Construire la ville ensemble La place des habitants dans la conception d’une place publique
Travail de fin d’études, Delepaul Jean Avec Madame Béatrice Renard comme promotrice Et Dom Moreau et Véronique Skorupinski comme expertes
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Remerciements Je tiens tout d’abord à remercier Khadija, ma femme, pour son soutien et ses encouragements. Je remercie également ma famille, qui m’a toujours soutenu, et en particulier ma sœur Marie-Jeanne pour son aide à la relecture et à la correction des fautes d’horographes. Je tiens à remercier mes professeurs Éric Van Overstraeten, Pierre Accarain et Béatrice Renard pour l’aide, les conseils et l’apprentissage précieux qu’ils m’ont donnés. Je tiens à remercier Dom Moreau et Véronique Skorupinski, mes expertes, pour le temps et les connaissances qu’elles m’ont transmises. Enfin je tiens à remercier toutes les nombreuses personnes que j’ai rencontrées et qui m’ont permis de faire évoluer mes réflexions et mon travail.
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« Moving elements in a city, and in particular the people and their activities, are as important as the stationary physical parts. We are not simply observers of this spectacle, but are ourselves a part of it, on the stage with the other participants. » 1
1 Kevin Lynch, The Image of the City, The M.I.T. Press, Massachusetts Institute of Technology Cambridge, Massachusetts, and London, England, page 2 traduction personnelle : « Les éléments mobiles d’une ville, et en particulier les personnes et leurs activités, sont aussi importants que les parties physiques stationnaires. Nous ne sommes pas simplement des observateurs de ce spectacle, mais nous en faisons partie, sur la scène avec les autres participants. »
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Avant-propos Le besoin d’approfondir mes connaissances et de répondre à des questions personnelles sur l’implication des habitants dans la fabrique de la cité est né lors de mes expériences professionnelles dans des cabinets d’architecture. C’est en effet grâce à celles-ci que j’ai découvert le rapport entre maître d’œuvre et maître d’ouvrage. J’ai ainsi réalisé trois projets, une cuisine dans une vieille maison datant du XIXème siècle, la réhabilitation d’un ancien garage en clinique vétérinaire et un pavillon extérieur en pisée pour étudiants à Saint Luc. A chaque fois, les utilisateurs des lieux, par leurs usages du lieu et leurs connaissances personnelles ont permis de transcender le projet, de le rendre davantage pertinent et fonctionnel par rapport aux nombreux enjeux qui régissent un projet d’architecture. Loin de se contenter d’un rôle d’observateur, l’habitant modèle l’espace par ses usages, ses besoins, ses coutumes… En partant de ce constat personnel, j’ai décidé de profiter de mes années de Master d’études en architecture et urbanisme pour étudier sa transposition depuis de petits projets d’architecture à un grand projet architectural et urbanistique.
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Sommaire Remerciements Avant-propos Introduction – Réflexions sur l’urbanisme Problématique Chapitre 1 : De nouveaux acteurs ?
3 5 8 11 13
1.1 Des protagonistes déjà présents
- L’appropriation de l’espace public - Des pratiques ancestrales
14
- Le quartier, espace d’appropriation
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1.2 Une nouvelle prise de parole
14 15
18
- Une mobilisation et une visibilité grandissante - Une remise en question des politiques
18 20
- Une remise en question des experts traditionnels
23
1.3 Un/des acteurs ?
25
- Une notion floue - Une première classification des acteurs - Théorisation des apports habitants Conclusion
25 25 26 29
Chapitre 2 : Comment les intégrer ?
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- Le projet local - Le référentiel de Sherry R. Arnstein - Trois grandes typologies de processus observé et analysé
32 32 34
- Le contexte - La démarche - Les résultats - Réflexions
2.1 Evaluer l’implication citoyenne
32
2.2 Etude de cas personnel : la passerelle de l’arche à Tournai
37
2.3
45
6
Etude de cas personnel : change ta classe ! - Le concept - L’art Rue - Le protocole mis en place - Les résultats
37 39 41 43
45 45 46 48
- Réflexions Conclusion
50 51
Chapitre 3 : Mise en Pratique : Le Terrain Populaire, l’aménagement collectif d’une place public
53
3.1 Présentation du site
56
3.2 Les débuts
62
3.3 La renaissance
74
- Transformer un terrain militaire en terrain populaire
- Contexte étendu - Contexte historique - Contexte rapproché
- La naissance du collectif ou « l’étincelle » - Le quartier - Le commencement - Le processus mis en place - Les résultats - Les premières difficultés
- La persévérance - L’aménagement d’une petite place - De nouvelles difficultés
3.4 Une nouvelle reprise
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56 58 60
62 65 66 66 68 72
74 76 82
84
- Nos motivations - Le processus mis en place 3.5 Le projet - Concept - Aménagement du sol - Le bâtiment - Réalisation du projet
84 84 89 89 90 92 102
Conclusion Annexes Bibliographie
104 111 131
3.6 Le futur du terrain populaire
103
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Introduction – Réflexion sur l’urbanisme « Il [l’urbanisme] naît à partir du moment où quelqu’un estime nécessaire, à tort ou à raison, d’engager ou de provoquer une action pour transformer les modes d’utilisation de l’espace et aboutir à une « situation jugée préférable » expression elle aussi empruntée à la définition de Pierre Merlin. La question de la manière d’effectuer les choix, et, par voie de conséquence, celle des critères de décisions, sont donc bien centrales et, si l’on peut dire, fondatrices de la spécificité d’une démarche d’urbanisme »1 . Comme le décrit Jean-Paul Lacaze, si on veut analyser la fabrique des villes, il faut avant tout l’aborder par la question de la prise de décision avant même celui de l’espace.
Les prémices Avant l’apparition du terme urbanisme, qui a été développé par Cerdà à la fin du XIXème siècle, et en dehors des réflexions et réalisations durant la Renaissance, la ville se constituait majoritairement de manière informelle, par addition d’éléments à l’intérieur d’un espace protégé du monde extérieur par des remparts. Camillo Sitte, dans son ouvrage l’Art de Bâtir les Villes, nous explique notamment l’élaboration des places du Moyen-Âge et notamment le placement des statues et fontaines2 . Il compare alors la méthode utilisée à celle que les enfants utilisent toujours pour construire des bonshommes de neige. Ceux-ci les érigent avec la neige la plus fraîche et propre que possible. Cette neige immaculée se trouve naturellement en dehors des endroits de passage et c’est donc là que se trouvent leurs constructions. C’est exactement avec le même principe que nous aménagions les places des bourgs dans le temps. Ces places n’étaient pas pavées ou bitumées comme aujourd’hui. Il suffisait alors de construire les fontaines ou les statues à l’écart des chemins tracés par les usagers. Cette mise à distance était d’autant plus importante à l’époque, car les fontaines n’avaient pas qu’un rôle décoratif et les habitants et les bêtes venaient y chercher de l’eau. Ainsi c’est l’usage qui définissait l’espace. A cela, il rajoute qu’aujourd’hui (fin XIXème siècle), les architectes sont déconnectés de cette réalité d’usage et que c’est pour ça que tant de gens sont nostalgiques de ces places adaptées à l’Homme et non à une grande vue d’ensemble. A noter tout de même, qu’il refuse de tomber dans cette simple nostalgie. 1 Jean-Paul Lacaze, Les méthodes de L’urbanisme, Presse Universitaire de France, page 8 2 Camillo Sitte, L’Art de Bâtir les Villes, gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, page 30
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L’urbanisme des Modernismes Ce courant se développe dans une société et une ville en plein bouleversement. Les villes grossissent rapidement, les véhicules se démocratisent, des usines se construisent… Ce développement très rapide cause de multiples problèmes (congestion, insalubrité, etc.). Ceux-ci sont amplifiés par de nombreux modernistes. Jane Jacobs compile plusieurs de ces remarques : « La vieille ville jugée responsable de tous les maux. […] une véritable monstruosité, le siège d’une tyrannie, une mort vivante dont il fallait se débarrasser ; la partie centrale de New York, « un chaos figé » (Mumford). La forme et l’apparence des villes n’était rien d’autre « [qu’] un accident chaotique ... résultat dû au hasard des lubies contradictoires d’un grand nombre d’individus égocentriques et malavisés » (Stein). Quant aux centres des villes, ils se réduisaient à « des premiers plans remplis de bruit, de saleté, de mendiants, de boutiques de souvenirs et où la concurrence entre publicités criardes se donne libre cours » (Bauer) »1. Face à ce constat d’une vieille ville totalement inadaptée voire nocive pour ses « nouveaux » habitants, le mouvement conçoit une ville nouvelle. Ils veulent établir une nouvelle forme urbaine, forme ultime et universelle qui résoudrait les nombreux problèmes urbains de leur époque. Cette vision est formalisée puis publiée2 , pendant la première moitié du XXème siècle, à la suite du IVe Congrès international d’architecture moderne (CIAM) dont Le Corbusier étais le leader. Cette ville est réfléchie de manière rationnelle. Elle est décomposée en quatre parties, quatre fonctions. Celles-ci sont Habiter, Travailler, se Cultiver (détente, loisir…) et Circuler. Les individus et leurs coutumes ne sont plus pris en compte, tout comme les constructions existantes. Les décisions sont alors prises depuis le haut, de manière autoritaire. C’est ce qu’on appelle le système top-down. Cette manière de procéder est très bien décrite par Le Corbusier lui-même, lorsqu’il évoque sa proposition pour un concours dans la ville de Stockholm : « A Stockholm, une presqu’ile et une île, toutes deux couvertes de taudis, réclamaient des aménagements neufs. […] L’avion nous a donné la vue à vol d’oiseau. Les plans ne sont plus seulement un jeu de l’esprit ; ils se voient désormais. Et l’esprit réclame de l’ordre et de la grandeur. »3
1 Jane Jacobs, Déclin et survie des villes américaines, page 33 et 34 2 Elle est publiée sous le nom de la Charte d’Athènes. 3 Le Corbusier et François de Pierrefeu, La maison de Hommes, Paris, librairie Plon, 1942, page 204
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L’urbanisme post-moderne Dans les dernières décennies du XXème siècle, l’industrialisation et l’utopie du progrès salvateur s’effritent, avec pour conséquence une remise en question (entre autres) de la démarche urbanistique des modernes. Ces questionnements se font autant par les pouvoirs publics, les architectes et urbanistes que par les citoyens. Parmi ceux-ci, nous pouvons citer la Charte d’Aalborg qui est élaborée dans les années nonante. Elle rejette la charte d’Athènes et prône une nouvelle façon de faire la ville, plus locale et écologique. Nous pouvons également citer Jane Jacobs qui nous montre le désespoir de certains habitants face à un urbanisme absolu : « Lorsqu’on a construit ces immeubles, personne ne s’est soucié de savoir ce que nous voulions. Ils ont démoli nos maisons, nous ont forcés à rester ici et ont forcé nos amis à s’en aller. Il n’y a pas d’endroit par ici où l’on puisse prendre une tasse de café ou acheter le journal, ou encore emprunter cinquante cents. Personne ne s’est soucié de nos besoins. Mais les gros bonnets viennent voir ce gazon et disent : « N’est-ce pas merveilleux ! Maintenant les pauvres ont tout ce qu’il leur faut. »1. Nous assistons depuis, à une certaine décentralisation des prises de décisions avec notamment en France la Loi Defferre (1981) qui a pour objectif de « rapprocher les citoyens des centres de décision, responsabiliser les autorités élues et leur donner de nouvelles compétences, favoriser le développement des initiatives locales »2 . Elle fut suivie par d’autres comme la loi Pasqua (1995) ou encore la loi Voynet (1999).
1 Jane Jacobs, Déclin et survie des grandes villes américaines, Architecture + Recherches / Mardaga, page 28 2 http://www.vie-publique.fr/politiques-publiques/decentralisation/lois-defferre/
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Le travail que je vous présente ici a pour but d’interroger ces nouvelles pratiques et leurs acteurs qui essayent d’être plus soucieux des enjeux et besoins locaux . Il se fera par une approche théorique mais également et surtout par des recherches de terrain, avec comme point central l’élaboration d’une place publique avec les habitants : Le Terrain Populaire à Tournai.
Quelle place pour les Habitants dans la fabrique de la ville ?
Cette question globale résume l’ensemble des interrogations que je me suis posées durant ce travail :
- Qui sont les militants en faveur de ce genre de processus ? - Quels sont les avantages ? - Quelles sont les difficultés ? - Comment les mettre en place ? - Quelles conséquences ? - Quels avenirs ?
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« La ville est le lieu de la citoyenneté par excellence, mais c’est encore plus le produit de l’exercice quotidien de la citoyenneté. La ville exprime une ou plusieurs identités qui sont le fruit des pratiques sociales, culturelles et politiques de ses habitants… »1
1 Silvia Bolos, participación y espacio público, Universidad de la Ciudad de México, 2003, page 22
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Chapitre 1 : De nouveaux acteurs ? Si nous nous basons sur l’histoire et la définition conventionnelle de l’urbanisme, la participation des habitants dans la conception urbaine peut sembler complètement paradoxale. Mais pourtant, les habitants sont-ils réellement absents dans la fabrique de la ville ? Nous verrons dans un premier temps qu’ils en ont toujours fait partie, mais essentiellement de manière discrète et anonyme. Puis nous verrons comment ils s’affirment de plus en plus de nos jours et les rapports qu’ils entretiennent avec les professionnels (pouvoirs publics et experts). Nous le ferons par le biais de déclarations de collectifs et d’habitants. Enfin nous nous pencherons sur la notion d’habitant ainsi que sur la théorisation de ses différents apports.
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Des protagonistes déjà présents L’appropriation de l’espace public D’après Antoine Fleury1, ce terme renvoie à deux idées principales. L’une est d’ordre abstrait, celui d’un échange d’idée ouvert, auquel tous pourraient participer. La seconde est concrète, elle représente un lieu où les citoyens peuvent se rencontrer, se retrouver et discuter. Si nous prenons simultanément les deux sens, l’espace public est donc un espace appartenant à tout le monde (accessible sans restriction) où s’élabore une réflexion collective. Mais nous ne faisons pas que nous y balader, nous l’habitons. Nous faisons nôtre cet espace, que ce soit physiquement et/ou psychologiquement. « C’est ainsi que la ville en tant qu’espace – ouvert à tous et n’appartenant a priori à personne – se transforme peu à peu en lieu – c’est-à-dire un espace vécu, reconnaissable et familier »2. Ce serait donc par une forme d’appropriation des usagers d’un espace, que celui-ci deviendrait davantage qualitatif. L’appropriation d’un espace public par ses usagers est plurielle. Il y a celle dite exclusive qui est peu répandue (privatisations…), ainsi que celle autonome. Elle signifie une production et/ou une occupation libre de l’espace plus ou moins forte. Elle est fortement liée à une connaissance du lieu, souvent appelée familiarisation. Comme le nom l’indique, l’espace devient personnellement lié avec son usager. Ainsi il le connait très bien et il peut donc facilement s’y déplacer, se repérer et l’occuper. Elle également lié à un attachement affectif. Nous appartenons à un espace et cet espace nous appartient. « Ici, je fais partie des meubles, à force je connais tout le monde », m’a dit un habitant lors d’une discussion. De cette affection ressortent des habitants attachés à leurs quartiers et aux valeurs qu’ils portent. De par cet amour, ils se mobilisent afin de le nettoyer, de l’améliorer en faisant des jardins, réparer des trottoirs… Elle va même parfois à l’encontre de l’espace tel qu’il a été conçu en changeant son utilisation (parking transformé en terrain de basquet…).
1 Antoine Fleury, Espace public, hypergeo, http://hypergeo.eu/spip.php?article482 2 De Certeau Michel, Giard Luce, Mayol Pierre, L’invention du quotidien, Arts de faire, Paris 1990
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Cette affection envers son quartier peut être très touchante et très puissante. L’un des plus beaux exemples, à ce sujet, que je connais est celui que m’a raconté Caroline Jesson1, qui anime entre autres des ateliers d’écritures au sein des Ecrivains Publique de Wallonie Picarde. L’organisation avait lancé un projet dans le quartier Saint Piat de Tournai, où beaucoup de gens sont en situation précaire. L’intitulé du projet était : « Vous aimez votre quartier ? Venez le raconter ». L’objectif initial était de collecter des récits de quartier et de vie, afin de les compiler en un livret agrafé et de le distribuer. Mais, face à l’énorme succès de la démarche, ils ont fini par faire un véritable livre « plein des petites histoires dans la grande ». De plus, les habitants qui ont repris confiance, grâce à ce travail collectif, se sont mis avec l’aide de la commune à réparer leur quartier. Ils ont mis un récupérateur d’eau à la fontaine, ce qui lui a permis de fonctionner en permanence (sauf par grand froid), ils ont « retapé » certaines façades, une soupe collective ainsi que des distributions de vêtements se sont organisées, une maison de quartier « pichou » (nom emprunté à la fontaine), puis une deuxième ont été ouvertes par les habitants. Le Noël suivant ils ont fabriqué des étoiles et les ont données aux habitants pour qu’ils décorent leurs façades. Depuis ce projet qui a permis aux habitants de se réunir en l’ASBL Al maison du Pichou, les nombreux volontaires œuvrent à aider le quartier et ses habitants qu’ils aiment tant.
Des pratiques ancestrales Cette action habitante qui aménage et transforme la ville n’est pas nouvelle. Elle fut d’ailleurs par moment inscrite dans les lois et sur les cartes. Au Moyen-Âge, ils étaient appelés Communs. Ces endroits, comme nous l’explique Chloé Salembier 2, étaient libres d’accès et d’usage. En somme, ils appartenaient à tous, d’ailleurs ils étaient également entretenus par l’ensemble des habitants de la cité. Ils permettaient aux gens de se nourrir, de faire de l’élevage… mais surtout ils facilitaient les rencontres, c’est ici que l’on célébrait les fêtes, les mariages, bals… Ces derniers ont disparu au fur et à mesure à travers sa privatisation, ou accumulation primitive du capital, ce qu’explique Karl Marx dans Le Capital (1867).
1 Caroline Jensson, que j’ai rencontrée et interviewée le mardi 7 février 2016, http://www.espace-ecrivain-public.be/index.php?option=com_contact&view=contact&id=5&Itemid=45 2 Chloé Salembier, Les communaux à l’époque féodale, Récits d’urbanisme et question des communs, LouvainX: Louv15x, EDX.
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On voit bien sur cette carte, le commun (common en anglais) Plan mĂŠdiĂŠval, https://www.shadowedrealm.com/medieval-maps/plans/view/plan_of_a_medieval_manor
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Le quartier, espace d’appropriation De nos jours, l’action habitante se focalise essentiellement sur une petite échelle. Cela est dû à plusieurs facteurs, soit par manque de moyens et/ou de vision d’ensemble, mais aussi et surtout, comme nous l’avons vu, par une connaissance approfondie et un sentiment d’appartenance. Or ces conditions sont réunies, en général, lorsque l’espace est proche de son lieu d’habitat. « [Le quartier est la] partie de la ville dans laquelle on n’a pas besoin de se rendre, puisque précisément on y est »1. Cette appartenance est plus forte pour un quartier, qui est l’extension de son chez soi, l’endroit de rencontre avec ses voisins et amis. « C’est mon quartier, je suis fière d’y être »2. Il est donc tout à fait normal que ce soit les premiers lieux à être touchés par ces actions, surtout lorsque l’identité du quartier est forte (que ce se soit de manière positive, négative ou neutre). L’échelle des projets d’habitants est donc essentiellement celle du quartier, même si le concept de quartier est variable selon les individus. « Produit d’une histoire accumulée, où s’imbriquent des sédimentations durables mais parfois aussi des mutations brutales, il forme une unité relative »3. De plus, de grands édifices, symboles des villes, peuvent tout à fait faire en sorte que tous les habitants d’une ville se sentent concernés. Ainsi comme me l’a expliqué Marie-Hélène Elleboudt4, pour le projet de modification du Ponts des Trous à Tournai, de nombreux Tournaisiens se sont exprimés, sans être forcément à proximité ou même le voir tous les jours. Parce que ce pont, symbole de la ville de Tournai ; de leur ville, est donc leur emblème également.
1 Perec Georges, Espèces d’espaces, collection l’espace critique, Paris, Edition Galilée, 1974 2 Parole d’un habitant du quartier Saint Jean, durant l’une des festivités que nous avons organisé. 3 Lefebvre, Vers le cybernanthrope, contre les technocrates, Paris, Denoël/Gonthier Bibliothèque Médiation 4 https://www.faciliyo.be/
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Une nouvelle prise de parole Une mobilisation et une visibilité grandissante « Bonne nouvelle ! […] Suite au succès du « Picnic Colignon » et après une importante mobilisation citoyenne constructive et enthousiaste tout au long de l’année 2016, la commune de Schaerbeek a finalement intégré la place communale au programme du nouveau Contrat de Quartier Durable Pogge – programme de rénovation urbaine – en vue d’y mener un projet d’ « activation » de l’espace public. Objectif: améliorer le partage de l’espace public, expérimenter de nouveaux usages, renforcer la cohésion sociale et augmenter la convivialité dans le cœur de la commune. »1 Cette victoire, remportée par Imagine Colignon, une initiative citoyenne visant à promouvoir la réappropriation progressive de la place par les habitants, illustre très bien les nouveaux rapports de force qui ont lieu entre habitants et pouvoirs publics. En effet les habitants ont plus que jamais la possibilité d’exprimer des besoins, mécontentements, idées, mais également, parfois, d’imposer leur présence autour des tables de discussion. C’est ce qu’a fait cette association (avec d’autres). Les pouvoirs publics ont décidé de créer un nouveau métro dont l’un des arrêts serait sur cette place. La commune a ainsi décidé de profiter de ces futurs travaux pour réaménager la place. Mais les habitants, qui n’étaient pas conviés dans les décisions d’un projet à l’échelle de la ville de presque deux milliards d’euros, se sont localement rassemblés en associations. Ensemble ils ont publié sur internet et dans les journaux une carte blanche2 à destination des politiques. Ces derniers ont ainsi dû changer leurs stratégies de conception du projet.
1 Introduction de l’article Appel à candidatures: espace public et lien social, publié le 3 mai 2017 par Imagine Colignon 2 Mélissa Poucez, Imagine Colignon et un collectif de signataires dont voici les autres membres : Antoine Baudot (Collectif HELMeTRO) Benoît Toussain (Comité de quartier Voltaire-Eenens-Metsys) Emmanuel Degrève (Comité de quartier Cage aux Ours) An Descheemaeker (coordinatrice du BRAL, mouvement urbain pour Bruxelles) Eric Corijn, (professeur Etudes urbaines VUB) Jean Louis Genard (professeur ULB La Cambre-Horta) Michael Ryckewaert (professeur Planification VUB) Kobe Boussouw (professeur mobilité VUB) Christophe Mercier (urbaniste, architecte) Dag Boutsen, (doyen de la Faculté d’Architecture KU Leuven, Campus Sint-Lucas) Tine Van Herck, (professeur invité KU Leuven, Faculté Architecture, Campus Sint-Lucas&manager PTA), Mais qui construit le métro à Bruxelles?, La libre, http://www.lalibre.be/debats/ opinions/mais-qui-construit-le-metro-a-bruxelles-opinion-58d1611bcd705cd98e155e7a
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From car park to picnic – Brussels, Imaginecolignon, https://imaginecolignon..wordpress.com
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En effet, suite à un certain affaiblissement des pouvoirs publics, ceuxci, face à une complexification des enjeux et une baisse de leur budget, essayent de trouver de nouvelles manières de faire, notamment grâce à la mobilisation citoyenne. L’essor des nouveaux moyens de communications a également énormément aidé cette évolution. « Le temps où la ville était réservée aux seuls urbanistes et architectes est révolu. Grâce à Internet et aux réseaux sociaux, elle s’invente désormais en co-création avec les citoyens. De Laval à Amsterdam en passant par Strasbourg et le Texas, tour d’horizon des villes où s’inventent de nouveaux modèles d’urbanisme participatif. »1
Une remise en question des politiques Les habitants, longtemps exclus des discussions et réflexions, sont souvent très sceptiques par rapport aux politiques. Cette tendance s’accroit de plus en plus comme le montrent les sondages TF1-Sofres. Ils nous indiquent qu’en 1985 seulement une personne sur cinq faisait confiance aux hommes politiques et en 2001 légèrement moins d’une personne sur quatre . Cette défiance a souvent des conséquences importantes sur les processus de réflexions. En effet, il est compliqué de travailler et débattre ensemble lorsque les gens ne se font pas confiance. Cela mène à un cercle vicieux. Les habitants, méfiants, ne s’impliquent pas dans les différentes réunions et devant les faibles taux de participation, les politiques jugent les habitants non motivés ou pas intéressés par la question. Cette méfiance est néanmoins tout à fait compréhensible, les exemples où les habitants se sentent lésés sont légions. Ainsi si nous reprenons l’exemple précédent, si dans un premier temps face à une grande mobilisation et plusieurs actions organisées, telles que des séances de travail et des festivités, les pouvoirs publics se sont inclinés et ont ouvert le dialogue avec les habitants, les suites n’ont guère satisfait les habitants. Trois mois plus tard, les déceptions étaient déjà présentes : « [Le processus de mobilisation citoyenne] sera sans concours et au départ de plans d’aménagement existants, réalisés par un consortium d’ingénieurs. Il est évident que nous ne pouvons pas nous satisfaire d’« améliorer » un projet déjà ficelé, construit en vase clos et dont la demande de permis d’urbanisme a déjà été déposée. Un processus de participation citoyenne n’a de sens que s’il se fait au départ d’une page blanche et dans le cadre d’un processus de concours d’architecture. 1 Julien GOUPIL, Vers un urbanisme participatif ?, http://www.le-citoyen.fr/2015/02/vers-un-urbanisme-partcipatif.html, le 11 février 2015
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Nous regrettons le manque d’ambition de la Région bruxelloise qui, manifestement, ne voit pas, dans ce dossier, la formidable opportunité qui se présente de concevoir des espaces publics de qualité susceptibles de contribuer au redéveloppement urbain du nord de Bruxelles. Il s’agit d’un retour en arrière en matière de gouvernance. D’autant plus que le même Ministre défendait, à juste titre, dès 2004, la « nécessité de généraliser les concours pour les projets d’espaces publics ». Voici ce que disait le Ministre suite à la saga du projet de réaménagement de la Place Flagey : « Il faut lancer une nouvelle manière de gérer l’aménagement de l’espace public […]. Il faut réfléchir de manière plus globale et consulter un ensemble d’intervenants dès le début du dossier, et non pas lorsque les plans sont déjà dessinés. » (Le Soir, 27 octobre 2004) Nous saluons la démarche d’ouverture du Ministre Smet dans un dossier complexe aux multiples intervenants (Beliris, Région, communes, etc.). Mais la formule, telle que proposée à ce stade, ne répond pas à l’exigence d’une gouvernance urbaine moderne et ouverte. Nous rappelons le souhait exprimé par les collectifs citoyens schaerbeekois dans la carte blanche « Qui construit le Metro ? Et comment ? », publiée en mars dernier dans Bruzz et Lalibre : « Nous demandons à la Région bruxelloise et aux communes concernées de lancer, sous la houlette du Maître-architecte, de véritables concours d’architecture et des ateliers de participation citoyenne pour faire émerger des projets d’espaces publics qualitatifs et ambitieux susceptibles d’être appropriés par tous les Bruxellois (…). » 1.
1 Imagine Colignon, Métro Nord: la Région annonce un processus participatif. Toolittle, toolate?, https:// imaginecolignon.wordpress.com/2017/06/27/metro-nord-la-region-annonce-un-processus-participatif-toolittle-too-late/, le 27 juin 2017
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Affiche de mai 1968, auteur non identifiĂŠ http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b90183285/f1.highres
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Une remise en question des experts traditionnels Comme nous l’explique Elise Macaire1, au cours du temps, l’écart entre l’architecte et le reste des professions du bâtiment s’est creusé. Sa profession s’est vue transformée, en s’éloignant des métiers intellectuels (ingénieurs) et manuels. L’architecte est désormais perçu, bien souvent, comme un philosophe ou un artiste de l’espace. Et nous connaissons tous les a priori récurrents sur l’Art, surtout celui moderne ou contemporain. « When you start as an architecture student, you step in a culture, like a tea bag. And most of it is unconscious; it is like dropping in a foreign country. You start using world no one else uses, you start developing gesture no one else develops and in those days you start wearing only black and white because that is what everyone did. The relationship falls apart»2. C’est pourquoi l’architecte est souvent perçu ou imaginé (à tort ou à raison selon les cas) comme un étranger ne se souciant pas des problèmes et besoins locaux : « il y a quelque chose d’encore moins estimable que la laideur pure et simple ou le désordre, c’est l’attitude qui consiste à arborer les faux semblants d’un soi-disant ordonnancement après avoir feint d’ignorer ou carrément supprimer l’ordre véritable qui se débat pour survivre et être reconnu comme tel »3. Beaucoup de personnes ne connaissent ainsi de l’architecture que les grands projets d’architectes star et ils les considèrent comme « posés là tel un ovni dans un champ de tournesol »4. Tout comme pour la méfiance envers les politiques, celle envers les experts et particulièrement les architectes, freine les dialogues qui devraient avoir lieu. L’architecte doit dès lors, s’il veut répondre efficacement aux besoins des habitants, se questionner sur sa manière d’agir. 1 Macaire Elise, Actions pédagogiques et participatives en architecture, constrution d’une hypothèse sur la socialisation « démocratique » de l’activité d’architecte. Mémoire de master sous la direction de François Dubet, EHESS, 2006. 2 Jonathan Teicher, Former student of John Habraken (MIT Cambridge 1987-1989), dans le film DE DRAGER / A film about Architect John Habraken, de Sonja Lüthi and Marc Schwarz, https://vimeo. com/61410893 traduction personnelle : Quand vous commencez vos études d’architecture, vous entrez dans une culture, comme un sachet de thé. La plus grande partie est inconsciente ; c’est comme arriver dans un pays étranger. Vous commencez à utiliser des mots que personne d’autre n’utilise, vous développez une gestuelle que personne d’autre ne développe et de nos jours, vous commencez à ne porter que du noir et blanc parce que c’est ce que tout le monde fait. La relation s’effondre. 3 Propos d’une habitante du quartier East Harlem, à New York recueillis et publié par Jane Jacobs, Déclin et surive des grandes villes américaines, Architectures + Recherches, Mardaga, page 28 4 Paquot Thierry, L’architecte, L’urbaniste et Le citoyen, Manière de voir. No 114 (12/2010)
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A ce premier constat, il faut en ajouter un second : l’architecte peutil, de par son savoir (formaté ?) à lui seul prétendre comprendre et répondre à toutes les questions que pose l’aménagement d’un espace ? « C’était vraiment curieux : par instinct, mon ami [un urbaniste de Boston] pensait que le North End était un bon endroit, et les données statistiques le lui confirmaient. Mais tout ce qu’il avait appris en tant qu’urbaniste, à propos de ce qui était bon pour les gens et bon pour les quartiers d’une grande ville, tout ce qui avait fait de lui un expert de la question lui disait que le quartier de North End devait obligatoirement être un mauvais endroit. »1. Sans pour autant tomber dans une caricature grossière, rendant l’architecte ou l’urbaniste incompétent ; il paraît assez évident que l’ajout d’une approche et réflexion de terrain, fournie par ceux qui tous les jours le façonnent et observent ses évolutions, si elle efficacement faite, ne peut qu’apporter plus de justesse au projet.
1 Jane Jacobs, Déclin et surive des grandes villes américaines, Architectures + Recherches, Mardaga, page 24
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Un/des acteurs ? Une notion floue « On parle toujours des « habitants », des « gens », de la « population », comme si il s’agissait d’un ensemble uniforme et homogène. Les « habitants » font ceci et pensent cela… […] mais ce ne sont peut-être pas les même habitants. De fait, les urbains sont de plus en plus diversifiés »1. Cette multiplicité fait naître l’idée qu’en ouvrant la parole à ces derniers il ne ressortirait qu’un amas de visions subjectives et égoïstes. Et en effet, avec des opinions et des langages différents, sans une réelle mise en œuvre d’un processus clair qui doit être respecté par tous, toutes les concertations aboutiraient fatalement à un capharnaüm contre-productif. Cette difficulté d’appréhension de la question est également un frein supplémentaire aux processus citoyens.
Une première classification des acteurs « L’habitant » est donc une notion floue, un mot qui regroupe énormément d’individus différents. Cette non-connaissance mène souvent à une certaine méfiance de la part des architectes. Les habitants sont imaginés tels une masse souvent en colère qui bloque tout changement, parfois même de manière « violente » : manifestation, squat… C’est pour cela, qu’apporter des clarifications à cette notion est essentiel. Guillaume Faburel2 répertorie trois « figures d’individu » principales. Le premier est le riverain, c’est celui-qui possède son logement à proximité de l’espace concerné. Il est celui qui est le mieux accepté et son droit de parole est, aujourd’hui, considéré comme légitime. Vient ensuite l’usager, même si son habitation n’est pas proche du lieu, il s’y rend de manière régulière. Enfin le dernier est le profane, il ne connaît pas réellement l’espace en question. Il n’est néanmoins pas inutile, par exemple les raisons pour lequel il n’investit pas cet espace peuvent apporter des informations utiles sur les problèmes existants. Par contre il est bien souvent plus difficile de l’impliquer dans le projet. En fonction de leur rapport au projet ces derniers n’auront pas la même vision. Marie-Hélène Elleboudt m’a expliqué que pour la concertation du projet du 1 Thierry Foucault, Elena Lasida, Rebecca Pinheiro-Croisel. Démarches participatives en urbanisme, que faire des contradictions ? Les métiers de l’architecture et de l’urbanisme à l’épreuve de l’implication des habitants et des usagers, Nov 2012, Paris, France. P10, 2012 – hal-00823450 2 Guillaume Faburel, L’habitant et le savoir de l’habiter comme impensé de la démocratie participative, Ramau. L’implication des habitants dans la fabrication de la ville, métiers et pratiques en question De La Vilette, Paris, 2013
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Pont des Trous, les Tournaisiens qui ont participé accordaient beaucoup d’importance à l’image du pont alors que les habitants des environs étaient plus sensibles aux aménagements tout autour. En plus de ces types d’acteurs, il y a également les différentes valeurs ajoutées qu’ils peuvent apporter. Celles-ci ne sont pas nécessairement liées à un type.
Théorisation des apports habitants Ces contributions sont classées en différentes typologies1 de savoir ou expertise, qui sont à chaque fois double : individuelle et collective. Mais avant tout il faut rappeler qu’il « s’agit de constituer des idéaux types semi-abstraits, sachant que ces constructions irréelles ne se rencontrent pas comme telles dans la réalité et que des combinaisons sont possibles entre les différents types »2. En premier lieu, il y a « le savoir d’usage ». Il se base d’abord sur le bon sens, notion que défends Lucien Kroll : « faire confiance à l’instinct populaire, bien plus rationnel que les projections des spécialistes abstraits.» . Il s’appuie également sur l’expérience, qui à l’origine est ce qui permet à une personne de devenir un expert . Grâce à elle, les habitants sont les mieux placés pour connaître le site, son utilisation, ses réussites, ses difficultés et enfin ses opportunités. Effectivement qui pourrait mieux connaitre un quartier qu’une personne qui y vie depuis dix ou vingt ans ? « Je me souviens il y avait un arbre ici, il y a 10 ans »3. Il y a bien des choses que les experts externes au terrain ne peuvent tout simplement pas connaître par l’analyse. Ainsi lors de ma participation aux réunions organisé par City Tools4 pour le projet de la nouvelle passerelle de l’arche, les gens participants au sondage internet ont confirmé que son implantation actuelle était adaptée à leurs besoins de franchir l’Escaut notamment pour faire leurs courses au Carrefour GB du centre-ville et pour emmener et rechercher leurs enfants à l’école. Cette pertinence réelle de l’implantation par rapport aux usages est réellement complexe à affirmer sans consulter ses usagers. Quand cette expertise d’usage devient collective, par le biais d’associations ou de collectifs, elle devient alors encore plus utile. Par le débat et les discussions, les points de vue s’assemblent pour créer une vision plus juste des enjeux de 1 Marie-Hélène Bacqué, Henri Rey et Yves Sintomer, Gestion de proximité et démocratie participative, La découverte « Recherches », 2005 2 Héloïse Nez, Les savoirs citoyens dans l’urbanisme participatif : regards croisés sur les expériences de Paris et Cordoue, Persée - http://www.persee.fr/doc/coloc_2111-8779_2012_num_32_1_2384, page 804 3 Propos tenus par un habitant, lors des ateliers de récit de vie, rapportés par Caroline Jesson 4 http://www.citytools.be/en/
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l’espace. Cela permet également d’éviter des réactions parfois trop spontanées, affectives et enflammées, car celles-ci mènent souvent à une rupture du dialogue. Vient ensuite le « savoir professionnel ». Les citoyens, de par leurs professions, centres d’intérêts et passion, ont acquis des connaissances. Elles peuvent apporter un point de vue expert supplémentaire dans des sujets que l’architecte ne connait pas forcément. Par exemple, durant le projet du Terrain Populaire, j’ai beaucoup appris sur la manière d’agencer et de cultiver un potager grâce à des citoyens devenus experts dans ce domaine. Egalement, Dom de par sa profession d’enseignante universitaire, m’a fait progresser dans la manière d’organiser des débats ouverts, sur les moyens efficaces de réunir et motiver les gens ou encore m’a fait découvrir des auteurs et livres sur l’implication citoyenne. Devenu collectif, il renvoie à une certaine professionnalisation des associations. Dès lors, elles sont beaucoup plus efficaces, mieux écoutées et surtout mieux considérées par les acteurs « classiques ». En effet comme nous l’avons vu, sans cette transformation, elles souffrent de nombreux préjugés. Par contre, cela peut devenir parfois contre-productif si à leur tour, elles s’éloignent trop de la réalité de terrain. Ce qui arrive surtout à de très grandes associations, lesquelles reçoivent des critiques similaires à celles courantes envers les politiciens. Dernièrement, il existe le « savoir politique ». Par une certaine implication dans la vie politique, les citoyens comprennent mieux son fonctionnement. Ils peuvent ainsi davantage parler d’égal à égal, évitant un rapport de force en leur défaveur. Ce savoir, que possèdent plusieurs membres de l’association Terrain Populaire furent très utiles lors de nos rapports conflictuels avec les différents pouvoirs publics. Il correspond également à une manière de parler, concise et assurée en public. Une fois collectif, il permet de créer un ensemble de connexions avec le monde politique afin d’avoir plus d’influence sur celui-ci. Ce qui permet d’appuyer une démocratie plus participative.
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Conclusion L’habitant, par sa pratique de la ville, se l’approprie et ainsi la transforme. Son action n’est pas neutre. Si pendant longtemps, il est resté en retrait dans la réflexion et l’aménagement planifié de la ville, désormais il compte bien y participer et le fait savoir. La collaboration entre les « nouveaux » acteurs et ceux traditionnels est néanmoins loin d’être évidente. Beaucoup d’a priori existent et perdurent des deux côtés. A cela il faut rajouter que la notion d’habitant ou d’usager n’est pas une notion précise et varie en fonctions des individus. Malgré ces nombreuses difficultés, l’habitant a logiquement sa place dans le processus et peut ajouter, en plus des connaissances techniques des experts et politiques, une dimension locale, qu’un processus Top-Down ne peut acquérir. Il reste néanmoins un problème de taille, comment organiser et planifier l’intégration de ces habitants et associations dans la conception urbaine et architecturale ? Avec quel(s) pouvoir(s) ? Quelle(s) responsabilité(s) ? À quel(s) moment(s) ?
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« Tout se passe comme s’il s’agissait de faire droit à cette participation au niveau des principes sans préciser véritablement le contenu de cette obligation »1
1 Loïc Blondiaux, Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, La république des idées, Seuil, 2008, page 17
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Chapitre 2 : Comment les intégrer ? L’implication des habitants dans le processus de conception de la ville n’est pas une chose aisée. Afin d’y voir plus clair, nous commencerons par les méthodes pour analyser l’efficacité des divers processus. Puis nous verrons à travers des études de cas, auxquels j’ai participé durant ces deux dernières années de recherche, les trois principales typologies, leurs méthodes de prédilections et leurs défauts que j’ai répertoriés : La passerelle de l’Arche, Change ta classe ! et le terrain populaire, que nous étudierons en profondeur dans le chapitre suivant.
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Evaluer l’implication citoyenne Le projet Local Comme nous l’explique Alberto Magnaghi1, ce processus se base sur les spécificités culturelles, sociales, paysagères et économiques du territoire. Il considère que les solutions viennent des acteurs locaux et non d’instances globales, lointaines. Bien que ce procédé ne se veut pas du tout isolationniste, il n’en n’est pas moins évident que les approches ne peuvent être toutes les mêmes et nous ne pouvons donc pas instaurer une procédure fixe. Celle-ci serait de toute façon inutilisable car elle viendrait à l’encontre de la dimension humaine rapportée par la démarche. C’est pourquoi nous parlerons d’objectifs et de mesures, plutôt que des règles immuables.
Le référentiel de Sherry R. Arnstein « A typology of eight levels of participation may help in analysis of this confused issue. For illustrative purposes the eight types are arranged in a ladder pattern with each rung corresponding to the extent of citizens’ power in deter-mining the end product. »2 Sherry R. Arnstein a publié en 1969 une méthode de mesure qui est toujours d’actualité aujourd’hui. Elle est représentée par une échelle qui commence par l’absence d’engagement pour monter jusqu’à la totale et réelle implication citoyenne. Elle regroupe trois grandes catégories subdivisées en plusieurs échelons. La première est la non-participation ; l’objectif n’est pas d’impliquer les citoyens dans le processus mais au contraire de les utiliser à des fins personnelles par les pouvoirs publics et/ou les experts. Elle regroupe deux échelons : La manipulation ; perversion du processus afin de « redorer » l’image de l’élu et de son parti ou de récolter des subventions supplémentaires, qui existent afin de favoriser la pratique, pour le projet. 1 Alberto Magnaghi, Le projet local, Architectures + Recherches – Mardaga, 2003, page 36 2 Arnstein, Sherry R, A Ladder of Citizen Participation, JAIP, Vol. 35, No. 4, July 1969, page 216 Traduction personnel : Une typologie de huit niveaux de participation peut nous aider à analyser cette situation complexe. A des fins d’illustration, les huit types sont disposés dans un schéma d’échelle dont chaque échelon représente l’étendue du pouvoir des citoyens dans la détermination du résultat.
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La thérapie ; ce qui est à l’implication citoyenne, l’équivalent du green-washing1 à l’écologie. Le but est uniquement la communication afin de se montrer sous un bon jour dans l’opinion publique, sans réellement appliquer la démarche. La seconde est le tokénisme ; elle se traduit par une participation symbolique. Comparable à du « politiquement correct », elle ouvre la parole aux citoyens, mais ceux-ci ont peu de rôle à jouer et il n’y a aucun équilibrage du pouvoir décisionnel qui reste gardé exclusivement par les acteurs conventionnels. Elle comprend trois échelons : L’information, il s’agit d’ouvrir la discussion avec les habitants mais uniquement dans le cadre d’expliquer le projet. Ainsi les citoyens n’ont aucune possibilité d’influencer le projet. Ce procédé est souvent utilisé afin de tenter d’éviter les contestations ou les critiques du projet. La consultation, les usagers sont invités, soit par des questionnaires ou des réunions à s’exprimer ou poser des questions. Néanmoins leurs avis sont pris en compte uniquement s’ils vont dans le sens prévu par le projet ou alors sont ignorés. D’ailleurs elles sont souvent réalisées après ou pendant que le projet ne soit décidé et ont donc une utilité questionnable. Placation2, consiste à calmer ou supprimer les tensions en réalisant des ajustements ou des accommodements. C’est le plus haut échelon de cette catégorie. Il a accordé aux habitants un petit pouvoir : Ils peuvent proposer quelques rectifications au projet, extrêmement limitées, ne concernant pas du tout l’ensemble du projet mais quelques détails tels que du mobilier urbain. Par ailleurs, elles restent toujours soumises au bon vouloir des instances de décisions. La troisième et dernière est le pouvoir citoyen. Elle est celle où les habitants ont réellement un rôle à jouer dans la conception et la fabrique de la ville. Elle contient trois échelons : Partnership, ou collaboration. Le projet est initié par les pouvoirs publics, mais les habitants sont invités à débattre du projet, prendre des décisions et des responsabilités. Delegated power ; le projet ou idée de projet est initié par un organisme extérieur mais les habitants ont la liberté de se l’approprier. Un conseil citoyen est créé. Il est, et est considéré, comme équivalent au pouvoir public et experts. C’est ensemble qu’ils travaillent sur la conception du projet. Citizen control ; le projet est initié par les acteurs locaux, habitants et associations locales. Ainsi dès le départ, le projet répond à un besoin local. Les citoyens gardent le contrôle du développement du projet, ce qui ne les empêche pas de 1 http://www.greenwashing.fr/definition.html 2 http://www.dictionary.com/browse/placation
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travailler avec les experts et pouvoirs publics. Bien sûr, Sherry R. Arnstein, relativise son outil de mesure. « In the real world of people and programs, there might be 150 rungs with less sharp and «pure» distinctions among them »1. Il est volontairement simple afin d’être compréhensible facilement par tous. Ainsi tout le monde peut analyser le procédé utilisé et son efficacité, afin de l’améliorer ou, dans le pire des cas, le dénoncer.
Trois grandes typologies de processus observé et analysé C’est pourquoi, pour comprendre ce genre de démarches, qui sont avant tout humaines, on ne peut se baser uniquement sur la théorie. Raison pour laquelle, j’ai également voulu l’analyser sur le terrain. Pour cela j’ai suivi et participé à trois démarches collaboratives, qui sont les trois principales « types » de processus. Leurs différences sont liées à leurs origines. Selon celui qui l’initie, elles seront, souvent, très différentes. La première, La passerelle de l’Arche, est engagée par les pouvoirs publics ; la seconde, Change ta classe ! par une association professionnelle et la troisième, le Terrain Populaire, par les habitants.
1 Arnstein, Sherry R ,Op. cit. pages 216-224 Traduction personelle : Dans le vrai monde des gens et programmes, il y peut être 150 échelons avec un des distinctions entre eux moins tranchées et « pures ».
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Echelle de participation Arnstein, Sherry R, A Ladder of Citizen Participation, JAIP, Vol. 35, No. 4, July 1969
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Etat actuel de la passerelle de l’Arche, Scaldistournai, http://www.scaldistournai.eu/fr/actualites/lescaut/passerelle-de-larche-la-population-ete-consultee.html
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Cas d’étude personnel : La passerelle de l’arche à Tournai Le contexte Ce projet, que j’ai pu suivre en tant qu’habitant, fait suite à la décision prise pour la « modernisation » 1des voies de l’Escaut, c’est-à-dire à son élargissement afin de permettre à de plus grandes péniches commerciales de circuler. C’est pourquoi tous les ponts et passerelles doivent être refaits. Suite à un militantisme de L’ARAHO2, qui a organisé une balade publique où les participants ont pu discuter des aménagements futurs, et à une politique du bourgmestre empêché Rudy Demotte, il a été conclu d’organiser un processus participatif. « C’était un engagement que j’avais pris : impliquer les citoyens dans le nouveau projet pour la passerelle de l’Arche »3. Une fois la décision prise d’impliquer les citoyens dans le projet, la ville a dû décider du déroulement de celui-ci. Trois organismes ont proposé leurs services : L’ARAHO, Faciliyo4 et CityTools5 . C’est CityTools qui a remporté le marché. Je ne connais pas les détails qui ont conduit à cette prise de décision, mais je sais que la durée ainsi que les coûts relatifs à l‘exécution du projet ont été parmi les critères qui y ont contribué. L’ARAHO avait prévu un processus de participation sur une durée de vingtdeux semaines, plus des expositions par la suite, alors que CityTools a planifié son processus sur deux semaines et deux jours. Je n’ai pas mentionné ce paramètre auparavant, mais impliquer les habitants rajoute une durée et un coût supplémentaire au projet. Ce qui est au final considéré comme un frein majeur au dispositif.
1 Élargissement de l’Escaut: le permis d’urbanisme accordé aux Voies Hydrauliques, 07/12/2016 à 21:07 - G.E. - L’Avenir, http://www.lavenir.net/cnt/dmf20161207_00927308/elargissement-de-l-escaut-le-permisd-urbanisme-accorde-aux-voies-hydrauliques 2 Association Royale des Architectes du Hainaut Occidental, http://www.araho.org/ 3 Rudy Demotte, bourgmestre empêché de la commune de Tournai, Tournai.be, https://www.tournai.be/ toutes-les-actualites/passerelle-de-l-arche-un-processus-participatif.html 4 https://www.faciliyo.be/ 5 http://www.citytools.be/en/
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Programme mis en place par L’ARAHO Scan personnel du document officiel de l’ARAHO
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La démarche Le processus de CityTools est le plus rapide des trois et également celui qui donne le plus d’importance aux enquêtes en lignes. Il s’oriente donc d’avantage dans un processus quantitatif que qualitatif. Il s’organise en trois parties, une première de récolte de document, une seconde de participation active et la troisième administrative. La participation active a duré du 31 août 2017 jusqu’au 17 septembre 2017. Elle a commencé avec une conférence de presse et avec l’ouverture en ligne d’une enquête. Deux journées de travail ont également était organisées, le 8 et le 9 septembre. Ces séances ont été organisées comme il suit ; - Le matin du 8, aller à la rencontre des gens dans la rue aux abords du site, puis l’après-midi, un workshop sur l’histoire de la passerelle et les enjeux du canal. - Le matin du 9, une balade avec les volontaires sur le site et l’après-midi un workshop sur l’avenir de la passerelle. Il y a plusieurs reproches que je peux faire à celles-ci ; - Le 8 et le 9 étaient un vendredi et un samedi. Or, organiser des séances de travail en pleine journée en semaine, même si cela est plus simple pour les organisateurs, est une décision souvent contestée à cause de l’indisponibilité des gens (il est illusoire de penser que les gens vont prendre un jour de congé pour assister aux réunions). - La seconde est sur la durée de ces réunions. Faire des séances de travail aussi longues ne les rendent pas plus productives et surtout peuvent rebuter beaucoup de gens. En effet, il est extrêmement compliqué de convaincre les gens de participer à deux heures de travail, alors une journée… Ce qui m’a frappé, c’est que les participants étaient rarement les mêmes lors des réunions alors qu’elles étaient complémentaires. - Les enquêtes en ligne ne sont pas toujours accessibles aux personnes défavorisées. Après le 17 septembre, CityTools a analysé les différentes « informations récoltées sur le terrain et grâce à l’enquête en ligne »1. Le 23 septembre, ils ont organisé un atelier à l’office du tourisme de Tournai. Celui-ci a permis à la ville et à l’organisme de présenter les résultats de l’enquête ; s’en est suivi un débat sur les thématiques relevées par celle-ci. Néanmoins la réflexion ne s’est pas faite sur le projet en lui-même. Mais plus sur des thématiques, notamment l’accessibilité. Le but final n’était pas vraiment de chercher ensemble des 1 CityTools, Note de cadrage du processus participatif, https://passerelledelarche.tournai.be/fr/node/1450
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solutions mais davantage de donner son avis sur tel ou tel sujet. Je me souviens ainsi d’une personne qui avait demandé quand les plans des quais seraient discutés. La réponse était que ce projet n’avait pas à être discuté puisque les experts avaient déjà statués sur ce sujet. Suite à ce processus, l’organisme a réalisé une note de consensus à destination des architectes répondant à l’appel d’offre public. Celle-ci, pré-écrite avant la réunion, a été débattue. Elle comporte les attentes et besoins exprimés et les critères de jugement pour le jury du concours : « - Prix : 30 points - Qualité architecture : 30 points - Respect de l’enveloppe budgétaire et optimisation de l’investissement : 20 points - Planning et délais : 10 points - Méthodologie d’information et d’intégration de la participation : 10 point »1 Ainsi l’intégration citoyenne ne représente qu’un point sur dix dans l’évaluation et se ne sont pas les habitants qui notent, ce qui est assez révélateur de l’implication réelle des citoyens.
Photo Citytools, Projet pour la Passerelle de l’Arche Compte rendu du Jour de la Passerelle de l’Arche tenu en date du 23 septembre 2017, https://passerelledelarche.tournai.be/fr 1 CityTools, Projet pour la Passerelle de l’Arche compte rendu du Jour de la Passerelle de l’Arche tenu en date du 23 septembre 2017, https://passerelledelarche.tournai.be/fr
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Les résultats Ce qui est intéressant avec ce processus, c’est que j’ai pu observer les enquêtes en lignes comme processus d’intégration des habitants dans le projet. L’une des premières choses à constater et que si elle permet à beaucoup de gens de participer (319 dans le cas présent), leur implication demeure très limitée. Ainsi aux questions posées, nous ne pouvons répondre que par : « Non pas du tout », « Non pas vraiment », « Sans avis », « Oui assez », « Oui totalement » ou choisir des photos pour déterminer l’aspect de la nouvelle passerelle. A cela il faut ajouter et prendre en considération que beaucoup des personnes qui ont pris part à ce questionnaire ne sont pas directement impliquées car elles n’habitent pas le quartier et utilisent la passerelle de manière occasionnelle seulement. Les premiers concernés par le projet, ne se sont donc pas assez sentis concernés par la démarche. Concernant le processus en lui-même on voit bien que l’apport habitant utilisé est celui d’usage (le pratiquez-vous souvent pour le travail, le loisir...). Il est fortement encadré, sur une période très courte (à peine plus de deux semaines effectives), ensuite les habitants n’ont plus aucun rôle à jouer. Le processus mis en place par CityTools est donc loin d’être exempt de tout reproche. Toutefois, il faut relativiser également. Il s’inscrit dans un cadre plus grand, l’aménagement des quais de Tournai, sujet très sensible, raison pour laquelle les politiques veulent accélérer au maximum les travaux. CityTools a répondu de la manière que le voulaient les institutions publiques et avec le temps qui lui était imparti. C’est ainsi que nous pouvons observer les problèmes qui peuvent découler de ce genre de processus qui rajoute des frais et augmente la durée du projet. Les architectes qui travailleront sur le projet n’auront comme rapport aux habitants qu’une note de consensus reprenant des chiffres et des « nuages de mots » puisqu’ils ne pouvaient pas participer aux processus car l’appel d’offre organisée par la commune se déroulait après. De l’autre côté, les habitants n’ont pas eu un impact réel sur les décisions. D’ailleurs beaucoup venaient plus pour s’informer qu’autre chose.
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Exemple de résultat de l’enquête en ligne, CityTools https://passerelledelarche.tournai.be/fr
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Réflexions Ce processus est représentatif de beaucoup de projets dit « participatifs ». Même s’il représente une vraie amélioration du fait que l’habitant n’est plus ignoré mais écouté, il n’en est pas moins vrai que sa participation demeure passive dans le projet. Les débats sont limités, les citoyens n’ont aucun pouvoir décisionnel et n’interviennent pas sur la totalité du projet mais uniquement à ses débuts. Le processus s’assimile davantage à une enquête sociologique afin de comprendre les rapports et les usages que les Tournaisiens entretiennent avec la passerelle de l’Arche. Ici, si le processus représente un mieux, la coopération est encore loin d’être évidente. Les contraintes de temps, d’argents et les préjugés sur les résultats du processus, freinent beaucoup une implication plus importante du citoyen.
Exemple de résultat de l’enquête en ligne, CityTools https://passerelledelarche.tournai.be/fr
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Ecole Bab Souika, Tunis, photo appartenant à L’Art Rue, http://www.lartrue.com/nos_ecoles/ecole-primaire-bab-souika/
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Cas d’étude personnel : Change ta classe ! Le concept Il a été créé par la cité de l’architecture et du patrimoine1. Tout comme l’institution, ses buts sont multiples. Le principal est de réaménager et transformer les écoles d’Afrique pour les rendre davantage accueillantes, agréables et adaptées aux enfants. En effet, nombreux sont les bâtiments vétustes. Néanmoins, le concept ne s’arrête pas là. La transformation se fait par l’utilisation et la réinterprétation des techniques, de l’économie, de la tradition et des savoirs locaux. Celle-ci se fait avec les écoliers. Dans ce sens, il applique donc l’adage: « Apprendre aux hommes à s’aider eux-mêmes »2. Le projet a donc également pour objectif, au-delà de l’architecture et de l’urbanisme, une volonté d’éducation. Il suit les principes suivants, que la citoyenneté s’apprend par la pratique et par l’implication des gens dans des processus collectifs. « En un mot, participer signifie s’impliquer, avoir des tâches à réaliser, partager et prendre des responsabilités. Autrement dit, être admis et intégré. »3 Ce principe ne s’applique pas uniquement aux écoliers, de nombreux étudiants, artistes, chercheurs, acteurs locaux du quartier et parfois les parents sont conviés pour travailler avec les enfants dans la conception et la réalisation.
L’art Rue J’ai eu l’opportunité de travailler avec Aya Rebai4 durant deux mois (juillet et août 2017) dans l’association Tunisienne, L’art Rue qui (entre autres) applique ce concept dans les écoles tunisiennes. L’association a déjà réalisé la transformation de six écoles pour l’instant. Au fur et à mesure de la pratique, l’association a mis en place un protocole afin de pouvoir agir vite (le projet se réalise en général en quinze jours, ce qui est dû à des contraintes budgétaires et également du fait qu’il se déroule durant les périodes scolaires) mais surtout de manière efficace et adaptée aux besoins des enfants. 1 https://www.citedelarchitecture.fr/fr 2 Lao Steu, cité par Guy Amsellem, programmes « petites architectures » Change ta classe ! https://www. citedelarchitecture.fr/fr/article/change-ta-classe 3 Peter Lauritzen, discours sur la participation présentée lors du stage de formation sur le développement et la mise en œuvre de projets en faveur de la participation au niveau local et régional, Centre européen de la jeunesse, juin 2006 4 http://www.lartrue.com/en-savoir-plus/lequipe/
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Ainsi selon les écoles et leurs besoins, ils ont réaménagé la cour, créé du mobilier original pour que les enfants puissent se réapproprier les espaces, une salle polyvalente avec un jardin, une salle d’expression artistique…
Le protocole mis en place Une fois l’école choisie, la première chose à faire est de définir les participants de l’école. Les élèves étant très nombreux par écoles (plusieurs centaines), il est impossible de travailler avec tout le monde dans un temps aussi court. C’est pourquoi, à l’inverse du premier cas d’étude, l’approche ici se focalise sur une approche qualitative. Il s’agit donc de travailler avec une trentaine d’élèves qui se sont portés volontaires et ont été élus comme représentants par l’ensemble des écoliers. Ce choix des représentants, par l’ensemble des usagers, se fait par des élections qui suivent la présentation du programme dans les classes par l’association. Il faut qu’elles permettent que toutes les classes et sections de l’école soient représentées dans l’école. Cela permet de développer en profondeur les thématiques en jeu avec les représentants. Les débats et activités sont privilégiés aux questionnaires ou sondages impersonnels qui ne correspondent pas aux enjeux éducatifs ni à l’approche de l’association l’Art Rue. Le processus de conception peut alors se mettre en place. Il se déroule généralement en quatre grandes étapes La première est une double visite de l’établissement. Une visite de l’espace à travers les plans, ce qui permet à tous d’avoir une vision globale du lieu ainsi que de définir les différentes entités (salles de classe, réfectoires…). La seconde est une visite où les enfants expliquent leurs usages, pratiques et ressentis par rapport au lieu. Dans un second temps, toutes les réflexions sont formalisées et inscrites dans l’espace. Les déplacements sont représentés par des fils de couleurs, les impressions et besoins sont situés et expliqués par écrits ou dessins (croquis, smiley …) sur des post-it. Ce procédé permet à tout le monde de bien comprendre le fonctionnement induit par l’architecture et l’utilisation réelle des élèves. Il met en évidence les lieux avec un bon fonctionnement et ceux à améliorer ou changer. Ensuite, tout le monde se rassemble selon le principe de table ronde. On énumère les qualités et défauts qui ont le plus de fois été mentionnés, viennent ensuite les propositions des écoliers par rapport aux améliorations et transformations prioritaires. Celles-ci sont ensuite débattues. 46
Mise en place des fils de couleurs, école Bab Souika, Tunis, photo appartenant à L’Art Rue, http://www.lartrue.com/nos_ecoles/ecole-primaire-bab-souika/
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Finalement, un exercice est proposé afin de permettre d’imaginer comment réaliser les grands principes de l’aménagement des espaces. Dans le cas que j’ai suivi, il avait été choisi de transformer une salle de classe « abandonnée » en salle polyvalente. L’idée était de regrouper plusieurs pratiques culturelles (danse, lecture, peintures…) dans une salle ouverte à tous les élèves même après les cours. En effet, l’école est située dans la médina de Tunis, quartier très pauvre, dans lequel plusieurs familles sont obligées de vivre ensemble dans une même maison. Il est donc très difficile pour les enfants de faire leurs devoirs ou d’avoir un endroit calme où ils peuvent se détendre, ce qui les poussent bien souvent à trainer dans les rues. Ainsi une fois les fonctions établies et l’espace de la salle dessinée en plan sur le sol (à l’échelle 1 :1), nous avons demandé aux enfants de mimer les différentes pratiques en les rajoutant au fur et à mesure. Ainsi par une utilisation fictive du lieu, nous avons tous pu imaginer un agencement efficace du lieu. Une fois ce travail collectif de conception réalisé, les artisans locaux ont pu réaliser les travaux. Le gros-œuvre terminé, les finitions telles que la peinture et une partie du mobilier mais également des œuvres artistiques comme des graffs ou des dessins, ont été réalisés ensemble (décorateurs, artistes, étudiants et élèves).
Les résultats « Les aider à aimer un peu plus leurs écoles et à passer plus temps, surtout du temps libre dans l’école »1 Ce qui est particulièrement intéressant dans ce processus, c’est que nous avons les moyens de mesurer l’impact de ces changements sur les enfants et leurs rapports à l’école, par les bulletins scolaires, les taux d’absentéisme, de violence… nous pouvons donc dépasser le stade du ressenti afin de prouver aux personnes sceptiques le bien-fondé de ce genre de démarche qui implique les usagers. Car, comme l’a expliqué Aya, tous les professeurs et les parents sont unanimes : les écoliers ont de meilleurs résultats et moins de problèmes de comportement. Pourtant, comme vous pouvez le voir, les travaux effectués ne sont pas surprenants, excentriques ; nous pourrions même les qualifier de banals (pas dans le sens péjoratif bien entendu). Par contre ils sont imaginés et conçus avec les enfants, et construits par eux pour les petits travaux et la décoration. 1 Rym Abid, architecte d’intérieure, maitre d’assistance à l’ISBAT, https://www.youtube.com/ watch?v=ygXwF4XDr68
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Mise en place des fils de couleurs, école Bab Souika, Tunis, photo appartenant à L’Art Rue, http://www.lartrue.com/nos_ecoles/ecole-primaire-bab-souika/
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Car ce sont eux qui réalisent les potagers, les dessins… C’est cette différence qui change tout. L’école peut être comparée à une ville. Et c’est en impliquant ses citoyens dans le processus que nous arrivons à des résultats qui sont à la fois plus pertinents mais également davantage acceptés par la communauté. Le travail est collectif, tout le monde en est fier et le respecte.
Réflexions Dans cet exemple, l’implication des « habitants » de l’école dans le processus de réaménagement et de transformation de l’espace, est très proche d’un des pères de l’urbanisme collectif : Patrick Geddes. Car si cette implication possède une réelle plus-value pour l’architecture en tant qu’espace et en tant qu’usage, elle ne se limite pas à cela. En effet par ce processus, elle vise à transformer et à éduquer les individus. C’est cette pratique et théorie qui était défendue par ce biologiste et sociologue britannique ; une architecture et un urbanisme civique. Ainsi il développe sa philosophie du « Lerning by doing »1 avec dans l’ordre : « hand, heart and head »2, soit la main, le cœur et la tête. Si l’individu est transformé par son milieu, l’architecture dans laquelle il vit, c’est en la transformant collectivement qu’il apprend à devenir un véritable citoyen, actif et utile dans la société. Comme le résume Thierry Paquot, « c’est de la pédagogie active »3. On a donc affaire à une démarche qui vise autant à transformer les espaces que les cœurs. Cette approche est vraiment très intéressante car elle ne se limite pas à l’implication citoyenne et à l’amélioration ou à la création de l’espace, mais également à faire évoluer la société avec ses manières d’interagir et de se comporter.
1 National Library of Scotland, Patrick Geddes, https://www.nls.uk/learning-zone/politics-and-society/patrick-geddes 2 National Library of Scotland, Patrick Geddes, https://www.nls.uk/learning-zone/politics-and-society/patrick-geddes 3 Thierry Paquot, Les faiseurs de villes, Gollion, Infolio, 2010, page 194
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Conclusion Les processus pour impliquer les citoyens dans la conception d’un projet sont aussi nombreux que variés. Ils dépendent de l’environnement où ils sont développés car ils doivent s’adapter aux différents paramètres spatiaux, sociétaux et économiques qui le composent. Ils dépendent également des objectifs visés par les initiateurs. Il existe des moyens pour mesurer cette implication comme par exemple le référentiel de Sherry R. Arnstein. A l’aide de celui-ci nous pouvons nous rendre compte que nombre de ces démarches sont davantage de la communication qu’une réelle implication. En effet, beaucoup de politiques s’en réclament sans forcément la mettre en pratique. « La pratique de participation est plus utilisée pour sa valeur symbolique démocratique que pour sa contribution effective aux processus décisionnels »1. De plus, même quand il y a une réelle volonté d’ouvrir la phase de conception urbaine et architecturale aux habitants, nous nous rendons compte que beaucoup de difficultés apparaissent comme la durée de la conception qui augmente ou un budget à prévoir plus conséquent. Ainsi, souvent la participation se transforme d’avantage en enquête sociologique quantitative et en séances d’information. Elle permet aux habitants de s’exprimer mais seulement de manière brève. Ils ne participent pas ou peu à la conception et n’ont aucun pouvoir décisionnel et ni aucune responsabilité dans le projet. Malgré tout, plusieurs méthodes ont prouvé leur efficacité sans pour autant être longues et/ou plus chères. Mais il faut bien reconnaître malheureusement qu’il s’agit en général de petits projets ou d’études. Constat assez décevant car la collaboration avec les habitants apporte de nombreux bienfaits aux projets. Ceux-ci sont plus justes par rapport aux besoins et aux manières de vivre de ces derniers. Ils sont donc mieux acceptés et également mieux préservés. De plus, au-delà des nombreux aspects positifs que la participation apporte aux projets, elle permet également de transformer la société en impliquant les gens dans la vie collective, valeur défendue dans la déclaration universelle des droits de l’Homme : « Toute personne a le droit de prendre part librement à la vie culturelle de la communauté, de jouir des arts et de participer au progrès scientifique et aux bienfaits qui en résultent. »2 1 André Thibault cité par A. M. Langlois, La participation citoyenne au cœur de la responsabilité populationnelle, Québec, Gouvernement du Québec, 2006, page 25 2 Déclaration universelles des droits de l’homme, article 27, http://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/
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pique-nique populaire, « auberge espagnole », le 25 septembre 2016 Image appartenant à l’association Terrain Populaire
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Chapitre 3 : Mise en pratique : Le terrain Populaire, l’aménagement collectif d’une place publique. L’objectif de ce chapitre est de vous expliquer l’expérience que je vis depuis deux ans et demi avec les habitants et les associations du quartier. A travers celui-ci, un exposé sera fait de l’évolution de ce projet initié par les habitants qui ont décidés d’aménager leur environnement quotidien. Il sera fait en essayant d’être le plus précis et juste, sans omettre les difficultés de ce processus. Il sera aussi agrémenté de mes réflexions et des nombreux enseignements que j’en ai tirés.
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« Transformer le terrain militaire en terrain populaire A Tournai, au quai du Luchet d’Antoing, se trouve un immense terrain appartenant jusqu’à présent à la Défense, propriétaire également de la caserne Saint Jean juste à côté, et qui accueille depuis septembre 2015 le centre pour demandeurs d’asile de la Croix-Rouge. Ce terrain est inoccupé depuis plus de vingt ans. Il est resté non-entretenu jusqu’à ces dernières années quand les habitants des bâtiments sociaux du Logis tournaisien, voisins du terrain, y ont procédé à un nettoyage de printemps et se sont plaint de son état de malpropreté. Depuis lors, c’est le service des espaces verts de la Ville qui tond cette immensité vide. Penser un « urbanisme des hommes de bonne volonté ». (On doit cette expression au sociologue Lefèbvre, 1968) Aujourd’hui, un peu partout en Europe, les espaces publics font l’objet d’une réflexion conjointe entre citoyens et pouvoirs publics concernant leur aménagement et les besoins qu’ils devraient rencontrer. Un peu partout, des architectes-urbanistes ont initié et théorisé de nouvelles manières de faire et de penser la ville. Ce nouvel urbanisme est fondé sur des modes de gestion collaborative des villes, la participation citoyenne et l’intégration systématique des dimensions sociales et culturelles. Dans cet esprit, nous, groupes d’associations, d’institutions et de citoyens, avons récemment initié le projet d’imaginer de nouvelles fonctions pour ce terrain afin d’en faire une zone de rencontre, un tiers-lieu qui réponde à des besoins dans un quartier en pleine mutation. En effet, en plus des implantations qui se sont établies de longue date dans le quartier (logements sociaux, quais de l’Escaut, écoles primaires, Haute Ecole Condorcet/paramédical, maison de repos, entre autres), des installations récentes ont vu le jour, celle du centre Croix-Rouge pour demandeurs d’asile et la nouvelle implantation de la faculté d’architecture et d’urbanisme UCL-LOCI ; celles-ci augmentent considérablement la fréquentation dans le quartier et donc les besoins en espaces propres à améliorer pour la cohésion sociale. Par ailleurs, le paysage de la ville de Tournai est appelé à se transformer dans un futur proche. En effet, le nécessaire aménagement des quais dû à l’élargissement prévu de l’Escaut devrait répondre à cette autre préoccupation contemporaine et citoyenne : la mobilité douce, davantage en liaison avec le tissu urbain et ses multiples fonctions. Au croisement de ces perspectives d’avenir positives, ce « terrain populaire » stimule dès lors une démarche nouvelle et novatrice dans ce quartier riche en diversités et en fonctions sociales multiples. »1 54
Cette lettre, qui pose les bases de la réflexion et des envies du collectif mettent en lumière deux choses : - La première est que ce sont les habitants qui se sont mobilisés euxmêmes et n’ont en aucun cas été mobilisés par des pouvoirs publics. Cela confirme bien l’importance de cet espace pour les habitants. - La deuxième est que nous sommes loin de certains clichés sur des habitants, non-professionnels, ayant des objectifs et lubies folles. Ce deuxième point est par ailleurs loin d’être une exception, comme nous l’avons vu, même s’il est important, je pense, de le préciser dans ce travail. 1
1 Lettre ouverte destinée à M. J. Jambon, ministre en charge de la Régie des bâtiments, M. K. Geens, ministre de la Justice, M. S. Vandeput, ministre de la Défense, M. R. Demotte, bourgmestre de la Ville de Tournai, empêché, M. P. Delannois, échevin délégué à la fonction maïorale de la Ville de Tournai, Mme M. C. Marghem, Première échevine empêchée de la Ville de Tournai, M. R. Delvigne, échevin de l’urbanisme ad intérim de la Ville de Tournai, le 17 mai 2016, de par Le Terrain populaire, une initiative du Comité St-Jean, IncredibleEdible Tournai, Centre Croix-Rouge pour demandeurs d’asile de Tournai, LoCiLoCaL/ Centre de Recherche Situé de la faculté LOCI-UCL, Ville de Tournai, Port’’Ouverte (maison de jeunes), Luch’Ouverte (école de devoirs), Lab’urbain participatif, Collectif Les jeunes donnent de la voix, Haute Ecole Condorcet, Maison médicale La Venelle, Maison médicale Le Gué, asblAg’y Sont, Opération Bulbes, Tournai Refuge, Plateforme d’accueil pour l’intégration des personnes étrangères, Atelier Michel Dupont, et de nombreux citoyens.
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Présentation du site Contexte étendu Comme décrit dans l’ouverture de la lettre, cet espace est très important dans la ville de Tournai. Il se situe au carrefour entre deux éléments majeurs constitutifs de la commune. Le premier est l’Escaut, ce fleuve prend sa source à Gouy au nord de Saint-Quentin et traverse Cambrai, Valenciennes, Tournai, Gand, Anvers, Terneuzen et Flessingue. Il passe ainsi par trois pays : la France, la Belgique et les Pays-Bas. Il est fortement canalisé à partir de Cambrai et fait l’objet de nombreux projets d’aménagements notamment de son élargissement à Tournai pour permettre à de plus grandes péniches de transport de circuler ainsi que du projet transfrontalier Dostrade1, soutenu par l’Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai, qui vise à valoriser et développer durablement cette trame verte et bleue . Le second est la ceinture verte de Tournai, située à l’emplacement de la seconde muraille défensive de la ville. A partir du XIXème siècle, devenue obsolète et jugée nuisible (espaces abandonnés et sales), elle est démantelée pour laisser place à des boulevards et des parcs. Néanmoins certaines parties ne sont pas rasées et sont laissées en l’état, les plus connues étant le Pont des trous (qui apparait sur le blason de la ville) et la tour Henri VIII. Il reste également des vestiges le long du terrain, mais ceux-ci sont délaissés à l’inverse des deux monuments cités précédemment. Le long de cette ceinture qui sépare la vieille ville de l’habitat plus diffus, de nombreux édifices publics sont construits tels que des écoles, bibliothèques, gare, casernes militaires…
1 http://www.interreg4-fwvl.eu/admin/upload/project/pdf/215-fr.pdf
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Contexte historique Lorsque nous nous penchons sur les cartes historiques, une particularité de cet espace ne peut pas nous échapper : celui-ci n’est jamais ou que très partiellement construit. Les environs ont surtout été marqués par la présence de carrières. Elles étaient situées à l’emplacement actuel du centre commercial Les Bastions. Cette activité est encore présente dans les noms des rues et des quais. Le quai taille pierre, situé en face du terrain. Le quai du pays blanc, référence au calcaire, situé au niveau des Bastions. La rue Galterie, dont le nom serait issu de l’évolution du mot « galleterie », signifiant un endroit caillouteux. Concernant l’espace en lui-même, l’usage le plus ancien que nous puissions retrouver concerne une activité de blanchisserie où le linge était étendu afin de le faire sécher. D’après plusieurs habitants cette fonction est apparue à l’époque de l’Empire romain. Elle était encore présente dans les années 1910. Celle-ci a surement dû s’arrêter à la fin de la reconstruction de la caserne militaire ou après la Première Guerre Mondiale Christine, une habitante du quartier Saint Jean, m’a raconté une histoire intéressante sur l’espace durant la Seconde Guerre Mondiale. D’après elle, celui-ci était déjà un terrain militaire inutilisé, à part pour le sport des militaires. Durant ces dures années de guerre, les habitants se sont tous mis à cultiver des légumes dessus afin d’améliorer leur quotidien. Ce qui serait donc la première appropriation de l’espace, forcée par ces temps difficiles.
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Contexte rapproché L’espace est de cent cinquante-cinq par cent quarante-quatre mètres (en prenant en compte l’espace de parking militaire), soit 2,232 hectares. Il est bordé de quatre éléments distincts. Au Nord, un paysage de façade : la caserne militaire Saint-Jean, construite en 1673 sous les ordres de Louis XIV. Ces bâtiments devenus vétustes seront remplacés en 1901 par ceux actuellement en place. La caserne est en cours de mutation, en effet une décision du ministère de la Défense Nationale belge prévoirait de changer la localisation des militaires qui y sont installés (projet qui fait débat en Belgique, ce qui sera préjudiciable au terrain populaire, mais nous y reviendrons). Ce changement d’affectation va laisser beaucoup d’espace à réoccuper. L’occupation future de celui-ci n’est pas encore sûr, mais va grandement changer son impact sur le quartier : pour l’instant fermé, il devrait s’ouvrir davantage. De plus, la caserne accueille des réfugiés depuis 2015. Au Sud, un paysage d’eau et de façades historiques avec L’Escaut et l’autre rive de Tournai. A l’Est, un paysage de parc, composé de la fin de la ceinture verte, travaillé à l’anglaise, avec d’anciens arbres majestueux ; s’y trouve également des ruines de la seconde enceinte de Tournai datant du XIIIème siècle. Au Nord-Ouest, un paysage de bâti diffus, le quartier Saint Jean1. Il est composé du Luchet d’Antoing, de la résidence de l’Arche, de la résidence Croisiers et Chafours. Tous construits dans les années septante. Il est constitué d’une part, d’immeubles de hauteurs variables (essentiellement cinq ou six étages), situés le long de l’Escaut, sauf ceux de la résidence de l’Arche construit dans le centre de l’ensemble, sur un parking d’un étage. Ils abritent deux cents vingt-six appartements (allant du F2 au F4). D’autre part, il est constitué de maisons, quarante-trois avec essentiellement trois chambres, mais certaines possèdent deux ou quatre chambres. Certaines maisons ont un jardin et/ou un garage. Il reste donc peu d’espace privé extérieur pour les résidents. C’est de ce quartier qu’est né le projet, dont je vais vous décrire l’évolution. Il s’est déroulé en trois phases principales ; une première phase (les débuts) de réflexions et design de l’espace, puis (la renaissance) une deuxième phase d’aménagement et enfin une dernière (Une nouvelle reprise) ce qui nous a permis d’arriver à l’état actuel du projet. 1 Le logis tournaisien, http://www.lelogistournaisien.be/fr/site_content/133-tournai/286-quartier-st-jean. html
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Rajouter 4 photos se site
Les quatres faรงades Images personnelles
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Les débuts La naissance du collectif ou « l’étincelle » C’est de ce quartier qu’est né le projet. En 2016, les enfants ont exprimé l’envie d’avoir un vrai terrain de foot sur ce grand espace. Les habitants du quartier sont environ aux trois quarts des familles avec enfants (estimations lors des visites du terrain et du quartier organisées par le collectif) et ceux-ci manquent de place pour pouvoir se détendre. En effet l’espace public est assez pauvre, l’essentiel est occupé par des voiries et des parkings. Le reste étant principalement de petites zones de pelouse, qui ne permettent que peu ou pas de possibilités d’utilisation ou d’appropriation aux habitants. Il y a bien un petit terrain de basket, en bitume, mais celui-ci ne suffit bien évidement pas aux nombreux habitants des environs. « Comme vous pouvez le voir ci-joint, voici une photo de l’intérieur du Quai du Luchet d’Antoing. Hé oui, c’est magnifique !! »1
1 Photo et commentaire d’un habitant du Luchet d’Antoing, http://painsurlaplanche.skynetblogs.be/archive/2004/11/05/quai-du-luchet-d-antoing.html
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Le rapport entre le quartier Saint Jean et le terrain militaire est très curieux. En effet lors de la conception de l’ensemble des logements, l’espace n’a pas été pris en compte car en théorie, il est interdit d’accès. Nous avons donc une impression de « fond de jardin », comme si le projet s’était arrêté brutalement. Il est donc difficile pour les habitants de lier ces deux espaces. Cet espace vert, qui présente des qualités et surtout un grand potentiel, est complètement laissé à l’abandon. Les enfants se sont exprimés essentiellement auprès de Jérôme, l’animateur de l’association de jeunes pour le quartier la Luch’ouvert et Christine Deside, résidente très active dans le quartier. Devant ce constat et cette proposition des enfants, ils ont commencé à réfléchir à un moyen de changer leur situation par eux-mêmes et en ont parlé avec d’autres associations tournaisiennes. Il est évident qu’au fur et à mesure des années, voir ce terrain abandonné leur était devenu insupportable et les pouvoirs publics n’étaient pas réellement préoccupés par cet espace. Il y a bien eu un moment une initiative de la commune d’y implanter une piscine et le ministère de la justice avait réfléchi à y construire le nouveau palais de justice, mais les deux projets n’étaient que des idées qui n’ont jamais vu le jour et qui n’avaient rien à voir avec les attentes des habitants locaux.
Le « fond de jardin » Image personnelle
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Nuage d’images d’activités organisées par le collectif Saint Jean Images appartenant au collectif du Terrain Populaire
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Le quartier
C’est pour toutes ces raisons que le quartier et plusieurs membres associatifs, notamment Christine Deside et Dom Moreau, se sont réunis pour aménager le terrain. Plusieurs projets étaient déjà en cours dans ce quartier populaire et dynamique. Ainsi plusieurs campagnes de nettoyage du quartier et du terrain avaient déjà eu lieu, des brocantes, des repas populaires, des festivités, voyages, une maison de jeunes (Luch’Ouverte), un potager collectif sur l’espace prêté par l’école de couture du quartier… Les initiatives et collectifs ne manquent pas et il est d’ailleurs tout à fait possible d’y participer sans y être résident. Dans ce quartier, où les gens n’ont pas toujours des conditions de vie faciles et qui se sentent souvent stigmatisés ou oubliés, ces initiatives prises sont une véritable nécessité et font énormément de bien au quartier.
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Le commencement Forts de ces expériences riches, et grâce à l’organisation de Dom Moreau et Christine Deside, le Comité Saint-Jean, le groupe potager Collectifs/ Incredible Edile et le centre d’accueil de la Croix-Rouge ainsi que les habitants du quartier et de Tournai, se rassemblent en un collectif, le collectif Terrain Populaire, et entament des discussions avec la Commune de Tournai. Conscient du potentiel de ce projet mais aussi du travail colossal de sa mise en place, le collectif propose trois objectifs : le premier est la mise en place d’un terrain de foot, le second est la création d’un potager collectif et le troisième est que le terrain reste un espace vert, un poumon pour le quartier et la ville. En parallèle, plusieurs moments de réflexions et de travail sont organisés avec l’aide notamment du projet LoCiLoCal et UCL LOCI tournai, qui s’implantait dans le quartier.
Le processus mis en place En février 2016, des visites du quartier, du terrain populaire et du parc de l’autre côté de la muraille sont organisées avec tous les volontaires (habitants du quartier, de la commune, étudiants, chercheurs, visiteurs, curieux …). Elles permettent de comprendre comment les gens vivent, se déplacent, les endroits agréables et aimés et ceux qui au contraire sont peu ou pas appréciés. Mais, elles permettent avant tout aux gens qui ne se connaissent pas de se rencontrer, de parler tout en marchant : « j’habite là et toi ? », « je suis garagiste », « [une dame âgée] moi j’aimerais qu’il y ait des bancs assez haut pour que je puisse m’y assoir » … Discuter entre eux mais également avec des habitants et passants au fil des rencontres. C’est réellement une étape importante pour tout le monde et encore plus pour ceux qui ne vivent pas dans le quartier ou qui y vivent sans pratiquer le terrain (cas très fréquent) afin de leur permettre de le (re)découvrir que ce soit au niveau spatial, architectural mais également sur les pratiques et manières de l’habiter. Elles permettent également aux personnes présentes de parler de choses auxquelles elles ne penseraient pas forcément autour d’une table ou d’un plan. Enfin elles permettent de commencer le processus de manière ludique et agréable par une balade.
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Visite du quartier Image appartenant à l’ASBL Terrain Populaire
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S’ensuivent deux après-midis de travail et de réflexions. En petits groupes, les différents participants (habitants, citoyens, associations, politiques…) se réunissent par groupes autour de tables et de grands plans : les remarques, idées, réflexions fusent. Les gens discutent, argumentent, rebondissent aux diverses propositions… Une fois le travail de groupe réalisé, chacun dessine un plan à l’aide de crayons de couleurs, de craies grasses et de pastels (ils sont tous détaillés en Annexe 1). Ensuite, les participants se réunissent et expliquent à l’ensemble leurs propositions. Après les explications, les gens peuvent poser des questions, rajouter des idées, ou les transformer. Ces séances sont indispensables à bien comprendre les besoins et idées, même si ce n’est pas la seule manière.
Les résultats En plus de rencontrer et discuter avec les gens, en ce qui concerne l’urbanisme et l’architecture, le résultat est double. Premièrement, il y a l’établissement d’une liste claire et précise. Différentes fonctions ont donc été envisagées, elles se classent en quatre catégories : Les activités de rencontre et de réunions : - Une agora centrale, lieu de rassemblements, de débats, d’activités culturelles - Des espaces de détente et pique-nique, avec des bancs et des tables - Un espace pour la promenade des personnes et animaux (chiens) - Un mur d’expression pour les jeunes – un espace réservé aux ados Les activités sportives : - Un terrain de football, voire un terrain multisports - Une plaine de jeux d’enfants, attentive à la psychomotricité - Un parcours sécurisé pour l’apprentissage du vélo par les enfants, avec des boucles de circulation Les activités naturelles : - Un jardin communautaire, avec des arbres et des arbres fruitiers et un espace pédagogique, (avec un petit étang ?) - Une zone réservée à des plantes aromatiques et médicinales - Un espace pour petits animaux (poules, lapin, etc.) (?)
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Séance de travail collective Image appartenant à l’ASBL du Terrain Populaire
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Les activités de déplacements : - Des sentiers de circulations - Un espace pour la promenade des personnes et animaux (chiens) - Un espace de parking pour vélos Bien entendu d’autres idées et fonctions ont été discutées et débattues; ne sont représentées ici que celles qui revenaient de manière récurrente ou également de personnes qui ont convaincu les autres participants du bienfondé et de la pertinence de leurs propositions. Toutes n’étaient pas pertinentes ou réalisables. Cette liste n’est évidemment pas définitive ; pour ce genre de projet, il est important de suivre les principes de l’incrémentalisme, principe élaboré par Charles Lindblom, et repris et développé par Lucien Kroll : « [il] est la façon écologique de décider : par la participation continue de toutes les informations et de tous les informateurs qui surgissent au cours de l’opération. » Ainsi contrairement à l’élaboration « classique » d’un projet, il ne faut pas figer les étapes, le projet étant alimenté par les participants ; il doit donc, dans la mesure du possible rester le plus souple possible. Le second résultat est de mettre à jour l’atmosphère générale du projet. Certaines productions sont, d’un point architectural, très abstraites. Cette ambiance qui s’en dégage est tout aussi importante que les fonctions et même peut-être davantage. Elle montre ici que les gens ont besoin d’un espace, qui reste vert, tout en accueillant de nombreuses fonctions mais surtout un lieu de rassemblement et de rencontre. Ce besoin de rassembler les gens. Si ces réunions apportent beaucoup au projet, il faut bien faire le constat amer, que beaucoup de personnes ne viennent pas. Elles ont souvent peur de ne pas être utiles en disant des choses stupides ou tout simplement en ne pensant pas avoir de choses pertinentes à apporter au projet. Elles ont aussi peur de ne pas être écoutées ou pire encore de croire que les réunions ne leur sont pas destinées. Tout cela malgré un travail énorme du collectif, qui a réalisé du porte à porte dans tout le quartier et ses environs. Ce qui représente un travail énorme, réalisé de manière totalement bénévole.
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Plans réalisés par les habitants Image appartenant à l’ASBL du Terrain Populaire
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Les premières difficultés La conception du projet avançait bien. Les différents participants - dont le bourgmestre empêché de la commune de Tournai, M. R. Demotte - s’entendent très bien ensemble. Les règles du dialogue sont respectées. Ne pas couper la parole ou la monopoliser, écouter attentivement, demander avant de parler… La commune, d’ailleurs, prend parti avec le collectif et accepte de financer les équipements relatifs à l’activité sportive, à savoir notamment les goals pour le terrain de football (qui avaient déjà été achetés et attendent toujours (à ma connaissance) dans un local d’être utilisés). Le terrain populaire est néanmoins pour l’instant toujours un terrain militaire et donc interdit d’accès en théorie ; même si de nombreuses personnes s’y rendent pour jouer avec leurs chiens, jouer au foot entre deux sacs d’écoles, s’assoir et parler, faire du vélo… Le collectif, fort de l’enthousiasme provoqué chez les habitants, citoyens et élus et de l’intérêt public de sa démarche, commence donc des démarches avec le ministère et l’état-major de la Défense afin d’avoir une concession sur le terrain pour pouvoir commencer l’aménagement de l’espace. Ceux-ci nous répondent que le terrain est sous la responsabilité du Comité d’Acquisition Fédéral du SPF Finances. Celui-ci a été créé le premier janvier 2015, pour vendre, acheter et exproprier des terrains et/ou des constructions pour l’état fédéral1. Ils rajoutent également que si une concession est accordée, elle le sera de manière provisoire et dans le cas d’une vente, toutes les installations devront être retirées afin de rendre le terrain dans son état « originel ». Conditions que nous avons bien évidemment acceptées. Malheureusement, par la suite, l’état-major de la Défense nous a recontactés pour nous dire que le terrain allait être acquis par la Régie des bâtiments dans l’année et que par conséquent, la concession ne pouvait plus se faire. Celle-ci voudrait l’acheter afin de permettre au ministère de la Justice de construire un nouveau palais de justice à Tournai, l’actuel étant considéré comme trop vétuste. Pourtant ce projet date de 2014 et depuis, le ministère de la Justice a changé d’avis. Néanmoins le ministre responsable de la Régie des Bâtiments répond qu’il avait fait l’achat du terrain à ce moment. Ainsi les différents ministères et organisations gouvernementales ne communiquent pas la même chose, même la commune de Tournai ne sait plus tout à fait qui est en charge réellement du terrain. 1 Belgium.be, informations et services officiels, ttps://www.belgium.be/fr/actualites/2017/finimmoweb_le_ nouveau_site_immobilier_des_autorites_federales
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En plus de ces péripéties désastreuses, il faut ajouter que bien souvent les réponses n’étaient pas envoyées à notre collectif qui avait formulé la demande (alors que nous avions une boîte postale prêtée par le Comité Saint-Jean) mais à la commune qui devait dès lors nous transmettre les réponses. Ces échanges, longs et pénibles, ont refroidi les ardeurs et ont mis un frein à l’élan de bonne volonté, d’enthousiasme et d’idées de la plupart des participants.
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La renaissance La persévérance Malgré ces mésaventures, cette formidable aventure ne s’arrête pas là. L’engouement que ce projet avait suscité ne pouvait pas s’éteindre aussi facilement. Ainsi le noyau du collectif persiste toujours, et il organise souvent des pique-niques populaires sur le terrain militaire. Ces événements, étaient réalisés de manière légale. Le collectif demandait à chaque fois, selon ce qui est spécifié par la loi, l’utilisation occasionnelle de l’espace. Ils permettent aux gens de se rencontrer, de se retrouver, de discuter, de découvrir ou redécouvrir le potentiel de ce vaste espace autour d’un verre et d’une assiette de nourritures diverses. L’engouement revient, les gens se sont rappelés le projet et d’autres l’ont découvert et l’ont rejoint. Ces fêtes sont les moments où le nombre de participants (participants essentiellement, mais quelques organisateurs) est le plus élevé. Il a ainsi été décidé, devant l’énorme potentiel de cet espace et devant la lenteur ou l’indifférence des ministères, de commencer à aménager le terrain. Ainsi un programme a été mis en place. L’objectif est de nettoyer le terrain, planter six arbres fruitiers ainsi que plusieurs arbustes tels que des framboisiers ou des fraisiers. Ces activités ont été prévues pour être des plus ludiques et joyeuses. C’est pourquoi Christine a demandé à Valou (un habitant du quartier) s’il voulait bien se déguiser en clown comme il le fait souvent lors des festivités du quartier. Cet événement un peu physique et sérieux, donc qui attire moins les gens, fut une véritable réussite. En effet comme le dit si bien Christine : « si tu intéresses les enfants, tu ramènes leurs amis et leurs parents, c’est comme ça que tu attires le plus de monde ». L’événement attira également plus de monde pour une simple et bonne raison: il est concret. Voir six petits arbres plantés représente bien davantage pour les gens, que de réfléchir à en planter cinquante.
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Affiche réalisée par Dom Moreau Image appartenant à l’ASBL du Terrain Populaire
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Aménagement d’une petite place Nous nous sommes ainsi retrouvés un samedi après-midi avec nos divers outils (bêches, pioches, râteaux, gants…). Le temps que tout le monde arrive, nous avons commencé à nettoyer le terrain, puis nous avons décidé ensemble du calendrier pour notre programme de faire un potager collectif, afin de faire réagir les autorités et de relancer le projet imaginé l’année dernière. Et bien évidemment, tout en plantant ces arbres, avant tout symboliques, nous avons discuté (entre autres) du projet, et les idées se sont remis à progresser, à s’améliorer, des détails à s’ajouter. Par la suite nous avons continué durant les weekends à aménager le potager. Des semis ont été plantés dans la serre du Comité Saint-Jean. Nous avons ainsi planté une demi-douzaine d’arbres fruitiers ainsi que des framboisiers. Nous avons également préparé sept parcelles cultivables, de tailles variables selon les besoins. Durant ce temps, j’ai appris la façon de cultiver de manière intelligente et écologique grâce aux explications de Dom. Certains des participants prenaient une parcelle ou une demi parcelle pour eux, d’autres étaient à la disposition de personnes intéressées. Ceux-ci, apprenant la nouvelle, venaient nous rejoindre et une parcelle a été destinée aux soupes collectives organisées par des habitants du quartier. Au fur et à mesure des semaines l’engouement autour du projet a repris de l’ampleur, des gens sont venus nous rejoindre, nous encourager… Nous avons donc décidé d’augmenter notre présence en organisant deux journées de création de mobilier en bois (bancs, tables…). Pour cela nous avons récupéré les palettes de la mi-étude des étudiants de Bac 3 et avec l’aide de l’UCL-LOCI (qui nous a prêté une camionnette) et de Sébastien Verleene qui l’a conduite, nous les avons stocké dans la cave de l’association Luch’ouverte. Ces deux journées étaient deux samedi consécutifs. En effet, il est difficile de réunir des gens en semaine ou le soir (encore plus pour une activité extérieure). De plus si la première commençait à dix heures du matin, nous nous sommes vite aperçus que les gens n’étaient pas très matinaux. La seconde fut ainsi plus courte, le samedi après-midi, horaire qui attire et convient le mieux aux personnes qui cherchent une activité à faire ou peuvent tout simplement se rendre disponibles. La journée du dimanche a très vite été écartée de toute possibilité d’organisation d’événement. Les personnes, le plus souvent, soit se reposent avant le travail du lundi, soit ont des repas ou activités familiales.
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Photo prise par l’ASBL du Terrain Populaire, 2018.03.18 Image appartenant à l’ASBL du Terrain Populaire
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Photo personnelle Image appartenant à l’ASBL du Terrain Populaire
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Les personnes sont venues en ramenant chacune les outils qu’ils avaient (certains en avaient peu ou pas, d’autres en avaient beaucoup, bricoleurs, designer…). J’avais préparé et imprimé plusieurs références avec et sur les conseils de Dom. Elles permettent aux gens d’y puiser de l’inspiration. Une fois la plupart des participants arrivés, car les horaires n’étaient que très peu respectés, tout le monde s’est regroupé et nous avons réexpliqué l’ensemble du projet. Beaucoup de personnes présentes (presque la moitié des adultes) étaient venues sans avoir participé aux activités précédentes ou ne connaissaient pas ou mal l’entièreté du projet. Une fois les courtes explications terminées, nous nous sommes divisés en groupe selon les envies communes (une chaise longue, un banc, une table, un gros « pouf » …) et les affinités. À nouveau comme pour les réflexions d’avant, tout s’est passé très naturellement, sans problème ou tension. Si j’avais, au début, prévu que les gens réfléchissent ensemble sur papiers quant au mobilier qu’ils allaient réaliser, tous ont préféré, réfléchir en faisant. « L’architecte veut dessiner » ont-ils dit en rigolant. Encore une fois, les gens préfèrent et ont besoin d’un minimum de concret. A la fin de la journée nous avions une dizaine de meubles. Nous les avons ensuite disposés dans l’espace créé entre les immeubles, les maisons et les arbres fruitiers. Ce mobilier a très vite été adopté par les habitants, les riverains et les promeneurs. Par leurs différences et leurs simplicités, ils répondaient bien aux demandes. Par exemples des personnes âgées sont venues nous voir pour nous demander de faire quelques bancs assez hauts afin qu’elles puissent les utiliser malgré leurs âges. De plus, le mobilier (à l’exception de certains) étaient mobiles. Ainsi tous les jours, nous pouvions voir qu’ils avaient été ré-agencés selon les besoins des différents utilisateurs du site. Ces regains d’activités ont lancé une nouvelle dynamique, mais surtout la grande différence fut la présence physique sur le site. Les gens passent devant ou l’utilisent tous les jours. Les légumes des potagers commencent à grandir, les gens s’y donnent rendez-vous… Tous les weekends, nous venions nous occuper de l’aménagement du potager (labourer, nettoyer, planter, arroser, discuter…).
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De nouvelles difficultés Cette occupation du terrain, sans accord de l’état-major, nous a valu quelques courriers menaçants d’utiliser la force contre nous si nous ne libérions pas le terrain militaire ; ce qui montre le décalage entre une autorité basée à Bruxelles par rapport à un terrain situé à Tournai. Ces gens n’avaient réellement aucune idée de la véritable situation. Néanmoins par nos actions, qui ont prouvé aux pouvoirs publics que notre projet était sérieux et bénéfique pour la commune, et par l’absence totale de projet ou de proposition du gouvernement pour le terrain, une discussion s’est à nouveau engagée et nous avons réussi à avoir l’autorisation d’une concession. Mais cette convention avec l’armée nous pose un très sérieux problème. Le tarif (fixé par une loi gouvernementale) est de dix euros l’are, ce qui représente deux milles deux cent septante-un euros. Si la force et la beauté du collectif réside dans le fait qu’il a été créé par et pour les habitants, cela lui donne également des faiblesses. Dont celle de ne pas avoir d’argent ou de financement. Nous avons donc décidé de transformer notre collectif en ASBL afin d’essayer de recevoir des financements communaux et/ou publics (j’ai été nommé secrétaire général de l’ASBL) et nous avons également mis en place une vente de gâteaux et de biscuits afin de réunir cette somme. Nous avons fait plusieurs demandes de financement à la commune ainsi qu’à des fondations mais malheureusement, nous n’avons pas réussi à en obtenir. L’armée refusant de faire une concession pour une partie seulement du terrain (ce qui aurait baissé considérablement le coût, d’autant qu’il nous fallait également de l’argent en plus pour les aménagements, tels que des clôtures pour les potagers ou de la chaux et la machine pour tracer les lignes du terrain de foot…), nous avons dû nous résigner à enlever nos installations du terrain durant le mois de septembre 2017. Il est ainsi redevenu un terrain militaire ou plus précisément un terrain vague. Les arbres et le mobilier ont été donnés à l’un des participants, qui en avait besoin pour le lancement de son verger dans les environs de Tournai.
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Lettre envoyée par la Défense à l’ASBL Terrain Populaire
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Une nouvelle reprise Nos motivations Cet arrêt brutal a fait énormément de peine à tous les participants mais également aux habitants qui n’avaient pas participé aux nombreuses et diverses activités proposées par le collectif ou l’ASBL. Durant « la remise en état », beaucoup d’habitants qui passaient par là, se sont arrêtés, demandant pourquoi le projet s’arrêtait et exprimant leurs déceptions « qu’un projet aussi chouette se termine ainsi… ». Mais s’est-il vraiment arrêté ? Les gens l’ont encore dans leurs esprits et leurs idées sont toujours là. C’est pourquoi j’ai décidé de continuer le projet, qui m’a fortement marqué durant ces deux années et demie. En reprenant les idées qui ont été brassées durant ces heures de travail collectif et en enlevant les problèmes juridiques et financiers qui en ont découlé. Je décide, avec le soutien et la participation de plusieurs participants, de continuer cette belle aventure et que nous réalisions ensemble ce projet même s’il n’existe que sur le papier ou dans la tête des gens. Avec néanmoins toujours l’espoir que ce travail relance le débat entre les habitants, pouvoirs publics et experts sur l’avenir de cet espace.
Le processus mis en place Le déroulement d’un projet collaboratif coïncide peu avec celui d’un projet d’école. Heureusement, dans ce cas-ci, le projet avait déjà commencé depuis plusieurs années. En l’état actuel, cinq étapes ont été réalisées. La première étape fut un travail personnel de regroupement et une analyse de tous les travaux que nous avons effectués à travers l’association. Celui-ci a été facilité par le recul que j’ai eu. De la fin septembre au début du mois de janvier, le projet était mis en pause, étant donné que je travaillais sur d’autres projets proposés par l’université. Cette mise à distance m’a vraiment aidé à avoir davantage une vision d’ensemble que lorsque j’étais sur le terrain. Surtout que le projet, devenu entièrement théorique, a pris en ambition par les moyens utilisés. Le nouveau design fut également soutenu par les discussions avec mes professeurs Eric Van Overstraeten, Pierre Accarain et ma promotrice Béatrice Renard. La seconde étape fut une réunion, organisée chez moi, avec les personnes les plus motivées par le projet. Je ne pouvais refaire de grandes réunions, faute de temps, mais également et surtout parce que le projet, redevenu théorique, 84
SĂŠance de travail collective Photo personnelle
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intéressait beaucoup moins de monde. Cette première réunion fut l’occasion de réfléchir ensemble aux objectifs auxquels l’association avait abouti et aux moyens ou leviers pour les mettre en place. Ceux-ci étaient principalement de l’ordre de lier les différentes entités qui entouraient le site autour d’un espace fédérateur. Avec un accent particulier sur le quartier Saint Jean et la ceinture verte et sa muraille. J’ai essayé de les faire travailler en maquette ou en plan, mais en deux heures de temps, sans préparation avant, cela n’a pas été réellement possible. Le travail en plan, de manière précise, n’est pas du tout un automatisme pour de simples citoyens, surtout à des échelles aussi grandes. Les maquettes, par contre, sont très utiles pour plusieurs raisons. Elles permettent d’avoir très rapidement et simplement une vue d’ensemble du site. Il est également plus facile pour eux de disposer des volumes, surtout si quelques-uns sont déjà préparés. Mais pour cette réunion, je ne voulais pas les influencer. Une autre utilité des maquettes est celle de motiver les gens. En effet, elles attirent toujours les regards et l’intérêt, bien plus que les plans. Pour la troisième, en me basant sur les discussions passées, j’ai commencé à élaborer le projet. Je l’ai développé jusqu’à l’échelle 1/500. La quatrième fut la seconde réunion, à nouveau organisée chez moi, qui eut lieu après le pré-jury. J’y ai présenté l’avancement du projet, qui était encore très conceptuel (échelle 1/500). Nous avons pu en discuter, principalement à propos de l’aménagement du terrain lui-même, notamment de la liaison avec le quartier Saint Jean qui était encore faible. Nous avons abordé également le sujet de la muraille, qui n’était pas encore exploitée. Ensuite nous avons discuté de l’évolution et surtout de l’aménagement du bâtiment ; la nécessité de sa polyvalence fit l’unanimité. Durant la cinquième étape, j’ai continué à faire évoluer le projet pour en arriver aujourd’hui à son état actuel d’avancement.
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SĂŠance de travail collective Photo personnelle
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Le projet Concept Ce long et passionnant travail a abouti à un projet qui s’organise en plusieurs sous-éléments. Ils entourent et connectent un espace central aux différentes entités du site. Cet espace, comparable à une agora, est conçu comme une grande place publique végétale. Elle permet de très nombreuses activités telles que des terrains de foot, fêtes populaires, pique-niques collectifs, concerts… Elle est aménagée ainsi selon les besoins et l’atmosphère souhaités par les participants des concertations officielles ou non (discussions informelles lors de festivités ou lors d’activités).
Maquette d’implantation Photo personnelle
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Aménagement du sol Le théâtre végétal Au Nord et à l’Ouest, les espaces sont aménagés en profitant du dénivelé existant. Pour l’instant talus inutilisé ou inutilisable, il est remplacé par un gradin vert réalisé avec des dalles de béton. Celui-ci permet de sous-diviser l’espace en plusieurs strates plus appropriables. En effet pour l’instant, par ses dimensions, l’espace ne l’est que difficilement. Devant la caserne, où le dénivelé est le plus imposant, le gradin est davantage resserré. A cet endroit du mobilier tel que des bancs, tables et barbecues sont prévus (nous y reviendrons). Il permet avant tout aux usagers de se détendre sur les marches en béton du gradin, dans l’herbe à l’ombre des arbres ou sur le mobilier. Ils ont ainsi une belle vue sur l’agora, l’Escaut, les façades historiques de l’autre rive, le bâtiment du projet, ainsi que le quartier Saint Jean. Le tout en bénéficiant d’une belle exposition sud. Les strates appropriables Au niveau du quartier Saint Jean, où le dénivelé diminue en se rapprochant de l’Escaut, le gradin s’élargit. Cela permet d’accueillir plusieurs activités, dont les habitants ont besoin, qui sont ainsi mises en rapport à celles déjà existantes. Trois types d’activités sont prévus. Un terrain multisports, qui se met en prolongement du terrain de basket existant. Un espace de jeux pour enfants, qui est en parallèle d’un espace vert publique du quartier. Un dernier dédié à des potagers collectifs, s’organisant avec la petite place publique existante (à la base c’est uniquement un espace réglementaire pour les pompiers), agrandi afin de s’ouvrir davantage sur le terrain populaire. Les potagers peuvent ainsi profiter de l’eau récupérée des toitures de l’immeuble voisin. Ce système de récupération d’eau avait été discuté avec le logis tournaisien et la commune qui étaient tous deux d’accord (sur le principe moins sur le financement). C’est en requalifiant les espaces par ses limites, que le lieu devient clair, libre de nombreuses appropriations. Celles-ci n’enferment pas le lieu, mais au contraire, permettent de le liaisonner, telle une couture, aux autres éléments.
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Le bâtiment La rampe Au niveau de la muraille, le gradin se transforme en une rampe qui permet de longer la muraille descendante. D’une part, elle suit les lignes directrices de l’agora, de l’autre, elle longe de manière rectiligne la muraille, apportant la lumière et le calme pour les différents espaces. Ce décalage met en valeur la courbure de l’ancienne fortification. Cette rampe est habitée. Elle est portée par un ensemble de portiques, espacés tous les neuf mètres soixante. Ce système structurel permet deux choses. D’abord une ouverture maximale du bâtiment sur l’espace public et sur la muraille, constituée d’un appareillage magnifique d’anciennes pierres. Ainsi, les fonctions qui sont liées à l’utilisation de l’espace public, sont visuellement dans le prolongement de celui-ci, renforcées par la continuité de la matière du sol. Ensuite, le système permet une liberté d’agencement et de transformation totale. Cette flexibilité, très importante pour les habitants, est réalisée comme le définit Yona Friedman « Le bâtiment est mobile au sens où n’importe quel mode d’usage par l’usager ou un groupe doit pouvoir être possible ou réalisable ». C’est pourquoi, dans l’aménagement proposé ici, tous les éléments peuvent être changés, bougés ou enlevés. Actuellement les fonctions que nous avons dessinées sont les suivantes. (Du Nord au Sud) Des rangements pour les vélos, un espace extérieur et un intérieur pour les jeunes, des locaux pour les associations, une petite bibliothèque, possiblement utilisée comme une bibliothèque de rue (tu prends un livre et tu en déposes un), un restaurant/bar « la blanchisserie » (nom proposé par une habitante suite à sa découverte de l’histoire du site).
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Le Landmark Cette passerelle se transforme en son extrémité, ce qui coïncide avec le retournement de la muraille, en un élément vertical, agissant comme un Landmark. C’est-à-dire, comme l’explique Kevin Lynch, en élément qui, par sa forme, contraste avec son environnement ainsi que par sa visibilité dans un contexte large et/ou rapproché. Véritable point de repère, il ajoute également une valeur symbolique, ici augmentée par les fonctions qu’il abrite (nous y reviendrons). Il se met également en échos aux éléments constitutifs de la ceinture verte. En effet celle-ci est composée de trois figures. La surface (le sol végétal), la ligne (les murailles) et le point (les tours). Ainsi, le Landmark se place comme une nouvelle et dernière tour dans le système. Promenade sur la muraille Les planchers ont une matérialité différente du système porteur. En effet, ils se mettent en retrait et offrent ainsi une légèreté ainsi qu’un rapport à l’extérieur plus grand. Le premier plancher d’ailleurs se prolonge à l’extérieur du bâtiment. Il propose ainsi aux usagers une balade au-dessus de la végétation préservée de la muraille, véritable paradis pour la faune et la flore. C’est pourquoi cette extension se veut la plus légère et la plus respectueuse possible du lieu. Détachée du sol, reposant uniquement sur de fins pilotis, elle permet aux gens de découvrir cette nature préservée en pleine ville. Cette balade permet également de relier le projet directement à la ceinture verte. Elle se termine d’ailleurs en offrant une vue en hauteur sur celle-ci. Aménagement du Landmark Son système structurel est simple et permet, comme pour la passerelle habitée, une grande mobilité d’aménagements et de fonctions dans le bâtiment. Il est constitué de deux bandes portantes situées sur les deux côtés longitudinaux. Elles accueillent les éléments de circulation verticale soit les escaliers et l’ascenseur ainsi que les fonctions techniques telles que des rangements, toilettes, gaines techniques… Elles sont percées par endroit afin de créer des vues ciblées et cadrées sur des éléments majeurs de son environnement comme par exemple une église, la caserne, des façades historiques ou encore un paysage. Ce système se met dans la continuité de l’esthétique de la passerelle et des gradins afin de permettre une clarté dans le reste du projet. 98
Grâce à ce fonctionnement, les planchers installés sont ainsi totalement indépendants de toutes contraintes. Leur occupation principale consiste à offrir librement des espaces d’exposition sur le quartier, la ville ou la muraille. Mais ils peuvent devenir également un espace pour des artistes locaux ou des documents d’anonymes, où les citoyens pourront s’exprimer de différentes manières à propos d’eux, de la ville, par des photos, dessins, textes… Ces espaces sont entièrement vitrés sur les façades Est et Ouest. Ils offrent ainsi une dualité de vues, à l’Ouest, vers la végétation libre et foisonnante, à l’Est, vers la ville. L’ascension Dans ce bâtiment, les promeneurs pourront effectuer une ascension en découvrant la ville au fur et à mesure par les vues offertes et les expositions présentées. Cette élévation se termine en offrant une vue à 360°, juste au-dessus de la végétation de la muraille, sur le terrain populaire, le quartier Saint-Jean, la caserne, la ceinture verte, la ville et son paysage environnant.
La promenade sur la muraille Photo personnelle
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Réalisation du projet Bien que théorique, la réflexion a été approfondie dans la mise en place du projet. En effet, il est important que les habitants, que ce soit les participants aux séances de travail ou non, prennent part également à sa réalisation. Et cela pour plusieurs raisons. En général, à cause des contraintes de mises en place ou encore de changement d’avis sur certaines parties, le projet évolue toujours un minimum dans sa phase de réalisation. Ici, le phénomène risque d’être d’autant plus marqué, les habitants auront une perception différente de l’espace entre leurs visions en plans et en maquettes par rapport à leurs visions et perceptions directes. A cela, il faut ajouter que le projet est conçu pour être modulable, adaptable aux besoins changeants des habitants. C’est pourquoi nous avons prévu la réalisation du gros-œuvre par des entreprises, uniquement pour la phase d’exécution. A savoir la réalisation des gradins avec les dalles en béton, ainsi que la structure et les dalles du bâtiment et la balade sur la muraille. Une fois la « coquille » réalisée, les différents espaces pourront être aménagés de manière plus précise. Ces aménagements, à savoir les potagers, jeux pour enfants, arbres fruitiers et mobiliers sur les gradins ainsi que l’agencement des parois et boites amovibles sous l’espace couvert de la passerelle et dans les différents niveaux du Landmark. Chaque espace sera aménagé, tous ensemble, durant des ateliers de travail intellectuel et physique. Ceux-ci, si le temps le permet, seront réalisés directement sur l’espace concerné. Pour la suite, il est envisagé d’organiser des rassemblements tous les ans, ou si une demande d’un certain nombre d’usagers est déposée. L’objectif ici est double. D’une part, il est de faire en sorte que les espaces soient toujours en adéquations avec les besoins de ses usagers. L’autre est de garder l’implication des habitants. Il les incitera à en prendre soin. Le projet ainsi réalisé sera l’œuvre de tous, il sera une fierté commune.
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Le futur du terrain populaire Il est, pour l’instant, difficile de connaitre l’avenir de ce terrain. Nombreuses sont les associations et les citoyens qui souhaite aménager celui-ci. Néanmoins, pour l’instant, les pouvoirs publics ne le permettent pas. Dans le cadre du débat entre plusieurs associations de jeunes et les politiques au skatepark de Tournai, diffusé par Notélé1 le 16 mai 2018, Marie-Christine Marghem, la ministre fédérale de l’Energie, de l’Environnement et du Développement durable, a déclaré qu’il n’y avait eu aucun problème avec la Défense et que celleci était prête à accorder une concession gratuite du terrain. Devant autant de non-connaissance du projet (dans le meilleure des cas) ou autant de mauvaise foi, il y a de quoi s’inquiéter. Pour finir sur une note plus positive, je citerais Rudy Demotte, bourgmestre empêché, lors du même débat : « C’est vrai qu’il y a des espaces qu’on a gâché et l’exemple du terrain militaire en est un ; c’est un terrain magnifique et j’espère que tous les partis politiques qui se présente aux élections porteront ce projet avec enthousiasme. »2
1 Notélé, Les jeunes montrent la voie au skatepark de Tournai, https://www.notele.be/list21-le-temps-pourle-dire-media58042-les-jeunes-montrent-la-voie-au-skatepark-de-tournai.html, 1h16 2 Notélé, Les jeunes montrent la voie au skatepark de Tournai, https://www.notele.be/list21-le-temps-pourle-dire-media58042-les-jeunes-montrent-la-voie-au-skatepark-de-tournai.html, 1h20
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Conclusion
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L’intervention des habitants, des actions cruciales mais souvent limitées et sous-estimées L’implication citoyenne dans la construction des villes a toujours été présente. De par leurs pratiques, ils s’approprient les lieux et ainsi les transforment. Elles sont très variées et d’importances diverses, elles peuvent mener jusqu’au changement de fonction et/ou d’espace, total ou partiel, du lieu. Avec, par exemple, la transformation d’un parking en terrain de basket. Ces actions peuvent être conscientes, politiques et intellectualisées ou non. Mais ce sont elles, qui font vivre et évoluer la ville. C’est par cette multitude de petites transformations humaines, que les quartiers et les rues sont ressenties comme accueillantes et chaleureuses. Cette action citoyenne est par contre limitée à être postérieure à l’intervention des acteurs classiques. Après donc, l’action des architectes, urbanistes, promoteurs et politiques. Cette limite est devenue de plus en plus présente avec l’arrivée de la profession d’urbaniste (terme utilisé pour la première fois par Cerda à la fin du XIXème siècle) ainsi que par celle du courant moderniste. Durant cette période de grands bouleversements sociétaux provoqués par la révolution industrielle (qui se termine au début du XXème siècle), l’organisation classique de la ville se retrouve grandement changée. Phénomène qui s’accentuera également au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale durant laquelle de nombreuses villes furent détruites. Les architectes, en pensant la ville de manière globale et rationnelle, font disparaître les habitants. Ils deviennent alors une figure abstraite, standardisée, représentée et perçue comme un seul module multiplié à l’infini. Une situation changeante Dans la majorité de cette urbanisation moderniste, les habitants ne se sont pas reconnus. Les critiques sur cette manière autoritaire de procéder sont devenues de plus en plus fortes. Depuis plusieurs décennies, de nombreux habitants et intellectuels revendiquent une démocratie plus directe. Beaucoup veulent participer à la conception des espaces publics qu’ils utilisent. De nos jours, avec les nouvelles technologies et les libertés acquises durant le XXème siècle, il n’a jamais été aussi facile de faire entendre sa voix. Les exemples où des habitants ont réussi à se mobiliser pour participer aux réflexions sont légions. Les habitants ne sont pas les seuls à vouloir ce changement. D’ailleurs l’architecture a évolué, la compréhension et l’analyse du site sont devenues des enjeux essentiels à toute « bonne » démarche architecturale. Aujourd’hui, la prise en
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compte de l’habitant est perçue comme logique par bon nombre d’architectes et de politiques. Une collaboration compliquée. Nombreux sont les écrits et expériences qui ont mis en évidence les apports que les usagers de l’espace peuvent apporter aux projets urbains et architecturaux. Ils détaillent et répertorient les différents apports des habitants, analysent les problèmes de projets conçus sans usagers… Certains ont plus de soixante ans (Kevin Lynch, The image of the city, 1960). Pourtant, il faut bien reconnaître, que si les projets réalisés avec la participation des habitants sont de plus en plus nombreux, ils restent assez rares dans nos régions. Ils sont, par ailleurs, souvent de tailles modestes ou sont limités à des analyses de sites. Ainsi, si la majorité soutient ce type de procédé, seule une minorité l’applique. Ce décalage entre la théorie et la pratique s’explique par les difficultés de sa mise en place. D’ailleurs lorsque nous employons le terme de « participation », celui-ci renvoie à plusieurs pratiques très distinctes. Ces différences vont de l’autonomie et indépendance totale, soutenue ou non, des habitants, à de simples séances d’information voire dans le pire des cas, à de la manipulation afin de servir une stratégie de communication. A cela, il faut ajouter que les objectifs sont également divers. Ils peuvent être de connaître les usagers du lieu, les besoins, d’élaborer les objectifs, être pédagogique… C’est pour ces raisons que j’ai effectué ma démarche de recherche autant par l’approche théorique que par celle de terrain, en participant à plusieurs études de cas. La passerelle de l’Arche, Change ta classe ! et le Terrain Populaire sont les trois actions que j’ai particulièrement approfondies. De ce travail, j’ai pu répertorier et analyser les principales difficultés de ce genre de démarche. Car impliquer les citoyens est loin d’être aisé. Tout d’abord, si le projet n’est pas pensé à ses débuts avec les habitants, deux cas de figures peuvent se produire. Dans un premier cas, si le projet est estimé contraire aux besoins des habitants, ces derniers vont s’unir pour bloquer le projet, ce qui va paralyser la situation et peut mener à des situations extrêmement conflictuelles. Dans l’autre cas, le projet, aussi bien conçu soit-il, ne sera pas forcément en accord partiellement ou totalement avec les besoins réels du site. Celui-ci est alors mal vécu par les habitants. Un exemple simple et fréquent de ce genre de problème nous le montre : les « desire path », ou lignes de désir en français, sont les sentiers tracés dans les parcs ou zones vertes par les usagers qui n’empruntent 106
pas les passages imaginés et conçus par les différents acteurs classiques de l’urbanisme car ils ne conviennent pas à l’usage que les habitants en font. Ensuite, il y a un problème de coût et de temps. Le processus de travail avec les habitants allonge très souvent la durée de conception du projet. Pour ces derniers, dont ce n’est pas le métier, il s’agit donc d’un travail supplémentaire et ils n’ont donc pas les mêmes disponibilités qu’un architecte, qui n’en a pas toujours lui-même suffisamment. De plus, ils n’ont pas les connaissances ni l’habitude de ce genre de travail. Enfin comme dirait l’adage « seul on va plus vite, ensemble on va plus loin », rajouter des participants dans le processus, augmente la durée des discussions. Pour le coût, l’organisation de ces processus demande des locaux, des fournitures mais également des personnes qualifiées pour animer et contrôler les débats. Cette profession est appelée facilitateur de langage. Enfin, il y a le problème des stéréotypes qui entachent les différents acteurs. Des habitants peuvent penser ne pas être écoutés ou ne pas être capables d’apporter une réflexion utile. Certains architectes et urbanistes pensent que les habitants vont uniquement apporter un ensemble de réflexions égocentriques et/ou sans rapport avec le projet ou encore qu’ils vont fatalement toujours s’opposer au projet. Et qu’ainsi ils vont se voir dépossédés de toute liberté de création. Un apport bénéfique Malgré toutes ces difficultés, après ce travail de terrain, il m’est devenu indéniable que les habitants peuvent ajouter une réelle plus-value au travail de l’architecte ou de l’urbaniste. Travail qui d’ailleurs est pour eux. Nous construisons pour les gens donc c’est à l’architecture de s’adapter aux habitants, pas l’inverse (même si comme nous l’avons vu, les deux s’auto-influencent) ce que résume très bien John Habraken : « Making rules that everybody will have to do […] control on all levels, that is the thing we have to deny of course, that doesn’t work. »1. Cette plus-value est dans leurs visions des usages et besoins de l’espace et de ses usagers. Celles-ci, si elles sont subjectives, n’en sont pas moins très précises car elles se façonnent au jour le jour durant des années. Ajoutées aux 1 John Habrken, dans DE DRAGER / A film about Architect John Habraken de Sonja Lüthi and Marc Schwarz, 34ème minutes traduction personnelle : Faire des règles que tout le monde doit suivre […] contrôler tous les niveaux, c’est quelque chose que nous devons bien évidement refuser, ça ne marche pas.
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connaissances techniques de l’architecte, elles permettent de développer un projet cohérent avec l’ensemble du site. Des processus divers Ce type de démarche, par la multiplicité et en même temps les spécificités des acteurs concernés ainsi que des sites et enjeux, ne peut être résumée en un modèle. Elle a même été élaborée pour lutter contre des modèles de pensée, qui ne prennent peu ou pas en considération le site. Le site étant considéré ici dans son sens large et comprend donc également ses habitants. Cependant, il est possible de faire un ensemble de recommandations. Celles-ci ont pour objectif de permettre au mieux aux habitants de s’impliquer dans le projet. Les habitants doivent être impliqués dès le début de la phase de conception et jusqu’à la fin du processus. Ils doivent avoir un réel pouvoir dans les prises de décisions, au même titre que les experts ou les pouvoirs publics. Plusieurs séances doivent être organisées, si possible à des horaires où le maximum de personnes sont disponibles, de préférence le samedi après-midi, ou alors le soir en semaine. Pour maximiser la participation, un travail préalable d’information, le plus clair possible, est nécessaire. Afin qu’il soit le plus efficace possible, il est préférable de le faire avec les associations et collectifs locaux. Les temps de travail collectif doivent avoir chacun des objectifs limpides (analyse de la situation actuelle, établissement des fonctions, les approches du projet…). Durant ces séances, il faut établir des règles claires (prise de paroles, temps de parole, écoute…) auxquelles tout le monde doit se soumettre. Il ne faut pas considérer celles-ci uniquement comme des réunions entre experts. Il faut donc qu’elles soient ludiques afin que les participants aient envie de venir, revenir et qu’ils s’impliquent un maximum. Des pratiques en constante évolution Ces démarches sont de plus en plus mises en pratique. Elles évoluent constamment, elles sont toujours différentes et changeantes selon les espaces et leurs habitants. Elles ajoutent de nouveaux degrés d’analyse et enjeux au site ainsi qu’au projet, permettant à l’architecte et aux habitants d’affiner celui-ci. Malheureusement, il faut reconnaitre qu’à l’heure actuelle, l’implication citoyenne reste encore faible. C’est pourquoi, il serait intéressant de réfléchir à accroître et démocratiser la culture ainsi que la pratique de l’urbanisme et de l’architecture chez les habitants. Pratique qui existe, mais qui, à mon avis, est encore trop marginale, même si je remarque une grande et très bonne évolution dans ce sens à l’université. 108
Réunir autour de petits projets les habitants qui, pour l’écrasante majorité, ne reçoivent pas de formation à l’architecture, et les étudiants qui apprennent « coupés de la réalité de terrain », serait, je pense, un réel plus pour les deux partenaires dans leurs réalisations futures.
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Annexes
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Annexe 1 : Planches du rendu
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Annexe 2 : Documents produits durant les séances collectives de travail Tous les documents appartiennent à l’ASBL Terrain Populaire.
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Bibliographie
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