THE TRANSPORTATION ISSUE
DELICIOUSPAPER MATIÈRE GRISE GRATUITE #12
Combien de litres ou de cheeseburgers
pour parcourir 150 km ?
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Roman Cieslewicz, « Collages structurels », circa 1966, Cité nationale de l'histoire de l’immigration, Paris. Graphisme Delphine Lebovici
du 1er février au 31 mai 2011
CITÉ NATIONALE DE L'HISTOIRE DE L'IMMIGRATION dans le cadre de EXPOSITION
MINISTÈRE DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE
MINISTERE DE L'INTERIEUR, DE L'OUTRE-MER,
Des Polonais en France
du 2 mars au 28 août 2011
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Roman Cieslewicz, « Collages structurels », circa 1966, Cité nationale de l'histoire de l’immigration, Paris. Graphisme Delphine Lebovici
du 1er février au 31 mai 2011
CITÉ NATIONALE DE L'HISTOIRE DE L'IMMIGRATION dans le cadre de EXPOSITION
MINISTÈRE DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE
MINISTERE DE L'INTERIEUR, DE L'OUTRE-MER,
Des Polonais en France
du 2 mars au 28 août 2011
Transports 12
DELICIOUSPAPER facebook.com/deliciouspaper email@deliciouspaper.com www.deliciouspaper.com
Alors que le cours du pétrole yoyote (on estime à 20 % la part de spéculation incluse dans le prix) et que la peur du nucléaire est ravivée par les récents et dramatiques événements, rappelons que nos besoins en énergie n’ont jamais été aussi importants. En France, en 2008, les transports c’est déjà et environ 32 % de notre consommation énergétique totale. Les initiatives ne manquent pas, mais certains lobbies pèsent de tout leur poids. Dans ce nº12, quatre regards sur les transports : un expert, un journaliste, un auteur et des données... L’EXPERT (p.6) L’avion solaire ?
LES DONNÉES (p.10) 150km : Combien de litres ?
LE JOURNALISTE (p.8) Barbouzes chez Renault.
sommaire
L’AUTEUR (p.12) Transports en commun.
DELICIOUSPAPER (numéro 12), 67, place du Dr. Félix Lobligeois - Paris 17e (correspondance) • Siège social : 1, rue de Capri - Paris 12e • Tél : 06 21 80 49 69 (publicité) • Contact : email@deliciouspaper.com • Directeur de la publication : Charles-Henri Arnould • Tirage : 35 000 ex. • Diffusion : Intervalles • Impression : L’imprimerie, 79 route de Roissy 93 290 Tremblay en France • Graphisme : Polkaouistiti (polkaouistiti.fr) pour Médiapart • Iconographie : shutterstock.com • ISSN : 1968-7885 • Dépôt légal : à parution • Ne pas jeter sur la voie publique • Ce magazine ne peut être vendu.
Quid de l’avion solaire ? Par Denis Bonnelle et Renaud de Richter (les experts)
Pour le pragmatisme, nous avons les voitures hybrides et pour le rêve, l’avion solaire Pendant des décennies, les énergies renouvelables à encourager dans les transports, pas de doute, c’étaient les biocarburants : diester de colza et éthanol de betterave pour la France, alcool de canne à sucre au Brésil, amidon de maïs transformé chez les Américains... Et puis, patatras, on s’est aperçus que tant qu’on ne visait que des parts de marché de quelques pourcents, ça allait, mais qu’au-delà, on entrait en concurrence avec l’alimentation humaine ou animale. Il faut donc attendre, au minimum, les agrocarburants de deuxième génération (éthanol issu de la dégradation des déchets agricoles, donc de la cellulose et de la lignine à la place des sucres, ce qui est nettement plus difficile), puis de la troisième (algues capables de convertir l’énergie lumineuse en huiles avec un excellent rendement) et enfin de quatrième génération (les mêmes algues, mais modifiées de manière à ce qu’elles expulsent cette huile de leur corps, ce qui éviterait de les écrabouiller pour la
récupérer, ou à ce qu’elles produisent directement de l’hydrogène). Même désillusion pour l’hydrogène, carburant idéalement non polluant sauf quand on se demande comment le produire, le stocker et le distribuer. En particulier, la solution a priori la plus séduisante, le produire par électrolyse de l’eau à partir d’énergie solaire, aboutit pour l’instant à des coûts complètement rédhibitoires. Sommes-nous aujourd’hui vaccinés contre les effets de mode ? Pour le pragmatisme, nous avons les voitures hybrides, panachage de différentes sources d’énergie : celle de son moteur conventionnel avec son carburant classique, et celle des batteries qui auront été rechargées, soit quelques minutes auparavant par l’alternateur entrainé par ce moteur conventionnel, soit lors du précédent freinage avec récupération de l’énergie cinétique de la voiture, ou encore en branchant la voiture sur une prise de réseau électrique.
Et pour le rêve, nous avons l’avion solaire, qui tire son énergie de panneaux photovoltaïques répartis sur ses ailes et son fuselage. Exploit supplémentaire, il est capable de voler la nuit, grâce à des batteries rechargées de jour. Oui, mais... il ne peut emporter qu’une personne, son propre pilote ! Il manque donc à peu près un facteur 100 avant qu’il présente une réelle alternative au transport aérien conventionnel. Et-ce le résultat d’un manque de puissance, le photovoltaïque étant une énergie irrémédiablement trop faiblarde ? Oui et non. Non, car placer des cellules photovoltaïques sur un avion est, d’un point de vue théorique, une des meilleures utilisations possible pour cette technologie : toujours en extérieur donc toujours utilisée, souvent au-dessus des nuages, en remplacement d’une énergie fossile, le kérosène, qui est la plus difficilement substituable par une énergie renouvelable. Économiquement, les perspectives ne sont donc sans doute pas catastrophiques. Mais le problème est que pour gagner en puissance, il faut gagner en surface (aucune avancée spectaculaire n’est envisageable sur le rendement des meilleures cellules photovoltaïques commercialisées, qui est déjà de plus de 30 %), et donc exécuter un virage à 180° en ce qui concerne les choix aéronautiques actuels. Gagner un facteur aussi proche que possible de 100 en surface d’ailes, cela signifie relancer le vieux projet d’aile volante, qui ressemble plus à une raie (le poisson) qu’à un avion — ou éventuellement hybrider une aile volante et un dirigeable. Or, sans doute dans un souci de légèreté, les avions solaires actuels sont, à l’opposé, semblables à des planeurs, avec des ailes exagérément longues et peu larges. Avec peu de chances de pouvoir encore les allonger, pour des raisons de structure mécanique autant que de largeur des pistes d’atterrissage, le modèle actuel est dans une impasse. Impasse en termes de résolution effective des problèmes réels, s’entend. Médiatiquement et symboliquement, l’avion solaire est au contraire un projet promis à un grand succès. Un bel essai sera sans doute marqué, mais comment le transformer ? On voit apparaître le concept commercial haut de gamme d’avion propre, à propulsion partiellement photovoltaïque, partiellement à hydrogène (sans doute dans les proportions : une alouette, un cheval). Mais pourquoi pas ? L’avion solaire contribue à réhabiliter la propulsion à hélices, qui est bien adaptée aux piles à combustible. Et l’une des caractéristiques de l’hydrogène est sa légèreté, qui ne lui est d’aucun
secours pour faire rouler un camion ou une voiture, mais pourrait lui procurer un avantage assez décisif face à l’alourdissement considérable des avions longs courrier au décollage, dû à leur charge de kérosène. Les programmes de recherche qui ont été mis en place pour une “économie de l’hydrogène” pourraient trouver là un petit débouché utile, pour autant que les problèmes de sécurité liés à l’hydrogène soient résolus de façon certaine. En attendant, dans les perspectives techniques de l’Agence Internationale de l’Énergie pour 2050, et pour le scénario qui correspond au développement maximal des énergies renouvelables, les émissions nettes de CO2 que l’on n’arrive pas à éliminer sont constituées à 50 % par le trafic aérien. Et un professionnel de l’aviation a déclaré un jour que les avions ne voleraient jamais au jus de betterave. Donc, sachant que le fait de voyager en avion est réparti de manière particulièrement inéquitable entre humaines riches et pauvres, le seul conseil que l’on puisse donner en la matière est le suivant : moins on volera, mieux ça vaudra. Assumons donc notre destin de “rampants” (comme disent les aviateurs), habitants d’un monde (la surface de la Terre) à deux dimensions seulement. Et même parfois à une seule dimension, comme apparaissent, vues du ciel, les lignes de chemin de fer et les autoroutes. Les chemins de fer, dont les parts de marché sont bien maigres, ont été en grande partie électrifiés. Pourquoi les autoroutes, plébiscitées par le public et par les professionnels, ne pourraient-elles par l’être ?
Extrait de «21 énergies renouvelables insolites pour le 21e siècle» par Denis Bonnelle et Renaud de Richter, paru aux Éditions Ellipses (2010).
dÉCrYPtaGE
Pour dEliCiousPAPER
dEliCiousPAPER
L’instruction qui démarre s’annonce potentiellement dévastatrice pour l’état-major du groupe, dont les méthodes de gouvernance risquent d’être éclairées sous un jour très cru.
Les excuses publiques de Carlos Ghosn semblent n’y rien changer. Devenue une véritable pantalonnade barbouzarde, la fausse affaire d’espionnage qui éclabousse le constructeur automobile Renault ne fait que commencer. Sur le front judiciaire, le dossier d’escroquerie en bande organisée confié le 13 mars au juge d’instruction parisien Hervé Robert va s’enrichir à très court terme du volet “espionnage”, qui était jusqu’ici sous la férule du parquet de Paris.
La suite des investigations s’annonce sensible, et pourrait notamment consister à remonter la chaîne de responsabilité. Selon Me Baduel, le
“Le responsable de la sécurité chez Renault”, Rémi Pagnie, est “un ancien de la DGSE, qui est japonisant et proche de Carlos Ghosn”, lâche Me Baduel sur un ton allusif. “Ce n’est pas Dominique Gevrey qui a demandé à faire une enquête sur les quatre cadres licenciés par Renault. Les ordres venaient de M. Pagnie, et il y a eu d’autres demandes sur d’autres personnes que celles qui sont actuellement citées”, annonce l’avocat, “c’est d’ailleurs ce qui explique la multiplicité des factures dans cette enquête.”
le juge d’instruction ne se contentera pas du premier mis en examen dans la fausse affaire d’espionnage chez renault. Plusieurs cadres dirigeants du groupe pourraient rendre des comptes.
EnquêtE à hauts risquEs sur lEs barbouzEs dE rEnault
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«abonnEz-Vous à MEdiaPart.Fr Pour aCCÉdEr à l’intÉGralitÉ dEs artiClEs» WWW.MEdiaPart.Fr.
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Sur le fond du dossier, Me Baduel rappelle que son client n’était que le numéro 3 dans un service sécurité composé... de trois personnes.
Selon Me Baduel, Dominique Gevrey, 53 ans, entré dans l’armée comme seconde classe, a quitté la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) avec le grade de capitaine, une fois parvenu à l’âge de la retraite. “Il n’a jamais eu de problèmes à la DPSD”, assure l’avocat, voulant tordre le cou à certaines rumeurs laissant entendre que Gevrey avait été poussé dehors par l’armée parce qu’il vendait des renseignements à un pays africain. Ou cet autre ragot, une sombre affaire de bouteilles de champagne volées chez Renault. “C’est la méthode poubelle, tout est bon pour salir les gens”, lâche l’avocat. “La vérité, c’est que Gevrey est un homme droit, voire rigide, et que son casier judiciaire est vierge.”
Or le principal suspect de cette affaire, Dominique Gevrey, numéro 3 de la sécurité de Renault et ancien militaire, qui a été mis en examen et écroué dimanche, semble peu disposé à jouer les lampistes. “Certains pensent avoir trouvé le petit mouton noir du troupeau, et colportent des rumeurs sur son compte”, tonne le défenseur de Gevrey, Jean-Paul Baduel. Sollicité par Mediapart, l’avocat se dit “scandalisé par la très grave entorse à la présomption d’innocence que représentent les propos du procureur Jean-Claude Marin lors de sa conférence de presse” du 14 mars. “Elle a eu lieu juste avant un conseil d‘administration de Renault et une intervention de Carlos Ghosn sur TF1, tout cela est millimétré”, note-t-il.
Dénoncés par lettres anonymes, soupçonnés de vendre des secrets industriels et de détenir des comptes bancaires en Suisse et au Liechtenstein, trois cadres de Renault avaient été licenciés pour “faute lourde” en janvier, avant que la justice n’établisse que toutes les accusations étaient fausses.
“Soit cette source existe, et il s’agit d’un escroc. Soit elle n’existe pas, et c’est Gevrey qui devient le suspect”, résume un homme du renseignement. “En tout cas, même si Gevrey est un type un peu spécial, centré sur l’Afrique, le mercenariat et le trafic d’armes, il ne connaît rien au financier”, poursuit ce spécialiste. Sous-entendu : il n’aurait pas pu monter à lui tout seul une telle escroquerie au renseignement. Dans les milieux proches de l’enquête, les hypothèses aujourd’hui considérées comme les plus plausibles sont soit celle d’une “vengeance montée par des salariés
ou alors unE oPÉration dE dÉstabilisation... à Moins qu’unE VraiE aFFairE d’EsPionnaGE n’ait ÉtÉ lanÇÉE...
Pour l’instant, Dominique Gevrey refuse de dire qui est sa “source”, celle qui lui aurait fourni les références des pseudo-comptes en Suisse et au Liechtenstein qui se sont révélés inexistants. Selon des informations obtenues par Mediapart, l’argent que Gevrey devait remettre à sa “source” serait toujours sur ses comptes, dans plusieurs pays étrangers, notamment à Dubaï, ce qui fait naître de sérieux doutes sur sa sincérité.
service de sécurité de Renault n’avait aucun retour une fois qu’il avait fourni ses renseignements. “Si le service juridique et la direction générale de Renault licenciaient les gens après, le service de sécurité n’avait aucune raison de douter du sérieux des informations ramenées.” La question serait donc de savoir pourquoi Renault s’est empressé de licencier trois de ses cadres (quatre en comptant un cas précédent) sur la base de dénonciations anonymes, suivies de vérifications sommaires ou falsifiées.
Quant au numéro 1, Rémi Pagnie, l’entourage de Carlos Ghosn laisse entendre qu’il aurait trouvé un service de sécurité en très mauvais
Jusqu’ici, les numéros 1 et 2 du service de sécurité de Renault ont subi une garde à vue à la DCRI, mais ils ont été relâchés sans qu’aucune charge soit retenue contre eux. Leur position ne paraît pas très confortable pour autant. Le numéro 2, Marc Tixador, un ancien policier, aurait seulement “traduit dans un langage compréhensible les informations de la source et n’a rien à se reprocher”, déclare prudemment son défenseur, Jean-Pierre Versini-Campinchi. Selon l’avocat, Marc Tixador serait “très surpris que Gevrey ait monté tout cela”.
aigris ou d’anciens salariés”, ou alors “une opération de déstabilisation de Renault”. À moins qu’une vraie affaire d’espionnage n’ait été lancée...
- Michel Deléan
Renault a par ailleurs décidé de lancer un audit sur son service de sécurité et sa chaîne hiérarchique, dont les conclusions doivent être présentées fin avril. Sur les terrains économique, social et politique, les semaines à venir s’annoncent assez agitées. Me Baduel soutient, ainsi, que le cours de l’action Renault a pu être affecté par les fausses nouvelles sur l’affaire d’espionnage lancées par Carlos Ghosn en janvier. Certains syndicats (comme FO) demandent la tête du PDG, d’autres (comme Sud et la CGT) sont également très remontés.
état lors de son arrivée en 2005. Sous-entendu : ce n’est pas lui qui a embauché Gevrey et Tixador. Ambiance...
Bateau 2915 284L/km 02:54
Avion 175 5,67L/km 00:07
Capacité Consommation Durée (pour 150 km)
Capacité Consommation Durée (pour 150 km)
TGV Duplex 500 5L/km 00:30
Bus
50 0,4L/km 01:50
Capacité Consommation Durée (pour 150 km)
Capacité Consommation Durée (pour 150 km)
Le conducteur + 3 passagers
4x4 - SUV 1-4 0,1L/km 01:25
Capacité Consommation Durée (pour 150 km)
Le conducteur + 3 passagers
Le conducteur + 1 passag
Voiture 1-4 0,08L/km 01:25
Moto 1 0,06L/km 01:30
Vélo
1 0,002L/km 07:30
Capacité Consommation Durée (pour 150 km)
Capacité Consommation Durée (pour 150 km)
Capacité Consommation Durée (pour 150 km)
Marche 1 0,005L/km 30:00
Capacité Consommation Durée (pour 150 km)
(ou (ou
x 10) x 26)
Combien de litres d’essence par passager sont nécessaires pour parcourir 150 km ?
ger
Juste le conducteur
Juste le conducteur
Un cheeseburger, c’est approximativement 305 kCal • Un litre de gasoil, c’est approximativement 10 500 kCal • Nos besoins moyens en calories : 2000 • La dépense énergétique à vélo (20km/h) est d’environ 410 calories/heure • La dépense énergétique à pied (5 km/h) est d’environ 245 calories/heure.
Certaines données sont des estimations • Sources : wikipedia, site de constructeurs, icônes : thenounproject.com
Le conducteur + 1 passager
Transports en commun Je crois que l’automobile est l’équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques : une grande création d’époque, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique — Roland Barthes Par Jean Grégor (l’auteur) et illustré par Aleynikov Pavel Quand son père avant acheté la 4L , Boris avait été heureux un temps. L’attrait de la nouveauté avait joué sur son jeune esprit. Produite en 1974, la voiture était assez récente, et plus urbaine que l’Ami 6. Mais comparée aux modèles qui défilaient devant le collège, la 4L devint le symbole de sa banalité, de sa médiocrité. Cette 4L blanche mal entretenue affichait haut et fort que ses parents n’avaient pas d’argent. Et ce miroir de sa pauvreté, il fallait que son père l’expose devant le collège. Tous les jours. Deux fois par jour. Chantal passait désormais du temps dans les transports pour rejoindre la mairie d’Enghien-les-Bains. Boris la voyait rentrer après eux, les traits tirés, les bras chargés de courses. Nostalgique de ses voyages, elle achetait des bâtons d’encens et du papier d’Arménie, mais elle ravalait aussi ses utopies. Elle avait rêvé d’une grande ville avec des tramways qu’on attrapait au vol. Une vie ou l’individualisme et l’égoïsme ne seraient pas un aboutissement. Jacques devint celui qui l’avait précipitée dans une vie sans surprise. Elle était devenue l’épouse d’un banlieusard. Elle se sentait perdre son identité, sa force de femme libre. Le couple s’expliquait longuement le soir. Boris collait l’oreille aux murs. Il entendait son père se défendre. Celui-ci parlait de son propre père, disait qu’il avait été un homme dur. Chantal soupirait, le rassurait. Peut-être pourrait-elle passer son permis. Devant le collège, le cauchemar de Boris redoublait quand le klaxon faiblard de la 4L retentissait, attirant l’attention des autres. Boris revenait sur ses pas et ouvrait la porte, pour s’entendre dire : “Je viendrai te chercher à cinq heures et demie ce soir.” Il la reclaquait, en un bruit de tôle encore plus humiliant, puis s’engouffrait dans l’enceinte du collège, tête baissée. D’autres derrière étaient déposés par des Renault 5 TS, des Fiat Ritmo toutes neuves, ou de belles Simca Chrysler 1307 à la robe bleu métallisé. Franconville n’était pas spécialement chic. Mais, dans les résidences au béton encore frais, les jeunes propriétaires
ne laissaient pas le choix de la voiture au hasard. Dans l’élan de leur nouvelle vie, une voiture honorable et si possible récente était de rigueur. Chaque matin, Boris passait devant la maison en meulière de Sylvie Caron, une imposante demeure qui jouxtait la gare. Il reconnaissait la BMW 528i marron métallisé des Caron. Parfois, il voyait Sylvie ouvrir le portail. Son coeur s’emballait. Il se tassait à l’avant de la 4L. Parfois la BMW roulait juste devant lui. Jusqu’au collège, ils suivaient la voiture luxueuse, conduite par une femme blonde au visage doux. La BMW avait une ligne parfaite, de gros pneus qui adhéraient bien à la route. Et Boris percevait par intermittence le ronflement du moteur — il apprendrait plus tard qu’un moteur pouvait compter six cylindres, voire huit ou douze. Il pensait à la confrontation qui l’attendait devant le collège, à la 4L qui s’arrêterait selon toute logique derrière la BMW. Il avait beau, dans ces moments, penser à la CX de son grand-père, il avait honte. Les bons jours, son père le déposait en avance : personne n’était là pour le voir. Alors, c’était lui, Boris Manzarek, qui jugeait les autres. C’est à cette période qu’il se mit à détester son père. À bougonner quand, au volant de la 4L, celui-ci cherchait à dialoguer. En plus de s’être installé dans une banlieue lointaine, d’être éreinté par un travail vide de tout intérêt, il se voyait affublé d’un fils qui ne lui souriait plus. Une fois, le père de Boris éleva la voix, avec la volonté de “remettre les choses d’équerre”. Ce serait la fois de trop. Le piège se refermait sur Jacques Manzarek. Après quoi, il se contenterait de dire avec que son fils ne quitte la 4L : “Je t’aime, mon chéri...” En cinquième, Boris devint ami avec un Mathieu Elkabache. Mathieu avait un talent de comique, il faisait rire toute la classe, parfois même les professeurs. Il était doué, tout simplement, ses réflexions pertinentes fusaient, alors qu’elles n’étaient pas même
en embryon au fond du cerveau de Boris. Le nom de Mathieu joua sans doute un rôle dans sa vocation de comique. À l’appel, les élèves souriaient, ils pensaient au journaliste du même nom. Une fois, un professeur osa un “Taisez-vous, Elkabache !” qui l’auréola durant toute sa scolarité. Sa mère conduisait une Renault 18 gris métal. C’était aussi une mère idéale : d’abord, elle avait son permis ; ensuite, elle aussi arborait un sourire perpétuel. Témoin de fréquentes disputes entre ses parents, Boris était devenu particulièrement sensible aux apparences pacifiques des autres familles. Le soir avant de s’endormir, il s’imaginait à la place de son copain Mathieu Elkabache, déposé tous les matins par une Renault 18 gris métal : quel soulagement c’était ! Ses rêves ne se limitaient pas à la Renault 18. Il se voyait parader à l’arrière de la Peugeot 504 TI
Extrait de «Transports en commun» par Jean Grégor, paru aux Éditions Fayard Roman (2010).
de Marc Arbizian, ou de la Renault 16 TX — aux quadruples phares carrés — de Nathalie Ramme. Il se contentait de voitures simples, mais si possible récentes et propres, avec une préférence pour celles dotées d’antibrouillards. Les soirs où ça n’allait pas, Boris Manzarek avait son rêve de luxe, son rêve de réserve : monter dans la BMW des Caron. Aussitôt, il se sentait beaucoup plus fort. Il descendait de la puissante berline allemande sans trébucher, il adressait un petit clin d’oeil aux copains. Sa mère klaxonnait ? Pas de problème, c’était l’occasion de montrer à ceux qui ne l’avaient pas encore vue sa magnifique berline. Tout se passait au ralenti. Il revenait sur ses pas, il ouvrait la lourde portière, il disait : “Qu’est-ce qu’il y a, maman ? — Je t’aime, mon chéri...” Dans ces conditions, oui, il acceptait qu’on lui dise “Je t’aime”.
Éric Duyckaerts, 2010 © Stéphane Accarie
Le
danse
[25 mars – 7 mai 2011]
avec Cindy Van Acker, Pascal Rambert, Mathilde Monnier, Tanguy Viel, Loïc Touzé et PJ Harvey Cindy Van Acker, Pascal Rambert [25 mars – 2 avril ] Obvie Lanx Nixe Obtus & Knockin’ on Heaven’s door 4 soli et 4 films de Cindy Van Acker + 1 solo de Pascal Rambert présentés en alternance.
Mathilde Monnier, Tanguy Viel, Loïc Touzé [26 au 30 avril ] Nos images Mathilde Monnier, musique PJ Harvey [3 au 7 mai ] Publique
Avec le Pass 3 soirées, toute la danse au à partir de 24 € En savoir plus, réservation + 33 [0]1 41 32 26 26, www.theatre2gennevilliers.com
Le théâtre de Gennevilliers est subventionné par le ministère de la Culture et de la Communication, laVille de Gennevilliers et le Conseil Général des Hauts-de-Seine
Partenaire média : Nova, Ratp
scal Rambert iers. Direction : Pa ill e. ev nn Ge de e tr Théâ tion Contemporain iel Péri [13 ] éa Cr de l na tio Na br Centre Dramatique ons, 92230 Gennevilliers. Métro Ga 32 26 26. 41 ill ]1 [ és 0 Gr s 33 de + : 41 avenue om. Réservations .c rs ie ill ev nn ge e2 www.theatr
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les parisiens...
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Un Parisien se définit avant tout par ce qu’il aime, mais surtout ce qu’il n’aime pas, par ce qu’il fait, mais surtout ce qu’il ne fait pas. Olivier Magny dresse une liste exhaustive et tout à fait subjective des must parisiens.
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