horizon intĂŠrieur david saltiel
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david saltiel
horizon intĂŠrieur 1999 / 2007
conversation avec marc donnadieu textes de christian gattinoni bernard marcelis nicolas michelin xavier testot
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sommaire contents
07 avant-propos
14 conversation avec marc donnadieu 28 horizon 52 indistinction 74 traversĂŠe / across 112 tĂŠnu / tenuous 134 biographie 136 crĂŠdits & remerciements
Mon travail met en oeuvre notre condition, notre rapport à ce qui nous entoure (aux autres, au paysage, aux au-delà). J’y mets en tension calme des antagonismes à mes yeux indissociables, liés et concurrents, qui s’opposent et se complètent (le sentiment d’une unité complexe). La question du sens, de sa production et de sa transmission était au centre de mes premiers travaux. Très vite, j’ai décidé de ne m’intéresser qu’au sens produit par mes congénères, le sens de ce qui existe indépendamment de toute volonté humaine étant un problème de croyance. Quatre lettres résumaient alors mon travail : NSEO, qui désignaient à la fois Nord Sud Est Ouest (le sens au sens de direction, de là où nous sommes) et la tension entre une réalité (Nous Serons Eternellement Obligés) et un désir (Nous Serons Eternellement Oisifs, oisif au sens libre et contemplatif). De là, j’ai référencé ce qui nous distingue des autres formes de vies connues : la conscience d’être, la conscience de notre finitude, le langage, la capacité d’anticipation, la capacité d’abstraction et de symbolisation, la faculté de modifier notre environnement et de produire du sens, la propriété privée. La mise en tension de ces capacités m’a dévoilé la problématique du seuil : quand ai-je conscience ? jusqu’à quel point le langage me permet-il de dire ? puis-je faire abstraction de moi-même ? qu’est-ce qui distingue la propriété de l’appropriation ?… Le seuil, à la fois ligne et marge, sillon et confins, valeur minimale et zone neutre, est un espace-temps intenable, un non-lieu. J’ai cherché à le révéler en tentant de placer le regardeur à la fois ici et autre part. Le premier vecteur utilisé fut la maison, envisagée tout entière comme un seuil instable, une discontinuité. J’ai également interrogé ce qui est au bord, en étirant l’instant où conscient et inconscient ne font encore qu’un ; en envisageant l’existence comme une épaisseur, celle d’un seuil dilaté séparant deux au-delà faits de croyances ; ou encore en créant un espace où la réalité se confondait avec sa représentation. Lentement, je cherchais non plus à être sur le seuil mais « entre », entre les lignes, entre les mots, entre les autres, réuni et séparé, entrelacé. J’ai réalisé la vidéo mais qu’est-ce que tu veux que je te dise ainsi qu’une série de photographies intitulée borne to be alive lors d’un court séjour en Islande en 2004. La vidéo est une variation sur l’entre et le neutre. Elle met en scène le passage d’un homme qui marche. Deux ans plus tard, j’ai pris comme sujet la série de photographies ; j’y ai vu un « avant », déjà présent dans la vidéo, « un avant le sens que l’on donne » : il s’agit d’une île isolée, à peine habitée par l’homme, où la réalité n’est pas une construction de signes et de symboles, matériels, informels ou invisibles. Dès que l’on quitte Reykjavík, rien de ce que l’on voit, à perte de vue, n’est le résultat d’une production humaine, exception faite des « bornes » qui marquent un seuil. En les détourant puis en les détachant pour les rendre autonomes à l’échelle d’un carré, j’ai transformé ces bornes en symboles d’une signalétique indiquant notre présence. Mon regard a alors pu se tourner vers ce qui restait et qui pourtant avait toujours été là : le paysage. Je n’en ai gardé qu’une ligne qui n’existe que par contraste, une ligne infranchissable physiquement, inatteignable: une perspective sans point de fuite, l’horizon. En fixant cette ligne imaginaire, j’ai eu le sentiment que chacun de nous la contenait, l’idée de l’horizon intérieur, que sépare-t-il ? que puis-je voir au plus loin de moi-même de là où je suis ? Interroger la nature de cet horizon est un travail sur la nuance, le contraste, l’intensité, le reflet, l’indistinction, tout un travail sur la perception, sur ce qui nous échappe, ce qui est à la fois tenu et ténu ; il pourrait s’agir de distinguer l’infini.
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8 horizon intérieur/interior horizon
2006 texte en néon blanc/white neon letters 120x7 (collection particulière/private collection)
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9 nseo (vue partielle) / nseo (selected view)
2006 3 mots et 2 cercles en néon blanc, verre laqué / 3 words and 2 circles in white neon, lacquered glass installation in situ (collection particulière/private collection)
My work implements our condition, our relationship with what’s around us (with other people, with the landscape, with all what is beyond). I create a calm tension between antagonisms, in my eyes indissociable, linked and rival, opposing and completing one another (the feeling of a complex unity). My first works focused on the question of sense, its production and its transmission. Quickly, I decided that I was only interested in sense produced by others, the sense of what exists independently of all human willpower being a question of belief. Four letters, then, summarized my work : NSEO, which designates at the same time North South East West (the sense in the sense of direction, where we are) and the tension between reality (We Will be Eternally Obliged – Nous Serons Eternellement Obligés in french) and our desires (We Will be Eternally Idle, idle in the sense contemplative and free - Nous Serons Eternellement Oisifs in french). From that point, I identified what distinguishes us from other known life forms : consciousness of being, consciousness of being finite, language, capacity to anticipate, capacity of abstraction and symbolization, ability to modify our environment and produce sense, the notion of private property. Putting these capacities into tension unveiled to me the problematic of the threshold : when do I have conscience ? What extent does language allow me to express, to voice ? Can I make an abstraction of myself ? What distinguishes property from appropriation ?... The threshold, at the same time line and margin, channel and boundary, minimal value and neutral zone, is an intolerable time-space, a no-place. I was seeking to disclose this in trying to position the spectator simultaneously here and elsewhere. The first vector used was a house (a home), considered in its entirety as an instable threshold, a discontinuity. I also interrogated what is at the edge by drawing out the moment when consciousness and unconsciousness are still one ; by imagining existence as a thickness, that of a dilated threshold separating two beyonds created from beliefs ; or by creating a space where reality and its representation are blended. Slowly, I was no longer seeking to be on the threshold, but “between”, between the lines, between the words, between others, reunited and separated, intertwined. I made the video but what do you want me to say to yo ? as well as the series of photographs borne to be alive (“borne” meaning boundary marker in French) during a short stay in Iceland in 2004. The video is a variation on betweenness and neutralness. It stages the passage of a walking man. Two years later, I took this series of photographs as subject ; in it I saw a “before”, already present in the video, “a before the sense we give” : it’s an isolated island, hardly inhabited by man, where reality is not a construction of signs and symbols, material, formal, or invisible. As soon as you leave Reykjavík, all that exists, as far as the eye can see, is not the result of human production, except for these boundary markers marking a threshold. In diverting and detaching them to the scale of a square in order to make them autonomous, I transformed these boundary markers into symbols of a signalization indicating our presence. My vision could then turn to what remained, and, nerveless, was always there : the landscape. Of it I only retained a line that existed by contrast, a line that can not physically be crossed, unreachable : a perspective without a vanishing point, the horizon. Staring this imaginary line, I had the feeling that each one of us could contain it, the idea of an interior horizon : what does it separate ? What can I see furthest in myself, from where I am ? Interrogating the nature of this horizon is a work on nuance, contrast, intensity, reflection, indistinction, a work on perception, on what escapes to our comprehension, what is at the same time tangible and tenuous ; it could be distinguishing infinity.
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Meine Arbeit hat mit unseren Lebensbedingungen zu tun und handelt von der Beziehung zu dem, was uns umgibt : die Anderen, die Landschaft, das Jenseits. Ich versetze Gegensätze, die meiner Meinung nach untrennbar sind, die miteinander verbunden sind und miteinander wetteifern, die sich sowohl entgegenstehen als auch ergänzen, in eine ruhige Spannung (die Idee von einer komplexen Einheit).
Im Zentrum meiner ersten Arbeiten stand die Frage des Sinns, der Produktion von Sinn und seiner Vermittlung. Sehr bald beschloss ich, mich nur noch für jenen Sinn zu interessieren, der von meinen Zeitgenossen produziert wurde, weil der Sinn von allem, was unabhängig vom menschlichen Willen existiert, eine Frage des Glaubens ist. In vier Buchstaben war damals meine ganze Arbeit enthalten : NSEO. Das bedeutete einerseits Nord Süd Ost West (gemeint ist die Himmelsrichtung, aus der wir stammen) und andererseits die Spannung zwischen einer Wirklichkeit (wir werden ewig zu etwas gezwungen sein) und einem Begehren (wir werden ewig müßig sein, müßig auf eine freie und kontemplative Art und Weise). Von da an bezog ich mich auf das, was uns von den anderen bekannten Lebensformen unterscheidet: das Bewusstsein, da zu sein, das Wissen um unsere Endlichkeit, die Sprache, die Fähigkeit zur Vorausschau, die Fähigkeit zur Abstraktion und zum Symbolisieren, die Fähigkeit, unsere Umgebung zu verändern und Sinn herzustellen, nicht zuletzt der Privatbesitz. Beim Abwägen all dieser Fähigkeiten kam ich auf das Thema der Schwelle: ab wann habe ich Bewusstsein ? Bis zu welchem Punkt erlaubt mir die Sprache, etwas zu sagen ? Kann ich von mir selbst abstrahieren ? Was unterscheidet den Besitz von der Inbesitznahme ? ... Die Schwelle ist zugleich Linie und Rand, Furche und Grenze, minimaler Wert und neutrale Zone. Sie ist ein unhaltbares Raum-Zeit-Gebilde, ein Nicht-Ort. Ich habe versucht, sie sichtbar zu machen, indem ich den Standort des Betrachters einmal hierhin und einmal anderswohin versetzte. Das erste Mittel, das ich dazu benutzt habe, war das Haus. Ich habe das ganze Haus wie eine instabile Schwelle behandelt, wie etwas Unzusammenhängendes. Ich habe mich auch gefragt, was es wohl am Rande gibt. Ich habe den Zeitpunkt in die Länge gezogen, in dem das Bewusste und das Unbewusste miteinander eins werden ; ich habe mir die Existenz als große Dichte vorgestellt, als eine ausgedehnte Schwelle, die zwei jenseitige Glaubenssphären voneinander trennt. Oder ich habe mir einen Raum geschaffen, in dem die Realität mit ihrer Darstellung verschmolz. Allmählich versuchte ich, nicht mehr auf der Schwelle zu stehen, sondern im Dazwischen, zwischen den Linien, zwischen den Worten, zwischen den Anderen, vereint mit ihnen oder getrennt von ihnen, jedenfalls verknüpft. Ich habe den Videofilm realisiert, ja, was willst Du, was ich Dir dazu sage, ich habe auch eine Fotoserie gemacht mit dem Titel « borne to be alive » (borne in der Bedeutung von Grenze, Schranke, A.d.Ü.), und zwar 2004, bei einem kurzen Aufenthalt in Island. Das Video ist eine Variation zum Thema des Dazwischen und des Neutralen. Es zeigt das Vorüberziehen eines Mannes, der immer weitergeht. Vor einigen Monaten ist dann die Fotoserie entstanden ; ich habe darin ein „Vorher“ gesehen, etwas, das im Video schon vorhanden war, ein „vor- dem- Sinn- Liegendes“ : es handelt sich um eine einsame Insel, von nur wenigen Menschen bewohnt, und wo die Wirklichkeit eben nicht auf einer Konstruktion von Zeichen und Symbolen beruht, seien sie nun stofflicher, formloser oder unsichtbarer Natur. Sobald man Reykjavik verlässt, ist weithin nichts von dem, was man noch sieht, von Menschen gemacht. Mit Ausnahme der „Schranken“, die eine Schwelle markieren. Ich bin um sie herumgegangen, ich habe sie sozusagen abgehoben, um sie als autonome Formen im Maßstab eines Quadrats erscheinen zu lassen. Und so habe ich diese „Grenzen“ in Symbole verwandelt, die ein Zeichen menschlicher Präsenz setzen. Schließlich habe ich meinen Blick auf das gerichtet, was übrig blieb und was allerdings immer schon da war: nämlich die Landschaft. Ich habe von ihr nur die Linie bewahrt, die durch den Kontrast sichtbar wird, eine Linie, die physisch unüberschreitbar ist und unerreichbar : eine Perspektive ohne Fluchtpunkt, der Horizont. Als ich diese imaginäre Linie festhielt, hatte ich das Gefühl, dass jeder von uns sie in sich trägt, die Idee des inneren Horizonts. Was trennt er ? Was kann ich sehen, weit von mir selbst entfernt, von da, wo ich bin ? Wer sich mit diesem Horizont beschäftigt, der beschäftigt sich mit Nuancen, mit Kontrasten, mit der Intensität, der Spiegelung, der Ununterscheidbarkeit. Das ist eine Arbeit über die Wahrnehmung, über das, was sich uns entzieht, über das, was irgendwie vorhanden und zugleich sehr fein ist ; es könnte sogar darum gehen, das Unendliche zu erkennen. Übersetzung, Marie Luise Syring
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13 nous serons éternellement oisifs obligés we will be eternally obliged idle 1998
acier gravé/engraved steel 25x10
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MD : Il y a aujourd’hui dans ton travail comme une sorte de balancement – peut être même une dialectique – entre deux positions a priori contraires : d’un côté une approche plutôt euclidienne, presque cartésienne de l’espace, et que pourrait illustrer ton intervention à la Maréchalerie ; de l’autre, une approche plus sensible, plus géographique des choses, à l’instar des travaux issus de ton voyage en Islande. Plutôt que l’espace et ses fondamentaux, la question du paysage y semblait primordiale, et dans ce paysage quelque chose d’impalpable qui viendrait de la naissance du monde et qui demeurerait là, inviolée, comme un territoire parallèle sur lequel tu porterais un regard fasciné et admiratif. D’une part donc, Euclide, Descartes, Leonard de Vinci et l’art comme « cosa mentale », et tout ce qui a donné naissance à une certaine pensée de l’architecture et de l’espace, et dans laquelle on t’a longtemps situé – comme quelqu’un qui produirait des espaces ou des lectures d’espaces en s’inscrivant ou en répondant à un lieu donné – et d’autre part, René Char et Francis Ponge, Gaston Bachelard et Michel Serres, soit une approche sensible et géographique des lieux et des choses pour mieux y relever/révéler tout ce que le territoire peut contenir de sensations, d’événements et de potentialités.
conversation
avec marc donnadieu
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DS : Je n’ai pris conscience de cette double présence dans mon travail que très récemment, et d’autant plus précisement au moment même où tu formules cette remarque. Le lieu remplit plusieurs fonctions, et ceci de manière générale comme dans mon propre travail. Le lieu, c’est bien sûr là où nous sommes, c’est-à-dire un contexte à la fois physique et géographique, un endroit qui va conditionner ce que l’on voit, ce que l’on entend, ce que l’on ressent… C’est un environnement où l’on va évoluer, y compris avec ce qu’il est en propre et notamment ses limites ; à leur contact physique ou imaginaire il est possible d’imaginer un au-delà, un au-delà de ses limites et des nôtres. Le lieu est également un espace-temps informel d’organisations à travers des lois et des croyances, des hiérarchies et des rapports humains. C’est donc un espace construit physiquement comme un bâtiment, un pont, une ville, des infrastructures…, mais aussi élaboré socialement comme un système d’échanges et de partages. Dans cette idée de construction, il y a tout ce que la conscience humaine est capable d’élaborer et de mettre en place de manière formelle et informelle, ce monde matériel et immatériel que l’on produit, dans lequel nous avons fini par vivre et qui ne doit pas nous faire oublier qu’il reste
inclus dans un autre monde qui nous préexiste. Nous sommes donc à la fois capables de produire un monde fini et imaginaire, et simultanément d’envisager ce qui n’a ni début ni fin et qui existe indépendamment de toute volonté humaine. À l’origine, dans mon travail, j’avais un rapport plus analytique que sentimental au lieu, et ce que je produisais était le fruit d’une observation, puis d’une analyse du lieu où j’intervenais. Mais le lieu était déjà pensé comme une intériorité qui pouvait ensuite devenir notre intériorité. C’était comme être à l’intérieur de nous-mêmes autant qu’à l’intérieur d’un espace. Puis, quand mon regard s’est élargi et que le paysage a commencé à y prendre de l’importance, la notion d’horizon a lentement émergé et a commencé à repousser les limites de mon approche de l’espace. Mais, là encore, je me suis très vite posé la question de l’horizon intérieur. Le lieu était devenu un lieu ouvert, et ses limites pouvaient elles aussi devenir le support d’une intériorité. Là se situe également un mouvement, un balancement, mais qui est plus pour moi une tension, une mise en tension inhérente à cette double capacité de la conscience humaine à éprouver et à ressentir, et dans le même temps à s’interroger sur la nature de ce sentiment. L’horizon en lui-même possède également cette dualité fondatrice puisqu’il met en présence deux éléments qui semblent se toucher mais qui ne se touchent pas. La ligne de l’horizon n’existe pas au sens propre du terme. C’est une ligne imaginaire inatteignable qui pose la question de l’infini. C’est un événement de la nature et un effet très singulier de notre conscience des choses. Si on le retourne, si on l’envisage comme un horizon intérieur, que sépare-t-il ? Quel est le point le plus éloigné que je peux percevoir à l’intérieur de moimême de là où je suis ? De là où je suis physiquement et mentalement ? Que devient alors cette sensation d’infini ? J’ai le sentiment que nous le contenons, que nous contenons une infime partie de cet infini. Même si elle est régulièrement remise en cause, on a une idée de la naissance de l’univers, le problème de « l’avant » sa naissance restant entier. On sait comment, à un moment donné, la terre s’est formée, mais l’apparition de la vie reste quelque chose de mystérieux, de chimiquement mystérieux. On ne sait toujours pas vraiment comment elle s’est générée, même si on peut constater une tendance «naturelle» de la matière à se complexifier, et placer dans cette complexification la naissance de la vie, de la conscience humaine, puis de « l’humanité ». Il y a là, je pense, l’idée que nous provenons tous de la
même immensité probablement sans limites. En tant qu’individu, je suis une manifestation infinitésimale et finie de cette immensité infinie ; cette conscience me permet de dire que je contiens une infime parcelle de cette infinité. Et ce sentiment d’infini, me semble-t-il, est double : il y a ce que je suis, ce que je contiens et que je ne connaîtrai jamais vraiment puisqu’une infime partie de ce dont je suis fait est sans limite et simultanément, à l’instant même où je commence à avoir conscience de qui je suis, je ne suis plus exactement qui j’étais à cet instant, puisque j’en sais un peu plus… MD : Le chemin est donc infini ? DS : C’est difficile à affirmer car je n’aurai jamais la possibilité de le voir en entier ; personne n’a d’ailleurs réussi à le cartographier ! Mais, oui, je pense que l’on n’en verra jamais la fin, une fin qui n’existe peut-être pas. MD : L’horizon pour toi est une ligne de séparation imaginaire entre deux espaces, deux territoires, deux univers… Mais, à l’instar de deux lignes parallèles qui se rejoignent à l’infini, est-ce que ces deux situations que l’horizon sépare, se rejoignent, ou tentent de se rejoindre à l’infini ? Et quels seraient ces deux éléments ou ces deux états à l’intérieur de soi, à l’intérieur de chaque être humain, qui sont séparés et que la ligne d’horizon ferait se rejoindre ? DS : Il me semble que deux lignes parallèles ne se rejoignent jamais, elles donnent juste l’illusion de se rejoindre. Tenter de faire se rejoindre ce qui est par nature séparé engendre une tension, une instabilité. C’est l’idée d’une unité complexe. Ce pourrait être ces deux infinis, celui que l’on contient, et celui que l’on produit engendré par la nature même de l’existence quand celle-ci s’interroge sur elle-même comme sur le monde. Pourtant ce questionnement un jour s’arrête, quand il tombe nez à nez avec la mort. Cette unité complexe, cela pourrait être aussi de parvenir à vivre tout à la fois avec l’idée de jouissance et l’idée de mort, de désirer la vie. Ce serait l’idée du bonheur au sens le plus ordinaire, le plus quotidien possible, alors même que l’on naît avec la certitude que notre existence a une fin ; comment rester détendu dans ces conditions ? Cela me semble être un vrai défi ! Quand on commence à s’interroger, et donc, à rendre hommage à notre humanité, quand on commence à mettre sa conscience en marche et, ce faisant, à produire des idées, du sens,
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des émotions, des objets, on peut parvenir à inscrire la finitude de sa propre destinée, comme de toute destinée, à l’intérieur de l’évolution de l’humanité. Et c’est incroyable ce que l’humanité a pu produire alors qu’elle est très jeune quand on la compare à l’âge de la vie ou de l’univers. Cette production me fascine. Elle est la preuve qu’un certain nombre d’individus ne renoncent pas. Ils trouvent l’énergie pour sans cesse imaginer, avancer, produire, réaliser, générer, partager… – en un seul mot : vivre ! - Ils trouvent cette énergie sans doute en étant toujours en recherche, en quête, en perpétuelle expérimentation, ce qui peut parfois rendre difficile leur rapport à l’autre, leur présence aux autres, entre les autres. Longtemps j’ai travaillé sur le seuil – et je continue toujours. Je travaillais justement sur ce qui se passait « entre ». Je voulais pouvoir rester « entre ». C’était mon fantasme ! Atteindre une sensation de présence fluide. Mais ce n’est pas tenable, ce n’est pas possible… On ne peut pas rester entre. Dans l’hypothèse où on y parviendrait, cet entre aurait alors son existence propre, il deviendrait un espace, un lieu, un territoire en soi et ne serait plus entre. Il n’y a que des moyens éphémères d’être entre, notamment dans tout ce qui est de l’ordre du passage, du rite de passage, de la traversée. La traversée est en elle-même un moment, un état entre, par le mouvement, la transformation et le changement permanents qui la fondent. Mais elle est aussi vouée inexorablement à s’achever, à disparaître, exactement comme le présent, par essence entre. MD : À l’intérieur de cette humanité que tu décris, penses-tu que l’artiste – ou toi en tant qu’artiste – amène quelque chose de spécifique ?
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DS : Oui, quelque chose de l’ordre de la sensation. C’est d’abord une sensation sourde, ou plutôt indicible, qu’il m’est difficile de décrire. Mais ensuite, cette sensation laisse place à l’analyse, à l’observation et à la tentation de la compréhension… À nouveau ce balancement. En réfléchissant à mon travail –plutôt a posteriori qu’a priori d’ailleurs– je me suis aperçu que quatre idées le caractérisaient : l’horizon, l’indistinction, le ténu et la traversée. J’ai réalisé des oeuvres qui empruntent à ces quatre concepts, associés ou non. J’ai pu proposer une situation où se développe une tentative de traversée d’un horizon – ce qui est par nature impossible –, ou d’une indistinction, ou encore une situation où se met en place ce que pourrait être un horizon indistinct ou un horizon ténu… En confrontant l’autre à ces
situations, j’aimerais le placer dans sa position bien ancrée d’humain face au problème que peut poser son existence, le sens de son existence, celui de l’existence en général, et dans le même temps y rendre possible son rapport au bonheur, au plaisir, au désir, à l’instant, à l’échange immédiat. MD : Mais l’oeuvre que tu élabores et que tu nous présentes ensuite, est-elle là pour que l’on découvre quelque chose sur le monde ou sur soi ? Et cette découverte est-elle liée autant à la connaissance qu’à l’expérience ? Est-ce une aventure analytique et mentale, ou un pur moment de bonheur et de plaisir ? DS : Je pense que l’œuvre est là pour que l’on découvre quelque chose de soi à travers ce qu’elle nous dévoile. L’œuvre est là, extérieure à nous, comme une nouvelle fraction infinitésimale de ce monde qui nous entoure. La rencontre qu’elle réalise est un moment encore une fois dual : il contient la jouissance de la découverte et de l’échange, puis il y a la nature même de ce que l’on vient de découvrir du monde ou de soi ; et celle-ci peut être une source de plaisir, ou à l’inverse de d’angoisse voire de dépression. Je me suis retrouvé un jour au CNRS avec un astrophysicien. Il m’a montré des prises de vue du cosmos, puis d’une portion plus réduite sur laquelle on voyait des millions de petits points lumineux, et un de petits points était notre voie lactée. C’était réellement vertigineux, immense et minuscule à la fois. Ce n’est pas pour rien que l’être humain a créé des systèmes de pensées ou de croyances ! La connaissance, elle, est une masse informelle et ambivalente qui pose toujours le problème de ce qui préexiste. Quoi qu’il en soit, elle est aussi un très grand facteur de sensibilité. C’est aussi parce que tu connais un certain nombre de choses que tu peux ensuite y être sensible, puis être sensible à un certain nombre d’autres choses par association, par contagion. Une fois de plus c’est indistinct, mélangé. On ne peut pas séparer radicalement les choses. MD : La collaboration avec d’autres acteurs du monde culturel ou scientifique est-elle importante dans ton travail ? As-tu des « premiers regards », un cercle de privilégiés à qui tu montres tes nouveaux projets, tes nouvelles œuvres ? DS : Oui, ce sont des gens dont je n’attends rien, et qui n’attendent rien de moi à cet endroit-là. Leur regard est sans calcul, détaché de toute contingence stratégique.
Tout se joue dans une très grande clarté et une très grande franchise, et c’est d’autant plus agréable et précieux que l’on a de plus en plus de difficultés à inscrire dans nos rapports à l’autre cette idée d’un renouvellement, d’un échange, d’un partage réel… Mais en même temps ce n’est pas si léger que ça, parce que c’est un rapport auquel on tient, que l’on protège et que l’on entretient… Ils sont impliqués dans le cinéma, l’architecture ou la littérature. Finalement, je m’aperçois qu’il manque un musicien !… Mais, surtout, ils possèdent tous une vision du monde spécifique à ce qu’ils font et à ce qu’ils sont. Ce ne sont pas des visions que je partage forcément mais j’y suis particulièrement sensible. Ce que je leur montre, je le fais en partant du principe que c’est terminé, abouti et presque exposable. Et souvent je suis désarçonné par ce qu’ils m’en disent, sans doute parce qu’ils parlent de là où je ne serai jamais. Ils sont là où je ne suis pas, même si c’est de moins en moins le cas parce qu’ils connaissent de plus en plus mon travail, et que nous nous connaissons de mieux en mieux. MD : Aucun scientifique ? DS : Non, pas dans ce cercle-là, mais il y a des scientifiques que j’interroge parfois. Même si je pense que les sentiments qui s’élaborent autour d’une idée, d’une démarche, d’un processus sont mystérieux et qu’il ne faut pas toujours chercher à les expliquer... Cela a été obsessionnel à un moment donné, cette idée de tout comprendre et de tout connaître, de pouvoir avoir une vision synthétique du monde, une vision qui sans doute rassure. Puis, j’ai eu le sentiment que ce n’était pas sain, que cela cachait une peur, et surtout que c’était absurde, absurde et impossible, presque arrogant… MD : Je pensais que tu avais eu cette prise de conscience pendant ton voyage en Islande. Or, tu m’as dit que non, que ce n’était pas au moment du voyage mais au moment où tu en as revu les images ; ce n’était donc ni devant le paysage, ni au moment où tu as fait les images, ni même au moment du premier regard sur ces images, mais longtemps après. Est-ce que ce n’est pas finalement au moment de ton exposition à Paris, à la galerie Dominique Fiat, que les choses ont basculé. Car tu y proposais un environnement qualifié, dans lequel il y avait une recherche de qualité : qualité de couleur, qualité spatiale, qualité de symbole. De plus cet espace était le tien et pourtant il demandait au
spectateur de s’y réinscrire : il lui était offert. Et puis, au centre de cet environnement, tu avais installé un rapport au savoir, au partage de la connaissance. DS : Oui, c’est une exposition qui a été et qui reste pour moi très importante. C’est à ce moment-là que ce sont mises en place ces idées d’horizon, d’indistinction, de ténu et de traversée dont je parlais tout à l’heure. Cette exposition m’a également permis de distinguer la réalité, la représentation de cette réalité et une abstraction possible de cette réalité. Pour être plus précis, il s’agissait là, à partir d’une représentation de la réalité, de construire une réalité analogue à la réalité d’origine. Car, pour la première fois en observant une image animée –en l’occurrence une vidéo non préméditée que j’avais faite de personnages traversant un espace dans une intensité lumineuse– j’ai commencé à élaborer une réalité possible de cette représentation. Il y avait, au cœur de cette réalité possible que je proposais, un bureau avec deux chaises l’une face à l’autre, mais c’était moins un bureau et deux chaises que l’idée d’un bureau et de deux chaises. Un rapport humain s’y créait parce que le bureau était orienté : il y avait la chaise de celui qui reçoit et celle de celui qui est reçu. Mais on pouvait également être assis seul à ce bureau, sans personne en face, et se retrouver alors dans un jeu de projection mentale. Une lumière rose l’éclairait sans que l’on puisse vraiment savoir si cette lumière venait de l’intérieur ou de l’extérieur du bureau. La couleur rose annonçait l’amour et la douceur. Elle qualifiait donc là le rapport entre ces deux personnes assises l’une en face de l’autre, l’une étant celle qui accueille et qui est censée transmettre, donner quelque chose à celle qui est en face et qui va la recevoir et l’accepter. Il s’agissait de cette idée que l’on ne détient rien vraiment en propre et qu’il faut sans cesse apprendre du monde, de soi, de l’autre, et qu’il ne faudrait jamais envisager le savoir comme un pouvoir. Cette exposition possédait également une dimension spatiale particulière, avec une perspective et une circulation issues d’un travail de dessin formel et précis en plans, en élévations et en proportions. L’espace devait provoquer ce temps du rapport et de l’échange et contenir simultanément le sentiment de la traversée d’un espace par un être et le sentiment qui traverse l’être lui-même. Tout s’y réunissait donc. C’est ce que j’espère également provoquer l’année prochaine au Frac Haute-Normandie à partir d’une organisation créée par une répétition d’un espace virtuel (quatre centres délimitant un carré) dans l’espace du rez-de-
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chaussée du Frac. Cette organisation restera difficile à cerner car ces centres nous reflètent à la fois en nous divisant et en nous multipliant, mais se reflètent aussi sur eux-mêmes et les uns dans les autres. Ces centres ont la taille d’un homme, cela pourrait donc être une foule organisée, miroitante et confuse dont on ne saisit pas d’emblée l’organisation. Le rez-dechaussée deviendra le lieu d’une réalité construite qui nous contient et qui nous aveugle, une réalité omniprésente dont l’existence est pourtant suspendue à notre croyance. À l’étage, il y aura l’idée d’une perte de vue, au sens « à perte de vue », l’idée d’un horizon. Il sera composé d’environ quarante formes géométriques verticales, des rectangles qui pourraient contenir un homme les bras levés, tendus. Chaque rectangle sera lui-même divisé en deux et leur succession créera, par nuance et par contraste, une ligne d’horizon virtuelle qui dépasse l’individu et qu’à la fois l’individu contient, ce qui renverra à cette idée d’horizon intérieur. Je l’ai appelée perspective sans point de fuite. Elle sera là, matérielle, affirmée, et répondra à l’espace – en tout cas c’est l’espoir que j’en ai – et en même temps elle ne sera pas là. Elle fera en sorte que l’on devra cesser de la regarder parce que si le regard se porte uniquement sur elle, sur cette perspective sans point de fuite, sur cette ligne d’horizon, on ne verra plus les œuvres, on ne verra plus l’espace, on ne verra plus l’exposition. Ce rapport physique à l’œuvre me plaît beaucoup. Je l’ai déjà expérimenté à travers des miroirs sur lesquels un mot ou un fragment de phrase était gravé. On ne peut pas à la fois physiquement se voir et voir le mot. On se retrouve alors face à une image de soi sans pouvoir vraiment se voir, parce que plus on se focalise pour voir le mot, pour le déchiffrer et le lire, plus l’image de soi disparaît pour devenir indistincte. J’espérais qu’à la lecture de en pleine vie ou de je disparais, on se retrouve non pas devant une image de soi, celle que justement on ne regarde plus, mais face à propre intériorité. Comme un déplacement, un retournement, un renversement du regard de l’extérieur vers l’intérieur.
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MD : Dans ce projet pour le Frac Haute-Normandie, les matières que tu vas utiliser ne sont pas, neutres : d’un côté de l’inox poli et donc réfléchissant –mais qui n’est pas vraiment du miroir– de l’autre, du verre translucide qui, lui, reflétera ce qui l’entoure de manière indistincte, mais comme une vraie/fausse opacité. DS : On est une fois de plus dans cette dualité liée au regard : on ne peut jamais vraiment voir entièrement
les choses, et on ne peut pas se fier uniquement à ce que l’on a vu. Dans le phénomène de la perception, il y a toujours une part qui nous échappe, une part de ce qui se passe, une part du monde, une part de soi. Les matériaux que j’ai choisis sont donc des matériaux tangibles, présents, expressifs et, dans le même temps, fuyants. MD : Ce sont des matériaux réactifs. DS : Oui, car ils possèdent cette capacité à faire disparaître ce qu’ils sont alors même qu’ils nous font face et ne se cachent pas, et cela sans truc de magie, sans artifice, sans processus chimique ou électronique. MD : Mais justement, ce qui m’intéresse quand tu dis cela, c’est de savoir si ce ne sont pas des matériaux « horizon ». L’inox est un miroir dans lequel on ne retrouvera pas une image qui se donne d’emblée, une image frontale qui ne bouge pas. Mais comme il s’agit tout de même d’un reflet, l’effet miroir que l’on voudrait y voir demeure inatteignable, il est sans cesse repoussé, comme l’horizon, au plus lointain. Le verre repousse lui aussi au plus lointain l’effet par lequel on voudrait le caractériser, l’enfermer, le figer. Ce sont donc, pour moi, des matériaux producteurs d’horizons en ce sens où l’horizon est cette chose qu’on ne pourra jamais atteindre. DS : Oui, tout à fait. Le verre, par exemple, je ne l’utilise pas pour sa transparence puisque je le peins, et le fait qu’il soit peint arrête sa transparence, la transforme en reflet tout en révélant son épaisseur, et cette épaisseur révèle une profondeur. Et je voudrais que cette profondeur engendrée par l’effet d’opacité rencontre la profondeur de celui qui la regarde. Je cherche à déstabiliser le spectateur, à le prendre au piège, mais un piège délicat, un piège sensuel qui cache son jeu. Je voudrais qu’on y aille tranquillement et que, tout à coup, quelque chose s’ouvre... MD : Comme lors d’une promenade ?… DS : Oui, mais alors une promenade à laquelle tu ne t’attendais pas… Imagine que tu décides de faire une certaine promenade et, en cours de route, il se produit un ou plusieurs évènements qui ne pouvaient pas être prévus et qui modifient totalement la nature de cette promenade, elle devient alors autre chose… Mais si
tu avais su à l’avance ce qui allait se produire, tu ne serais sans doute pas parti, perdant sans jamais le savoir quelque chose au passage, en l’occurrence au « non-passage »… Je me souviens d’un voyage, il y a quelques années, un voyage au cours duquel j’ai eu une expérience de peur, de très grande peur. Si j’avais su en partant que j’allais avoir aussi peur, je ne serais probablement pas parti… Grâce à ce voyage, j’ai pris conscience que cela faisait presque vingt ans que je n’avais pas eu peur, en tous cas que je ne m’étais pas dit : « j’ai peur », ce qui n’était pas du tout normal ! MD : Une peur panique ? DS : Non, une peur glaçante, intense, dense. Une peur de ne pas être à la hauteur, qui cachait une peur de mourir, alors qu’il ne s’agissait pas d’une situation de mort mais d’une situation où personne ne pouvait rien pour moi. Je me suis senti à vif, ressentant comme je n’avais jamais ressenti jusqu’alors. Cette peur m’empêchait de faire, et donc se renforçait ellemême : la peur entretient la peur. Mais je n’avais pas le choix, rebrousser chemin était un effort physique à fournir encore plus important que celui à déployer pour continuer. Il fallait avancer quoi qu’il advienne, parce qu’il n’y avait pas d’autre moyen de s’en sortir. Quand j’ai ressenti, puis compris, que c’était la peur qui m’empêchait de faire, j’ai commencé à me répéter à voix basse : « Il ne faut pas que la peur t’empêche de faire, il ne faut pas que la peur t’empêche de faire, il ne faut pas… », pendant une heure ou deux, je ne sais plus. Il n’y avait plus de conséquence, je n’imaginais plus les conséquences, je ne faisais que me répéter cette phrase, c’est tout ; et dans le même temps je faisais ce que je devais faire sans réaliser que j’étais en train de le faire. Au bout d’un certain temps, je me suis aperçu que les choses avaient été faites, et j’ai pleuré un long moment, lentement, de joie, de soulagement, de relâchement. Rétrospectivement, je n’ai pas le souvenir d’une très grande violence, mais d’une très grande concentration. J’ai ressenti à quel point la peur pouvait autant empêcher que permettre, et permettre sans forcer, sans contraindre. Ce qu’elle rend possible est puissant, mais pas garanti. Choisir de proposer des œuvres clairement provocantes, qui font peur en surface, c’est prendre le risque de voir les regards se détourner. Ce que je cherche à faire c’est permettre à celui qui regarde de plonger dans l’œuvre, de s’y engouffrer sans vraiment s’en rendre compte, de s’y abandonner et de peut-être y rencontrer une peur à
transformer en énergie. Je ne cherche donc pas à faire peur, en tous cas pas d’emblée ! MD : D’où cette volonté de travailler sur les seuils pendant longtemps, de réaliser des portes, des points d’entrée ; puis sur « l’entre », c’est-à-dire sur du basculement, de la traversée ; et enfin sur des environnements ouverts, duaux. Est-ce que c’est réduire ton parcours que de le définir par ces trois moments ? DS : Ce n’est pas le réduire, c’est le définir d’un point de vue chronologique, or, en réalité, je ne suis pas passé de l’un à l’autre, puis à l’autre encore. Il est vrai que pendant un premier temps, le « seuil », puis « l’entre », ont été des objectifs. Maintenant, ce sont des moyens. Ils restent pour moi des lieux de tensions, des lieux insaisissables et intenables. Ils imposent pour être cernés plusieurs niveaux simultanés de lecture, de sensations et donc de perception. J’essaye de proposer des oeuvres dont la matière et la structure imposent d’emblée ces différentes natures de visions : une vision frontale, une vision de reflet, une vision dans l’épaisseur. La frontalité de l’oeuvre cache quelque chose qui est à la fois ailleurs et liée à l’endroit où je me situe. En même temps, elle contient une perspective mais qui n’est pas forcément instantanément lisible. Ensuite elle contient une épaisseur. Enfin cette épaisseur peut convoquer notre propre profondeur. Il y a donc toujours quelque chose qui se passe entre. Ce qui a changé, c’est que j’assume plus généreusement de chercher à mettre en oeuvre un rapport au monde qui nous entoure. MD : Et à nous-mêmes ?… DS : Oui, et par ce biais, à nous-mêmes. décembre 2007
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2004 tirage argentique/photographic print 50x40
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MD : In your current work there is a kind of fluctuation –perhaps even a dialectical tension- between two apparently contradictory positions : on the one hand, a rather Euclidian, almost Cartesian approach of space, which could be illustrated by your intervention at the Maréchalerie, on the other hand, a more sensitive, more geographic approach to things, as in the work born of your trip to Iceland. Rather than space and it’s fundamentals, the question of landscape seems primordial, and in this landscape something unpalpable, which came from the birth of the world and lives there, not violated, like a parallel territory on which you convey a fascinated and admiring vision. On the one hand, then, Euclid, Descartes, Leonardo da Vinci, and art such as « cosa mentale », and all that gave birth to a certain thought on architecture and space and, in which you have been positioned for a long time - like someone who produced space or an interpretation of space by «ensconcing in» or responding to a given place - and, on the other hand, René Char and Francis Ponge, Gaston Bachelard and Michel Serres, thus a sensitive and geographic approach of places and things that best record/reveal everything that the territory could contain of sensations, events and potentialities.
conversation
with marc donnadieu
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DS : I have only recently been aware of this double presence in my work, and even more precisely at the exact moment which you formulated this remark. I now realize that place fulfils several functions, in general and in my own work. The place, of course is where we are, that is to say a context, a physical context, a geographic context, an area that primes what we see, what we hear, what we feel. It’s an environment where we’re going to evolve, including its peculiar caracteristics, especially its limits ; then it’s possible to imagine what is beyond its and our limits.. It’s also an informal place of organisations through laws and beliefs, hierarchies and human relations. It’s therefore a place physically constructed, like a building, a bridge, a city, infrastructures, but also socially elaborated, like an exchange and sharing system. In this idea of construction there is therefore everything that the human conscience is capable of elaborating and establishing in both formal and informal ways, this material and immaterial world which we create, which we end up living in, and which shouldn’t make us forget that it remains included in another world which existed before us. We are therefore at the same time capable of producing a finite and imaginary world, and simultaneously to imagine that which has neither beginning nor end and which exists independently of all human will.
Originally, I had a more analytic than sentimental relationship to place in my work, and what I produced was the fruit of observation, then an analysis of the place where I intervened. But the place had already been thought of as an interiority that could then become our interiority. It was like being inside our self as much as inside the space. Then, when my vision widened and the landscape started to have a central importance to it, the notion of the horizon started to emerge and push back the limits of my approach to space. But, there again, I quickly questioned the existence of an interior horizon. Place had become an open place, and its limits could, themselves, become the support of interiority. Movement, fluctuation, is also found in that, but, for me it’s more of tension, inherently creating tension from this double possibility, this double capacity of the human conscience to test and feel, and at the same time interrogate the nature of this sentiment. The horizon itself also possesses this fundamental duality, as it presents two elements that seem to touch but don’t. The horizon line doesn’t exist in the true sense of the term. It’s an unattainable imaginary line that questions infinity. It’s an event of nature and a very singular effect of our consciousness of things. If we turn it over, if we imagine it’s an interior horizon, what does it separate ? What is the furthest point I can perceive inside myself from where I am ? Where I am physically and mentally ? What then happens to this sensation of infinity ? I have the feeling that we contain it, that we contain a minute part of this infinity. Even if regularly questioned, we have an idea about the birth of the universe, but the problem of «before» its birth entirely remains. We know how, at a given moment, the earth was made, but the apparition of life remains a mystery, a chemical mystery. We still don’t really know how it was generated, even if a «natural» tendency for matter to become more complex can be ascertained, thus placing the beginning of life, human conscience, and «humanity» in this complexification. In that, I think, is the idea that we all originate from the same immensity probably without limits. As an individual, I am an infinitesimal and finite manifestation of this immense infinity. And this sensation of infinity, seems to me, is double : there is what I know, what I contain and will never really know because a minute par of what I am made is without limits and, simultaneously, at the very moment when I start to be conscious of who I am, I am no longer exactly who I was at that instant, because I know a little more… MD : The path is, consequently, infinitive?
DS : That’s difficult to ascertain, as I will never be able to see it in its entirety; besides, no one has been able to map it ! But, yes, I think we’ll never see the end, an end that perhaps doesn’t even exist. MD : For you the horizon is an imaginary separation line between two spaces, two territories, two universes… but, like two parallel lines that meet at infinity, do these two situations separated by the horizon meet, or attempt to meet at infinity ? And what becomes of these two elements, or two states inside of oneself, inside of each human, if the horizon line meets ? DS : It seems to me that two parallel lines never meet they only give the illusion of meeting. Attempting to join what nature has separated creates tension, instability. It’s the idea of a complex unity. It could be these two infinities, the one we contain and the one we produce, generated from existence by nature when it questions itself as it questions the world. However, this questioning stops one day, when it’s face to face with death. This complex unity could also come from living with the idea of enjoyment and the idea of death together, the desire for life. It would be, then, the idea of happiness in the most ordinary, most everyday possible sense, even if we were born with the certainty that our existence has an end ; how can we remain relaxed under these conditions ? To me, this seems like a real challenge ! When we start to question ourselves, and, therefore give homage to our humanity, when we put our conscience in gear and produce ideas, sense, emotions, objects, we can finally register the finitude of our own destiny, as with all destiny, inside human evolution. And, it’s incredible that humanity could produce such things, given that it is very young compared to the age of life or of the universe. This production fascinates me. It’s the proof that there are people who don’t give up. They manage to always find the energy to imagine, advance, produce, achieve, generate, share… - in a word : live ! - Without a doubt they find this energy by constantly searching, seeking, in perpetual experimentation which sometimes makes their relationship with one another, their presence and being with others, difficult. For quite sometime I have been working on the threshold – I still am. I actually worked on what happened “between”. I wanted to remain “between”. It was my fantasy ! Achieve a sensation of fluid presence. But it is not obtainable, it is not possible… We cannot stay between. Besides, in the hypothesis where we could achieve this, it would then be its own existence,
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it would become a space, a place, a territory itself and would no longer be between. There are only ephemeral means to be between, particularly in everything that is in the order of a passage, a rite of passage, a transition. The passage itself is a moment, a between state, by the permanent movement, transformation and changing that establishes it. But it’s also inexorably destined to end, to disappear, exactly like present, in between in essence. MD : Inside this humanity you describe, do artists -or do you, yourself as an artist- have to convey something specific ? DS : Something like feeling and sensation. Yes, at first it’s a deaf feeling, or rather inaudible, which is hard for me to explain. But then, this sensation yields to an analysis, an observation and the temptation to understand… Again this fluctuation I mentioned before. In thinking about my work -rather a posteriori than a priori, moreover– I realized that four ideas characterize it : horizon, indistinction, tenuousness and crossing. I created works that borrowed one or several of these four concepts, associated or not. I showed a situation where an attempt to cross the horizon was developed –that which by nature is impossible-, or a situation which presents what could be an indistinct horizon or a tenuous one … In confronting others with these situations, I’d like to put them, with their well-anchored human position, in front of the problem which their existence can present, the sense of their existence, that of existence in general, and at the same time permit their connection with happiness, pleasure, desire, instant, immediate exchange. MD : But the work you create and present next, does it exist to make us discover something about the world or about ourselves ? And is this discovery linked as much to knowledge as to experience ? Is it an analytic and mental adventure, or a moment of pure happiness and pleasure ?
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DS : I think this work exists so that we can discover something of ourselves through what it unveils to us. The work exists outside us, like a new minute fraction of the world around us. The encounter it creates is again dual : containing the enjoyment of discovery and exchange, in addition, there is nature itself in what we have just discovered about the world or oneself ; and this can be a source of pleasure, or inversely, depression or anguish.
One day, I met an astrophysicist at the CNRS. He showed me pictures of the cosmos, and then a smaller section in which could be seen millions of little luminous dots, and one of these little dots was our milky way. It was incredibly mind boggling, immense and minuscule at the same time. No wonder the human being created thought systems or beliefs ! Knowledge is an informal and ambivalent mass, which always presents the problem of what already exists. Be that as it may, it is also a very large factor of sensitivity. It’s also because you know things that you can then be sensitive to them, and next, you can be sensitive to other things by association, by contagion. Once again it’s indistinct, mixed-up. One cannot radically separate these things. MD : Is collaborating with other people in the cultural or scientific world important to your work ? Do you have “first seers”, a circle of privileged to whom you show your new projects, new works ? DS : Yes, they are people who expect nothing from me, and I expect nothing from them in this vein. Their vision is not calculating, it’s indifferent to strategic contingences. Their regard is with an enormous clarity, and a vast frankness, and it’s even more pleasing and valuable as it becomes more and more difficult to inscribe this idea of renewal, of exchange, or of a real sharing in our relations with other people… But at the same time, it’s not as easy as that, because they are relations we value, protect, maintain… Almost all of them are outside the visual art world : they are involved with the cinema, architecture or literature. I’ve just realized that I’m missing a musician !... But, most importantly, they all have a vision of the world specific to what they do and what they are. These are not necessarily visions that I share but I am particularly sensitive to them. When I show them something, in principal, it’s finished, concluded and almost ready to be exhibited. Quite often I am dumbfounded by what they tell me, without a doubt because they are speaking from where I will never be. They are where I am not, even if it’s less and less the case because they, naturally, understand my work more and more and we know one another better and better. MD : No scientist ? DS : No, not in this particular circle, but I do question scientists from time to time. Even if I think the sentiments that develop around an idea, a method, a procedure, are mysterious and it isn’t always necessary to explain
them… It was, at one time, obsessional, this idea to understand everything and to know everything, to have a synthetic vision of the world, a vision that without a doubt was reassuring. Then I had the feeling that it wasn’t healthy, that it hid a fear, and especially that it was absurd, absurd and impossible, almost arrogant… MD : I think you had this conscience awareness during your trip to Iceland. However, you told me it wasn’t during your trip, but when you looked at the images much later ; it wasn’t then, before the passing, nor at the time you took the pictures, not even at the moment you first looked at these images, but a long time after. Was it, eventually, at the time of your exhibition in Paris, at the Dominique Fiat gallery that things shifted ? Because you present a qualified environment, in which quality research had been done : quality of colour, spatial quality, symbolic quality. In addition, this was your space, nevertheless, it asked the spectator to insert himself : it was given to him. And then, in the middle of this environment, you installed an account of knowledge, of sharing cognizance. DS : Yes, this exhibition was very important to me and it remains so. It was at that moment the idea of horizon, indistinction, tenuousness and crossing that I mentioned before were put in place. This exhibition also permitted me to distinguish between reality, representation of reality and abstraction possible from reality. To be more precise, it’s a question there, from representation of reality, to construct a reality analogue to the original reality. Because, for the first time in looking at an animated image – in the present case a non-premeditated video I made using characters traversing a space with intense light – I started to elaborate a possible reality from this representation. Then, at the heart of this possible reality I offered, I placed a desk with two chairs facing one another, but it was less a desk and two chairs than the idea of a desk and two chairs. A human connection emerged because of how the desk was arranged : there was the chair of the person receiving and that of the person received. But one could also be seated alone at the desk, without anyone across from them, thus finding oneself in a game of mental projection. There was pink light, and it was impossible to ascertain if it came from inside or outside the desk. Pink proclaiming love and sweetness. It qualified, therefore, the relation between the two people seated face-to-face, one who welcomed and who was supposed to transmit, to give something to the other, who will receive and take. It’s a question
of that idea that we don’t really have anything of our own and that we must continually learn from the world, from ourselves, from others, and that knowledge should never be thought of as power. This exhibition also possessed a particular spatial dimension, with perspective and circulation born from a formal and precise design and plan, in elevation and in proportion, because the space had to provoke this relation and exchange period and simultaneously contain the sentiment of physical crossing in space and of what passes in ourselves. Therefore, everything is united. It’s what I also hope to provoke next year at the ground floor space of the Frac Upper-Normandy from a organization created by repeating a virtual space (four centres delimiting a square). This organization will be difficult to understand because these centres don’t only simultaneously reflect, divide and multiply us, but also reflect themselves in one another. The centres are the size of a man, they could be, therefore, a crowd, glittering and indistinct, we can’t, therefore, grasp a sense of organisation. The ground floor will become a place of constructed reality that contains us and blinds us, an omnipresent reality whose existence, however, hangs on our beliefs. Upstairs, there will be the notion of lost sight, in the sense of “losing sight”, the notion of horizon. It will be made of about 40 vertical geometric forms, rectangles, which could hold a man with his arms raised above his head. Each rectangle will be divided in two and their order will create, by nuance and by contrast, a virtual horizon line which will be beyond the individual and at the same time be contained in the individual, returning to the notion of an interior horizon. I’ve called it perspective without vanishing point. It will have a material and affirmed presence, and respond to the space – anyhow, that’s my hope – and at the same time it won’t be there. It will be as if we should stop looking at it because if we look only at it, at this perspective without vanishing point, at this horizon line, we’ll loose sight of the works, the space, and the exhibition. This physical relationship to the work really delights me, even if it‘s something I only recently, and unintentionally, am aware of. I have already experimented with it using mirrors with words, or fragments of words, engraved on them. We can’t at the same time see ourselves and see the word. We are faced with an image of ourself we can’t really see because the more we focus to see the word, to figure it out and read it, the more the image of ourself disappears and becomes indistinguishable. I hope that in looking at I am full of life or I vanish in plain view or I’m
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disappearing the viewer doesn’t only find himself in front of his image, that actually he no longer looks at, but is facing his own interiorness. Like transferring, turning inside out, rotating the regard from the exterior to the interior.
trap, a sensual trap that hides its purpose. I want him to go along peacefully and then, all of a sudden, something happens…
MD : In this project for the Frac Upper-Normandy the materials you are going to use are not, or are no longer, neutral : on the one hand polished stainless steel, therefore reflective - but not really a mirror – on the other, translucent glass, which will reflect what is around it in an indistinct manner, but like a true-false opaqueness.
DS : Yes, but then a stroll that you don’t expect… imagine that you decide to take a certain stroll and, en route, one or several things happen that could not have been foreseen and they completely change the nature of this stroll, it thus becomes something else… But if you had known beforehand what was going to happen, you surely wouldn’t have left, loosing forever the knowledge of something through this passage, under the circumstances through this a “non-passage”… I remember a trip several years ago during which I was frightened, very frightened. If I had known before leaving that I was going to have a fright, I probably wouldn’t have gone… Thanks to this trip I realized that I hadn’t been frightened for almost twenty years, in any case not to the point of saying to myself “I’m afraid”, which wasn’t at all normal !
DS : Once again, we have this dual consideration : we can’t really see things in their entirety, and we can’t trust only what we’ve seen. In the phenomenon of perception, there’s always something that escapes us, part of what is happening, a piece of the world, a piece of oneself. I chose, therefore, tangible materials, with presence, expressive and, at the same time, elusive.
MD : Like during a stroll ?
MD : These are reactive materials. MD : A panic type of fear ? DS : Yes, of course, because they have the capacity to hide what they are even if they directly confront us and don’t hide themselves, and all without magic tricks, without artifice, without chemical or electronic processes. MD : But precisely, what interests me when you say that is to know if these aren’t “horizon” materials. Stainless steel is a mirror in which an embellishing image isn’t found, a frontal image that doesn’t move. But, as it is, however, a reflection, the mirror effect that we’d like to see remains unattainable, it’s continually pushed back, like the horizon, as far as possible. The glass also pushes back as far as possible the effect by which we’d like to characterise it, enclose it, immobilise it. These are, therefore, for me, horizon-producing materials in the sense that the horizon is this thing we can never reach.
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DS : Yes, that’s exactly it. For example, I only use glass for its transparency since I paint it, and the fact that it is painted stops it’s transparency while revealing its thickness, and this thickness reveals a depth. And I want the opaque effect this depth produces to meet the depth of the person who looks at it. I’m trying to destabilize the spectator, trap him, but with a delicate
DS : No, a icy fear, intense, profuse. Fear of not being capable, which concealed a fear of death, as it wasn’t a life or death situation, but it was a situation where no one could help me. I felt alive as I had never felt up until that point. The fear kept me from doing anything, and therefore reinforced itself : the fear incited fear. But I had no choice ; turning back would have required even more physical effort than forging ahead. Advancing was necessary no matter what, because there were no other means of escape. When I realized, then understood, that the fear itself impeded me, I started to repeat to myself “The fear mustn’t keep you from doing it, the fear mustn’t keep you from doing it, the fear mustn’t…” for an hour or two, I don’t remember. There were no more consequences, I no longer imagined the consequences, I only repeated this phrase to myself, that’s all ; at the same time I was doing what I had to do without realising I was in the process of doing it. After a very long time I realized that it had already been done, and I cried for hours, tears of joy, of relief, of release. In retrospective I don’t have the memory of a very intense violence, rather that of an intense concentration. I realized at what point fear could as much prevent from doing something as to allow it, and allow it without force, without constraint. And that it makes doing possible is,
indeed, powerful, but without guarantee. In choosing to show works clearly provocative, which are frightening on the surface, I risk averting their eyes. What I want to do is permit the viewer to dive into the work, to be swallowed up without being aware, to give in and maybe to find fear to transform into energy. I don’t mean to scare people, at least not at first ! MD : Hence this desire to work on thresholds so long, to create doors, entrance ways ; then on “between”, in other words on shifting, on transit, and finally on open, dual environments. Does it minimize your path by defining it with these three phases ? DS : It doesn’t minimize it, it defines it from a chronological viewpoint, as, in reality, I didn’t go from one to the other, then on to the next one. It’s true that at first the “threshold” and “between” were objectives. Now, they are the means ! For me they remain places of tension, ungraspable and unobtainable. Imposing themselves to be defined on several levels simultaneously, from feelings and therefore from perception. I try to create works by which the material and the structure imposes different natures of vision straight away, frontal vision, reflected vision, vision in the thickness. The frontal aspect of the work hides something that is at the same time elsewhere and connected to the place where I am. At the same time, it contains a perspective, but not one that is necessarily instantly legible. Then it contains a thickness. Finally this thickness can convoke our own depth. There is, therefore, always something that happens “between”. What has changed is that I more freely accept seeking ways to implement our relationship to the world around us. MD : And to ourselves ? DS : Yes, and by this means, to ourselves. december 2003
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horizon 28
29 borne to be alive 1 à 4/borne to be alive 1 to 4 2004 tirage argentique/photographic print 49x39 (collection particulière/private collection)
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31 borne to be alive 5 Ă 8/borne to be alive 5 to 8
2004 tirage argentique/photographic print 49x39 110x80 p.32 (collection particulière/private collection)
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33 borne et paysage/boundary marker and landscape
2006 16 verres laquÊs/16 lacquered glass (collection particulière/private collection)
45x45 each
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bound to be alive, vue partielle de l’exposition, krings-ernst gallery 2006 (cologne, allemagne) bound to be alive, selected view of the exhibition, krings-ernst gallery 2006 (kÜln, germany)
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38 perspective sans point de fuite/perspective without a vanishing point
2006 4 verres laqués/4 lacquered glass (collection particulière/private collection)
183x32 each
série 95/85 à 65/55
39 perspective sans point de fuite/perspective without a vanishing point
2006 7 verres laqués/7 lacquered glass (collection particulière/private collection)
183x32 each
série 25/30 à 15/20
40 horizon n°0 (extraits) horizon n°0 (extracts) 2007
vidéo
06:23
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43 horizon n°1 (extraits) horizon n°1 (extracts) 2007
vidéo
04:42
1/3
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45 4 infrarouges, 4 ultraviolets, 4 invisibles (projet) 4 infrared, 4 ultraviolet, 4 invisible (project) 2007
verre laqué/lacquered glass
183x42x20 each
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infini n°2/infinite n°2
2006 lettre en néon blanc/white neon letters (collection particulière/private collection)
200x48
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La circularité de la pièce m’a inspiré un paysage imaginaire de cimes et de sommets, un paysage que l’on regarde au loin à partir d’un point (comme on le fait face à une table d’orientation) avec l’envie secrète d’atteindre ces crêtes lointaines. En imaginant qu’on les atteigne, on sera physiquement au sommet de l’une de ces montagnes mais la ligne d’horizon que l’on voyait d’en bas sera toujours au loin, ailleurs. Et finalement ce que l’on aura rejoint en parvenant à ces hauteurs, c’est avant tout soi-même. Mais l’oeuvre est en miroir gravé et selon l’angle et le sommet que l’on regarde c’est aussi le reflet de notre propre image que l’on saisit au loin, posé sur la ligne d’horizon, se répétant à l’infini pour devenir insaisissable.
The round shape of the room inspired me to see an imaginary landscape of peaks and crests, a landscape to be viewed from faraway and from one vantage point (precisely as from an orientation table) with the secret desire to reach the distant peaks. In imagining that we do reach them, we would be physically at the top of one of the mountains, but the horizon line that we saw from the bottom would still be far away, elsewhere. And finally, what we would have reached by attaining this height is, most importantly, ourselves. However, as the work is made of engraved mirrors, depending on the angle and the peak we look at, we also see the reflection of our own image, perceived faraway, placed on the horizon line, repeated to infinity so as to become elusive.
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49 table d’orientation n°0/orientation table n°0
2007 17 miroirs gravés/17 engraved mirrors 62x62 each installation in situ (collection particulière/private collection)
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indistinction
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abstraction possible du lieu n°1 (extraits) / possible abstraction of the place n°1 (extracts) 2004
vidéo
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1/1
(collection particulière/private collection)
Par un principe de neutralisation puis de disparition et d’apparition simultanées (chacun des éléments qui composent l’image perd lentement sa couleur puis laisse sa place à sa trace blanche), le lieu se transforme par glissements très lents, à peine perceptibles, en un aplat blanc où seul le jardin subsiste avant, lui aussi, de disparaître.
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Through a principle of neutralization, and simultaneous vanishing and apparition (each element composing the image slowly looses its color, and then leaves its place only to its a white trace) the space transforms itself by fading gradually, almost imperceptibly, into flat white where only the garden exists before it, too, disappears.
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57 indistinction 3.0 et 3.1 indistinction 3.0 and 3.1 2007
diasec
100x75
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59 indistinction 2.2 Ă 2.5 indistinction 2.2 to 2.5
2007 diasec 40x30 1/3 (collection particulière/private collection)
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61 indistinction 2.0 et 2.1 indistinction 2.0 et 2.1
2007 diasec 100x75 1/3 (collection particulière/private collection)
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vacance(s) (extraits/extracts)
2002 vidĂŠo 7:19 1/3 (in french, the word vacance(s) has two meanings : vacancy and holidays)
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65 photo de vacance(s) n째4 photograph of vacancy n째4 2003
diasec
100x75
1/3
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67 photo de vacance(s) n째2 et 1 photograph of vacancy n째2 and 1 2003
diasec
100x75
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69 photo de vacance(s) n째8 photograph of vacancy n째8 2003
diasec
100x75
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70 j’ai été inachevé inaccompli infini (projet) i have been unfinished unachieved infinite (project) 2002 miroir, texte gravé rétro-éclairé, plantes grimpantes mirror, enlighted and engraved text, climbing plant 300x170
72 mots/72 words 2001
miroir, texte gravé/mirror, engraved text
150x200
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72 je disparais - en pleine vie - je suis civilisĂŠ(e) / i vanish - i am full of life - i am civilized 2001
miroir gravĂŠ/engraved mirror
200x27
1/3
(collections particulières/private collections)
73 je suis civilisé(e)/i am civilized
2004 paravent en miroir, texte gravé, orifice folding mirror screen, engraved text, hole 183x183 galerie dominique fiat exposition à quoi ça sert avec absalon, m-a. guilleminot, f. hyber, b. lavier, r. stadler
traversĂŠe
across
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75 e(n)tre, vue partielle de l’exposition, galerie dominique fiat 2005 (paris) to be/between, selected view of the exhibition, galerie dominique fiat 2005 (paris)
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Passants de la rue des Coutures-Saint-Gervais, intrigués par la luminosité très intense de trente deux néons plantés verticalement, franchissez donc le seuil de la galerie Dominique Fiat. Les risques et périls ne sont pas ceux qui menacent ceux qui entr’ouvrent certaine valise à la fin d’En quatrième vitesse d’Aldrich. Par l’ajout d’une cloison, l’espace de la galerie a été transformé par l’artiste David Saltiel afin d’accueillir les espaces de son œuvre que les visiteurs sont invités à pénétrer et parcourir. Dans la continuité de ses travaux précédents qui mettaient en œuvre miroirs, projections, cabanes, paravents ou portes - autant d’invitations à éprouver les notions de seuil et de passage par la création d’«espèces d’espaces» (des œuvres du Centre Pompidou étaient réunies sous ce titre aux Musées de Marseille en 1998-1999), l’œuvre ici présentée constitue un nouvel aboutissement, aussi sensuel dans sa matérialité que spirituel par ses résonances. L’espace des néons, qui donne sur la rue et sur deux cloisons, est inondé de lumière blanche. Une porte permet de pénétrer dans une pièce que tout oppose au premier espace : de plan rectangulaire, dans une pénombre colorée, proposant des éléments de mobilier et la projection sur l’un de ses murs d’un film de quelques minutes, projeté en boucle et qui représente lui-même une pièce en longueur traversée, au ralenti et de gauche à droite, par deux personnes. Par ses dimensions, par sa configuration et son occupation cette pièce est bien le centre de l’œuvre: le film qui en est la matrice s’y trouve projeté pour le spectateur qui a décidé d’y entrer. L’intérieur présente sur ses quatre murs cinq sortes d’ouvertures : la porte d’entrée qui est à ouvrir et qui se refermera toute seule; sur le même mur longitudinal une ouverture dont les dimensions pourraient correspondre à celles d’une porte ; en face de la porte d’entrée, une porte murée ; sur un des murs du fond, côté rue, deux ouvertures fermées de fenêtres encadrées par une ligne de lumière blanche provenant des néons extérieurs ; sur le mur du fond l’ouverture du mur-écran et du film projeté. A la fois centrés mais pas au milieu de la pièce, la chaise, le bureau et la lampe sont objets de design et incarnation de l’idée de chaise, de l’idée de bureau et de l’idée de lampe. La froideur de ce mobilier en verre laqué blanc est annulée par la chaleur de la lumière émise par la lampe et par le film. Enfin, on ne doit pas négliger ce sur quoi l’œuvre se referme. Une fois sorti de la pièce principale, un couloir étroit conduit vers les bureaux de la galerie. Exposées au mur, des œuvres re-présentent de manière signalétique et par un jeu de formes géométriques noires, blanches et grises ce qui vient d’être éprouvé, déployant en jouant sur les mots et les signes toute la polysémie du langage : «seu(i)l», «(n’)être »... Cinq lumières naturelles ou artificielles ont accompagné le parcours : celle de la rue, aléatoire ; celle des néons, éblouissante ; celle de la lampe et celle du film, diffuses ; enfin, celle de la galerie, neutre. Au premier abord l’ensemble de l’œuvre, avec ses trois espaces, semble ainsi placé sous le signe du deux: obscurité et luminosité, intérieur et extérieur, droite et gauche, acteur et spectateur, espace projeté et espace réel, silence et bruit. Mais à chaque « et » correspond un « entre » : entre le noir et le blanc la couleur, entre l’intérieur et l’extérieur le seuil, entre sortir et entrer demeurer, entre le silence et le bruit les mots. « Entre », préposition, certes ; mais on peut y entendre un impératif, une injonction ou une invitation: « Entre ! ». L’œuvre ne serait-elle pas plutôt sous le signe du trois ? Lors de ses réflexions sur l’œuvre de Marcel Duchamp, Jean-François Lyotard empruntait à Kant la notion d’incongruence : le fait que deux éléments soient similaires mais non superposables. Cela concerne en premier
77 e(n)tre, vue partielle de l’exposition, galerie dominique fiat 2005 (paris) to be/between, selected view of the exhibition, galerie dominique fiat 2005 (paris)
lieu l’espace du film projeté qui est dans le prolongement de l’espace de projection (les bords du film se fondent imperceptiblement avec le mur de projection et un fondu au noir atténue la non-coïncidence des cadrages du début et de la fin de la séquence). Ce phénomène toucherait également les deux acteurs et leurs spectateurs, les jeux des lumières, les «ouvertures». David Saltiel, «transformateur du champ visuel…». Avec ironie, celle qui fait se succéder les néons de Dan Flavin, l’espace-temps de Dan Graham et les chaises de Joseph Kossuth : ils sont à la fois sollicités et remerciés. C’est naturellement le film qui cristallise l’ensemble de l’œuvre. Celle-ci est comme encadrée par les quelques mots échappés, rescapés et pleins de sens. Et par cette lumière blanche que l’on retrouve en quittant les lieux. Elle n’est plus aveuglante, comme si elle gardait désormais la mémoire de la pénombre d’où nous revenons, à la manière des écrans de Hiroshi Sugimoto. Trois termes pourraient rendre compte de cette singulière expérience à laquelle nous convie David Saltiel, à condition de ne pas les confiner à leur domaine cinématographique : champ, contre-champ et hors-champ, en tant qu’ils organisent la perception d’un espace et d’un temps, la réception de l’autre et des autres. Dans la pièce centrale, l’espace du spectateur est perçu tout d’abord comme espace vécu, un espace dans lequel le spectateur se promène, s’arrête, écoute et regarde. Par les deux ralentis du film, celui de l’image et celui du son, cet espace devient peu à peu espace mental, chambre d’écho et caisse de résonance non seulement sonore mais visuelle. La pièce est devenue camera obscura, pour et par le spectateur. Car cette architecture qui se joue des catégories : in situ, installation, projection, exposition… est avant tout un espace habité. Alors que les deux personnages du film marchent l’un derrière l’autre, de chaque côté du bureau deux personnes pourraient prendre place l’une en face de l’autre. Et le film fait face aux spectateurs, uns parmi les autres. A la manière dont l’un des personnages du film tient son sac en bandoulière on peut soupçonner et imaginer ces protagonistes d’être homme et femme. Les lumières de la pièce seraient alors celles des chambres d’enfants : le bleu du film pour les garçons et le rose de la lampe pour les filles. Pour le meilleur ou pour le pire et selon chacun(e) on préférera être dans le film sans spectateur, être un visiteur tout seul, un seul couple, des ensembles. A propos du gris, et dans la lumière rosée et bleutée du cœur de son œuvre, David Saltiel évoquait à nos côtés le second des cours au Collège de France de Roland Barthes : le neutre. Fort de cette expérience : le vécu de son œuvre, on ajoutera le titre du premier de ces cours : comment vivre ensemble ?. Xavier Testot
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79 e(n)tre, vue partielle de l’exposition, galerie dominique fiat 2005 (paris) to be/between, selected view of the exhibition, galerie dominique fiat 2005 (paris)
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87 sans titre 2005
7 verres laquĂŠs/7 lacquered glass
52x38 each
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Coming from the Coutures-Saint-Gervais Street, intrigued by the intense light of thirty two neon tubes vertically placed, cross over the threshold of the Dominique Fiat gallery. The risks and dangers are not the same as what threatened those who opened a certain suitcase at the end of Kiss Me Deadly by Aldrich. David Saltiel transformed the gallery by the addition of a partition which the visitors are invited to penetrate and traverse in order to create the space for his work. In the continuity of his previous works which use mirrors, projections, cabins, screens or doors – as many inducements to experience the notion of a threshold by the creation of “species of spaces” - , the work presented here constitutes a new issue, as sensual in its materiality and as spiritual by its resonance. The space with the neon tubes, which shine on the street and on two partitions, is flooded with white light. A door permits penetration into a room which is the exact opposite of the first space : rectangular in shape, bathed in a colored obscurity, offering elements of furniture and, on one of its walls, the projection of a short film loop, which, itself, represents two people traversing a long room, in slow motion from left to right. By its dimensions, by its configuration and its occupation, this room is indeed the centre of the work: the film, which is the matrix, is projected for the spectator who has decided to enter the room. The interior presents on its four walls five kinds of openings : the front door, to be opened, closes by itself ; an opening whose dimensions could correspond to that of a door on the same longitudinal wall ; a sealed-off door across from the principal door ; two openings closed by two windows framed with a line of white light coming from the neon lights outside on one of the street side walls; and an opening of the wall which serves as screen with the projected film on the back wall. Finally, we should not neglect the conclusion of the work. Upon leaving the main room, a narrow hallway leads us towards the gallery offices. Here, the works are re-represented on the wall in a sign-like manner, by black, white and gray geometric forms, what was just experienced, unfurling the polysemic nature of language by playing with the words and signs : alone/threshold - to be/not to be/to be born (seu(i)l and (n’)être - seul/seuil : alone/ threshold - être/n’être : to be/not to be - n’être (not to be) sounds like naître : to be born). Five artificial or natural lights accompany the journey: the light from the street, which is inconsistent, that from the neon lights, blinding, that from the lamp and from the film, diffused, and finally, that from the gallery, neutral. At first glance, the entire work, with its three spaces, seems thus placed under opposing signs: obscurity and light, inside and outside, right and left, actor and spectator, projected space and real space, silence and noise. But each “and” corresponds with a “between”. Between the black and white : color, between the inside and outside : the threshold, between enter and exit: linger, between silence and noise : words. “Between” a preposition, certainly,
ent(r)e
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2005
dimensions variables
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projection vidéo videoprojection
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1 bureau et 2 chaises en verre laqué blanc 1 desk and 2 chairs made of white lacquered glass
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porte ne pouvant être ouverte not openable door
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8 unités d’intensité 8 unities of intensity
but we can perceive it as an imperative, an injunction or an invitation : “Entre !” (in French, entre means come on in (enter) and between), wouldn’t the work be, rather, under three signs ? While reflecting on the work of Marcel Duchamp, Jean-François Lyotard borrowed the notion of incongruence from Kant : the fact that two elements are similar but not superposable. This concerns, firstly, the space where the film is projected in the prolongation of the projection space (the edges of the film fade into the wall and a fade-out to black softens the frames at the beginning and end of the sequence which are not aligned). This phenomenon also touches the two actors and the spectators; the light play, the “openings”. David Saltiel, “field of vision transformer”, ironically, he succeeds the neon works of Dan Flavin, the time-space of Dan Graham and the chairs of Joseph Kossuth : they are at the same time petitioned and thanked. Naturally, it’s the film that crystallizes the entire work. It’s as if the film is framed by the several escaped words, rescued and full of meaning, as well as by the white light, which we find upon leaving the premises. It isn’t more blinding, as if it holds the memory of the obscurity from which we have come, in the manner of Hiroshi Sugimoto’s screens. Three terms could resume this singular experience which David Saltiel offers us, under the condition that we don’t confine it to the cinematographic domain : field, counter-field, and beyond-field, in the sense that they organize the perception of a space and time, receiving one and another. In the main room, the spectator’s space is firstly perceived as an inhabited space, a space in which the spectator walks, stops, listens and looks. From the two slow-motion elements of the film, that of the image and that of the sound, this space becomes little by little a mental space, an echo room and resonance box, not only sound but also visual. The room has become a camera obscura, for and by the spectator. Because this architecture, which plays with categories: in-situ, installation, projection, exhibition… is foremost an inhabited space. Whereas the two people in the film walk one behind the other, from each side of the office two people could take places face to face. The film, as well, faces the spectators, one among the others. The way in which one of the people in the film holds a shoulder bag leads us to suspect and imagine the protagonists are a man and a woman. The lights in the room would be, then, the lights of their children’s rooms: the blue from the film for the boys and the rose from the lamp for the girls. For better or for worse, and in our individual opinions, we prefer to be in the film without spectators, to be a visitor alone, to be one lone couple, or to be in a group. Pertaining to gray and in the pinkish and bluish light at the heart of his work, David Saltiel evokes the second class given by Roland Barthes at the Collège de France : the neutral. Enriched by this experience, the subsistence of his work, we can add the title of the first of these classes : how can we live together ? Xavier Testot
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David Saltiel sait poser des objets en équilibre pour créer un état d’intranquillité. La première fois que je l’ai rencontré, c’était à Aubervilliers, il avait installé une petite cabane en verre bleu sur le mur de clôture d’un jardin. Sept petites marches permettaient d’entrer dans l’habitacle fragile et de s’étendre avec un sentiment étrange d’instabilité. La deuxième fois que je suis «entré» dans son oeuvre, c’était à la galerie Dominique Fiât. Il avait plongé l’espace vide dans une lumière blanche saturée qui produisait une sorte d’éblouissement. Sans repère et après un moment d’incertitude, on finissait par trouver l’accès à la seconde salle d’exposition. Là, dans l’obscurité, deux chaises face à face, une table et une lumière focalisée invitaient à s’asseoir, tout en vous obligeant à rester debout pour ne rien troubler de cette installation cryptique. Enfin, sur le mur du fond, un film montrait un homme qui ouvrait une porte traversait un espace et ouvrait à nouveau une porte pour sortir et revenir encore. Ce passage sans fin et obsessionnel face à soi, vous incitait à sortir pour entrer à nouveau et passer donc de l’éblouissement à l’obscurité, du vide à l’occupé. Il vous engageait à expérimenter une sorte de trouble et de dérèglement des sensations. A La Maréchalerie, il a directement mis le dehors dedans pour mieux vous faire sortir. Avec malice, il a rempli l’espace intérieur d’éléments extérieurs, en équilibre, de sorte qu’il est difficile de se mouvoir et que soudainement vous percevez l’espace comme un plein baigné de lumière dans lequel le corps est une perturbation. Ce travail sur la limite de perception de l’espace me semble directement lié à la recher- che spatiale dans l’architecture. Là où l’architecte cherche à donner du calme et de la lumière bien dosée, David Saltiel cherche à créer le trouble et la saturation : l’harmonie versus la perturbation ou encore le calme versus l’intranquillité. L’artiste nous invite à entrer dans cet état d’inquiétude qui nous fera mieux comprendre la sérénité. Nicolas Michelin archétype n°0 / archetype n°0
2005 centre d’art de la maréchalerie 6 arches, 6 unités d’intensité/6 arches, 6 unities of intensity Son intervention consiste en une double projection dans l’intervalle contenu entre les deux façades principales du centre d’art : l’arche, reproduite à l’échelle, est projetée six fois dans l’axe de celle existante, en suspension dans l’espace ; on peut circuler entre, jamais au travers. Des six percements de l’autre façade, Saltiel n’a retenu que l’intensité lumineuse qui filtre du dehors. Plaquée au sol sous la forme de six rectangles chacun composé de 12 tubes fluorescent, cette intensité devient fixe, elle se confond avec sa source, elle devient un repère fragile que l’on ne peut que contourner.
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David Saltiel knows how to arrange objects in order to create a state of unrest. I first met him in Aubervilliers where he had installed a small blue glass cabin on the garden wall. One could enter this fragile abode by seven little steps and encounter a strange sentiment of instability. The second time I “entered” his work was at the Dominique Fiat Gallery where he had plunged the empty space in a blinding, saturated white light. Having lost one’s way, after a moment of uncertainty, one finally finds the access to the second exhibition gallery. There, in the obscurity, are two chairs, face to face, a table and a focused light inviting you to sit down, but at the same time, obliging you to remain standing in order not to disturb this cryptic installation. Lastly, on the back wall, a film shows a man who opens a door, crosses a space, opens another door to leave and then come back. This obsessive, endless crossing invites you to leave and go back through the blinding white light to the obscurity, from empty to occupied space. It engages you to experiment a sort of disturbance and disorder of sensations. At the Maréchalerie, he directly put the outside inside to further impel you to go out. With mischief, he filled the interior space with outside elements arranged so that it is difficult to move about and suddenly you perceive the space as a crowded space, bathed in light, in which the body is a disruption. This work on the limit of perception of space seems to me directly related to spatial research in architecture. Whereas architecture seeks to create calmness and appropriately distribute light, David Saltiel seeks to create agitation and saturation: harmony verses disruption or moreover, calmness verses anxiety. The artist invites us to enter in this state of restlessness, which makes us better understand serenity. Nicolas Michelin His intervention consists of a double projection in the space between the two principal facades of the art center ; a full-scale reproduction of the arch is projected six times in its axis, suspended in space ; we can walk between it, but never through it. From the six openings in the other facade Saltiel retains only the intense light that filters in from outside. On the floor, in the form of six rectangles, each composed of 12 fluorescent tubes, the intense light becomes fixed, it is mingled with its source, it becomes a fragile mark, which we cannot by-pass.
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David Saltiel weiß, wie man Objekte in ein labiles Gleichgewicht versetzt, um dadurch einen Zustand der Unruhe hervorzurufen. Zum ersten Mal bin ich ihm in Aubervilliers begegnet. Er hatte eine kleine Hütte aus blauem Glas auf der Umfassungsmauer eines Gartens aufgestellt. Sieben kleine Stufen ermöglichten den Zugang zu dem fragilen Wohngebilde, in dem man sich mit einem eigenartigen Gefühl der Instabilität niederließ. Das zweite Mal, dass ich in sein Werk „eingetreten“ bin, war in der Galerie Dominique Fiat. Er hatte den leeren Galerieraum in ein strahlend weißes Licht getaucht, das eine Art von Schwindel hervorrief. Man hatte keinen Halt und fand den Zugang zu dem zweiten Ausstellungsraum erst nach einem Moment der Unsicherheit. Dort, in der Dunkelheit, luden ein Tisch, zwei sich gegenüberstehende Stühle und ein darauf gerichtetes Licht zum Hinsetzen ein, während man gleichzeitig gut daran tat, stehen zu bleiben, um diese geheimnisvolle Installation nicht zu verderben. Auf der Rückwand des Raumes war außerdem ein Film zu sehen, der einen Mann zeigte, wie er eine Tür öffnet, einen Raum durchschreitet, wieder eine Tür öffnet, um immer wieder hinauszugehen und hereinzukommen. Das endlose Durchschreiten und dies dauernde Mit-sich-selbst-beschäftigtsein des Mannes hielten den Besucher dazu an, ebenfalls hin und her zu gehen, von blendender Helligkeit in die Dunkelheit, von einem leeren in einen besetzten Raum zu wechseln. Man wurde dazu gebracht, eine Art von Verwirrung und Unordnung der Gefühle hinzunehmen. In der Maréchalerie schließlich hat Saltiel unmittelbar das Äußere nach Innen gekehrt, um den Eintretenden sozusagen zum Hinausgehen zu bringen. Mit viel Geschick hat er den Innenraum mit Außenelementen gefüllt, ganz gleichmäßig und auf eine Weise, dass es schwierig ist, sich darin zu bewegen. Plötzlich erfährt man den Raum als eine in Licht getauchte Einheit, in der jeder Körper nur stört. Das ist eine Arbeit über die Grenzen der räumlichen Wahrnehmung, und sie scheint mir nicht weit entfernt zu sein von der Art, wie Architekten den Raum erforschen. Da, wo der Architekt Ruhe sucht und ein wohl dosiertes Licht, da sucht David Saltiel Verwirrung und Übersättigung zu schaffen: Harmonie steht gegen Trubel, Ruhe gegen Unruhe. Der Künstler lädt jedenfalls dazu ein, in diesen Zustand der Beunruhigung einzutreten, um wiederum die Heiterkeit besser verstehen zu lernen. Nicolas Michelin
(Übersetzung : Marie Luise Syring)
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2003 miroir en pmma, acier/plexiglas mirror, steel 10x9 mètres installation in situ pour le bal jaune à l’hôtel d’évreux (paris) in situ installation for the yellow ball
h. 4 mètres
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where elsewhere ? (extraits) where elsewhere ? (extracts) 2007
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103 mais qu’est-ce que tu veux que je te dise (extraits) but what do you want me to say to you (extracts) 2004
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à propos de la vidéo mais qu’est-ce que tu veux que je te dise (pages précédentes)
Il s’agit de l’image quasiment fixe d’un noman’s land. C’est une image finie et délimitée ; elle cadre une ligne d’horizon. La nature et le sens de cette représentation vont êtres modifiés selon 3 modalités qui s’enchaînent. Un homme qui marche surgit de l’au-delà d’un bord, un homme jusque-là hors limite, invisible, traverse ce noman’s land. L’homme ne s’y arrête pas, il le franchit comme on traverserait un seuil dont on ignore l’épaisseur. Son passage modifie la nature de l’image, elle n’est plus finie, elle continue hors-bord. Cette traversée transforme également ce que l’on voit, il s’agit désormais d’un lieu de passage. Indépendamment des raisons pour lesquelles cet homme marche, au-delà de l’endroit d’où il vient et de l’endroit où il va, il traverse ce que je vois, il voit ce que je ne vois pas, il modifie les perspectives. Un homme qui marche surgit ; au fur et à mesure de sa progression, le paysage disparaît peu à peu, pour ne plus être qu’un à-plat blanc. Il se déplace dans une densité sans limites. Tout passage, tout rite de passage réussis supposent une capacité de s’abstraire de la réalité. Peu importe le lieu, c’est l’acte de passer qui compte. Un homme qui marche apparaît. Après avoir traversé plus des 2/3 de l’image, sa progression l’estompe jusqu’à ce qu’il disparaisse. L’épaisseur du seuil pourrait être celle de toute une vie, celle de cet homme, surgit de l’au-delà d’un bord, par nature dans l’impossibilité de rejoindre l’autre bord ; l’idée d’une demi-droite dont l’origine serait la fin.
projet pour le palais de tokyo (pages suivantes)
2005 moquette blanche épaisse et moelleuse, 100 barres de led outremer/heavy and soft white carpet, 100 ultramarine led bars
L’aménagement intérieur du palais de Tokyo, le strict nécessaire, le rapport des proportions, le déroulé du bâtiment, révèlent à la fois une présence presque émouvante du vide et une attente, un suspense (on a le sentiment de quelque chose en suspens). Il s’agirait de faire en sorte de ne plus être à l’intérieur du vide mais complètement dedans, au cœur d’une intériorité englobante, là où il n’y a plus de distances, là où il n’y a plus qu’un sujet qui hésite entre l’abandon, le recueillement et la vigilance.
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notes about the video but what do you want me to say to you (previous pages)
It’s a question of the image of a no-man’s land which is quasi-fixed. It’s a finite and delimited image ; it frames a horizon line. The nature and the sense of this representation will be modified according to 3 consecutive modes. A walking man appears from beyond one side, a man who was, up until then out of sight, invisible, and he crosses this no-man’s land. The man does not stop, he passes through as one crosses a threshold with an unknown thickness. His passage modifies the nature of the image, it is no longer finite, it continues outside its limits. This crossing also transforms what we see, it now becomes a passageway. Independently of the reasons why this man is walking, beyond the place where he comes from and the place where he is going, he crosses what I see, he sees what I don’t see, he modifies the perspectives. A walking man appears ; and little by little as he progresses, the landscape slowly disappears to become only a white void. He moves in a density without limits. Every passage, every accomplished rite of passage, implies a capacity to become distracted from reality. Little matter the place, it’s the act of passing that counts. A walking man appears slowly. After having crossed more than 2/3 of the image, his progression fades him until he disappears. The thickness of the threshold could be that of an entire lifetime, that of this man, who appeared from beyond the edge, naturally incapable to reach the other edge, the idea of a half-right from which the origin will be the end. project for le palais de tokyo (next pages)
2005 heavy and soft white carpet, 100 ultramarine led bars
The interior arrangement of the palais de Tokyo, the bare necessities, the relationship of proportions, the building’s layout, reveal at the same time an almost moving presence of emptiness and expectation, suspense (we have the feeling of something in suspense). It’s a question of not simply being in the emptiness but completely inside it, at the heart of an enveloping “insideness”, where there is no longer distance, where there is only one subject hesitating between abandon, meditation and vigilance.
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4 centres délimitant un carré (11 fois) projet pour le frac haute-normandie
4 centers delimiting a square (11 times) project for the haute-normandie art center
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2009 stainless steel mirror polish 183x49 each center
(détail du rez-de-chaussée, plafond non représenté) inox poli miroir
183x49 chaque centre
(detail of the ground floor, the ceiling is not represented)
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2008 28 miroirs, structure inox ht.204 / 28 mirrors, stainless steel structure (collection privĂŠe/private collection)
ht. 204
La chambre avec vue doit être placée à l’endroit duquel on peut contempler le paysage de son choix, celui qui nous apaise ; elle sera ensuite fixée en partie à ce qui existe sur le terrain, de préférence au moins à 80 centimètres du sol. Si cette hauteur est supérieure, un escalier escamotable est prévu. On accède à la chambre par une grande porte ; en cas de forte chaleur, elle peut être maintenue entr’ouverte, tout comme la fenêtre située au niveau du visage. Allongés à l’intérieur, protégés par une transparence bleutée, la vue qui s’offre à nous donne le sentiment que la chambre est placée au centre d’une maison sans mur, sans fin, uniquement constituée d’un paysage et d’une ligne d’horizon. Eclairée de l’intérieur, la chambre devient à la nuit tombée une grande lanterne bleue. Sans avoir à s’y rendre, on peut, en la voyant au loin, se souvenir des sensations que l’on éprouvait lorsqu’on y était installé. Room with a view should be placed in a location from which one can contemplate the landscape of one’s choice ; a calming landscape. It should then be attached to an existing part of the terrain, preferably at least 80 cm from the ground. Should it be placed higher, folding stairs have been provided. The room is entered by a large door ; in case of excessive heat, the door can be kept ajar as can the window that is situated at face level. Stretched out inside, protected by a bluish transparence, the view offered gives the sentiment that the room is placed in the center of a house without walls, without end, made-up only by a landscape and a horizon line. Lit from inside at nightfall, the room becomes a large blue lantern. One can remember upon seeing it from afar, without having to approach it, the sensations experienced while being inside it.
ténu
tenuous
112
113 chambre avec vue (d.i.r. n°1) / room with a view
204x86 ht. 164 (hors fixations) 2002 parois en sétacryl bleu ciel, structure en acier, assise en mousse et toile imperméabilisée partition walls in sky blue setacryl, structure in steel, seat in foam and water-proof cloth exposée au centre george pompidou de mars à octobre 2003, exposition design & habitat exhibited at the georges pompidou center from march to october 2003, design & habitat exhibition
114 dispositif individuel de révélation n°3 (d.i.r. n°3)/individual revelation system n°3 2003 acier, plexiglas, miroir pmma/steel, plexiglas, plexiglas mirror
320x110x40
115
116 dispositif individuel de révélation n°2 (d.i.r. n°2)/individual revelation system n°2
2003 construction en polystyrène, néon bleu, ampoule, sons s’échappant : je suis l’un dans l’autre polystyrene construction, blue neon, buble light, whispers : i am one in the other 230x420x280
117
Tout est question de disposition dans la mise en œuvre de l’espace de « la Verrière» auquel sont confrontés les artistes invités chez Hermès. Vu la dimension volumétrique du lieu, rares sont ceux qui ont réussi à ne pas s’y laisser piéger. David Saltiel est de ceux dont l’intervention dans ce lieu ne sera pas passée inaperçue. Grâce à une mise en place qui semble aller d’elle-même, mais que l’on devine étudiée avec soin, Saltiel emmène le visiteur à la rencontre de cinq architectures identiques : elles possèdent le gabarit d’une cabane mais offrent l’aspect d’une maison. Il s’agit là d’une première perturbation visuelle qui ne manquera pas d’en amener d’autres, pour peu que le visiteur se laisse prendre au jeu énigmatique que lui propose l’artiste. Si ces constructions sont limitées à un état de cabanes, elles ne constituent que des enveloppes et, à ce titre, toutes sont contenues dans une construction quasi similaire à la toiture elle aussi apparente, la salle de la verrière elle-même. Véritable mise en boîte, cette mise en perspective quasi tautologique trouve son prolongement dans une des cinq cabanes, la seule à être transparente, celle qui en abrite trois autres identiques mais à échelle réduite. Installées dans l’espace de telle sorte que l’on puisse circuler autour de chacune d’elles sans pour autant pouvoir embrasser l’ensemble du regard, les cabanes ne sont pas alignées comme des cabines de plage mais entrent en dialogue les unes avec les autres, soit par effet de transparence, soit par effet de miroir. L’enveloppe, la coque de ces cabanes est tout aussi importante que leur contenu, quoique ce dernier ne soit jamais accessible de la même façon. Si toutes disposent bien d’une porte, ces dernières n’ont pas toujours le même usage. Certaines donnent accès à l’intérieur des constructions, parfois simplement par l’artifice de l’oculus qui déforme la vision ou la perturbe tout à fait, en jouant des effets de miroirs tant extérieurs qu’intérieurs. Pour autant, le visiteur n’est jamais pris au piège, si ce n’est celui de la perception à laquelle il est plutôt invité à se confronter dans une ambiance cossue et musicale. Avec David Saltiel, les apparences sont en fin de compte plus trompeuses que la réalité, notamment parce qu’avec lui la notion d’échelle devient une réalité tangible, à la foi hors maquette et hors réalité, mais inscrite dans le présent de la perception sensorielle. La relation traditionnelle entre le privé et le public, l’intime et le social, l’individu et le groupe est ici mise en cause à chaque instant, comme s’il s’agissait de définir un moi improbable confronté à un ailleurs appréhendable de façon tactile et physique dans un subtil décalage avec le monde qui nous entoure. Bernard Marcelis
118 je serais ton miroir, vue partielle de l’exposition, la verrière hermès (bruxelles) 2002 I will be your mirror, selected view of the exhibition, la verrière hermès (brussels) 2002
Everything is a question of arrangement with the use of space at “la Verrière”, confronting the artists invited here by Hermès. Given the volumetric dimensions of the gallery, rare are those who succeed without being trapped. David Saltiel is among those whose intervention at this lieu will not go unnoticed thanks to an installation that seems natural, but which we deduce was designed with precision. Saltiel leads the visitor to encounter five identical architectural structures that have the form of a cabin but present the aspect of a house. This is the first visual disturbance that won’t miss out on creating others by the simple fact that the visitor falls prey to the enigmatic game that the artist offers. If these constructions are limited to the status of cabins, they not only constitute envelopes and, in this claim, they all have a roof as apparent as that of the “verrière” itself. An undeniable mockery, this putting in perspective quasi-redundant finds it’s prolongation in one of the five cabins; the only one that is transparent, the one which shelters three other identical, reduced scale cabins. Installed in the space so that visitor can move around each one without being able to take in the ensemble transparence, or by the effect of a mirror. The envelope, the shell of these cabins is as important as their contents, although this will never be accessible in the same manner. If they all well have a door, it doesn’t always have the same use. Some give access to the interior of the constructions simply by the artifice of an opening that deforms the vision or even completely perturbs it in playing with the exterior as well as the interior mirror effect. In spite of this, the visitor is never trapped, if this were only a perception for which he is more or less invited to confront in a rich and musical ambiance. With David Saltiel, appearances are, in the end, more deceiving than reality, notably because the notion of scale becomes a tangible reality, at the same time beyond model and beyond reality, however inscribed in the present with sensorial perception. The traditional relationship between private and public, intimate and social, individual and group is questioned continuously, as if intending to define an improbable “me” confronted by a accessible elsewhere in a tactile and physical way and in subtitle discrepancy with the world around us. 120
Bernard Marcelis maison en plexiglas, maison peinte, intérieur de la maison peinte/plexiglas house, painted house, inside the painted house 2002 acier, plexiglas, miroir pmma, bois, peinture/steel, plexiglas, plexiglas mirror, wood, paint 256x183x183
121
122 maison en papier peint / paperwall house 2002
papier peint/paperwall
256x183x183
123 maison miroir/mirror house 2002
miroir pmma/plexiglas mirror
256x183x183
Agir au sein de l’exposition comme nous le faisons en rêve Après la Verrière Hermès à Bruxelles où son installation fut considérée comme une révélation, David Saltiel investit l’espace Ricard. La disposition tripartite des lieux lui permet d’organiser pour le visiteur un parcours qui interroge ce qu’est habiter.
des décalages temporels la force de David Saltiel est de n’employer que des moyens purement plastiques pour opérer ce décalage dans notre sentiment du vécu de l’espace. Là le lieu affirme sa part inconsciente. Ça se vit au dedans.
Il procède par une série de passages qui opèrent des retournements d’espace sur eux-mêmes. La première installation en vestibule rétablit le dedans dedans comme s’il n’y avait plus d’extérieur. La seconde avec son miroir d’eau installe le dehors dedans. De petites cabanes y pullulent dans une sorte de cauchemar domestique tandis qu’une porte projetée exclut toute sortie effective. La dernière pièce opère une translation d’un seuil dehors dedans qui nous fait pénétrer grâce à une porte en plume de paons dans un espace intérieur qui n’est autre qu’une image vidéo projetée.
Ce dispositif antérieur reste aujourd’hui opérant, à l’épreuve du titre du présent ouvrage, cet intérieur se revendique ici photographiquement dans la possibilité d’une sortie vers un horizon ménagé en réserve. Il semble redonner ainsi raison en oeuvres à Bernard Lamarche-Vadel quand il prophétisait en 1995 dans Lignes de mire : “Mais nous le savons déjà, ne resteront en réalité au delà des images, que d’authentiques problématiques de vision, ce par quoi voir n’est pas reconnaître, mais le difficile apprentissage de seuils inédits de la perception du monde”.
Le recours poétique à la maquette, aux éléments simples du quotidien, tapis, portes, tapisseries, l’utilisation fictionnelle du son amène la démarche de l’artiste dans la proximité, dans la continuité de l’oeuvre de Patrick Corillon. Ce n’est pas le texte ici qui fonde la fiction mais le jeu des échelles et des passages. Cette sensation de dédoublement psychique qui en résulte nous permet d’agir au sein de l’exposition comme nous le faisons en rêve, avec l’étrange sentiment de nous voir agissant dans cette simultanéité proprement onirique.
La mise en abyme elliptique et baroque du lieu, dans “les allers-retours” que Denis Roche revendiquait dans la chambre blanche s’ouvre encore dans le déploiement des supports techniques (vidéo, installation, miroirs, surfaces absorbantes et déformantes) rendant compte image des procédures in situ (ce que manifeste un projet comme j’ai été inachevé inaccompli infini). Oui, David Saltiel par une certaine désaffection oisive affichée cardinalement nous apprend à habiter poétiquement le monde, dans une infinité de passages dedans dehors, rêve d’exposition et réalité de nous vivant dans un paysage intériorisé.
Si Dan Graham a su opérer ce genre de déstabilisation du spectateur grâce à une technologie vidéo jouant
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Christian Gattinoni
détail du papier peint dont le motif principal est un médaillon au centre duquel se trouve une sauterelle (la mort) entourée d’abeilles, de papillons et de scarabées : c’est la vie (productive, éphémère et magique) qui danse autour de sa propre fin.
detail of the wallpaper with a medallion as principal motif in the center of which there’s a grasshopper (death) circled by bees, butterflies and beetles : it is life (productive, ephemeral and magical) dancing around its own end.
le couloir, ou tout ça pour ça (détail intérieur)/the corridor (inside detail) 2003 tapis, miroir pmma, papier peint, voix venant de chacune des 10 portes carpet, plexiglas mirror, wallpaper, voices coming through each of the 10 doors
6x2m ht.2,8m
ça et là, vue partielle de l’exposition à la fondation d’entreprise ricard, 2003 here and there, selected view of the exhibition, ricard foundation, 2003
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React in the exhibition as we do in dreams After the Verrière Hermès in Brussels where his installation was considered a revelation, David Saltiel engaged the Ricard foundation. The triple arrangement of the galleries permitted him to organize a journey on which the visitor could interrogate what is inhabited. He proceeded by a series of passages creating a space that turned back on itself. The first installation in the vestibule reestablished the inside inside, as if the exterior no longer existed. The second, with its mirror of water, brought the outside inside. Little cabins swarm it like a kind of domestic nightmare whereas a projected door effectively excludes exiting. The last room shifted the outside threshold inside, forcing us to go through a door made of peacock feathers into an interior space that is nothing but a projected image. The poetic recourse of a model made of simple, ordinary elements ; a rug, a door, tapestries, and the functional use of sound brings the artist’s approach in proximity, in continuity with Patrick Corillon’s work. In this case it isn’t the text that establishes the fiction, it’s the interaction of scale and passageways. This sensation of physical separating permits us to react as if dreaming the exhibition, with the strange sentiment of seeing ourselves reacting in this dreamlike simultaneousness. If Dan Graham knew how to destabilize the spectator in this manner by using video technology that played with temporal time shifting, David Saltiel’s force is
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to use only purely artistic means to stimulate time shifting within our feeling of inhabiting space. Here the space asserts its inconsistent part. There exists within us. This former device remains operational today, proof is found in the title of the present work; here, this interior photographically claims the possibility of an exit towards a horizon provisionally set aside. It thus seems to support Bernard Lamarche-Vadel with artwork when, in 1995, he prophesised in “Lignes de Mire” (Surveyors lines) : “But we know it already, in reality the only thing remaining beyond image is an authentic visual problematic, proving that seeing is not knowing, but, rather, the difficult apprenticeship of forbidden thresholds in the perception of the world”. The making of an elliptical and baroque place within a place, in “return trips” that Denis Roche proclaimed “dans la chambre blanche” (“in the white room”) opens itself again by using technical supports (video, installation, mirrors, deforming and absorbing surfaces) realizing procedural images insitu (as manifested in a project such as : I have been unfinished unachieved infinite). Yes, by a kind of idle disaffection cardinally displayed, David Saltiel teaches us to live poetically in the world, in an infinite number of passings-crossings inside and outside, a dream of an exhibition and a reality of living in an internalized landscape. Christian Gattinoni
127 le vrai cauchemar/the true nightmare
2003 bassin en miroir, cage en inox, 22 maisons roses mirror pond, stainless steel cage, 22 pink houses
derrière la porte verte (hommage à marilyn chambers) behind the green door (tribute to marilyn chambers) 2003 vidÊo
128
daniel buren
jardins secrets 3, avec d.buren, a.leccia, s.zhen… commissaire j-l pradel, ivry 1999 secret gardens 3, with d.buren, a.leccia, s.zhen… curated by j-l pradel, ivry 1999 maison en briques/red stone house 1999
briques, zinc, ciment, bois brûlé/red stone, zinc, cement, burned wood
256x183x183
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130
Maison dont chaque paroi extérieure est un grand miroir ; à l’intérieur, les murs, le plafond et le sol sont en pierres sèches, vaporisées d’eau en permanence, afin que la végétation envahisse les interstices. Des petits miroirs sont disposés aux alentours, incrustés dans l’écorce des arbres et dans les murs de certains bâtiments existants.
projet/project 2002
Home with mirrored outside walls ; the inside walls, ceiling and floor are of dry stones which are permanently vaporized with water so that vegetation takes over the crevices. Little mirrors are placed all around, incrusted in tree bark and in the walls of some of the existing buildings.
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132 maison en plomb/lead house 2000
tirage argentique 100x90
1/3
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projet pour la ville de mulhouse architecte anma / paysagiste territoires 2007 béton, leds, miroirs, structure inox
expositions personnelles
2009 2006 2005
2002 1997
le meilleur des mondes bound to be alive archétype n°0 e(n)tre ça et là installation pour le bal jaune je serai ton miroir nseo
expositions collectives
2006 2005
nuit blanche versailles off fiac 2005 artbrussel 2005 best of france 2004@shanghaï à quoi ça sert ? installation pour le bal jaune fiac 2004 l’intimité, le collectionneur derrière la porte ensemble d’intérieurs l’un dans L’autre design et habitat travailler le repos insensé l’art du jardin jardins secrets 3 salon de montrouge
2003
2004
2003
2002 2001 2000 1999
(frac haute-normandie, sotteville-lès-rouen) (krings-ernst gallery, cologne, allemagne) (centre d’art de la maréchalerie, versailles) (galerie dominique fiat, paris) (fondation d’entreprise ricard, paris) (hôtel d’évreux, paris) (la verrière hermès, bruxelles) (galerie transversale, paris)
(paris) (versailles) (avec la galerie dominique fiat) (“ “) (“ “) (shangaï / chine) (avec absalon, f.hyber, b-lavier... galerie dominique fiat) (en association avec camille henrot, paris) (avec la galerie dominique fiat)
(la maison rouge, paris) (galerie corinne caminade, paris) (l’imprimerie, aubervilliers) (centre george pompidou, paris) (l’imprimerie, aubervilliers) (sens) (avec f.hyber, e.dietman... commissaire galerie papillon-fiat) (avec d.buren, a.leccia, s.zhen… commissaire j-l.pradel)
134
enseignement/workshop (sélection) 2008-09 maître assistant associé art plastique (école nationale d’architecture de versailles) 2007-09 classe à projet artistique 2000 installation au parlement des enfants (assemblée nationale, paris) 1998
travail avec les enfants de la source
(la guéroulde)
Grand mur à arase oblique avec une main courante lumineuse moulée dans son épaisseur qui ne mène nulle part. A l’avant de ce mur, se dresse une grande installation circulaire de 9,4 mètres de diamètre constituée de 48 miroirs à deux faces de 4 mètres de haut. Cette sculpture est éclairée de l’intérieur, du crépuscule à l’aube, dans la même couleur que celle de la main courante (vert vif au printemps, vert sombre l’été, orange au début de l’automne rouge sombre à la fin, bleu gris l’hiver).
intervention in situ (sélection) (paris) 2004 intervention au café le fer à cheval 2001 décors au café les philosophes (paris) 1999 décors du café l’étoile manquante (paris) 1994-1996 chef de projet multimédia
(éditions du seuil)
formation
2008 dnsep-art (rueil-malmaison) 1990 dess stratégie planification contrôle (paris-dauphine)
revue de presse
(sélection)
2006 archistorm n°17 2005 art press n°313
paris-art.com
2003 art press n°287
exporevue.com libération 27 jan. paris première/paris design 2002 l’écho de bruxelles intramuros n°103 la capitale le soir/victor france culture 6 sept parpaings n°34 2001 carnet (italie) elle décoration n°111 home (allemagne) 2000 wad n°5
(nicolas michelin) (carole boulbès) (xavier testot) (bernard marcelis) (christian gattinoni) (henri-françois debailleux)
(bénédicte duhalde) (olivier hepsel) (catherine callico) (xavier girard/surpris par la nuit)
publications
2007 in 4 am (4 ans d’art à la maréchalerie)
(archibooks)
2006 archétype n°0
(éditée la maréchalerie et l’école nationale d’architecture de versailles) 2004 je serais ton miroir (document de mémoire édité par la verrière hermès, bruxelles)
135
horizon intérieur est une coproduction Ceysson Krings-Ernst gallery Fondation d’Entreprise Ricard Maison Hermès McCann Paris
conception et réalisation David Saltiel
crédits textes © Bernard Marcélis, 2003 - p.114 texte publié dans artpress n°287 © Nicolas Michelin, 2005 - p.89 texte publié dans archétype n°0 édition de la Maréchalerie © Xavier Testot, 2005 - p.74 texte publié dans paris-art.com © Christian Gattinoni, 2003/2007- p.120
crédits photographiques
Remerciements chaleureux à : Marc Donnadieu Christian Gattinoni Bernard Marcelis Nicolas Michelin Xavier Testot Colette Barbier Pierre-Alexis Dumas Thomas Krings-Ernst Jean-Philippe Martzel Catherine Tzékénis
© David Saltiel sauf : © Hélène Orlati, La Maréchalerie - p.93 © Alexandra Compain-Tissier - p.113 © Sonia Fleishmann - p.114 © Fabien de Cugnac - p.117 à 121
Fabien de Cugnac Hélène Orlati
traductions anglaises
Pierre Antoine Alexandra Compain-Tissier Dominique Fiat Alice Morgaine Delphine Quoi Marc Sautereau
Carole Frot-Farra
coordination éditoriale Sérine Douib et Maryline Robalo
imprimeur Grafix Centrum Poligrafi, Gdansk
Carole Frot-Farra Marie Luise Syring
Marie de Lussigny Emmanuel Paintendre
L’édition de horizon intérieur a été imprimée à 1 000 exemplaires dont 10 exemplaires de tête, signés et numérotés par l’artiste, présentés en coffret et enrichis d’une photographie originale de l’artiste. Dépôt légal : 1er trimestre 2008 ISBN : 978-2-9156-3994-0 © Archibooks+Sautereau éditeurs 2008 © david saltiel projet 2008
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137 projet/project 2002
interroger la nature de cet horizon est un travail sur la nuance, le contraste, l’intensité, le reflet, l’indistinction, tout un travail sur la perception, sur ce qui nous échappe, ce qui est à la fois tenu et ténu ; il pourrait s’agir de distinguer l’infini.
interrogating the nature of this horizon is a work on nuance, contrast, intensity, reflection, indistinction, a work on perception, on what escapes to our comprehension, what is at the same time tangible and tenuous ; it could be distinguishing infinity.
conversation avec marc donnadieu
directeur du frac haute-normandie
textes de christian gattinoni
rédacteur à la critique.org
bernard marcelis
critique d’art & commissaire d’exposition
nicolas michelin
architecte & urbaniste
xavier testot
critique & professeur d’art plastique
ISBN : 782915639-5
138
prix de vente : 19 euros
une coproduction ceysson krings-ernst gallery fondation d’entreprise ricard maison hermès mccann paris