Les classeurs de Techni.Cités - Mars 2012
X • Étude qualitative de l’environnement sonore d’un espace urbain à Saint-Étienne
La lutte contre le bruit : enjeux et solutions Partie 6 - Retours d’expériences / Chapitre X
Ce chapitre illustre la prise en compte d’un petit aménagement urbain (espace Françoise Dolto, « La Pyramide ») tant par ses caractéristiques sonores, environnementales que sociales. Ce retour d’expérience permet de mieux comprendre la démarche d’étude d’un paysagiste sonore et sa place dans la compréhension d’un aménagement.
A - Nature et motivation de la commande Dans le cadre d’un projet d’aménagement mené par un comité de quartier concernant un espace urbain dénommé « La Pyramide », la ville de Saint-Étienne a missionné l’association ACIRENE pour effectuer une étude qualitative de l’environnement sonore du site concerné. Cet espace doit faire l’objet d’une restructuration par l’implantation d’un espace fitness d’extérieur, et par le réaménagement de ses abords paysagés (accès, sols, plantations…). La question du bruit ayant été évoquée lors d’une réunion préparatoire du comité de quartier, elle a motivé la commande de cette étude qui s’appuie à la fois sur une expertise, un état des lieux, et sur des préconisations concernant l’environnement proche.
B - Le site de la Pyramide
1. Situation globale et équipements du quartier
L’équipement est situé dans un espace (espace Françoise Dolto) assez enclavé et ceinturé d’unités d’habitations, tours et barres assez élevées des années 1970/80. Il est délimité par une grande rue principale, un supermarché avec galeries commerciales, et deux rues de moindre importance. On y trouve deux écoles maternelles primaires, une garderie, un centre social, une salle de gymnastique toute proche, et un bureau d’animateurs de quartiers, maisons d’accueil pour personnes âgées et aménagements divers (jeux pour enfants, mini-stade…), ce qui rend le quartier bien équipé en structures sociales. Le tramway tout proche rend l’accès au centre-ville aisé et rapide. Le quartier comporte une assez grande densité de population où se côtoient différentes classes sociales, moyennes et modestes, et des tranches d’âges diverses. Petit espace au sein du parc, disposé en longueur et en contrebas du parc, le site est difficilement accessible hormis par des talus enherbés et pentus soutenus par des evergreen. Le sol est un mélange de stabilisé, d’herbe et de mousse synthétique, l’ensemble étant laissé à l’abandon. Auparavant se tenait à cet endroit une construction de béton en forme de pyramide. Cette dernière servait de terrain de jeu, notamment de football, mais également de terrain de rassemblement pour les ados et jeunes adultes du quartier, voire d’autres quartiers. Cet endroit fort prisé était devenu un lieu de rendez-vous incontournable, une sorte d’Agora où l’on se réunissait pour jouer et discuter, tant et si bien que la Pyramide en béton, érigée comme un emblème géographique indissociable du lieu, avait donné son nom à l’espace, le quartier de la Pyramide. On se donnait rendez-vous à la Pyramide, nom connu de tous, même hors du quartier. La Pyramide de béton a été rasée. Cette disparition a été très mal vécue par les jeunes du quartier qui se sont sentis dépossédés de leur espace de rencontre, sans qu’aucune concertation préalable n’ait été engagée. La lutte contre le bruit : enjeux et solutions Partie 6 - Retours d’expériences / Chapitre X - A-B-C
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2. Le site de la Pyramide : emplacement, histoire et symbolique
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Six ans après la démolition de la Pyramide, des jeunes de 20 ans et plus parlent encore de cet espace avec une certaine nostalgie. L’espace ayant depuis été laissé à l’abandon, il reste un vide à combler au sein du parc. C’est en partant de ce constat que le comité de quartier, élus, habitants, y compris les jeunes, premiers intéressés, s’est questionné sur la requalification de cet espace, sur les aménagements et jeux qu’on pourrait y réinstaller notamment à destination des adolescents. C’est dans cette optique que l’idée d’un parcours de santé a été envisagée, en regard de l’histoire, de la configuration des lieux, des aménagements existants.
3. Espaces publics, privatifs, semi-privatifs
À proximité du site, on trouve des espaces de différents types : des espaces paysages dont certains sont gérés par la collectivité, et d’autres, privatifs ou semi-privatifs, par les copropriétés concernées (allées et passages piétonniers reliant les différents ensembles et espaces). L’espace relève autant du domaine privé que du domaine public avec une réglementation stricte concernant notamment l’utilisation d’appareils musicaux, mais aussi l’interdiction pour les piétons de s’attrouper. Ces interdictions relèvent à la fois des mesures « antibruit », mais aussi de précautions sécuritaires tendant à canaliser les rassemblements et agissements de « bandes » sur le quartier. On retrouvera d’ailleurs dans des entretiens avec les riverains certains amalgames entre bruit et prévention, ou lutte contre ce que l’on appelle des incivilités.
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C - Approche de l’environnement sonore de la Pyramide
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Le quartier se trouvant dans un espace ceint de hauts bâtiments, avec une forte densité de population (+ de 1 000 logements), la question du bruit et des nuisances sonores revient régulièrement dans les rencontres du comité de quartier. Les riverains s’inquiètent donc de l’impact sonore que pourrait avoir un nouvel aménagement ludique en espace public. C’est pourquoi le service d’urbanisme de Saint-Étienne a décidé de missionner l’association ACIRENE pour réaliser une expertise préalable sur l’environnement sonore du quartier, avec des préconisations relatives à l’implantation de nouveaux jeux d’extérieur. Il est bien précisé que l’expertise d’ACIRENE n’est pas effectuée sur des relevés sonométriques quantitatifs, même si ces derniers ont été réalisés pour compléter l’étude, et éventuellement confronter les analyses qualitatives au protocole de mesures acoustiques. Cette approche de l’environnement sonore ne se limite pas à la notion de bruit ou de nuisance, pour ne pas négativiser d’emblée les résultats. Les ambiances sonores sont étudiées dans une démarche complémentaire à la mesure acoustique, s’appuyant sur des notions de qualité d’écoute, de discrimination des sources, d’équilibre sonore entre les bruits de fond et les sons émergents… L’écoute du territoire est donc un des outils les plus importants de l’étude, corroborée par des témoignages d’habitants et des enregistrements in situ à différentes heures de la journée et à différentes périodes de la semaine.
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D - La méthodologie
1. Objets
L’étude doit permettre l’expertise sonore du quartier de la Pyramide. Cette expertise est à l’origine de préconisations et de la validation concernant l’implantation d’un parcours de santé au cœur de ce quartier.
2. Méthode
a) Sensibilisation Elle s’appuie sur la sensibilisation et l’information du groupe de travail concerné par le projet d’aménagement sur le quartier par : - des balades sonores, écoute commentée ; - des rencontres et échanges autour du thème de l’environnement sonore (les origines du concept, les actions, les méthodes, les outils, quelques définitions à partager). b) Description et analyse de l’environnement sonore du quartier L’environnement sonore est caractérisé par : - les sources sonores, leur degré de présence, leur identification et leur localisation ; - les effets acoustiques induits par la topographie des lieux, le bâti… ; - l’ambiance sonore globale, le ressenti ‒ équilibres déséquilibres ‒ confort et gêne… c) Préconisations et validation concernant l’implantation d’un parcours de santé Elles sont conditionnées par : - les sources sonores propres aux éléments du parcours ; - les sources sonores propres aux utilisateurs ; - les impacts selon les implantations, mécanismes, matériels, matériaux, aménagements… d) Les outils utilisés pour cette évaluation sonore Ce sont : - les prises de sons in situ ; - les rencontres avec des riverains et usagers de différentes tranches d’âges ; - les recoupements et analyse des documents sonores. Afin de bien rendre compte au conseil de quartier, ont été prévus : - des descriptions textuelles des ambiances sonores (sources, effets…) ; - des schémas cartographiques sonores de « l’espace Pyramide », aspects qualitatifs et quantitatifs non sonométriques issus de modélisation ; - des hypothèses de la transformation de l’ambiance sonore par l’implantation d’un parcours de santé ; - des préconisations sur les matériels, matériaux et emplacements inhérents au parcours de santé… ; - une présentation de l’étude finale lors d’un comité de quartier (avril 2011). La lutte contre le bruit : enjeux et solutions Partie 6 - Retours d’expériences / Chapitre X - D
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3. Rendus
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4. Délais de réalisation
Trois mois ont été nécessaires pour la réalisation de cette étude. Elle s’achève par une présentation en conseil de quartier, elle a débuté par une balade et des rencontres avec le comité fin janvier 2011.
5. Complément d’étude
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La ville de Saint-Étienne nous propose de réaliser en complément des mesures acoustiques sur le territoire concerné, selon la norme relative aux mesures de bruit dans l’environnement. Les périodes du mercredi (grande activité), du vendredi ou du samedi sont considérées comme les plus représentatives.
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E - Description de l’étude Ce paragraphe décrit mot à mot les ambiances, les différents parcours d’écoute, tout au long de l’espace à aménager, tels qu’ils sont entendus et analysés par le paysagiste sonore. Cette description « sensible » permet de mieux rendre compte de la perception du paysagiste en marge de la simple étude acoustique et des enregistrements sonores. a) Description des ambiances « C’est un jour d’hiver froid, ensoleillé et sec, les fenêtres sont fermées, pas de faune avicole, l’école est fermée (mercredi), cependant beaucoup de passages piétons et d’activité sur les aires de jeu situées sur l’espace étudié. » b) Parcours-écoute dans l’espace Françoise Dolto « Sons de circulation environnante, quelques automobiles en proximité, des voix réverbérées, des pétanqueurs, bruits de boules roulant et tombant sur le sol stabilisé, bruit de tirs « fer contre fer », conversations des joueurs… Atmosphère assez équilibrée, plutôt calme, pas de pics sonores. » On discrimine aisément les sources sonores, on les situe aisément dans l’espace, les plans sonores sont assez marqués, le bruit de fond est léger. > Parcours dans le parc « Beaucoup de voix jeunes, jouant, cris de jeunes adolescentes, voix de garçons, quelques couples de personnes âgées poussant des caddies, des jeux de ballon, le tout dans une ambiance assez réverbérée mais non saturée. Des trouées, fenêtres auditives à la hauteur des deux passerelles reliant l’espace au boulevard laissant entendre un faible bruit de circulation. Sur une passerelle, quelques sons de voitures sur la rue en contrebas, assez peu nombreuses en milieu d’après-midi, assez discrètes également, qui n’empiètent que peu sur le paysage sonore ambiant. Dès que l’on revient à l’intérieur du parc, le son de circulation s’estompe rapidement pour devenir quasi inaudible, si ce n’est une rumeur lointaine, d’une tonalité plutôt grave. Vers le fond de l’espace, bruit de circulation en direction du supermarché. » > À l’entrée du supermarché, parking souterrain face à l’espace Françoise Dolto « Bruit de circulation prédominant, voire hégémonique. Nombreux sons stridents de freins à l’entrée du parking, avec des crissements de pneus dans la courbe avant les barrières, le tout réverbéré par la caisse de résonance que constituent les entrées du parking et la très proche voie couverte sous la dalle. Ambiance saturée de bruits de circulation et de sons mécaniques et de bruits de roulement (pneus sur la chaussée) qui envahissent un espace auriculaire saturé, donc très vite fatigant à écouter. » > Descente sous la dalle (hors de l’espace Françoise Dolto) « Tous les bruits de circulation sont considérablement amplifiés par l’effet voûte, avec une forte réverbération due au plafond bétonné et assez bas de la dalle. Ajoutons à cela l’environnement resserré et exclusivement minéral. La lutte contre le bruit : enjeux et solutions Partie 6 - Retours d’expériences / Chapitre X - E
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1. Une première promenade-écoute
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Les voix prennent elles-mêmes des proportions importantes, du fait d’ailleurs que les piétons sont obligés de parler fort pour « passer au-dessus » du niveau sonore déjà élevé. Des « accidents sonores » tels le passage d’un camion poubelle avec les cris et sifflements des éboueurs sur les marchepieds arrière, puis le son d’une benne à verre vidée au fond de la voûte emplissent l’espace en masquant tout autre son. La communication orale et alors très difficile, voire impossible, si ce n’est en criant fort pour se faire entendre. » > Ambiance auriculaire à la limite du soutenable « Le fait de passer de l’intérieur de l’espace objet de l’étude à la rue couverte, extérieure, sous la dalle, permet de se rendre compte d’un contraste saisissant, entre un espace sonore plutôt calme, protégé, et un espace très bruyant, où la notion de nuisance et de pollution sonore peut être employée. » > Enregistrement sonore « En parallèle à cette balade-écoute effectuée « à oreille nue » sur le terrain, un enregistrement est effectué sur l’ensemble du parcours, entre les deux extrémités du quartier, soit environ 20 minutes de son non retouché. Cette prise de sons sera réécoutée lors d’une réunion de personnes intéressées par le projet, dans le cadre du comité de quartier. Cette réécoute décontextualisée permet de commenter les ambiances sonores du quartier. On reconnaît parfois les espaces, les voix, on parle des crêtes sonores le samedi soir, surtout durant les périodes estivales… Cette écoute commentée remplace une promenade-écoute, originellement prévue sur le terrain, mais non effectuée du fait de la pluie et du froid. »
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2. Deuxième écoute restreinte et circonscrite à l’espace Pyramide
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a) Ambiances « Températures quasi printanières en après-midi, beaucoup d’activités (jeux de balançoires, de balles). Les fenêtres s’ouvrent. Les oiseaux ont largement fait leur apparition dans le paysage sonore depuis la première écoute. » b) Différents points d’écoute - Sur un banc situé dans l’extrémité de l’espace Pyramide ; - à l’autre extrémité de l’aire, à l’emplacement même de la Pyramide ; - sur la passerelle surplombant la rue ; - sur le banc le long du cheminement piétonnier en haut de l’aire de jeu. c) Sources sonores « Essentiellement des voix de jeunes enfants et d’adolescents. Quelques sons de ballons. Des oiseaux, beaucoup de petits passereaux et quelques corbeaux et pies. Des bruits de pas. Un adolescent qui passe en écoutant de la musique sur son téléphone portable. Des bruits de circulation de la rue en contrebas. Des bruits de perceuse contre un mur dans un appartement. Des pleurs d’enfants et sons d’aspirateurs par des fenêtres ouvertes. Une petite troupe d’enfants de crèche qui viennent jouer dans la cour d’école en contrebas. Une rumeur de la ville assez diffuse et lointaine. »
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d) Localisations, plans et espaces sonores Des plans sonores sont bien identifiés, ils correspondent aux deux axes de passages piétons venant soit de la passerelle, soit de la place vers le gymnase. « Les sons de proximité sont assez discrets (voix et pas) et ne font que passer en empruntant les cheminements piétonniers. Quelques passants stationnent de courts instants pour discuter. Les cris de jeux sont situés dans un second plan dans les deux aires de jeux pour enfant, après la passerelle. Les sons lointains proviennent des fenêtres ouvertes et des rumeurs automobiles de la voie en arrière de la Pyramide, et plus lointains, de la place du gymnase. Les chants d’oiseaux ponctuent l’espace d’un joli pointillisme et de traits sonores qui traversent l’espace, en jouant sur les réverbérations des bâtiments. » e) Effets acoustiques « Essentiellement des réverbérations dues à la proximité des bâtiments assez hauts et ceinturant pratiquement l’ensemble du site, hormis quelques troués (passerelles, accès piétonniers vers le haut). Ces réverbérations donnent aux sons une matérialité et une présence très affirmées, sans toutefois envahir le paysage car assez ponctuelles. Néanmoins, le grand bâtiment en arc de cercle, juste avant le passage conduisant aux parkings du supermarché, constitue une véritable enceinte acoustique, amplifiant et réverbérant les sons de l’espace de jeu en contrebas. On constate également un phénomène d’amplification du fait d’une route encaissée qui longe l’espace. Il en émane passagèrement des bruits de circulation qui, même amplifiés, ne perturbent pas vraiment l’espace car la fréquence est assez faible. Deux fenêtres auditives, ou trouées sonores, qui amènent un peu de rumeur urbaine via les passerelles mais qui restent très faibles du fait de la distance séparant l’espace Pyramide du grand axe routier et de l’écran acoustique efficace que constituent les grands immeubles. » f) Tonalités « Un ronronnement assez grave mais faible (la rumeur), beaucoup de tonalités plutôt aiguës (voix d’enfants et cris d’oiseaux) qui confèrent au paysage une ambiance à la fois calme et dynamique. » g) Fond sonore « Une circulation plutôt feutrée, diffusée par les passerelles, un back ground urbain somme toute assez ténu du fait de la position très urbaine du site de la Pyramide. » h) Fréquences et taux d’émergence « Une majorité de sons sont très courts et non entretenus dans le temps. Quelques crêtes, ou pointes de dynamique au niveau des cris d’enfants, mais relativement courtes. De même pour certains cris d’oiseaux (corbeaux), mais là encore, peu de persistance ; les cris et autres sons ponctuels émergent d’autant plus facilement du faible fond sonore qu’ils sont disséminés dans le temps et l’espace. Ils maillent le territoire d’écoute en lui donnant une série de repères auriculaires assez ciselés. » i) Lisibilité et discrimination « Chaque son est aisément identifiable et parfaitement localisable à l’échelle du site.
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On suit de façon très précise les mouvements et déplacements des sources et des acteurs sonores. Le site de la Pyramide étant enclavé et relativement bien protégé des grands axes extérieurs par les constructions environnantes, le facteur de lisibilité auriculaire est très important. » j) Équilibre global et ressenti « On se trouve donc, en journée en tout cas, dans le cas d’une ambiance assez calme, aux sons plutôt endogènes (générés et entendus dans l’espace restreint de l’espace Pyramide), et dans une écoute révélant un paysage sonore équilibré sans être pour autant neutre. On peut donc stationner dans le site sans se sentir agressé par les bruits, et communiquer oralement sans avoir à hausser le ton, ce qui relève d’une qualité d’environnement sonore de bonne qualité, en tout cas pour un site situé dans un quartier de centre-ville très urbanisé. Dès les beaux jours, on constate une petite invasion de l’espace public par les télés et radios dont les sons s’échappent des fenêtres ouvertes pour venir faire un curieux mixage à l’extérieur, sans pour autant perturber véritablement l’espace public. Il y a donc des échanges et passages intérieur/extérieur, privé/public, favorisés par l’implantation architecturale qui enceint l’espace de l’étude, entre les jeux d’enfants qui s’infiltrent par les fenêtres ouvertes, et les médias qui investissent, sans toutefois créer de véritables gênes. »
3. Rencontres avec des résidents
Au cours des écoutes, différentes rencontres ont été effectuées sur le terrain, avec des riverains, jeunes ou adultes. Globalement, les propos des riverains ne soulignent pas de gros problèmes concernant des nuisances sonores. Tout au plus font-ils remarquer quelques incidents, notamment les week-ends. Mais on s’aperçoit en discutant que ce n’est pas tant le bruit qui est mis en question, mais plutôt des incivilités (bagarres, insultes, voitures brûlées…), et cela même si ces incidents restent eux-mêmes très épisodiques, et ne font pas du quartier un espace de grandes tensions sociales. Le bruit, ou en tout cas celui dont on parle, révèle d’ailleurs plus une forme de crainte sous-jacente, des sentiments d’insécurité, de peur des attroupements sur certains lieux et à certaines heures, qu’une nuisance sonore à proprement parler. Les jeunes quant à eux disent qu’en été, les soirs et soirées de week-end, le quartier est plus animé (rassemblements d’adolescents et jeunes adultes, consommation d’alcool dans l’espace public), mais tout cela semble rester dans l’ordre du raisonnable car les riverains plus âgés ne mentionnent pas particulièrement des troubles de ce genre.
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4. L’hypothèse d’une installation de type parcours de santé ou mobilier de fitness extérieur
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On trouve en général, dans des aménagements de parcours de santé « classiques », des échelles et suspensions, des poutres d’équilibre, des barres parallèles, des plots ou barres d’étirements… Les ambiances sonores sont induites par les aménagements eux-mêmes, mais elles dépendent aussi de leur localisation et de leur utilisation. a) Aménagements de type fitness extérieur Pour un aménagement de type fitness d’extérieur, en espace public et en plein air, on trouve des appareils de musculation, lits d’abdos, pédaleurs, exercices bras et jambes… Contrairement à un parcours de santé classique, les mobiliers fitness ne sont pas agencés en parcours, mais plutôt rassemblés sur un même espace plus resserré, dans la configuration d’une salle de musculation, mais extérieure, sans toit ni mur.
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b) Emplacements géographiques des mobiliers Bien que le choix des appareils, leur nombre et la situation exacte des objets ne soient pas encore définis, on peut penser que l’espace Pyramide sera le point d’aménagement central. Il ne semble pas pour l’instant y avoir d’autres options, tel par exemple un parcours plus étalé en longueur sur une plus grande superficie. On envisage vraisemblablement l’installation de plusieurs mobiliers de type fitness d’extérieur concentrés dans la « fosse », ou une partie de celle-ci, qui constitue l’espace Pyramide proprement dit. Bien que les sonorités situées « en fosse », ou en point creux, aient tendance à être amplifiées, surtout si elles sont perçues par des auditeurs placés au-dessus de l’espace, on dit alors que « le son monte ». Le faible encaissement de l’espace de jeux ne constitue pas une caisse de résonance suffisante pour renforcer de façon sensible les sources sonores. Une pelouse, un tapis de jeux en mousse et des espaces environnants végétalisés atténueront les phénomènes de réverbérations et d’amplifications locales. c) Sources et émergence sonore des « machines » Certains mobiliers sont équipés de mécanismes pour pédaler, ramer… Cependant, ces objets en métal ou inox ne produisent, s’ils sont bien entretenus, quasiment aucune sonorité résiduelle mécanique (grincements, claquements…), les joints et autres transmissions étant souvent réalisés en PVC ou matières synthétiques n’induisant pas de sons de frottements. D’autre part, ces équipements n’étant ni motorisés, ni automatisés par un quelconque asservissement électromécanique, il n’y a là encore aucune nuisance sonore à craindre.
Après la visite d’un site de plein air (Lac des Sapins à Cublize) et sur le quartier de Gerland à Lyon où sont installés de petits parcs de matériels fitness, il s’avère que les objets ne produisent quasiment aucun bruit mécanique lors de leur utilisation. À comparer, certains jeux « traditionnels » sont beaucoup plus bruyants que les mobiliers fitness envisagés. d) Sources et émergences sonores des utilisateurs L’utilisation de matériels à usage plutôt individuel (une seule personne par mobilier) et le fait que cette personne produise un effort physique devraient limiter la production sonore liée aux utilisateurs de cet espace, même si plusieurs personnes les utilisent simultanément. e) Public d’utilisateurs Si à l’origine la Pyramide était un espace où se retrouvaient plutôt des adolescents et jeunes adultes, et si la demande d’installations sportives émane de ces derniers, les mobiliers fitness sont utilisables par tout public, jeunes et moins jeunes. f) Influence de l’environnement proche Les bâtiments alentour génèrent des échos et réverbérations perceptibles, donnant au son une constance, une présence plutôt agréable à l’oreille, en journée en tout cas. La lutte contre le bruit : enjeux et solutions Partie 6 - Retours d’expériences / Chapitre X - E
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Remarque Certains mobiliers sont équipés de boîtiers vocaux alimentés par des panneaux solaires qui donnent des consignes vocales aux utilisateurs. Ces derniers seront bien évidemment à proscrire dans le cadre du quartier de la Pyramide !
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L’absence de matériaux réfléchissants (béton, métal, vitre…) dans un proche périmètre ne surenchérit pas sur des effets de réverbération ajoutés du fait de l’aménagement. L’encaissement de la fosse n’est pas assez prononcé pour générer un effet d’amplification. Le projet ne modifiant pas radicalement l’aménagement du territoire, l’acoustique du lieu ne sera pas modifiée, surtout si le traitement des sols et de la végétation veille à conserver, voire à renforcer, l’utilisation de matériaux et végétaux plutôt absorbants (sol mousse, gazon, végétation buissonnante…). g) L’utilisation diurne Un argument allant en faveur des mobiliers fitness est leur utilisation diurne. Le site ne sera certainement pas éclairé plus qu’il ne l’est actuellement pour limiter l’emploi des mobiliers la nuit tombée, réduisant ainsi les risques de pollution sonore du fait d’utilisateurs nocturnes, chacun sachant que plus l’espace public est calme, plus la moindre émergence sonore peut prend de l’importance dans la perception auditive. h) Détournement d’objets et effet de concentration Un espace de jeu peut, de jour comme de nuit, être utilisé à d’autres fins que celles auxquelles il est initialement destiné. On peut utiliser les mobiliers comme délimitant un territoire de rencontre symbolisé par un aménagement, comme a pu l’être à une époque l’ancienne Pyramide. Il n’est toutefois jamais totalement exclu, surtout aux beaux jours, que ces mobiliers accueillent des noctambules en quête d’un lieu de réunion, les mobiliers servant alors d’assises. Le fait d’occuper l’espace par des mobiliers fitness limite d’ailleurs d’autres pratiques tels les jeux de ballons, qui restent incontestablement plus bruyants que le parcours de santé.
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F - Pour conclure et questions annexes En regard des analyses de terrain et des aménagements envisagés, on peut conclure qu’il n’y aura pas de bouleversements majeurs dans l’ambiance sonore du quartier Pyramide. Pas de nouvelles sources suffisamment prégnantes pour rompre l’équilibre acoustique, et surtout pas de modifications sensibles pouvant générer une nuisance sonore supplémentaire. Et si toutefois quelques nouvelles sources sonores, essentiellement des voix, se localisaient ponctuellement sur l’emplacement de la pyramide, le paysage ambiant aurait dans ce cas un pouvoir d’assimilation qui fondrait ces apports dans l’ambiance auriculaire générale du lieu. Au delà de la question relative à l’aménagement du parcours de santé, s’est également posée la question de la construction d’un espace abrité sur le site de la Pyramide, sorte de cabane d’extérieur ou préau couvert, pour s’y rassembler par mauvais temps. C’est en tout cas une demande formulée au comité de quartier par des jeunes adolescents présents lors d’une réunion préparatoire. La réponse a été très rapide et non négociable. Il est hors de question de favoriser, par la mise en place d’un lieu couvert, un effet de concentration sur l’espace public qui est assimilé d’emblée à une source de bruits, même si les jeunes argumentent que sans ces espaces, ce sont les cages d’escaliers qui servent de lieu de réunion, avec les nuisances sonores induites. On touche avec cette proposition d’autres problèmes sécuritaires récurrents dans beaucoup d’espaces urbains. Un espace plus ou moins fermé masque à la vue les activités des utilisateurs, ce qui est très mal perçu au vu de certains problèmes de troubles publics ou de « trafics » sur la dalle du centre commercial, lieu de plus en plus réglementé et surveillé.
1. Comparaison avec les outils d’évaluation sonore
Des relevés sonométriques ont été effectués dans un premier temps par la ville de Saint-Étienne et en partenariat avec l’IUT de Saint-Étienne, option mesures physiques. Une cartographie normalisée, fournie par la ville de Saint-Étienne, représentant les incidences sonores des infrastructures de circulation sur la ville (directive européenne – Cadnaa - Gypsinoise) permet d’identifier les zones bruyantes. Celles-ci sont circonscrites aux grandes voies de circulation et aux alentours de ces dernières.
2. Cartographie descriptive et qualitative de la Pyramide
Cette cartographie est composée : - d’une représentation des sources sonores sous forme de pictogrammes colorés selon les degrés de présence des sources ; - d’une représentation des effets acoustiques localisés sur l’espace Pyramide. On notera que le ressenti d’ambiances sonores plutôt calmes, équilibrées, voire assez agréables à l’écoute est tout à fait confirmé par les différentes mesures sonométriques effectuées sur le terrain. Les maxima sonores ne dépassent guère 70 dB(A) avec quelques émergences très ponctuelles tels des cris d’enfants, le passage d’un scooter, qui plafonnent à 80 dB(A) sur des durées très courtes. La moyenne se situe vers les 55/60 dB(A), qui révèlent un environnement sonore calme. On remarque une grande étendue dans le spectre sonore, ce qui révèle la présence de sources sonores très diversifiées, sans toutefois que les aigus ni les graves se fassent hégémoniques dans la durée, dans la densité, pas plus que dans l’intensité.
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3. La lecture comparée des résultats, des relevés sonométriques confrontés à l’approche sensible
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Nous n’avons pas ici de relevés en termes d’effet du type taux de réverbération, mais il semble que la configuration des lieux enrichit l’écoute plus qu’elle pourrait, en d’autres lieux, la dégrader. Notes techniques Trois séquences d’enregistrement audio ont été réalisées in situ pour tenter de saisir les ambiances générales du quartier, les effets acoustiques, et de fixer certains « zooms » sur des endroits stratégiques. Ces enregistrements ont été effectués en stéréophonie, au format Wav (format PCM non compressé à 44,1 kHz mode stéréo), avec un appareil numérique portable « ZOOM H4 ». Le premier enregistrement, d’une durée de 20 minutes environ, est constitué d’une balade sonore « non-stop » traversant l’ensemble de l’espace Françoise Dolto au centre duquel est situé l’espace Pyramide. Il part de l’entrée haute située tout près de la place et s’achève en contrebas de la dalle de Centre 2. Les sons ne sont pas montés ni traités, l’enregistrement reste brut, comme une trace de parcours-écoute. D’autres enregistrements, plus spécifiques à l’espace Pyramide, sont effectués par échantillons, à différentes heures de l’après-midi, des mercredis et mardis, entre 13h30 et 18h. Ils constituent des séquences de captation comprises entre 3 et 10 minutes, situées essentiellement sur quatre points (au centre de la « fosse » Pyramide, sur le banc surplombant, à l’entrée, sur l’extrémité donnant sur le parc des deux passerelles encadrant le lieu, vers les jeux d’enfants). Ces enregistrements sont destinés à repérer les différentes sources, les changements au cours d’un après-midi et des différentes conditions climatiques. Les prises de sons s’effectuant sur pratiquement deux mois (début février/ début avril), on constate le passage hiver/printemps, avec les incidences sur les activités humaines (fréquentation des lieux) et animales (arrivée des oiseaux, début de la période de nidification…) et donc sur les ambiances sonores qui se « réveillent » et s’enrichissent peu à peu. Une série d’enregistrements est réalisée conjointement à des mesures sonométriques (même durée, même lieu), sur trois points, sensiblement les mêmes qu’auparavant. Sur une durée d’une demi-heure pour la première mesure, et d’un quart d’heure pour la seconde, ils permettent de comparer les mesures sonométriques à l’impression auditive, au ressenti de l’écoutant. On peut dire que les mesures affichées par le sonomètre corroborent assez fidèlement l’écoute à oreille nue et celle de l’enregistrement. L’ambiance sonore reste calme, équilibrée, les sources et points sonores facilement localisables, même si le dernier enregistrement se fait, de façon fortuite, à quelques mètres d’une cour d’école primaire.
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VIII • L’approche sonore sensible, outil d’analyse et de composition du paysage : histoire, acteurs, méthodes, outils et objectifs
La lutte contre le bruit : enjeux et solutions Partie 4 - Lutte contre le bruit : actions / Chapitre VIII
B - Le contexte, une histoire récente Murray Schafer décrit, fin des années 70, le concept de paysage sonore (Soundscape) dans un ouvrage qui fait encore aujourd’hui référence, The Tuning of the World, traduit en français par « Le paysage sonore ». Ce père de l’écologie sonore (Acoustical Ecology ou Sound Ecology) influencera moult musiciens, mais aussi chercheurs et, par la suite, d’autres acteurs qui se lanceront sur ses traces pour à leur tour tenter de comprendre comment fonctionne notre environnement par l’écoute. Au delà de la simple description analytique, ils s’emploieront, pour certains, à participer activement à des travaux d’aménagements, à médiatiser ces actions auprès d’un large public et à sensibiliser jeunes et moins jeunes sur l’utilité de travailler l’ambiance sonore tout autant que l’ambiance visuelle, ce qui au départ n’est pas ou est peu évident.
C - Un paysagiste sonore ? Un paysagiste sonore, métier non (encore) reconnu, si tant est qu’il le soit un jour, est quelqu’un qui, héritier des expériences de Murray Schafer, s’intéresse à l’environnement, à l’analyse et à la construction de paysages sonores, urbains ou naturels. Musicien, artiste, écouteur, aménageur, mais en tout cas acteur sensible et impliqué dans l’aménagement du territoire, des cadres de vie, il travaille à la frontière des domaines techniques, sociaux, artistiques et culturels. Il est en règle générale partie prenante dans des travaux d’aménagements, des formations ou sensibilisations à l’écoute et intègre, dans le meilleur des cas, des équipes de chercheurs, de pédagogues, d’aménageurs. Ce spécialiste amène son regard d’écoutant, son oreille aiguisée, ses outils d’analyses, son savoir-faire comme concepteur de paysages sonores dans des études prospectives ou dans des travaux d’aménagements sur le terrain. Il fait ainsi équipe avec différents corps de métiers et compétences en apportant de nouveaux éclairages sensibles et esthétiques, en collaboration par exemple avec des designers, plasticiens, écologues, graphistes, paysagistes (au sens premier du terme), architectes, urbanistes, responsables des services d’hygiène et de santé…
D - Quelques études et applications pratiques liées à l’aménagement du territoire Cette approche sensible et qualitative du paysage nous permet d’affiner la compréhension du fonctionnement de l’environnement sonore, l’impact des aménagements architecturaux, des réseaux de communications, des flux de populations, dans la modification des différentes ambiances acoustiques des milieux concernés.
1. Quelques types d’études
2. Des pratiques en France et à l’étranger, un état des lieux concernant ces dernières années
À la suite de Murray Schafer, quelques chercheurs et artistes ainsi que des équipes pluridisciplinaires se sont penchés sur l’environnement sonore. Au départ, ces hommes et structures étaient peu nombreux et relativement isolés, même si quelques colloques et rencontres ont favorisé l’échange et la communication autour de leurs travaux et recherches. La lutte contre le bruit : enjeux et solutions
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- Des évolutions et modifications des sources sonores in situ (apparition, amplification, amoindrissement, disparition…) ; - études des effets sonores induits par de nouveaux aménagements (effets acoustiques, réverbération, amplification, coloration, masquage, coupure, échos…), transformation progressive ou brutale de l’environnement auriculaire… ; - ères de lisibilité (ou non) d’un site auriculaire à l’échelle de la communication humaine (voix).
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En Amérique du Nord et au Canada notamment, des artistes et universitaires se sont positionnés comme des artistes chercheurs, croisant dans leur travail études scientifiques, sociologiques et création sonore, œuvres artistiques, tels la musique électroacoustique et le field recording. Cet apparent mélange des genres, c’est en tout cas très souvent de cette façon qu’il a été perçu en France, fonctionne sur un système de pratiques décloisonnées, alors que dans notre système universitaire, même si cela change progressivement, un artiste ne peut pas être un chercheur digne de foi et vice versa. Ces approches croisées offrent pourtant d’intéressantes ouvertures. Ces dernières commencent d’ailleurs, doucement, à être reconnues et à trouver quelques crédits au sein des universités et notamment dans des UMR qui travaillent en associant plusieurs laboratoires dans des équipes pouvant ainsi regrouper sciences dures, sociales et pratiques culturelles. Ces ouvertures et décloisonnements amènent aux recherches une pluridisciplinarité et un bol d’air salutaire. Pour revenir au cas des chercheurs artistes canadiens et nord-américains, on peut citer entre autres Barry Truax, Hildegard Westerkamp, Howard Broomfield, descendants directs de Murray Schafer, et membres actifs du Word Soundscape Project s’appuyant sur les concepts de l’écologie acoustique développés par Murray Schafer. En France, on trouve des groupes de recherche tels le Lamu (Laboratoire de musiques urbaines), créé par Pierre Mariétan, et associé à l’école d’architecture de Paris La Villette, ACIRENE (Traitement Culturel et Esthétique de l’Environnement Sonore), créé par Élie Tête et œuvrant depuis les années 80 dans les champs de l’environnement sonore, Le Cresson, créé par Jean-François Augoyard, associé à l’école d’architecture de Grenoble (Centre de recherche sur l’espace sonore et l’environnement urbain), Diasonic avec Louis Dandrel, Via Sonora avec Bernard Delage, Archiméda avec Patrick Romieu, pour ne citer que ceux-ci. Nous trouvons également aujourd’hui de nouvelles écoles et pratiques, apparues ces dernières années, notamment avec de jeunes artistes preneurs de sons, parfois audionaturalistes, parfois plasticiens, qui se sont engagés dans une démarche écologique, cherchant à défendre avant tout le droit à une écoute qualitative. On citera entre autres Yannick Dauby, Éric la Casa, Cédric Peyronnet, Pali Meursault, Boris Jolivet, François Martig… Notons également au niveau européen des artistes sonores de renom tels que Chris Watson et Fransisco Lopez qui mettent le paysage sonore au centre de leur création.
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E - Les demandes et usagers potentiels Aujourd’hui, des collectivités et structures font appel à des spécialistes de l’environnement sonore pour différentes raisons. Nous pouvons citer parmi celles-ci la demande d’effectuer un diagnostic, une analyse de l’environnement sonore d’un territoire donné, le désir de préserver un site auriculaire écologiquement intéressant, de le promouvoir par des actions culturelles et artistiques, d’en faire un état des lieux ou l’inventaire des sources sonores, de mesurer l’évolution d’une ambiance sonore au fil des aménagements du territoire, de développer de nouvelles approches liées à un écotourisme urbain ou rural, d’inclure le sonore dans des études sanitaires, sociales… Ainsi, différents services rattachés à des collectivités locales peuvent décider de prendre en compte la « chose sonore », que ce soient des services d’architecture, d’urbanisme, d’espaces verts, de santé et d’environnement, mais aussi des services sociaux, culturels et socioculturels… Dans les villes notamment, pour les travaux sur les réhabilitations de quartiers, les politiques de la ville font parfois appel à des études, ateliers de sensibilisation, animations, programmations culturelles, conférences et formations de techniciens… Les structures compétentes peuvent ainsi intervenir à différents échelons du territoire, de l’international (plans Feder, échanges transfrontaliers, Fondation Grundtvig…) au national, au régional, au départemental, vers les communautés d’agglomération, de communes, les villes, les quartiers… Certains organismes départementaux tels les CAUE se penchent également parfois sur les notions d’identité sonore liées notamment à l’évolution des processus de métropolisation, ou développent des données et ressources, des informations relatives à la question du paysage sonore dans une approche urbanistique et géographique… Citons également les parcs régionaux et nationaux qui prennent parfois en compte les caractéristiques sonores de leur territoire pour valoriser de façon innovante des sites d’écoute, organiser des promenades sonores, recenser les richesses campanaires…
F - Un début de reconnaissance
G - Quelques méthodes et outils En complément des outils d’analyse métrologique existants, l’approche sensible de l’environnement sonore croise des études analytiques et des expériences culturelles et artistiques. L’analyse du territoire sonore se fera entre autres par : - une pédagogie à une écoute sensible (méthodes, jeux, animations, formations) ; - des balades sonores préalablement repérées pour leur potentiel acoustique ;
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On constate, un peu plus visiblement ces dernières années, après des époques de méconnaissance des domaines du paysage sonore, une certaine reconnaissance des travaux et études menés ces dernières années. On voit maintenant se développer progressivement une prise en compte des actions et naître des demandes à la fois de plus en plus ciblées et diversifiées (formations et sensibilisations dans les écoles d’architecture, design espace, écoles d’art, dans des services techniques et administratifs des collectivités locales…). On constate également à l’intérieur d’appels à projets, ou parfois d’appels d’offres, des postes, voire des missions spécifiques concernant des commandes d’expertise par exemple, mais aussi des créations d’œuvres sonores incluses dans des aménagements environnementaux qui ne sont plus forcément liés au 1 % artistique. D’autre part, des réseaux se structurent à l’échelon national et européen, ralliant parfois de plus anciens réseaux pour faire connaître et reconnaître la spécificité des travaux de leurs membres. Ces réseaux sont d’ailleurs de plus en plus ouverts aux approches multidisciplinaires convoquant les secteurs scientifiques, culturels et artistiques, pédagogiques, techniques, politiques, et tentent ainsi d’avoir plus de poids et d’efficacité, en mettant en place des plates-formes d’échanges, des outils et méthodologies mutualisés.
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- des enregistrements de terrain (field recording) tentant de dresser un portrait sonore des terrains étudiés, un état des lieux de leurs fonctionnements et dysfonctionnements… ; - des réécoutes commentées, décontextualisées, le collectage de paroles d’habitants, pour mesurer les différentes perceptions de chacun, les décalages culturels face à un même terrain d’étude ; - une sensibilisation à la création de paysages sonores audionumériques, captation, fabrication de cartes postales sonores, travail autour de l’identité sonore ; - des approches artistiques, des collaborations techniciens/élus/artistes pour révéler et faire sonner les espaces, mettre en place et aménager des parcours d’écoute.
Le cas de la balade sonore et du field recording La balade sonore (soundwalk) et le field recording (enregistrement de terrain) sont souvent étroitement associés comme des expériences artistiques vers différentes façons de découvrir et d’écouter la musique des lieux, en prenant plaisir à déambuler dans les sons, à les capter à l’oreille et éventuellement au magnétophone. Il s’agit en fait d’arpenter le terrain, toutes oreilles ouvertes, d’entrer de plain-pied dans le paysage sonore pour : - écouter et non plus seulement entendre, voire subir son environnement ; - donner les moyens et les outils d’analyser ce que nous écoutons, à la fois s’immerger et prendre du recul, trouver les lieux adéquats, des postures d’écoute en mouvement ou arrêté… ; - développer des stratégies, des objets d’études, mettre en place des parcours ludiques, pédagogiques… ; - fabriquer un « herbier sonore », dresser un état des lieux, appréhender l’identité acoustique, les ambiances, comprendre des effets acoustiques… ; - enregistrer pour garder en mémoire, analyser avec du recul, exploiter la matière sonore pour réécrire de nouveaux paysages sonores ; en développer des approches culturelles, artistiques, sociales, paysagères…
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H - Les évolutions et résultats attendus Une sensibilisation à la prise en compte d’une qualité sonore de l’environnement est souhaitée par de nombreux professionnels et acteurs investis, pas seulement en termes d’isolation phonique, de lutte contre le bruit, mais aussi dans une recherche d’esthétique sonore, d’ambiances, de confort, au même titre que les plans lumière mêlant confort, sécurité, esthétisme, économie d’énergie, lutte contre une pollution visuelle qui « masque le ciel »… L’implication des élus et des techniciens, aménageurs, dans des chantiers de requalification et de construction prenant en compte la qualité de l’environnement sonore est également un objectif important. On tentera ainsi d’intégrer des spécialistes de l’environnement sonore dans les équipes d’aménageurs, de concepteurs et de paysagistes sonores, d’artistes pouvant amener un regard et une écoute décalés, des visions qui, sous leurs aspects parfois utopiques, pourraient ouvrir de nouvelles voies prospectives, des modélisations d’ambiances… Le but est la recherche de paysages sonores qui doivent devenir, au fil du temps, de plus en plus équilibrés, en évitant les hégémonies sonores (la voiture), les pics de « pollution sonore » localisés, mais aussi des zonages excessifs, des zones calmes en centre-ville et des jachères sonores peu ou pas maîtrisées en périphérie (unités d’habitations coupées par des autoroutes, voies rapides, chemins de fer, proximité d’aéroports…). Il faut faire en sorte que l’étude préalable évite tant que faire se peut des erreurs conduisant à d’énormes dysfonctionnements qui demandent des réaménagements coûteux et qui sont finalement peu satisfaisants car rajouter comme des emplâtres sur un mal endémique (murs antibruit, doubles et triples vitrages…) ne constitue pas une solution viable à terme. Mieux vaut souvent traiter en amont, ne serait-ce qu’en prenant en compte l’environnement sonore par différentes approches quantitatives mais aussi qualitatives dans les études d’aménagement, que guérir. Il convient ici de ne pas tomber dans une situation d’autisme, tout le monde enfermé dans son appartementcocon bien insonorisé avec la grande bataille des bruits qui fait rage au-dehors. Il faut pouvoir ouvrir ses fenêtres sur le monde et entendre sa rumeur en acceptant de faire partie de la grande communauté des citoyens écoutants. Il faut également pouvoir se promener dans son quartier et converser avec les passants sans être systématiquement obligé de hausser la voix pour s’entendre et se faire entendre. Pour cela, la sensibilisation et la formation sont convoquées pour qu’un maximum d’acteurs deviennent sensibles aux sonorités des villes et des campagnes, défendent les zones où l’oreille se sent bien, militent pour que l’on construise d’harmonieux paysages sonores. Comme le dit cette maxime attribuée à Scarron : « À bon entendeur, salut !… »
AMPHOUX Pascal, « L’écoute paysagère des représentations du paysage sonore », in Paysages ? Paysage ?, Actes du Colloque de Cerisy, 7-14 septembre 1992, Armand Colin, 1996, pp. 108-122 AUGOYARD Jean-François, À l’écoute de l’environnement : répertoire des effets sonores, Éditions Parenthèses, 1998 BAILBLE Claude, Articles et conférences. CAMPAN Véronique, L’écoute filmique. Écho du son en image, Presses universitaires de Vincennes, 1999 CHION Michel, Le promeneur écoutant, essai d’acoulogie, Plume Éditeur, 1993 CORBIN Alain, Les cloches de la terre, Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au XIXe siècle, Albin Michel, 1994 DESHAYS Daniel, Pour une écriture du son, Klincksieck, Coll. « 50 questions », 2006 La lutte contre le bruit : enjeux et solutions
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Petite bibliographie
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MOTTET Jean (dir.), Les paysages du cinéma, Seyssel : Champ Vallon, 1999 MALATRAY Gilles, Des arts sonnants – Site agrégateur ressource autour des relations création sonore / environnement http://www.scoop.it/t/des-arts-sonnants MURRAY SHAFER Robert, Le paysage sonore, le monde comme musique, Wildproject éditions, 2010 (réédition) NADRIGNY Pauline, Paysage sonore et écologie acoustique http://www.implications-philosophiques.org/ RUSSOLO Luigi, L’art des bruits, Manifeste futuriste 1913, Allia, 2003 SCHAFFER Pierre, Traité des objets musicaux, Seuil / Pierres vives, 1966
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