORALITÉ IMPORTANCE DE L’ESPACE UN PROCESSUS TACTIQUE

57 57 59 60 63

6.5.1. DÉMARCHES FAVORABLES À LA MISE EN ŒUVRE D’OCCUPATIONSmTEMPORAIRES 6.5.2. LE RECENSEMENT DES LIEUX POTENTIELS À L’OCCUPATION TEMPORAIRE 6.5.3. LES RELATIONS ENTRE LES ACTEURS

6.6. AVANTAGES DES OCCUPATIONS TEMPORAIRES 6.7. LIMITES DES OCCUPATIONS TEMPORAIRES

70 73

6.7.1. LE MILIEU CRÉATIF ET LA GENTRIFICATION 6.7.2. LA CONCURRENCE

6.8. CONCLUSION

7. LES ‘POP-UPS’ D’UN POINT DE VUE ARCHITECTURAL 7.1. INTRODUCTION 7.2. CONSTATS 7.3. FACTEURS D’UNE SIMILARITÉ

78

79 79 79 80

7.3.1. LA GLOBALISATION 7.3.2. LA NOMADITÉ PLURI-URBAINE 7.3.3. L’ESTHÉTIQUE DU TEMPORAIRE

7.4. L’AMÉNAGEMENT TEMPORAIRE EN BÂTI EXISTANT 7.5. STANDARDISATION D’UNE NOUVELLE ESTHÉTIQUE

86 88

7.5.1. LES ‘POP-UPS’ 7.5.2. LES COMMERCES « RÉGULIERS »

7.6. CONCLUSION

8. CONCLUSION

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90

III. ANALYSE DE CAS - 95 1. INTRODUCTION 1.1. CHOIX DES CAS D’ÉTUDE 1.2. MISE EN ÉVIDENCE D’UN QUESTIONNEMENT 1.3. MÉTHODOLOGIE

95 95 96 96


2. LA VILLE D’ANVERS 2.1. INTRODUCTION 2.2. MÉTHODOLOGIE D’ENQUÊTE 2.3. CONTEXTE ET INITIATIVES FAVORISANT L’ÉMERGENCE DES POP-UPS’ 2.4. LES DEUX QUARTIERS ET BÂTIMENTS DES ‘POP-UPS’ ÉTUDIÉS

98 98 98 99 102

2.4.1. BAR GLOED – QUARTIER DE LA GARE CENTRALE 2.4.2. BAR PANIEK – QUARTIER EILANDJE 2.4.3. STATISTIQUES COMPARATIVES DES DEUX QUARTIERS

2.5. CONCLUSION

3. BAR GLOED 3.1. CARTE D’IDENTITÉ

113

114 116

3.1.1. TYPOLOGIE 3.1.2. ACTEURS ET HISTOIRE DE L’OCCUPATION

3.2. ÉTUDE APPROFONDIE

120

3.2.1. INTRODUCTION ET MÉTHODOLOGIE 3.2.2. OBSERVATIONS 3.2.3. HYPOTHÈSES SUR L’IMPACT DU BAR

4. BAR PANIEK 4.1. CARTE D’IDENTITÉ

126 128

4.1.1. TYPOLOGIE 4.1.2. ACTEURS ET HISTOIRE DE L’OCCUPATION

4.2. ÉTUDE APPROFONDIE

132

4.2.1. INTRODUCTION ET MÉTHODOLOGIE 4.2.2. OBSERVATIONS 4.2.3. HYPOTHÈSES SUR L’IMPACT DU BAR

5. HYPOTHÈSES DE CONFRONTATION DES DÉMARCHES D’AMÉNAGEMENT

138

6. CONCLUSION

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IV. CONCLUSION - 145 ANNEXES - 149 INTERVIEWS SONDAGES TABLE DES ILLUSTRATIONS BIBLIOGRAPHIE

149 158 163 171



I. INTRODUCTION



1. CHOIX DU SUJET La rédaction de ce présent mémoire est avant tout guidée par l’envie de comprendre et de relater un phénomène de plus en plus fréquent, et ses caractéristiques majeures. Les études d’architecture, à travers les différents modules théoriques et pratiques, nous enseignent avant tout la manière de concevoir des fonctions, des spatialités et des atmosphères destinées à un usage voulu permanent. C’est également le cas dans la démarche de la plupart des bureaux d’architecture. Les scénarios sont projetés de telle manière : la présence d’une problématique est mise en évidence, qu’elle soit présente dans un contexte urbain, rural, dans un bâtiment existant ou sur une parcelle non construite. Les solutions urbanistiques et architecturales mises en œuvre afin de répondre à cette problématique sont conçues dans une optique de durabilité. La temporalité abordée est généralement celle du long-terme. Lors de diverses escapades urbaines, et à travers l’une ou l’autre conférence, j’ai eu l’occasion de découvrir et de me familiariser avec certains projets qualifiés de « temporaires ». J’ai dès lors été fasciné par la manière dont certains individus étaient capables de transformer un espace vacant et de lui redonner vie, à l’aide de moyens semblant relativement économiques, et suivant un mode de construction « artisanal ». Ces individus semblent se donner la possibilité de jouir d’un programme dans une infrastructure généreuse, tout en créant des atmosphères agréables et qui plaisent à la population. D’un point de vue personnel et en tant que futur architecte, je définirais mon intérêt pour le sujet comme un intérêt d’un amoureux incontesté du milieu urbain porté envers un phénomène grandissant. J’aimerais effectivement, si un jour j’en ai l’opportunité, intégrer ou créer un organisme – que cela soit un bureau d’architecture ou un collectif - qui de près ou de loin contribue à améliorer la vie des citadins. Je suis en effet séduit par l’idée d’une lutte contre l’espace urbain inutilisé et l’aménagement transitoire de structures en lieux de loisir à offrir à la population. Le mot offrir semble anodin, mais comme nous le constaterons par la suite, il revêt une importance primordiale. En effet, le chapitre suivant tentera de définir des typologies d’occupations temporaires d’espaces selon un critère des plus importants : son aspect commercial. Comme nous le verrons tout au long de ce mémoire, il réside à notre époque un certain enjeu dans l’aménagement temporaire. Le phénomène n’est pas des plus récents, mais il semblerait que son potentiel soit encore à exploiter. Les recherches effectuées sur le sujet m’ont permis d’en comprendre son fonctionnement complexe, mais également les raisons pour lesquelles il est devenu si courant. Ces recherches m’ont également mené à en découvrir ses limites. Elles représenteront dès lors une base importante, dans le cas où un jour je serais amené à prendre part au phénomène de l’une ou l’autre manière. Ce mémoire n’a évidemment pas la prétention de répertorier le panel complet de toutes les occupations temporaires existantes, et de comprendre les raisons de l’existence de chacune depuis son origine en passant par les motifs et les moteurs de sa mise en œuvre. Il cherche plutôt à donner un aperçu à travers différents facteurs, critères et indicateurs, d’un mouvement dont la philosophie est basée sur l’idée de l’éphémère. Cette tendance relativement propagée et pouvant prendre un nombre incalculable de programmatiques et de formes est souvent peu comprise et analysée au niveau des raisons de son existence et de la manière dont elle fonctionne.

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2. MÉTHODOLOGIE Le mémoire se divise en deux parties. La première partie, plus théorique, tente de définir le phénomène des occupations temporaires à travers certains critères qui le définissent, d’en comprendre le fonctionnement, son origine et ses conséquences. Cette partie permet de donner les bases d’une réflexion à laquelle la partie pratique tentera de répondre. La partie pratique relate la présentation et l’analyse de deux cas d’occupations temporaires, que nous appellerons ‘pop-ups’. Une compréhension de leur contexte d’émergence et des acteurs qui en ont permis sa création est indispensable. A travers des témoignages et des statistiques, l’objectif de cette partie est de donner une idée de l’impact que ces occupations donnent sur le court et le long-terme, et permettre, en s’appuyant sur la partie théorique, de tirer des conclusions générales quant à la cohérence de celles-ci.

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II. LE PHÉNOMÈNE DU TEMPORAIRE



1. INTRODUCTION ET MÉTHODOLOGIE Cette première partie découle de la compréhension, de la traduction et de l’articulation du contenu de trois ouvrages anglophones de référence. Le phénomène des occupations temporaires est un sujet très vaste, sur lequel peu de contenu bibliographique en lien direct avec le thème a été publié. Il se réfère à une série d’autres facteurs et thèmes connexes abordés par d’autres ouvrages, articles de presse populaire et articles scientifiques. Les points de vue ou les faits tirés de ces extraits appuient ou complètent les propos tirés des ouvrages de référence. Le premier ouvrage, Urban Catalyst : The Power of Temporary Use, est supervisé par Philipp Oswalt, Klaus Overmeyer et Philipp Misselwitz. Ces architectes et/ou urbanistes ont publié dans cet ouvrage le résultat de leur projet de recherche nommé « Urban Catalysts » qui avait pour but d’analyser la temporalité dans les aires urbaines résiduelles.1 Le livre analyse les différentes manières desquelles la planification urbaine peut incorporer des processus informels et décrire les leçons importantes que les architectes et les urbanistes peuvent retenir des usages temporaires.2 La particularité de cet ouvrage est la manière dont la théorie relate les différentes formes que peuvent prendre les initiatives pour l’occupation temporaire et le devenir du site. Chaque forme est concrétisée à l’aide d’un ou plusieurs exemples relatés de manière complète et non suivant un unique aspect phare : carte d’identité, histoire de la mise en œuvre et de l’usage. Cette théorie couplée à des exemples concrets est complétée par des essais et des entrevues par et avec d’autres auteurs compétents dans les domaines connexes afin d’apporter un cadre de référence à la naissance et à la propagation des usages temporaires. Le deuxième ouvrage, The Temporary City, est rédigé par Peter Bishop et Lesley Williams. Ces urbanistes apportent la base contextuelle des occupations temporaires à travers des grandes lignes qui caractérisent l’émergence et la mise en place de ces occupations, et les opportunités que celles-ci donnent aux usagers et aux espaces concernés. Des exemples brièvement décrits à la fin de chaque chapitre appuient les propos théoriques qui expliquent les grandes lignes. Le troisième ouvrage, Cities in Time : Temporary Urbanism and the Future of the City, est rédigé par Ali Madanipour. Cet urbaniste aborde les notions de l’éphémère par le biais de la manière dont le temps est incorporé dans la ville, à travers les différentes conceptions de temporalités, leurs causes et leur effet.3 Le livre est moins axé que les précédents sur les occupations temporaires à proprement parler en termes d’exemples. Il développe plutôt une analyse théorique et critique de cette tendance globale en la localisant dans les concepts philosophiques de temps, les processus économiques et technologiques du changement global, et les expériences sociales et personnelles de la vie en ville. L’urbanisme, en tant que modèle d’événements, est analysé à l’intersection de trois formes de temporalité : instrumentale, existentielle et expérimentale.4 Le premier chapitre de cette partie définit certaines notions clés et certains mots fondamentaux pour la compréhension des chapitres ultérieurs. Le second chapitre explique le contexte d’émergence du phénomène des occupations temporaires, en abordant d’une part les conditions socio-économiques et politiques, et d’autre part un bref historique de la notion du temporaire. Le troisième chapitre tente de citer et de développer une série de facteurs ou de phénomènes qui sont propices à la popularisation des occupations temporaires et à leur importance dans la société actuelle. Le quatrième chapitre, dans une optique similaire au précédent, tente de relater la manière dont le consumérisme entre en corrélation avec le phénomène grandissant des occupations temporaires à travers l’apparition des ‘pop-ups’, modifiant parfois l’intention de l’usage d’un espace, où l’objectif de faire du profit semble primordial. S’ensuit la synthèse d’une série de caractéristiques phares qui décrivent les ‘pop-ups’.

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Repéré sur : http://www.urbancatalyst.net/kovermeyer.php?lang=en P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, Urban Catalyst : The Power of Temporary Use, Berlin, DOM Publishers, 2013, quatrième de couverture 3 A. Madanipour, Cities in Time : Temporary Urbanism and the Future of the City, New-York, Bloomsbury, 2017, quatrième de couverture 4 A. Madanipour, op. cit., p.3-5 2

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Le cinquième chapitre aborde la dimension urbanistique des occupations temporaires (‘pop-up’ ou non) et leur enjeu éventuel dans le développement urbain. Certaines limites de leur usage y figurent également. Le sixième chapitre, vise à questionner un parti pris d’aménagement architectural - qui certes ne peut se généraliser à toutes les occupations - à travers certains parallélismes avec des modes de production ou de construction existants. Les deux derniers chapitres sont dès lors utiles à mettre en évidence plusieurs problématiques quant à la cohérence de l’occupation temporaire, surtout celle à vocation commerciale, et ses incidences sur le développement urbain et sur la manière d’envisager leur architecture. Ces problématiques seront relevées dans la conclusion. Les exemples d’occupations temporaires d’espaces construits ou non-construits sont innombrables. C’est pourquoi une sélection de certains projets en rapport avec les propos est indispensable. Néanmoins, certaines des illustrations qui se réfèrent à l’une ou l’autre idée exprimée dans la partie théorique ne sont pas forcément des occupations temporaires, mais permettent uniquement d’appuyer ou de compléter le ou les propos.

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2. NOTIONS CLÉS 2.1. INTRODUCTION Ce chapitre a pour objectif de définir et cerner le sujet qui sera abordé et expliqué tout au long de ce mémoire et de garantir une compréhension correcte des termes employés pour y parvenir. Ces termes ne sont pas forcément courants et ils peuvent sembler relativement imprécis voire vastes. Il convient alors de recadrer le contexte d’usage de chaque terme.

2.2. L’OCCUPATION TEMPORAIRE ET L’URBANISME TEMPORAIRE Le premier critère qui cible le sujet de l’occupation temporaire d’un espace est bien évidemment celui de la temporalité. En effet, la définition n’est pas réellement à propos de la nature de l’usage ou de certaines caractéristiques (bail, occupation spontanée) mais plutôt sur l’intention de l’usage et du fait qu’il soit temporaire. La nature du temps limité de l’usage est explicite.1 Le terme occupation temporaire fait référence à la manière d’occuper l’espace temporairement. Il renvoie à une action humaine, celle d’occuper. Le terme usage temporaire (ou usage intérimaire, ou activité temporaire) parle plutôt de la fonction qui prend place dans l’espace. Les occupations temporaires, à travers leur vaste étendue, peuvent prendre différents noms : provisionnel, informel, guerilla, pop-up, do-it-yourself, hands-on, non-planifié, participatif, tactique, micro, de nombreux mots existent pour décrire le type d’urbanisme interventionniste à travers les villes dans le monde.2 L’un ou l’autre terme pourrait ressortir par la suite. Les fonctions, les espaces et les types d’acteurs sont nombreux. D’un centre communautaire à un commerce éphémère, en passant par un festival, chaque occupation temporaire est générée suivant la volonté d’un tiers et la disponibilité d’un espace. Les espaces pour l’occupation temporaire peuvent provenir de la réutilisation de sites vacants et recyclage d’espaces sous-usés ou être construits : pavillons, stands de foire, architecture container, housing temporaire, etc. 3 Les espaces non-bâtis peuvent également être supports à une occupation. Ces occupations temporaires de l’espace, Benjamin Pradel les perçoit comme génératrices d’un « urbanisme des modes de vie, un chrono-urbanisme, ou encore un urbanisme de stimulation de la vie sociale ».4 Tout simplement, un urbanisme temporaire généré par l’action urbaine.5 Les différentes lectures permettent de définir les usagers temporaires comme les acteurs qui initient, mettent en place l’occupation temporaire et ceux qui en sont les gérants. En fonction de chaque type d’usage, de nombreux usagers sont possibles. Quelques uns d’entre eux seront explicités par la suite. Peter Bishop et Lesley Williams ne considèrent pas les grands événements temporaires tels que les jeux olympiques et les expositions universelles comme de l’urbanisme temporaire à proprement parler car ils laissent de grands édifices permanents et une mémoire collective importante pour la nation. Dans ces événements, les aspects quotidiens de l’urbanisme temporaire ne sont pas présents.6

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A. Madanipour, op. cit., p. 5 Ibid., p.2 3 Ibid., p.3 4 B. Pradel, « L’urbanisme temporaire : signifier les « espaces-enjeux » pour réédifier la ville », dans Y. Le Caro (dir.), & al., Espaces de vie, espaces enjeux, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p.246 5 Ibid., p.245 6 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.7 2

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Il est également possible d’observer une aire utilisée de façon informelle sans usage temporaire prévu, notamment lorsque des citadins s’approprient l’espace en y jouant, marchant ou encore en y piqueniquant, sans qu’il y ait d’infrastructure destinée à cet effet.7 Beaucoup de limites entre les thèmes sont floues, car c’est justement la rupture des distinctions traditionnelles entre les types d’usage d’un terrain et ses activités qui est une caractéristique clé de l’urbanisme temporaire. 8 Les occupations temporaires ne sont pas des flashs dans le vide, mais se manifestent dans des localisations particulières en une temporalité donnée, c’est pourquoi une compréhension à la fois de l’espace et du temps est requise dans l’investigation de l’urbanisme temporaire.9

2.3. CARACTÉRISTIQUES DES OCCUPATIONS TEMPORAIRES Les usages temporaires ont lieu dans des espaces flexibles où l’usage multiple est possible. Les usages se distinguent selon le fait qu’ils soient planifiés et formels ou accidentels et informels, spontanés, ou illégaux. Ils peuvent par exemple avoir lieu lorsqu’une ville se développe ou rétrécit. La durée des occupations peut varier : une nuit, un week-end, une semaine, une saison, une année, voire plusieurs.10 Robert Temel qualifie les activités temporaires comme une activité avec ses qualités intrinsèques, et non comme une substitution de l’activité réelle.11 En effet, et comme nous le constaterons par la suite, le phénomène des occupations temporaires de nos jours est généré par une série de facteurs, dans la raison de son existence, mais également dans la manière dont ces occupations existent avec leurs qualités propres.

2.4. LA NOTION DE ‘POP-UP’ Un point important de ce mémoire est de différencier les occupations temporaires à travers leur vocation commerciale, plus particulièrement celles que le langage populaire qualifie de ‘pop-up’. En effet, la partie pratique de celui-ci vise à donner une indication sur l’impact dans un quartier d’occupations ‘pop-up’. Ali Madanipour interprète le nombre croissant de festivals, parades, et autres évènements de courtedurée comme un lecteur de la commercialisation de la vie urbaine, puisque beaucoup de ces évènements sont associés à une certaine activité commerciale. 12 Selon lui, d’un point de vue économique, un événement à court-terme peut devenir un événement innovateur s’il génère des biens et des services qui peuvent être vendus à la population, en particulier à ceux hors la localité. Les expositions, les festivals culturels peuvent être analysés de la sorte, puisqu’ils sont des activités temporaires qui peuvent attirer un large nombre de personnes dans la localité.13 Ce critère de biens et services vendus à la population qualifiant notamment les festivals, peut également être le critère premier des occupations temporaires dites ‘pop-up’.

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P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.61 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.7 9 Ibid., p.30 10 A. Madanipour, op cit., p. 5 11 R. Temel, « The Temporary in the City », dans F. Haydn, R. Temel, éd., Temporary Urban Spaces, Vienne, Birkhaüser, 2006, p. 55 12 A. Madanipour, op. cit., p. 157 13 A. Madanipour, op. cit., p. 43-44 8

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Le verbe pop up en anglais signifie apparaître soudainement ou de façon inattendue14. Sous cet angle de vue, il pourrait qualifier n’importe quelle occupation temporaire. Pourtant, le mot ‘pop-up’ est presque toujours employé dans le langage populaire pour qualifier un bar ou restaurant, un cinéma ou théâtre, et un commerce ou un marché, temporaires évidemment. Il est difficile de prouver scientifiquement la raison pour laquelle le mot ‘pop-up’ est toujours associé à l’idée commerciale. La définition du mot ‘pop-up’ dans notre contexte n’est présente que dans un seul dictionnaire de langue anglaise, The American Heritage Dictionary of the English Language. La définition est la suivante : Un business ou établissement, tel qu’un commerce ou un restaurant, qui est censé être ouvert pour business uniquement de manière temporaire.15 Aucune source ne mentionne de date ou d’année où le mot ‘pop-up’ fut employé pour la première fois. L’unique méthode qui pourrait donner une indication serait de comprendre le contexte dans lequel il a été employé les premières fois. Une recherche ciblée par année via le moteur de recherche Google permet de trouver deux articles. Le premier est un article de janvier 2004 du site Trendwatching.com (qui se définit comme une plateforme qui aide les professionnels dans le milieu du business à comprendre le nouveau consommateur et à débloquer les opportunités profitables d’innovation 16 ), nommé « Pop-up retail »17 (retail signifie vente au détail en anglais). Le second est un article d’octobre 2004 du New-York Times, journal de référence des Etats-Unis et maintes fois primé.18 Écrit par Andreas Tzortzis, il s’intitule « Pop-up Stores : Here today, Gone Tomorrow »19. Nous pouvons supposer que c’est à cette période que le mot ‘pop-up’ fut communiqué à un type de population moins spécifique. London Pop-ups, un site internet qui détaille partout dans la ville de Londres la liste des ‘pop-ups’ durant leur période d’occupation20 définit le ‘pop-up’ comme une tendance de vente globale adoptée à la fois par des petits entrepreneurs et des larges corporations. Ses créateurs soulignent le fait que les activités ‘pop-up’ se sont propagées sous forme de divers types d’activités dans différents pays, devenant une tendance internationale.21 Dans la définition du mot ‘pop-up’, nous pouvons aussi supposer que des bars ou boutiques qui font partie d’un festival ou d’une manifestation urbaine (par exemple sous forme d’aubette) ne prennent pas la dénomination de ‘pop-up’ car ils fonctionnent au service de l’événement important et non comme des entités autonomes. L’idée première de l’émergence du mot ‘pop-up’ selon Madanipour était d’utiliser celui-ci afin de le tourner en une marque désirable. La conséquence est donc que certains usages, même noncommerciaux, peuvent parfois être présentés sous ce nom par les initiateurs pour attirer une jeune population. 22 D’où l’importance dans ce chapitre de mentionner que lorsque le mot ‘pop-up’ sera employé, il fera uniquement référence aux occupations temporaires commerciales fonctionnant en entités autonomes.

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Repéré sur http://dictionary.cambridge.org/dictionary/english/pop-up Repéré sur https://ahdictionary.com/word/search.html?q=pop-up 16 Repéré sur http://trendwatching.com/about/ 17 Repéré sur http://trendwatching.com/trends/POPUP_RETAIL.htm 18 Repéré sur http://www.courrierinternational.com/notule-source/the-new-york-times 19 Repéré sur http://www.nytimes.com/2004/10/25/business/worldbusiness/popup-stores-here-today-gone-tomorrow.html 20 Repéré sur http://www.londonpopups.com/ 21 A. Madanipour, op. cit., p. 2 22 A. Madanipour, op. cit., p. 53 15

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2.5. CONCLUSION Ce chapitre a permis de définir et d’identifier les notions clés et leurs différences, nécessaires à la bonne compréhension de la suite de ce mémoire. Les occupations temporaires, part de l’urbanisme temporaire, accueillent des usagers et des usages ou activités temporaires. Parmi celles-ci se distinguent celles qui génèrent des biens et des services à la population que nous pouvons qualifier de commerciales, et parmi ces commerciales s’établit une différence entre les événements tels que les festivals, et les entités plus autonomes, qualifiées populairement de ‘pop-up’. Certaines caractéristiques et typologies d’occupations temporaires et de ‘pop-ups’ seront explicitées par la suite.

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3. CONTEXTE D’ÉMERGENCE 3.1. INTRODUCTION Ce chapitre vise à donner un contexte social et spatial dans lequel les occupations temporaires auparavant définies peuvent exister. Il montre également à travers certains exemples la manière dont la notion du temporaire a toujours existé dans la société.

3.2. CONTEXTE GÉOGRAPHIQUE ET SOCIAL Les conditions qui accueillent des initiatives d’activités temporaires ne sont pas universelles. Elles reflètent un « luxe » que seules les villes faisant partie de l’économie post-industrielle peuvent se permettre, car dans de nombreuses régions d’Afrique ou d’Amérique latine par exemple, la plupart des structures et des activités sont temporaires.1 Il est peu aisé de définir précisément les pays dans lesquels ces initiatives sont courantes. Les zones géographiques qui semblent les plus concernées seraient l’Amérique du Nord, l’Europe, et l’Asie de l’Est, presque toujours en milieu urbain.2 Mais même dans ces zones, l’éphémère peut être perçu comme un signe de faiblesse économique. L’usage de l’espace public pour des échanges informels (Fig. 1) est un exemple majeur de l’urbanisme par le pauvre dans de nombreuses villes du monde.3 Avec l’effondrement des états socialistes à la fin de la confrontation est-ouest de 1989, de nouvelles vagues de migration se sont développées vers l’Europe occidentale. Cette croissance progressive du global networking entre les villes européennes a au fur et à mesure augmenté le taux de migration depuis les pays extra-européens et l’image quotidienne des villes européennes est à présent définie par des marchés informels et des nouvelles formes d’échange importées des pays en voie de développement.4 L’urbanisme temporaire, en dehors des initiatives d’activités temporaires, reflète aussi des formes extrêmes de vulnérabilité telles que des villes tentes (Fig. 2) et des camps de réfugiés qui apparaissent après des désastres naturels et des guerres, témoignant d’une réponse au décalage entre les besoins de la population et la disponibilité d’espace.5 Ce type d’intervention qui se réfère à un besoin primaire de l’homme ne fait pas l’objet de notre étude, malgré son aspect temporaire.

Fig. 1 Vendeur de rue à Rome

Fig. 2 Ville tente érigée après un tremblement de terre à Haïti, 2010

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P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.6 La plupart des projets vus et étudiés se situent dans ces zones. 3 A. Madanipour, op. cit., p. 100 4 P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.12 5 A. Madanipour, op. cit., p. 49 2

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3.3. CONTEXTE ÉCONOMIQUE ET POLITIQUE

Bishop et Williams perçoivent depuis les trente dernières années une incertitude croissante générée par les conditions politiques, environnementales et économiques dans lesquelles nous vivons. Par exemple, le réchauffement climatique qui a provoqué des désastres naturels a donné l’idée que les structures sont parfois plus fragiles et temporaires que l’on ne croit, et la crise économique de 2008 a changé notre manière de croire en la croissance perpétuelle.6 Madanipour exprime également ce point de vue. Il se remémore les périodes de prospérité, qui pour lui ont engendré un sens de la confiance et de la continuité, suivies des crises écologiques et sociales qui ont augmenté le sens de la contingence de notre condition, exacerbant l’anxiété à propos du futur inconnu.7 Pour lui, l’émergence des usages temporaires est liée à la globalisation : il définit cette dernière comme un processus de relocation qui cherche à étendre le temps et l’espace tout en réduisant les coûts et en augmentant les profits où les industries de manufactures cherchent à se relocaliser en voulant maximiser les ressources spatiales et temporelles dans des aires à coûts plus bas de terrain et de travail, de réglementations sociales et environnementales plus faibles.8 En effet, en réponse aux frais croissants et à la complexité des pratiques de travail dans les premières régions industrielles, l’investissement dans l’automatisation a grandi et les industries de manufacture ont été relocalisées dans des régions low-cost, où le loyer et les salaires sont plus bas.9 La conséquence pour la production spatiale dans les contextes dès lors désindustrialisés a été une augmentation d’espaces de consommation à travers la création de commerces, restaurants et espaces de loisir supplémentaires qui ont permis d’accommoder des secteurs grandissants de l’économie. Lorsque la crise de 2008 s’est manifestée, un décalage entre l’offre et la demande dans l’espace a émergé. L’usage temporaire de l’espace prendrait donc place dans ce contexte de décalage entre offre et demande et de crise structurelle du modèle de développement économique.10 Un grand nombre d’entreprises importantes en Europe et dans le Nord de l’Amérique ont fait faillite suite aux déclins de la fortune du consommateur et du marché immobilier, avec pour conséquence des expulsions et des espaces non utilisés. Ces événements ont enclenché une perte de capacité à agir de la part des autorités municipales dont le budget a subi des coupures importantes. Ces autorités doivent s’adapter à ces conditions d’incertitude.11 La crise globale récente et les changements structuraux à long terme dans les sociétés urbaines ont créé des écarts spatiaux, temporels et institutionnels, qui sont parfois remplis par des interventions temporaires dans la recherche de solutions intérimaires avant que la crise ne soit terminée. L’usage intérimaire est donc un mécanisme pour faire face à la crise, il n’est donc pas attendu qu’il prévoie des solutions à long terme.12 D’autres facteurs sont aussi identifiés dans Urban Catalyst : les coûts élevés de construction, la résistance populaire à des projets de masse homogènes, les processus de planification trop longs avec des règles strictes, les incertitudes et les risques des programmes non flexibles dans une époque de changement social et économique, le manque de subsides des municipalités, facteurs qui, cumulés, ont donné suite à la présence de nombreux espaces vacants en milieu urbain ou péri-urbain.13

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P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.23 P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p. 130 8 A. Madanipour, op. cit., p.48 9 P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.9 10 A. Madanipour, op. cit., p.51 11 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p. 23 12 A. Madanipour, op. cit., p.51 13 P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.5 7

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3.3.1. SITUATION MATÉRIELLE DES VILLES POST-INDUSTRIELLES La restructuration industrielle, suite à l’arrêt des industries traditionnelles, a généré depuis les années 1960 l’abandon de nombreuses et vastes aires, surtout Europe et en Amérique du Nord. L’apparition et le développement des technologies de transport permettant d’acheminer les produits à bonne destination au moment opportun a rendu superflu le stockage à l’intérieur de ces aires. C’est pourquoi la plupart des ports traditionnels également, certains parfois proches des centres des villes, comportent de larges aires inutilisées, aires qui auparavant étaient destinées au stockage. 14 (Fig. 3) La désindustrialisation et la modernisation ne sont pas les seuls éléments déclencheurs de la vacance. La suburbanisation, la transformation de la structure économique et les changements politiques, la spéculation immobilière et l’échec de certains projets planifiés ont contribué à différents types d’espaces vacants tels que des aires industrielles, des gares et aéroports, des institutions publiques ou encore des résidences vides. 15 Ces espaces vacants sont également la conséquence de la transformation de l’économie et des structures urbaines. À travers les nouvelles formes de travail, de consommation et les programmes récréatifs tels que des galeries commerciales, parcs de loisirs, quartiers d’affaires, la migration en périphérie a entraîné une baisse de la population16, déforçant ainsi les noyaux urbains. Fig. 3 Ancienne gare maritime, Tour et Taxis, Bruxelles

Lors de la crise financière de 2008, en Amérique et en Europe, beaucoup de projets ont été à nouveau planifiés ou simplement abandonnés, et l’impact important de cet affaissement du marché immobilier a poussé certains propriétaires à initier des schémas d’usage temporaire. Les affaissements de marché sembleraient avoir créé un élan d’idées de nouvelles activités et de l’espace pour accueillir leur évolution. Le phénomène reflète aussi une nouvelle pensée des pratiques de la part des propriétaires individuels et des compagnies, car les pratiques établies ne fonctionnent plus.17 En effet, les espaces vacants persistent parfois pour des durées assez importantes, plus importantes que les autorités publiques ne le souhaiteraient. Le processus de développement de l’aire peut être relativement long au vu de sa superficie. Il peut être simultané à un affaissement de marché immobilier où la demande est peu élevée pour l’usage définitif du lieu. Dans le cas où il y a de la demande, les coûts de conservation ou de décontamination d’un immeuble présent sur cette aire peuvent se révéler excessifs.18 Parfois, les sites sont intentionnellement développés sur le long-terme car ils font partie d’un processus important de planification de plusieurs infrastructures.19 (Fig. 4)

Fig. 4 Master plan du projet HafenCity, Hamburg

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P. Bishop & L. Williams, op. cit., p. 24 P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.52 16 Ibid., p.9-10 17 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p. 25 18 Ibid.24-25 19 P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.52 15

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En parallèle, depuis les dix ou vingt dernières années, on a vu émerger un nombre supérieur d’installations temporaires dans la ville telles que des installations artistiques ou d’agriculture urbaine, initiatives venant de la part de communautés ou de personnes individuelles. Beaucoup de ces interventions bottom-up sont spontanées, sans autorisation.20 (Fig. 5) Selon Temel, ces usages temporaires permettraient de libérer le territoire des chaînes du permanent et rendre possible l’utilisation de celui-ci dans des périodes normalement improductives.21 La vacance devient un vide temporel et spatial entre les anciens et les nouveaux usages et les usagers temporaires essayent de sélectionner ces sites qui, lorsqu’ils sont Fig. 5 Exemple d’agriculture urbaine spontanée à Liège, 2016 abandonnés, n’intéressent pas directement les investisseurs immobiliers. 22 Les sites industriels abandonnés, les espaces de bureaux vacants et autres bâtiments vides sont une source d’espace pour tout genre de développement entrepreneurial et culturel, activité qui s’arrête et/ou se déplace lorsque le redéveloppement de l’aire est lancé.23 Pour Arnold Reijndorp, ces activités qui se développent dans les périphéries centrales des villes apportent une réponse aux changements économiques, sociaux et culturels qui prennent place dans les villes d’Europe et du nord de l’Amérique. Elles seraient à l’heure actuelle une réponse plus adéquate que l’approche politique officielle.24 Le point de vue de Bishop et Williams, certes contestable, sur le temporaire dans sa dimension temporelle est intéressant pour la suite : Puisque dans les villes les bâtiments changent et évoluent (démolition, construction, reconversion) et les activités changent selon les besoins et les tendances de la société (société, culture, technologie), nous pouvons donc dire que tout est temporaire. Pourquoi les urbanismes ont donc été si focalisés sur la permanence ? 25

3.3.2. LA QUÊTE DE LA PERMANENCE L’anxiété à propos du futur incertain, définie par Madanipour au point précédent, révèle une anticipation de la vulnérabilité et du désordre, engendrant une série de phobies à propos de l’inconnu. Selon lui, la réponse pourrait être un désir magnifié pour l’ordre et la stabilité.26 Ce désir peut être vu comme une quête de la permanence, qui se traduit chez l’homme comme la volonté d’arriver à un résultat ou une solution finale, car elle apporte un sens de la sécurité. Les solutions décrites comme temporaires ont donc souvent tendance à être vues comme secondaires.27 L’usage temporaire de l’espace, sous ce point de vue, peut être décrit comme l’opposé de la permanence inhérente dans les objets fixes du territoire et de la propriété foncière, or même la permanence de la propriété semble être temporaire lorsqu’elle est vue dans une perspective historique et environnementale plus longue, où des villes entières peuvent

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P. Bishop & L. Williams, op. cit., p. 3 R. Temel, op. cit., p. 56 22 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p. 25 23 A. Reijndorp, « Cultural Generators », dans P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, Urban Catalyst : The Power of Temporary Use, Berlin, DOM Publishers, 2013, p.132 24 Ibid., p.132 25 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p. 3 26 A. Madanipour, op. cit., p.130 27 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p. 11 21

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émerger et disparaître dans une relativement courte période de temps. 28 Ou encore, comme dit précédemment à propos des contrées moins développées, la permanence est parfois un rêve inaccessible car la pauvreté urbaine est dictée par l’incertitude et l’environnement physique globalement temporaire.29 Selon Zygmunt Bauman, la modernité est passée d’une phase solide à une phase liquide. La modernité solide relate l’idée d’une croyance à la possibilité de créer un monde parfait rationnel, où le changement, temporaire, est un moyen d’acquérir de la connaissance supplémentaire pour tendre encore plus vers ce monde parfait jusqu’à atteindre celui-ci. Or dans la modernité liquide, l’homme ne croit plus en l’état de perfection du monde, et le changement doit aspirer à la condition permanente de la vie humaine, ce qui crée des sentiments d’incertitude. Ce qui est fiable aujourd’hui ne le sera peut-être plus demain, et les individus se doivent d’être flexibles et adaptables, c’est-à-dire pouvoir changer de tactique pour organiser leur vie.30Ce changement de phase peut s’expliquer à travers l’incertitude abordée dans les points précédents mais également à travers les éléments suivants. L’idée de permanence et d’absolu a toujours dominé l’architecture et la planification urbaine.31 Dans le flux d’une ville, Rossi cherche à identifier les éléments qu’il définit comme endurants, éléments qu’il trouve à travers la présence des monuments. Pour lui, là où les dynamiques urbaines sont exprimées dans la destruction, la démolition, et le changement d’usage, les monuments sont les éléments primaires, les points fixes qui offrent la permanence, « signe d’une volonté collective exprimée à travers les principes de l’architecture ».32 En effet, une ville peut conserver son implantation et garder le même nom, mais elle est formée d’individus et d’objets, qui changent et évoluent au fil du temps. De nouveaux individus viennent habiter en ville, de nouvelles routes et bâtiments sont construits, mais certains individus s’en vont, certains meurent et les bâtiments âgés sont démolis. Il serait impossible d’imaginer une ville vivante sans ces changements. Sur le court terme, ces petites variations n’ont pas un impact majeur sur la ville dans son ensemble, un modification complète de la ville n’apparaît pas. Mais à travers le temps, les effets accumulés de ces changements peuvent largement transformer la ville. Or les parties anciennes et les monuments historiques d’une ville restent identiques, même après des décennies de transformations rapides dans les habitudes sociales et l’innovation technologique.33 Mais ce ne sont pas uniquement les monuments historiques qui ont marqué l’histoire du développement des villes. A travers les siècles, les centres des villes sont devenus l’endroit où les personnes de pouvoir et les institutions luttaient pour avoir le contrôle. En plaçant une église au centre d’une ville européenne médiévale, on donnait clairement le contrôle de la ville à l’institution religieuse. En construisant des hautes tours au cœur d’une ville américaine, on attribuait la représentation à l’élite du business. L’accumulation de ces contrôles a créé un paysage urbain, spécialement dans le centre des villes, qui montre comment les institutions de pouvoir ont gravé leur marque dans la ville. 34 Selon Madanipour, les évènements temporaires peuvent défier ces représentations en offrant une lecture alternative d’un endroit ; alternativement, ils peuvent accompagner et consolider ces formes de pouvoir en ajoutant du goût et de la flexibilité à leur représentation et à l’expérience de la ville.35 Cette réflexion fait naître un questionnement quant à la manière dont les usages temporaires pourraient interagir avec le bâti construit auparavant dans l’idée de permanence. (Fig. 6 & 7)

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Ibid., p.70-71 Ibid., p.12 30 Z. Bauman, Liquid Modernity, Owford, Blackwell, 2000, p. 8-9 31 J. Fezer, « Open Planning », dans P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, Urban Catalyst : The Power of Temporary Use, Berlin, DOM Publishers, 2013, p.165 32 A. Rossi, L’architecture de la ville, Gollion, Infolio, 2006, p.22 33 A. Madanipour, op. cit., p.97-102 34 Ibid., p.105 35 Ibid. 29

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Fig. 6 Le bâtiment « Steen der Wijzen », l’un des monuments de la ville d’Anvers

Fig. 7 Usage temporaire du bâtiment à des fins culturelles avant sa reconversion

Un autre aspect de la permanence réside dans l’approche déterministe et fonctionnaliste du modernisme du XXème siècle, qui est caractérisée par un courant d’architectes et d’urbanistes, ayant cherché à fixer dans chaque détail les usages et les processus fonctionnels. Cet objectif de perfection à longue durée était presque toujours connecté avec une autorité. 36 Les exemples de constructions et de transformations urbaines d’ampleur exceptionnelle, telles que Brasilia à travers Niemeyer ou Paris à travers Haussmann, énoncés par Jean-Paul Lacaze, montrent à quel point le pouvoir de l’urbaniste et de l’autorité pouvait être puissant : « les problèmes économiques et sociaux ont pris une ampleur telle que les modes traditionnels de régulation de l’espace ne suffisent plus pour s’y attaquer. La classe politique accepte alors de plus ou moins bon gré de déléguer ses pouvoirs à une sorte de dictateur, au sens romain du terme, chargé de trouver et vite comment remédier à la situation. »37 Et tandis que le temps parle de changement et de mouvement, si l’on se réfère aux caractéristiques principales de l’architecture et de la planification fonctionnaliste 38, l’espace conçu et construit, où les éléments sont définis par leurs dimensions et leur localisation, semble être fixé et permanent. 39 « L’uniformité regrettable des grands ensembles ainsi que l’accumulation de problèmes sociaux que l’on y a enregistrés ont bien montré, depuis, le caractère doctrinal et non scientifique du fonctionnalisme. La recherche a confirmé l’absence de base scientifique de cette doctrine présentée à l’origine comme une conséquence logique du progrès technique et de l’avancée des connaissances. »40 Le rôle des institutions sociales pour Madanipour est devenu la reproduction de ces fixités de localisation. Il le perçoit dans les lois et les règles qui définissent la possession d’un bien. 41 Les monuments, les institutions sociales et les routines sont fixes. Ces monuments ont été utilisés pour créer de la fixité et défier l’éphémère.42 Pour lui, dans ce contexte, le changement et le mouvement sont un challenge aux arrangements fixés, dans le même sens où les nomades ont été un challenge aux formes sédentaires de la vie. Les évènements temporaires peuvent être vus comme des incidences de l’expérience nomade, semblant aller contre la fixité de l’espace et des institutions sociales.43 De plus, au cours du vingtième siècle, une succession de législations dans les structures du domaine de la construction, de la planification urbaine et de la santé publique ont entraîné une certaine régulation de ces structures : une forme de fixité telle que nous l’avons abordée. Pourtant, ce ne sont pas uniquement ces systèmes qui ont favorisé les structures et activités permanentes. En effet, certaines activités temporaires, par leur dynamique intrinsèque, ont tendu vers une permanence. Par exemple, certains bâtiments de housing préfabriqués érigés comme solution d’après-guerre existent toujours, et des structures telles le London Eye, la Tour Eiffel, ou l’Atomium sont devenues des repères iconiques.44 36

J. Fezer, op.cit., p. 165 J-P. Lacaze, Les méthodes de l’urbanisme, Paris, Presses Universitaires de France, 1990, p.9 38 Définition de la ville selon les quatre fonctions : logement, loisir, travail, mobilité (J. Fezer, op.cit., p. 165) 39 J. Fezer, op.cit., p. 165 40 J-P. Lacaze, op. cit., p.10 41 A. Madanipour, op. cit., p.34 42 Ibid., p.71 43 Ibid., p.33-34 44 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.16 37

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3.5. HISTORIQUE DES ACTIVITÉS TEMPORAIRES

3.5.1. INTRODUCTION L’urbanisme temporaire peut être caractérisé par une haute fréquence d’évènements à court terme, en particulier la construction temporaire et l’usage de l’espace. Tandis que les évènements à court-terme et les constructions temporaires ont toujours existé, l’augmentation de leur débit d’occurrence et la propagation de ces occurrences à travers différentes parties du monde suggèrent que nous sommes témoins d’une émergence d’une tendance globale. Le processus du temporaire pourrait avoir été intégré dans les sociétés humaines de tous les temps, mais sa montée en fréquence est enracinée dans les conditions particulières de notre époque.

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L’usage temporaire de l’espace public pour communiquer et se rassembler, les parades organisées par les institutions du pouvoir, la construction de structures temporaires pour des évènements périodiques tels que des festivals et marchés de rue ne constituent pas une nouvelle tendance et certaines de leurs formes peuvent être aussi vieilles que la ville elle-même. La vie moderne urbaine aurait augmenté et intensifié le temporaire.46 C’est pourquoi récemment, le phénomène des activités temporaires a suscité un plus grand intérêt notamment de la part des chercheurs et des médias. Par exemple, la presse nationale au Royaume-Uni relate en 2010 cette vague récente de ‘pop-ups’ et d’activités intérimaires durant les deux ou trois années passées.47 Un article de 2010 du magazine The Guardian48 publié par Andy Beckett et nommé : « The new public space : how britons have reclaimed the streets » relate que dans les crevasses que les promoteurs ont laissées, une contre-tendance apparaît. On peut le voir à travers les mouvements de jardinage spontanés et le boom des festivals de musique, ou encore dans les « pop-up » shops et restaurants dans les espaces urbains vides.49 Ce sous-chapitre cherche alors à caractériser une série de typologies d’occupations temporaires (certes il est impossible de les citer toutes) qui étaient déjà présentes avant le récent phénomène croissant des usages temporaires, afin de mieux comprendre la manière dont existent les occupations actuelles.

3.5.2. LE NOMADISME La tente pourrait être le premier symbole du mode de vie temporaire, en comparaison à la maison, qui signifierait l’aspiration à la permanence. En effet, Madanipour perçoit le début de l’histoire de l’architecture dans l’apparition des tentes nomades, qui pourraient être assimilées à la première fois où l’humain aurait tenté de construire une structure. La tente serait le prototype de l’édifice, une première tentative de construire un abri, à défaut d’utiliser les abris naturels tels que les grottes ou les forêts, permettant d’être libre des limitations de l’endroit et d’être capable de bouger librement et d’explorer le monde.50 Cette connexion à la permanence, que l’on retrouve dans les abris naturels mais également dans l’idée de la maison, symbolise l’idée du genius loci, un esprit de l’endroit qui demeure dans l’endroit, reflétant ses caractéristiques spécifiques et ses caractères non-changeants.51

45

A. Madanipour, op. cit., p.175-176 Ibid., p.176 47 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.18 48 « The world’s leading liberal voice », journal anglophone ayant reçu le prix Pulitzer (Repéré sur : https://www.theguardian.com/info/about-guardian-us) 49 A. Beckett, « The new public space : how Britons, have reclaimed the streets », 2010, repéré sur : https://www.theguardian.com/commentisfree/2010/aug/20/the-new-public-space 50 A. Madanipour, op. cit., p.130 51 C. Norberg-Schultz, Meaning in Western Architecture, Londres, Studio Vista, 1980 46

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Comme nous l’avons évoqué précédemment, l’architecture serait fortement associée à la propriété, comme autre institution sociale qui offre un sens de la permanence et de la continuité, avec ses origines de la transition de la vie nomade à la vie réglée. Il est vrai que la vie sédentaire a requis la construction de règles permanentes, intégrées dans les routines de l’agriculture. Et même avant les lois, l’acte de construire des structures permanentes était un acte qui modifiait la temporalité de la vie sociale. L’architecture fut le signe le plus visible de ce désir de permanence.52 Il est assez évident d’exprimer un parallélisme entre le nomadisme et les occupations temporaires. De nombreuses structures construites pour un usage temporaire peuvent se déplacer lorsque l’aire dans laquelle elles s’implantent n’est plus apte à en recevoir l’usage. (Fig. 8) D’autres éléments temporaires, tels que les foodtrucks53 par exemple, peuvent être considérés comme nomades. (Fig. 9)

Fig. 8 Deux des dix intérieurs du club WMF, boîte de nuit berlinoise itinérante de 1991 à 2010, Berlin

Fig. 9 Foodtruck festival, Ontario, 2015

52 53

A. Madanipour, op. cit., p.36 Repéré sur : https://opinionator.blogs.nytimes.com/2011/12/19/its-time-to-rethink-temporary/

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3.5.3. LES PREMIÈRES FORMES D’USAGE TEMPORAIRE DE L’ESPACE URBAIN À une époque, l’Europe comportait un nombre important de villes organisées selon un ensemble de structures et d’usages temporaires (marchés, séminaires, commerces, habitations précaires) dans un environnement non réglementé. Les institutions religieuses et administratives, comme mentionné précédemment, étaient établies et construites par les autorités civiles, couplées aux grandes avenues et aux places.54 La première forme de vente temporaire, dont l’importance fut primordiale à cette époque et toujours présente de nos jours, est le marché de rue . Les marchés sont dans presque toutes les cultures des lieux d’animation, de surprise, de retrouvailles et de loisir. Mais en plus des formes de marché traditionnel, cette forme de commerce représente aujourd’hui pour certaines start-ups un moyen peu coûteux de lancer un nouveau produit et d’aller à la rencontre des consommateurs.55 (Fig. 10) Une autre forme d’usage temporaire de l’espace public (ici sans infrastructure requise) est celle de l’occupation des rues. Depuis le XIXème siècle, les États-Unis et l’Angleterre se montrent tolérants envers les cortèges, les défilés ou les rassemblements dans les rues et sur les places publiques, car ils sont considérés comme des mobilisations légitimes pour l’opinion politique. 56 Et encore aujourd’hui, les démonstrations, les manifestations, et les cérémonies rassemblent les individus « à travers leur capacité à forger ou à renforcer des valeurs, à fonder l’intégration des individus qui y participent. »57 Michèle Jolé parle également de la rue festive, une rue avec un « air de liberté ». « Les manières d’être des gens qui y passent, (…), des manifestations à l’allure de fête, donnent un style, à un moment de l’histoire d’une rue, voire d’un quartier, d’un style festif. C’est une question de dispositions physiques, sensibles et symboliques d’un espace qui peut se prêter plus que d’autres à la mise en scène et au marquage ludique qu’attend ou construit un groupe social donné à un moment donné. » 58 (Fig. 11) Souvent de courte durée, ces moments festifs où les fêtards s’emparent de la rue, peuvent être vus comme une forme d’occupation temporaire de l’espace.

` Fig. 10 Marché de producteurs locaux, Liège, 2016

Fig. 11 Le Carré, Liège

Les activités temporaires ne sont donc fondamentalement pas nouvelles. Mais pour Bishop et Williams, certaines activités seraient apparues entre la période de désindustrialisation et le boom actuel des usages temporaires. Des dents creuses dans le paysage urbain sont devenues progressivement utilisées spontanément comme parking, stock ou encore commerces de charité. Ces occupations, souvent perçues comme marginales, seraient pourtant fondamentales au niveau de l’économie urbaine. 59 Il apparaît donc que certains lieux traditionnels de travail non exploités durant certains moments de la semaine peuvent parfois devenir support d’usages temporaires. Par exemple, des cours d’école deviennent des parkings ou des espaces de marché durant le week-end.60

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P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.12 Ibid., p.75 56 D. Tartakowsky, « Quand la rue fait l’histoire », dans C. Cadot & al., La rue, Lonrai, Seuil Éditions, 2006, p.19 57 N. Mariot, « Le frisson fait-il manifestation ? », dans C. Cadot & al., op.cit., p.97 58 M. Jolé, « Le destin festif du canal Saint-Martin », dans C. Cadot & al., op.cit., p.118 59 Ibid., p.17-18 60 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.28-29 55

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3.5.4. LES MOUVEMENTS DE CONTRE-CULTURE Les usages temporaires existent dans les vieilles nations industrielles depuis longtemps (si l’on se réfère aux structures auto-construites des années 30, ou au housing d’urgence post-guerre). Mais dans les années 1970-1980, l’émergence du mouvement de squat « politiquement motivé » dans de nombreuses villes européennes a engendré des styles de vie et des modes d’habitat alternatifs en réaction aux prix spéculatifs de l’immobilier.61 Hakim Bey, philosophe radical américain, définit les Temporary Autonomous Zones comme des lieux de contre-culture où les participants se libèrent temporairement des codes sociaux imposés au quotidien et expérimentent des nouveaux comportements dans ces évènements créatifs. Il perçoit ces zones comme des moments d’intensité qui peuvent donner forme et sens à la vie, ou des poches de liberté qui permettent à l’individu d’échapper aux normes de la société établie.62 (Fig. 12 )Ces zones sont temporaires car peu de temps après leur mise en activité, l’État réagit en imposant un nouvel ordre. Les freezones temporaires auraient inspiré les « milieux créatifs » de notre époque 63 car elles ont endossé le rôle de lieux où les « librespenseurs » ont trouvé une protection et un espace pour vivre.64

Fig. 12 Occupations de la Claremont Road, Londres, 1993

Encore à l’heure actuelle, certaines formes d’occupation d’espaces montrent une revendication explicite contre la manière dont l’espace public est devenu de plus en plus privatisé et contrôlé. C’est notamment le cas des centres sociaux. La ville de Milan, par exemple, est sujette à la présence de nombreux centres sociaux, dans le centre comme en périphérie. Ces espaces autogérés, organisés selon un système d’illégalité protégée et tolérée65 , sont des espaces inoccupés et utilisés par des groupes de personnes qui y installent des équipements et font vivre l’espace à travers des événements culturels, festifs, ou politiques66. La temporalité de ces centres peut varier, les utilisateurs savent qu’ils peuvent d’un jour où l’autre être mis à la porte par les autorités publiques. (Fig. 13) Néanmoins, certains existent depuis plus de vingt ans. D’autres ont acquis le statut d’espace public autogéré, devenant dès lors légaux. (Fig. 14)

Fig. 13 Évacuation du Lambretta, Milan, 2014

Fig. 14 Le Leoncavallo, espace public autogéré, Milan

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P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.9 H. Bey, T.A.Z. :The Temporary Autonomous Zone, ontological anarchy, poetic terrorism, New-York, Autonomedia, 2003, p.91-94 63 La définition des milieux créatifs sera explicitée par la suite. 64 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.31 65 Repéré sur : http://www.milanotoday.it/social/segnalazioni/mappa-occupazioni-centri-sociali.html 66 Repéré sur : http://spazioculturarte.blog.tiscali.it/2010/06/04/19/?doing_wp_cron 62

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Les mouvements de protestation des années 1970 et 1980 ont tenté d’implanter une contre-culture ou une culture alternative, et les utilisateurs des espaces ont acquis la dénomination de squatteurs. D’autres mouvements actuels d’occupation illégale de l’espace à durée indéterminée seraient déjà plus tolérés, comme les centres sociaux. Mais selon les auteurs d’Urban Catalyst, les utilisateurs temporaires actuels tels que nous les avons définis seraient moins dans une optique utopique de société libérée mais chercheraient plus à orienter leur vision personnelle ou à promouvoir leur projet culturel spécifique. À la place de créer des aires autonomes, ils créeraient des espaces publics fonctionnant dans le meilleur des cas comme des hot spots urbains.67 (Fig.15)

Fig. 15 Le projet Southwarklido, par le collectif EXZYT, imaginé comme une « plaine de jeux » pour l’engagement culturel, invitant les communautés locales et le public à s’approprier les espaces, Londres, 2008

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P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.12-13

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3.6. CONCLUSION Ce chapitre nous a permis d’aborder les conditions dans lesquelles se trouvent les villes postindustrielles, mais de montrer également la présence d’une série d’occupations temporaires existant depuis des dizaines voire des centaines d’années, contrairement à la popularisation récente du phénomène. Cette propagation du mouvement de l’urbanisme temporaire, et l’importance qu’il revêt dans notre société actuelle provient d’une série de facteurs qui peuvent expliquer la manière dont les villes actuelles sont organisées aujourd’hui. C’est donc le point du chapitre suivant.

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4. FACTEURS ET PHÉNOMÈNES DE L’ÉMERGENCE 4.1. INTRODUCTION L’organisation de ce chapitre consiste à énoncer et décrire une série de facteurs ou de phénomènes en cours d’évolution et/ou de développement qui semblent favorables à l’émergence des occupations temporaires telles que nous les connaissons actuellement. Ces éléments sont liés entre eux. Le choix de les articuler en divers sous-points est justifié par une volonté d’un agencement plus clair et de la compréhension individuelle de chaque facteur ou phénomène.

4.2. LE RYTHME ET LE TEMPS La société dans laquelle nous vivons est caractérisée par un degré accru de mobilité. Depuis l’invention du train au XIXème siècle, qui a permis d’offrir un nouveau degré de liberté, le sens de la permanence associé aux rythmes répétés de vie a été bouleversé par la possibilité du mouvement. L’expansion du domaine de l’automobile a rendu le mouvement dans l’espace plus flexible, l’automobile devenant l’élément déterminant de la vie moderne urbaine. Ces nouveaux moyens de transport ont généré une accélération du rythme de vie, donnée par la possibilité d’effectuer plus d’activités dans des cadres temporels moins longs.1 Cette accélération est l’une des caractéristiques du consommateur moderne. Elle pourrait provenir de l’abondance des choix donnés à celui-ci. David Loy perçoit cette compression de l’espace-temps comme faisant partie d’une crise sociale générale de l’existence.2 Le développement des divers moyens de transport a généré une forte mobilité, due aux mouvements intensifiés des populations (à travers le tourisme, le business et la migration à grande échelle) amenant un sens de rapidité et un caractère éphémère, surtout dans les villes plus importantes. L’éphémère est aussi reflété à travers la vitesse du mouvement même dans la ville, où les contacts entre les personnes et les lieux semblent réduits et où l’expérience urbaine serait réduite à un regard détaché.3 (Fig. 16) Fig. 16 Centre ville de Tokyo, 2016

« Avec la prolifération des réseaux, tant locaux que globaux, les forces motrices de l’urbanisation acquièrent une telle complexité que le concept de « ville » devient inadéquat. La dynamique du tissu urbain paraît développer des caractéristiques d’une seconde nature, de sorte que les expressions « paysage » ou « paysage urbain » remplacent de plus en plus souvent « la ville » comme concepts de référence dans les textes qui s’efforcent de saisir, analyser, décrire et réfléchir cette nouvelle nature de l’espace urbain. »4

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A. Madanipour, op. cit., p.59-61 D. Loy, « Saving Time : A Buddhist Perspective On The End », dans J. May & N. Thrift, Timespace : Geographies of Temporality, Londres, Routledge, 2001, p. 265 3 A. Madanipour, op. cit., p.59 4 O. Moystad, « Urbain par implication », dans Isabel Marcos, dir., Dynamiques de la ville: essais de sémiotique dans l’espace, Paris, L’Harmattan, 2007, p.160 2

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Déjà en 1974, Henri Lefebvre employait les termes « société urbaine », qui désignent « une réalité en formation, en partie réelle et en partie virtuelle, c’est-à-dire que la société urbaine n’est pas achevée. Elle se fait. C’est une tendance qui déjà se manifeste mais est destinée à se développer. »5 Et dans cette « société urbaine » actuelle, définie par Madanipour comme hautement diverse et individualisée, la temporalité est multipliée et fragmentée. Les anciennes routines collectives qui ont ordonné la société pourraient ne plus fonctionner, et chaque personne pourrait vivre et travailler à un différent tempo. La ville globalisée devient polyrythmique, avec des temporalités qui se chevauchent, créant une vibrance 24 heures sur 24.6 « Les vendeurs qui viennent s’installer à cinq heures du matin en prévision du marché font partie de ces usagers de l’espace public qui vont affecter l’heure de fin pour les fêtards. »7 Les individus seraient encouragés à développer leur propre et unique personnalité, exprimée à travers un pattern spécifique d’habitudes et de consommation 8 et les temps de la ville deviennent multiples et différents. Les individus seraient également incités à agir comme entrepreneurs, à la recherche de nouvelles opportunités dans des cadres temporels réduits. Ces temps multiples de la ville deviendraient même plus nombreux et de courte durée. Le temps serait dès lors une série d’évènements non liés, dans laquelle le temporaire devient une condition inhérente à la vie urbaine.9 Le temps pourrait à présent être interprété comme le modèle global d’évènements fragmentés qui se déroulent de manière polyrythmique. Toujours selon Madanipour, le temps n’existe pas en lui-même, il est l’expression de relations entre les évènements et leurs circonstances. Les relations entre les évènements devraient déterminer leur interprétation comme temporaire ou permanente. Le temporel devient donc une question d’interprétation et ce sont nos propres interprétations qui donnent de la cohérence à ces séries d’évènements disjoints.10 Ce sens personnel du temps serait l’intersection entre temporalité, mémoire et identité.11 « La ville se tient en réserve d’une certaine façon, elle ne bascule ni dans l’oubli total ni dans la remémoration absolue, elle se distille dans une mémoire qui en est émiettée, fractalisée. Il ne s’agit pas seulement d’une subjectivité des souvenirs à part entière, mais aussi de la mémoire diffractée de la ville qui vient interpeller, dessaisir la mémoire volontaire du sujet parcourant des milieux. La puissance de l’anamnèse inhérente à l’objet se « surimpressionne » en nous mais toujours de façon originale. »12 Pour Pradel, les aires urbaines se construisent suivant l’attraction, l’agencement et la diffusion de flux de personnes, de biens et d’informations. Ces flux ne sont jamais stables, ils ne se rencontrent jamais. « Ce processus de métropolisation répondrait aux besoins temporels d'une vie sociale labile et désynchronisée ainsi que d’une économie mondialisée qui impose ses règles. »13 Luc Gwiazdzinski qualifie ces « villes fragmentées » de villes archipel, villes éclatées en espaces d’habitat, de travail, de divertissement et d’approvisionnement. Les horaires atypiques et décalés des salariés remplacent ceux annoncés par la sirène de l’usine, eux-mêmes remplacés par le rythme des cloches.

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H. Lefebvre, Espace et politique – Le droit à la ville II, Paris, Anthropos, 2000, 2e éd. (1974), p.73 A. Madanipour, op. cit., p.81 7 D. Boullier, La ville-événement – foules et publics urbains, Paris, Presses Universitaires de France, 2010, p.45 8 Ce stress temporel du consommateur a généré un nouveau secteur de l’économie visant à développer des produits adaptés à ce rythme effréné tels que les plats préparés, le shopping online, et les livraisons à domicile par exemple. (P. Bishop & L. Williams, op. cit., p. 81) En réponse à cela, les mouvements comme Slow Food et Slow City utilisent les technologies modernes mais soutiennent un rythme alternatif de vie. Ils ont pour objectif de ralentir l’accélération imposée du temps global tout en émergeant comme une marque qui distinguerait les villes dans un marché global. (A. Madanipour, op. cit., p.102) 9 A. Madanipour, op. cit., p.81 10 Ibid., p.14-18 11 Ibid., p. 75 12 A. Mons, Les lieux du sensible – Villes, hommes, images, Paris, CNRS Éditions, 2013, p. 207 13 B. Pradel, Rendez-vous en ville! - Urbanisme temporaire et urbanite événementielle – Les nouveaux rythmes collectifs, Thèse de doctorat, Paris, Université Paris-Est, 2010, p.12 6

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Les grands rythmes sociaux sont devenus les rythmes du smartphone. La ville archipel est dès lors la ville où l’on vit dans plusieurs temps.14 Jadis, le temps était conceptualisé pour réguler les évènements et incorporer un sens d’ordre philosophique et social dans le temps. L’abstraction et l’institutionnalisation ont montré la manière d’envisager le temps comme un instrument, l’égalant à la valeur monétaire et la productivité, avec comme conséquence la manière dont les villes sont organisées. 15 Les pratiques quotidiennes ont longtemps été sujettes aux lois et régulations comme les limitations aux heures d’ouvertures des bureaux et commerces. Les heures de pointe du matin et du soir, le trajet vers l’école et le boulot, et la routine du shopping hebdomadaire ont été une partie essentielle de la temporalité moderne. Mais comme nous l’avons dit, avec la globalisation, ces routines sont devenues diversifiées, générant un modèle plus complexe de temporalité dans lequel les heures et les lieux de travail sont plus flexibles.16 Les institutions sociales deviennent donc à présent plus fluides afin de faire face à ces rapides circonstances changeantes. Pour Madanipour, les évènements à court-terme et l’urbanisme temporaire reflèteraient ce sens de fluidité, et le temporaire deviendrait une nouvelle institution.17 En effet, l’urbanisme temporaire serait basé sur des évènements qui semblent aléatoires, hors du rythme normal des choses, perturbant les habitudes réglées de la société et ignorant les routines qui régulent la vie de tous les jours.18 Il peut être perçu comme ces séries d’événements disjoints qui stimulent nos interprétations, en réponse à la polyrythmie de la ville globale. (Fig. 17) L’urbanisme temporaire est la gamme des actions et des événements à court-terme qui prennent place dans le temps, mais leur timing peut ne pas être en lien avec les paramètres du temps quantitatif, car ils luttent contre les structures hautement régulées du temps et les routines de la ville. Ils pourraient donc être considérés comme Kairos, le temps occasionnel et qualitatif, en opposition à Chronos, qui exprime l’idée du temps régulé. Kairos signifie aussi le temps juste, une occasion où des moments particuliers peuvent avoir lieu. Il peut aussi être traduit comme une opportunité.19

Fig. 17 Chuckle Park, ‘pop-up’ bar à Melbourne, dans une petite ruelle perpendiculaire à un axe fréquenté

14 L. Gwiazdzinski, « La ville malléable » dans L. Gwiazdzinski, éd., Adaptable City – Inserting the Urban Rythms, Oslo, Ministère du développement durable, 2011, p.9 15 A. Madanipour, op. cit., p.14 16 Ibid., p.68 17 Ibid., p.70 18 Ibid., p.11 19 Ibid., p.144

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4.3. LES TECHNOLOGIES DE COMMUNICATION La vitesse du mouvement a généré une accélération temporaire, donnant la possibilité de faire plus dans le temps disponible. Une vitesse accrue due aux technologies de communication est également porteuse d’une perception nouvelle de l’espace et du temps. Les connexions instantanées dans le monde donnent l’impression d’une simultanéité radicale où le temps semble être devenu un temps-présent intensifié pour ceux connectés à ces réseaux. Les biens et services sont transmis en un instant.20 Ces technologies offrent la possibilité d’interconnexion entre les différents endroits et activités. Le processus de concentration et de pouvoirs productifs interconnectés transforme les villes en lieux de densification et magnification temporelle, devenant des lieux de simultanéité radicale.21 « La ville représente l’environnement concret de cette circulation accélérée, elle est l’espace de ce mouvement exponentiel lié à l’explosion médiatique et aux technologies nouvelles. » 22 Pour Alain Mons, « nous sommes à la fois dans des lieux matériels et particuliers (maison, appartement, quartier, travail, campagne, ile, village, cité, …), et dans l’espace virtuel des médias, presque simultanément. Mais tout aussi bien dans les lieux tangibles, hors média si l’on peut dire, se crée aussi le dédoublement de la présence et de l’absence, puisqu’un lieu en appelle un autre, concrètement et imaginairement. » 23 Les nouvelles technologies joueraient un rôle important dans les espaces urbains. Selon Philipp Oswalt, l’espace physique devient un niveau de navigation pour l’espace numérique. L’on navigue parfois différemment dans l’espace physique avec l’aide de la navigation numérique et par conséquent la manière d’utiliser l’espace est différente.24 L’application mobile Google Maps semblerait être parfois le point de départ d’un déplacement, qui emmène l’individu au lieu exact recherché. Depuis ce point, il devient possible d’investiguer directement les localisations où l’une ou l’autre rencontre est prévue.25 Les nouveaux médias faciliteraient aussi le traitement actif des villes. Oswalt argumente que les usages temporaires sont moins concernés par la construction de nouveaux espaces que par la localisation d’espaces urbains existants et leur développement à travers la création de réseaux. La question d’organisation sociale virtuelle primerait sur les changements physiques, et cette question illustrerait précisément le potentiel des nouveaux médias. 26 En effet, Aram Bartholl identifie l’apparition du journalisme civil comme l’un des grands changements au niveau des technologies de communication : n’importe quel individu physiquement présent dans un lieu et possédant un smartphone est apte à enregistrer des vidéos, et ces images peuvent se retrouver instantanément dans les médias, générant un impact social fort.27 Les usages temporaires sont donc plus répandus grâce aux nouvelles technologies qui jouent un rôle central dans la communication et la répartition de l’information. Les téléphones portables n’exigent plus des utilisateurs qu’ils soient joignables en un point fixe, et les applications avancées des récents smartphones permettent un accès instantané aux réseaux sociaux et la communication se fait de manière plus rapide qu’en messagerie. Les applications Maps permettent de localiser et de se rendre

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Ibid., p.64-66 Ibid., p.47 22 A. Mons, op. cit., p.156 23 Ibid., p.72 24 P. Oswalt, « Digital Urbanity », dans P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, Urban Catalyst : The Power Of Temporary Use, Berlin, DOM Publishers, 2013, p.192 25 A. Picon, Smart Cities – A Spatialised Intelligence, Chichester, Wiley, 2015, p.110 26 P. Oswalt, op. cit., p.195 27 A. Bartholl, op. cit., p.194 21

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immédiatement dans le lieu temporaire. Il est difficile d’imaginer ces activités florissantes exister d’une façon si forte sans ces moyens de communication accessibles à une majorité de la population. De plus, lors de festivals, de fêtes, d’happenings, la communication via mail ou réseaux sociaux peut éventuellement cibler des groupes sociaux définis et empêcher par exemple les autorités d’avoir un contrôle sur ce qui va se dérouler en amont de l’événement.28 Fig. 18 Rave party illégale dans une station de métro abandonnée, individus avertis par mail, N-Y, 2013

4.4. LES NOUVELLES FORMES DE TRAVAIL La manière dont les organisations fonctionnent à présent est une conséquence de la révolution des modes de travail : des termes comme travail flexible, self-emploi, meetings virtuels, et freelance deviennent de plus en plus courants. En effet, la flexibilité est une caractéristique relativement importante : la flexibilité dans le lieu (home working, mobile working) et dans le temps (part-time working, job share) a donné suite à une réduction de certaines exigences au niveau des espaces de travail (surface, infrastructure). Les employés sont à la recherche d’une plus grande flexibilité afin de pouvoir être plus disponibles pour leur entourage ou par choix de vie. Ils souhaitent pouvoir combiner leur travail avec d’autres activités qui les intéressent, et les employeurs ont donc besoin de changer leurs modèles d’organisation pour maintenir une force de travail. 29 Le mouvement post-fordiste dans lequel nous sommes actuellement est caractérisé par la flexibilisation et dynamisation des processus sociaux. Beaucoup d’employés sont souvent en déplacement ou travaillent à leur domicile, ils ne possèdent parfois plus de bureau fixe mais plutôt différents postes de travail situés dans des environnements différents.30 Beaucoup de nouvelles petites entreprises, plus connues sous le nom de start-ups, cherchent à demeurer réduites en terme de nombre d’employés, et externalisent leur travail en partenariat avec d’autres start-ups. Ces petites organisations peuvent donc plus facilement faire face à des situations de changement rapide et d’incertitude, telles que définies dans les chapitres précédents.31 La conséquence de ce social networking est la création de nouveaux espaces pour se rencontrer ou travailler, notamment dans des aires résidentielles ou dans des cafés, lieux qui souvent sont aménagés de manière à générer un usage multiple de l’espace et proposant une mixité de fonctions à l’intérieur.32 Certains ‘pop-up’ cafés s’inspirent de ce modèle « à la mode » et proposent aussi divers espaces, certains invitant à la détente et d’autres invitant à se rencontrer pour travailler. (Fig. 19) Fig. 19 The Next Level Coffee labs, ‘pop-up’ bar, Anvers, 2015

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P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.32-34 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.26 30 P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.10 31 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p. 26 32 Ibid., p.27 29

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4.5. LA PARTICIPATION CITOYENNE Les études d’Urban Catalyst montrent que les usagers temporaires de l’espace, appelés « space pioneers », sont la preuve d’un meilleur engagement social et participatif et du désir d’innovation. Effectivement, l’intérêt croissant dans l’usage temporaire reflète un accroissement du nombre de personnes qui sont prêtes à agir pour concrétiser leurs désirs. L’un des facteurs de ce mouvement actif provient de la jeune population. En effet, les jeunes diplômés feraient face à de plus grandes difficultés à trouver un emploi33 et seraient contraints à être à la recherche de solutions alternatives hors des modèles sociétaux conventionnels.34 Ces solutions ont un lien avec les usages temporaires, puisque les activités dites temporaires seraient une opportunité de sortir de ces structures traditionnelles et de créer des formes alternatives de vie et de travail.35 Cette explosion d’intérêt pour la participation publique durant les vingt dernières années est selon Bishop et Williams souvent perçue comme positive par les gouvernements démocratiques locaux et nationaux. La réforme du secteur public a été fortement influencée par les principes du marché, où le citoyen s’est de plus en plus identifié à un consommateur qui désire davantage se sentir concerné, faire des choix et être consulté à propos de problèmes qui affecteraient son quotidien. En découlent parfois certaines installations temporaires, qui sont établies avec l’idée de créer un engagement communautaire sur le futur de la ville ou de l’aire. (Fig. 20) Les nouvelles technologies permettent également aux citoyens de participer activement au devenir d’une aire ou d’une ville en proposant des initiatives, lorsque les autorités publiques le souhaitent. (Fig. 21) Ce mouvement peut aussi entraîner les autorités locales à reléguer certains biens pour une gestion par des groupes communautaires ou des entreprises sociales, même sur le long terme.36

Fig. 20 Park Fiction, Container qui collecte les voeux des résidents, Hamburg

Fig. 21 Réinventons Liège, plateforme en ligne qui invite les citoyens à proposer des idées, 2017

Pour Bishop et Williams, un meilleur activisme communautaire aurait une influence sur les villes du 21e siècle. Les usages et activités temporaires sont souvent des manifestations de cet activisme, qui permettrait de redynamiser les structures politiques, sociales, et les économies locales, et de réinventer la ville avec une créativité qui manquerait parfois aux autorités publiques. Par contre, ces interventions fonctionneraient mieux lorsque ces entreprises communautaires sont dans un environnement régulé, lorsque des accords sont établis entre les parties.37 « L’urbanisme participatif refuse de se situer dans un espace aussi intellectualisé et affirme comme principe fondamental que seul l’espace tel qu’il est vécu et perçu par les habitants constitue le véritable support de la démarche urbanistique. »38

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Information provenant du Royaume-Uni P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.137 35 Ibid., p.137-138 36 Ibid., p.138-140 37 Ibid., p.147 38 J-P. Lacaze, op. cit., p. 52 34

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Ces nouvelles formes de travail et l’intérêt croissant de la part des citoyens à leur cadre de vie en milieu urbain sont explicités par Bishop et Williams : Il serait inadapté de poser des conclusions maintenant sur cette incertitude économique, la croissance du troisième secteur ou le développement de plus en plus courant des activités temporaires. Mais nous pouvons affirmer que beaucoup d’individus forment ensemble des nouvelles entreprises et participent à de nouvelles formes de travail et de self-expression. La manifestation est parfois une structure ou un événement temporaire et beaucoup de ces entreprises accueillent la présence d’architectes, designers, et d’autres professionnels.39

4.6. LES VILLES ET LE RAPPORT À L’ART La manière dont la culture et l’art se manifestent dans les villes est en constante évolution depuis les années 1960, et les activités temporaires pourraient exprimer une partie de ce changement. En effet, selon Mark Stern et Susan Seifert, se nourrir d’art n’est plus uniquement une histoire de se rendre à un ballet ou à un opéra mais les arts sont plus accessibles et plus actifs. La population s’attendrait à être engagée plutôt que de regarder passivement une performance. La manière de produire et de communiquer l’art a également évolué à travers les nouvelles technologies avec d’une part un accès plus facile à celui-ci mais aussi une manière différente de créer sa renommée en tant qu’artiste. 40 Pour Lukas Feireiss, certaines formes d’art sont à présent loin des showrooms. Les villes, avec leur beauté chaotique deviennent la première zone d’opération de certains artistes, illustrant une forme de réaction démocratique contre l’élitisme de la scène artistique. Beaucoup de ces œuvres d’art dans l’espace urbain sont temporaires et elles ne peuvent être collectées et diffusées qu’à travers des images photographiques.41 Selon Claudia Büttner, l’art thématise les espaces et les modifie. Il crée et définit parfois de nouveaux lieux. 42 Cet art contextuel contemporain est défini par Alain Mons, à travers les travaux de Claudio Parmiggiani, ou de Dominique Gonzalez. (Fig. 22) Un art « dont le motif est l’agencement latent ou manifeste entre les objets-images et les milieux de leur « réception », ou plus exactement leur dimension perceptuelle. Nous l’appellerons l’art atmosphérique. Toute la thématique des champs sensibles est mise en branle par les arts contemporains. Lieux affectés donc, transformés, métamorphosés, qui sont en symbiose-décalage avec les œuvres. Le corps du spectateur, du voyant, doit se situer tant bien que mal dans l’espace affecté. Le côté chancelant, hésitant, parfois bouleversant, des situations, nous frappe. »43 Fig. 22 Foerster TH 2058, Dominique Gonzalez, Tate Modern Museum, N-Y, 2008

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P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.141 J. Nowak, « Creativity and Neighborhood Development – Strategies For Community Investment », The Reinvestment Fund, repéré sur :https://www.reinvestment.com/wpcontent/uploads/2015/12/Creativity_and_Neighborhood_Development_Strategies_for_Community-Investment-Report_2008.pdf, 2007, p.2 41 L. Feireiss, « Livin’ in the City : The Urban Space As Creative Challenge », dans R. Klanten, S. Ehmann, & M. Hubner, Urban Interventions – Personal Projects in Public Spaces, Berlin, Gestalten, 2010, p. 2-3 42 C. Büttner, « Art Within The Urban Realm », dans P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, Urban Catalyst : The Power of Temporary Use, Berlin, DOM Publishers, 2013, p.139-140 43 Alain Mons, op. cit., p.188 40

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Fig. 23 Installation urbaine « Stairs Chairs », NO Studio, Wroclaw, Pologne, 2016

D’autres artistes s’intéressent à l’espace de la ville comme sujet et en perçoivent les éléments formels comme base de leur travail. Leur intervention peut promouvoir une discussion sur la situation d’un site. Les artistes explorent les possibilités des espaces négligés et pointent sur des nouvelles approches de la ville.44 Madanipour qualifie le travail des artistes comme un exemple des pratiques de déplacement. Par leur attitude critique, ceux-ci défient les croyances et les pratiques à travers des actes de déplacement. En créant des formes et des objets non usuels, ou en les plaçant dans des contextes non familiers, ces travaux sont engagés dans un acte d’enquête, défiant le statu quo, montrant ce qu’il pourrait se passer si les événements ne se déroulaient pas de la manière usuelle. L’espace qui est destiné aux individus et aux objets en est l’élément de départ et de résultat.45 (Fig. 23) Büttner, dans son essai « Art Within The Urban Realm », relate la manière dont l’art a depuis les années 1960 jusqu’à aujourd’hui franchi les limites de l’atelier pour s’étendre vers le milieu urbain. Dans les années 1960, lorsque le monde de l’art connut les nouvelles formes d’art telles que le pop art, le conceptual art, ou encore le land art, la vie de tous les jours est devenue la base de la production artistique. Les structures, les formes, et la présentation sont exposées de différentes manières, dissoutes et couplées avec des formes de théâtre, de musique, ou encore de vie quotidienne. Les artistes se sont parfois improvisés curateurs muséaux et organisateurs d’expositions, d’évènements dans des endroits neufs et indéfinis, afin d’exercer un contrôle total sur les objets. Marcuse et Guy Debord encourageaient les artistes à réaliser leurs projets hors des institutions, plongés dans la vie quotidienne, afin que leur art soit socialement engagé, ce qui a augmenté l’importance de nouvelles localisations urbaines où travailler, vivre, produire et exposer pouvaient être combinés. Un autre moyen d’exposer l’art indépendamment du marché de l’art (galeries, musées d’art) était d’organiser des coopératives d’artistes et d’exposer en groupe dans des endroits non prévus à cet effet, et où les loyers étaient plus bas.46 L’œuvre de Gordon Matta-Clark (Fig. 24) a donné suite à un mouvement similaire de production artistique de projets d’art dans l’espace urbain. De plus en plus d’artistes ont créé des installations spatiales adaptées à des situations particulières se manifestant dans la rue, sur les places publiques, etc. Ces artistes, qui manifestaient un intérêt esthétique pour les formes, les couleurs, et l’espace, ont également traduit les conditions sociales, historiques, politiques des alentours dans lesquels leurs œuvres s’implantaient.

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C. Büttner, op. cit., p.139 A. Madanipour, op. cit., p.138-139 46 C. Büttner, op. cit., p.139-140 45

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Dans les années 1970, les premiers curateurs d’art ont commencé à manifester de l’intérêt dans ces méthodes site-specific en invitant des artistes à créer de nouveaux projets dans l’espace public.47 Les expositions de projets dans l’espace urbain sont devenues dans les années 1980 un format de présentation très populaire, les artistes étant souvent intégrés socialement aux programmes et aux événements. Ce caractère unique de l’installation site-specific a attiré les city marketers et l’industrie du tourisme, et de plus en plus de villes sont devenues organisatrices de biennales et triennales d’art, de design ou d’architecture.48 (Fig. 25)

Fig. 24 Conical Intersect, Gordon Matta-Clark, Paris, 1975, Perception du lieu comme un objet

Fig.25 Installation de Diller Scofidio pour la design week Palazzo Litta, Milan, 2017

Les années 1990 ont vu émerger le mouvement public-art qui se soucie également des résidents et de leur situation résidentielle. Une variété d’approches crée un dialogue engagé avec la situation sociale. Stephen Willats, l’un des précurseurs des années 1980, documente à l’aide de photos la situation de vie de résidents de housing à Oxford. Des questions telles que « In which way can each of us contribute something towards improving the identity of this modern environment ? » étaient exposées sur des panneaux où étaient également publiées les réponses écrites par les citoyens sur des feuilles de papier mises à disposition.49 Les années 2000 sont dans la continuité du mouvement public-art, notamment à travers l’une des figures proéminentes de la réflexion sur la vie urbaine et les problèmes sociaux, l’artiste hollandaise Jeanne Van Heeswijk. Dans son projet De Strip, elle fut invitée par les municipalités et une société de gestion immobilière à développer un masterplan basé sur l’art dans l’espace public, en proposant un projet avec différentes activités culturelles. Elle a également transformé durant deux ans une ancienne galerie marchande en un centre culturel.50 (Fig. 26)

Fig. 26 Projet culturel De Strip, Jeanne Van Heeswijk, Vlaardingen, Pays-Bas, 2002-2004

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C. Büttner, op. cit., p.141 C. Büttner, op. cit., p.142 49 C. Büttner, op. cit., p.145 50 C. Büttner, op. cit., p.146 48

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Büttner conclut en évoquant la situation actuelle, dans laquelle certains artistes s’engagent dans l’usage temporaire d’immeubles vides ou de sites urbains vacants surtout lorsque, en tant que résidents d’une aire en redéveloppement, ils sont affectés par celui-ci. Ils souhaitent avoir une influence dans la détermination du futur et en occupant des sites et mobilisant les résidents, ils travaillent ensemble pour développer de nouveaux plans pour les usages futurs.51 (Fig. 27)

Fig. 27 Park Fiction, Hamburg : la participation et le travail éducatif des artistes dans le quartier a attiré l’attention publique, et lors de la construction du nouveau parc, une portion de celui-ci a été réalisée par les artistes.

Pour conclure, nous pouvons dire que les travaux d’art étaient créés dans le but de survivre pour des centaines d’années et célébrer la continuité et la permanence des institutions politiques et culturelles de l’église et de l’état. À présent, les installations d’art sont démantelées après l’exposition et ce qui en reste est uniquement une représentation, une trace, un souvenir du travail. L’éphémère de l’art devient une critique des institutions rigides, mais aussi la réflexion et la célébration de l’éphémère de la vie contemporaine.52 Selon Alain Bieber, explorer les potentiels de la ville crée de nouveaux modes de lecture de celle-ci et régénère le paysage urbain. Les travaux éphémères sont en corrélation avec le rythme de la ville actuelle, qui demande un renouveau constant et une pratique urbaine quotidienne.53

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C. Büttner, op. cit., p.148 A. Madanipour, op. cit., p.139 53 A. Bieber, « Desires Will Break Out of Homes and Put an End to the Domination of Boredom and the Administration of Misery », dans R. Klanten, S. Ehmann, & M. Hubner, Urban Interventions – Personal Projects in Public Spaces, Berlin, Gestalten, 2010, p.4 52

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4.7. LES MILIEUX CRÉATIFS 4.7.1. INTRODUCTION La croissance des usages temporaires compris dans le contexte des multiples changements économiques, sociaux et technologiques qui sont spectaculairement en relation aux secteurs des industries culturelle et créative. Il a été depuis longtemps observé que les entrepreneurs créatifs, artistes et autres font souvent partie des premiers occupants des aires marginales, squattant ou occupant des édifices vacants sur base de baux temporaires, les adaptant, testant le marché et aidant à changer l’image d’une aire. En effet le rôle et les impacts des usages temporaires a reçu plus d’attention de la part de tels « milieux créatifs ». Ce n’est pas un nouveau phénomène mais dans les récentes années, un intérêt croissant envers la culture et la créativité comme composants essentiels de la vibrante et compétitive ville post-industrielle s’est manifesté. Les industries créatives sont un secteur économique important et beaucoup de villes utilisent à présent des politiques culturelles pour projeter une nouvelle image dans le marché global croissant.54 Ce sous-chapitre tente de relater l’origine du phénomène que l’on peut qualifier de « ville créative » et la manière dont les autorités publiques et les acteurs sont concernés. Ce concept de « créativité » sera également repris dans d’autres points par la suite.

4.7.2. CONTEXTE D’ÉMERGENCE Arnold Reijndorp, dans « Cultural Generators », décrit la manière dont le concept de la ville créative a émergé dans les contrées post-industrielles. Durant les deux premières décennies après la deuxième guerre mondiale, les politiques de planification urbaine étaient conditionnées selon les idées d’un modernisme classique influencées par la démocratie sociale dans toute l’Europe de l’Ouest. L’objectif principal était d’assurer à la population un niveau de vie décent.55 Les années 1970 ont donné lieu à une crise de ce modèle classique, remplacé par le concept de corporate city (ville d’entreprise), dont le but premier était la stimulation de l’investissement privé, typique exemple du partenariat public-privé où la planification urbaine était au service de l’investisseur. Il caractérise ce concept comme une forme d’«urbanisme d’îlots » où les sites intéressants pour les investisseurs accueillaient des projets tandis que le territoire « non intéressant » disparaissait de la conscience publique. Le continuum de l’espace urbain était donc divisé en deux aires opposées.56 Ces années, dominées par une économie basée sur la production industrielle et la modernisation de l’industrie ont également laissé une trace à travers un développement de quartiers d’affaires modernes centraux. 57 Les usagers temporaires auraient joué un rôle de réponse aux changements économiques, sociaux et culturels des années 1970 et 1980. Le squat, déjà abordé précédemment, qui fut selon Reijndorp crucial dans le développement de stratégies alternatives à la planification urbaine officielle et la réévaluation de la vie en ville, la création de l’architecture durable et une nouvelle signification de l’espace public. 58 S’ensuivirent les cultures de la migration, où beaucoup des nouveaux arrivants ayant joint les mouvements migratoires régionaux et internationaux de travail auraient contribué à la diversification culturelle, en particulier depuis les trente dernières années.59

54

P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.34 A. Reijndorp, « Cultural Generators », dans P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, Urban Catalyst : The Power of Temporary Use, Berlin, DOM Publishers, 2013, p.132 56 P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.10-11 57 A. Reijndorp, op. cit., p. 132 58 Ibid. 59 P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.12 55

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Fig. 28 Couverture du Time Magazine, 24 août 1981

L’attractivité des villes est donc devenue un critère plus courant dans les années 1980 et 1990 où cette diversification culturelle était vue comme un facteur important pour rendre les villes accueillantes vis-à-vis des compagnies d’industrie de service (banquiers, avocats, etc). Une nouvelle culture de restauration, shopping, clubbing s’est développée en parallèle à la mise en place de nouveaux musées, théâtres, et halls de concert. La stratégie d’une ville attractive était d’attirer les compagnies mais aussi un grand nombre de visiteurs. Une ville vivable était perçue à travers les dimensions de la foule. Le redéveloppement des sites et des ports industriels a pris une forme de Rousification. 60 En effet, James Rouse fut un promoteur américain emblématique, à travers la mise en œuvre de vastes opérations de redynamisation urbaines ciblées majoritairement sur le développement d’activités de loisir, de shopping et de festivals.61 Dans ce contexte, culture rimait avec consommation, les consommateurs étant de « jeunes urbains professionnels » cherchant du divertissement. 62 (Fig. 28)

De la fin des années 1990 à aujourd’hui, les villes auraient du succès en attirant une population jeune et créative, stratégie qui selon Reijndorp n’est pas fondamentalement différente de la ville attractive des décennies passées, mais où la personnalité de la majorité des personnes ciblées aurait changé. Les employés des industries de services, ciblés auparavant, sont remplacés par les « indépendants » du secteur créatif.63

4.7.3. LES ACTEURS DU SECTEUR CRÉATIF Les termes « créatif » et « culturel » sont difficiles à définir. Le Departement of Culture, Media and Sport (DCMS) au Royaume-Uni définit les industries créatives comme celles qui incluent : la publicité, l’architecture, les arts, les marchés d’objets antiques, la manufacture, le design, le design de mode, le cinéma, la musique, les arts de la performance, les jeux vidéo, la télévision et la radio.64 Mais depuis les vingt-cinq dernières années, les limites entre ces activités sont parfois moins distinguables.65 Le secteur créatif, pour Bishop et Williams, est caractérisé par de plus petites entreprises (moins de cinq employés en moyenne) et dans ce domaine sensible aux changements (de la mode, des tendances), leur développement est imprévisible. Ces entreprises pratiquent donc souvent le networking et la coopération avec d’autres tandis que certaines travaillent en freelance, de manière à gérer l’instabilité du marché. Elles ont tendance à créer des groupes, qu’on peut appeler « milieux créatifs ». Souvent, leurs opérations se font dans un budget limité, par conséquent ces groupes ont besoin d’espaces peu coûteux et flexibles. On peut donc affirmer qu’elles ont un intérêt pour des aires où le loyer est moins cher.66

60

Une forme de gentrification due à la propagation massive d’aires de divertissement aux USA, à travers la personnalité de James Rouse (A. Reijndorp, op. cit., p. 132) 61 J. Hannigan, op. cit., p. 61 62 A. Reijndorp, op. cit., p. 132 63 Ibid., p.133 64 DCMS, Creative Industries Mapping Document, UK, Department of Culture, Media and Sport, 2001, repéré sur : https://www.gov.uk/government/publications/creative-industries-mapping-documents-2001 65 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.164 66 Ibid., p.163

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« La bonne stratégie pour les entreprises serait de réduire au maximum leur capital physique en louant bureaux et machines, en diminuant le plus possible les stocks, en sous-traitant toutes les activités secondaires de façon à ne conserver que la partie la plus intellectuelle, la plus créative de leur métier. »67 Charles Landry définit un milieu créatif comme un lieu possédant une infrastructure « soft » (réseaux et connexions sociaux) qui favorise la circulation d’idées et d’infrastructure « hard » (bâtiment, institutions de recherches, endroits de rencontre, services de support). 68 Les entrepreneurs créatifs seraient selon Bishop et Williams souvent intéressés par les aires marginales et les marchés immobiliers non testés, en occupant des bâtiments vacants durant des baux à court terme (Fig. 29), en les adaptant et en changeant l’image de l’aire.69 Fig. 29 Occupation d’espaces dans la tour Gamma en attente de reconversion par 40 start-ups durant deux ans et demi avec l’accord du propriétaire Gecina, Paris, 2013-2015

Florida, lui, répartit la classe créative en deux groupes. Le premier, au centre de la classe, est composé de « professionnels engagés dans un processus de création, payés pour être créatifs, pour créer de nouvelles technologies ou de nouvelles idées » (scientifiques, chercheurs, ingénieurs, artistes, architectes, etc.)70. Le second est composé de « professionnels habituellement classés dans les services de haut niveau, qui méritent d’être associés à cette classe créative car ils résolvent des problèmes complexes grâce à un haut niveau de qualification et une forte capacité d’innovation »71 (avocats, médecins, juristes, managers, etc.) Cette classe créative aurait acquis de l’importance grâce à son impact économique, social, et culturel. « Pour convaincre les cadres des entreprises à haute valeur ajoutée de venir s’installer dans des villes en déclin industriel, une attention particulière a été portée à l’amélioration du cadre de vie : les espaces verts, les espaces publics et surtout la vie culturelle. ».72 Le développement économique dépendrait donc de la présence de cette « classe créative ». Les créatifs chercheraient un lieu où la créativité est mise en avant, à travers notamment une ambiance détendue et bohème. Le développement de la créativité, perçu auparavant comme marginal, serait à présent la force dynamique de la ville. 73 Le point de vue d’Elsa Vivant semble plus intéressant car il est moins en rapport avec l’aspect professionnel. En effet, la créativité est selon elle « fournie par les individus qui se caractérisent par le partage de certaines valeurs comme l’affirmation de soi, le sens du mérite, mais aussi l’ouverture d’esprit. Ils apprécient l’anonymat des grandes villes et y recherchent des espaces de socialisation superficielle comme les cafés. »74 Une société locale, sans diversité, ne pourrait pas convenir aux individus qualifiés de créatifs car ils n’oseraient adopter leurs comportements et partir à la rencontre d’autrui à travers des valeurs de liberté ou d’imaginaire qui seraient « propices à l’expression de leur créativité ».75 Vivant exprime l’évolution récente de la ville culturelle en termes de « massification de l’accès à la culture ». Les classes qu’elle définit comme moyennes et supérieures diversifieraient leurs goûts notamment grâce à une meilleure « mobilité sociale et géographique ». Ces consommateurs de culture,

67

D. Mangin, La ville franchisée – forms et structures de la ville contemporaine, Paris, Éditions de la Villette, 2004, p.157 C. Landry, The Art of City Making, Londres, Earthscan, 2006, p.24-25 69 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.164 70 E. Vivant, Qu’est-ce que la ville créative?, Paris, Presses Universitaires de France, 2009, p.3 71 Ibid., p.3 72 Ibid., p.3 73 Ibid., p.3 74 Ibid., p.4 75 Ibid., p.7 68

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petite part de population définie comme « l’univers culturel branché » influence de manière importante la vie culturelle, car « ils s’intéressent à tous types de spectacles et d’offres culturelles, sans distinction de valeur entre des cultures autrefois appelées populaires et bourgeoises. »76

4.7.4. LA VILLE CRÉATIVE Selon Florida, trois critères sont indispensables à l’attraction de ces professionnels créatifs dans une ville qu’il définit comme créative : la technologie (haute capacité pour l’innovation technologique), le talent (les talents créatifs veulent être là où d’autres personnes créatives sont) et la tolérance (cosmopolite et ouverte d’esprit). En opposition avec les politiques des années 90, les villes ne doivent plus chercher à attirer les compagnies mais les individus. 77 Les milieux créatifs impliqueraient que la croissance économique et la compétitivité ne dépendent pas uniquement de la présence d’une production de haute valeur ou d’investissements dans la ville mais aussi de la capacité d’innovation et le degré de créativité de la ville.78 Vivant y voit plutôt l’atmosphère comme principal paramètre d’attraction, atmosphère qui découle de la présence des diverses communautés (bohèmes, immigrées, homosexuelles) et qui attirerait « des personnes talentueuses et diplômées qui sont les ressources (humaines) principales des entreprises de haute technologie. »79 Pour Reijndorp, la ville créative n’est pas uniquement une localité destinée au secteur créatif mais aussi un endroit où les citoyens inventent constamment des nouvelles solutions aux problèmes urbains. Un aspect fondamental de la transformation des « cultures urbaines » est le déplacement de la consommation de la culture (focus du concept précédent de la ville attractive au cœur de l’activité industrielle et des médias) vers la production culturelle, qui contient la production de tous les biens dont la symbolique est plus forte que leur valeur fonctionnelle. Cette production concerne les champs du design, de la mode, de l’architecture, du journalisme, du divertissement, des relations sociales, des politiques et de l’urbanisme. Ces biens symboliques joueraient un rôle important dans la création de modes de vie, dans la représentation et la réflexion de la manière de vivre, qui inclut aussi l’expression de l’ethnicité.80 Ce multiculturalisme et le secteur de l’industrie créative sont importants car ils génèrent des groupes d’individus dont l’objectif est d’expérimenter et d’innover. 81 Selon lui, la ville innovatrice n’est pas la somme d’artistes individuels exerçant chacun leur travail. C’est le rassemblement de professionnels travaillant ensemble en réseaux, se rencontrant dans des espaces intermédiaires comme des galeries, des festivals, des forums de discussion et dans certains cafés et restaurants. (Fig. 30) Ces espaces définissent l’une des plus importantes contributions des usages temporaires comme catalyseurs de la nouvelle urbanité, qui créent un nouveau domaine public.82

Fig. 30 Publicité Facebook Eurostar

76

Ibid., p.23-24 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.167 78 Urban Unlimited, The Shadow City – Free Zones in Brussels and Rotterdam, Urban Unlimited Rotterdam avec o2-consult Anvers, MUST Amsterdam, ds + V/OBR Rotterdam et VUB Bruxelles, 2004, p.7 79 E. Vivant, op. cit., p.8 80 A. Reijndorp, op. cit., p.134-135 81 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.214 82 A. Reijndorp, op. cit., p.135 77

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4.7.5. LE CITY MARKETING La plupart des recherches sur le potentiel de l’urbanisme temporaire ont mis celui-ci en relation directe avec ces milieux créatifs, où les groupes d’artistes et d’entrepreneurs mettent la créativité en avant-plan à travers des projets à court-terme comme force de régénération urbaine. Cette démarche n’est pas un phénomène nouveau, mais durant les dernières années, la culture et la créativité ont été reconnues comme composants essentiels de la ville post-industrielle vibrante. C’est pourquoi beaucoup de villes adoptent maintenant des politiques qui cherchent à attirer ou stimuler ces industries culturelles.83 Jusqu’aux années 1990, les brochures ou les campagnes publicitaires menées par les villes mettaient en valeur des projets immobiliers d’investissement classiques, mais aujourd’hui l’on retrouve plutôt des descriptions illustrées de milieux créatifs, petits business et start-ups présentes dans les aires de ladite creative economy. (Fig. 31) Même certaines petites villes cherchent à mettre en valeur la « classe créative » qui est devenue la première cible des investissements et de la croissance économique.84

Fig. 31 Extrait d’une campagne publicitaire de la ville d’Anvers, organisme « Born in Antwerp », 2015-2016

Fig. 32 Objectifs de la ville d’Amsterdam en termes de stratégies de city marketing

« Certains édiles municipaux s’attachent à présenter leur ville comme créative en mettant en scène leur vie culturelle en tant qu’atout distinctif et qualifiant. Leurs documents de communication regorgent d’allusions et d’informations concernant la vitalité de leurs scènes artistiques et de leurs industries culturelles. Au-delà de simples opérations de communication, ce sont de véritables stratégies de développement urbain qui sont mises en œuvre, et qui expriment la volonté politique de peser par ce moyen sur l’évolution du peuplement de leurs villes ; en un mot, de les gentrifier. »85

4.7.6. CONCLUSION Le concept de ville créative est relativement important à comprendre car il indique une tendance globale qui touche les villes post-industrielles à la fois du côté des citoyens et du côté des autorités publiques. La mentalité et le climat régnant autour de cette politique de ville créative sont plus que propices au développement des occupations et usages temporaires accueillant de nouvelles formes de travail ou d’échange, et contribuant également à tonifier la vie de certains quartiers et améliorer le cadre de vie des résidents dits créatifs. Il en résulte un certain phénomène, celui de la gentrification. Nous l’aborderons par la suite.

83

P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.163 P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.13 85 E. Vivant, op. cit., p.11 84

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4.8. LES ÉVÉNEMENTS 4.8.1. LA NOTION D’ÉVÉNEMENT Comme nous l’avons abordé dans le sous-chapitre du rythme et à propos de la ville polyrythmique, les évènements de courte durée peuvent être considérés comme l’ingrédient de l’évolution des structures ou l’alternative à des structures permanentes. Dans ce cas, comme signes de formation de nouvelles structures, une série d’évènements particuliers peuvent émerger, indiquant un nombre de futurs possibles. Ces évènements qui mènent à des futurs définis par Madanipour comme privilégiés pourraient être considérés comme innovateurs, ils peuvent être vus comme la première forme de temporalité. 86 Certains événements sont régulés à travers la création de routines et de rythmes de la vie urbaine. Ils incluent la répétition institutionnalisée d’évènements dans la ville, comme les marchés hebdomadaires, qui sont réguliers et oscillent entre le temporaire et le caractère permanent de la ville.87 (Fig. 33) Fig. 33 La batte, marché hebdomadaire à Liège depuis le XVIème siècle

Pourtant d’autres événements, moins réguliers, semblent devenir de plus en plus courants et répandus dans les villes post-industrielles. En opposition aux marchés, ces événements, tels que les festivals, ou les parades, peuvent être décrits comme événements urbains exclusivement temporaires. Ces événements ont parfois une longue histoire, mais le nombre et le genre de projets récréatifs temporaires a considérablement augmenté. « Face à un temps de plus en plus technique, urbain, intégré et individualisé, il semble qu'une tendance se dessine dans les villes. Depuis la fin des années 1990, les municipalités multiplient la production de fêtes, festivals, manifestations et en revitalisent d'autres plus anciennes (…) Il semblerait que l'événementiel soit devenu un outil d'action publique à l'échelle de la métropole. En effet, les rythmes collectifs possèderaient un rôle dans la production urbanistique de la ville (…) À propos de ces rythmes, c'est dans le développement des événements festifs urbains que nous pensons trouver les éléments d'un tel équilibre entre fluidité et structure sociales. C'est aussi dans ces moments que se révèlerait une forme de sociabilité propre au contexte métropolitain. »88 Dominique Boullier caractérise un événement comme « un « moment » qui fait événement, c’est-à-dire qu’il parvient à focaliser les attentions bien avant le moment prévu et qu’il imprimera sa marque dans les mémoires au-delà de l’instant vécu (…) Non seulement le plaisir est anticipé, mais il reste pourtant une surprise, un instant unique qui nécessitera notre présence. (…) L’événement est par définition, médiatique, et ne devient événement que dans la mesure où il est connu et parvient à attirer l’attention. »89 Il se réfère à « Kairos, ce bon moment qui justifie la présence. Pour les participants, toute l’aura de l’instant, de ce kairos, restera dans leur mémoire de façon unique. » 90

86

A. Madanipour, op. cit., p.138 Ibid., p.36 88 B. Pradel, op. cit., p.16-18 89 D. Boullier, op. cit., p.12, p.30, p.49 90 Ibid., p.32-33 87

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Pour Pradel, les fêtes et les rites, en tant que rassemblements, produisent d'intenses moments d'effervescence qui dépendent du fait même que le groupe est assemblé, et non des raisons pour lesquelles il est assemblé. 91 Ces rassemblements indiquent une culture de l’immédiateté et du divertissement continu, où le milieu urbain est caractérisé par un loisir de plus en plus présent, et où la ville se déploie d’une manière festive, ludique, voire événementielle.92 La ville devient le support d’ambiances, à travers la musique, les décors, mais aussi « les façons d’agir en public qui sont elles-mêmes productrices d’ambiance dans la mesure où elles amplifient ou neutralisent certains phénomènes sensibles, exacerbent ou altèrent certaines propriétés de l’environnement construit. Comme l’indique le langage courant, le public a cette double capacité à « être dans l’ambiance » et « mettre de l’ambiance ». »93 Les nouvelles technologies de communication ont un rôle important pour les événements, à travers le développement de communautés virtuelles qui partagent leur enthousiasme et les mêmes envies. (Fig. 34). D’autres événements à plus petite échelle, tels que des just-in-time events et activités spontanées peuvent être organisés facilement (yoga dans un parc, rave dans un bâtiment abandonné, etc).94 Selon Boullier, les événements tels que des apéros géants (Fig. 35) illustrent la puissance de l’interconnexion des individus sur les réseaux sociaux. Par exemple, les conversations Facebook permanentes facilitent la rencontre de groupes affinitaires à des événements, qui en constituent le maillage interne. La nature des publics et des foules est donc différente.95

Fig. 34 Événements Facebook de festivals

Fig. 35 Publicité Facebook pour un apéro, Liège, 2017

91

B. Pradel, op. cit., p.30 Ibid., p.90 93 J-P. Thibaud, Éprouver la ville en passant en quête d’ambiances, Genève, Metispresses, 2015, p. 174 94 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.144-145 95 D. Boullier, op. cit., p.59 92

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4.8.2. L’USAGE DES ESPACES PUBLICS Les espaces publics de la ville sont souvent des endroits pour des évènements imprévisibles, endroits qui sont au-delà du contrôle des propriétaires privés, où les choses peuvent se passer sans impact particulier vers ces institutions fixées.96 L’idée d’utiliser l’espace public pour le divertissement a maintenant été fort adoptée dans les villes postindustrielles. C’est un témoin du changement dans la base économique de la ville, et des routines sociales et habitudes culturelles. 97 Les citoyens sont en quête, dans le même lieu, d’une variété d’activités dont aucune n’est censée devenir permanente.98 Pour Bishop et Williams, des projets de ce style transformeraient un noman’s land en un everyman’s land et les espaces abandonnés deviendraient des espaces publics avec leur propre identité forte.99 Les espaces publics offrent à présent une plus large gamme de divertissement (performances, parades, concerts, foires, expositions, etc.) qui reflète l’accroissement des densités des populations urbaines et les nouvelles demandes des consommateurs. La composition ethnique de plus en plus variée entraîne de la part de certaines communautés d’immigrants des nouveaux modes de coloniser la rue. Cet espace public devient le support à une diversité et une intensité d’usages passagers. 100 Des formes de protestation ou d’action planifiée peuvent également mener à des évènements comme initiative constante pour proposer des changements. 101 (Fig. 36) En effet, tandis que les évènements et les expérimentations peuvent avoir lieu dans presque n’importe quel endroit, c’est dans les espaces publics qu’ils deviennent le mieux perçus et partagés, s’ils sont là pour acquérir de la signification sociale. Madanipour qualifie l’espace public de lieu par définition pour les activités temporaires, lieu d’évènements qui sont presque toujours de courte durée, les espaces publics étant des lieux de rencontres sociales, compétition et conflit, et performance et communication.102 Fig. 36 Pique-nique Communication à Bruxelles, 2012

contre travers

la circulation automobile, des groupes Facebook,

« La ville et ses qualités ne sont pas seulement un décor, elles sont les conditions de possibilité de ces événements. Mieux, la ville manifeste une capacité étonnante de réinvention d’elle-même lors de ces événements. Non pas la ville métaphorique ou médiatique, non ; la ville bien concrète, faite de cadre bâti et de voies de circulations, de places et de rues. » 103

96

A. Madanipour, op. cit., p.34 Ibid., p.162 98 Ibid., p.49 99 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.146 100 Ibid., p.29 101 A. Madanipour, op. cit., p.148 102 Ibid., p.149-150 103 D. Boullier, op. cit., p.93 97

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4.8.3. CONCLUSION Bien que les événements temporaires dont nous avons parlé prennent place majoritairement dans l’espace public et qu’ils ne concernent en général pas directement l’utilisation et la mise en valeur de bâti, l’aspect temporaire des événements et les nouvelles formes de divertissement de la ville post-industrielle sont importantes. En effet, cette propagande récente de fêtes et d’événements dans un cadre généralement régulé est une tendance que les usagers temporaires adoptent pour promouvoir leur occupation. Le rassemblement de groupes d’individus dans un lieu d’occupation temporaire permet d’engendrer du profit, que cela soit dans le but de maintenir l’occupation à but non lucratif, ou de générer des bénéfices dans le cas d’une occupation ‘pop-up’. (Fig. 37)

Fig. 37 Soirée dansante dans le ‘pop-up’ bar Zomerfabriek, Anvers, 2016

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4.9. CONCLUSION Nos villes ont constamment été re-conçues, mais cette nouvelle vague d’activités temporaires montre une accélération de ce processus. La nouvelle technologie et les médias de communication y jouent certainement un rôle central. Grâce à eux, nous sommes moins attachés à des lieux spécifiques et l’espace se libère pour proposer une mixité d’activités telles que le travail, la consommation, la relaxation, le jeu. Les activités temporaires montrent également un courant bottom-up dans la société où les gens commencent à se réapproprier leurs villes et à les coloniser suivant leurs besoins et leur mode de vie.104 Pour Madanipour, l’urbanisme temporaire peut à présent offrir aux différents groupes de nouvelles opportunités pour l’usage et la création de l’espace suivant des manières alternatives. Les larges et petites crises économiques rendent l’espace disponible en plus grande quantité et à des prix plus abordables. Les potentiels créatifs de l’urbanisme temporaire sont donc de grande envergure. Les artistes, les groupes de sociétés civiles, les organisations communautaires, voient l’offre excédentaire d’espace comme un moyen de développer des relations et des activités culturelles. Les individus, artistes et activistes, utilisent l’espace suivant une perspective différente. Ils peuvent utiliser des commerces vides comme centres communautaires, et les espaces publics pour exprimer les expériences de la vie des communautés à travers les arts, comme alternative à la publicité et comme écran des intérêts commerciaux qui dominent la sphère publique. 105 Les agents immobiliers reconnaitraient qu’en cette période de changement rapide et d’innovation, les baux à court terme créent le buzz et de la valeur. Le chemin est donc ouvert pour plus d’expérimentations autour des usages temporaires. 106 Mais dans quelles limites ?

104

P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.213 A. Madanipour, op. cit., p.160-161 106 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.37 105

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5. LES ‘POP-UPS’ 5.1. INTRODUCTION Ce chapitre cible la recherche sur les occupations de type ‘pop-up’ que nous avons définies. Cet écran des intérêts commerciaux mentionné ci-dessus par Madanipour pour qualifier les usages temporaires est un point important pour ceux-ci. En effet, l’intérêt commercial dans les usages temporaires est un phénomène plus récent. Au vu du fait que les premières activités sur des sites à basses valeurs commerciales étaient des activités marginales, cet intérêt commercial se manifeste dans notre époque de changement (illustrée à travers les différents points du chapitre précédent) où les activités temporaires prenant place dans la vacance spatiale sont devenues de nature bien plus variée. Elles représentent une gamme beaucoup plus large de fonctions et leur intérêt commercial augmente par le fait qu’elles commencent à influencer la gestion immobilière, le développement urbain et les stratégies de marketing.1 Un autre facteur d’émergence est celui de la complémentarité des fonctions. Certaines activités temporaires non commerciales peuvent attirer des activités commerciales aux alentours. Par exemple, si une part d’édifice est louée à bas prix par une municipalité à une compagnie d’artistes ou de comédiens, l’autre partie peut être louée à des cafés ou restaurants à loyer plus élevé 2, afin d’être en connexion directe avec la fonction principale et servir à celle-ci. Les occupations temporaires sont parfois composées d’une série de fonctions visant l’hétérogénéité. Ken Dytor parle de colonisation créative où les sites sont considérés par les usagers comme une opportunité d’ intégrer une mixture d’usages et d’activités. 3 En comparaison avec les générations précédentes, un plus grand nombre de personnes ont le loisir et le temps d’explorer le monde de l’art et de la culture et ce temps de loisir est moins défini. La mixité de fonctions et d’expressions de certains usages temporaires pourrait être bénéfique pour le consommateur et son style de vie condensé car il peut vivre une expérience multiple en se rendant en un seul endroit.4 (Fig. 38)

Fig. 38 ‘Pop-up’ bar « Zomer Van Antwerpen » et ses autres programmes, Anvers, 2017

1

P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.45-47 Ibid, p. 53 3 Ken Dytor est l’un des fondateurs d’Urban Catalyst / Ibid., p.40 4 Ibid., p.125 2

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5.2. CONTEXTE D’ÉMERGENCE Ce que nous consommons définit qui nous sommes : les modes de vie s’achètent et les statuts des consommateurs symbolisent parfois leur statut socio-économique. (Fig. 39) De larges parts de villes ont été conçues comme des arènes de consommation. L’industrie de la mode a fait pression sur la population pour que celle-ci achète en dehors de ses besoins, renouvelant constamment l’idée de tendance et de mode.5 Fig. 39 Quadrilatère de la mode, Milan « Une ville ou une agglomération urbaine est (…) un point fort de l’espace économique, lieu privilégié de production, d’échange, de prestations de services, et de consommation. » 6 Tenant compte du rôle central de la consommation dans la société, plusieurs événements temporaires de consommation ont constitué l’une des principales manifestations du phénomène du temporaire durant les dernières années.7 En effet, l’apparition de plus en plus fréquente de ‘pop-up’ shops, restaurants, ou autres, non seulement apporte un nouvel usage aux propriétés vacantes, mais permet également de réduire les risques de faillite d’un nouveau business grâce au système de bail à court-terme.8 Sur le site London Pop-Ups figure une liste des restaurants/bars/galeries/spectacles dans la capitale anglaise, modifiant l’idée de l’usage temporaire commercial en une marque de fabrique urbaine.9 Selon Dan Calladine, son fondateur, un ‘pop-up’ est un bonne accroche à utiliser pour faire le buzz pour votre marque, pour être sûr de faire passer le mot qui dit que vous offrez quelque chose de nouveau et différent pour un temps limité seulement.10 Cet atout principal des ‘pop-ups’ est également relevé par Zoé Williams : un pop-up est temporaire, mais surtout, il n’y a pas besoin d’une grande quantité d’argent pour le mettre en place, donc la porte s’ouvre à des personnes qui sont hors de l’élite fortunée, plus jeunes et plus cools, plus subversives et moins conventionnelles. 11 Un exemple relativement courant se trouve dans l’usage de commerces vacants, qui peuvent fournir de l’espace low-cost dans lesquels des entrepreneurs commerciaux, peu importe leur statut financier, peuvent développer leurs idées et tester le marché.12 (Fig. 40 & 41)

Fig. 40 & 41 Projet « Pop Up To Date » de commerces temporaires initié par des citoyens, Anvers, 2017 5

Ibid., p.67 J-P. Lacaze, op. cit., p.4 7 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.67 8 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.3 9 Repéré sur : http://www.londonpopups.com/ 10 Repéré sur : https://www.amexessentials.com/the-pop-up-trend/ 11 Z. Williams, « Outspoken », Stylist Magazine, n°52, novembre 2010, repéré sur : http://stylist.co.uk 12 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.71 6

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Or le loyer ou l’argent investi n’est pas l’unique considération pour une firme au moment d’installer un service ou un commerce temporaire. Ce phénomène de mode a également touché les grandes marques, inspirées par l’idée d’exclusivité générée par le temps limité ou par la démarche do-it-yourself et l’esthétique « post-industrielle » des lieux les plus communs des occupations temporaires traditionnelles. Le laps de temps limité, en combinaison avec les lieux inusuels crée un buzz, un cachet, et une image hip.13 Cet attrait du consommateur ne peut donc uniquement s’expliquer par la vacance d’espaces en milieu urbain et la tendance grandissante des occupations temporaires, de plus en plus variées. Le phénomène reflète des nouvelles tendances dans la recherche de marché et le marketing qui encouragent les actions temporaires.14 Par exemple, Chanel a ouvert son pop-up shop à Covent Garden en 2012, dans l’objectif de projeter une image de mode et rejoindre la tendance. Claridges, l’un des hôtels londoniens les plus prestigieux, a aussi lancé un ‘pop-up’ restaurant. Il est certain que ces enseignes n’ont pas besoin de réductions sur l’offre. La question n’est donc pas à propos du loyer de l’espace en lui même, mais à propos de la localisation de l’espace et la position de la firme dans le phénomène de mode. Une telle initiative permet de projeter la marque sous un nouveau projecteur, qui peut stimuler sa réputation sur le marché et attirer des nouveaux clients.15 (Fig. 42) Fig. 42 ‘Pop-up’ store, Londres, 2012

L’approche tactique dans le développement urbain menée par les citoyens porteurs d’une idée d’usage temporaire non commercial se transforme en une approche stratégique pour les enseignes. Le ‘pop-up’ offrirait notamment des nouvelles opportunités pour la publicité et le ciblage du public. Par exemple, le café temporaire d’Innocent qui proposait 5 portions de fruits/légumes pour 5 pounds a séduit les participants et a offert un meilleur rapport qualité-prix à Innocent qu’une campagne de publicité traditionnelle.16 (Fig. 43) Fig. 43 ‘Pop-up’ café, Londres, 2010

Fig. 44 Wasbar, bar et lavoir, Anvers

Popupcity.net17 a observé une tendance récente où les « coffee bars » apparaissent dans tous les espaces urbains non habituels. Le moment du café peut également être vu comme un moment où des groupes de personnes avec une sousculture partagée aiment se rencontrer, ou comme une occasion de prendre un moment de pause durant une tâche moins agréable. 18 (Fig. 44) Le café/bar serait donc un élément important et relativement propagé dans la gamme des usages temporaires commerciaux, notamment par le fait qu’il ne requiert pas la nécessité de posséder des articles à vendre, comme pour les commerces, et qu’il n’ait pas besoin d’une infrastructure aussi développée qu’un restaurant.

13

Ibid., p.70 Ibid., p.60 15 53CT 16 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.70 17 Site web lancé par une agence de design et de communication à Amsterdam qui publie des projets temporaires ou bottom-up (repéré sur : http://popupcity.net/about/) 18 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.69 14

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En ce qui concerne les restaurants, le mode de profit change étant donné la non-longévité de ces « institutions » : ces restaurants ne sont pas à la recherche d’une réputation ou d’une clientèle fidèle et sont donc dispensés de posséder un intérieur design haut-de-gamme ou de serveurs presque parfaits. Être différent suffit à donner aux ‘pop-up’ restaurants le cachet d’une attraction, d’une expérience accessible uniquement aux connaisseurs de l’initiative. Et en se renseignant, nous pouvons tous être des pionniers urbains à la conquête de ces moments d’exclusivité.19

5.3. LA RECHERCHE D’EXCLUSIVITÉ ET D’EXPÉRIENCE Des événements tels que Noël sont perçus par Madanipour comme des évènements qui avaient un sens culturel ou religieux plus fort dans le passé, mais organisés à présent dans le but d’encourager les gens à acheter plus et dépenser plus, changeant la signification de l’événement de culturel à commercial. Et de manière plus générale, la construction d’atriums et de galeries commerciales qui reproduisaient une version « saine » de la rue sont les signes d’une économie conduite par la vente et le divertissement.20 Trendwatching.com explique donc le phénomène des ‘pop-up’ comme réponse à l’abondance : il existerait une telle gamme de produits et de lieux de consommation « classiques » que l’élément « excitant » serait plutôt l’expérience, la nouveauté.21 Pour Bishop et Williams, l’explosion des pop-up shops et restaurants ne s’explique pas uniquement par la présence abondante d’espaces vides sur les grandes rues. Elle porte aussi l’image de nouvelles tendances en marketing, vente, et recherche de marché qui encouragent les usages temporaires. Leur objectif est la quête perpétuelle de nouvelles expériences à soumettre aux consommateurs, et l’exclusivité de la durée limitée est un aspect primordial. L’attrait du consommateur fonctionnerait grâce au fait que ces usages soient des exclusivités à durée limitée.22 « L’éphémère attise la curiosité. L’éphémère excite car il disparaît. En fait, le compte à rebours fait l’endroit. A la différence d’un lieu fixe, où l’on sait que l’on pourra retourner »23 Les grandes entreprises, une fois le phénomène plus répandu, ont reconnu le cachet donné par les ‘popup’ restaurants, bars, galeries, shops qui sont perçus comme des « cool happenings » et même des « underground events »24. Le phénomène ‘pop-up’ est intéressant pour la variété de ses formes (marchés locaux, shops de marques, pop-up restaurants, …) et parce qu’il a captivé l’intérêt du consommateur grâce à la nouvelle corrélation entre produit et expérience. En devenant un élément de la vie urbaine, le temporaire, par son immédiateté en rapport à la consommation, a séduit la population.25

5.4. LA COMMUNICATION ET LE MARKETING Hugo Hollanders et Adriana Van Cruysen définissent la créativité comme la génération de nouvelles idées, le design comme la mise en forme (ou la transformation) d’idées dans de nouveaux produits et de processus, pendant que l’innovation est l’exploitation d’idées, le marketing à succès de ces nouveaux produits et processus.26 Les ‘pop-up’ peuvent être considérés comme un nouveau processus marketisé.

19

Ibid., p.73 A. Madanipour, op. cit., p.157 21 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.70 22 Ibid., p.25 23 A. Dubois, « Paris : La Friche, Grand Train, La Javelle, pourquoi la capitale passe en mode éphémère ? », 2016, repéré sur : http://www.20minutes.fr/paris/1920499-20160907-paris-friche-grand-train-javelle-pourquoi-capitale-passe-mode-ephemere 24 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.70 25 Ibid., p.77 26 A. Madanipour, op. cit., p.42 20

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Les usagers temporaires mettant en place un ‘pop-up’ savent exactement quels visiteurs ils veulent attirer à travers leur stratégie de marketing, visiteurs qui rendent fructueux le projet d’occupation.27 Les petites et grandes firmes ont cerné dans la vente ‘pop-up’ un outil de marketing qui fournit l’environnement d’expérience désiré par les consommateurs, construit l’image de l’enseigne, et attire l’attention de nouveaux consommateurs. La vente ‘pop-up’ induit la création d’un environnement marketing basé sur l’expérience ou focalisé sur la promotion d’une marque ou d’un produit disponible pour une courte période. Les éléments qui rendraient l’expérience ‘pop-up’ unique doivent être intégrés dans le magasin, à travers la communication marketing et la publicité, à travers le site internet, et à travers des événements qui ciblent un type de communauté.28 Mais l’usage d’internet et de sites de partage a transformé le concept en élargissant le public potentiel et en réduisant les coûts de la mise en œuvre des démarches marketing traditionnelles.29 (Fig. 45 & 46)

Fig. 45 & 46 Le ‘pop-up’ bar Strongbow montre la manière dont les réseaux sociaux sont utilisés afin d’attirer le consommateur dans sa recherche d’exclusivité, Anvers, 2017

En ce qui concerne les grandes firmes, les consommateurs seraient obsédés par la chance d’acheter quelque chose d’unique, d’exclusif. Si les ‘pop-ups’ attirent l’intérêt des médias, ils créent de la publicité gratuite pour la marque. Par exemple, le pop-up store ouvert à Londres en 2009 par Marmite a créé un buzz autour de la marque bien que le profit du store fût relativement faible.30 (Fig. 47)

Fig. 47 ‘Pop-up store’, Londres, 2009 27

Pour cette raison, la publicité en abondance et répandue est contre-productive, car elle attirerait également le public non ciblé (Peter Arlt, « What City Planners Can Learn from Temporary Users », dans P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, Urban Catalyst : The Power Of Temporary Use, Berlin, DOM Publishers, 2013, p.81) 28 L. Niehm, « Pop-up retail’s acceptability as an innovative business strategy and enhancer of the consumer shopping experience », Iowa State University, 2006, p.2, p.4, repéré sur : http://lib.dr.iastate.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1000&context=aeshm_pubs 29 S. Schindler, « Regulating the underground : secret supper clubs, pop-up restaurants, and the role of law »,Université de Maine, 2015, p.9, repéré sur : https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2560695 30 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.70

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Dans le marché immobilier, certains promoteurs s’inspirent également de cette démarche. En investissant parfois à perte dans la mise en œuvre d’un ou plusieurs ‘pop-ups’ dans les infrastructures bâties qu’ils ont acquises, l’engouement généré par ceux-ci et la forte fréquentation des lieux permet d’apporter de la valeur ajoutée à leurs infrastructures, et de mieux les vendre une fois rénovées. Un nombre croissant de propriétaires et de promoteurs s’engagent donc à promouvoir des ‘pop-ups’ afin d’ajouter de la valeur à leur propriété. Ces activités temporaires sont perçues comme une opportunité sur le marché de changer l’image d’une aire ou d’un site.31 Pour n’importe quel initiateur de ‘pop-up’, les médias et les réseaux sociaux représenteraient donc un point fort dans la communication du projet, permettant de cibler les publics et d’attirer la clientèle durant la période d’occupation. Selon Corinne Renié-Péretié, directrice d’une agence de communication à Paris, « l’éphémère est important car il s’adresse à toute une génération qui n’a connu que la crise et veut désormais de l’audace, du choix, du changement. »32 De son point de vue, elle analyse ces lieux comme étant « organisés visuellement pour être « instagramables » et générer de la visibilité et à l’arrivée, tout le monde a géré sa réputation en participant à l’événement. »33 (Fig. 48) Ce témoignage n’est certes pas le plus objectif, mais il permet de comprendre l’enjeu que perçoivent dans ces occupations une série d’acteurs participant de près ou de loin à l’émergence des ‘pop-ups’.

Fig. 48 ‘Pop-up’ bar « Grand Train » dans un ancien dépôt de train, qualifié subjectivement d’« instagrammable», Paris, 2016

Un autre exemple qui permet de comprendre l’intérêt des médias est celui d’une émission de télévision populaire flamande, nommée « Mijn pop-up restaurant ! », une compétition prenant place dans deux containers aménagés temporairement en restaurants34. Cet exemple peut sembler anecdotique, mais il prouve que la marque de fabrique ‘pop-up’ devient de plus en plus médiatisée.

Ibid., p.43

31 32

C. Renié-Péretié, dans « Paris : La Friche, Grand Train, La Javelle, pourquoi la capitale passe en mode éphémère ? », 2016, repéré sur : http://www.20minutes.fr/paris/1920499-20160907-paris-friche-grand-train-javelle-pourquoi-capitale-passe-modeephemere 33 Ibid. 34 Repéré sur : https://vtm.be/mijn-pop-uprestaurant

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5.5. L’IMAGE DE LA VILLE ET LE CITY MARKETING « Les lieux qui réunissent une dimension de détente et de loisir génèrent une relation affective positive dans laquelle les émotions, les sentiments et les humeurs associées présentent des connotations relatives au bien-être et au plaisir. Nous nous trouvons là, face à une dimension urbaine qui occupe aujourd’hui une place importance dans la communication, les politiques, et l’économie urbaine. (…) Les villes qui se présentent comme lieu de fête, de divertissement, de culture ou de loisir cherchent, au delà d’une attractivité retrouvée et amplifiée, à redonner à leurs habitants le plaisir d’être en ville et inventent alors de nouveaux modes de dire, de faire, de vivre et de consommer la ville. Ainsi que le précise l’auteur, ces villes s’appuient fortement sur les activités non productives et profitent du déclin de l’activité industrielle pour faire émerger un nouvel ordre basé sur l’immatériel et l’éphémère. »35 Le city marketing, qui est devenu l’une des formes principales de compétition dans l’économie globale, soumet un profil promotionnel pour une ville ou une région, dans l’objectif d’attirer des investisseurs et des visiteurs. 36 Selon Shih-Yao Lai, l’image est importante pour une ville lorsqu’elle essaye de se promouvoir et de rivaliser avec d’autres villes et d’atteindre un statut supérieur dans les réseaux de l’économie globale. L’architecture est l’un des éléments clés pour construire l’image de la ville, qui a besoin de facteurs visuels et concrets pour attirer l’attention de la population.37 La globalisation, auparavant dictée par les activités économiques globales, se serait ensuite déplacée vers un intérêt pour les milieux culturels. Et la compétitivité et l’image sont deux composants essentiels dont les villes doivent se munir afin de rivaliser contre les autres, car l’image est importante pour celles-ci lorsqu’elles cherchent à se promouvoir et atteindre un statut supérieur dans l’économie. L’architecture et la planification urbaine sont dès lors deux éléments clés pour construire l’image de la ville.38 Le city marketing permet d’atteindre des objectifs de compétition, non seulement pour augmenter les investissements entrants et le tourisme, mais aussi pour parfaire le développement communautaire, renforcer l’identité locale et l’identification des citoyens avec leur ville.39 Il touche d’autres champs que celui de la stimulation du tourisme, il vise également à montrer l’esprit de la ville dans la stratégie accordée aux aspirations de ses citoyens.40 Ce type de stratégie peut être d’intérêt pour la ville dans les efforts de développement de quartiers et de propriétés individuelles. À condition d’atteindre une certaine masse critique, les milieux culturels générés par les usages temporaires sont attractifs pour le marketing d’image et de localisation de la ville comme un ensemble. Des villes comme Amsterdam et Berlin s’appuient de plus en plus sur leur potentiel créatif pour augmenter leur visibilité et renforcer leur profil public. Amsterdam publie un index actualisé chaque année sur les initiatives culturelles et les petits business créatifs, et beaucoup de ceux-ci proviennent du milieu des usages temporaires. Les usages temporaires commerciaux d’une « aire culturelle » servent en particulier d’image afin d’attirer des investisseurs commerciaux.41

35

N. Audas, « L’affection, une affaire de rythmes », dans D. Martouzet, dir., Ville aimable, Tours, Presses Universitaires FrançoisRabelais, 2014, p.254-255 36 A. Madanipour, op. cit., p.104 37 S. Lai, « Urban Infrastructure and the Making of city Image in the Age of Globalisation »: The JLE Project in London, Shangai, 2004, p.1, repéré sur : http://www.bp.ntu.edu.tw/wp-content/uploads/2012/03/JLE-for-SORSAa.pdf 38 Ibid., p.2 39 M. Kavaratzis, « From City Marketing to City Branding: Towards a Theoretical Framework for Developing City Brands », Gronigen, 2004, p.13, repéré sur : http://citeseerx.ist.psu.edu/viewdoc/download?doi=10.1.1.455.3119&rep=rep1&type=pdf 40 M. Kavaratzis, « What Can We Learn from City Marketing Practice ? », European spatial research and policy, Varsovie, 2009, vol. 16, p.57, repéré sur : http://esrap.geo.uni.lodz.pl/uploads/publications/articles/v16n1/Mihalis%20KAVARATZIS.pdf 41 P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.351

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Au vu du lien important entre loisir et consommation, il est presque évident d’imaginer que certaines autorités publiques choisissent de mettre en évidence les occupations ‘pop-up’ dans leurs stratégies, pour donner une image exclusive et non statique de la ville et en faire une force. (Fig. 49) Les ‘pop-ups’ sont donc un moyen de valoriser l’architecture et la planification urbaine, dans les cas où la vacance est importante dans certaines aires : une stratégie marketing menée par la ville, qui d’une part empêche de donner une image négative d’espaces inoccupés, et d’autre part confère à la ville une idée de divertissement continu. Fig. 49 Les ‘pop-up’ bars estivaux mis en valeur dans une vidéo Facebook de la ville d’Anvers, 2017

« Une ville où il se passe toujours quelque chose prospère sur le stress qu’elle procure à ses habitants et à ses visiteurs ; une ville tranquille vit sur la garantie d’une stabilité des émotions, que certains considéreront vite comme de l’ennui. »42 Le marketing et la promotion deviennent donc les outils principaux de la ville, et les usages temporaires commerciaux deviennent part de stratégies entrepreneuriales de villes, compagnies, développeurs de projets et propriétaires. En employant ces usages, les propriétaires cherchent à augmenter la valeur de leurs biens. Lorsque les ‘pop-ups’ apparaissent dans un lieu, le lieu devient plus connu, et les usagers commerciaux sont donc attirés par cette nouvelle image et ce nouveau milieu. 43 Dans le cas de propriétés difficiles à louer, donner la possibilité d’initier une occupation temporaire commerciale permet à la ville de trouver les locataires sur le moyen-terme, et de redonner une image positive de l’aire, et en cumulant ces initiatives à plus grande échelle, de la ville. (Fig. 50)

Fig. 50 Initiative de la ville d’Anvers pour une galerie de ‘pop-up’ stores dans une série d’espaces vacants d’un lieu de passage secondaire de la gare centrale, 2013

42 43

D. Boullier, op. cit., p.131 P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.350

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5.6. ESSAI DE TYPOLOGIE DES ‘POP-UPS’ Il serait à présent intéressant de détailler plus concrètement les différentes formes que peut prendre un ‘pop-up’ et les différents acteurs grâce auxquels ces usages peuvent exister. Ce chapitre décrit l’éventail de possibilités qui caractérisent les ‘pop-ups’, et quelques exemples illustrent les différents cas. Il est structuré sous forme de liste. Cette structure sera également reprise dans la carte d’identité des deux cas d’étude, afin de les caractériser le plus précisément possible avant de les analyser. Les éléments présents dans chaque catégorie ne sont pas exclusifs, plusieurs éléments sont parfois cumulables pour la même occupation ‘pop-up’.

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Commentaires : Par structure construite, nous entendons: pavillon, aubette, container, etc. Un collectif est un groupe d’individus. La nature de leur union varie : ASBL, comité de quartier, collectif d’artistes, groupe de citoyens, etc Les personnes compétentes peuvent être également des entreprises, l’important est leur compétence dans le domaine dans lequel elles sont engagées : architectes, artistes, etc. Une agence de recensement est une agence publique ou privée qui localise les lieux disponibles et opportuns à la mise en œuvre du ‘pop-up’, et gère les contrats avec les propriétaires. En ce qui concerne le type de quartier, il est parfois difficile de qualifier le quartier dans lequel les occupations ‘pop-up’ s’implantent. Néanmoins, avoir une idée globale de la localisation permet de mieux comprendre le phénomène en rapport avec son contexte.

5.7. CONCLUSION Beaucoup de ‘pop-up’ shops, bars, restaurants ou autres reflètent l’augmentation des différentes natures de cultures de la consommation et offrent explicitement des nouvelles expériences au consommateur en fondant par exemple les limites traditionnelles entre manger, boire, écouter de la musique, ou regarder du théâtre.44 On ne peut isoler chaque facteur pour expliquer la montée de l’urbanisme temporaire. Les limites entre les types d’usage semblent se dissoudre, et le développement des occupations temporaires ‘pop-up’ apporte une variété plus importante de fonctions et génère des types d’usages et de coutumes plus nombreux. Selon Bishop et Williams, les activités temporaires, qu’elles soient à dimension commerciale ou non, seraient à présent acceptées avec bien plus d’entrain et beaucoup moins perçues comme marginales.45 Les réseaux sociaux semblent jouer un rôle important pour la promotion des ‘pop-ups’, que cela soit de la part de l’initiateur, comme des villes qui en accueillent. L’idée d’exclusivité et d’expérience de consommation crée une nouvelle forme d’engouement chez les consommateurs, toujours à la recherche de renouveau.

44 45

Ibid., p.213 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.35

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6. L’OCCUPATION TEMPORAIRE COMME OUTIL DE DÉVELOPPEMENT URBAIN 6.1. INTRODUCTION Après avoir relaté le phénomène des occupations temporaires et plus particulièrement des ‘pop-up’ sous divers angles, il semblerait judicieux de comprendre à notre époque la manière dont ces occupations, commerciales ou non, peuvent s’allier ou être des éléments clés de la planification urbaine et du développement urbain. L’objectif de ce chapitre est de dresser un constat de l’existant, sur base des ouvrages et des articles publiés à ce sujet, et de relater certains systèmes de fonctionnement existants qui intègrent le temporaire dans le processus de planification, ou favorisent la mise en œuvre de celles-ci. Ces systèmes ont évidemment des limites, que nous tenterons également d’expliquer. L’importance de l’aspect commercial ou non commercial sera un élément qui ressortira au moment opportun pour appuyer certains propos.

6.2. LIMITES DE LA PLANIFICATION URBAINE TRADITIONNELLE Bishop et Williams perçoivent une ville comme jamais en état fixe et définitif et constamment en évolution, et dans laquelle certains plans d’urbanisme de développement seraient parfois déjà hors époque avant même d’être mis en œuvre.1 Pour eux, le manque de ressources, de pouvoir et de contrôle pour mettre en place des master plans traditionnels se fait ressentir chez la plupart des autorités publiques qui s’occupent de la revitalisation et du redéveloppement des aires urbaines en Europe et dans le Nord de l’Amérique. Dans notre époque d’incertitude économique et de changements rapides, ces autorités reconnaitraient que leurs plans ont besoin d’être plus flexibles, et qu’un rôle pourrait être attribué aux phases de développement intérimaires ou aux activités temporaires. Les usages temporaires pourraient donc répondre au besoin des villes de s’adapter aux conditions du XXIème siècle.2 Cette nouvelle idée prônerait de manifester plus d’attention aux activités temporaires, bien qu’il soit possible que cette nouvelle vague ne soit juste qu’un phénomène de mode qui disparaîtra lorsque l’excitation du nouveau ne sera plus présente. Mais, au-delà de cette image, ces activités temporaires pourraient en effet être un levier fondamental dans la manière d’utiliser le territoire et le bâti, avec plus d’implications de la part des politiques urbaines et plus de pratique.3 Aujourd’hui, selon Oswalt, Overmeyer et Misselwitz, les promoteurs immobiliers, les municipalités et les propriétaires de terrains se rendraient compte qu’un développement de la vie urbaine bon et durable ne peut être atteint sans envisager les aspects contextuels, à savoir les structures et activités. Les usages informels dans ces structures sont de plus en plus considérés comme indicateurs fiables de la qualité urbaine de ces développements. 4 Celle-ci se remarque surtout dans les friches urbaines ou autres espaces résiduels où les méthodes de développement traditionnel n’ont pas abouti, « dans des contextes où le sentiment d’abandon lié à la perte de confiance dans l’action publique expliquait pour une grande part les situations problématiques qui s’y développaient. » 5

1

P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.19 Ibid., p.3-4 3 Ibid., p.19 4 P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.5 5 J. Donzelot, À quoi sert la rénovation urbaine?, Paris, Presses Universitaires de France, 2012, p. 175 2

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Ce décalage entre planification urbaine et réalité urbaine pourrait donc être réduit si le processus de planification intégrait cette réalité, à travers une relation plus pragmatique avec le contexte. Ils illustrent ce décalage à travers l’exemple de Berlin dans les années 1990. Dans l’euphorie suivant la chute du mur de Berlin, le sénat de la ville fit mettre en place une série importante de masterplans à grande échelle dans l’objectif de construire des nouveaux quartiers, afin d’accueillir une population croissante. Mais après un bref construction boom durant la première moitié des années 1990, les objectifs et les budgets des planifications subirent des réductions et des coupures, et beaucoup de projets furent suspendus, avec pour conséquence l’apparition d’un nombre important d’espaces vacants. Une scène vibrante d’usages temporaires s’est développée sur la plupart des terres abandonnées, dans les bâtiments et dans les espaces entre ceux-ci. Sont apparus des bars et des clubs nomades, des fêtes « improvisées » dans les anciennes industries et les bâtiments dont la construction avait été suspendue, et progressivement, de nouvelles formes de loisir se sont développées, générant une variété d’économies migrantes. Les loyers des logements étaient dans certaines aires presque insignifiants et la ville de Berlin est devenue un endroit attractif pour la plus jeune génération grâce au mode de vie peu coûteux qu’elle offrait. Des changements qui se sont donc produits sans planification urbaine.6 (Fig. 51)

Fig. 51 Tacheles, espace public créé par les habitants entre 1990 et 2012, Berlin, 1996

Pour les auteurs d’Urban Catalyst, la planification urbaine a toujours été en tension entre le développement planifié et non-planifié, et l’informel prendrait souvent le dessus sur les processus formels.7

6 7

P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.7 Ibid.

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6.3. IMPORTANCE DE LA TEMPORALITÉ Le problème identifié par Bishop et Williams est la durée de la procédure de la mise en œuvre des master plans qu’ils définissent comme traditionnels : à travers les étapes de formulation, approbation, adoption et mise en œuvre8, ces master plans ne pourraient s’adapter aux changements économiques, sociaux et techniques qui peuvent se produire durant la période de la procédure. 9 Une approche alternative commence donc à émerger, à travers l’institution de procédures plus courtes, comprenant notamment des « phased packages » de petites initiatives, plus adaptées pour mettre en évidence le potentiel des sites. (Fig. 52) Cette approche va souvent inclure des stratégies autour des usages temporaires. Ces usages temporaires de l’espace peuvent être vus comme un processus d’expansion de l’espace sur une base contingente, un processus de création de degré de flexibilité dans des temps de changement.10

Fig. 52 Leicester Waterside, projet de rénovation urbaine où des petites initiatives fonctionnelles « créatives » et de divertissement sont intégrées dans le tissu existant, Leicester, Royaume-Uni, 2011

À la place d’acheter ou de construire de nouveaux locaux, la location fournit un degré d’exploration et de flexibilité qui peut être réajusté dans le cas où le nouvel espace n’est pas réellement nécessaire. Toutefois, les pratiques normales de location sont basées sur des contrats et des accords qui peuvent être trop rigides pour une variété d’expérimentations ou de pratiques occasionnelles.11 Selon John Kaliski, la planification classique aurait un contrôle trop important sur le devenir, et ne laisserait pas suffisamment d’espace à l’inattendu. Or, ce sont souvent les activités non-planifiées qui donnent de la diversité et du dynamisme, rendant les aires urbaines attractives et vivables. C’est précisément cette dimension temporelle si importante de ces activités qui donne suite à l’émergence du concept de design quadri dimensionnel. Celui-ci permet de comprendre et planifier la temporalité en

8

Les procédures et les acteurs de la planification urbaine varient évidemment pour chaque région, ces étapes ne sont pas détaillées mais citées globalement, et sont en général et à peu de chose près celles des procédures de la majorité des systèmes de planification urbaine dans nos villes post-industrielles. 9 A. Madanipour, op. cit., p.179 10 Ibid., p.49 11 Ibid.

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même temps que l’élément physique, et peut ouvrir de nouvelles opportunités pour penser le court-terme et intégrer les usages temporaires, surtout lorsqu’ils créent l’excitation et donnent une nouvelle image de la localité. Kaliski prône donc un design urbain qui reconcilie le formalisme et l’abstraction de l’architecture ou de la conception urbanistique avec les forces plurales et les voix humaines de la ville de tous les jours.12 Gwiazdzinski parle d’un « urbanisme des temps », fondé sur « une approche chronotopique – le chronotope désignant « les lieux de confluence de la dimension spatiale et de la dimension temporelle » dans laquelle le regard porté sur la ville apriori essentiellement spatial évolue vers une prise en considération des temps urbains et individuels. »13 Avec les usages temporaires, les paramètres fondamentaux du développement urbain classique sont remis en question. Traditionnellement, le processus de planification commence avec une formulation de résultat fini, et la considération de la manière dont ce résultat peut être atteint se manifeste par la suite. Avec l’usage temporaire, cette relation est renversée : la démarche commence avec une interrogation sur la manière dont une dynamique peut être engendrée, sans définir un état idéal fini. Dans ce scénario, la planification est restreinte à une intervention limitée dans le temps et qui ne cherche pas à dicter un développement total.14

6.4. IMPORTANCE DE L’ESPACE Emmanuel Kant définit l’espace et le temps comme des représentations d’apparences, qui ne peuvent exister en eux-mêmes, mais seulement en nous. L’espace et le temps ne sont pas des substances indépendantes mais les conditions nécessaires à toutes nos expériences internes et externes.15 Cette approche nous permet de questionner également la manière de planifier l’espace dans la planification dite quadri dimensionnelle.

Fig. 53 Bar Park, sur le toit d’un parking à Lisbonne, depuis 2011

En effet, l’obsession de la planification urbaine moderne caractérisée par la conception d’espaces publics « formels » aurait été selon Bishop et Williams maintes fois critiquée par des théoriciens. Ces derniers ont focalisé leurs recherches sur le potentiel d’espaces urbains dits marginaux et les usages quotidiens plus informels qu’ils accueillaient, tels que des espaces entre les bâtiments, des roof-tops, etc. C’est le cas de Kaliski et Crawford, dans leur théorie de l’« everyday urbanism ». Ils définissent ces espaces comme des vides où l’inattendu peut apparaître.16 (Fig. 53)

L’idée d’espace social définie par Lefebvre reflète les relations sociales, et la manière dont l’espace et ses transformations font partie intégrante de l’organisation de la société. Pour Pierre Bourdieu, l’espace social est la structure de la juxtaposition des positions sociales traduite dans l’espace physique, et l’espace devient la correspondance entre un certain ordre de coexistence (ou distribution) d’agents et un certain ordre de coexistence (ou distribution) de propriétés.17 Ali Madanipour, John Kaliski et Margaret Crawford percevraient une qualité dans l’urbanisme temporaire en ce qu’il peut sembler défier cet « ordre spatial » en produisant de la flexibilité à travers des usages à court-terme de l’espace dans l’usage de lieux 12

J. Kaliski, « The Present City and the Practice of City Design », dans J. Chase, M. Crawford, & J. Kaliski, éd., Everyday Urbanism, New-York, The Monacelli Press, 1999, p.102-106 13 N. Audas, op. cit., p.234 14 A. Madanipour, op. cit., p.217 15 Ibid., p.31 16 M. Craword, « The Current State of Everyday Urbanism », dans J. Chase, M. Crawford, & J. Kaliski, éd., Everyday Urbanism, New-York, The Monacelli Press, 1999, p.12-14 17 A. Madanipour, op. cit., p.32

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imprévisibles et non-familiers. 18 Ces espaces peuvent être assimilés aux « espaces-enjeu » de Pradel. « Par « espace-enjeu », nous entendons un espace public délimité, souvent doté de propriétés remarquables (patrimoniales, naturelles, centrales), inclus dans des zones urbaines faisant l’objet d’une opération de renouvellement urbain. »19 D’autres recherches, menées par Karen Frank et Quentin Stevens, identifient le potentiel des « loose spaces ». Ces espaces sont définis comme ceux qui accueillent une activité qui n’y était pas prévue au départ. Les initiateurs des activités peuvent également s’approprier des lieux qui n’ont plus une fonction fixe tels que des édifices abandonnés. Ce sont pour eux ces « loose spaces » qui montrent les clés de l’urbanité : accès, liberté, densité, mélange de populations et d’activités. Ces espaces seraient emplis de vitalité et inviteraient à se détendre, observer, protester, célébrer, se tenant grâce à leur diversité et leur désordre en directe opposition avec l’espace public moderne, défini par certains comme homogène et ordonné. Ces théoriciens prônent les qualités de ces lieux qu’ils décrivent comme non-familiers et questionnent la pratique des urbanistes qui consiste à essayer de les « organiser », tandis qu’ils peuvent selon eux être perçus comme une beauté différente dans la ville, créant un sens de liberté et de possibilité. 20 (Fig. 54) Fig. 54 Couverture du livre Loose Space, 2007

Ces espaces qui n’ont plus une fonction fixe pourraient faire partie du « Tiers paysage », qui pour Gilles Clément est constitué de « l'ensemble des lieux délaissés par l'homme ». Le délaissé procède de l'abandon d'un terrain anciennement exploité, et son origine est multiple : industrielle, urbaine, touristique, etc. Délaissé et friche peuvent être synonymes. 21 Bishop et Williams insistent sur l’importance de conserver ces espaces moins formels, et les urbanistes devraient selon eux se focaliser sur des nouvelles stratégies pour lier ces espaces moins remarquables dans un tissu connecté.22 Des recherches sont également menées sur les espaces publics à proprement parler (places publiques, rues, etc.). Les villes ne peuvent fonctionner sans les espaces publics, lieux d’échange et de transactions informelles où les citoyens se rencontrent, parlent, et paradent. Les usages des espaces publics se diversifient et s’intensifient suite aux changements dans le mode de vie et la culture, et des compositions de population 23 , comme nous l’avons vu Fig. 55 Barbecue dans le parc Spoor Noord, Anvers

précédemment. Dans « everyday urbanism » figure une analyse de la valeur de ces espaces avec pour outil analytique le comportement quotidien à travers des

18

Ibid. B. Pradel, « L’urbanisme temporaire : signifier les « espaces-enjeux » pour réédifier la ville », dans Y. Le Caro (dir.), & al., Espaces de vie, espaces enjeux, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, p.245 20 K. Frank & Q. Stevens, Loose Spaces: Possibility and Diversity in Urban Life, Londres, Routledge, 2007, p. 3-7 21 G. Clément, Manifeste du tiers paysage, Montreuil, Sujet/Objet, p.5 22 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.97 23 Ibid., p.87 19

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filtres comme les rencontres, les jeux, le skateboard ou encore les barbecues. Ces activités ne sont pas un nouveau phénomène mais elles auraient reçu récemment une attention plus importante.24 (Fig. 55) Le « lieu urbain » est défini par Alain Mons comme « un espace de composition ou de décomposition de multiples éléments perceptifs et imaginaires : objets, architectures, signes, corps, voix, regards, lumières, ombres. Le lieu serait alors pour nous ce qui autorise à la fois l’agencement de tous ces éléments mais aussi leur espacement, leur séparation momentanée. » 25 Dans le projet de recherche Post-it City, Giovanni La Varra définit et décrit un type d’espace public qui est une alternative à l’espace public officiel traditionnel. Ces espaces sont des espaces informels où les activités les plus variées prennent place : rave, bottelone (Fig. 56), street vending, etc. 26 Ces espaces seraient une forme de résistance contre la normalisation du comportement public. À travers ces manifestations tantôt formelles, tantôt informelles, les éléments perceptifs et imaginaires définis par Mons acquièrent une signification plus importante pour les usagers. Fig. 56 Bottelone aux Colonne di San Lorenzo, lieu où des groupes se réunissent pour boire durant la soirée et la nuit, Milan

« Ce qui transparait plus nettement encore c’est la qualité des relations, notamment affectives, que chacun aura développé dans ces espaces de vie et l’intrication permanente de ces circonstances particulières dans la co-construction des valeurs et du rapport à l’espace. »27 Intégrer la possibilité d’usages inattendus, et aborder une démarche quadri dimensionnelle envers les espaces publics existants et ceux en devenir, tels sont les défis auxquels les planificateurs et les autorités doivent faire face de nos jours. Les espaces délaissés sont parfois porteurs d’un potentiel que certains acteurs négligent trop vite. « Les habitants des villes, les usagers, les passants, les touristes, les flâneurs, les SDF, et tous les autres ont des souvenirs de ville, des représentations de ville, des préférences et des envies. C’est tout ceci que l’urbaniste doit prendre en considération et il sait combien c’est important puisqu’il est lui-même un habitant avec des souvenirs et des envies qui modifient l’exercice de sa profession. »28 Gwiazdzinski aborde le devenir des espaces publics à l’échelle de la ville. Pour lui, les changements sociétaux induisent un questionnement du fonctionnement de la ville tout entière. Il en définit le concept de ville malléable : « la ville malléable c’est une cité qui se laisse façonner sans rompre. Ce n’est pas la ville 24h/24, ce n’est pas la ville éclatée mais c’est une cité qui est dans une logique d’intelligence collective et où on se laisse le droit d’expérimenter et de se tromper pour revenir en arrière. Une ville malléable, c’est la polyvalence et l’usage alterné de l’espace public et des bâtiments donc à différentes échelles temporelles : de l’année à la journée en passant par les saisons ; et à différentes échelles spatiales : de l’habitation à l’agglomération en passant par le quartier et la rue. (…) On sera obligé d’inventer de nouveaux concepts, un nouveau vocabulaire : « les usagers temporaires », « les centralités temporaires », « l’architecture temporaire »… on sera peut-être aussi obligé de penser le citoyen comme un citoyen temporaire. La ville malléable entraîne une gouvernance adaptée aux rythmes. »29

24

M. Crawford, op. cit., p.12-14 A. Mons, op. cit., p.101 26 G. La Varra, « The Other European Public Spaces », dans S. Boeri, « USE – Uncertain states of Europe », Milan, 2000, repéré sur: http://subsol.c3.hu/subsol_2/contributors0/boeritext.html 27 B. Feildel, « Pour un urbanisme affectif », dans D. Martouzet, dir., Ville aimable, Tours, Presses Universitaires François-Rabelais, 2014, p.116 28 D. Martouzet & N. Mathieu, « Habiter, une affaire d’affects: dialogue et confrontations », dans D. Martouzet, dir., Ville aimable, Tours, Presses Universitaires François-Rabelais, 2014, p.44-45 29 L. Gwiazdzinski, op.cit., p.10 25

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6.5. UN PROCESSUS TACTIQUE Comme nous venons de le voir, la promotion de l’usage temporaire évoluerait comme une approche à un nouveau développement urbain. Cette démarche apporterait plus de considération à ce qu’il y a sur le territoire et à tous les acteurs, en se focalisant plus sur le processus que sur le produit fini.30 Beaucoup de praticiens s’accordent à dire que les projets urbains devraient commencer avec une enquête de tous les éléments existants (planifiés ou non) et que les qualités individuelles d’un lieu doivent être améliorées en concevant de nouveaux espaces et programmes en rapport avec l’existant.31 Appliquer l’approche d’un « everyday urbanism » impliquerait également une collaboration avec les usagers potentiels des espaces, qui pourraient s’exprimer sur leurs besoins. Mais ces utilisateurs se focalisent sur des solutions qui répondent à leur mode de vie dans le contexte urbain proche de là où ils vivent, ou qui affectent directement leurs intérêts.32 Un certain recul est à prendre dans la démarche, de manière à garder le contrôle sur les différentes échelles, et sur les différents points de vue partagés par les acteurs. Selon Temel, la revitalisation urbaine aurait besoin de procéder tactiquement plutôt que stratégiquement en réagissant aux situations existantes et en créant des arrangements avec les autres acteurs.33 Le point de vue de Oswalt, Overmeyer et Misselwitz sur la tactique est relativement intéressant. Ils qualifient d’analytique la manière dont les usagers temporaires travaillent avec la ville. Leurs actions pourraient être décrites comme tactiques plutôt que stratégiques. Selon Clausewitz, la fondation de chaque stratégie réside en une entité, une base propre (armée, entreprise, ville) qui est séparée de son contexte et constitue la base organisationnelle pour les relations avec le monde extérieur. Le stratégiste transforme les forces étrangères extérieures à son entité dans des objets qui peuvent être observés et mesurés. Les tactiques, au contraire, n’ont pas de base propre et de séparation avec le contexte. L’espace de la tactique est l’espace de l’autre. La tactique est caractérisée par un manque de pouvoir, et elle travaille avec les éléments présents. Les tactiques sont constamment en mouvement, constamment à la recherche d’avantages à la volée et d’opportunités favorables. Les usagers temporaires « ordinaires » n’ont pas beaucoup de pouvoir ni d’argent et dépendent donc des forces étrangères. Ainsi, ils doivent donc s’accommoder des circonstances. La réalisation de leurs idéaux requiert une parfaite connaissance du terrain. À l’époque des dites ‘riches municipalités’, certains quartiers étaient parfois entièrement rasés car ils n’étaient pas en accord avec les idéaux sociaux et esthétiques des urbanistes ou des autorités, ou par besoin de nouvelles infrastructures routières. L’objectif premier était une « ville propre », sans contradiction.34 (Fig. 57) Fig. 57 L’avenue Maurice Destenay et les infrastructures construites dans les années 1970, Liège

30

P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.187 Ibid., p.182 32 Ibid., p.185 33 R. Temel, op. cit., p. 57 34 P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.82-86 31

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Aujourd’hui, il n’est plus possible d’agir de la sorte, notamment par manque de moyens financiers. Mais les individus qui dessinent et construisent la ville (notamment certains investisseurs privés) savent aussi ce qu’ils veulent, et certains problèmes se manifestent à cause des réalités du terrain. C’est pourquoi leur mode de construction favori serait de construire sur des sites où rien n’existe, ou alors où tout peut être démoli. Avec ce type d’intervention, des réalités autonomes sont créées, indifférentes du reste de la ville et des évènements imprévisibles qui la nourrissent. Ce type d’urbanisme est défini par Oswalt, Overmeyer et Misselwitz comme de la planification urbaine stratégique.35 (Fig. 58) Fig. 58 La gare des Guillemins, la tour des finances, et entre, le futur projet « Paradis express » , Liège, 2014

La ville actuelle se distingue justement par ces pratiques hétérogènes qui ne peuvent être contrôlées. La planification urbaine tactique aspire à une vision de la ville dans son ensemble, reconnaît que la ville évolue constamment et qu’une condition finale n’est pas désirable, que les programmes à intégrer exigent de trouver des partenaires au niveau micro (et donc de manifester une certaine attention aux individus déjà actifs dans l’aire et au support de leur activité), et ne doivent pas tendre dans la direction du vent (c’est à dire pour eux l’argent). La réalité existante est vue comme un trésor, surtout dans des aires de désintérêt.36

6.5.1. DÉMARCHES FAVORABLES À LA MISE EN ŒUVRE D’OCCUPATIONS TEMPORAIRES Afin de pouvoir exercer une approche tactique dans la planification, les autorités et les urbanistes devraient s’intéresser davantage aux aires dites de désintérêt (Fig. 59), et considérer l’usage temporaire de celles-ci comme un outil de développement, un élément qui intégrerait le processus de planification à part entière, et ce à travers la communication avec les acteurs. Pour que cela soit possible, les autorités ont un rôle important, car elles peuvent permettre la mise en œuvre d’activités temporaires et en faciliter la démarche. En effet, les premiers conflits légaux au départ d’un usage temporaire seraient selon les urbanistes d’Urban Catalyst dus à l’accessibilité aux espaces. Il peut arriver que certains espaces restent vides durant des années sans que le propriétaire ne les rende disponibles à l’usage temporaire. Aux Pays-Bas par exemple, il existe des lois qui autorisent l’occupation d’un bâtiment si le propriétaire ne le fait pas après 1 an.37 En Belgique, une proposition de loi fédérale devrait être déposée d’ici septembre 2017, permettant à une commune de réquisitionner un immeuble (appartenant à un propriétaire privé) vide depuis plus de six mois et d’y autoriser une occupation avant sa rénovation.38

35

Ibid., p.84 Ibid., p.85 37 P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.120-121 38 C. Mikolajczak, « Une loi pour régler la réquisition d’immeubles privés ? », La Libre, 26 juillet 2017, p.11 36

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Fig. 59 Typologie d’usages temporaires : objectifs et conditions, selon Panu Lehtuvuori

Les autorités ont également la responsabilité d’appliquer les régulations légales pour accorder des licences et autoriser les occupations temporaires. Par exemple, chaque occupation de structure construite est sujette à ces régulations concernant la protection au feu, à la santé et à la sécurité. Oswalt, Overmeyer et Misselwitz estiment qu’un nombre important de villes seraient devenues plus tolérantes dans l’accord de licences. Ces villes chercheraient maintenant à stimuler et activer les usages temporaires d’autres manières, notamment en libérant un propriétaire des taxes sur sa propriété s’il met celle-ci à disposition des usagers temporaires.39 Le contraire est également possible. Au Royaume-Uni, les autorités appliquent des taxes de pénalité supplémentaires sur les sites non-utilisés afin d’accélérer leur développement.40 Certaines campagnes publicitaires peuvent être également mises en œuvre. En 2010, David Cameron, le premier ministre du Royaume-Uni, a soutenu une campagne nommée « Site Life », dont le but était d’inciter la population et les municipalités à trouver des usages pour les sites abandonnés au sein du pays. La campagne lui semblait concorder parfaitement avec ce que le gouvernement tentait de mettre en place, à savoir construire une société plus grande et plus forte, où les individus auraient plus de pouvoir sur leurs propres vies, où les communautés se réuniraient pour améliorer leurs vies, et où les citoyens seraient impliqués dans leur quartier. La campagne aurait été pour lui un objectif d’invoquer la responsabilité sociale, en communiquant à la population l’idée selon laquelle il est préférable de percevoir les friches comme une opportunité et de les ramener à la vie, plutôt que de se plaindre de leur présence.41 Un autre exemple est le « city initiated transfer agreement », où le propriétaire a la possibilité de transférer temporairement sa parcelle à une institution publique ou à la ville pour un usage dit d’intérêt public. Les obligations légales du propriétaire contre les risques et sa responsabilité en cas de dommage sont également transférées.42 À San Francisco, les conseillers de la ville ont introduit un accord qui permet aux démarches concernant les usages temporaires d’être accélérées par rapport aux autres, et de recevoir une assistance financière en offrant aux initiateurs des usages l’opportunité d’occuper un endroit durant cinq à huit ans. 43 Les

39

P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.59-60 Ibid., p.121 41 J. Garret, « Cameron backs Property Week’s site life campaign », 2011, repéré sur : http://www.propertyweek.com/news/cameron-backs-property-weeks-site-life-campaign/5014763.article 42 P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.122 43 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.217 40

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politiques urbanistiques pourraient donc d’une manière ou d’une autre encourager les propriétaires à penser à ces activités temporaires, par exemple lors de longs développements de sites sur plusieurs années en incluant une demande pour usage temporaire qui fait partie du permis d’urbanisme.44 La ville d’Amsterdam, pour le quartier d’Amsterdam Noord, incite les promoteurs privés qui cherchent à développer un projet à entrer dans un processus de développement qui implique les usages temporaires, en leur octroyant des fonds municipaux.45 (Fig. 60)

Fig. 60 Le Pllek ‘pop-up’ bar, faisant partie du complexe temporaire NDSM Wharf à Amsterdam, en 2015. Composé d’une halle de 20 000 mètres carrés, le projet accueille divers programmes (art, spectacles, restaurants) avec au total plus de 200 employés. Le projet a reçu un financement de dix millions d’euros de la part de la vile.

Les exemples sont innombrables. Une série d’initiatives et de démarches sont possibles, qu’elles concernent les autorités, les promoteurs, ou les urbanistes. Quoi qu’il en soit, exploiter les possibilités d’un site en explorant la variété des usages à priori sans investissement dans la construction induit de céder une grande partie du contrôle, de la conception, et de l’utilisation du site aux usagers actifs. Dans des situations économiques et de planification urbaine difficiles, des nouveaux développements peuvent être déclenchés lorsque les propriétaires, les municipalités et les citoyens actifs surmontent les barrières existantes et libèrent les synergies.46 Un autre point à aborder brièvement serait celui des événements. Malgré leur temporalité réduite, ils peuvent également être un moteur de régénération urbaine, à travers notamment l’image qu’ils donnent de l’aire dans laquelle ils s’implantent. (Fig. 61) Selon Bishop et Williams, les autorités publiques reconnaitraient qu’en jouant un rôle plus actif dans la promotion d’évènements musicaux ou culturels, elles peuvent animer les espaces publics urbains et en tirer des bénéfices économiques. Les événements culturels temporaires et les performances seraient de plus en plus utilisés comme stimuli pour la régénération.47 (Fig. 62) À travers l’occupation de bâtiments existants ou la construction de structures, les événements culturels sont un moyen de donner une image positive d’une aire. Le collectif Raumlabor a transformé le fort vandalisé Eichbaum station (entre Essen et Mulheim en Allemagne) en un opéra temporaire, Eichbaumoper (Fig. 63), comme un moyen de changer les perceptions négatives du bâtiment loin de la peur et de l’appréhension. 44

Ibid., p.217 P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.219 46 Ibid., p.218 47 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.97 45

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Dans le cas de l’Electric Hotel, théâtre itinérant au Royaume-Uni, l’initiative était supportée par les promoteurs comme un moyen de commencer à créer à chaque fois un sens du lieu.48 (Fig. 64)

Fig. 61 Uzine festival, Marchienne-au-pont, Charleroi

Fig. 62 Microfestival, Saint-Léonard, Liège

`` Fig. 63 Eichbaumoper, Essen-Mulheim, Allemagne

Fig. 64 Electric Hotel Theater, Royaume-Uni

6.5.2. LE RECENSEMENT DES LIEUX POTENTIELS À L’OCCUPATION TEMPORAIRE Au vu de l’intérêt grandissant du phénomène du temporaire, l’importance liée à la présence de la vacance et à l’appropriation de celle-ci augmente également. Il serait judicieux de relater l’une ou l’autre démarche qui facilite cette dernière. A Portland, No Vacancy ! est une collaboration réalisée en 2009 entre des étudiants de l’université et le conseil industriel de la ville. L’étude a consisté à répertorier une liste d’espaces disponibles pour de l’usage temporaire, chaque espace étant associé par les étudiants à un usage potentiel. Dans le processus furent identifiés un certain nombre d’atouts ou d’éléments caractéristiques du type d’usage temporaire désiré. Le résultat de l’étude a montré que l’initiative menée par les étudiants, qui se sont dans leur démarche placés entre le conseil et la population, a généré chez cette dernière un plus grand intérêt envers le futur des usages temporaires pour la ville.49 (Fig. 65 & 66)

Fig. 65 Analyse du potentiel des usages temporaires, No Vacancy !, Portland, 2009

48 49

Ibid., p.125 Repéré sur : https://novacancyproject.files.wordpress.com/2009/06/final-report_low-res.pdf

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Fig. 66 Résultat du sondage de préférences pour l’usage temporaire des aires étudiées auprès de la population

Certaines formes d’aide au lancement d’usage temporaire commercial ‘pop-up’ peuvent aussi être initiées par des autorités publiques, également à travers une stratégie de recensement. Par exemple, la ville d’Anvers, à travers son organisme « De Nieuwe Natie » et la présence de startercoachs, localise des espaces commerciaux vides, et les propose en location à bas prix à des entrepreneurs qui désirent lancer un commerce temporaire en vue de tester leur produit, pour une durée déterminée.(Fig. 67) Les entrepreneurs sont assistés dans la mise en place de leur commerce à travers des séances de coaching, et les démarches administratives Fig. 67 Inauguration d’une galerie de ‘pop-up’ shops, Anvers sont gérées par l’organisme.50

En Wallonie, la plateforme « UrbanRetail » (Fig. 68), lancée par l’organisme « Wallonie Commerce » 51 et financée par la Wallonie, permet également de louer des surfaces commerciales vides, à un prix indiqué par jour, afin d’aider également les entrepreneurs à trouver un emplacement pour y installer leur commerce et donc tester leur concept.52

Fig. 68 Capture d’écran du site web UrbanRetail

50

Repéré sur : http://www.urbanretail.be/ Programme de développement et de soutien aux commerces indépendants en Wallonie 52 Repéré sur : http://www.ondernemeninantwerpen.be/denieuwenatie 51

68


Suite au succès du temporaire, un nombre d’agences intermédiaires du secteur privé ont également été récemment fondées pour faciliter le processus, agences possédant un portfolio d’espaces disponibles pouvant être utilisés pour plus ou moins tous les types d’usages. Ces agences travaillent en parallèle avec les propriétaires et les municipalités pour mettre en relation les espaces et les usagers temporaires. Elles soutiennent les usagers temporaires en faisant du marketing et en sécurisant les permis, tout en recrutant des propriétaires d’espaces vacants et en négociant avec ces derniers pour obtenir la disponibilité de leurs espaces.53 Ces agences sont formées par des entrepreneurs qui perçoivent dans l’usage temporaire une certaine « économie temporaire ».54 (Fig. 69) Il est presque évident que ce genre d’initiative incite bien plus les occupations temporaires ‘pop-up’ à se mettre en place, étant donné que les agences proposent des espaces à louer. Les usagers temporaires doivent donc faire des bénéfices afin de compenser le prix du loyer.

Fig. 69 Capture d’écran du site web de La Belle Friche, agence parisienne de recensement de lieux pour l’usage temporaire

53 54

P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.58 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.45

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6.5.3. LES RELATIONS ENTRE LES ACTEURS Lorsque le propriétaire d’un terrain ou d’un bâtiment en permet l’occupation temporaire, celle-ci s’épanouit généralement dans les cas où la relation entre le propriétaire et l’occupant fonctionne, notamment à travers une compréhension claire et mutuelle sur la temporalité de l’occupation. Qu’elle grandisse et s’exporte ailleurs, ou qu’elle disparaisse, le bail est prévu pour une durée déterminée. Les évènements ou activités temporaires peuvent développer des partenariats à long terme et des relations de confiance peuvent se construire entre les développeurs et les communautés ou entre les propriétaires et les occupants.55 Il arrive donc que les autorités municipales travaillent avec des personnes compétentes que Oswalt, Overmeyer et Misselwitz nomment agents. Pour eux, le planificateur n’est plus un héroïque concepteur visionnaire mais devient un agent activateur qui contribue à réunir les acteurs des occupations temporaires et à les faire interagir, et les usagers temporaires eux-mêmes deviennent des producteurs de l’espace.56 Ces agents créent les conditions cadres qui permettent aux individus porteurs d’une idée de lancer un usage temporaire à travers le réglage des contrats de bail, de permis et d’un soutien politique et administratif. Ils doivent être capables de parler le même langage que les autorités, tout en ayant une bonne compréhension des mécanismes informels des usages temporaires, afin d’être en bonne position de médiateur entre ces milieux opposés. Ils utilisent leur liberté de manœuvre pour promouvoir les micro politiques qui aident les intentions sociales et culturelles des usagers temporaires, ce qui à long terme promeut un meilleur développement pour la ville dans son ensemble.57

6.6. AVANTAGES DES OCCUPATIONS TEMPORAIRES Les ouvrages étudiés dans le cadre de ce mémoire sont écrits par des urbanistes manifestant un intérêt certain dans la compréhension du phénomène. Certains d’entre eux ont également analysé une série d’occupations temporaires sur site. Leur point de vue sur les occupations temporaires, ainsi que celui exprimé dans la majorité de travaux d’étudiants et dans la presse populaire tend majoritairement vers une acceptation positive du phénomène, où selon tous ces avis, l’urbanisme temporaire serait une solution adéquate et adaptée en cas de problème urbanistique et sociétal, dans le contexte socio-économique et politique actuel de nos contrées. Il serait important de mentionner certains avantages récurrents lus dans les ouvrages, mais relus également dans les autres travaux ou dans la presse. Les usages temporaires pourraient comporter de nombreux avantages pour le propriétaire et pour les municipalités, en donnant une nouvelle image positive du lieu et du quartier aux résidents et aux investisseurs via la création d’une identité spécifique, en générant une certaine reconnaissance publique du site, ou encore en empêchant le squat ou le vandalisme. Les municipalités et les propriétaires peuvent aussi bénéficier de la bonne image donnée par les médias, lorsque la localisation particulière et le milieu créatif qui l’habite génèrent une image positive.58 Les usages temporaires dans le domaine de l’art, la culture, le divertissement génèrent une large quantité de publicité, qui peut transformer un lieu perçu comme non attirant en un objet convoité.59 Les usages temporaires pourraient faire partie d’un « project-oriented planning » car ils fixent des processus en mouvement qui peuvent être observés durant leur usage et desquels émergent de

55

Ibid., p.42 P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.217 57 Ibid., p.56-57 58 Ibid., p.59 59 Ibid., p.364 56

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nouvelles idées pour la planification à long terme.60 Ces usages temporaires permettraient de remplir les endroits vacants et de déclencher l’expérience urbaine, et à condition d’être intelligemment intégrés dans la conception urbaine, ils pourraient apporter des améliorations considérables à celle-ci, surtout si une planification dite classique de l’aire de développement n’a pas donné de résultat.61 Agir directement sur un espace permettrait de produire une idée du potentiel sur site au delà de toute notion de comment il devrait être utilisé, sans large investissement de capital, et il se peut que les usages temporaires attirent des usagers permanents ou deviennent eux-mêmes permanents.62 Ces usages auraient donc la capacité d’apporter une contribution importante à la revitalisation sociale, culturelle et économique d’une aire, et de rendre visibles les autres intérêts (commerciaux, relations locales, …).63 Dans une publication du gouvernement anglais de 2009 pour la revitalisation des centres villes, l’on peut lire : « People are increasingly worried about boarded-up shops and vacant land in their towns and cities. It is vital that we do all we can to enable vacant properties to be used for temporary purposes until demand for retail premises starts to improve. Not only will this help to ensure that our towns and high streets are attractive places where people want to go, it can also stimulate a wide range of other uses such as community hubs, arts and cultural venues, and informal learning centres, which can unlock people’s talent and creativity. This will benefit: - local community groups looking for space to meet, training providers wanting to promote informal learning activities, and arts organisations looking for studio or rehearsal space - landlords paying empty property business rates, as premises that are occupied and used for activities such as a temporary art gallery are no longer liable for these rates - local businesses, who want to keep their area vibrant and busy with visitors - local people who rely on their town centres and high streets for employment, shopping, leisure, entertainment, and a wide range of other services. »64

Il en est de même pour les occupations temporaires commerciales comme les festivals, ou encore les ‘pop-ups’. Au vu de l’importance des nouvelles formes d’exclusivité en terme de consumérisme, et du phénomène de complémentarité de fonctions, tous deux abordés lors du chapitre 5. Il est assez courant de constater des situations où une aire ou un quartier se transforme suite à un effet aimant qui attire des usages temporaires commerciaux à proximité d’un usage temporaire non commercial. Cela est vrai également pour des usages commerciaux non temporaires, lorsqu’un quartier, suite à une série d’initiatives temporaires définies comme « créatives », attire une série d’autres fonctions. Nous y reviendrons au point suivant. L’importance de cet aspect commercial est relevée également par les auteurs. Selon Bishop et Williams, en donnant la possibilité d’activer ou de coopérer avec des activités intérimaires il serait possible de stimuler l’activité économique, car les usages temporaires à vocation économique pourraient créer un moment et un profil de marché pour un site dont on ne peut même pas à l’heure actuelle affirmer la nature de son développement éventuel permanent.65 Pour Madanipour, avec l’expansion du consumérisme, les espaces publics et les espaces délaissés peuvent être alloués aux opérateurs commerciaux, générant une source de revenus en animant

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R. Kohoutek & C. Kamleithner, « What City planners Can Learn From Temporary Users », dans P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, Urban Catalyst – The Power of Temporary Use, Berlin, DOM Publishers, 2013, p.91 61 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.7 62 P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.217 63 R. Kohoutek & C. Kamleithner, op. cit., p.88 64 Repéré sur : http://webarchive.nationalarchives.gov.uk/20120920011427/http://www.communities.gov.uk/documents/planningandbuilding/pdf/ 1201258.pdf 65 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.179

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l’environnement urbain, les deux contribuant à une fin fonctionnelle et esthétique. 66 Les usagers bénéficient de loyers bas et de l’abondance d’espaces vides, tout en économisant les frais de construction et de décoration. Les investisseurs trouvent l’opportunité d’attendre un retour de leur investissement dans un marché stagnant, et les autorités publiques la possibilité de maintenir un degré de recettes fiscales et l’apparence de vibrance dans les rues. 67 Ses idées sont similaires à celles exprimées par le gouvernement anglais, mais il semblerait, en tant qu’auteur, qu’il masque moins la vocation commerciale des activités intérimaires qui selon lui seraient la clé de la régénération urbaine. L’urbanisme temporaire a d’ores et déjà fait ses preuves, notamment à travers certains projets tels que des centres socio-culturels à la vie d’un quartier en manque d’infrastructures publiques (Fig. 70), ou une série d’occupations ‘pop-up’ générant un meilleur sentiment de sécurité dans une aire de passage délaissée. Considérer son existence et l’intégrer dans la planification urbaine est sans doute parfois bénéfique. Néanmoins, cet optimisme tant manifesté par la plupart des individus peut être remis en question. Cette idée de temporaire, de par sa temporalité, pourrait être perçue comme la solution exacte à tous les maux, étant donné sa durée limitée, et donc ses incidences peu importantes, mais sans doute positives, sur le devenir. Ce point de vue n’est évidemment pas partagé par tous.

Fig. 70 Le projet temporaire Allée du Kaii à Bruxelles, initié par le collectif Toestand et la plateforme Bruxelles Environnement, dont le programme d’action vise à favoriser l’intégration des habitants des quartiers environnants, en attendant la construction d’un nouveau parc.

66 67

A. Madanipour, op. cit., p.46 Ibid., p.52

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6.7. LIMITES DES OCCUPATIONS TEMPORAIRES Une série d’auteurs, tantôt chercheurs en urbanisme, tantôt géographes, expriment leur méfiance quant à la propagande et l’engouement généré par le phénomène des occupations temporaires. Ces critiques ne figurent pas dans des ouvrages, mais plutôt dans des articles, destinés à expliquer l’un ou l’autre point de vue de manière synthétique. Ella Harris et Mel Nowicki y voient un manque d’investissement de la part des autorités. Depuis la dernière décennie, beaucoup de ces projets do-it-yourself rempliraient les fossés laissés par les gouvernements locaux négligents, qui sont incapables ou refusent d’agir pour leurs citoyens. Pour un centre communautaire par exemple, les services d’assistance au voisinage seraient maintenant gérés par des volontaires plutôt que par des professionnels de la ville. L’urbanisme temporaire serait dès lors une glorification de l’absence d’une assistance publique.68 Pour Ann Deslandes, l’urbanisme temporaire - qu’elle qualifie d’urbanisme do-it-yourself - qui prend place dans des bâtiments vacants a une symbolique, voire même une relation avec l’occupation illégale de propriété ou le squat. Cette relation peut être associée d’une part aux efforts activistes de réclamation de propriété vide et d’autre part à l’itinérance des sans-abri.69 Que cela soit un atelier d’art temporaire, un ‘pop-up’ shop, un sac de couchage dans une entrée de bâtiment ou une tente sous un pont, tous sont selon elle des réponses informelles à la pénurie d’espace pour les besoins et les ambitions de chacun. Or, tandis que l’urbanisme do-it-yourself est perçu comme créatif et comme force revitalisante, les sansabri sont toujours marginalisés dans de nombreuses villes.70 Pour René Boer et Mark Minjan, ce type d’interventions spatiales, souvent décrites dans les médias comme mignonnes et sympathiques, auraient un impact surestimé. Malgré le fait que les partisans des initiatives « pop- et bottom-up » croient en l’idée d’acupuncture urbaine, l’effet resterait limité à l’échelle la plus locale, impliquant ou atteignant uniquement une poignée de locaux. De plus, au-delà de ces résultats modestes réside un impact négatif possible. Ces projets peuvent en effet avoir un effet de ségrégation puisque l’individu en position de tirer les bénéfices de l’opportunité qui s’offre à lui est un individu « capable », habile et connecté. Cette opportunité n’est souvent pas accessible à ceux qui en auraient le plus besoin, comme les personnes âgées, handicapées, ou issues de milieux sociaux à problèmes. 71 Ces personnes ne pourraient donc pas (ou plus difficilement) initier d’occupation temporaire, et elles pourraient également se sentir exclues d’occupations temporaires initiées par les individus « capables » suivant l’usage attribué à l’occupation. En effet, à travers son place-making et le développement de communautés, l’urbanisme do-it-yourself démontre aussi les conditions de réussite dans une société inégale. Les initiateurs de l’urbanisme DIY (à travers leur talent, leur passion, leur ambition, leur créativité autant qu’à leur accès facile à l’espace urbain) choisissent la manière dont ils investissent l’espace, dans leur quête d’abondance urbaine.72 Par conséquent, étant donné que l’immobilité du marché immobilier est l’obstacle le plus important du capitalisme, les ‘pop-ups’ pourraient bien être le summum du rêve capitaliste, ne proposant pas uniquement des produits mais des lieux à vendre. La promotion du temporaire et de la flexibilité de l’espace serait parfois l’effet le plus significatif que la culture pop-up donne dans les villes.73

68

E. Harris & M. Nowincki, « Cult of the temporary : is pop-up phenomenon good for cities ? », 2015, repéré sur : https://www.theguardian.com/cities/2015/jul/20/cult-temporary-pop-up-phenomenon-cities 69 A. Deslandes, « Exemplary Amateurism – Thoughts on DIY urbanism », dans Cultural Studies Review, vol. 19, 2013, repéré sur: http://epress.lib.uts.edu.au/journals/index.php/csrj/article/view/2481, p.7 70 A. Deslandes, « What do pop-up shop and homelessness have in common? », 2012, repéré sur : http://globalurbanist.com/2012/02/14/diy-urbanism-homelessness 71 R. De Boer & M. Minjan, « Why the pop-up hype isn’t going to save our cities », 2016, repéré sur : https://www.failedarchitecture.com/why-the-pop-up-hype-isnt-going-to-save-our-cities/ 72 A. Deslandes, op. cit. 73 E. Harris & M. Nowincki, op. cit.

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Malgré l’innovation, la manipulation de la ressource et l’inclusion qu’ils engendrent, Harris et Nowicki nous invitent donc à rester conscients de leur potentiel à banaliser, voire même glorifier la précarité de la vie urbaine.74 Pour tenter d’illustrer la manière dont ces occupations normalisent parfois la précarité, deux autres conséquences du développement de l’urbanisme temporaire semblent intéressantes à détailler.

6.7.1. LE MILIEU CRÉATIF ET LA GENTRIFICATION Pour Madanipour, générer des nouvelles idées et pratiques temporaires qui pourraient aider la population à améliorer sa vie, supprimer les obstacles et surmonter les limitations et les exclusions serait un processus innovant, et c’est dans ces activités que pourrait se manifester le potentiel créatif des événements et des occupations temporaires.75 Comme nous l’avons vu, ces idées et pratiques temporaires à dimension non commerciale ont généralement de l’intérêt lorsqu’elles s’implantent dans des espaces vacants, précédemment définis comme marginaux, ou dans des quartiers moins puissants au niveau économique, et déclencheraient selon Bishop et Williams des changements physiques et sociaux dans les environs des nouvelles activités. Des fonctions telles que des clubs, bars, cafés, galeries, boutiques de designers, et autres petites entreprises dites créatives viennent s’implanter aux alentours. Ces groupes de « producteurs créatifs » créent des lieux de « consommation créative », et les promoteurs immobiliers reconnaissent le succès commercial grandissant suivi d’une affluence de nouveaux résidents et d’institutions culturelles. Le « cachet alternatif » de départ de l’aire ou du quartier diminue et les activités économiquement faibles ne peuvent plus s’exercer suite au processus de gentrification. La diversité sociale et économique qui est la clé d’environnements urbains créatifs est parfois victime de son propre succès.76 Ces auteurs abordent donc le phénomène de gentrification comme un fait et non comme un réel problème sociétal qui peut parfois avoir des conséquences sur le devenir d’un quartier, voire d’une ville entière. Madanipour définit la gentrification comme le remplacement d’un groupe socio-économique par un groupe socio-économique plus élevé. Elle serait le résultat de l’investissement dans un lieu mais pas dans sa population, qui est donc exclue et expulsée. Pour lui, si des groupes à moyens-revenus occupent des espaces urbains en revendication aux espaces de et pour l’« élite », cela ne signifie pas forcément que leurs espaces seront accessibles aux groupes à bas-revenus. En intensifiant l’inégalité sociale, les groupes à bas revenus sont poussés plus loin dans les marges de la société. Et donc, la nature des interventions de transformation d’espaces dépendrait des circonstances. Le ou les initiateurs, le ou les objectifs recherchés, et le ou les bénéficiaires de l’usage seraient les considérations importantes. Tandis que la plupart des interventions temporaires pourraient être justifiées avec de bonnes intentions, le résultat peut être discriminatoire, même dans un cas où des acteurs de la société civile démarrent un processus bottom-up et des actions innovantes et participatives en réclamant par exemple un espace pour la communauté.77 La position des activistes et les organisations sociales sont donc importantes. L’auteur se limite ainsi à l’aspect socio-économique des individus, sans tenir compte de leur choix de mode de vie ni de leur profession. Or ces derniers sont des critères importants dans l’idée de la ville et l’entreprenariat créatifs, sujets abordés dans le chapitre 4. Il omet également de prendre en compte l’idée de complémentarité de fonctions, c’est-à-dire le déclenchement des changements physiques et sociaux dans les environs de l’activité, là où des usages souvent commerciaux viennent s’implanter peu à peu autour de l’activité temporaire.

74

Ibid. A. Madanipour, op. cit., p.44 76 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.164-165 77 A. Madanipour, op. cit., p.162 75

74


Pour rappel, dans le sous-chapitre sur la ville créative, Florida définissait les villes comme des « talent magnets » pour les jeunes professionnels mobiles afin qu’ils s’émancipent dans l’économie d’aujourd’hui. Ces talents créatifs seraient les acteurs du développement d’un environnement urbain ouvert, dynamique, et « cool ». Certains critiquent son idéologie en notant qu’une zone urbaine vue comme « cool » génère de la part de la nouvelle population qui fréquente cette zone un mode de vie et une consommation bohémiens.78 C’est ce mode de vie et de consommation qui est analysé et critiqué de manière plus approfondie par Elsa Vivant. Les squats d’artistes seraient la base de ce que l’on appelle la gentrification, car ces lieux culturels « recomposent le paysage culturel des villes. Les acteurs et les artistes s’approprient les espaces urbains délaissés, des hangars désaffectés, des friches, etc. pour proposer une nouvelle forme de présence de l’artiste dans la société et dans la ville. Ils y développent de nouvelles propositions artistiques et culturelles, parfois associées à la marginalité. Ces lieux permettent l’expérimentation artistique car leur configuration scénique et leurs espaces de création sont vastes et modulables. » 79 Selon elle, la requalification d’un quartier conquis par des artistes serait due à la présence de ceux-ci et leur implication dans la vie du quartier, puisqu’ils définissent leur quartier comme l’espace de leur quotidien et de leur travail. Ils cherchent à promouvoir et diffuser leur travail en installant des galeries, des cafés, et des salles de spectacle. Cette revalorisation aurait des conséquences sur le fonctionnement économique et la valeur foncière du quartier.80 Et donc, « par leur présence et leurs activités, les artistes initient un mouvement de redécouverte des quartiers et de mise en valeur de leurs qualités architecturales et paysagères. Leur appropriation de certains espaces du quotidien (un café, une boutique, une vitrine d’atelier) redessine le paysage social du quartier et lui confère un caractère plus bohème et cosmopolite que populaire. Petit à petit, d’autres populations, plus souvent soucieuses des risques encourus par leurs investissements mais disposant le plus souvent de revenus faibles, vont s’installer dans le quartier. Ils précèdent à leur tour l’arrivée d’une population plus richement dotée. On peut ainsi attribuer à l’installation des artistes dans un quartier le processus de gentrification qui s’ensuit et leur reconnaître un pouvoir de reconversion immobilière, économique et symbolique. »81(Fig. 71) L’espace n’est pas seulement organisé et institué, il est aussi modelé, approprié par tel ou tel groupe, suivant ses exigences, son éthique et son esthétique, c’est-à-dire son idéologie.82 Les investissements concernent d’une part les propriétaires à revenus moyens et supérieurs et les promoteurs privés, d’autre part les opérations publiques de rénovation urbaine.83 Pour Matt Hern, cette gentrification en contexte post-industriel est un capitalisme très tardif se manifestant dans le paysage, essentiellement dans l’économie et à travers la forme urbaine.84 Les habitants à revenu inférieur d’un tel type de quartier éprouveraient des difficultés à y résider encore, car les nouvelles structures commerciales et les propos et valeurs dans les espaces de débats locaux, tous deux imposés par le nouveau groupe d’habitants, ne correspondent plus à celles des anciens.85

78

Ibid., p.167 E. Vivant, op. cit., p.29-30 80 Ibid., p.31 81 Ibid., p.39-40 82 H. Lefebvre, op. cit., p.74 83 E. Vivant, op. cit., p.40 84 M. Hern, What a City Is for – Remaking the Politics of Displacement, Cambridge, MIT Press, 2016, p.13 85 E. Vivant, op. cit., p. 40-41 79

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Fig. 71 ‘Pop-up’ bar dans le quartier d’Hoxton à Londres, quartier auparavant dégradé devenu quartier « créatif ».

Selon Stern et Seifert, la culture serait l’outil idéal pour la revitalisation urbaine parce qu’elle reflète la nouvelle réalité urbaine du XXIe siècle. Ils utilisent le terme « natural cultural district » pour qualifier un quartier qui est composé d’une densité équilibrée d’organisations, de business, de participants et d’artistes qui le distingue d’autres quartiers. Ce niveau d’énergie et de vitalité attirerait de nouveaux services et de nouveaux résidents. 86 Mais pour Jennifer Malloy, leur modèle valorise les lacunes des stratégies économiques créatives qui se transforment fréquemment en gentrification, rejetant les vrais résidents qui ont aidé à revitaliser le quartier.87 Ce phénomène de gentrification, observé par les municipalités, peut se traduire aussi dans les stratégies de city marketing. Nous avons déjà abordé celles-ci dans les chapitres précédents. Elsa Vivant y voit un lien direct : pour elle, la culture est instrumentalisée par les autorités pour valoriser la ville et attirer par la suite les individus à revenu élevé. « Cette stratégie s’inspire de l’observation du rôle des artistes dans la revalorisation des quartiers dégradés et veut la dupliquer à l’échelle de la ville pour attirer une population peu sensible aux charmes de la bohème. (…) Ainsi deux processus différents conduisent à la production de paysages semblables (lofts, cafés branchés, galeries d’art) habités toutefois par des populations aux trajectoires sociales, aux revenus et aux intérêts très différents. »88 Les municipalités, dans une démarche top-down de revitalisation urbaine et de marketing, s’inspireraient donc de la démarche bottom-up effectuée par les artistes ou acteurs qui contribuent à la revalorisation de leur quartier. Cette incitation de la part des villes à la propagation d’occupations temporaires (souvent commerciales) pourrait donc représenter un danger pour le futur de certains quartiers, de par la manière dont celles-ci influent directement sur le type de population intéressée. Or pour Matt Hern, chaque ville doit être un lieu de « disownership »89 et doit reconnaître que territoire et liberté sont inséparables. Améliorer la gentrification à travers le système de la propriété immobilière ne résoudrait pas les problèmes.90

86

J. Nowak, op. cit., p.2 J. Malloy, « What is left of planning ?! Residual planning », dans T. Schwarz & S. Rugare, Pop-up City, Kent, Kent State University, 2009, p. 21 88 E. Vivant, op. cit.,78vc 89 litt. « dépropriété » 90 M. Hern, op. cit., p.244 87

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6.7.2. LA CONCURRENCE Un aspect qui semblerait évident, et non des moindres, est celui de la concurrence générée par les occupations ‘pop-up’. Une startercoach91 de la ville d’Anvers relate l’importance des occupations ‘popup’ pour l’image de la ville, à travers d’une part la lutte contre la vacance (notamment les espaces commerciaux vides) et d’autre part la promotion de l’image d’exclusivité. Les autorités municipales comme celles de la ville d’Anvers, à travers la présence d’organismes, facilitent donc les démarches administratives et accélèrent les approbations de permis lorsque des entrepreneurs désirent lancer un ‘pop-up’. Dans le cas d’un café, d’un restaurant, ou d’un commerce, il est assez courant que les bénéfices soient supérieurs à ceux des autres cafés, restaurants ou commerces « réguliers » qui se trouvent aux alentours, de par leur temporalité limitée qui attire plus de monde. De plus, les loyers pour les occupations ‘pop-up’ dans les commerces vacants sont réduits, et les usagers temporaires sont moins taxés et contrôlés que les commerçants « réguliers ». Une partie de la clientèle des commerces « réguliers » consomme les biens et les services qui lui sont vendus dans les commerces ‘pop-up’, avec pour conséquence des pertes constatées chez les commerçants « réguliers ». Il en résulte une certaine injustice, puisque ces commerçants payent, en outre, des loyers et des taxes plus élevés.

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Voir interview en annexe

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6.8. CONCLUSION Les politiques visant à attirer et gérer l’impact des milieux créatifs dans les villes varient. Un certain nombre de démarches que les villes peuvent accomplir pour encourager leur développement à travers les usages temporaires est de faciliter les démarches administratives, fournir des bases de données de propriétés vacantes, et supporter le networking, le marketing et la promotion.92 Accepter la présence d’espaces ouverts destinés au « non-planifié » et l’articulation urbaine spontanée est un défi immense pour les autorités municipales dont le rôle a été, tout au long de l’Histoire, associé à l’idée de pouvoir et de contrôle. Le processus tactique est aussi important que le résultat final, et un engagement local continu est un composant essentiel qui aide à construire le sentiment d’appartenance et un degré de certitude dans le développement. En travaillant sur le processus, l’architecte ou l’urbaniste peut se concentrer sur la manière de créer les conditions plutôt que des solutions, et les activités temporaires peuvent donner du dynamisme au développement et peuvent être significatives pour le futur d’un lieu.93 Selon les auteurs d’Urban Catalyst, depuis la fin des années 1990, où les usages temporaires étaient toujours peu ou mal perçus dans les discussions publiques, la situation a changé. Des architectes et urbanistes sont entrés dans le débat qui est devenu plus global et a donné naissance à une série de publications et de projets, encadrés par des personnes compétentes. Par ailleurs, des municipalités se sont ouvertes en intégrant les usages temporaires dans le jargon de la planification.94 Plutôt que de voir les usages temporaires comme un problème, les urbanistes et les autorités les perçoivent comme un composant essentiel pour les nouvelles stratégies de développement.95 Néanmoins, comme nous l’avons abordé dans le précédent sous-chapitre, il convient en tant qu’architecte, urbaniste, ou même simplement sympathisant de ce phénomène, de garder un certain œil critique par rapport à celui-ci. Les occupations temporaires ne sont parfois pas la solution, et elles peuvent aussi générer un futur dramatique pour certains quartiers, conduisant à des manifestations de ségrégation et d’exclusion. Après avoir analysé le phénomène de la gentrification, il semblerait presque évident de porter attention aux conséquences des occupations temporaires non commerciales, et aux occupations temporaires ‘pop-up’. Au vu des moyens relativement simples et peu coûteux qui sont mis en place pour favoriser l’émergence de celles-ci, il est souhaitable de rester vigilant à leur propagation suivant la complémentarité de fonctions et à l’impact de ces dernières par rapport aux types d’infrastructures et de populations qui définissaient le quartier avant l’apparition des occupations. Tandis que le temporaire peut devenir un phénomène de mode, adopté par certains comme innovant et créatif, il peut imposer des conditions de précarité à d’autres. L’ambivalence du phénomène dès lors révèle la nécessité d’une compréhension contextuelle et de l’évaluation de chaque occupation.96

92

P. Bishop & L. Williams, op. cit., p.174 Ibid., p.216 94 P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.13 95 Ibid., p.6 96 A. Madanipour, op. cit., p.177 93

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7. LES ‘POP-UPS’ D’UN POINT DE VUE ARCHITECTURAL 7.1. INTRODUCTION Ce chapitre se structure à la manière d’un essai. Il vise à introduire une potentielle analyse d’un parti pris architectural que l’on peut retrouver à travers les aménagements intérieurs et extérieurs de certaines occupations commerciales ‘pop-up’. Le nombre limité de sources et la subjectivité induite par cette démarche donne un caractère plus personnel à ce chapitre, qui prétend être uniquement un bonus à l’analyse urbanistique déjà effectuée. Néanmoins, les réflexions tirées du contenu suivant nous permettront d’ouvrir le regard et d’être attentif à la manière dont ont été pensés et réalisés les aménagements des cas d’étude.

7.2. CONSTATS Il n’est pas rare d’observer dans des cafés, restaurants ou commerces temporaires (ou récemment ouverts) la présence de meubles ‘vintage’ disparates et de revêtements bruts apparents suivant le style que la norme populaire définirait d’‘industriel’. (Fig. 72) Cet éloge de l’imperfection traduite dans l’ambiance « trendy » de ces lieux pourrait signifier une volonté de la part des propriétaires de créer un lieu de consommation et de bien-être unique et différent de la norme. Pourtant, il semblerait que malgré l’unicité esthétique de chaque espace, l’on ressente un certain air de déjà vu et de ressemblance. Comment expliquer ce phénomène ?

Fig. 72 Upcycle bar, Milan

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7.3. FACTEURS D’UNE SIMILARITÉ 7.3.1. LA GLOBALISATION Selon Madanipour, la perte d’identité à l’âge de la globalisation s’exprime par le fait que les villes et les localités dans le monde traduisent de plus en plus des variations du même thème, dans lesquelles les populations se comportent de la même manière et consomment les mêmes biens et services, et sont sujettes aux mêmes institutions et corporations globales. Pour lui, un degré de familiarité et de continuité serait essentiel pour le sentiment de bien-être dans une ville, et beaucoup d’institutions de la vie moderne offrent cette familiarité : les mêmes classes sociales, les mêmes chaînes commerciales, les mêmes marques, les mêmes services donnent à chaque ville un certain caractère uniforme.1 Jean-Paul Thibaud parle d’habitude, qui « n’est pas assimilable à la simple routine qui ne ferait que reproduire de façon automatique et mécanique des expériences passées, mais fonctionne plutôt comme l’instance de base à partir de laquelle se règle l’interaction entre l’organisme et l’environnement. »2 Cette globalisation de la consommation se lit dans les écrits de David Mangin, qui perçoit les villes comme des villes de « franchises commerciales », « signe ostensible des transformations urbaines contemporaines en périphérie mais aussi dans les centres et les faubourgs. Enseignes reproductibles en réseaux (c’est leur objectif), les franchises envahissent le paysage et le vocabulaire. On ne se donne plus rendez-vous au carrefour mais à Carrefour, on trouve ses repères dans un paysage jalonné de marques, dont dès le plus jeune âge, on connaît les couleurs, les produits, et parfois même les concepts, marketing oblige. »3 Les territoires franchisés sont pour lui « de grandes entreprises privées ou publiques, gardées, accessibles seulement sous conditions. »4 Dans Fantasy City, à propos des chaînes de restaurants ou de commerces aux États-Unis, Hannigan relate que certains promoteurs conçoivent le langage architectural de leurs projets selon un « parapluie de motifs » tels que « vieille ville » ou « mer ». Chaque fonction est dès lors thématisée selon une formule standard qui se répète partout dans le monde.5 En ce qui concerne les marchés couverts, le point de vue d’Hannigan est également intéressant : il se réfère à des critiques, qui expliquent que les festival markets popularisés dans les années 1980 par James Rouse6 sont trop similaires dans leur design et leur contenu. Il en perçoit comme conséquence que les paysages locaux sont « détruits » en faveur d’un modèle simple et générique. C’est pour lui la première étape importante à l’émergence de « villes clone ». La typologie du festival market, à l’époque, différait du centre commercial traditionnel. Ce type de marché couvert fonctionnait déjà dans une « dynamique du temporaire » où les périodes de location des espaces commerciaux étaient limitées à six mois, en opposé aux centres commerciaux dont l’emphase était basée sur la stabilité. La culture de moyenne classe y était représentée par ces structures commerciales comprenant toutes des magasins d’alimentation inter-ethniques, des boutiques de manufacture, des bookstores, et des bars à crêpes et à huitres. Ces structures auraient échoué à présenter un sens authentique des lieux et du temps. 7 (Fig. 73 & 74)

1

A. Madanipour, op. cit., p.88-91 J-P. Thibaud, op. cit., p.281 3 D. Mangin, op. cit., p.25 4 25vf 5 J. Hannigan, op. cit., p.16 6 Se référer au chapitre 4 sur les milieux créatifs 7 J. Hannigan, op. cit., p.63 2

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Fig. 74 Le festival market place « Waterfront » peu après sa réouverture en mai 2017, où l’on tendrait toujours à observer ce sens non-authentique du lieu

Fig. 73 Le festival market place « Waterfront », érigé dans les années 1980 et déserté vingt ans plus tard, Norfolk, Etats-Unis, 2003

Un autre exemple serait celui des chaînes d’hôtel. L’hôtel Ibis arbore différents types d’intérieurs 8 en fonction de la classe socio-économique visée, or chaque type est peu adapté dans le langage de son aménagement intérieur en fonction de la localisation géographique dans laquelle l’hôtel se trouve. La volonté architecturale prônée parle plus d’un objectif de reconnaissance de l’enseigne que de l’identité de la ville elle-même. (Fig. 75 & 76)

Fig. 75 Hall d’entrée du Ibis Budget,, Lorient, France

Fig. 76 Hall d’entrée de l’Ibis Budget, Osasco, Brésil

Fig. 77 Wine Food Market, Prague, ‘pop-up’ restaurant/marché en amont de l’aménagement du restaurant/marché définitif

8

Repéré sur : http://www.ibis.com/fr/belgium/index.shtml

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Nous pourrions donc penser qu’en réponse à ces forces globalisantes, l’identité locale serait une certaine forme de résistance. Et c’est précisément cette identité locale qu’une série d’occupations temporaires telles que des ‘pop-up’ cafés ou restaurants tentent de promouvoir. La vente de produits locaux, l’idée d’aménagement do-it-yourself en résistance aux mobiliers standardisés présents dans les aménagements des grandes enseignes commerciales sont des stratégies mises en œuvre par les initiateurs des ‘pop-ups’. (Fig. 77) L’objectif est-il réellement atteint ?


7.3.2. LA NOMADITÉ PLURI-URBAINE « Avec les divers espaces que nous côtoyons, nous assistons à un processus de prolifération d’images de toutes sortes par lequel des territoires sont comme dédoublés, multipliés, en leur texture perceptive. Cette affectation territoriale s’exprime par une densité d’images matérielles présentes dans l’espace. »9 Les conditions actuelles dans lesquelles nous vivons10 se traduisent à travers d’une part une plus grande accessibilité à des voyages (compagnies low-cost, vols plus nombreux, temps de travail adapté et possibilité de voyager davantage) et d’autre part l’impact des médias et des réseaux sociaux, qui créeraient selon Bishop et Williams une nouvelle génération de « consumers of cities » qui importent plus facilement qu’avant de nouvelles idées dans leur ville d’origine.11 Parmi ces consommateurs en figurent sûrement une part appartenant et participant au développement des « milieux créatifs », des individus pouvant être considérés comme un type d’élite urbaine d’un point de vue socio-économique. 12 Ces individus connectés, aux horaires de travail flexibles, et au revenu suffisant, auraient en effet l’occasion de profiter de l’opportunité de voyager souvent, à courte-durée et à bas prix. Cette diffusion du modèle créatif prônée par cette élite entraînerait selon Vivant « une homogénéisation des manières de faire et des paysages urbains produits. »13 Vivant exprime la similitude qui caractérise les quartiers gentrifiés de villes diverses, à travers les modes de consommation : « mêmes modes vestimentaires, mêmes décorations dans les cafés (voire même menu). Cette homogénéisation (apparente) est véhiculée par les individus créatifs et « gentrifiers » euxmêmes, qui voyagent, ont vécu à l’étranger, s’intéressent aux univers culturels d’autres continents et construisent ainsi un paysage de consommation urbain cosmopolite global. Ils développement des compétences esthétiques faisant référence à leur sentiment d’appartenance au monde. »14 Ou encore, à propos des cafés de la rue d’Oberkampf à Paris (Fig. 78), Michèle Jolé les dit « impulsés de nouveaux rythmes, modes de consommations et esthétique : enseignes colorées, lumières tamisées, décor kitsch qui créent ainsi une unité spatio-temporelle singulière, identifiable, un territoire. Les membres de ce territoire en sont principalement des jeunes citadins célibataires. »15

Fig. 78 Café Charbon, rue d’Oberkampf, Paris 9

A. Mons, op. cit., p.71 Se référer aux chapitres 3 et 4 11 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p. 29 12 Se référer au chapitre 4 sur les milieux créatifs 13 E. Vivant, op. cit., p.73 14 Ibid., p.73 15 M. Jolé, op. cit., p.120 10

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Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, un lien relativement important peut s’établir entre les initiateurs de ‘pop-up’ et le « milieu créatif » auquel beaucoup d’entre eux appartiennent. Et cette internationalisation des pratiques et des goûts en termes de choix d’aménagement reflète le sentiment d’appartenance au monde de ceux-ci. C’est pourquoi il serait difficile de croire à l’idée d’un aménagement local, qui cherche à contrecarrer celui des grandes enseignes, lorsque dans la majorité des autres villes, ce processus est mis en place de la même manière par les individus créatifs locaux. Pour ces urbains qui sont toujours en mouvement, le nomadisme pluri-urbain leur communique ses propres esthétiques, devenant un véritable mode de vie. Il en résulte donc l’impression, lorsque l’on est dans certains ‘pop-ups’, d’être dans ce que Marc Augé définit comme « non-lieux » : « par opposition à la notion sociologique de lieu, (…) et de toute tradition ethnologique à celle de culture localisée dans le temps et l’espace. »16 (Fig. 79)

Fig. 79 Contre-exemple : le ‘pop-up’ restaurant Studio East Dining, malgré sa temporalité de trois semaines, s’oppose à la notion du « non-lieu » par son rapport avec l’extérieur (à travers des vues spécifiques sur le site des jeux olympiques de Londres) et par l’unicité de son aménagement intérieur, tant au niveau spatial qu’esthétique. La dualité des systèmes constructifs, l’un empreint d’honnêteté et l’autre d’uniformité, confère à l’espace un caractère architectural unique. Carmody Groarke Architecture, Londres, 2010

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M. Augé, Non-lieux – introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Seuil, 1992, p.48

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7.3.3. L’ESTHÉTIQUE DU TEMPORAIRE John Crossan17 dans un article du journal « Urban Studies »18, s’intéresse à la manière dont certaines initiatives récentes temporaires de city place-marketing19 tentent de s’approprier les symboles visuels de l’activisme radical urbain de gauche pour promouvoir des lieux dits créatifs. Pour lui, cette forme de « new radical chic » est un phénomène urbain qui permet de redonner vie aux espaces bâtis et non bâtis de la ville post-industrielle avec une esthétique do-it-yourself. Les squatteurs sont donc remplacés par les entrepreneurs créatifs possédant un capital financier et culturel important.20 Ou encore, à propos d’une série de pop-up stores à Ludlow, un internaute caractérise l’apparence des espaces en les assimilant à des Fig. 80 ‘Pop-up’ store, Ludlow, Royaume-Uni squats d’étudiants en art drogués.21 (Fig. 80)

Il semblerait logique d’établir un rapport entre ces formes de contre-culture et ces nouvelles formes d’entreprenariat dans la réflexion à propos de l’aménagement intérieur. En effet, ce qui est commun à ces utilisateurs est le processus où souvent des solutions improvisées sont utilisées pour adapter l’espace à leurs besoins, dans la mesure où une occupation ‘pop-up’ prend place dans un espace en friche, ou non destiné auparavant à cet effet.22 Le point de vue des auteurs d’Urban Catalyst sur les ‘pop-ups’ précurseurs du phénomène et lancés par de grandes firmes permet également de voir que ce style ‘do-it-yourself’ n’est pas uniquement emprunté par des initiateurs socio économiquement modestes. En effet, dans le cas où l’usage temporaire fait partie d’un schéma de marketing de produit, des compagnies comme Nike ou Comme des Garçons (Fig. 81) ont en vue le style de vie « branché » et les activités informelles des sphères culturelles et récréatives. Ils cherchent à exploiter l’image de l’innovation et la créativité associée à ces milieux pour pouvoir vendre certains produits. Ils cherchent premièrement à cibler des groupes jeunes comme trendsetters.23 L’avantage de leur stratégie réside dans la rentabilité de leur action. Ces compagnies investissent un capital minimal pour l’ouverture de commerces temporaires, où la vente semble être spontanément informelle, voire illégale. En utilisant cette stratégie de camouflage, ils mobilisent le langage visuel des codes underground pour la réalisation d’intérêts purement commerciaux. Ils utilisent ces langages pour tenter d’infiltrer la subculture, voire la contreculture, et recruter des consommateurs. L’imitation de ces activités subculturelles attire des groupes ciblés jeunes et aide à donner à la marque un profil « branché ».24 Fig. 81 ‘Pop-up’ store « Comme des Garçons », nommé « guerilla store » par la marque, Cologne, 2005 17

Chercheur en urbanisme à l’université de Glasgow Urban Studies est un journal interdisciplinaire anglais pour la recherche et la publication de la critique urbanistique. 19 Dans le but de redonner vie à des espaces urbains en friche 20 J. Crossan, « New radical chic, temporary urbanism and the progressive city ? », 2016, repéré sur : http://urbanstudiesjnl.blogspot.be/2016/06/new-radical-chic-temporary-urbanism-and.html 21 Repéré en commentaire sur : https://www.theguardian.com/environment/2010/may/23/lucy-siegle-the-innovator-dan-thompsonesn 22 P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.53 23 Porteurs d’une tendance. 24 Ibid., p.368-369 18

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Les squats, ou encore les centres sociaux, se présentent comme des occupations de l’espace où aucun aménagement ne semble fini ou réellement dessiné. Le manque de moyens, le besoin de confort et l’inventivité de certains acteurs dans de telles situations donne parfois naissance à l’apparition de solutions architecturales, qui sont loin d’être parfaites mais adaptées aux besoins spatiaux des usagers. Et dans l’architecture de certains ‘pop-ups’ ou autres commerces se voulant trendy, il semblerait que cette idée d’imperfection et de non achevé se manifeste dans l’aménagement intérieur, puisque l’occupation de toute manière ne se fait pas sur le long-terme. Mais quelles sont les limites entre un aménagement de ‘pop-up’ réellement justifié par le manque de moyens, et les signes d’une tendance globale esthétique universelle qui de nos jours attirerait et séduirait la clientèle ? Pour Deslandes, cette technique do-it-yourself évoque la favela, le droit informel, où les esthétiques de l’informel imprègnent le discours d’architectes, de designers ou d’urbanistes. Comme métaphore de l’urbanisme DIY, elle emploie le terme « favela chic », qui représente les conditions historiques et matérielles de l’amateurisme, de l’informel et de la marginalité de la favela, en rapport avec l’expérience urbaine émergente du temporaire qui caractérise les villes post-industrielles. L’incongruité entre « favela » et « chic » montre l’opposition entre l’occupation temporaire de bâtiments pour des projets « créatifs et culturels » et l’intention de ceux-ci d’empêcher des projets de squat ou de vandalisme. Dans la poursuite du « chic » (évoquée aussi par Crossan), une limite se crée entre l’amateurisme marginal de l’urbanisme DIY et la « favela », ou plus localement le squat.25 Bishop et Williams caractérisent donc cette translation de langage architectural comme une relation presque floue entre culture et contre-culture, lorsque l’ « élite urbaine » - définie précédemment - ou l’enseigne sont ouvertes à de nouvelles expériences et désireuses de mettre en œuvre leurs concepts.26 Mais cet aspect do-it-yourself ne provient pas uniquement de l’esthétique des squats ou des structures sociales. Rowan Moore se dit surpris par le fait que certaines structures temporaires sont actuellement construites par de jeunes architectes eux-mêmes. Ces installations temporaires semblent refléter le pouvoir de l’enthousiasme et le partage de l’idéologie selon laquelle il serait nécessaire de retourner aux bases plaisantes de la construction, en réaction aux processus « surinformatisés » des grands bureaux d’architecture. Les architectures des ‘pop-ups’ démontreraient selon lui le désir de créer et de construire soi-même dans l’esprit de l’adaptation.27 Il n’est pas rare que les structures temporaires exploitent la disponibilité de nouvelles technologies de construction et de matériaux en termes de recyclage. Boîtes de rangement, palettes, barils de plastique, ces matériaux à prix peu élevé s’assemblent facilement et peuvent éventuellement se transporter. Les matériaux recyclés permettraient selon Bishop et Williams de mettre en avant le problème des modes de vie modernes et démontrer le potentiel même du recyclage.28 L’intention du court-terme symboliserait également la volonté de laisser des traces minimales sur la Terre, en suivant des principes de développement durable.29 (Fig. 82 & 83)

25 A. Deslandes, « Exemplary amateurism – Thoughts on DIY urbanism », dans Cultural Studies Review, vol. 19, 2013, repéré sur: http://epress.lib.uts.edu.au/journals/index.php/csrj/article/view/2481, p.8-9 26 P. Bishop & L. Williams, op. cit., p. 126 27 Ibid., p.141 28 Ibid., p.141-142 29 Ibid., p.214

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Fig. 82 Terrasse du ‘pop-up’ bar « La Friche », Paris, 2016

Nous sommes donc dans un processus différent de celui mené par les activistes. Ici, l’architecture et la construction ne sont plus justifiées par un manque de moyens mais par une motivation personnelle et éthique. Ces deux phénomènes permettent alors de percevoir de manière plus claire une certaine esthétique récurrente que l’on retrouve dans l’architecture et l’atmosphère des lieux dits ‘pop-up’.

Fig. 83 ‘Pop-up’ bar « Foodlab », San Francisco, 2012

7.4. L’AMÉNAGEMENT TEMPORAIRE EN BÂTI EXISTANT Le bâti vacant ou en attente de réaffectation, qui peut parfois être perçu comme un échec de la part des planificateurs et les promoteurs immobiliers, représente une forme d’opportunité et une ressource abondante pour d’autres acteurs, tels que les initiateurs d’une occupation temporaire. Ces espaces accueillant les usages temporaires ont souvent été conçus suivant d’autres programmes. Ils manquent d’infrastructures nécessaires, sont parfois voués à la démolition, et dans certains cas il n’en reste plus que l’enveloppe. L’absence de système de chauffage, d’électricité, d’eau, le manque de sécurité ou d’infrastructure contre les incendies rendent les bâtiments inadéquats pour n’importe quel type d’usage. Les propriétaires n’ont pas d’intérêt à investir dans de nouvelles remises aux normes complètes juste pour accueillir l’occupation temporaire, car la durée de celle-ci ne permettrait pas de rentabiliser les investissements. Si l’investissement requis pour rénover un lieu est trop élevé, celui-ci risque donc de demeurer inutilisé.30 Pour les auteurs d’Urban Catalyst, les usagers temporaires confronteraient ce dilemme avec le principe d’adaptation maximale, en utilisant généralement l’espace et les structures telles quelles, et en recyclant 30

P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.52-55

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tout ce qu’ils peuvent.31 Selon Peter Arlt, les activités sont complètes en elles-mêmes tandis que les locaux physiques n’atteignent jamais un état définitif. Ils sont constamment transformés et adaptés aux nouveaux besoins. Un effort se doit d’être mis en place pour une configuration à bas prix, flexible, et où le mobilier fixe est réduit au strict minimum.32 L’aménagement de structures commerciales ‘pop-up’ dans un bâtiment pourrait prendre donc avantage de l’investissement limité dans la rénovation afin de préserver l’esthétique du bâtiment en l’état. Il deviendrait donc possible d’en magnifier l’aura et le caractère historique, ce qui permettrait des expériences esthétiques inhabituelles, surtout si les espaces n’ont pas été vus par le public depuis longtemps.33 « La dimension historique d’un lieu demeure pourtant un paramètre qui émeut fréquemment les individus, car elle les confronte à leur propre finitude face au bâti qui leur survit. La symbolique et la valeur patrimoniale que dégage l’histoire d’un lieu font ainsi partie des critères d’évaluation affective. Il est important aussi de signaler le poids considérable accordé par les personnes à ce qui est nommé, par elle, l’authenticité des lieux. Cette dernière se présente à leurs yeux telle une valeur quasiment incontournable dans la possibilité qui lui confère et qui leur permet de s’attacher et se sentir ancré en un lieu. »34 Par cette démarche, nous sommes dans une idée d’authenticité, et non dans un mimétisme du langage architectural des revêtements industriels (Fig. 84), traduits dans les revêtements muraux de commerces récents et entièrement rénovés. Les détails visuels forts et les matériaux du bâtiment existant pourraient selon Mary Horne être accentués et contribuer à l’esthétique et l’atmosphère de l’espace. Les designers et les propriétaires auraient à relever le défi d’accomplir un design inventif et respectueux du cachet historique du bâtiment en un temps restreint et avec un budget limité.35

Fig. 84. Contre-exemple : le ‘pop-up’ store Fendi, à travers son revêtement mural, tente de s’approprier le langage esthétique de l’imperfection des bâtiments en friche et leurs différentes couches historiques, Soho, N-Y, 2014

« La fréquentation des lieux exprime une forme d’agrément, c’est-à-dire qu’ils évoquent une sensation agréable. Finalement, c’est le lieu, par l’ambiance qu’il dégage, qui attire les personnes. Elles n’hésitent pas à affirmer le plaisir qu’elles ont à parcourir ce lieu pour le contempler, à provoquer le passage par celui-ci. Elles montrent ainsi qu’elles tombent facilement sous le charme de ces lieux. »36 Une caractéristique visible par le visiteur du ‘pop-up’ dans un bâtiment en friche est une superposition de couches historiques facilement lisibles.37 Et l’intérêt pour l’architecte est d’analyser, de manière peut-être entièrement subjective, si une attention a été portée à l’essence même du bâtiment, à travers la mise en valeur de celui-ci par l’éclairage, ou par les tons employés dans les mobiliers, qui répondraient par exemple à ceux de la structure du bâtiment, mise à nu.

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Ibid., p.55 P. Arlt, op. cit., p.82 33 P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.56 34 N. Audas, op. cit., p.256 35 M. Horne, Temporary use of pop-up environments for repurposing neglected buildings and spaces, Thèse de fin d’études, Atlanta, Georgia State University, 2014, p.22 36 N. Audas, op. cit., p.252 37 P. Oswalt, K. Overmeyer, & K. Misselwitz, op. cit., p.56 32

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7.5. STANDARDISATION D’UNE NOUVELLE ESTHÉTIQUE 7.5.1. LES ‘POP-UPS’ Comme nous l’avons évoqué aux points précédents, l’aménagement intérieur des ‘pop-ups’ dériverait d’un investissement minime couplé à une volonté de récupérer de la ressource existante, justifiés par la temporalité limitée de l’intervention. Il se pourrait cependant que cette idée de récupération à bas prix se soit récemment transformée en un signe identitaire. Dans la plupart des lieux perçus comme trendy par la jeune population figure un type de mobilier dans les formes et les tons des mobiliers scolaires et domestiques des années 1950 à 1980. (Fig. 85) Il serait donc possible que les initiateurs d’occupations ‘pop-up’, à travers leur stratégie marketing et leur volonté de cibler un public sensible à l’esthétique de ce mobilier, préfèrent investir un capital légèrement supérieur pour trouver ce type de mobilier (ou pour acheter des palettes qui représentent l’archétype de l’idée de récupération), plutôt qu’un capital inférieur – voire obtenir un accès gratuit - à une ressource de mobilier administratif des années 1990, par exemple. Après tout, ne serions-nous pas bien installés sur une chaise de bureau à roulettes dans un ‘pop-up’ bar ? Fig. 85 ‘Pop-up’ bar et restaurant « BBQ on ice », Broadgate, Londres

7.5.2. LES COMMERCES « RÉGULIERS » Certains exemples montrent également la manière dont ces esthétiques, dont l’intention première était d’aller contre la standardisation, deviennent standardisées. Que cela soit dans les grandes chaînes commerciales, ou dans certains commerces de particuliers, la falsification de l’idée de récupération s’exhibe à travers du mobilier et des revêtements neufs inspirés par cette esthétique rebelle, révélant une industrialisation du processus do-it-yourself. (Fig. 86, 87, & 88) La boucle serait donc bouclée.

Fig. 86 Du papier peint à motif « palette » revêt un mur du hall d’entrée de l’hôtel Chelton à Bruxelles

Fig. 87 & 88 Des anciens cadres de fenêtre et ardoises de couleurs différentes semblent avoir été récupérées et utilisées pour recouvrir les murs du restaurant Belgorama de l’aéroport de Bruxelles. Il suffit de s’en approcher pour comprendre qu’ils sont neufs

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7.6. CONCLUSION Il est difficile de tirer des conclusions générales quant aux propos mentionnés. Ce chapitre avait pour but de relater uniquement une certaine impression de similitude retrouvée dans divers lieux temporaires, et d’en comprendre les causes. Chaque intervention ‘pop-up’ demeure néanmoins unique, à travers le panel d’acteurs et de mises en œuvre différentes qu’elle peut revêtir. L’objectif est d’inviter à se questionner sur l’authenticité du lieu et de l’intervention, uniquement pour parfaire son sens critique et sans se limiter à la première impression. Il est intéressant en tant qu’architecte de se positionner en rapport à la manière dont les usagers temporaires ont exploité le potentiel de l’architecture existante (dans le cas où le ‘pop-up’ prend place dans un bâti existant), bien que souvent, cela ne soit pas leur intention. Une étude plus approfondie permettrait également de comprendre l’enjeu de la récupération du mobilier (lorsque c’est le cas), afin de comprendre si la démarche s’inscrit dans une tendance de mode dans le but d’attirer un certain type de clientèle, ou si elle provient d’une possibilité d’exploitation de ressource existante et à bas prix.

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8. CONCLUSION Cette partie nous a permis de comprendre les diverses raisons de la propagation du phénomène des occupations temporaires et des structures ‘pop-up’. Un certain enthousiasme, peut-être excessif, est généré par celles-ci, manifesté par quelques autorités publiques et par une part de la population. Le temporaire serait parfois devenu une « institution », adopté dans les stratégies urbaines des autorités ou des organismes publics, et dans les stratégies commerciales par des promoteurs, par des agences, ou par des firmes. Nous avons souligné la différence entre l’intention de générer une forme de profit des occupations temporaires commerciales - que cela soit un festival, ou un ‘pop-up’ - et celles où l’intention est une démarche à but non lucratif vers l’occupation d’un espace en réponse au besoin de celui-ci manifesté par des individus spécifiques. De par l’importance encore actuelle du consumérisme, l’on peut imaginer que généralement, des occupations temporaires commerciales attirent un public plus important que les occupations d’espaces plus spécifiques citées ci-dessus, étant uniquement destinées à l’épanouissement d’une série de personnes qui profitent de la présence d’un espace disponible pour y exercer leur activité. La temporalité des ‘pop-ups’ est en général plus longue que celle des festivals, et l’on suppose donc qu’elle permet de générer des changements dans le quartier à travers le phénomène de complémentarité et d’attirance des fonctions. Lorsqu’une série d’occupations temporaires apparaissent, elles peuvent contribuer à des changements générant parfois de la gentrification, suivant le modèle que nous avons abordé. Ainsi, certaines limites sont induites par les occupations temporaires, qui ne sont pas forcément la solution aux problèmes d’urbanisme ou de gestion par les autorités. Les ‘pop-ups’ en particulier, lieux de consommation, pourraient générer une forme de ségrégation à travers leur intention de cibler un public « branché » ce qui peut donc nous amener à un certain questionnement quant à la cohérence de ces initiatives. Cette intention de ciblage et de stratégie commerciale pourrait également se traduire dans la manière dont les initiateurs du ‘pop-up’ auraient choisi d’aménager leur espace en choisissant tel ou tel type de mobilier et de décor. Les cas sont nombreux, mais nous avons vu qu’une tendance uniforme semblerait se dessiner. La partie théorique ne peut permettre de tirer des conclusions générales sur les points positifs et négatifs du phénomène des occupations temporaires et du phénomène ‘pop-up’ car comme nous l’avons dit, c’est un phénomène complexe. Chaque occupation temporaire est différente et sa mise en œuvre induit parfois un rapport complexe entre une série d’acteurs de nature différente, des autorités au promoteurs, des promoteurs aux collectifs. L’initiative peut être plus privée, ou publique, et l’intention de faire du profit peut être parfois directe, ou simplement pour subvenir aux frais engendrés par celle-ci. Nous nous trouvons donc dans une situation où il serait nécessaire de cibler deux cas d’étude, afin de comprendre en détail leur mode de fonctionnement. En effet, le nombre important d’acteurs, et le nombre de différents questionnements que l’on peut se poser, requière d’étudier l’occupation ‘pop-up’ sous divers aspects. Nous pourrions dès lors, en étudiant l’intention de ses initiateurs dans l’environnement concret, tenter de lever une hypothèse sur les conséquences des ‘pop-ups’ en rapport avec leur contexte, et de déterminer quelles opportunités ils présentent, ou quelles répercussions ils induisent.

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III. ANALYSE DE CAS



1. INTRODUCTION 1.1. CHOIX DES CAS D’ÉTUDE L’intérêt de cette présente partie réside dans la volonté de comprendre plus en profondeur, une fois la base théorique acquise, le mode de fonctionnement des occupations temporaires dans un contexte précis. Nous avons distingué les occupations temporaires suivant divers critères, dont le principal était la génération de biens et services vendus à la population. Si l’on parle plus concrètement, étudier l’impact dans un contexte donné d’une occupation non commerciale comme des bureaux de start-ups, des ateliers d’artistes, ou encore un centre communautaire se limite à étudier le bénéfice que ce type d’usage apporte à une catégorie d’individus définie quantitativement et ayant un profil socio-économique ou professionnel adapté à l’usage. La dimension publique et anonyme du milieu urbain perd dès lors de son sens. Une autre motivation pour laquelle mon choix s’est porté vers les occupations temporaires commerciales est celle de l’aspect de la consommation, qui induit une volonté de la part des individus de se rendre dans le lieu temporaire et non un besoin d’espace ou d’infrastructure. Cela permet dès lors de mesurer la manière dont la population est mise au courant de l’occupation. Parmi les occupations temporaires commerciales, nous avions identifié les événements tels que les festivals ou les apéros, événements prenant place durant un ou plusieurs jours, et attirant (généralement) une foule importante. Ces occupations génèrent une modification importante des flux de population durant une temporalité restreinte. Elles peuvent parfois contribuer à donner une image positive d’un quartier ou d’une ville, mais demeurent des éléments plus indépendants au quartier dans lequel ils s’implantent par leur fonctionnement intrinsèque, leurs heures d’ouverture, et leur temporalité « flash ». L’autre forme courante d’occupation temporaire que nous avons identifiée est celle des ‘pop-ups’. Ces établissements, malgré le fait qu’ils soient temporaires, peuvent s’apparenter à travers leur fonctionnement aux différents types de commerces « réguliers » : un bar temporaire demeure un bar, un commerce temporaire demeure un commerce, une boîte de nuit temporaire demeure une boîte de nuit, à travers les biens et services proposés de même nature et leur horaire d’ouverture généralement similaires. Il semblerait donc intéressant de confronter la « normalité » du fonctionnement des commerces à la temporalité réduite suivant laquelle les commerces ‘pop-up’ sont conçus, pour pouvoir comprendre ce que le ‘pop-up’ peut apporter de plus (ou de moins) à la vie d’un quartier. À travers les différentes fonctions que peuvent prendre un ‘pop-up’, mon choix se centre sur les bars. En effet, les autres fonctions induisent généralement qu’un individu ait un but ou un objectif spécial, tel qu’acheter un vêtement, dormir dans une chambre d’hôtel, célébrer un événement au restaurant, ou se rendre à une exposition par envie d’en découvrir le contenu. Le moment du bar pourrait être assimilé à une idée plus forte du quotidien, plus accessible, illustré par un rapport social et un rapport au lieu des plus simples. La ville d’Anvers, depuis les dix dernières années, est sujette à une « dynamique du temporaire » relativement importante, et le nombre d’occupations temporaires, surtout ‘pop-up’, est en accroissement depuis les cinq dernières années. J’ai effectivement pu le constater lors de diverses escapades urbaines, accompagné de locaux. En me rendant dans différents ‘pop-up’ bars, deux d’entre eux ont retenu mon attention, de par leur atmosphère particulière et leur localisation, offrant des vues propices à la découverte de la ville et à la détente. Cette impression fût également renforcée par le fait que malgré leur temporalité limitée, ces ‘pop-ups’ prenaient place dans un bâtiment existant, donnant dès lors l’idée d’être ancrés dans l’infrastructure et dans le tissu urbain. Il s’agit du Bar Gloed et du Bar Paniek.

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Si l’on se limitait à leur atmosphère, les deux bars pouvaient sembler relativement similaires. Mobilier ancien et structure du bâtiment mise à nu, tels étaient les deux éléments qui donnaient l’idée d’éphémère que le bar dégageait. Dès lors s’est posée la question : « Et après ? » Cette question pourrait sembler relativement simple, si l’on s’en tient aux faits. Une fois l’occupation terminée, le bâtiment sera détruit ou rénové. Pourtant, comme nous l’avons vu, il apparaît des cas où l’occupation temporaire peut générer un certain impact sur le développement, ou sur l’image d’un quartier ou d’un bâtiment. Elle fait parfois même partie d’un processus de revitalisation urbaine. Il en est de même pour l’impact durant l’occupation même. Qu’en est-il des bénéfices que le ‘pop-up’ aurait éventuellement pu offrir ? Lesquels ? Pour qui ? C’est précisément ce phénomène que je cherche à comprendre. Après m’être renseigné un petit peu plus sur chaque bar, j’ai compris que leur mode de fonctionnement était complètement différent, par les types d’acteurs qui en étaient les initiateurs. Le type de bâtiment et le quartier, ainsi que l’image qu’ils donnent, sont également différents. Pouvoir étudier plus en profondeur le fonctionnement et l’impact de ces deux occupations temporaires permettrait éventuellement d’en tirer des conclusions variées, malgré le fait que la plupart des individus puisse les percevoir comme de simples bars temporaires.

1.2. MISE EN ÉVIDENCE D’UN QUESTIONNEMENT Un premier questionnement général pourrait être posé ici, en rapport avec les éléments étudiés dans la partie théorique. Nous avons vu dans cette dernière, surtout à travers l’avis des auteurs relativement optimistes, que les occupations temporaires pouvaient générer des changements et être bénéfiques à la vie d’un quartier. Dès lors, nous pourrions essayer d’enquêter sur la manière dont la population perçoit les changements, et le confronter aux dires des initiateurs des occupations ‘pop-up’. D’autres indicateurs permettent également de mesurer l’impact des ‘pop-up’, en investiguant sur le futur du quartier : le projet ‘pop-up’ était-il inscrit dans un développement urbanistique à long-terme ? Aurait-il modifié celui-ci ? Aurait-il, de par sa dynamique, attiré d’autres occupations temporaires ou non temporaires dans les alentours ? Aurait-il généré un changement en rapport au futur du bâtiment ?

1.3. MÉTHODOLOGIE L’objectif de cette investigation n’est pas de tirer des conclusions scientifiques et définitives. Il vise uniquement à comprendre d’une part les motivations des acteurs dans la démarche de la mise en place de l’occupation ‘pop-up’, et d’autre part des indices sur les répercussions de celles-ci sur le quotidien et sur le futur du quartier. Cela nous permettrait de pouvoir mesurer les liens entre les deux et de tenter de relever une série d’éléments bénéfiques, ou non, à l’occupation et au futur de l’aire. Afin de mener à bien la démarche, deux types d’investigation sembleraient les plus appropriés. Le premier consisterait à interviewer de manière entièrement libre tous les acteurs ayant contribué à la mise en place des ‘pop-ups’ (comme nous le verrons, les systèmes organisationnels sont assez complexes). Le deuxième consisterait à établir un sondage d’un échantillon aléatoire et représentatif de la population, afin de pouvoir établir des statistiques fondées sur la manière dont les ‘pop-ups’ sont connus/perçus par celle-ci.

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Néanmoins, le manque de temps et de moyens empêche de mener la démarche de cette manière, car les témoignages seraient fort nombreux, et l’échantillon de population devrait être fort conséquent. Il serait donc judicieux de tenter de se calquer sur ce modèle d’enquête mais à plus petite échelle, de manière à pouvoir se créer une idée globale des tendances, tout en ne prétendant pas à la représentativité. Pour les interviews, j’ai donc sélectionné les quatre acteurs les plus importants : deux personnes travaillant pour la ville d’Anvers, et une personne gérante de chaque ‘pop-up’ bar. Les interviews, entre dix et vingt minutes, se sont déroulées pour la plupart en néerlandais. L’interviewer est une personne bilingue français/néerlandais, qui s’est chargée de les traduire par la suite. J’ai également compris une partie des propos qui se sont dits lors de l’interview. Chaque interview avait un fil conducteur : une série de quatre ou cinq questions ouvertes. Pour chaque question, si la réponse de l’interviewé n’était pas assez complète, d’autres questions permettaient d’orienter ses propos en vue d’obtenir les informations souhaitées. Le sondage, lui, consistait en un petit questionnaire recto/verso à propos de chaque bar. Accompagné de la personne bilingue, je suis allé à la rencontre de 100 personnes dans trois lieux clés de la ville afin de leur faire remplir celui-ci : les deux quartiers étudiés, pour tenter d’avoir plus d’habitants locaux, et le centre ville. La condition pour pouvoir répondre aux questions était d’habiter dans la ville (à l’intérieur du grand ring). Nous sommes dans une démarche qui ne revêt donc pas de caractère scientifique à proprement parler. Nous avons donc procédé par « coup de sonde » auprès de la population, en tentant de relever une indication approximative des avis et des tendances qui se dessinent. Nous avons séparé les différentes réponses par tranche d’âge. En effet, comme nous l’avons vu dans la partie théorique, les ‘pop-ups’ sembleraient généralement séduire et attirer un type de population relativement jeune. Le ciblage spécifique de certains groupes « jeunes et branchés » serait pensé dans les démarches marketing menées par les initiateurs d’un ‘pop-up’, notamment à travers les réseaux sociaux. Pour obtenir un degré de justesse, nous avons essayé d’interroger une quantité identique d’individus pour chaque tranche d’âge définie dans le sondage, mais les résultats obtenus montrent une présence plus importante de personnes entre vingt et quarante ans. Nous pouvons l’expliquer à travers deux motifs. Le premier est celui de la résidence. Parmi toutes les personnes interrogées, beaucoup d’entre elles entre vingt et quarante ans habitaient dans la ville (étudiants, jeunes travailleurs) tandis qu’un bon nombre de personnes plus ou moins âgées ne provenaient pas de la ville même. L’autre motif est celui du refus de répondre au questionnaire. Les personnes entre vingt et quarante ans se sont montrées généralement plus coopératives.

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2. LA VILLE D’ANVERS 2.1. INTRODUCTION Avant de démarrer l’investigation, il est indispensable de comprendre certains éléments clés en rapport avec la ville d’Anvers, tant au niveau global que local. Globalement, il serait intéressant de comprendre les raisons pour lesquelles les occupations ‘pop-up’ sont autant répandues dans la ville d’Anvers, notamment via le rôle important des autorités publiques. Localement, il semblerait opportun de se pencher sur les deux quartiers qui accueillent les ‘pop-ups’ faisant l’objet de l’étude, de manière à pouvoir en comprendre leurs caractéristiques, et l’attention qui leur est portée en termes de développement urbain.

2.2. MÉTHODOLOGIE D’ENQUÊTE Deux des quatre interviews données concernaient des acteurs travaillant pour la ville d’Anvers. Comme nous le verrons dans le chapitre suivant, ils sont de près ou de loin liés aux occupations ‘pop-up’ étudiées. La première personne, Véronique de Bruyne, est une « startercoach » travaillant pour l’organisme de la ville d’Anvers nommé « Ondernemen in Antwerpen » (entreprendre à Anvers). Son rôle est de coacher les petits entrepreneurs et les start-ups à démarrer un business temporaire. La seconde personne, Veerle Desimpelaere, était chargée de communication pour l’organisme « Born in Antwerp », organisme temporaire lancé par la ville d’Anvers durant l’année 2016, et qui avait pour but de promouvoir la ville comme un lieu créatif et d’innovation. L’objectif était d’en savoir plus sur le rapport entre les politiques de la ville d’Anvers et les occupations temporaires ‘pop-up’. Les deux organismes ont également un certain lien avec les ‘pop-up’ étudiés. Le but était donc de poser des questions générales en rapport avec l’organisme et la ville en général, tandis que d’autres questions secondaires à propos des ‘pop-ups’ faisant l’objet de l’étude étaient posées si la personne n’en parlait pas spontanément. Pour Véronique de Bruyne, les questions principales étaient : 1. Quel est votre rôle à la ville d’Anvers ? 2. Quelle est la stratégie de la ville d’Anvers en mettant en place « Ondernemen in Antwerpen » ? 3. Jusqu’où la ville d’Anvers intervient-elle pour aider la réalisation de ‘pop-ups’ ? 4. Quels sont pour vous les principaux bénéfices des ‘pop-ups’ ? Pour Veerle Desimpelaere, les questions principales étaient : 1. Quel était votre rôle dans le projet « Born in Antwerp » ? 2. Quel était le but du projet « Born in Antwerp » ? 3. Pouvez-vous expliquer la stratégie de la ville d’Anvers concernant le projet « Born in Antwerp » ? 4. Comment la ville d’Anvers aide-t-elle les individus dans la mise en place d’un ‘pop-up’ ? 5. Quel sont pour vous les principaux bénéfices des ‘pop-ups’ ? Les questions secondaires ainsi que le contenu des interviews sont disponibles en annexe.

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Une autre part de l’enquête, visant à comprendre le fonctionnement des quartiers en amont de l’étude des ‘pop-ups’, requiert d’étudier certains éléments concrets : d’une part, les transformations qui sont en cours depuis les dernières années et pour les années à venir à travers des opérations de développement ou de rénovation d’infrastructures, et d’autre part des statistiques comparatives importantes présentes sur le site de la ville d’Anvers.

2.3. CONTEXTE ET INITIATIVES FAVORISANT L’ÉMERGENCE DES ‘POP-UPS’ Les deux interviews nous ont permis de déceler la manière dont les ‘pop-ups’ sont actuellement un élément clé dans les stratégies adoptées par les autorités publiques. À titre non exhaustif, il serait intéressant d’en relater quelques unes. La ville d’Anvers, depuis quelques années, accorde une considération importante à la lutte contre la vacance et à la stimulation de l’entreprenariat. Les stratégies des autorités publiques cherchent donc à stimuler et à faciliter l’émergence d’occupations ‘pop-up’, systèmes commerciaux qui permettent de répondre à ces deux objectifs. L’organisme « Ondernemen in Antwerpen », et plus spécifiquement le projet « de Nieuwe Natie » est composé d’une équipe de coaches qui aident de jeunes entrepreneurs, désireux de mettre en vente leur produit, à démarrer un business. Ils possèdent une liste d’espace commerciaux vides, et ils gèrent les contrats avec les propriétaires pour faciliter les démarches administratives et les autorisations. Ils coachent les entrepreneurs pour une durée de deux mois (après avoir vérifié si leurs motivations étaient supérieures à celles d’ouvrir volontairement uniquement sur le court-terme). Si la vente du produit s’avère fructueuse, ils aident les entrepreneurs à faire perdurer leur commerce en leur donnant soit la possibilité de rester à l’emplacement temporaire de manière régulière soit en leur trouvant un autre emplacement. De plus, des espaces plus atypiques tels que des entrepôts sont disponibles à un loyer inférieur à celui des emplacements commerciaux « à rue ». Lorsqu’un entrepreneur ne fait pas appel à l’organisme « Ondernemen in Antwerpen », ses démarches administratives sont également facilitées. Il introduit une demande pour un commerce temporaire, et les demandes sont plus rapidement traitées que pour les commerces réguliers. (Fig. 89)

Fig. 89 Plein Publiek, ‘Pop-up’ restaurant et boite de nuit, Anvers

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L’ASBL AG Vespa, également lancée par la ville, est une entreprise qui gère, rénove et vend les bâtiments appartenant à la ville. Lorsqu’un espace vacant de dimensions et de typologie adéquates est disponible dans leur portefeuille de biens immobiliers, elle fait un appel à candidature pour recruter des initiateurs de ‘pop-ups’. Les initiateurs font une offre au niveau du loyer, mais la sélection se fait également en rapport avec l’expérience de ceux-ci et leur concept. C’est par exemple le cas du « Bar Noord », dans le parc Spoor Noord. (Fig. 90) Si l’occupation ‘pop-up’ est fructueuse, et si les initiateurs souhaitent réitérer l’expérience, un bail de trois ans leur est accordé.

Fig. 90 Bar Noord, ‘Pop-up’ bar dans le parc Spoor Noord, Anvers

La ville d’Anvers a également lancé ses propres ‘pop-ups’, « Zomerbar » (Fig. 91) et « Zomerfabriek ». Ils font partie d’un programme culturel nommé « Zomer Van Antwerpen », fonctionnant en ASBL de la ville. Dans ce programment figurent une série de programmes dispersés dans la ville, tels que des bars, des spectacles, des œuvres d’art urbain, et des séances de projection cinématographiques occasionnelles.

Fig. 91 Zomerbar, ‘Pop-up’ bar, Eilandje, Anvers

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Fig. 92 Secteur créatif - Valeur ajoutée (millions) Nombre de jobs – Nombre d’établissements

Enfin, comme nous l’avons vu dans la partie théorique, un lien est à établir entre la « dynamique du temporaire » et le concept de « ville créative ». Si l’on se réfère aux statistiques, le secteur créatif est relativement important pour l’économie de la ville d’Anvers. (Fig. 92)

La ville, et plus particulièrement les services « Antwerpen Kunstenstad » (Anvers ville artistique) et « Ondernemen en Stadsmarketing » (Entreprendre et marketing urbain) durant l’année 2016, a donc lancé le projet « Born in Antwerp ». La mission de « Born in Antwerp » était de promouvoir la ville comme une ville où les « talents » peuvent trouver un espace et se rencontrer, un lieu créatif et innovateur où les artistes et les entrepreneurs peuvent se retrouver. Ce projet, par volonté politique de demeurer exceptionnel et par manque de moyens, a été mis en place de manière temporaire. Les bureaux de « Born in Antwerp », et les espaces « créatifs », ont pris place dans un hangar. (Fig. 93) Une de leurs stratégies pour mettre en valeur leur initiative fut celle de faire un appel à candidature, afin qu’un bar ‘pop-up’ puisse prendre place à côté de leurs espaces. La ville a aidé au financement des deux programmes. Nous y reviendrons.

Fig. 93 Born in Antwerp, Eilandje, Anvers Selon les deux personnes interviewées, les ‘pop-ups’ sont une opportunité afin de donner une image positive à un quartier et booster l’économie locale, tout en donnant parfois la possibilité à de jeunes entrepreneurs « créatifs » de tester leur concept sans investir un capital trop important. Les ‘pop-ups’ seraient également importants pour l’image de la ville, à travers la publication des initiatives dans la presse ou sur les réseaux sociaux, générant une certaine attraction et de la publicité. Dans les vidéos de promotion de la ville, quelques extraits montrent également la présence de ‘pop-ups’, surtout les bars. Ils seraient donc visuellement importants dans les stratégies de city marketing.

101


2.4. LES DEUX QUARTIERS ET BÂTIMENTS DES ‘POP-UPS’ ÉTUDIÉS

Avant de dresser la carte d’identité de chaque bar, il semblerait judicieux de décrire brièvement les quartiers et les bâtiments dans lesquels ils se situent, et de relater la dynamique de développement urbain (publique et/ou privée) qui concerne chacun d’eux. (Fig. 94 & 95)

Fig. 93 Implantation des deux quartiers des bars dans la ville d’Anvers.

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Fig. 95 Localisation des centres horeca les plus importants de la ville d’Anvers

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2.4.1. BAR GLOED – QUARTIER DE LA GARE CENTRALE

Fig. 96 Implantation du Bar Gloed dans son quartier, avec en bas à droite la gare centrale

Le bar Gloed a pris place en 2016 dans le quartier de la gare centrale, plus précisément dans l’Antwerp Tower, située à 300 mètres de la gare. L’Antwerp Tower est un ancien bâtiment administratif, conçu par les architectes Josef Fuyen et Guy Peeters et inauguré en 1974. L’entrée du bâtiment se situe sur la Keyserlei, un axe principal bordé de commerces et de restaurants (Fig. 97) reliant la gare à la Meir (Fig. 96), rue commerçante comprenant les grandes enseignes et aboutissant dans le centre historique de la ville. Le programme de la Fig. 97 Localisation des établissements horeca dans le quartier de tour consistait auparavant en une série la gare de commerces au niveau de la rue, et des bureaux à partir du premier étage. Depuis 2012, il n’en demeure que les commerces. Si l’on s’en réfère aux articles de presse, la tour est qualifiée dans les titres d’articles comme le bâtiment le plus laid d’Anvers, ce qui pourrait donc refléter l’opinion d’une majorité des anversois. Le bâtiment fut racheté en 2012 par le promoteur immobilier Matexi, qui a pour objectif de rénover entièrement la tour. Le nouveau projet, conçu par le bureau d’architecture Wiel Arets et annoncé en 2015, prévoit des commerces au rezde-chaussée, un hôtel et un restaurant dans le « socle », et 250 appartements de « haut-standing » dans la tour.1 (Fig. 99)

1

Repéré sur : https://www.matexi.be/-/media/files/referentie-projecten/binnenstedelijkeontwikkelingen/nl/170202_projectfiches_antwerp-tower_nl.pdf

104


Fig. 98 L’Antwerp Tower en 2010

Fig. 99 Projet de reconversion de l’Antwerp Tower

Le quartier de la gare centrale est considéré par les autorités publiques comme un quartier prioritaire dans le développement urbain. Quelques projets et actions importants menés par ces autorités peuvent en témoigner. Le premier projet considérable fut la restructuration de la Koningin Astridplein en 2005, motivée par la volonté de la part des autorités de restituer un espace public de qualité en face de la gare et d’améliorer l’image du quartier.2 (Fig. 100 & 101)

Fig. 100 La Koningin Astridplein avant 2005

Fig. 101 La Koningin Astridplein après sa rénovation

2

Repéré sur : http://www.gva.be/cnt/dmf20150306_01567010/astridplein-wordt-echt-parkje

105


Depuis 2010, une action visant à faire diminuer en quantité certains types de commerces (magasins de nuit, magasins érotiques, commerces ayant fait faillite, magasins de seconde main, etc.), considérés de manière subjective par la ville d’Anvers comme « donnant une mauvaise image », vise à retrouver un équilibre au niveau des types de commerces qui composent le paysage du quartier.3 (Fig. 102 & 103 )

Fig. 102 Exemple d’un commerce perçu par la ville comme commerce qui donne « une mauvaise image » sur le quartier

Fig. 103 Diminution en % du nombre de commerces qui donnent « une mauvaise image » au quartier entre 2010 et 2015

Entre 2010 et 2012, les autorités ont restructuré entièrement l’axe de la Keyserlei, agrandissant les trottoirs et les espaces de terrasse pour les restaurants, tout en adoucissant la circulation automobile. La rue peut dès lors accueillir les nombreux passants (touristes et locaux) sur cet axe fort fréquenté, qui de plus est représente souvent la première image que les individus se font de la ville lorsqu’ils sortent de la gare centrale.4 (Fig. 104 & 105)

Fig. 104 La Keyserlei avant 2010

3 4

Fig. 105 La Keyserlei en 2012 après sa restructuration

Repéré sur : http://www.ondernemeninantwerpen.be/sites/default/files/documents/Meting_Antwerpse_horecakernen.pdf Repéré sur : http://www.stedenbeleid.vlaanderen.be/sites/default/files/Tids2013_Antwerpen_De%20Keyserlei.pdf

106


Actuellement, dans le cadre du projet de mobilité Noorderlijn en Flandre, les axes Frankreijklei et Italienlei, perpendiculaires à la Keyserlei sont en cours de restructuration. Les autorités souhaitent également adoucir la circulation automobile en surface, en créant un tunnel sous-terrain. Une partie de ce projet, nommée « Operaplein », comporte la création d’un espace public devant l’opéra et l’Antwerp Tower, ainsi qu’un pavillon d’accès au métro et à un parking sous-terrain.5 (Fig. 106 & 107)

Fig. 106 Situation avant le commencement des travaux en 2016

Fig. 107 Image du projet de l’Operaplein

5

Repéré sur : http://www.noorderlijn.be/operaplein

107


2.4.2. BAR PANIEK – QUARTIER EILANDJE

Fig. 108 Implantation du Bar Paniek dans le quartier Eilandje, avec le MAS en bas à droite

Le Bar Paniek prend place durant la saison estivale dans le quartier des Eilandje, plus précisément dans un ancien entrepôt, situé sur le Kattendijkdok (quai/dock Kattendijk). (Fig. 108 & 109) Ce hangar, auparavant destiné au stockage portuaire et appartenant à la ville, était inoccupé depuis plusieurs années. En effet, jusqu’au XIXème siècle, le point le plus important du port d’Anvers se trouvait dans le quartier Eilandje. Le XXème siècle a vu naître une expansion importante du port, se relocalisant de plus en plus vers le nord de la ville, Fig. 109 Localisation des établissements horeca dans le quartier Eilandje et en périphérie à celle-ci. La vocation portuaire du quartier Eilandje a dès lors progressivement diminué, entraînant la présence de nombreux espaces vacants. Cette zone demeura durant des dizaines d’années une « barrière » vacante entre le port et la ville, les fonctions portuaires ayant en majeure partie disparu.

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Vers la fin du XXème siècle, la ville a lancé un concours d’architecture et d’urbanisme pour un masterplan - concours remporté en 2002 par le bureau hollandais Buro5 - avec pour objectif d’y créer un nouveau quartier pour la ville, comprenant des résidences, des commerces, des infrastructures publiques et des espaces publics. Les moments clé de la première phase de développement du quartier pourraient être l’ouverture du port de plaisance dans le Willemdok (Fig. 110) en 2000, la reconversion de l’entrepôt Sint-Felix accueillant le nouveau centre des archives publiques (Fig. 112) achevée en 2006, et la construction du MAS (Museum aan de Stroom) (Fig. 110) achevée en 2011. Par la suite, la création du Red Star Line Museum (Fig. 111) et l’établissement du Port House, devenant le nouveau siège du port d’Anvers, sont devenus également des symboles de la reconversion du quartier. 6

Fig. 110 Le MAS Musée et le port de plaisance

Fig. 111 Le Red Star Line Musée

Fig. 112 Le centre des archives publiques

6

Stad Antwerpen, Het Eilandje - Stadsvernieuwing op weg naar een bruisende stadswijk aan het water, 2011, Anvers, repéré sur : http://www.complexestadsprojecten.be/Documents/1.6_Antwerpen_Eilandje/1.6_Antwerpen_Eilandje_Brochure.pdf, p.9

109


Les musées et le centre d’archives montrent la volonté de la ville de placer dans le quartier des édifices et services publics importants, et à partir du début du chantier du MAS en 2006, un nombre important de projets d’investisseurs privés ont vu le jour, majoritairement résidentiels. Durant les dix dernières années, le quartier a complètement muté, tant au niveau de son tissu urbain que de ses infrastructures, et cette dynamique est encore d’actualité. Selon les autorités de la ville, la présence de l’eau et de nombreux commerces et établissement horeca qui se sont établis dans l’aire du quartier plus proche du centre ville (sud) attirent une grande quantité d’habitants et de touristes. La partie nord du quartier, comprenant l’entrepôt du Bar Paniek, est encore en développement. Dans cette dernière, la majorité des infrastructures construites sont résidentielles. (Fig. 113 & 114)

Fig. 113 Construction de nouvelles infrastructures résidentielles en 2014

Fig. 114 Les six tours résidentielles achevées en face du Kattendijkdok

110


Fig. 115 Espace public aménagé en 2016-2017 derrière le Kattendijkdok

En parallèle avec ces transformations, la ville a prévu d’investir d’importants fonds publics pour le développement des espaces publics (Fig. 115) et l’accessibilité du quartier, sous la tutelle de l’ASBL AG Vespa, responsable des édifices appartenant à la ville. C’est notamment le cas des entrepôts du Kattendijkdok, dont celui dans lequel le Bar Paniek se situe. Si l’on s’en réfère au projet communiqué aux citoyens par AG Vespa, les entrepôts devraient d’ici quelques années laisser place à un espace public, agrémenté par la présence des structures existantes de ceux-ci qui seront conservées.7 (Fig. 116)

Fig. 116 Le projet de la ville (AG Vespa) pour le futur de l’entrepôt

7

Stad Antwerpen, Het Eilandje - Stadsvernieuwing op weg naar een bruisende stadswijk aan het water, 2011, Anvers, repéré sur : http://www.complexestadsprojecten.be/Documents/1.6_Antwerpen_Eilandje/1.6_Antwerpen_Eilandje_Brochure.pdf, p.49

111


2.4.3. STATISTIQUES COMPARATIVES DES DEUX QUARTIERS Une série de statistiques sélectionnées permettent de mettre en évidence certaines différences entre les deux quartiers étudiés, selon des critères démographiques, socio-économiques, d’habitat et de criminalité.8 (Fig. 117)

Nombre d’habitants en 2017

Densité de la population en 2017

Pourcentage d’habitants d’origine étrangère en 2017

Nombre de déménagements en 2016

Revenu annuel moyen en 2013

Pourcentage d’habitant ayant recours à une aide financière de l’OCMW (CPAS) en 2016

Prix moyen d’un appartement en 2014

Pourcentage d’habitations déclarées non habitables en 2016

Pourcentage des années de construction des édifices en 2016

Faits criminels en 2016 Fig. 117 Statistiques comparatives des deux quartiers

8

112


Le quartier de la gare centrale est un quartier nettement plus dense et plus peuplé que le quartier Eilandje. Le pourcentage de personnes d’origine étrangère y est largement supérieur. Sur base du revenu moyen annuel et du pourcentage d’habitants ayant recours à des aides financières, nous pouvons constater que la population est généralement moins aisée financièrement dans le quartier de la gare. Le taux de criminalité y est plus élevé. En ce qui concerne le bâti, plus de la moitié des bâtiments ont été construits entre 1900 et 1960 dans le quartier de la gare, tandis que pour le quartier Eilandje, plus de la moitié datent des vingt dernières années, et il y accueille une augmentation annuelle du nombre d’habitants. Le pourcentage d’habitations déclarées non habitables est supérieur dans le premier cas. En ce qui concerne le prix de l’immobilier et les loyers, la ville ne possède pas de statistiques exactes. Néanmoins, si l’on se réfère aux prix des agences immobilières, le prix du mètre carré, et plus simplement des nouvelles constructions (appartements souvent équipés de deux chambres et une terrasse) est généralement supérieur dans le quartier Eilandje.

2.5. CONCLUSION Les deux quartiers que nous avons étudiés divergent par leur situation, leur tissu urbain, leur population et leur dynamique de développement. Néanmoins, ce sont deux quartiers qui d’une manière ou de l’autre sont en mutation depuis quelques années grâce aux investissements importants de la ville. Les investisseurs privés se manifestent également, l’un dans la rénovation d’un bâtiment « emblématique » du quartier de la gare, les autres dans la construction et la rénovation d’un nombre important de bâtiments du quartier Eilandje. Les occupations temporaires ‘pop-up’, dans ce contexte, pourraient jouer un rôle fondamental dans le quotidien de chaque quartier, mais peut-être également dans le futur développement de celui-ci et du bâtiment. Nous allons tenter de comprendre et de mesurer si c’est effectivement le cas.

113


3. BAR GLOED

Fig. 118 La terrasse du Bar Gloed perรงue depuis le sommet de la tour

114


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3.1. CARTE D’IDENTITÉ 3.1.1. TYPOLOGIE

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3.1.2. ACTEURS ET HISTOIRE DE L’OCCUPATION La rédaction de ce sous-chapitre est basée sur une partie de l’interview effectuée avec Bert Vanlommel, l’un des trois fondateurs et gérant du bar Gloed. L’interview avait deux objectifs. Le premier était d’obtenir des informations plus objectives sur le contexte d’émergence et le mode de fonctionnement du bar. Le deuxième était d’obtenir un point de vue plus subjectif sur la valeur ajoutée du projet, point de vue relativement important à interpréter dans le cadre de l’analyse. Voici donc les questions principales posées à Bert Vanlommel. Les questions secondaires et le contenu de l’interview figurent en annexe. 1. Comment le projet ATower a-t-il commencé ? 2. Quel était votre rôle dans le projet ? 3. Quel sont selon vous les potentiels et les faiblesses du quartier ? 4. Quels sont pour vous les points positifs et négatifs du bâtiment ?

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Le bar Gloed fait partie du projet temporaire « A Tower » qui a pris place entre l’été 2016 et l’hiver 2017. Ce projet est né grâce à l’initiative de Matexi, promoteur immobilier et propriétaire actuel du bâtiment. En 2015, Matexi a contacté cinq sociétés différentes en leur donnant l’opportunité de mettre en œuvre librement un concept de ‘pop-up’ dans la tour. Suite aux diverses propositions, ce fut celle d’une société momentanée qui fut retenue : l’association de trois sociétés représentées par trois individus, qui auparavant avaient déjà travaillé en collaboration avec le promoteur. Selon l’un d’eux, Bert Vanlommel, la motivation de Matexi en investissant un capital pour la mise en place d’un ‘pop-up’ était celle de vouloir faire parler de la tour dans les médias, durant la période transitoire entre la divulgation du futur projet au public et le démarrage du chantier. Ces trois individus, que nous appellerons « entrepreneurs », avaient le choix d’occuper n’importe quels espaces de la tour. Ils ont dès lors créé le Bar Gloed (Fig. 120) au quatrième étage et le Klub Goud, boîte de nuit (Fig. 119), au vingt-et-unième étage. Entre ces étages, leur désir était d’offrir de l’espace libre et gratuit pour la culture et la population. Un enjeu double s’est donc posé à eux : assurer la communication du projet vers la population pour générer de l’attractivité, mais également vers des partenaires culturels extérieurs ou des organismes de la ville pour habiter une partie des espaces intermédiaires. . Pour la communication du projet, une page Facebook et un site web furent créés, à l’aide d’un graphiste. La communication vers les partenaires extérieurs a donné suite à des accords, et la tour est devenue habitée par une série d’expositions en alternance. La communication avec la ville a permis de créer un accord avec GATE 15, l’organisme de la ville qui s’occupe de la vie étudiante, et de mettre à disposition des espaces d’étude avec une vue panoramique. Néanmoins, malgré la diversité des occupations commerciales et non-commerciales, le bar demeure pour les entrepreneurs le lieu central, celui qui serait « le plus accessible à tous », et celui pour lequel ils ont investi le plus. L’une des trois sociétés engagées, De Klopperij, est une société d’aménagement d’espaces horeca et de gestion du personnel. Son représentant a proposé un concept de décoration intérieure pour le bar. L’entrentreprise s’est chargée de construire l’infrastructure nécessaire en amont de l’occupation, et était responsable du personnel du bar durant l’occupation. Le ‘pop-up’ bar et le ‘pop-up’ club (ainsi que toutes les occupations intermédiaires) devaient durer initialement de fin juin 2016 à fin septembre 2016. Mais fin septembre, les trois « entrepreneurs » et Matexi ont signé un nouveau contrat, permettant aux occupations de perdurer de novembre 2016 à janvier 2017. Les bénéfices générés par le bar Gloed et le Klub Goud allaient à la société momentanée, et une partie de ces bénéfices permettait de rembourser les différents employés embauchés dans les deux lieux de divertissement.

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Fig. 119 Intérieur du Klub Goud

Fig. 120 Intérieur du Bar Gloed

119


3.2. ÉTUDE APPROFONDIE 3.2.1. INTRODUCTION ET MÉTHODOLOGIE Les points précédents nous ont permis de comprendre l’histoire et le fonctionnement du bar Gloed, ainsi que la dynamique du quartier dans lequel il se situe. L’objectif de ce point est de donner des hypothèses concernant les apports positifs et/ou négatifs du ‘pop-up’ envers le contexte dans lequel il s’est implanté durant son occupation, et de tenter d’évaluer dans quelles mesures le ‘pop-up’ génère ou a généré un impact pour le futur de celui-ci. La démarche non-scientifique et hypothétique de la réflexion est accentuée par le choix d’une écriture linéaire. La réflexion est racontée telle un « récit » qui aborde les différents points importants, et non sous forme de questions/réponses distinctes. La première étape de la réflexion consiste à dresser une série d’observations, afin de décrire l’environnement d’étude, entre autres sa visibilité et son accès, afin de pouvoir confronter dans la seconde étape ces points aux témoignages de la population et du gérant du ‘pop-up’. La seconde étape consiste à analyser le contenu des entrevues avec le gérant du ‘pop-up’ et des sondages, en les confrontant au type de quartier et à leur dynamique, afin d’aboutir aux hypothèses décrites ci-dessus. Il semblerait judicieux, afin que les réflexions soient plus compréhensibles, de détailler ci-dessous le questionnaire relatif au bar Gloed auquel les 100 personnes interrogées ont répondu :

-

Âge :

-

Dans quel quartier habitez-vous ? Quartier de la gare - Eilandje – Autre

-

Saviez-vous qu’il y avait eu un pop-up dans l’Antwerp Tower ? Oui - Non

-

Si oui, comment l’avez-vous su ? Réseaux sociaux - Presse - Affiche - Bouche à oreille

-

Est-ce que votre opinion envers le bâtiment s’est améliorée depuis le pop-up ? Oui - Non

-

Est-ce que votre opinion envers le quartier s’est améliorée depuis le pop-up ? Oui - Non

-

Pourquoi ?

Pourquoi?

Êtes-vous allé au bar Gloed ? Oui - Non

-

Si oui, qu’est-ce qui vous a attiré à y aller/à y retourner ? (plusieurs réponses possibles) Le fait que c’était temporaire - L’intérieur du bar - Le quartier - La vue panoramique – Autre

120


3.2.2. OBSERVATIONS Je me suis rendu au bar Gloed durant l’été 2016. Bien que le Bar Gloed se trouve sur l’axe principal reliant la gare centrale au centre ville, son existence ne m’est pas parue évidente. Un simple écriteau déposé sur le trottoir à l’entrée de l’Antwerp Tower indiquait le nom du bar. Entrer dans le bar impliquait d’entrer dans la tour, de demander à l’accueil où le bar se trouvait, et de prendre l’ascenseur pour se rendre au quatrième étage. Lorsque je suis arrivé dans le bar, j’ai directement compris les potentialités du bâtiment : grandes baies vitrées (bien que le bâtiment semble sombre de l’extérieur), vue panoramique (Fig. 121), et une partie du « socle » de la tour transformée en terrasse, avec un garde-corps en palettes. (Fig. 122)

Fig. 121 Intérieur du Bar Gloed et vue panoramique

Fig. 122 Terrasse du Bar Gloed et vue panoramique

121


La structure du bâtiment avait été mise à nu et accueillait d’une part un aménagement semblant être sur mesure (comptoir du bar et cloisons séparatives des aires publiques et de service) et d’autre part du mobilier (chaises, fauteuils, canapés, et tables) et des tapis à motif oriental. Le mobilier, semblant provenir des années 1970-80, était néanmoins en état presque impeccable et uniforme : toujours en série de deux ou trois de la même ligne, voire bien plus pour les chaises. (Fig. 123) Le Bar Gloed semblait accueillir des individus de tout âge, présents seuls, en groupe, et en famille, parfois de trois générations réunies. Le prix des boissons était plus élevé en rapport à la moyenne des prix à Anvers. Si l’on prend l’exemple de la bière, elle coûtait deux euros quatre-vingt à la place de deux euros trente.

Fig. 123 Comptoir, tables et chaises du Bar Gloed

122


3.2.3. HYPOTHÈSES SUR L’IMPACT DU BAR En ce qui concerne l’apport de l’occupation ‘pop-up’ durant la présence de celle-ci, il semblerait intéressant de s’interroger sur le type de clientèle qui en a réellement bénéficié. En effet, Bert Vanlommel décrit la localisation du lieu comme située à l’un des carrefours les plus importants de la ville. Selon lui, tout le monde connaissait la tour et désirait voir ce qu’il y avait à l’intérieur. À cela, nous pouvons ajouter la volonté des « entrepreneurs » de rendre le bar « le plus accessible à tous », bar perçu par ceux-ci comme le lieu central du projet. Pourtant, comme constaté ci-dessus, l’accès aux infrastructures du projet temporaire, dont le bar, se perçoit peu depuis la rue. Le résultat des sondages en dit beaucoup également sur la visibilité du projet : en effet, uniquement 3% des personnes interrogées ont découvert le projet A Tower en passant devant la tour. D’ailleurs, les deux réponses principales à la question « Comment avez-vous découvert le projet ? » sont d’une part les réseaux sociaux et d’autre part en majorité le bouche-à-oreille. Si l’on s’en réfère au concept du projet A Tower, les deux éléments principaux étaient le bar et la boîte de nuit, éléments pour lesquels la promotion s’est faite majoritairement à travers les réseaux sociaux. Nous pourrions dès lors penser, par les fonctions mises en valeur, que les individus ciblés auraient pu être des individus « jeunes et branchés », connectés et fréquentant le monde de la nuit. Pourtant, les sondages effectués pour le bar montrent qu’une grande partie des individus âgés de plus de vingt ans en connaissent son existence, peu importe leur âge. Parmi ces derniers, une majorité s’y est également rendue. La seule tranche d’âge semblant faire exception est celle des individus âgés de moins de vingt ans, où le résultat est inversé. Un autre point est celui du résultat auprès des quelques habitants interrogés vivant dans le quartier. Bien que la majorité soit au courant de l’existence du projet A Tower, certains individus n’en avaient pas la connaissance. Cela pourrait se justifier par la visibilité réduite de celui-ci depuis la rue. Revenons-en dès lors à l’importance du bouche-à-oreille. Majoritairement sélectionné, il impliquerait peut-être la communication entre des groupes socio-économiques similaires, dans lesquels l’un ou l’autre individu aurait été averti de son existence. Cette dualité entre visibilité réduite et communication entre groupes spécifiques pourrait dès lors amener à se questionner sur l’intention des « entrepreneurs » à créer un lieu accessible, et surtout si l’objectif est atteint. De plus, la petite différence de prix sur les boissons pourrait également être un motif qui n’inciterait pas certains individus à revenir dans le bar, malgré le potentiel qu’il offre en termes de vues sur la ville, surtout si le bar n’est pas un lieu d’intérêt pour le groupe socio-économique qu’ils fréquentent. De plus, si l’on considère les statistiques du quartier, qui indiquent la présence d’une majorité de résidents d’origine étrangère, nous pourrions supposer que le quartier est empreint de multi culturalité. Les différentes cultures peuvent parfois être liées à certaines habitudes, certains types de lieux fréquentés, et certains réseaux. Et si l’on observe la différence entre la présence forte d’individus de toutes cultures dans les rues, et la présence d’individus de groupes socio-économiques tous similaires dans le bar, nous pourrions supposer que la visibilité réduite, et la communication en réseaux (sociaux et bouche-à-oreille) induit une certaine forme de limitation d’accès à l’infrastructure, par le déni d’existence de celle-ci qu’elles induisent. Une certaine part des résidents du quartier lui-même serait dès lors peutêtre exclue. Ces hypothèses ne prétendraient pas employer le mot « ségrégation », elles tentent simplement de signifier une possible incohérence entre le desiderata des « entrepreneurs », et l’effet escompté.

123


Une fois l’hypothèse relevée selon laquelle le ‘pop-up’ bar ne serait pas un élément clé dans la vie du quartier, il semblerait opportun de tenter de comprendre la manière dont le quartier est à présent perçu par la population n’y résidant pas, et de voir si le projet aurait pu générer une image différente de celui-ci. Pour Bert Vanlommel, la conséquence du ‘pop-up’ dans le quartier durant la période d’occupation est qu’un grand nombre de personnes a eu l’occasion de redécouvrir le quartier, à savoir « les Anversois de 20 à 50 ans qui sont venus dans un quartier où ils ne venaient jamais avant » (mise à part pour se rendre à la gare). L’on pourrait en effet y voir un aspect positif, dans la mesure où le lieu, situé dans un endroit de passage pour les anversois, est dès lors devenu un espace d’arrêt et de pause, améliorant dès lors l’idée qu’ils se font du quartier et leur donnant envie de le fréquenter, voire d’y résider. Pourtant, parmi les 75% de personnes au courant de l’existence du projet A Tower (dont la majorité s’est rendue au bar Gloed), deux tiers d’entre eux estiment d’avoir conservé la même opinion sur le quartier après l’occupation temporaire. Nous pouvons identifier quatre opinions lues chacune diverses fois : -

J’avais déjà une bonne opinion sur le quartier, puisque les investissements de la ville en ont changé l’image C’était uniquement temporaire, donc c’est à présent redevenu comme avant Avec tous les travaux, le quartier n’est pas agréable à fréquenter, et de nombreux espaces sont vacants Cela reste un lieu de passage et non de destination

En ce qui concerne le tiers de personnes pour lequel l’opinion est à présent changée, les deux opinions principales sont : -

J’ai redécouvert le quartier Il y avait plus de choses à faire dans le quartier

Dès lors, nous pourrions établir trois catégories d’individus : ceux qui ne fréquentent toujours pas le quartier, ceux pour qui le quartier était déjà devenu plus agréable à fréquenter grâce aux opérations de développement urbain mené par la ville, et quelques uns pour qui se rendre dans le bar leur a permis de redécouvrir celui-ci après les différents travaux. L’on pourrait supposer que les deux dernières catégories d’individus font majoritairement allusion aux travaux de restructuration de la Keyserlei, achevés en 2012. Pour Bert Vanlommel, et selon un rapport présenté par la ville d’Anvers, le secteur horeca y aurait depuis connu une augmentation significative, la Keyserlei étant un axe relativement touristique, et bordé de nombreux bars et restaurants. Dès lors, nous pourrions voir en l’occupation temporaire un certain intérêt, dans la mesure où elle aurait le potentiel de faire indirectement redécouvrir certains quartiers qui sont dans une dynamique de régénération aux citoyens. Pour en revenir au secteur horeca, il conviendrait néanmoins de garder un œil critique. En effet, selon Veronique De Bruyne, l’une des startercoaches de l’organisme « Ondernemen in Antwerpen », les projets temporaires horeca d’initiative privée tels que celui de Matexi seraient nettement moins contrôlés, taxés, et réglementés que les horeca « réguliers ». La liberté de manœuvre en termes de respect des diverses normes que les usagers temporaires possèdent leur permet d’épargner un certain capital. Alliant à cela la dimension exceptionnelle du projet horeca temporaire, il en résulterait un certain mécontentement de la part des commerçants horeca « réguliers ». Il est difficile de mesurer à quel point la concurrence pourrait être forte entre le bar Gloed (qui fait également petite restauration) et les bars et restaurants du quartier de la gare, et plus particulièrement de la Keyserlei, mais il serait possible que le Bar Gloed induise, par ses bénéfices, certaines pertes pour les commerçants réguliers. Si l’on revient au paragraphe précédent, nous nous trouverions dès lors dans l’idée d’un commerce horeca temporaire attirant des individus vers une zone horeca, mais nuisant pourtant aux bénéfices des commerces de cette dernière, d’une manière ou d’une autre.

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En ce qui concerne le futur du bâtiment à proprement parler, nous avons vu qu’il était un édifice important, voire tristement célèbre dans l’esprit des anversois. Nous avons dès lors enquêté sur la manière dont les personnes ayant connaissance du projet – et plus particulièrement ayant fréquenté le bar – perçoivent maintenant la tour. À la question « Est-ce que votre opinion sur le bâtiment a changé depuis le ‘pop-up’ ? », les réponses « oui » et « non » se manifestent en proportions égales. Néanmoins, si l’on analyse les réponses par tranche d’âge, les personnes plus jeunes semblent plus influencées. Plus de la moitié des individus entre vingt et quarante ans ont une meilleure opinion, à l’opposé des personnes plus âgées, mais également des moins de vingt ans, catégorie dans laquelle aucun individu ne s’est rendu dans le bar. Parmi les réponses négatives, les deux opinions récurrentes étaient : -

Le bâtiment demeure laid L’occupation temporaire ne change rien à l’impact architectural que le bâtiment a sur le quartier et sur la ville

Parmi les réponses positives, l’opinion récurrente était celle selon laquelle, pour les individus interrogés, le bâtiment aurait obtenu un certain sens. Une autre opinion unique permet d’introduire la réflexion suivante : pour l’une des personnes, le projet aurait donné une opportunité unique pour tout le monde de profiter du lieu. Cette notion de « profiter du lieu » permet d’effectuer un parallélisme avec le motif principal qui aurait poussé les individus à visiter le bar, à savoir la vue panoramique. En effet, la tour, par sa hauteur et ses grandes baies vitrées, est porteuse d’un certain potentiel en termes de relation avec son contexte, du moins lorsque l’on est à l’intérieur de celle-ci. Dans une vision certes utopique, l’on pourrait dès lors imaginer qu’une part de ce lieu pourrait sur le long-terme être à nouveau restitué à la population, ou du moins à cette partie tant enthousiaste à propos de ses potentialités : un lieu public ouvert à tous les citoyens, et offrant des vues inédites sur le paysage urbain comme durant l’occupation temporaire. Nous avons en effet perçu de la part de certains un enthousiasme par rapport au quartier, en rapport avec les opérations récentes de développement urbain. D’autres y ont perçu la temporalité réduite du projet comme un événement dans le vide, qui n’a rien modifié à la situation existante. Y intégrer une fonction publique non commerciale sur le long-terme en s’alliant aux démarches de planification urbaine existante permettrait donc de donner une image positive du quartier, tout en contribuant à améliorer la vie des résidents. La nature de cette fonction publique dépendrait certainement de la réussite de l’opération, ainsi que sa visibilité et la communication de celleci. Pourtant, le devenir du bâtiment est déjà tracé. Malgré le fait que l’initiative temporaire a pu donner l’idée d’une image améliorée du bâtiment, elle n’a aucune conséquence sur le futur « privatisé » de celui-ci. Les occupations temporaires, et surtout le bar, ayant attiré des personnes de tous âges et créé sa renommée, aurait peut-être contribué à atteindre les objectifs principaux de Matexi : sensibiliser les acheteurs potentiels d’appartements en faisant parler du bâtiment dans la presse, en en améliorant son image, et en donnant la possibilité à cette clientèle ciblée d’en profiter et de se rendre compte de son potentiel. Par cette privatisation, nous pouvons dès lors être loin d’affirmer que les occupations temporaires du projet « A Tower » ont contribué au futur du développement urbain.

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4. BAR PANIEK

Fig. 124 Vue du Bar Paniek dans son contexte depuis l’autre rive

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4.1. CARTE D’IDENTITÉ 4.1.1. TYPOLOGIE

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4.1.2. ACTEURS ET HISTOIRE DE L’OCCUPATION La rédaction de ce sous-chapitre est basée sur une partie de l’interview effectuée avec Enid Jansen, l’une des fondatrices du Bar Paniek et membre du collectif Time Circus. L’interview avait deux objectifs, identiques à ceux du cas d’étude précédent. Les propos sont également complétés par le contenu d’une partie de l’interview effectuée avec Veerle Desimpelaere, responsable communication de l’ex-organisme « Born in Antwerp ». Voici donc les questions principales posées à Enid Jansen. Les questions secondaires et le contenu de l’interview figurent en annexe. 1. Quel est votre rôle dans le projet Bar Paniek ? 2. D’où est née l’idée Bar Paniek ? 3. Comment en né le concept du bar ? 4. Quels sont pour vous les potentiels et les faiblesses du quartier ?

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Le Bar Paniek est un bar initié par un collectif d’artistes nommé Time Circus, collectif anversois actif depuis dix-huit ans et fonctionnant sous forme d’ASBL. Leur art consiste en la création et la construction de structures culturelles, sous forme d’art « interactif » permettant de dialoguer avec le public. Leur projet Bar Paniek est né en 2012 d’une initiative bottom-up. En effet, le collectif Time Circus a effectué une demande à la ville en vue d’obtenir l’autorisation d’occuper un « ponton » flottant juste à côté du MAS Musée (Museum aan de Stroom), à l’entrée du quartier Eilandje. Le collectif y a construit une installation qui visait à purifier l’eau à l’aide de plantes. Afin de sensibiliser la population à leur projet, ils ont construit une petite structure couverte sur un second ponton en retrait du premier, en y intégrant un petit bar. L’année suivante, le port d’Anvers, qui est responsable de tout ce qui concerne le milieu aquatique, a décidé d’enlever le second ponton. Le collectif a donc déplacé et réajusté la structure du bar sur le premier, qui était plus visible depuis la terre ferme. Selon Enid Jansen, c’est à ce moment qu’il aurait commencé à attirer plus de monde. Le bar s’est également maintenu durant l’été 2014 (Fig. 125), jusqu’à ce que la ville décide, pour des raisons que nous ne connaissons pas, que le Bar Paniek ne pouvait plus s’implanter à cet emplacement. Le collectif, souhaitant réitérer l’expérience Bar Paniek, a introduit une demande à la ville dans l’objectif que les autorités publiques trouvent un autre lieu pour eux, et le bar s’est implanté en 2015 dans un entrepôt vide sur le Kattendijkdok. (Fig. 126) Le comptoir du bar et le mobilier furent déplacés, et l’entrepôt fut utilisé tel quel durant l’été. L’espace en abondance permettait également aux artistes du collectif d’y exercer leur art. L’année 2016 fut décisive pour l’avenir du Bar Paniek. En effet, l’organisme « Born in Antwerp » lancé par la ville cette année-là s’est implanté dans l’entrepôt voisin à celui du Bar Paniek en 2015 (Fig. 127), et le reste du hangar fut placé disponible par AG Vespa sur le marché, avec la volonté de la part de « Born in Antwerp » d’y voir naître un ‘pop-up’ bar pour s’allier à leur programme et leur donner une certaine attractivité. (Fig. 128) À la suite d’un appel à candidature, les « récompenses » à la clé pour le candidat sélectionné étaient un bail de trois ans (pour trois étés consécutifs), ainsi que des subsides pour aménager l’espace. Parmi les différentes candidatures, le collectif Time Circus fut sélectionné pour deux raisons : le fait qu’ils se soient déjà implantés dans l’entrepôt voisin l’année précédente, et la confiance de l’organisme « Antwerpen Kunstenstad » envers le collectif avec lequel ils avaient déjà collaboré. Dès lors, une fois les subsides reçus, les membres du collectif ont eu la possibilité de transformer l’entrepôt d’une manière conséquente (Fig. 129), notamment en lui redonnant une certaine transparence avec l’extérieur et pouvoir offrir des vues sur l’eau. Les bénéfices générés par le Bar Paniek permettent à l’ASBL de se maintenir, les subsides de la Flandre pour les initiatives artistiques ayant récemment diminué.

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Fig. 125 Le Bar Paniek sur le ponton en 2014

Fig. 126 Le Bar Paniek dans l’entrepôt précédent en 2015

Fig.127 L’inauguration de Born in Antwerp en 2016

Fig. 128 Les terrasses de Born in Antwerp et de Bar Paniek

Fig.129 L’inauguration de Bar Paniek en 2016

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4.2. ÉTUDE APPROFONDIE 4.2.1. INTRODUCTION ET MÉTHODOLOGIE Les points précédents nous ont permis de comprendre l’histoire et le fonctionnement du Bar Paniek, ainsi que la dynamique du quartier dans lequel il se situe. L’objectif de ce point, le choix de l’écriture, et les diverses étapes sont similaires à celles du Bar Gloed. Il semblerait judicieux, afin que les réflexions soient plus compréhensibles, de détailler ci-dessous le questionnaire relatif au Bar Paniek auquel les 100 personnes interrogées ont répondu :

-

Connaissez-vous le Bar Paniek au Kattendijkdok ? Oui - Non

-

Si oui, comment l’avez-vous connu ? Réseaux sociaux - Presse - Affiche - Bouche à oreille - En passant devant

-

Êtes-vous allé au Bar Paniek? Oui - Non

-

Si oui, qu’est-ce qui vous a attiré à y aller ? (plusieurs réponses possibles) Le fait que c’était temporaire - L’intérieur du bar - Le quartier - La localisation près de l’eau - Les précédents Bar Paniek - Autre

-

Est-ce que votre opinion envers le bâtiment s’est améliorée depuis le pop-up ? Oui - Non - Je ne connais pas le bâtiment

-

Pourquoi ?

Est-ce que votre opinion envers le quartier s’est améliorée depuis le pop-up ? Oui - Non

Pourquoi ?

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4.2.2. OBSERVATIONS Je me suis rendu au Bar Paniek durant l’été 2016 et durant l’été 2017. Le bar se situe dans un ancien entrepôt. Les nombreuses tables, chaises, et plantes présentes à l’extérieur, entre l’eau et le bâtiment, laissaient comprendre l’existence du bar. Malgré cela, il ne se situe pas dans un lieu de passage fréquent, étant relativement distant des routes et chemins principaux qui dessinent le quartier.

Fig. 130 Le Bar Paniek dans son contexte en 2017

Lors de l’été 2017, l’entrepôt voisin a vu naître la présence d’un second ‘pop-up’ bar. Les dispositifs architecturaux délimitant l’extérieur de chaque bar n’étaient pas similaires. En effet, les limites du Bar Paniek semblaient dissoutes, à travers le fait que les clients déplaçaient les chaises de la terrasse posées sur les pavés de sol existant afin de s’asseoir à quelques centimètres de l’eau. Certains s’asseyaient même directement sur la berge, verre en main. (Fig. 130) Dans l’autre bar, les limites semblaient renforcées par un rehaussement du niveau de la terrasse en bois, et la présence de mobilier en bois majoritairement fixe, dans un style semblant être plus « chic ». (Fig. 131)

Fig. 131 Le bar voisin, ouvert lors de l’été 2017

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Le Bar Paniek semble accueillir une population variée, multiculturelle, et de tous âges. Il suffirait de tendre l’oreille, et d’y entendre un mélange d’accents et de langues. En ce qui concerne l’aménagement, les limites entre l’intérieur et l’extérieur sont données par de grands cadres de bois assemblés et vitrés qui créent une structure importante se dressant tel un paravent transparent et n’atteignant pas la toiture de l’entrepôt. Au dessus, une partie du revêtement extérieur est dévêtu, laissant apparaître l’ornement d’origine. Le mobilier utilisé est composé majoritairement de chaises et de tables disparates ayant l’air de provenir de toutes époques confondues et non remises à neuf. Ces meubles donnent l’idée qu’ils peuvent être placés à l’intérieur comme à l’extérieur, peu importe là où ils se situent. (Fig. 132 & 133) Le comptoir du bar est similaire à celui des autres années et se place au milieu de l’entrepôt. Le prix des boissons était légèrement moins élevé en rapport à la moyenne des prix à Anvers. Si l’on prend l’exemple de la bière, elle coûtait deux euros à la place de deux euros trente.

Fig. 132 L’extérieur du bar et sa façade

Fig. 133 L’intérieur du bar

Fig. 134 L’atelier des artistes à côté de l’espace bar

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4.2.3. HYPOTHÈSES SUR L’IMPACT DU BAR

Il serait intéressant d’analyser premièrement le contexte spatial dans lequel le Bar Paniek prend place, et le rapport entre ce contexte et les autorités publiques. En effet, l’aire dans laquelle se trouve le bar (Kattendijkdok) pourrait-être perçue comme une aire désertée, où l’activité humaine ne se manifeste plus. De plus, la zone, autrefois portuaire, n’était pas destinée à un usage public. Il semblerait que les autorités publiques accordent une certaine importance à la dynamique du quartier, caractérisé par une dualité entre les friches portuaires existantes et la quantité importante de nouvelles constructions (majoritairement des habitations). Il serait donc compréhensible que l’organisme « Born in Antwerp », durant l’année 2016, ait pris place sur le Kattendijkdok, d’une part grâce à la disponibilité d’espace, et d’autre part en réponse à l’enjeu important de donner au quartier une certaine reconnaissance, pour stimuler les investisseurs et les acheteurs potentiels. La ville aurait donc la possibilité, à travers les occupations temporaires, d’agir sur l’image du quartier en y invitant la population à s’y rendre, et de donner peut-être l’envie à une part de celle-ci d’y résider. Nous nous trouverions dès lors dans une situation « win-win ». En effet, l’association entre « Born in Antwerp » et Bar Paniek aurait permis à « Born in Antwerp » d’inciter une part de la population à s’y rendre, profitant de la renommée du bar. Si l’on se réfère au sondage, un plus grand nombre d’individus se seraient rendus au Bar Paniek car ils connaissaient déjà les précédents bars, en rapport avec le nombre restreint de ceux qui s’y sont rendus pour visiter « Born in Antwerp ». D’ailleurs, si l’on se réfère aux tranches d’âge, une majorité de chaque tranche d’âge (excepté les moins de vingt ans) connaitrait le Bar Paniek et aurait visité celui-ci, ce qui pour « Born in Antwerp », voire même pour la ville, pourrait être perçu comme une réussite dans l’idée de mise en valeur du quartier. Mais cette association, selon Enid Jansen, aurait également permis de donner une certaine visibilité à Bar Paniek, à travers les campagnes de communication et de promotion de « Born in Antwerp », dont une part était basée sur la publicité du Bar Paniek. Pourtant, comme dans le cas d’étude précédent, auprès des deux tiers des personnes interrogées ayant connaissance du bar, le motif majoritaire de cette connaissance aurait été le bouche-à-oreille. Dès lors, nous pourrions envisager le fait que cette communication, à la fois sur les réseaux sociaux et par bouche-à-oreille, s’établit entre individus appartenant aux mêmes groupes socio-économiques spécifiques. Cet aspect de communication par le bouche-à-oreille était peut-être même planifié par les autorités publiques, à travers leurs intentions de ciblage et d’attirance explicitées précédemment. Pourtant, il semblerait que nous soyons face à une situation inverse à celle du Bar Gloed. En effet, selon Enid Jansen, le collectif Time Circus prône en son quotidien une idée de relation et d’échange sociaux avec les clients du bar. Elle témoigne de ses entretiens avec un nombre important de visiteurs, dont les habitants du quartier, mais également une clientèle qu’elle définit d’alternative, provenant de partout ailleurs à Anvers, voire de l’étranger, et de classe socio-économique variée. Les observations effectuées lors de mes visites témoignaient également de cette impression de multi-culturalité plus présente que dans le Bar Gloed.

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La différence avec le cas d’étude précédent pourrait dès lors être due à la fois au type de quartier et à la nature de l’initiative ‘pop-up’. Tandis que le Bar Gloed prenait place dans un quartier ayant tendance à être empreint de multi culturalité et de groupes socio-économiques variés, les prix proposés et la clientèle attirée auraient semblé être plus spécifiques. De plus, le Bar Gloed fut initié par Matexi, qui semblait avoir pour objectif de donner une meilleure image du bâtiment à travers les initiatives temporaires, voire même plus à travers le bar, centre du projet. Le Bar Paniek, au contraire, est géré par Time Circus, composé d’artistes dont l’objectif premier en 2012 aurait été d’exercer leur art et d’échanger avec les résidents sur des sujets qui fondent leur pensée. Le bar n’aurait dès lors été qu’un support convivial à un échange, et non un lieu se devant de créer une image et d’attirer. Pourtant, le Bar Paniek actuel se trouve dans un quartier qui semblerait, si l’on regarde les statistiques, être moins empreint de multi-culturalité et où les habitants seraient financièrement plus aisés. Mais encore aujourd’hui, le bar, bien qu’ayant acquis une renommée et de l’importance, est en relation directe avec l’atelier des artistes. Et même si le prix des boissons peut être considéré comme un détail, il prouverait la volonté de l’ASBL Time Circus de faire un profit minimum afin de continuer à pouvoir se maintenir (les subsides attribués par la Flandre ayant été réduits), tout en offrant à une part plus importante de la population une certaine motivation à se rendre dans le bar. Si l’on résume dès lors la situation, le Bar Paniek aurait peut-être eu la force d’attirer une multitude de groupes socioéconomiques, dans un quartier où la présence de certains serait peut-être limitée, si l’on s’en réfère aux prix de l’immobilier. Il réside dès lors une certaine ambiguïté dans l’intervention de « Born in Antwerp », qui permet de questionner à nouveau les intentions des autorités publiques par rapport au devenir du quartier. En effet, la stratégie des autorités publiques pourrait se résumer brièvement celle d’une stimulation des usages temporaires comme moteur d’attirance d’une certaine classe économique, tandis que les usages en euxmêmes semblent attirer des classes économiques diverses. Pour Enid Jansen, le potentiel du quartier n’est pas suffisamment exploité, et l’inaccessibilité de celui-ci à certaines classes serait pour elle réellement problématique. Un élément manifeste, qui pourrait montrer cette stratégie presque opportuniste de la ville, est relevé par Enid. En effet, depuis l’ouverture du Bar Paniek en 2017 sans la présence de « Born in Antwerp », la ville aurait exigé une heure de fermeture et des normes plus strictes à propos des nuisances sonores, car le quartier aurait tendu selon cette dernière à devenir plus résidentiel, une fois les nouvelles constructions achevées aux alentours. Cet élément peut nous amener à nous questionner sur l’image d’un divertissement et d’une convivialité que « Born in Antwerp », et par conséquent les autorités publiques, souhaitaient donner à la population ciblée durant l’année 2016. Nous pourrions dès lors nous trouver dans une situation où l’initiative top-down a permis dans le passé d’accorder une grande importance à une initiative bottom-up, en en limitant ses effets par la suite. Quoi qu’il en soit, le Kattendijkdok est toujours caractérisé par peu d’éléments « définitifs ». L’initiative « Born in Antwerp », et surtout le Bar Paniek a permis et permet encore de redonner vie à ce lieu et de donner la possibilité aux anversois de le découvrir et d’en profiter, et de percevoir également le potentiel et les qualités du quartier. D’ailleurs, pour la plupart des individus interrogés qui se sont rendus au Bar Paniek, l’implantation près de l’eau en était le motif principal. Cette année, la présence d’un nouveau ‘pop-up’ bar – semblant être plus « chic » - dans l’entrepôt voisin, mais également la présence du Zomberbar du festival « Zomer Van Antwerpen », pourraient témoigner du succès du Bar Paniek dans cette aire, et des potentialités décelées par les autorités publiques et les investisseurs privés dans la disponibilité d’espace vacant. Diverses aires du quartier Eilandje deviennent dès lors des « zones temporaires », dans lesquelles de plus en plus d’initiatives ‘pop-up’ émergent. Si l’on se réfère à certaines vidéos de city marketing publiées par la ville d’Anvers où l’on y voit le quartier Eilandje, les images témoignent de l’existence des divers ‘pop-ups’, et la présence de ces ‘pop-ups’ deviendrait peut-être un atout pour la ville pour faire la promotion du quartier, attirer les investisseurs, et séduire les futurs résidents. Pourtant, cette dynamique du temporaire qui plairait tant à ces derniers ne sera peut-être plus d’actualité lorsque les transformations majeures du quartier auront été effectuées.

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Pour en revenir au Bar Paniek, nous nous sommes interrogés sur la manière dont celui-ci pouvait avoir un impact sur l’image que les citoyens se font du quartier. Parmi les deux tiers des personnes au courant de l’existence du Bar Paniek (dont la majorité s’y est rendue), deux tiers d’entre eux estiment d’avoir une meilleure opinion sur le quartier après l’occupation temporaire. Nous pouvons identifier une opinion principale, relevée diverses fois : -

Il y a une place pour tout le monde dans un quartier riche

En ce qui concerne les individus pour lesquels l’opinion n’a pas changé, la majorité d’entre eux se montrent garants envers le quartier, en relatant qu’ils trouvaient déjà que le quartier était « cool », empreint de lieux à fréquenter, ou « déjà amélioré » grâce aux initiatives de la ville. Selon un autre individu moins garant, le quartier demeurerait un quartier destiné à ceux qui ont plus de moyens. Dès lors, en se référant au témoignage principal, mais également aux autres opinions, nous relevons le fait que le quartier serait relativement apprécié par la population. Pourtant, au vu des prix de l’immobilier, l’on peut supposer qu’une part de ces individus n’aura ni la possibilité ni l’envie d’investir dans l’achat d’un bien. Quelle sera donc la dynamique future qui incitera les individus à profiter des potentialités que le quartier offre ? En termes de développement urbain, si l’on se réfère au projet de la ville, les divers entrepôts devraient être, d’ici quelques années, transformés en un espace public extérieur, avec pour seul souvenir la structure de ceux-ci. Dans le futur, nous sommes dès lors loin de l’idée d’un bar, d’une enveloppe bâtie, en relation avec l’eau à travers un espace intermédiaire où des groupes d’individus ont l’occasion de se rencontrer dans l’objectif de prendre un verre et de profiter de la localisation. L’espace public accueillera peut-être les anciens visiteurs du Bar Paniek, mais il n’en restera qu’un souvenir minime de son atmosphère. Par conséquent, il serait difficile d’affirmer que l’usage temporaire aura été intégré dans la planification urbaine, avec des conséquences de celui-ci sur le long-terme, notamment en termes programmatiques.

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5. HYPOTHÈSES DE CONFRONTATION DES DÉMARCHES D’AMÉNAGEMENT Ce chapitre tente de comprendre les motivations des concepteurs du Bar Gloed et du Bar Paniek dans leur démarche et leur choix d’aménagement intérieur de chaque bar, sur base des constats, de la nature des intentions des différents acteurs, et des processus mis en œuvre. L’objectif serait de mesurer si cette démarche et ce choix semblent traduire un langage architectural que nous pourrions qualifier de « tendance », ou résultent réellement d’une volonté d’investissement limité. Effectuer une réelle analyse impliquerait de connaître le budget et les intentions honnêtes, voire inconscientes des initiateurs. Les propos prennent dès lors une dimension hypothétique, limités par la manœuvre d’étude. Une autre analyse qu’il est impossible d’effectuer serait celle de tenter de mesurer l’impact de l’aménagement sur la requalification future de l’architecture. En effet, dans les deux cas, nous nous trouvons face à un bâtiment dont les projets de reconversion étaient déjà achevés avant l’émergence des ‘pop-up’ bars, et qui ne devraient pas être modifiés. Nous avons analysé dans la partie théorique un phénomène courant d’aménagement où le langage architectural se manifeste à travers du mobilier ancien et des structures et revêtements existants apparents. Ce phénomène serait lié à différents facteurs que nous avons abordés, et est à présent répandu dans de nombreuses villes post-industrielles. Si l’on se limite à une analyse en surface, les deux bars sont similaires : mobilier ancien et structure apparente. Pourtant, les intérieurs diffèrent. Nous avons constaté d’une part la présence d’un mobilier typique d’une certaine époque, en série, et de nature variée et un comptoir sur mesure, le tout en état impeccable. (Fig. 135) D’autre part se trouvait un mobilier de toutes époques, non remis à neuf, déplaçable en extérieur et se limitant à des chaises et des tables, et un comptoir itinérant. (Fig. 136) Ajoutons à cela le fait que le Bar Gloed fut conçu et construit par l’une des trois sociétés d’aménagement, que la structure était déjà mise à nu (selon Bert Vanlommel), et que l’investisseur est un promoteur privé qui semblerait vouloir cibler un certain public. Nous estimerions donc deux motifs générant la démarche : la présence d’un budget sans doute conséquent, uniquement pour l’aménagement du bar, et une intention d’user d’un langage architectural séduisant, appuyée par la compétence d’une entreprise spécialisée.

Fig. 135 Le mobilier et les cloisons du Bar Gloed

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Pour le Bar Paniek, le processus semblerait différent. La présence de fonds publics aurait sans doute servi à transformer le bâtiment de manière pouvoir en accueillir l’usage, et la démarche de transformation a été effectuée par le collectif d’artistes lui-même, à travers notamment la structure vitrée. Selon Enid Jansen, les mobiliers et la ressource (par exemple, les cadres de bois de la structure vitrée) auraient été le résultat de dons de sympathisants. Ils sont la conséquence d’un manque de budget, mais surtout de leur volonté de redonner eux-mêmes une deuxième vie aux éléments et de sensibiliser la population au potentiel de cette démarche. Si l’on s’en réfère à présent aux sondages, nous constatons qu’une proportion égale d’individus a été séduite par l’intérieur de chaque bar, c’est-à-dire une moitié en rapport avec la proportion de ceux séduits par son rapport avec le contexte. En effet, comme nous l’avons vu, la majorité des individus se sont rendus au Bar Gloed pour sa vue panoramique, et au Bar Paniek pour sa localisation près de l’eau. Dès lors, à travers une approximation, nous pouvons supposer que l’aménagement du premier ou du deuxième bar a un effet plus ou moins similaire sur son appréciation par les individus, ceux-ci se limitant peut-être à une analyse en surface, et y retrouvant un langage architectural qu’ils apprécient. Or, comme nous l’avons supposé, les processus de mise en œuvre, les idéaux visés, et peut-être même les budgets accordés à ceux-ci divergent. Un autre paradoxe réside dans la longévité du bar. L’intention du court-terme et de solution « provisoire » qui se manifeste dans les aménagements semblerait plus marquée dans le Bar Paniek, donnant l’idée d’un lieu non fini, où l’attention quant à l’uniformité et la perfection des mobiliers paraît minime, tandis que celui-ci, malgré ses diverses localisations, existe déjà depuis quelques années et perdurera encore dans l’entrepôt durant les deux étés suivants. Le Bar Gloed, qui n’était présent que durant quelques mois, semblerait à l’opposé avoir reçu une attention particulière dans le choix et la nature de son mobilier et de ses structures sur mesure, manifestées par un certain degré de finition. Nous pourrions dès lors mettre en évidence l’hypothèse selon laquelle la démarche et le choix d’aménagement, dans le cas du Bar Gloed, serait de nature plus visuelle, tentant de s’approprier un langage courant afin d’attirer le consommateur. Nous pourrions peut-être y traduire une certaine volonté du promoteur privé, pour lequel l’image que le ‘pop-up’ bar donne serait importante, à travers la presse par exemple. Dans le cas du Bar Paniek, la démarche s’inscrirait peut-être plus dans une ambition d’auto-construction, et de réelle récupération de la ressource, ne voulant peut-être pas se calquer sur un langage à présent devenu parfois commercial.

Fig. 136 Le mobilier et le comptoir du Bar Paniek

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6. CONCLUSION Il semblerait que les ‘pop-ups’ soient devenus un phénomène relativement propagé dans la ville d’Anvers. La dynamique mise en place par les autorités publiques pour stimuler l’émergence de ceux-ci est actuellement assez présente, et l’on pourrait supposer, sur base des sondages, qu’une partie importante de la population est assez réceptive à celle-ci. Si l’on en revient aux deux cas d’étude, les sondages et les dires des initiateurs donnent l’idée que l’un comme l’autre sont connus par la majorité des individus, et qu’une grande part d’entre eux s’y seraient rendus. L’une des raisons majeures liées à cet engouement, que l’on pourrait supposer, est celle de l’opportunité en termes de lieu qui est offerte à la population : une localisation et des vues inédites, voire plaisantes, et un intérieur qui semblerait également séduire. Pourtant, les auteurs que nous avons étudiés dans la partie théorique perçoivent d’une part la recherche d’exclusivité à travers la temporalité réduite et d’autre part les stratégies marketing en termes de communication comme des éléments fondamentaux à l’engouement des ‘pop-up’. Dans les sondages concernant les cas d’étude, dans les motifs de la venue des individus, l’aspect temporaire du bar paraît moins important que l’intérieur ou l’implantation. Et comme nous l’avions vu, le bouche-à-oreille primait grandement sur les autres moyens de communication. Quoi qu’il en soit, l’on pourrait partir du principe que la plupart des individus ne connaissent pas le mode de fonctionnement du bar et les motivations de ses initiateurs de manière aussi complète que nous les avons analysés. Il semblerait que ceux-ci, à travers les raisons citées précédemment, apprécient chaque lieu, qu’ils perçoivent simplement comme un ‘pop-up’ bar - à travers son langage architectural reconnaissable - malgré le fait que les démarches en terme d’aménagement, d’intentions, d’image, et de budget ne soient peut-être pas similaires. Comme nous l’avons compris également, il serait difficile de penser que les ‘pop-ups’ étudiés aient été intégrés dans le processus de planification urbaine, notamment à travers la nature de leur existence et le devenir du bâtiment et/ou l’aire dans laquelle ils se sont implantés/s’implantent. Néanmoins, il existe certains cas dans lesquels la ville d’Anvers tente d’intégrer les usages temporaires dans le processus de développement urbain. Pour le bar Spoor Noord par exemple (que nous avons brièvement cité au début du chapitre), la ville, et plus particulièrement AG Vespa, a décidé depuis trois ans d’intégrer un ‘pop-up’ bar chaque été dans l’enceinte de l’ex bâtiment industriel dont ils ont conservé la structure et la toiture. Ce bar permet d’animer le parc, et selon les dires des autorités, de « favoriser la mixité ». Pour la majorité des autres ‘pop-up’ bars, nous pourrions dire qu’Anvers ne les exploite pas dans la planification urbaine à long-terme, mais plutôt dans le présent, comme stratégie pour attirer les touristes, les investisseurs, et donner une image positive de la ville à ses citoyens dans les stratégies de city marketing. Les ‘pop-ups’ représentent également un moyen pour la ville de lutter temporairement contre la vacance et dès lors d’améliorer l’image de certaines aires, tout en stimulant l’entreprenariat. L’opportunité du ‘pop-up’ pour le développement urbain serait donc en général celle de l’attirance, car les ‘pop-ups’ pourraient donnent une meilleure image de la ville et attirer les investisseurs et les touristes. Ce mécanisme permettrait d’une part de stimuler l’augmentation de nouvelles constructions et de rénovations d’initiatives privées, et d’autre part de relancer l’économie, par conséquent de pouvoir peutêtre investir plus de moyens dans la redynamisation urbaine et le renouvellement des infrastructures.

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Un dernier point à aborder brièvement serait celui de la gentrification. Nous avons défini le processus de gentrification dans la partie théorique, généré par la transformation de certains quartiers et où les occupations temporaires multiples, dont les ‘pop-up’, pouvaient en être l’un des moteurs. L’on pourrait tenter de comprendre dans quelles mesure le phénomène de gentrification serait enclenché à travers les cas étudiés. Dans le cas du Bar Gloed, l’unicité de l’initiative temporaire A Tower dans le quartier permettrait difficilement de mesurer si cette dernière a généré des formes de gentrification. Si l’on s’en réfère aux avis à propos du quartier, beaucoup d’entre eux ont conservé la même opinion à propos de celui-ci, et les changements identifiés par certains d’entre eux seraient dus en plus grande partie aux opérations de requalification urbaine menés par la ville. Dès lors, le motif premier éventuel de gentrification serait peutêtre la transformation d’initiative publique du quartier, et non le ‘pop-up’. Par contre, si l’on se réfère au projet de reconversion de la tour ayant pour objectif la construction de 250 appartements de « hautstanding », ne pourrions-nous pas supposer que le futur programme de la tour sera un élément générant d’une forme de « gentrification économique » dans un quartier où la plupart des habitants ne pourraient se permettre d’investir dans un tel type de logement ? Dans le cas du Bar Paniek, si l’on se base sur les dires de l’une de ses initiatrices, Enid Jansen, des témoignages principaux des personnes interrogées, et des prix des logements, l’on pourrait peut-être penser que le Bar Paniek génère durant son occupation actuelle un processus de gentrification « inversée », dans la mesure où il permettrait à un plus grand nombre de classes socio-économiques de profiter du lieu, sans pour autant en exclure ceux qui ont la possibilité de vivre dans le quartier.

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IV. CONCLUSION



Ce mémoire, à travers la partie théorique et l’analyse de cas, nous a permis de caractériser et de relater un phénomène dont la forme actuelle est relativement récente, et qui tend à être de plus en plus présent dans l’esprit de la population et dans les politiques urbaines. Ce phénomène pourrait symboliser un certain changement dans les « manières de penser et de faire » de notre société. La pratique de l’occupation temporaire et des ‘pop-ups’, à travers sa temporalité réduite, pourrait peutêtre sembler anodine et toujours bénéfique, à travers l’image positive qu’elle peut sembler apporter en rapport avec la vacance ou l’animation inattendue qu’elle génère. Son impact est perçu par beaucoup comme insignifiant, voire positif sur le long-terme. Dès lors, il pourrait sembler inopportun d’en faire une critique, et d’en limiter sa propagation. Pourtant, comme nous l’avons constaté tout au long de cette réflexion, chaque occupation temporaire possède ses caractéristiques intrinsèques et s’implante dans un contexte existant. La mise en œuvre de ‘pop-ups’ que nous avons étudiés était motivée par différentes volontés de la part des initiateurs ou des collaborateurs identifiés. Cette volonté n’est parfois pas explicitée à travers l’image positive que le ‘popup’ génère, et les répercussions, bénéfiques ou non, sur certains éléments contribuant à l’évolution d’une aire urbaine sont parfois plus importantes que l’on ne pourrait le croire. Au vu de l’importance du phénomène, et de la manière dont il est de plus en plus ancré dans les pensées, il se pourrait que la dynamique du temporaire grandisse encore, et devienne davantage part intégrante de la vie des citadins. Par conséquent, les idées principales et la méthodologie contenues dans ce travail peuvent être perçues comme un outil d’information et d’analyse pour quiconque lecteur. Cet outil permettrait à ce dernier de comprendre les motifs de cette dynamique et de l’inciter à adopter un point de vue analytique, en tentant d’outrepasser les premières impressions envers ce phénomène qui affiche parfois visuellement et fonctionnellement ses atouts de façon « illusionniste ». Il serait dès lors intéressant pour quiconque de conserver un esprit critique et d’accorder une certaine importance à l’analyse, même superficielle, des motifs d’émergence de l’une ou l’autre occupation temporaire. L’enjeu pourrait être de tenter d’interpréter, d’une manière sans doute subjective, en quoi et pour qui cette occupation représente réellement une opportunité, et dès lors quelles sont les limites de celle-ci. Je ne peux donc qu’inviter quiconque initiateur d’un projet d’occupation temporaire, surtout s’il est destiné à une vocation publique, à tenter de se questionner d’une manière ou d’une autre sur la nature de l’impact que celle-ci donnera en fonction du contexte dans lequel elle se trouve, tout en offrant la possibilité à un maximum de personnes de pouvoir en bénéficier. Et en réponse à l’ancrage du phénomène dans la société, j’inciterais également quiconque qui de près ou de loin est un acteur de la planification urbaine à s’intéresser vivement à ce sujet d’actualité. Réfléchir aux diverses manières dont les usages temporaires peuvent faire partie d’une démarche que nous avions définie de tactique dans le processus de planification urbaine serait peut-être un enjeu de réussite à l’heure actuelle, bien que les usages temporaires ne soient évidemment pas la solution adaptée à toutes les situations à résoudre.

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ANNEXES



INTERVIEWS Ci-joint la retranscription des quatre interviews effectuées avec les personnes ressources. En vert se trouvent les questions principales, en rouge se trouvent les questions secondaires qui ont été posées en fonction des réponses obtenues à la question précédente.

Interview avec Veerle Desimpelaere Responsable communication « Born in Antwerp » - 12/07/17

Quel était votre rôle dans le projet « Born in Antwerp » ? J’ai été choisie pour être la responsable de la communication et tout ce qui concernait la presse dans le projet BIA. « Born in Antwerp » était un projet assez compliqué, avec beaucoup de personnes différentes, divers services, plusieurs intervenants… Et pour tout ce qui concernait la com’ on pourrait dire que j’étais le lien entre toutes ces parties. A côté de ça je devais collaborer avec une agence de com’ et de presse externe pour que tout le monde connaisse l’existence de BIA. Quel était le but du projet BIA ? BIA est une initiative de la Ville d’Anvers, en particulier du service ‘Antwerpen Kunstenstad’ (Anvers, ville des Arts). Ce dernier s’occuper de tout ce qui est lié à la culture, en collaboration avec des entreprises et le marketing de la ville. Ceux-ci ont travaillé sur tout ce qui concerne l’économie créative et innovatrice. L’idée était donc de regrouper art et culture d’un côté et esprit d’entreprise de l’autre. Pouvez-vous expliquer la stratégie de la Ville d’Anvers concernant la réalisation du projet BIA? La mission de BIA était de reconnaître la Ville d’Anvers comme une ville où le talent peut naître, grandir, bouillonner et où les gens talentueux peuvent s’enrichir mutuellement. L’idée était donc de montrer la ville comme un lieu créatif et innovant où artistes et entrepreneurs peuvent se retrouver. Est-ce que vous savez pourquoi la ville a choisi de faire ça avec un pop-up ? Oui, ils ont choisi d’organiser une sorte de festival de seulement six mois. Ils avaient d’abord parlé de créer une organisation fixe, mais ça a été un choix politique de limiter la durée du projet, notamment parce les moyens suffisaient seulement pour une période de six mois. Aujourd’hui il reste encore une sorte d’héritage de BIA avec des projets qui ont été réalisés sous la bannière BIA qui ont trouvé une continuité – bien que le projet BIA soit terminé. Des exemples de cela sont annuelle de tous masters d’Art à Anvers et le festival international « Us by Night » autour du design et de la créativité. Est-ce que la Ville d’Anvers aide les gens dans la réalisation de leur pop-up ? Euh, oui... Par exemple le hangar où s’est tenu BIA était disponible sur le marché libre. Plusieurs parties ont postulé et c’est Time Circus qui a eu la licence pour louer le hangar pendant trois ans. Donc ils peuvent le louer pour faire ce qu’ils veulent pendant ces trois ans et ils sont en partie subsidiés par la Ville. Donc oui, la Ville aidera toujours les initiatives les plus créatives, innovantes ou avec le plus grand esprit d’entreprise pour mettre en valeur la créativité de la ville. Est-ce qu’il y a une raison particulière pour laquelle la Ville veut faire ça ? Dans la déclaration de gouvernance du conseil municipal il est stipulé que leur ambition est de faire connaître la ville d’Anvers en tant que ville de connaissance innovante et créative. Une initiative comme BIA est clairement dans le cadre de cette ambition. Est-ce que vous savez pourquoi on a choisi de collaborer avec Time Circus ? Et d’inviter Bar Paniek ?

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Bar Paniek se trouvait déjà dans ce hangar l’année avant donc c’était logique de les inviter à participer et s’adapter un peu au programme de BIA. On avait aussi besoin d’un bar, donc c’était bien pour cela également. Il faut aussi savoir que Time Circus est un partenaire avec lequel ‘Antwerpen Kunstenstad’ (Anvers Ville des Arts) a déjà travaillé plusieurs fois.

A votre avis, quels sont les bénéfices principaux des pop-ups ? au niveau du quartier et de la ville ? Je pense que les pop-ups offrent une occasion appréciable aux habitants et aux entrepreneurs locaux de s’implanter quelque part dans la ville pour contribuer à donner une bonne image d’un quartier ou pour donner un boost a l’économie locale. Prenez l’exemple de Berchem : là on a « Berchem Creatives » avec plusieurs initiatives pop-up dans la même rue. Moi-même j’habite là et c’est facile a sentir que ça de l’effet sur le quartier et sur l’esprit des gens. Et en même temps ça donne l’opportunité à des gens jeunes et/ou créatifs de tester leur concept, sans avoir besoin de faire de gros investissements. On sent qu’il y a vraiment des gens qui créent une différence et ensuite, plusieurs pop-ups deviennent des commerces fixes. Et en plus les initiatives comme ça aident aussi à lutter contre la vacance de logement dans une ville.

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Interview avec Véronique de Bruyne Startercoach à la ville d’Anvers – 19/07/2017 Quel est votre rôle à la ville d’Anvers ? Starter coach : j’aide les gens avant de démarrer, faire un plan pour eux : step by step. Ce n’est pas quelque chose que le marché fait mais je les envoie dans la bonne direction. Quelle est la stratégie de la ville d’Anvers en mettant en place Ondernemen in Antwerpen ? La ville souhaite avoir plus de personnes qui démarrent un business mais d’une façon bien préparée. Elle souhaite qu’ils soient bien renseignés. Avant, j’étais manager de centre commercial et je voyais des commerces qui n’étaient pas du tout en ordre légalement, et je me suis dit qu’avec des conseils de merchandising, ils auraient pu mieux gérer leur quotidien. De là, j’ai demandé à l’échevin : « est-ce qu’on pourrait commencer avec un organisme qui conseille les commerçants ? ». Après les élections, lorsque la NVA (disons un parti de droite) a été élue, les politiciens du parti étaient plus ouverts à ce côté entreprenariat et ils ont décidé de lancer une équipe qui aide les start-ups. Moi j’aide les start-ups au premier stade. Les autres de l’équipe aident les start-up dans leur croissance. Jusqu’où la ville d’Anvers intervient pour aider la réalisation de ‘pop-ups’ ? Il y a un service qui aide à trouver des emplacements commerciaux ou des bureaux. Au début c’était pour les pop-up, mais ils ont arrêté car il y avait trop de demandes, et parce qu’ils ont vu que les initiateurs ‘popups’ ne voulaient jamais que leur commerce perdure. Il y a des collègues qui ne travaillent que pour les petits magasins et l’horeca, et eux chaque année mettent en place un pop-up (village de pop-up, 4 ou 5 mois) où les personnes peuvent essayer de vendre leurs produits de 1 à 3 mois, et c’est presque gratuit. Mais globalement, ce qu’ils ont vu les années dernières, c’est qu’il y avait trop de personnes qui voulaient juste essayer leurs produits, donc ils ont décidé d’abord de donner un coaching de 2 mois et sélectionner ceux qui veulent vraiment commencer un business. Après cela veut dire que ça va continuer ? Non on ne les oblige pas si ça marche pas mais le but c’est qu’ils commencent après qu’ils soient suivis, et après qu’ils trouvent peut-être un autre endroit. L’organisme s’appelle de Nieuwe Natie. Si l’organisme est mis en place, c’est pour ne pas avoir de commerces vides, et eux c’était pour essayer quelque chose. Quel est le lien avec la politique de la ville ? Les pop-up sont un surplus pour une ville car ils font en sorte que la population se déplace, et ils donnent un certain cachet (exemple : pop-up de martini, de campari). Mais la ville même ne va pas aider à les réaliser plus facilement parce qu’il faut aussi penser aux autres qui restent et qui sont déjà là depuis longtemps et qui n’ont pas énormément de facilités à tenir bon. Surtout pour l’horeca, ce n’est pas un secteur facile, ils ont besoin de beaucoup de permissions, et la concurrence est un peu difficile entre les pop-up et les autres. Entre les bars d’été, la concurrence est trop grande. Je suis persuadée que cela va automatiquement diminuer parce que pour l’instant il y en a trop. Est-ce que les bars d’été ont eu de l’aide de la ville ? Non pas du tout sauf zomer van antwerpen qui est une initiative de la ville (sloepeweg). Pour le bar paniek, est-ce qu’on peut considérer qu’il y a eu une aide de la ville ? Ils ont pu faire des travaux pour la ville et ont été payés pour ça, mais ils n’ont pas eu d’aide financière pour commencer leur propre bar. Avec Born in Antwerp, ils avaient la communication en leur faveur et ils ont eu des travaux (installations) qui servaient à la ville et financées par celle-ci. Quels sont pour vous les principaux bénéfices des occupations temporaires ? Surplus pour la ville, attraction, publicité et ce n’est pas forcément la ville qui fait la publicité mais les journaux : « une nouvelle initiative, regardez comme c’est chouette »

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Comment gérez-vous les accords avec les propriétaires des parcelles vides ? Pour les ‘pop-ups’ on n’aide pas vraiment mais les entrepreneurs peuvent demander mais s’il y a un espace libre et ils peuvent le louer à des tarifs normaux. Des hangars etc, sont moins chers. Pour le bar paniek, le parc spoor noord, les endroits de la ville où la ville veut qu’il y ait un ‘pop-up’, la ville met les endroits à disposition et communique la localisation : « on veut un bar là-bas et il n’y a pas d’initiatives fixes ». Et les initiateurs font une offre. La sélection est faite sur base de l’offre par mois, sur le concept, si la personne a de l’expérience. Et qui sélectionne? AG Vespa et il y a un jury avec un horeca manager et des personnes travaillant à la régie foncière de la ville. Qui a décidé de mettre cette stratégie en place ? AG vespa, responsable de tout le « patrimoine » disponible. AG vespa est un organisme de la ville, une ASBL. Cela dure combien de temps ? AG vespa vérifie si cela fonctionne, et ensuite propose si les initiateurs veulent prolonger pour 3 ans (en général, ce sont des bars d’été). Comment la ville met-elle les ‘pop-up’ en valeur dans les stratégies de city marketing ? Le website visitantwerp montre aussi les initiatives privées. Pour le reste, pas de communication, mais pas pour les autres. Chaque fois qu’il y a une nouvelle initiative, ils vont en parler, mais c’est surtout dans les journaux et les réseaux sociaux. Pour le bar Gloed, est-ce que matexi a demandé à la ville pour les occupations temporaires de l’Antwerp Tower ? Oui mais trop tard, comme pour Pleinpubliek. Et le grand problème était la sécurité incendie. Le bar Gloed, c’était une catastrophe. Ils n’ont jamais eu la permission d’utiliser le rooftop du 4ème comme terrasse. Pour moi, je trouve que les ‘pop-up’ sont une belle initiative et fonctionnent très bien, mais il y a eu des problèmes avec les commerçants fixes qui eux ont besoin de beaucoup de permis et de règlements. Pour les ‘popups’, le discours des autorités était « ah fais ça la, ok pas de problème » et la concurrence n’était pas très honnête. Les commerçants fixes se sont plaints à la ville, et maintenant les autorités publiques sont plus sévères. Il y a des gens qui suivent les règles et d’autres pas, et c’est pour ça qu’à présent, la ville a mis en place un règlement : c’est toujours plus facile d’ouvrir un ‘pop-up’ qu’un commerce régulier, mais il faut être en ordre. Les demandes de permis sont réglées plus vite (maintenant c’est 3 mois pour les permissions pour l’alcool) mais le règlement est à suivre. Pour le bar Gloed qui n’était pas aux normes, personne de la ville n’est intervenu pour arrêter ça ? Non, et c’est ce qui est le plus bizarre, et c’est la critique des commerçants fixes… Ils disent qu’ils sont toujours contrôlés et que pour les pop-up c’est moins sévère. Si pour la ville c’est un surplus genre « waw c’est cool », les politiciens n’osent pas faire fermer le lieu. Comment s’est faite la demande de matexi pour ouvrir le bar Gloed ? Online : ouverture un commerce horeca, on peut préciser si c’est temporaire.

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Interview avec Bert Vanlommel Responsable du Bar Gloed - 19/07/17

Comment est-ce que le projet A Tower a commencé ? Matexi est une énorme société de promotion immobilière, qui est aussi propriétaire de l’Antwerp Tower. Et eux en fait ils nous ont demandé d’organiser un pop-up dans la tour. On avait déjà des contacts avec Matexi, vu qu’on a déjà travaillé avec eux pour un autre projet. Dans ce projet on a aussi collaboré avec 'De Klopperij’. Pour le projet de l’Antwerp Tower, ils ont contacté cinq personnes/agences différentes, pour une sorte de concours : mettre en œuvre un concept pour la création d’un pop-up dans l’Antwerp Tower. Pour eux c’était important que les gens parlent de la Tour et que ça apparaisse dans les médias, puisqu’ils avaient devant eux encore une période assez longue avant que le chantier pour le projet de reconversion de la Tour ne puisse commencer. Normalement un concours pour gagner une concession prend énormément de temps et est assez bureaucratique, mais ici, comme il s’agit d’un propriétaire privé, cela a été assez vite ; et très vite, c’était clair qu’on avait gagné. La ville d’Anvers en fait n’avait rien à faire avec ce projet. Les gens pensaient le contraire [qu’il s’agissait d’un projet de la Ville, NdT], mais en fait, il y avait juste nous, des particuliers, et Matexi, ce qui était super bien pour nous parce que tout ce que nous voulions faire était possible. La collaboration était vraiment bien. Les seuls moments où on a eu des contacts avec la Ville, c’était pour la demande et l’obtention des permis. Pour la communication non plus la Ville ne participait pas à ce qu’on faisait, donc pour la communication on a seulement utilisé Facebook et le site web. Mais en fait le projet se vendait tout seul : après la fête d’ouverture, on n’a presque plus dû faire de promotion. Et même sur la page « Événement », on a dû dire à des gens de ne plus venir à cette soirée-là parce qu’il y avait beaucoup plus de monde que ce que l’on pouvait laisser entrer. C’était vraiment un projet qui a parlé à l’imagination des gens. Tout le monde connaît cette Tour et voulait voir ce qu’il y avait dedans, la tour est située à l’un des carrefours le plus importants de la ville… Donc le projet se vendait vraiment de lui-même. Quel était exactement votre rôle dans le projet ? Donc en gros, on était trois personnes pour réaliser le projet. Bertrand, mon compagnon, ‘De Klopperij’ et moi. Mon rôle, c’était d’être responsable pour Klub Goud, tout ce qui concerne la vie nocturne. A côté de ça j’ai créé le style graphique du projet avec le graphiste, j’étais responsable pour une grande partie de la communication et pour la programmation des DJ’s pour la boîte et responsable pour le Bar GLOED. Bertrand était notre génie commercial. Il arrangeait les deals avec les partenaires et il était responsable de la location des salles à d’autres personnes. En fait on avait toute la tour à notre disposition. D’abord on voulait créer le bar GLOED et faire quelques trucs à côté, aux autres étages. Pour les autres étages on voulait travailler avec des partenaires externes. On a par exemple collaboré avec GATE15 pour créer un endroit où les étudiants peuvent venir étudier pendant le blocus, on a travaillé avec des partenaires culturels pour des expositions, etc., tout ça pour faire en sorte que plus de gens viennent visiter la tour - des gens de tous les âges et de toutes les classes sociales. Matexi voulait d’abord deux pop-ups dans la tour : un truc accessible à tout le monde et un établissement plutôt destiné à une classe sociale plus élevée. Pour ça ils ont pensé à un restaurant, mais au final on a dit qu’on préférait se focaliser sur la vie nocturne en créant une boîte. Mais ça, toujours en gardant le Bar GLOED comme notre ‘heimat’, notre maison, notre lieu central qui était donc le plus accessible à tous et pour ça le centre de notre pop-up. On est alors super content quand on voit que le samedi soir on peut faire une énorme fête ou il y a plein de gens de 20 à 40 ans et que le lendemain pendant la journée il y a des familles avec des enfants et des personnes âgées avec leurs petits-enfants. Pour revenir sur Klub Goud, je voulais encore dire que créer une boîte n’aurait jamais était possible en travaillant avec la Ville. Donc pour nous la collaboration avec Matexi était vraiment chouette parce qu’ils étaient vraiment ouverts à toutes nos idées. ‘De Klopperij’ était responsable pour la décoration et l’intérieur du Bar GLOED et ils ont créé le concept pour le bar. A côté de ça ils ont aussi été responsables pour la plus grande partie du personnel qui travaillait dans le pop-up. Au niveau de récupération des matériaux et du mobilier, on n’a pas pu faire grand’ chose parce qu’il n’y avait rien… Tout le bâtiment était complètement vide. Il y avait quelque chose d’un peu particulier : sur presque tous les

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niveaux les installations sanitaires et le chauffage étaient là et marchaient encore - sauf au quatrième étage, là où on voulait créer Bar GLOED. Cet étage était complètement vide, avec seulement la structure apparente. Est-ce que vous êtes une ASBL ou… ? Ce n’était pas une ASBL mais une société commerciale temporaire. C’est en fait une association temporaire de plusieurs sociétés commerciales existantes. On avait alors chacun notre propre société et on les a regroupées dans une société. Quel sont selon vous les potentiels et les faiblesses de ce quartier ? Il y a beaucoup de choses qui sont en train de changer dans ce quartier. La Ville est en train d’investir énormément avec la nouvelle place publique devant l’opéra et la rénovation du ‘Keyserlei’. Ce n’est pas une coïncidence si la rénovation de l’Antwerp Tower et des bâtiments autour a lieu au même moment que les travaux sur ‘de Leien’[les avenues centrales du centre de la métropole, NdT] avec la place, etc. Pour le moment c’est vraiment une zone un peu anonyme où il y a plusieurs bâtiments vides ou des bâtiments avec des magasins ou des bars temporaires. C’est parce que les propriétaires sont en train d’attendre que les travaux soient finis pour ensuite pouvoir louer les bâtiments à un prix bien plus élevé que maintenant ou il y a peu de temps. C’est aussi important pour la Ville que cette zone-là se développe un peu parce que c’est l’axe principal pour les piétons et aussi pour les touristes qui arrivent en train. Mais avec les commerces, le quartier des diamantaires, les petites rues avec les casinos et des bars un peu mal famés ce n’était pas un quartier fréquenté par les Anversois… Il manquait quelque chose d’intéressant, quelque chose de « fun ». Avec la rénovation du Keyserlei ça a déjà changé un peu. La ville a fait énormément pour l’HORECA là-bas. On a pu voir que ce secteur a connu une augmentation significative depuis la rénovation du piétonnier. C’est un bel exemple qui montre comment un simple investissement de la Ville peut donner un énorme coup de pouce à l’économie locale et comment cette économie peut à son tour donner un énorme coup de boost au quartier. Mais je pense que l’impact de notre pop-up dans l’Antwerp Tower a été que beaucoup de gens ont redécouvert ce quartier. D’un moment à l’autre tous les Anversois de 20 à 50 ans venaient dans un quartier où ils ne venaient jamais avant. Est-ce que les plans qui existaient pour la reconversion de la tour ont changé à cause du pop-up qui y a pris place ? Ça je ne pourrais pas dire, je ne sais pas en fait… Mais je ne pense pas que cela ait eu une énorme influence sur les plans. En haut ce sont des habitations ; au niveau 4 ce sera un établissement avec un concept identique à celui du Bar GLOED – c’est-à-dire qu’on va utiliser la terrasse – et en bas il y aura des boutiques et un hôtel. 6. Penses-tu que l’établissement qui serait réalisé dans la nouvelle tour va profiter de ce que vous avez réalisé avec le Bar GLOED? Je ne pense pas, vu que ce bar/resto ne va pas ouvrir avant cinq ans. Dans cinq ans je pense que l’impact et le souvenir de notre bar pop-up seront déjà un peu perdus. Par contre, on espère vraiment que ça va devenir un endroit pareil, dans le sens où ça serait accessible au plus de monde possible, dans une atmosphère familiale et accueillante. Mais même Matexi ne sait pas encore ce que ça va être. On sait juste que pour Matexi, l’établissement qui se trouvera là-bas est vraiment important pour l’image que celui-ci donne pour la tour. Et ça les aidera à vendre leurs appartements et louer leurs espaces commerciaux. Quels sont pour vous les points positifs et négatifs du bâtiment ? Le point négatif : les ascenseurs. En fait c’est un peu bizarre, mais je n’ai jamais habité ou travaillé dans une tour et pour moi normalement, quand tu arrives dans un bâtiment, tu as assez vite une vue globale sur la façon dont le bâtiment fonctionne et aussi une vue sur ce qui se passe dans le bâtiment. Dans cette tour c’était comme dans un énorme musée ou un hôtel, on ne pouvait jamais vraiment savoir ce qui se passait à chaque étage – donc ça aussi, c’était difficile à contrôler. Les gens étaient vraiment curieux et allaient dans les endroits qui n’étaient pas accessibles. La ventilation était aussi un défi, en particulier pour Klub Goud. Mais toutes ces choses sont des points négatifs tellement petits en comparaison avec tout le potentiel et les opportunités qu’on a trouvées dans ce bâtiment. Emblématique, super central, avec énormément d’espace. C’était vraiment une plaine de jeux pour nous.

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Interview avec Enid Jansen Membre du collectif Time Circus - 20/07/17 Quel est votre rôle dans le projet du Bar Paniek ? J’appartiens à un grand collectif qui s’appelle Time Circus et dans le projet du Bar Paniek je m’occupe de l’exploitation quotidienne. Je fais cela depuis les débuts de notre premier bar, qui était situé ( ??) à côté du MAS [Museum Aan de Stroom]. Où est née l’idée du Bar Paniek ? D’abord pour le premier bar près du MAS et après pour celui-ci ? Le Bar Paniek est né d’un projet qu’on a fait à côté du MAS pendant l’été 2012. Au départ, on n’avait pas l’intention de créer un bar. On voulait créer un projet durable pour la purification de l’eau avec des plantes dans l’eau du Bonapartedok à côté du MAS. Et une partie de ce projet était un endroit de rencontre. On avait alors construit un petit bar pour pouvoir y rencontrer des gens et parler avec eux sur des thèmes comme le développement durable etc. La première année il n’y avait pas beaucoup de gens qui venaient chez nous. Le bar était mis sur un petit ponton situé un peu derrière le grand ponton donc le bar n’était pas trop visible en fait. Par après, l’administration du port, qui est responsable pour les quais à Anvers, a décidé que le deuxième petit ponton ne pouvait plus rester là ; donc on a dû déplacer le bar plus vers l’avant pour qu’il puisse se trouver sur le premier ponton. Et grâce à ça, le bar était bien visible par les passants et il a commencé à attirer beaucoup plus de monde. Et c’est comme ça que le Bar Paniek est véritablement né. Donc jamais on n’avait eu l’intention de créer un bar à cette échelle-là, mais le projet a tellement grandi qu’on s’est adapté à la situation. En 2014 on a dû arrêter plus tôt que prévu notre projet de bar à côté du MAS. La Ville avait décidé, pour plusieurs raisons, qu’on ne pouvait plus rester là. Alors on a demandé à la Ville de chercher un autre endroit pour nous et ensemble nous avons trouvé une friche ici à côté du Kattendijkdok. Pendant l’été 2015 on a ouvert un petit bar dans la friche juste à côté de l’endroit où se trouve le Bar Paniek maintenant. On pouvait utiliser cette friche pendant un an. Ce bar était beaucoup moins connu. On avait aussi beaucoup moins de moyens financiers cet été-là, donc pour nous aussi cela a été une année complètement différente des autres, les précédentes et les suivantes. Dans le bâtiment, il y avait juste le comptoir, sans beaucoup de décoration. Cette année-là Joris, qui travaille pour Antwerpen Kunstenstad (Anvers ville d’Art), est venu nous parler. Il était en train de travailler sur le projet de Born in Antwerp. Born in Antwerp voulait alors créer un endroit original, un centre pour tout qui concernait l’économie créative et les artistes à Anvers. Pour la réalisation du projet il y avait aussi besoin de deux bars, et d’une énorme programmation artistique et culturelle. C’est à ce moment-là que nous avons été invités à créer le Bar Paniek actuel dans la friche juste à côté de l’endroit où nous étions avant. Au début c’était aussi seulement pour un an mais pendant le projet de Born in Antwerp, on avait compris que cette friche allait de nouveau être vide pendant quatre ans après le projet. Mais la ville a donné l’accord pour pouvoir continuer notre projet dans cette friche-là pour les quatre années suivantes. Quel est le statut du bar ? Le Bar Paniek fait partie du Time Circus et Time Circus est une ASBL. Le Bar Paniek n’est pas une ASBL séparée. En fait la fonction première de Time Circus est la création et la construction de structures culturelles. Donc on essaye de créer de l’art interactif pour dialoguer avec le public. Le Bar Paniek est né par hasard, était juste un petit quelque chose sur le côté, alors que maintenant on pourrait dire que ce qu’on gagne avec le Bar Paniek est ensuite réinvesti dans les projets culturels de Time Circus. C’était en fait une bonne chose pour nous que le Bar Paniek ait eu tellement de succès parce que cette année-là on avait perdu énormément de subsides du gouvernement flamand. Vous vous souvenez que, en 2014 le ministre flamand de la Culture a fort diminué les subsides pour toutes les institutions artistiques et culturelles en Flandre. Nombreux sont ceux qui ont dû mettre fin à leurs projets, mais nous avons pu continuer – grâce aux profits qu’on faisait avec le Bar Paniek. Donc cela a été vraiment important pour nous. Comment est né le concept pour le bar ? Le concept du bar ici a plutôt commencé avec les matériaux qu’on avait à notre disposition. C’est toujours avec ça qu’on commence quelque chose. L’idée de la façade avec les angles vitrés ça c’est quelque chose

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qu’on a imaginé pour créer une jolie façade et donner une certaine dynamique à l’intérieur et à l’extérieur. En créant les coins, ça nous permet de créer des zones pour s’asseoir. Là on a demandé a plein de gens de nous donner des vieilles fenêtres avec des châssis en bois. Donc comme je l’ai dit, tous les matériaux sont des affaires que les gens nous donnent. Depuis des années, les gens savent qu’on est toujours à la recherche de matériel, donc chaque semaine des gens nous proposent de nous donner des objets qu’ils n’utilisent plus. À part des vis ou de la peinture, on n’achète presque rien. La réalisation, c’est quelque chose qu’on fait nous-mêmes. La construction des installations d’art utilisable, c’est en fait notre ‘core business’, notre principale activité, le cœur de notre métier. Normalement on fonctionne toujours avec un budget vraiment limité, mais pour ce bar-ci, on a reçu un petit budget de « Born in Antwerp » quand même, ce qui nous a permis de créer quelque chose d’un peu plus grand et plus solide que les anciens bars. Quel était le concept au niveau de la communication du Bar Paniek ? Haha, en fait c’est vraiment un domaine dans lequel on n’est pas très fort : Time Circus et la communication, ce n’est pas le meilleur mariage:. Depuis qu’on a un graphiste, David, qui fait les affiches et est responsable de la page Facebook, cela s’est déjà amélioré encore beaucoup plus, et on a appris plein de choses. On était supervisé par Born in Antwerp qui eux-mêmes faisaient une énorme campagne de communication et de promotion. Ils nous ont aidés pour notre communication et on a aussi profité de la publicité qu’ils ont faite pour nous. Quels sont pour vous pour vous le potentiel et les faiblesses du quartier « Eilandje » ? Je trouve que l’Eilandje a un énorme potentiel, mais je pense aussi qu’il n’est pas exploité complètement. Il pourrait aussi être un quartier pour tout le monde, et pas seulement un quartier où ceux qui ont les moyens peuvent louer ou acheter des appartements, par exemple. C’est un peu comme ça avec tous les nouveaux projets. J’ai vraiment l’impression que c’est toujours pour une classe sociale plus élevée et je trouve ça dommage. En plus, cette limitation influence fort la vie dans un quartier. Quand je vois… Rien qu’ici, juste ici dans notre bar, on remarque qu’on accueille une clientèle fort variée. Il y a pas mal d’habitants du quartier qui viennent ici et qui apprécient notre présence, mais on attire aussi une clientèle plus alternative, qui vient de partout, de toute la ville d’Anvers. Ça nous fait évidemment plaisir de voir que notre clientèle est si variée, mais quant à dire que cela a une influence sur le quartier, ça c’est difficile à dire pour moi. On n’est pas non plus trop visible ici. Il faut nous connaitre un peu avant de venir ici, je pense. Mais initialement, en amenant le projet Born In Antwerp ici, la Ville avait aussi pour objectif la gentrification du quartier. Et ça, on ne peut pas le nier, on en fait aussi partie. Qu’on le veuille ou non, on est dans ce processus-là. Mais c’est aussi intéressant de voir que, avec la clientèle qu’on attire, on fait en sorte que des personnes de toutes les classes économiques, de toute la ville d’Anvers, viennent ici. Le projet de Born in Antwerp avait été mis en place avec l’idée de gentrifier le quartier mais maintenant que ce projet est terminé, et que, en tant que Bar Paniek, on attire encore cette clientèle fort variée, la Ville nous a imposé beaucoup plus de règles et des normes qu’avant. On a, par exemple, une heure de fermeture exigée par la Ville – ce qui est vraiment bizarre. Je ne pense pas que n’importe quel autre bar ou café de la ville ait une heure de fermeture obligatoire. À côté de ça on nous a imposé des normes de bruit strictes, parce que le quartier a évolué en quartier résidentiel… donc t Tout ça est un peu bizarre : d’abord vous êtes invité dans un projet de la Ville et vous pouvez faire des tas de choses sans vraiment beaucoup de règles et après, il y en a de plus en plus… Une fois le projet de la Ville terminé, vous êtes très limité dans ce que vous pouvez encore faire. Cela dit, on a toujours voulu tenir compte des voisins, etc. Pensez-vous que des initiatives comme celle-ci peuvent faire la différence dans un quartier? Oui, je pense que c’est possible, j’en suis même certain. Vu l’endroit et malgré le fait qu’on est beaucoup plus devenu un bar genre institution, on reste quand même beaucoup plus un endroit de rencontre où peuvent se retrouver des gens qui partagent les mêmes idées, qui ont un peu le même état d’esprit. Et je pense que cela a une influence, oui.

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SONDAGE Résultats du sondage effectué le dimanche 16/07/2017

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Détail des questions ouvertes « Pourquoi ? » du sondage effectué le dimanche 16/07/17 1. Bar Gloed

Votre opinion sur le bâtiment a-t-elle changé de façon positive ? OUI, POURQUOI ? Je pensais que c’était vide depuis longtemps. Ce bâtiment a maintenant du sens pour moi. (4x) Le projet montre les atouts du bâtiment Étant donné que le bâtiment est utilisé d’une façon agréable et sociale, l’attention portée sur le rayonnement du bâtiment fait que son apparence aussi est vue d’une façon positive. C’est une occasion unique pour tout le monde de profiter de cet endroit. Le projet temporaire donne au bâtiment un caractère plus branché. Au moins, c’est utilisé pour quelque chose de « chouette ». J’ai appris à le connaître. Avant, j’associais le bâtiment à sa fonction administrative. Le bâtiment administratif est devenu un concept agréable. J’ai plus d’affinités avec le bâtiment maintenant. C’est une bonne initiative par rapport aux bâtiments vides de la ville.

NON, POURQUOI ? Ça reste laid. (8x) C’est temporaire et ce qui se passe à l’intérieur du bâtiment ne change rien à l’impact architectural du bâtiment sur le quartier et la ville. (5x) Ce n’est pas le plus joli bâtiment d’Anvers. C’est trop commercial, trop privatisé. Il n’y a pas eu assez de communication sur la reconversion du bâtiment. (2x) L’initiative est chouette, mais le bâtiment reste laid. On n’a plus rien entendu après le « pop-up ».

Votre opinion sur le quartier a-t-elle changé de façon positive ? OUI, POURQUOI ? J’ai redécouvert le quartier. (7x) Il y a plus de choses à faire dans le quartier. (6x) Ça attire plus de gens dans le quartier, donc ça a dynamisé le quartier. C’était d’abord un quartier ou les Anversois n’allaient pas. C’était plutôt pour les touristes et là, les Anversois ont de nouveau une raison pour y aller.

NON, POURQUOI ?

-

Ça reste un quartier à éviter. C’est encore un endroit de passage et pas une destination. (4x) Les investissements menés par la Ville avaient déjà changé l’image que je m’en faisais, donc j’avais déjà un bon avis sur le quartier. (8x) Avec les changements du quartier, ils ont coupé les arbres et… c’est devenu encore plus laid. (2x) C’était seulement temporaire, donc là c’est de nouveau comme avant. (7x) Avec tous les travaux qui ont lieu là-bas, ça reste vide et moche. (5x) 160


2. Bar Paniek

Votre opinion sur le bâtiment a-t-elle changé de façon positive ? OUI, POURQUOI ? -

C’était une friche vide, et maintenant elle est utilisée. (7x) On en a fait quelque chose, on l’utilise. (8x) Ce n’est pas juste un laid bâtiment, il sert à quelque chose. (3x)

NON, POURQUOI ? En fait, je n’ai pas vraiment d’opinion. (7x) Une friche n’a pas vraiment de caractéristiques tellement spéciales au niveau architectural. Ça reste une friche. (2x) Je ne connaissais pas le bâtiment. (14x)

Votre opinion sur le quartier a-t-elle changé de façon positive ? OUI, POURQUOI ? -

Il y a une place pour tout le monde dans un quartier riche. (5x) Avant je n’y n’allais pas souvent, mais maintenant, oui. Le quartier est plus animé, plus dynamique. J’ai appris à mieux connaître le quartier

NON, POURQUOI ?

-

Le quartier était déjà cool. Je fréquentais déjà de nombreux endroits du quartier. Ça reste un quartier plutôt destiné à ceux qui ont plus de moyens financiers. La Ville avait déjà fait beaucoup de choses pour améliorer le quartier donc ce n’est pas le Bar Paniek qui m’a fait changer d’avis sur le quartier.

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TABLE DES ILLUSTRATIONS Fig. 1 http://www.diarioromano.it/due-questioni-gravi-relative-ai-venditori-abusivi/ Fig. 2 https://catholicworldmission.org/disaster-relief Fig. 3 http://farm7.static.flickr.com/6016/5977244337_c96265ec20.jpg Fig. 4 http://www.hamburg.de/contentblob/3265034/8c3fe74112a29ad83f8ccd8e67310088/data/bildgesamtillustration.jpg Fig. 5 http://www.liegesoufflevert.be/incroyable-passerelle/ Fig. 6 https://www.study360.be/locations Fig. 7 http://weekend.knack.be/medias/11407/5840449.jpg Fig. 8 http://heike-ollertz.de/20-1-WMF-Clubculture-Berlin.html Fig. 9 https://skift.com/wp-content/uploads/2015/03/foodtrucks.jpg Fig. 10 https://www.rtbf.be/info/regions/liege/detail_liege-un-nouveau-marche-pour-les-producteurs-locaux-place-xavierneujean?id=9338222 Fig. 11 https://fr.tripadvisor.be/LocationPhotoDirectLink-g188655-i17781115Liege_Liege_Province_The_Ardennes_Wallonia.html Fig. 12 https://paulhpoet.files.wordpress.com/2015/06/8380056817_bf87a39389_o.jpg Fig. 13 http://tg24.sky.it/cronaca/photogallery/2014/08/26/milano_sgombero_centro_sociale_lambretta_gente_tetti_polizia.h tml Fig. 14 https://www.internazionale.it/reportage/2016/03/19/centro-sociale-leoncavallo-quarant-anni Fig. 15 http://www.archdaily.com/783325/between-the-kaleidoscopic-present-and-the-uncertain-future-the-case-fortemporary-architecture Fig. 16 https://www.wheretotonight.com/cityguide/melbourne/wp-content/uploads/sites/2/2016/10/chuckleparksunnye1475627537484.jpg

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Fig. 17 https://farm6.static.flickr.com/5342/8796787614_d8bf24797a_b.jpg Fig. 18 http://www.dailymail.co.uk/news/article-2358630/Pictured-Illegal-party-abandoned-subway-station-seven-storiesstreets-New-York-City.html Fig. 19 http://www.thefoodalist.com/wp-content/uploads/2013/10/IMG_9948.jpg Fig. 20 http://collaction.polimi-cooperation.org/park-fiction/ Fig. 21 https://i.ytimg.com/vi/pcU8KbAJuqA/maxresdefault.jpg Fig. 22 http://www.tate.org.uk/whats-on/tate-modern/exhibition/unilever-series-dominique-gonzalez-foerster-th2058 Fig. 23 http://www.toxel.com/tech/2016/06/15/stairs-chair/ Fig. 24 http://www.aestheticamagazine.com/gordon-matta-clark-anarchitecture/ Fig. 25 https://www.designboom.com/architecture/diller-scofidio-renfro-off-the-cuff-jean-canopy-palazzo-litta-milan-designweek-04-06-2017/ Fig. 26 http://www.rogerteeuwen.nl/weblog3/archives/000040.html Fig. 27 http://park-fiction.net/park-fiction-introduction-in-english/ Fig. 28 http://content.time.com/time/covers/0,16641,19810824,00.html Fig. 29 http://www.20minutes.fr/paris/1773011-20160125-paris-welcome-city-lab-incubateur-start-up-dedie-tourismecherche-nouvelle-promotion Fig. 30 Capture d’écran Facebook Fig. 31 https://www.youtube.com/watch?v=g2DspTSTYjo (Capture d’écran) Fig. 32

M. Kavaratzis, « What can We Learn from City Marketing Practice ? », European spatial research and policy, Varsovie, vol. 16, p.45, repéré sur : http://esrap.geo.uni.lodz.pl/uploads/publications/articles/v16n1/Mihalis%20KAVARATZIS.pdf Fig. 33 http://www.labatte.be/wp-content/uploads/2015/05/la-batte.1191.jpg Fig. 34 Capture d’écran Facebook

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Fig. 35 Capture d’écran Facebook Fig. 36 https://designaspolitics.nl/civil-disobedient-for-more-public-space/ Fig. 37 https://www.facebook.com/zomerfabriek/photos/a.1245253712152415.1073741847.136993259645138/12616159 57182857/?type=3&theater Fig. 38 https://www.facebook.com/zomervanantwerpen/photos/a.10153983003398533.1073741912.16233953532/10153 983003453533/?type=3&theater Fig. 39 http://www.kering.com/sites/default/files/styles/image_content_large/public/art2_lounge-vip-associazione-viamontenapoleone-de-milan-guglielmo-miani.jpg?itok=tpdKi6q3 Fig. 40 https://gvacdn.akamaized.net/Assets/Images_Upload/2017/05/06/509f6824-3245-11e7-a653ed809894d4f4_web_scale_0.3812636_0.3812636__.jpg?maxheight=465&maxwidth=700 Fig. 41 https://www.popuptodate.be/bereikbaarheid Fig. 42 http://www.disneyrollergirl.net/chanel-covent-garden-pop-up-luxury-retail/ Fig. 43 https://www.pkl.co.uk/pop-up-kitchen-supplied-for-innocent-5-for-5-event/#iLightbox[gallery_image_1]/0 2010 Fig. 44 http://www.inter-ceram.be/media/img/pics/_original/w-PRESS-WASBAR-ANTWERP001.jpg?type=crop&w=1343&h=800 Fig. 45 Capture d’écran Facebook Fig. 46 Capture d’écran Facebook Fig. 47 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/4/47/Marmite_pop-up_shop_in_2009.jpg Fig. 48 http://heyflamingo.com/grand-train-paris/ Fig. 49 https://www.facebook.com/pg/stad.antwerpen/posts/ (Capture d’écran) Fig. 50 http://souplesseoblige.blogspot.be/2013/12/atelier-pistolet-in-het-centraal.html Fig. 51 http://snapshotsfromberlin.com/wp-content/uploads/2014/03/3-Tacheles-in-mid-nineties-e1396262495730.jpg 1996 espace public créé par les usagers 1990-2012 Fig. 52 http://adaptableneighbourhoods.com/waterside/wp-content/uploads/2011/06/Leicester-waterside-soon.jpg

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Fig. 53 https://www.pinterest.com/pin/3448137192019712/ depuis 2014 Fig. 54 https://images-na.ssl-images-amazon.com/images/I/51u75TWL4UL._SX352_BO1,204,203,200_.jpg Fig. 55 http://www.mo.be/reportage/de-stad-als-achtertuin Fig. 56 http://www.yenicikanlar.com.tr/wp-content/uploads/2013/11/colonnesummer.jpg Fig. 57 Archives de la Ville de Liège Fig. 58 http://www.a2m.be/liege-f/ Fig. 59 P. Lehtovuori & Sampo Ruoppila, « Temporary Uses as Means of Experimental Urban Planning », Turku, 2012, p. 10, repéré sur : https://www.researchgate.net/publication/275259733_Temporary_uses_as_means_of_experimental_urban_planning Fig. 60 http://media.cntraveler.com/photos/557b15a83a5d79a77fccb1a5/master/pass/pllek-beach-bar-amsterdam-2015cr-alamy.jpg Fig. 61 https://i.redbullelektropedia.be/c532757786d3c3532f2ce6c3c099c825-1200x802.jpg Fig. 62 http://focus.levif.be/culture/musique/micro-festival-un-autre-monde-est-possible/article-normal-15519.html Fig. 63 http://somamagazine.com/site/wp-content/uploads/SPACE_Eichbaumoper2-590x393.jpg Fig. 64 http://www.natashachivers.co.uk/images/photo_gallery/large/electric_hotel/Electric-Hotel-photo-by-JohnSturrock.jpg Fig. 65 https://novacancyproject.files.wordpress.com/2009/06/final-report_low-res.pdf (page 11) Fig. 66 https://novacancyproject.files.wordpress.com/2009/06/final-report_low-res.pdf (page 26) Fig. 67 http://hlnregiophotoprovider0.hln-cdn.be/photo/31535-png/p1/imgY2I4NDUxNmUvdWcvUEVPUExFXzMxNTM1LzY0MHg5OTk5L0ZU/31535.png?v=p8vnygf Fig. 68 http://www.urbanretail.be/ Fig. 69 http://www.labellefriche.com/ Fig. 70 https://www.couleurcafe.be/images/news/intro-image/alleedukaarisquaure.jpg

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Fig. 71 http://www.theresident.co.uk/food-drink-london/londons-best-winter-terraces-pop-up-bars/ Fig. 72 http://www.thechicfish.com/en/blog/2016/03/16/upcycle-milano-bike-cafe/ Fig. 73 http://mediad.publicbroadcasting.net/p/wjct/files/styles/x_large/public/201401/norfolk_waterside_1_wikimedia.jpg 2003 Fig.74 https://pilotonline.com/opinion/editorial/editorial-with-waterside-district-norfolk-bets-on-its-waterfrontagain/article_53901a3b-5552-5d15-a0a4-2e20a436441d.html ouverture 4 mai 2017 toujours le mĂŞme sens de non lieu Fig. 75 https://www.accorhotels.com/gb/hotel-2719-ibis-budget-lorient-hennebont/index.shtml Fig. 76 http://abyarabr.brbrokers.com.br/583929/imovel-novo/mondial-osasco-ibis-budget.html Fig. 77 https://s-media-cache-ak0.pinimg.com/736x/5f/6c/90/5f6c903746cc5b121c3cc2667313ef51.jpg Fig. 78 https://www.timeout.fr/paris/bar/cafe-charbon Fig. 79 http://www.carmodygroarke.com/Studio_East_Dining/index.html Fig. 80 http://www.boweryboogie.com/tag/151-ludlow-street/ Fig. 81 http://www.guerrilla-store-cologne.com/thestore/images/01.jpg Fig. 82 http://www.nouveaux-concepts.com/tag/evenements/ Fig. 83 https://archives.sfweekly.com/sanfrancisco/sf-foodlab-pop-ups-find-a-home/Content?oid=2185865 Fig. 84 https://pursuitist.com/fendi-pop-up-store-opens-up-in-new-york-city-fendisoho/ Fig. 85 http://thevandallist.com/32583-bar-bbq-on-ice-broadgate-london/ Fig. 86 https://www.augoutdemma.be/wp-content/uploads/2016/08/chelton-hotel-bruxelles-56.jpg Fig. 87 http://www.driedee.com/Definition/Details/737581/758623/8117_details.aspx

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Fig. 88 Photo personnelle Fig. 89 https://gvacdn.akamaized.net/Assets/Images_Upload/2015/10/29/Plein_Publiek_wekt_oude_Fierensblokken_weer_tot_leven.jpg?maxheight=460&maxwidth=629 Fig. 90 http://www.ondernemeninantwerpen.be/sites/default/files/styles/content_large/public/news_imgs/Cargo_Zomerbar_ 7.jpg?itok=so2K2YYp Fig. 91 https://zomerbars.be/uploads/zomer-van-antwerpen-zomerbar.jpg Fig. 92 https://stadincijfers.antwerpen.be/dashboard Fig. 93 http://www.cpantwerpen.be/wp-content/uploads/2016/04/Born-in-Antwerp-2.jpg Fig. 94 Capture d’écran Google Earth Fig. 95 http://www.ondernemeninantwerpen.be/sites/default/files/documents/Meting_Antwerpse_horecakernen.pdf (page 5) Fig. 96 Capture d’écran Google Earth Fig. 97 http://www.ondernemeninantwerpen.be/sites/default/files/documents/Meting_Antwerpse_horecakernen.pdf (page 17) Fig. 98 http://www.skyscrapercenter.com/building/antwerp-tower/10203 Fig. 99 http://res.cloudinary.com/shittyguide/image/upload/v1483650219/utaoqdlffsnqarsu1bze.jpg Fig. 100 http://www.gva.be/cnt/dmf20150306_01567010/astridplein-wordt-echt-parkje Fig. 101 https://media-cdn.tripadvisor.com/media/photo-s/02/f8/7f/d7/radisson-blu-astrid-hotel.jpg Fig. 102 Photo personnelle Fig. 103 http://www.ondernemeninantwerpen.be/sites/default/files/documents/Meting_Antwerpse_horecakernen.pdf (page 6) Fig. 104 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/34/De_Keyserlei_Antwerpen.jpg Fig. 105 http://hlnregiophotoprovider0.hln-cdn.be/photo/het-verzakte-wegdek-van-de-de-keyserlei-zal-vervangen-wordendoor-asfalt-nbsp-nbsp-foto-de-scheirder/p1/imgNDQ3NzVmMTIvYXQvNzA4MDE5My82NDB4NjQwL0ZU/7080193.jpeg

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Fig. 106 https://anamericaninantwerp.files.wordpress.com/2013/10/img_20130929_141058.jpg Fig. 107 http://www.noorderlijn.be/operaplein Fig. 108 Capture d’écran Google Earth Fig. 109 http://www.ondernemeninantwerpen.be/sites/default/files/documents/Meting_Antwerpse_horecakernen.pdf (page 19) Fig. 110 http://www.antwerpen-nu.nl/fotoalbum/91-museum-aan-de-stroom-mas.html Fig. 111 https://pers.redstarline.be/media/album/731 Fig. 112 https://oudeleeuwenrui.files.wordpress.com/2011/04/felix-archief-inside.jpg?w=640 Fig. 113 http://www.agvespa.be/sites/default/files/imagecache/page_image_full/images/news/201410vespalondstr08.jpg Fig. 114 http://www.viewpictures.co.uk/wp-content/uploads/2017/04/COOK-0048-0012.jpg Fig. 115 http://www.gva.be/cnt/dmf20170607_02915642/vernieuwde-cadixwijk-begint-vorm-te-krijgen Fig. 116 Photo personnelle Fig. 117 https://stadincijfers.antwerpen.be/dashboard Fig. 118 https://s-media-cache-ak0.pinimg.com/originals/7e/4e/dd/7e4eddd96e35738c2f52882ad0606d3d.jpg Fig. 119 https://www.residentadvisor.net/images/events/flyer/2016/7/be-0729-856619-front.jpg Fig. 120 http://thisisantwerp.be/sites/default/files/styles/nodeimage/public/13094163_1164479150282254_6701752981250717780_n.jpg?itok=5eo8BIqU Fig. 121 http://www.pixelfan.be/wp-content/uploads/2016/09/bar_gloed.jpg Fig. 122 https://gvacdn.akamaized.net/Assets/Images_Upload/2016/05/01/df1664d0-0fbf-11e6-88da9bd9497bfa2f_web_scale_0.0673595_0.0673595__.jpg?maxheight=460&maxwidth=629 Fig. 123 http://www.antwerpentoerisme.nl/wp-content/uploads/2016/06/bar-gloed2.jpg Fig. 124 https://www.facebook.com/191089027696018/photos/a.549762018495382.1073741827.191089027696018/8780 62772331970/?type=1&theater

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Fig. 125 http://dingenzoekers.be/wp-content/uploads/2014/07/LOW_GVB_Bar-Paniek_DSCF2966.jpg Fig. 126 http://www.elle.be/nl/wp-content/uploads/2015/07/bp.jpg Fig. 127 Photo privée de l’organisme « Gate 15 » Fig. 128 Photo privée de l’organisme « Gate 15 » Fig. 129 http://www.leencreve.be/wp-content/uploads/2016/08/Screen-Shot-2016-08-23-at-17.42.31.png Fig. 130 Photo personnelle Fig. 131 Photo personnelle Fig. 132 Capture d’écran Instagram Fig. 133 Capture d’écran Instagram Fig. 134 Photo personnelle Fig. 135 http://www.deklopperij.be/antwerptower Fig. 136 Photo personnelle

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Les occupations temporaires de l’espace existent depuis toujours. Pourtant, il semblerait que de nouvelles formes d’occupation temporaire émergent et se répandent dans nos contrées depuis les dix dernières années. Ce mémoire tente de décrypter le phénomène, et de comprendre les raisons pour lesquelles il est à présent tant propagé. Il vise à relater certains processus et certaines opinions qui considèrent ces occupations comme un atout pour le processus de planification urbaine, et plus généralement pour le développement urbain. Une analyse plus spécifique du mouvement d’occupation temporaire dénommé pop . up et des motifs de sa naissance mène à une étude de cas. Cette dernière, à travers une contextualisation précise de deux pop . ups, a pour objectif d’en comprendre en détail les fonctionnements et de lever des hypothèses analytiques qui tentent de déterminer la cohérence de ceuxci en termes de développement urbain.


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