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À LIVRE OUVERT

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FEMMES LEADERS

FEMMES LEADERS

AVEC DR. Ahmad Tahiri JOUTI

Ahmad Tahiri JOUTI est docteur en finance et économie. Il est CO-CEO du cabinet Almaali Group, conférencier international, chercheur et formateur. Il a conduit de nombreuses missions sur la finance islamique auprès d’institutions financières dans le monde: Afrique, Europe, Asie.Auteur de nombreux articles sur la finance islamique ,il est aussi membre du groupe de travail de l’AAOIFI sur les normes de gouvernance. Il reçoit l’équipe de IFC MAGAZINE pour discuter de sujets structurants de l’industrie de la finance islamique abordés dans son nouveau livre: La Théorie du quatrième marché et les voies de différentiation dans l’industrie de la financière islamique.

En Septembre 2021, vous avez sorti votre livre ‘The Fourth Market theory and the paths to differentiation in the Islamic finance industry’ (en français, la théorie du quatrième marché et les voies de différenciation dans l’industrie financière islamique), est ce que vous pouvez nous présenter l’idée principale du livre ?

Le livre est une synthèse de mon expérience professionnelle et académique dans les domaines du conseil, recherche et formation en finance islamique qui m’a conduit à travailler dans plusieurs pays et à chaque fois, je constatais qu’une grande partie du grand public avait les mêmes réactions voir les mêmes doutes vis-à-vis de la finance islamique. En bref, ces réactions s’articulaient autour de l’idée principale de duplication du modèle conventionnel par les institutions financières islamiques en mettant en valeur l’argument charia et en jouant avec les mots et les termes. Donc, mon livre essaie de répondre à deux questions majeures à savoir : pourquoi les institutions financières islamiques imitent les institutions conventionnelles ? et qu’est ce qu’il faut faire pour créer une vraie différenciation?

Qu’y a-t-il de nouveau dans ce livre ?

En fait, le livre est constitué de six chapitres, chaque chapitre présente un nouveau concept. Le premier chapitre porte sur la théorie du quatrième marché qui explique un peu pourquoi les institutions financières islamiques adoptent une politique de tarification similaire aux institutions financières conventionnelles et par la même occasion, ce chapitre discute les voies pour avoir une politique de tarification indépendante qui répondrait aux attentes des clients mais aussi à celles des autres parties prenantes (titulaires des comptes d’investissement et des ṣukūk, actionnaires, etc.) Le deuxième chapitre discute de deux phénomènes à savoir la protection des

institutions financières déjà établies (ce que j’ai appelé incumbency protection) et le piège de la neutralité. A travers ces deux concepts, j’explique dans le livre que l’approche neutre qu’adoptent les régulateurs, favorise en fait les institutions conventionnelles déjà établies et force les institutions financières islamiques à ajuster leur modèle d’affaire pour s’adapter à ces contraintes et exigences. Par la même occasion, j’ai essayé de présenter une démarche pour savoir négocier avec le régulateur pour éviter cette neutralité ou bien au moins réduire ses effets. Les chapitres suivants traitent chacun un nouveau concept à savoir le concept de migration financière (chapitre 3), l’éducation financière islamique (chapitre 4), le modèle collaboratif (chapitre 5) et les écosystèmes durables de financement social islamique (chapitre 6)

A votre avis, quels sont les freins liés à une vraie différenciation de l’industrie financière islamique ?

Le premier vrai frein relatif à la différenciation de l’industrie financière islamique est l’absence d’un modèle d’affaire cible qui intègre l’ensemble des dimensions stratégiques, réglementaires, technologiques, d’impact social et de marché. En réalité, on se limite à la Charia comme étant le seul facteur de différenciation sans trop se soucier des autres dimensions et aspects. D’ailleurs, ce que j’ai essayé de faire dans ce livre est de concevoir un modèle d’affaire qui se différencie du modèle conventionnel en constituant un avantage concurrentiel pour l’industrie. Le deuxième frein c’est l’approche réglementaire vis-à-vis de l’industrie et les fausses phobies relatives à la possibilité qu’il y ait une cannibalisation et une déstabilisation du système financier en entier. En pratique, il serait très difficile à ce que des institutions financières jeunes viennent détrôner des institutions qui sont là depuis plusieurs décennies et si c’est le cas, ça voudra dire que le nouveau modèle est plus intéressant. Le troisième frein c’est que les institutions financières islamiques ne commencent pas là où les institutions conventionnelles sont arrivées en termes de digitalisation et d’orientations stratégiques. Elles essaient de suivre le même cheminement de développement des institutions conventionnelles. Le quatrième frein dans les pays musulmans c’est l’absence d’une éducation financière qui permet de différencier ce qui est licite de ce qui ne l’est pas et de doter les individus des compétences nécessaires pour bien gérer leurs fonds et générer des revenus conformément à la Charia.

A votre avis, est ce que la différenciation est réellement possible ?

La différenciation est nécessaire, ça devrait être un destin pas un choix. Je pense que le plus difficile a été réalisé. En fait, créer des institutions financières islamiques, les intégrer dans plus de 80 pays était la bataille la plus dure pour cette industrie. Maintenant, la différenciation peut se faire, c’est une affaire de volonté avant tout de la part de toutes les parties prenantes.

Dans le dernier chapitre, vous avez identifié la contribution à des écosystèmes de développement durable comme étant un élément de différenciation, Pourquoi ?

La contribution à la réalisation des objectifs de développement durable est l’affaire de tous. Encore une fois, ces institutions financières islamiques doivent construire des modèles d’affaire de durabilité qui sont différents de ce qu’on appelle la Responsabilité sociale de l’entreprise. Aujourd’hui, les défis auxquels les sociétés musulmanes font face sont énormes en termes de pauvreté, de famine, d’instabilité, etc. Je ne dis pas que ces institutions doivent résoudre tout ça mais au moins elles doivent y contribuer. Je saisis l’occasion de cette interview pour dire que le changement climatique est réel et on le sent au quotidien et selon les scientifiques, il est dû à l’activité humaine. Ce changement de climat aura un impact sur nos ressources d’eau, notre agriculture, notre biodiversité, notre stabilité économique et politique, etc. La bonne nouvelle est qu’il est toujours possible de limiter les effets et l’ampleur du changement climatique à travers une dynamique collective et un engagement individuel. Je saisis cette occasion pour appeler toutes les institutions financières pour contribuer à cette dynamique, à mettre en place les dispositifs de gestion des émissions CO2 financés par leurs soins, à orienter leurs clients vers des investissements plus durables pour le bénéfice de tous.

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