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Diane Devau Urbaniste – Editorialiste Contributions


Smart Grids les compteurs intelligents font souffler le vent de la discorde à l'heure de la transition énergétique Partenaire : Revue Sur-Mesure Date de publication : 22 novembre 2016 Lien URL : http://www.revuesurmesure.fr/issues/villes-usages-et-numerique/smartgrids L’ode aux nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) formulée notamment par Jeremy Rifkin1, met en lumière l’enjeu de développer des smart grids pour lutter efficacement contre la menace avérée du réchauffement climatique. L’affirmation d’une nécessaire transition énergétique, venant dépoussiérer la notion de développement durable, implique dès lors la transformation des réseaux actuels en réseaux électriques intelligents. Ces smart grids ont donc vocation à optimiser la globalité des chaînons du réseau d’électricité du producteur au consommateur afin de le rendre efficace énergétiquement.

Les smart grids, késako ? L’efficacité énergétique s’envisage désormais par le recours aux technologies informatiques en complément du réseau électrique à l’échelle d’un logement ou plus largement d’un quartier. Le principe veut que les foyers équipés d’instruments intelligents puissent avoir accès aux informations relatives à leur consommation en temps réel, et donc piloter depuis leurs smartphones les appareils électroniques ménagers2. La logique du réseau classique vise à adapter la production et la distribution d’énergie à la demande, quand celle du réseau intelligent tente de faire le contraire. L’un des objectifs visés consiste alors à encourager le bénéficiaire du service à consommer de l’énergie aux heures où celle-ci est abondante et à moindre frais. Le « consommacteur », comme nouvelle figure de proue d’une écocitoyenneté qui doit emmener la société vers un régime de sobriété !

L’innovation s’expérimente ! En 2011, Seine Ouest à Issy-les-Moulineaux a été l’un des premiers quartiers pilotes en France concernant l’utilisation de smart gridsau sein d’espaces publics afin de réguler l’éclairage, mais également dans plusieurs immeubles de bureaux ou logements collectifs et individuels. Concernant ces derniers, ERDF a expérimenté Linky, le compteur


communicant qui informe chaque foyer de la quantité d’énergie disponible en fonction des pics de consommation. Prenant le pas de l’initiative d’IssyGrid, Grand Lyon Habitat se lance l’année suivante, à la conquête de l’innovation en développant un partenariat avec ENEDIS (anciennement ERDF) pour l’expérimentation du compteur électrique Linky, auprès d’un millier de locataires dans la région lyonnaise3. Ces instruments interconnectés fonctionnent selon un système de communication binaire, reposant sur un premier procédé de Courant Porteur en Ligne (CPL) permettant le transit des données au travers de câbles électriques vers un concentrateur. Le réseau de téléphonie mobile intervient ensuite dans un deuxième temps pour transférer ces données du concentrateur vers le système central d’ENEDIS. L’élaboration d’une plateforme gratuite et sécurisée nommée « Watt & Moi » a été pensée pour « aider les locataires à se familiariser avec les données de consommation électriques fournies par le compteur Linky » et « apporter aux participants un outil permettant de mieux matérialiser leur consommation d’électricité, et d’adapter leur comportement de consommation d’électricité »4. Testé sur une période de deux ans, dans certains arrondissements de Lyon, ainsi que dans quatre autres communes de l’agglomération, ce nouveau dispositif à vertu pédagogique offrait la possibilité aux usagers de bénéficier d’un accompagnement de proximité pour favoriser une meilleure maîtrise de leurs consommations personnelles. Le 1er mars 2015 a été acté le déploiement à l’échelle nationale des compteurs Linky avec l’objectif d’équiper 35 millions de logements d’ici 2021. Le remplacement des anciens dispositifs est obligatoire et ne sera pas facturé au client, précise ERDF. Toutefois, le compteur « nouvelle génération » n’est pas gratuit, au regard de l’investissement à hauteur de 5 milliards d’euros, supporté par les gestionnaires de réseaux et de distribution. Selon le ministère de l’Environnement5 : « le modèle économique du compteur est équilibré sur sa durée de vie de 20 ans : les gains compensent les coûts de déploiement ».

La polémique électrique autour des compteurs Linky : technophobie ou réelles menaces ? Le 22 février 2016, les Conseillers municipaux de Loubaut en Ariège (09) se sont opposés à l’installation des compteurs communicants sur le territoire. La décision motivée par les risques induits par ces nouveaux instruments de mesure a été rendue officielle par délibération municipale. Celle-ci mentionne en premier lieu la responsabilité juridique du Maire ou du Président d’agglomération en cas d’incident. En effet, les compteurs électriques ne sont pas la propriété du gestionnaire de réseau ou du fournisseur mais appartiennent aux collectivités territoriales à qui l’on impose l’installation des compteurs intelligents…


Les Conseillers municipaux alertent également sur les potentiels risques sanitaires liés à l’émission d’ondes radio par les CPL, jugées potentiellement cancérigènes selon le classement de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) réalisé en 2011. Réalimentant les tumultes parlementaires, à propos de l’innocuité ou non des ondes électromagnétiques, l’Agence nationale de sécurité sanitaire et de l’alimentation (ANSES) reste prudente sur son verdict, énonçant que l’exposition reste moindre que celle contingente aux téléphones mobiles6. Des études de criticité complémentaires sont toutefois à pourvoir avant de clouer au pilori le compteur Linky, au regard d’autres types d’exposition potentiellement nuisibles pour l’homme et l’environnement (Wi-Fi, Bluetooth, appareil de cuisson, etc.). En parallèle des questions de santé publique, apparaît l’enjeu environnemental et la capacité de ces compteurs intelligents à réaliser sensiblement des économies d’énergie. L’espoir d’une transition énergétique concluante, grâce à ce type de nouveaux dispositifs, est cependant terni par le scepticisme de nombreux Français regardant du côté de leurs cousins germains. En effet, bien que les allemands semblent démontrer une appétence écologique plus manifeste que les français, le ministère de l’Économie allemand a refusé en 2013, le passage aux compteurs communicants comparables à Linky, estimant que les bénéfices attendus ne seraient pas atteints au regard des surcoûts d’installation. Concrètement, les économies d’énergies consommées réalisées au sein de chaque foyer doté d’un compteur intelligent ne seraient pas redistribuées directement dans la poche de l’usager mais reviendraient à l’entreprise qui a la charge d’alimenter électriquement d’autres bâtiments ou équipements collectifs sous le leitmotiv de l’intérêt général. Des technologies et des hommes : pas de smart gridssans smart citizens Les enjeux gravitants autour des smart grids font appel à une pléthore d’acteurs, qu’ils soient gestionnaires de réseau de distribution, fournisseurs, acteurs publics, entreprises du numérique ou consommateurs. Ainsi, la transformation des politiques publiques dans le domaine de l’énergie vers une logique territorialisée et moins sectorielle, laisse-t-elle entrevoir une ouverture des scènes de négociation au profit notamment d’acteurs du monde de la recherche-développement. L’innovation pour améliorer les services urbains ne doit cependant pas seulement reposer sur une vision utilitariste des technologies de pointes, envisagées comme une solution miracle aux défis de la ville de demain. A l’aune d’une logique M2M (Machine to Machine) ayant réussi à généraliser la mise sur le marché d’objets du quotidien conçus comme communicants et communicables, il serait préjudiciable d’oublier que derrière ces nouvelles technologies se trouve inéluctablement des humains. Dans le cadre de la démarche Watt & Moi, l’Agence locale de l’énergie de l’agglomération lyonnaise (ALE) a réalisé trois enquêtes qualitatives et quantitatives auprès des locataires participant à l’expérimentation afin d’étudier l’impact du compteur Linky sur leurs


comportements en fonction de l’évolution de leur consommation. Conduites par des cabinets indépendants de sociologues, ces évaluations font ressortir la volonté manifeste des locataires de mieux comprendre la part de consommation en fonction de leurs équipements ainsi que celle de se comparer à un référentiel pour pouvoir se situer et ajuster si besoin sa consommation. Selon les personnes interrogées, la comparaison aurait un fort impact psychologique et favoriserait une prise de conscience pour s’engager dans le changement. Il faut toutefois, préciser que les locataires qui ont été volontaires pour participer à cette expérimentation présentaient déjà - pour la plus grande majorité - un schéma de valeurs inhérentes à un capital écologique affirmé (recyclage, lutte contre le gaspillage alimentaire et autres gestes verts)7. Les principales remarques formulées par les enquêtés concernent le besoin d’un accompagnement personnalisé qui permettrait une meilleure appropriation du dispositif, pourquoi pas en vue d’y apporter des améliorations. En effet, les participants à la démarche ont été accompagnés bien après que le dispositif ait été installé, sans pouvoir bénéficier d’éclaircissement sur le fonctionnement en amont ou d’autres informations préalables qui auraient facilité l’utilisation du site internet et de facto la régulation de leur consommation. L’autre écueil soulevé par l’étude tient au manque de partage d’information entre locataires et plus largement au manque de relations humaines permettant de donner du sens à ces innovations8. L’essor de dispositifs dits « réflexifs » qui ont vocation à « organiser la confrontation des personnes aux traces de leurs propres activités, dans l’espoir que de celle-ci émergera un changement des pratiques individuelles »9, participe à une forme de « gouvernement par les traces » qui n’est pas sans rappeler le célèbre « gouvernement des corps »10 énoncé par Michel Foucault. La responsabilisation des usagers vis-à-vis de leurs pratiques énergétiques, telle que souhaitée par les tenants de la gestion de services urbains interpelle quant aux enjeux sous-jacents des smart grids. La nouvelle privatisation de la ville11 amenant à l’adoption de rapports se voulant de plus en plus horizontaux dans les process de gouvernance, a contribué à repenser le rôle et la place de l’usager. Ce dernier est sollicité à sortir de sa passivité pour prendre part au changement en adoptant des comportements vertueux pour l’environnement. Cependant, n’ayant pas toutes les ressources à leur disposition pour y parvenir, les individus doivent être accompagnés pour que puisse germer une culture commune de l’énergie. À travers la généralisation des compteurs communicants dont la mission est de réduire les pratiques énergivores, se dissimulerait un « outil de moralisation du marché »12 en insistant sur les économies financières des ménages par les économies d’énergies. Ainsi dans la gestion urbaine, s’opère-t-il un glissement de plus en plus récurrent entre des technologies pensées comme résultats à des technologies pensées comme moyens pour améliorer le cadre de vie des habitants. Dès lors, se pose la question de savoir « comment impliquer les individus dans un processus qui les concerne, mais dont les enjeux collectifs leur échappent ? »13


L’enjeu à venir repose, dès lors, sur une communication entre machines et acteurs mais surtout entre acteurs, pour que ces derniers ne soient plus seulement appréhendés en tant qu’usagers que l’on consulterait pour donner leur avis in fine, mais participent bien en amont à la co-conception d’innovations. Ainsi, les NTIC constituent la pierre de touche de la transformation des services urbains venant alors réinterroger ce qui fait sens dans une société qui semble faire l’apologie de la productivité et de la compétitivité, au regard d’une nouvelle acception de l’individualisme, laissant entrevoir de nouvelles formes d’engagements appelant à la co-création, la co-construction de la ville de demain… 1. J. Rifkin, La troisième révolution industrielle, 2012 ↩ 2. T. Pouilly, Qu’est-ce qu’un « smart grid » ? Zoom sur l’énergie intelligente de demain, Regards Sur Le Numérique, 2012 ↩ 3. Dossier de presse, Grand Lyon Habitat et ERDF présentent les premiers résultats de l’expérimentation Watt & Moi, 15 mars 2013 ↩ 4. Dossier de presse, Grand Lyon Habitat et ERDF présentent les premiers résultats de l’expérimentation Watt & Moi, 15 mars 2013 ↩ 5. www.developpement-durable.gouv.fr/Quel-est-l-impact-du-deploiement.html ↩ 6. Rapport d’expertise collective, avis de l’Anses, Radiofréquence et santé, Édition scientifique, octobre 2013 ↩ 7. Rapport de l’ADEME, Expérimentation Watt & Moi, Grand Lyon Habitat et ERDF testent un dispositif pédagogique d’accès aux données de consommation d’électricité pour les locataires, Journée PCET, 15 avril 2014 ↩ 8. Ibid. ↩ 9. A. Delanoë, L. Draetta, C. Licoppe, Des « smart grids » au « quantified self ». Technologies réflexives et gouvernement par les traces, une étude de cas sur la consommation électrique en milieu domestique, De la trace à la connaissance du web, Intellectica, n°59, 2013/1 ↩ 10. M. Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Gallimard, 1975 ↩ 11. I.Baraud-Serfaty, La nouvelle privatisation des villes, Esprit, mars-avril 2011 ↩ 12. A. Danieli, Mesurer, tarifer, vendre l’électricité. La place du client particulier dans les processus de conception et de gestion du compteur d’électricité communicant, 2èmes Journées Internationales de la sociologie de l’énergie, Tours, juillet 2015 ↩ 13. C. Assegond, Affichage des consommations et réflexivité des ménages: construire une Culture domestique de l’Energie par l’information, 2èmes Journées Internationales de la sociologie de l’énergie, Tours, juillet 2015 ↩


Biodiver-cités au Pérou récit d'expériences singulières Partenaire : Revue Sur-Mesure Date de publication : 28 juin 2017 Lien URL : http://www.revuesurmesure.fr/issues/natures-urbaines-etcitoyennetes/biodiver-cites-au-perou

Au cours du XXe siècle, les villes occidentales ont été construites de façon à permettre à l’Homme de s’émanciper d’une Nature considérée comme désordonnée, reniant ipso facto l’héritage des premières agglomérations formées lors de la naissance de l’agriculture, il y a plus de dix-mille ans en Mésopotamie. Le lien entre la Ville et la Nature est-il réellement rompu ? Pas si sûr, à en juger le nombre de projets de végétalisation porté par des associations de citoyens ou par les collectivités. Jardins partagés, potagers sur les toits, expérimentations de fermes urbaines en hydroponie, parcs urbains ou trames vertes… l’engouement pour un retour de la nature en ville semble ne jamais avoir été aussi manifeste que depuis ces dernières années, donnant lieu à de nouvelles formes d’éco-citoyenneté. Au regard de la pléiade d’acteurs impliqués, du caractère protéiforme des projets et des enjeux territoriaux singuliers, comment considérer la relation qu’entretiennent la Nature et la Ville ? Pour tenter d’analyser ce qui se joue derrière ces transformations, une prise de recul est nécessaire de manière à éviter l’écueil d’une pensée unique qui viendrait lisser l’existence bien réelle, d’une multitude d’« espèces d’espaces » (Georges Perec)1. Urbanistes sensibles à la question environnementale et un brin esthètes, nous voulions découvrir d’autres manières de penser et de faire de l’autre côté de l’hémisphère. Direction l’Amérique Latine ! Plus précisément le Pérou, pays imprégné par l’héritage des civilisations précolombiennes et Incas. La Nature est la pierre angulaire de leurs organisations sociales, politiques, religieuses et économiques. Nous espérions donc y trouver des réponses aux défis de société, ou plus humblement apprendre d’autres savoirs que ceux que nous avions acquis sur les bancs de l’université.

La nature est morte, vive la Nature ! En atterrissant à Lima, la nature nous a semblé bien loin face à cette capitale tentaculaire de dix millions d’habitants, fondée en 1535 par le conquistador Espagnol Francisco Pizarro. Dans cetteciudad de los reyes [Ndt : ville des rois] qui jadis concentrait les extractions d’or avant de les exporter par bateau dans les pays du nord, se concentrent aujourd’hui d’autres types de métaux, plus lourds et plus nocifs pour la santé, faisant de Lima l’une des villes d’Amérique Latine les plus polluées. Depuis le centre historique hypertrophié où s’entremêlent patrimoine architectural colonial et habitat informel construit à base d’adobes, de grandes artères serpentent le territoire métropolitain et permettent de rejoindre les districts de San Isidro, Miraflores et Barranco situés au sud du fleuve El Rimac. Si tant est que l’on puisse encore appeler « fleuve », ce qui ressemble à une décharge à ciel ouvert où règnent les bouteilles en plastique vert. Dans la cacophonie


des voitures, des camions, des tuc-tuc et des taxis plus ou moins officiels, nous empruntons l’autoroute urbaine construite en contrebas des falaises qui longent l’océan Pacifique jusqu’à Chorillos, le dernier District au sud parmi les quarante-trois que comporte Lima. Une première lecture de la nature en ville s’effectue par le prisme de la pollution, induite par une urbanisation galopante dénuée de planification qui a réussi à phagocyter peu à peu les anciens ports de pêcheurs. La nature s’appréhende également par son absence à l’échelle du territoire métropolitain, comme si elle avait été engloutie par l’industrialisation ; les injonctions à la production ayant conduit à la déforestation massive, à l’appauvrissement des terres arables, à la contamination des eaux, à la disparition d’espèces faunistiques et floristiques, le tout sur fond de dérèglement climatique. Face à tant de dégâts dont la responsabilité incombe aux activités humaines, nous avons ressenti un profond désarroi, observant concrètement ce que nous pouvions lire dans les médias. À Lima, la vulnérabilité de nos systèmes urbains est également sans cesse rappelée. Elle s’exprime matériellement par des panneaux de signalisation disposés tous les 500 mètres et indiquant les règles de sécurité à suivre en cas de tsunami. Secoués - littéralement, ayant été témoins d’un terramoto [Ndt : tremblement de terre] trois jours après notre arrivée – nous avons cherché à identifier et à analyser les différentes natures qui s’expriment, parfois de manière contradictoire.

La condition urbaine En immersion durant quelques jours dans le quartier bohème de Barranco, nous oscillons entre la contemplation de ces rues arborées de plantes tropicales qui s’entrelacent aux câbles électriques de manière bucolique, et la stupéfaction face à la qualité paysagère des places publiques. Cette nature aménagée interpelle : mise en valeur, protégée et respectée par les usagers des parcs urbains, cette nature domestiquée n’est pas qu’un simple élément d’ornementation et d’embellissement. Elle semble avoir tout autant sa place que les badauds, les cireurs de chaussures et les amoureux s’installant sur les bancs publics aux heures les moins chaudes de la journée. La nature en ville devient ainsi une condition permettant aux citadins de vivre des expériences singulières et de se réapproprier leur cadre de vie sous une forme plus sensible. Outre une fonction récréative, sociale et esthétique, la nature se conçoit également par sa fonction productive. Hormis la ceinture maraîchère d’Arequipa, deuxième ville du pays située à 2 800 mètres d’altitude, aucun signe d’agriculture urbaine telle que nous l’entendons dans les pays du nord, n’a été observé au cours de notre épopée. Les terres agricoles sont toutes reléguées en dehors des zones urbaines, le long de la côte pour la culture destinée à l’exportation tandis que les cultures de l’Altiplano (hauts plateaux de la cordillère des Andes) ou de la Selva (zone tropicale et forêt amazonienne) servent à la consommation interne du pays. Selon la Banque Mondiale, ce ne sont pas moins de 1 277 247 hectares de terre qui sont dédiés à la production de cinq millions de tonnes de céréales et un peu plus d’un million de tonnes d’agrumes2. Cette richesse agricole est aujourd’hui en péril, notamment à cause de firmes agroalimentaires transnationales qui compromettent la souveraineté alimentaire des peuples. Haro sur les monocultures de maïs, quinoa ou encore de soja - exportées principalement vers l’Europe afin de servir


d’alimentation à l’élevage ou être utilisées comme substituts aux produits laitiers - qui contribuent à la déforestation et à la pollution des sols induite par l’utilisation de pesticides nocifs pour l’environnement et la santé. Face à ce fléau, les savoirs ancestraux, disqualifiés pendant de nombreuses années, sont aujourd’hui revisités, à l’instar des techniques d’irrigation ou de rotation des cultures en terrasses, intégrant dans les usages la vision écosystémique de la biodiversité. Alors que les Incas avaient compris dès le XVème siècle, l’intérêt d’avoir des lieux de production agricole à proximité des lieux de distribution, leurs descendants pâtissent de la subordination des entreprises agroindustrielles. Installés sous des halles dans un espace clairement délimité ou bien à ciel ouvert, réinvestissant l’asphalte des grandes artères, les marchés alimentaires occupent des places physique et symbolique de premier ordre dans les villes de l’Altiplano telles que Puno. À s’y méprendre, ces marchés donnent l’image de grands bazars bruyants et désorganisés, or la disposition méticuleuse, soignée sur les étals, des mille et une variétés endémiques de maïs, de patates ou de fruits exotiques gargantuesques cultivés sur ces terres ensoleillées témoignent de la richesse du patrimoine naturel péruvien. « Une innocence archaïque » rappelant les œuvres du Douanier Rousseau Durant nos pérégrinations, la présence d’une faune considérée habituellement en Occident comme « sauvage » tels que les condors, les colibris, les pélicans, les perroquets pour ne citer que les espèces d’oiseaux croisés dans le dédale des ruelles de Barranco, Arequipa ou Cusco, nous a interpellé sur la place de cette biodiversité et ses relations entretenues avec l’homo urbanus. Le Pérou est l’un des 17 pays dans le monde renfermant une biodiversité faunistique et floristique les plus riches avec pas moins de 1 831 espèces d’oiseaux, 507 espèces de mammifères, 415 espèces d’amphibiens, 400 espèces de reptiles, 855 espèces de poissons continentales et 19 mille espèces de plantes3. Comprendre les liens qui unissent la nature et la ville seulement par le prisme fonctionnel est donc préjudiciable, car ce ne sont pas une mais des natures qui coexistent. La prise de conscience de cette coexistence fait échos à un entendement du monde hérité des civilisations précolombiennes. Les Caral -civilisation apparue en 3 000 avant J.-C dans la Sierra - ou les Moches - civilisation qui a vécu sur la côte nord du Pacifique il y a 2 000 ans- avaient une organisation politique, sociale, et religieuse calquée sur les principes de la Nature. De même, leur économie et la répartition professionnelle des rôles au sein des communautés se faisaient en étroite corrélation avec la Nature. Devenus des emblèmes nationaux, le condor, le serpent et le puma, qui symbolisent respectivement la vie passée, la vie présente et la vie spirituelle, rappellent cette cosmogonie sacrée considérant l’Homme, non pas comme au centre du Monde, mais comme un élément constitutif d’une Nature qui le transcende. Le système de croyance inca repose en effet sur une trinité - Pacha Mama, Pacha Tata et Mama Cocha[Ndt : Mère-Terre, Père-Terre, Mère-Lac] régissant les rapports des Hommes entre eux mais aussi des Hommes avec leur environnement. « Nous sommes frères par la Nature, mais étrangers par l’éducation », Confucius


Interroger la place et le rôle de la Nature en ville suppose donc de cultiver nos esprits pour repenser nos liens de solidarités. Loin des dichotomies spirituel/matériel, nature/culture, êtres humains/êtres vivants, le concept de Buen Vivir (Sumac Kawsay en Quechua) repose sur une relation harmonieuse entre les Hommes et la Nature qui implique des devoirs d’entraides et de responsabilités partagées afin de remédier aux injustices sociales induites par l’illusion d’une croissance économique infinie. Sous l’impulsion d’États voisins, tels que l’Équateur ou encore la Bolivie qui a inscrit la reconnaissance de la Nature comme un sujet de droit dans la nouvelle Constitution en 2009, ce mode de pensée holistique met en lumière les interdépendances des systèmes vivants partageant un territoire commun. Les formes multiscalaires de natures que nous avons expérimentées durant notre voyage ont souligné l’importance de la dimension culturelle dans la réflexion sur les liens tissés entre la Nature et la Ville. Polysémique, la culture désigne d’une part, « l’action ou manière de cultiver certaines plantes ou productions naturelles » et d’autre part, « l’enrichissement de l’esprit, connaissances, ensemble des traits qui caractérisent un groupe ». Alors sur les conseils de Voltaire, cultivons notre jardin afin de garder nos esprits fertiles et bien vivre dans les villes de demain. 1. Perec Georges, Espèces d’espaces, Gallilée, 1974 ↩ 2. fr.actualitix.com/pays/per/statistiques-agriculture-perou.php ↩ 3. Source : Annuario de estadisticas ambientales, 2014, gobierno del Peru ↩


Rêver réalité : aperçu de l'éco-habiter Partenaire : Revue Sur-Mesure Date de publication : 17 mai 2018 Lien URL : http://www.revuesurmesure.fr/issues/habiter-des-desirs-au-projet/eco-habiter Parmi les tendances en matière d'habitat, l'écologie occupe aujourd'hui une place de choix. Bien au delà des labels et des règlementations thermiques, ce penchant pas si nouveau pour un habitat respectueux de l'environnement prend ses racines dans l'essence même de l'habiter, au croisement des principes d'auto-construction et d'autogestion. Des leçons à tirer pour construire l'habitat de demain ? Du désir au projet, le concept d’habiter relève d’un « trait fondamental de la condition humaine » tel que l’énonçait le philosophe Martin Heidegger dans son essai « Bâtir, Habiter, Penser ». De tout temps, l’Homme a eu besoin de trouver un refuge, de se protéger de menaces (climatiques, belligérantes, etc.). Se construire un foyer où se réchauffer l’âme et le corps… Ce serait donc la relation que les Hommes entretiennent avec leur logement qui permettrait l’« habiter ». Dans son traité d’architecture, Vitruve développe, au 1er siècle avant J.-C., l’idée que la cabane primitive de nos ancêtres incarne les prémices de l’architecture. Tenant compte de l’éventail des formes urbaines et architecturales, des statuts juridiques encadrés, des prix de l’immobilier plus fragiles que ceux du foncier au regard de ce fameux « effet cliquet1 », c’est davantage la diversité des modes d’habiter dont cet article fait l’objet. Délimitant physiquement le dehors du dedans, l’espace public de l’espace privé, le logement constitue l’espace du « soi », un territoire de l’intimité. Le fait d’habiter une maison, un appartement, une chambre d’étudiant et de se l’approprier en y agençant nos affaires personnelles, en décorant ces murs plus ou moins blancs selon l’épaisseur du temps, serait-il le reflet de l’état intime de ce que nous sommes ? Derrière la porte se jouent ainsi la mise en scène de notre propre vie, la répétition de gestes, incarnent des marqueurs spatio-temporels de nos habitudes, de nos manières d’être… Être et avoir réunis entre quatre murs, un dialogue pouvant parfois produire des fissures… L’« habiter » comme expérience de soi et des autres, ancrée dans une dimension géographique, se comprend donc comme un processus dynamique où s’entremêlent représentations et pratiques.


Habiter, issu du latin habitare, terme intrinsèquement lié à celui d’habere signifiant « avoir, posséder » est une construction socioculturelle qui n’a eu de cesse d’être renouvelée au fil des époques. Réponse à des besoins vitaux, avènement du courant hygiéniste, puis fonction récréative dans les sociétés industrielles, la résolution des problèmes liés aux interactions entre l’implantation des Hommes et leur environnement a profondément transformé nos manières d’habiter. La résurgence de cette notion à l’aube des années 2000 doit s’observer au regard des transformations urbaines de nos sociétés contemporaines. Alors que plus de la moitié de la population mondiale vit en zone urbaine, ce n’est pas tant la forme des habitations qui interpelle que les modes de vie, la multiplicité des urbanités et les systèmes de valeurs qui les sous-tendent. Avec l’avènement d’une économie plus collaborative, la notion sacrée de la propriété évolue vers une volonté de partage de biens communs. L’habitat n’échappe pas à cette mouvance et les limites entre intérieur et extérieur ont tendance à s’estomper, à plusieurs échelles : logement partagé, rue piétonnisée ou encore quartier aménagé par ses habitants voient le jour. En creux d’un nouveau paradigme - incarné à travers ces nouvelles manières d’habiter, plus écologique, plus démocratique - se jouerait une tentative de réappropriation de nos propres conditions d’existence. « Sa maison est en carton, les escaliers sont en papiers… », cette comptine chantée à tue-tête lorsque nous nous époumonions dans la cour de récré, théâtre ouvert pour un acte de quinze minutes de fête, nous invite à nous intéresser à une conception écologique de nos habitations.

Une maison bleue, adossée à la colline… Habiter quelque part suppose une relation à l’environnement dans lequel est implanté son habitat. En ce sens, les principes de l’écologie résidentielle mettent en relief le rôle prépondérant de la nature dans les projections des individus. Si les pratiques ne sont en réalité pas nouvelles, les imaginaires qui se déploient autour de la cause environnementale par le prisme de l’habitat semblent relativement récents. Le désir citadin d’un retour à la nature prônant un style de vie néo-rural renouant avec des savoirs faires vernaculaires et des liens de solidarité affirmés entre les membres d’une communauté, semble aujourd’hui l’apanage de ménages de classes moyennes. Dans la mouvance des Colibris, dont Pierre Rabhi est l’égérie, des écohabitats partagés, des écohameaux, et autres tiers-lieux tournés vers l’écologie voient le jour en France.


Halte à ceux qui crieraient « innovation », car c’est à l’orée des années 1970 que l’on retrouve les pionniers de l’éco-construction, avec pour figure de proue l’architecte utopiste Michael Reynolds, concepteurs des earthships. Ces géonefs en français, s’apparentent à des logements bioclimatiques qui se construisent en respectant l’environnement dans lequel ils s’intègrent et qui sont constitués de matériaux recyclés ou naturels. Revendiquant l’usage de techniques traditionnelles, telles que la construction de murs en chaux ou en torchis, ces earthships nécessitent uniquement la force mécanique des hommes. « Cet Américain s’est construit une maison à base de pneus usés, de bouteilles en verres ou encore de cannettes en aluminium dans le désert de Taos, au Nouveau-Mexique. Cette communauté compte 70 maisons dispersées sur 640 hectares. […] Conçu comme un véritable écosystème, une maison Earthship repose sur plusieurs principes fondamentaux. Au sud, une baie vitrée permet de capter la chaleur du soleil, tandis qu’au nord un mur de pneus remplis de terre et doublé d’un talus stocke cette énergie ».2 Avec l’institutionnalisation du « développement durable de l’habitat » depuis les années 2000, pléthore de projets nourris par le désir de particuliers d’habiter plus sobrement, sortent de terre sans pour autant faire référence directement aux utopies du XXème siècle. Selon le sociologue J. Ion, les « militants d’aujourd’hui se distinguent de ceux d’hier, en ce que leurs actions sont moins guidées par des valeurs, que par la perspective d’apporter une réponse immédiate, même provisoire, aux problèmes considérés »3.

Une autogestion durable pour habiter de manière écoresponsable De l’utopie à la réalité, il n’y a parfois qu’un océan à traverser. Si nous constatons le bourgeonnement d’initiatives locales en Europe menées par des individus au capital social, économique et culturel élevé, mues par des engagements écologiques, l’Amérique Latine nous ouvre la porte vers une organisation socio-spatiale de l’ « habiter » pensée comme catalyseur d’un renouveau politique. Véritable démonstrateur urbain, la Villa El Salvador, située dans la banlieue de Lima au Pérou, est une ville édifiée à partir de 1971 à partir de rien… Les familles issues des territoires ruraux alentours migrants vers la capitale dans l’espoir de trouver un travail ainsi que les familles chassées par la spéculation foncière des quartiers pauvres surpeuplés, loin de se laisser résigner par leurs conditions imposées de relégués, ont décidé de s’autogérer au travers d’assemblées de voisins et de quartiers. Ces bâtisseurs du désert, occupant des terrains vagues, ont réussis à faire preuve de concept : propriété pour tous, un système éducatif performant, l’accès aux services de base (eau, électricité,etc.), le développement d’une agriculture urbaine vivrière innovante, soutien à la production locale et l’artisanat, et offre culturelle de qualité (radio et télévision locales).


Ces milliers de personnes s’entraident pour construire leurs abris. « Les décisions sont alors prises collectivement, en assemblée. Chaque habitant ayant droit à la parole. Cette forme de démocratie s’impose comme le seul moyen de faire face aux problèmes quotidiens…. et de bâtir collectivement une ville… »4. Rappelant la précision des plans du Phalanstère de Fourier, l’espace est organisé selon une trame viaire faite de larges routes, aménagées par les habitants eux-mêmes. Les quartiers sont ici l’unité de base de la ville, tant urbanistiquement que politiquement. Les habitations sont construites à partir de matériaux locaux ou de matériaux recyclés selon des techniques revalorisant les savoir-faire ancestraux. Acteurs de la construction de leur propre logement, et plus largement de leur propre environnement urbain, ces habitants se l’approprient de façon beaucoup plus conscientisée. « En partant de leurs besoins concrets et en s’organisant, les créateurs de Villa nous donnent de la matière à rêver… »5. Le phénomène des Eco-Aldeas, ces éco-villages créés à l’initiative d’un groupe d’individus, a fait l’objet d’une recherche action par le collectif Habitat en Mouvement. Leurs travaux ont permis de mettre en exergue les fondements de l’éco-construction, que sont la solidarité et le partage pour un développement humain durable. D’autres exemples internationaux nous invitent à nous défaire de notre vision européeano-centrée pour penser l’habitat écologique du futur, bien loin de l’image des masures. En Thaïlande, ces éco-villages sont ainsi envisagés comme moyen pour lutter de manière collective contre les fortes pluies et les tsunamis, alors qu’au Sénégal, l’Agence Nationale des Éco-villages (ANEV) du Ministère de l’Environnement et du Développement Durable souhaite construire d’ici 2020 environ 14 000 éco-villages afin de lutter contre l’exode rural, la désertification et de garantir la souveraineté alimentaire. L’habitat écologique, un pléonasme prophétique pour un Monde plus éthique ? Issu des termes grecs oikos, « foyer », et de logos, « savoirs », l’écologie résidentielle s’incarne d’ores et déjà dans des solutions collectives concrètes qui favorisent le partage des ressources matérielles et cognitives au sein d’une communauté vivant dans un même foyer appelé « planète ».

Faire et vivre ensemble Refusant de rester sur le palier, Lucas Vigouroux, Martin Ruau et Pierre Lumalé, étudiants à l’École des métiers de l’environnement près de Rennes, ont construit leur propre logement. Comme bon nombre d’étudiants, ils habitent des studios étriqués, mal isolés et excentrés. Sur une base de 400 € par mois en frais de loyers, chacun aura déboursé au bout de cinq années d’études, pas moins de 25 000 €.


« On s’est dit que tous ces loyers seraient perdus au final, qu’on ferait mieux d’investir cette somme en construisant notre propre maison, économique et écologique ».6 Bien décidés à appliquer les connaissances théoriques apprises durant leur formation, ils crééent alors leur association, Hélicity afin de mener à bien le projet d’éco-construction de leur propre habitation. Réussissant à convaincre la Métropole de Rennes de leur mettre à disposition un terrain, et concluant des partenariats avec des entreprises pour la fourniture des matériaux, ces trois garçons, plein d’ambitions du haut de leur vingtaine ont été force de démonstration en réalisant deux logements de 60 m² équipés d’une cuisine commune et conçus principalement en bois. Acteurs du changement, leur implication citoyenne combine l’assouvissement d’un désir partagé d’améliorer ses conditions de vie et l’intégration d’une gestion plus durable des territoires dans les politiques de planification tenant davantage compte des transformations de nos sociétés. Ainsi, dans une perspective d’équité de l’« habiter », permettre à chacun d’apporter sa pierre à l’édifice d’un nouveau projet de société articulant à bon escient le dynamisme économique du secteur BTP aux exigences environnementales, semble être un défi à relever pour les politiques publiques de demain. « L’incarnation des utopies, parce qu’elles ne sont pas des chimères, est au contraire ce qui fait avancer le monde. » Pierre Rabhi Pour citer cet article Diane Devau, « Rêver réalité : aperçu de l’éco-habiter », Revue Sur-Mesure [En ligne], 3| 2017, mis en ligne le 17/05/2018, URL : http://www.revuesurmesure.fr/issues/habiter-desdesirs-au-projet/eco-habiter Notes 1. L’effet cliquet, ou effet de cliquet, est un phénomène ou procédé énoncé par Thomas M. Brown, qui empêche le retour en arrière d’un processus une fois un certain stade dépassé. ↩ 2. https://www.wedemain.fr/Earthships-des-maisons-bioclimatiques-a-base-de-materiaux-derecuperation_a2764.html ↩ 3. Jacques Ion, Spyros Franguiadakis, Pascal Viot, Militer aujourd’hui. Paris, Éd. Autrement, coll. Cevipof/Autrement, 2005, 139 p. ↩ 4. Carola ORTEGA-TRUR, « Pérou: Les cantines populaires de Villa El Salvador ou le sentier de la démocratie participative », GIS, Participation du public, décision, démocratie participative – Lyon, 27-28 novembre 2009, URL : http://www.participationet-democratie.fr/fr/system/files/15Carola%20Ortega-Trur.pdf ↩


5. « Autogestion urbaine : l’exemple de Villa El Salvador », Construire l’utopie – un voyage-reportage sur l’autogestion, le pouvoir populaire et la participation démocratique -, URL : http://www.utopiasproject.lautre.net/reportages/article/perou ↩ 6. https://www.wedemain.fr/Adieu-loyers-ces-trois-etudiants-rennais-ont-bati-en-six-moisleur-propre-logement-ecolo_a3119.html ↩


Opus des détritus : petite histoire socio-urbaine de ce qui se trouve dans nos bennes Partenaire : Pop-Up Urbain Date de publication : 20 juin 2017 Lien URL : https://www.pop-up-urbain.com/opus-des-detritus-petite-histoire-socio-urbaine-dece-qui-se-trouve-dans-nos-bennes/

Le terme de déchet trouve ses racines dans le latin médiéval du verbe decaderer signifiant tomber, déchoir. L’acception usuelle qui en est donnée renvoie à cette idée qu’une quantité de matière s’avère perdue suite à l’usage d’un produit. Loin de faire consensus, la définition du déchet nécessite de prendre en compte une pluralité de facteurs économiques, culturels, sociaux, et territoriaux. Une première classification des déchets s’effectue en fonction de leur origine : selon qu’ils proviennent d’activités agricoles, industrielles, de soins ; ou qu’ils sont produits par les collectivités. Une seconde typologie repose, en revanche, sur la nature et les caractéristiques des déchets (inertes, recyclables, dangereux, biodégradables). Symptomatique des crises plurielles qui frappent nos sociétés contemporaines (crises écologique, économique, sociale, culturelle), notre aversion pour ce qui se trouve dans nos poubelles a contribué à transformer, en quelques décennies, notre planète Terre en une immense décharge à ciel ouvert. A la surface des océans, enfouis dans le sol ou dispersés dans l’atmosphère en particules volatiles, les déchets sont des stigmates indélébiles révélateurs tant de la turpitude que de l’ingéniosité des êtres humains.

Nos « Vies d’ordures » sont ainsi le reflet de nos manières d’habiter le monde… On ne peut plus brûlante, cette question étoffe la passionnante exposition éponyme qui se tient actuellement au MuCem (et dont Urbain trop urbain parlait ici même la semaine dernière). Scénographiant les enquêtes ethnographiques réalisées sur le pourtour de la Méditerranée sur cette question des déchets, elle nous fait découvrir des territoires, des technologies, des objets recyclés ou détournés, et nous rappelle avec humilité que derrière nos « restes », existe tout un monde d’échanges et de transferts qui fait vivre, dans des conditions bien souvent précaires, des milliers d’hommes et de femmes qui parcourent les rues à la recherche de nos rebuts… Intéressons-nous alors à l’historicité de nos chers déchets pour comprendre l’évolution des représentations et l’affirmation de pratiques anti-gaspi ces dernières années. Waste side story Bien qu’ayant toujours existé, les déchets n’ont pas toujours pâti d’une représentation négative, et ont même été un marqueur social de prospérité !


Jusqu’au XIXème siècle, les productions détritiques des villes étaient intégrées au métabolisme territorial et étaient notamment réutilisées comme engrais pour les activités agricoles en périurbain. Ainsi, l’odeur du fumier était-elle prisée pour sa capacité à communiquer sur la bonne situation du propriétaire foncier, désireux de se distinguer… Terreau fertile pour l’imaginaire collectif, nombre d’écrivains se sont emparés de cet objet pour refléter l’état intime d’une société. A l’instar de la célèbre histoire du meurtrier Jean Baptiste Grenouille, qui poussa son premier cri au milieu des carcasses du marché au poisson (l’endroit le plus putride de Paris) la révolution olfactive qui s’est jouée au XVIIIème siècle a été déterminante dans l’élaboration des premières politiques d’hygiène et de salubrité publique. Dans Le Miasme et la Jonquille, Alain Corbin analyse ce changement de perception et revient sur les résistances rencontrées pour l’entreprise de désodorisation des villes à l’heure où les découvertes pasteuriennes viennent légitimer l’éloignement et l’élimination des déchets. Ainsi, la révolution industrielle aurait sonné le glas des systèmes d’échanges et de récupérations qui faisaient vivre des petites professions. L’apparition de nouvelles pollutions liées aux activités industrielles ainsi qu’à la croissance urbaine et démographique provoquent des désastres sanitaires qui pousseront le Préfet Eugène Poubelle à prendre l’arrêté daté du 24 novembre 1883 obligeant les Parisiens à jeter leurs ordures ménagères dans des récipients prévus à cet effet. Cet arrêté, se heurtant dans un premier temps à l’hostilité des Parisiens, réussit à généraliser la pratique du ramassage régulier assurée par la municipalité, et la domestication des ordures ménagères. Cet acte préfigure la rupture entre deux entendements du monde, l’un où le déchet s’inscrit dans une économie circulaire et l’autre dans un processus linéaire. Rémouleurs, réparateurs de faïence, raccommodeurs d’âme, chaudronniers au sifflet, rempailleurs de chaise et chiffonniers, sont voués à n’être que les fantômes des opérettes de rues passées. Au début du XXème siècle, c’est donc aux collectivités que revient la prise en charge des décharges, avec la mise en œuvre de dispositifs techniques de collecte et de traitement le plus loin possible des espaces habités. Paris est l’une des premières villes à expérimenter la collective sélective, en triant les matières putrescibles du verre, de la faïence, des chiffons et papiers ainsi que des coquilles de crustacés. Dis-moi comment tu tries, je te dirai qui tu es Limiter les emballages, acheter en vrac, éviter le gaspillage alimentaire, réduire la consommation de papier, composter les déchets biodégradables, réparer des objets ou revendre des vêtements inutilisés… Ces commandements proférés par les pontifs de la transition, ont été ces dernières années largement médiatisés, avec l’émergence des mouvements freegan et zéro déchets, qui tentent de faire changer les pratiques et les mentalités. Cependant, malgré les intentions louables de ces derniers, la représentation négative des déchets semble persister et le changement peine à dépasser le discours pour s’ancrer dans des actions significatives.


Les déchets sont une construction socio-culturelle qui n’a cessé d’évoluer au gré des progrès techniques – ayant été de prime abord appréhendés comme fertilisant, puis comme source d’infections que l’on résout un temps en procédant à son l’élimination, et puis par l’incinération dont on nous vanta les opportunités de valorisation énergétique, et le recyclage ayant fait la part belle des éco-organismes aux tendances néo-libérales. Il serait illusoire de croire que seul ce qui est source de profit est utile. La technicisation à outrance, le culte de l’utilité sous couvert d’une valeur marchande et l’obsession de posséder ont conduit à dessécher les esprits des citoyens à qui l’on somme d’exécuter des actions dépourvues de sens. La politique de gestion des déchets menée au cours du XXème siècle a conduit à déresponsabiliser les citoyens, alors même que sa réussite dépend de la participation de ces derniers… Et si demain, on ne parlait plus de politique de gestion des déchets mais de politique de gestion des ressources ? Et si l’on consentait d’impliquer les premiers concernés dans les actions à mener ? Recyclées, réemployées, valorisées, ces ressources permettraient de trouver des solutions innovantes simples et durables, comme utiliser des bouteilles en plastique pour construire des murs ou apporter la lumière solaire dans des foyers privés d’électricité. Et qui sait, peut-être qu’un jour les seuls déchets que l’on verra seront ceux qui seront exposés au musée…


L’Urbeach, quand les plages s’invitent en ville Partenaire : Pop-Up Urbain Date de publication : 5 septembre 2017 Lien URL : https://www.pop-up-urbain.com/lurbeach-quand-les-plages-sinvitent-en-ville/

Tout au long de cette période estivale qui s’achève, nombre de vacanciers se seront engouffrés sur les autoroutes pour rejoindre le littoral en quête d’une pause hédoniste. Dispersées sur pas moins de 3 400 km, les côtes françaises, loin d’être monolithiques, présentent une grande diversité de profils tant géologique que sociologique. Emprunté à l’italien spiaggia (signifiant « pente douce »), la plage est un objet qui, pendant longtemps, fut seulement étudié par le prisme de la géographie physique. Appréhendées selon leur géomorphologie, les plages sont certes définiescomme « des secteurs de côtes où des sédiments, sables et galets, sont accumulés par la mer »1 . Nonobstant, l’évolution des représentations portées sur cet objet composite a également été contingente de l’apparition de nouveaux usages et de nouveaux visages sur le rivage… L’écume des siècles Ce sont les édiles romains, qui développèrent les premiers une certaine appétence esthétique pour les bords de mer de Méditerranée (principalement abordés comme espace de conquête politique durant l’Antiquité). Peu fréquentées au Moyen Âge et à la Renaissance, il faudra attendre la fin du XVIIIème siècle (avec notamment la diffusion d’une conception paysagère de la nature par le courant romantique) pour que les plages deviennent des lieux appréciés pour leurs vertus thérapeutiques. Contemplatifs devant ces étendues à l’horizon infini, les aristocrates et bourgeois les plus aisés du Nord de l’Europe affectionnaient particulièrement les bains de mer en hiver. Au fil de l’eau, l’anthropisation de ces espaces s’ancre alors de manière durable dans le sable – comme peuvent en témoigner certains marqueurs spatiaux à l’instar des cabines, douches, et allées de planches facilitant l’accès de ce qui fut jadis un paysage déserté. On passe donc de la plage abandonnée à la plage bondée, n’en déplaise aux néo-vacanciers exaltés par l’obtention de leur premiers congés payés… En effet, la deuxième moitié du XXème siècle signe l’avènement d’une société de loisirs au sein d’une France qui se modernise, se libère tant politiquement que socialement et qui, comme ce bon vieux monsieur Hulot, aime passer ses vacances à la mer. Ainsi, l’identité singulière de nos cités balnéaires a largement été façonnée au cours des Trente Glorieuses2. La cité phocéenne est emblématique de ces opérations d’aménagement qui ont métamorphosé les contours du littoral. Dans les années 1960, les plages du Prado ne jouissaient pas de la même popularité. Nulle envie de se baigner quand les eaux souillées de l’Huveaune, un fleuve intra-urbain, se déversent dans la mer devenue véritable égout


à ciel ouvert ; ou quand la route congestionnée qui borde le banc de sable étriqué de l’époque provoque un sentiment d’insécurité ! Devant faire face à une croissance démographique et un étalement urbain sans précédent, Gaston Defferre, alors maire de Marseille, donne un autre cap à cette ville portuaire en réalisant « un aménagement de grande envergure n’ayant pas d’équivalent en France ni même à l’étranger ». Projet validé par le conseil municipal en 1968, plusieurs années de travaux ont été nécessaires pour agrandir le banc de sable de 200 mètres de large en gardant un espace libre, sans habitations limitrophes. Aménagé de manière rudimentaire avec des buttes de gazon, du gravier et quelques équipements sportifs, l’opération du parc balnéaire du Prado allait à contre-courant des constructions de marinas sur le pourtour méditerranéen dans les années 1970 (qui, selon la vision des ingénieurs et des urbanistes de la région, incarnent « la plage urbaine idéale »)3. Bienvenue à Galaswinda De Belle-Île-en-Mer à la Madrague, les plages sont entrées dans la culture populaire et sont devenues des laboratoires de socialisation où peuvent s’expérimenter des pratiques alternatives aux normes sociales préétablies en ville. Les conduites des individus à la plage sont révélatrices des représentations que nos sociétés accordent à la territorialité et à la corporéité. La possibilité qu’offrent les plages de se dévêtir du carcan de la pudeur, de dévoiler son corps, a été un levier déterminant, notamment dans l’émancipation des femmes (dont le bikini est devenu l’étendard de leur combat). De même, alors que le teint hâlé fût longtemps associé à la classe laborieuse, les corps bronzés font aujourd’hui bien plus partie des canons de beauté admis socialement. Le corps est ainsi petit à petit devenu « un marqueur de l’appropriation de l’espace et un vecteur d’affirmation d’une identité aussi bien sociale, qu’ethnique ou de genre »4. La posture, la manière d’agir, le paraître qui s’y organisent, font des plages l’un des reflets de l’état intime de nos sociétés. On y vient tôt le matin pour se baigner dans les couleurs des premières lueurs afin d’entamer sa journée l’esprit léger, on y passe plusieurs heures histoire de rentabiliser le prix de ses vacances à Saint-Tropez, ou l’on y vient en soirée pour pique-niquer devant le coucher de soleil, en famille ou entre amis. Appréhendée comme un espace public, la plage n’est plus seulement un espace géographique mais un espace approprié. Support d’urbanités, à l’instar de ces jeunes sautant de la corniche Kennedy et défiant les lois de la gravité pour s’élancer de leur corps incisif dans le bleu de la Méditerranée. Ainsi, un changement symbolique de la fonction de la plage s’est opéré ces cinquante dernières années. Fréquentée en hiver comme en été, de jour comme de nuit, habillé ou dévêtu, à la recherche du bien-être physique ou psychologique, la plage est une espace en marge, capable d’héberger l’imaginaire collectif dans son ensemble. Cette hétérotopie (selon l’acception donnée par Michel Foucault) est créatrice de « microterritoires de loisirs »5, dont le périmètre correspond à la serviette étendue des touristes allongés, rompant avec la posture verticale de la vie ordinaire.


Avec leurs limites toujours plus floues et de leur croissance tentaculaire, les métropoles littorales du XXIe siècle aménagent leurs plages urbaines comme des espaces publics alternatifs aux lieux centraux congestionnés. En deuxième lecture, il est même possible de concevoir les plages urbaines comme des temps publics divergents, faisant l’éloge de la lenteur dans un monde hyperactif. Renvoyant à l’acception habermassienne de l’espace public, la présence des femmes, des enfants, des jeunes et des personnes âgées se croisant tout au long de la journée, signale une certaine appropriation territoriale au service du vivre ensemble et de l’altérité. Domestication estivale et menaces environnementales Espace vraiment public ? Pas si simple… Si le principe de l’accès libre et gratuit du public aux plages est reconnu depuis 1858 par le Conseil d’Etat, les évolutions réglementaires en la matière révèlent le primat donné aux enjeux économiques sur les enjeux environnementaux de la préservation de nos espaces littoraux. Bien que le domaine public maritime en France soit inaliénable, la loi littoral de 1986 permet à l’Etat d’accorder des concessions à des acteurs privés pour une durée maximale de 12 ans. Les contraintes qui s’imposent à ces locations temporaires ont été renforcées en 2006 avec l’interdiction de construire des installations en dur et clôturées, l’obligation pour les responsables de ces concessions d’avoir une occupation n’excédant pas 20% de la longueur et de la surface de la plage, ainsi que l’obligation de laisser une bande dégagée d’une largeur de 3 à 5 mètres pour permettre le passage des piétons au bord de l’eau. L’artificialisation de nos rivages déchus de leur charme sauvage, la prolifération de paillotes privées, l’aménagement en réponse à des contraintes réglementaires en matière d’accessibilité, le traitement quotidien par criblage, le nivellement, le nettoyage du sable notamment en période de fréquentation touristique massive, ont ainsi largement participé à accentuer l’érosion des littoraux, la pollution des eaux et la destruction des écosystèmes marins. Contradiction de nos sociétés urbanisées, le sable fin qui se faufile entre nos orteils, longtemps perçu comme une ressource inépuisable et gratuite, commence à disparaître du fait d’une surexploitation par les industriels de la construction. Connu pour son utilisation dans la fabrication du béton, le sable se retrouve également dans les moindres recoins de notre quotidien, de notre smartphone à notre vaisselle, en passant par nos produits cosmétiques. Du fait de cette extraction accélérant l’érosion des côtes, des îles entières en Indonésie et aux Maldives ont été englouties. Multinationales et mafias locales sont responsables de la disparition d’au moins 75% des plages de la planète. Pour édifier des châteaux de sable à Dubaï ou renflouer les plages d’Espagne, ces trafiquants pillent sans scrupules cette ressource qui appartient à tous6. Plagistes, à vos pelles et vos sceaux ! Trouvons des solutions, et creusons-nous la tête, plutôt que notre planète… 1. Vincent Coeffé, « Plage », Hypergeo


2. Jean Rieucau et Jérôme Lageiste, « La plage, un territoire singulier : entre hétérotopie et antimonde », Géographie et cultures, 67 | 2008, mis en ligne en décembre 2012 3. « La plage : corps et territorialités. », EspacesTemps.net, Brèves, 27.02.2012 4. op. cit. 5. op. cit. 6. Voir : Denis Delestac, Le sable – enquête sur une disparition, Arte, 2011


Transition écologique : l’institutionnalisation d’une prise de conscience Partenaire : Demain la ville Date de publication : 29 juin 2017 Lien URL :

http://www.demainlaville.com/transition-ecologique-linstitutionnalisation-duneprise-de-conscience//

Emballages plastiques, magazines en papiers glacés, liquide vaisselle éventré, poussières balayées, laitue flétrie et yaourts mis à mort par une DLC (date limite de consommation)… Nos décharges débordent d’objets en tout genre. Pour certains les déchets sont inutiles et doivent être repoussés le plus loin possible des centres urbains, tandis que pour d’autres, ils sont un remarquable gagne-pain. En creux d’une prise de conscience des enjeux écologiques alors encore embryonnaire, un arsenal réglementaire et législatif s’est déployé à l’orée des années 1970, aussi bien à l’échelle internationale, européenne que nationale. De nos jours, la gestion mondiale des déchets constitue une problématique mondiale, gérée de façon très inégale d’une société à l’autre. Afin de mieux comprendre le processus historique et politique, qui a permis de construire le discours occidental dominant que l’on connaît actuellement sur les questions de transition énergétique, il nous semblait nécessaire de revenir, dans un premier temps, sur la chronologie, et dans un second temps, sur les acteurs essentiels de cette institutionnalisation relativement récente… Premières réponses internationales face aux problématiques environnementales A l’aube des années 1970, les enjeux environnementaux gagnent en visibilité suite à des actions militantes médiatisées. En réponses à ces préoccupations écologiques et sociales, une série de normes, de principes et de valeurs sont énoncés, conduisant à une institutionnalisation du développement durable. La conférence de Stockholm en 1972 a, par exemple, permis l’élaboration d’un Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) pour lutter contre la pollution. La même année la Convention sur la prévention de la pollution des mers résultant de l’immersion de déchets est adoptée afin de mettre fin au syndrome du « tout à la mer », ayant conduit à considérer dans le passé l’espace océanique comme un véritable dépotoir. Les ordures en nomenclature : des mesures à l’échelle locale En France, il faudra attendre la Loi du 15 juillet 1975 qui fait de la gestion contrôlée des déchets une politique publique à part entière en donnant une définition juridique des déchets, et en explicitant la responsabilité des producteurs de déchets dans la gestion de ces derniers… Le Code de l’environnement opère ainsi une distinction entre le déchet et le déchet ultime. Le premier est considéré comme « tout résidu d’un processus de production, de


transformation ou d’utilisation, toute substance, matériau, produit ou plus généralement, tout bien meuble abandonné ou que son détenteur destine à l’abandon », alors que le second se conçoit lorsqu’il « n’est plus susceptible d’être traité dans les conditions techniques et économiques du moment, notamment par extraction de la part valorisable ou par réduction de son caractère polluant ou dangereux ». Depuis les premiers efforts institutionnels initiés entre la fin des années 1960 et le milieu des années 1970, il aura fallu attendre les années 2010 pour que s’incarne de façon plus manifeste la « prise de conscience collective » de l’impérieuse nécessité de réduire, recycler et réutiliser les produits jetés… Une transition écologique multipartenariale Une pléthore d’acteurs publics et privés s’est au fil des dernières années spécialisée dans la collecte, le traitement et la sensibilisation à ces enjeux environnementaux. Dans le cadre de délégations de services publics, des entreprises assurent ainsi la récupération et la transformation de matériaux issus du tri sélectif comme le verre, l’aluminium, ou le plastique. Des éco-organismes agréés par l’Etat ont également fait leur apparition afin d’assurer la collecte et le traitement des déchets produits par les fabricants, et ainsi faire appliquer la responsabilité élargie des producteurs. Par ailleurs, nombre de fédérations et associations se sont en parallèle emparées des enjeux liés au recyclage et à la revalorisation des déchets au cours des dernières années, menant diverses actions de sensibilisation pour promouvoir la transition écologique. Manifestement, la figure du citoyen semble manquer à l’appel dans le trombinoscope des acteurs reconnus compétents pour intervenir sur ces questions. A vouloir trop techniciser les moyens mis en œuvre pour lutter contre le gaspillage et réduire les déchets, les citoyens ont été éloignés de ces enjeux communs d’économie d’énergie et de réduction des gaz à effets de serre, trop abstraits et déconnectés de la réalité des gestes simples du quotidien. Dès lors, les citoyens ne peuvent plus être cantonnés aux seconds rôles dans le jeu de la gouvernance urbaine qui se joue au cœur du processus de transition écologique… Vous souhaitez savoir comment accroître leur pouvoir d’agir ? Cela sera l’objet d’un second billet à venir !


Aux bennes citoyens ! Partenaire : Demain la ville Date de publication : 6 juillet 2017 Lien URL : http://www.demainlaville.com/aux-bennes-citoyens/ Dans un premier billet consacré à la question des déchets, nous nous intéressions à l’institutionnalisation de la transition écologique, et à l’historicité des pratiques de tri et recyclage en tant qu’enjeu politique contemporain majeur. Aujourd’hui, place à la question – très sociologique – du rôle des citoyens dans ce processus complexe… Les déchets : un imaginaire à démocratiser Des études de psychologie sociale[1] ont démontré la portée performatrice de la sémantique, en analysant la différence de représentation entre les déchets – perçus négativement – et le tri sélectif – perçu positivement dans la pensée collective dominante. Ainsi, de nombreux facteurs psychosociaux affecteraient les pratiques de tri, dont notamment le contrôle social[2], la perception des contraintes (temps, espace, coût financier) mais également le degré de connaissances relatives aux modalités de collectes et la croyance en l’efficacité du tri sélectif. Si les non trieurs sont mal informés pour la grande majorité, les personnes averties et démontrant un intérêt pour l’environnement ne sont pas celles qui ont les comportements pro-environnementaux les plus irréprochables [3]! Ce décalage entre idées et actions s’explique par le fait que « les attitudes sont essentiellement orientées par les pratiques habituelles et les valeurs personnelles »[4] . L’apprentissage de la pratique du tri sélectif dans un contexte relativement stable est donc déterminant pour transformer des comportements ponctuels en habitudes, qui viendront alors amoindrir les contraintes perçues par les individus. Sociologie des pratiques environnementales citoyennes En outre, la dimension sociale affecterait sensiblement les comportements de tri et de récupération des déchets… Ainsi, le sentiment d’appartenance à une communauté dans laquelle un individu trouve une cohérence avec ses valeurs personnelles permet de stabiliser dans la durée les comportements pro-environnementaux. Des réseaux tels que Zero écoimpact ou Recyclope – centré sur la création de communautés au travers d’événements participatifs de ramassage collectif de mégots, par exemple -, visent notamment à faire connaître des solutions écologiques simples aux personnes intéressées. Les stratégies de communication à la fois physique (visibilité et présence des ramasseurs dans l’espace public, qui provoquent généralement un échange avec des passants interloqués) et numérique (en récompensant certains engagements environnementaux via des concours lancés sur différents réseaux sociaux spécialisés) mettent ainsi en exergue la capacité de ces acteurs engagés dans la transition à apporter une réponse ludique ou simplement plus tangible pour faire changer les comportements sur la question des déchets.


Nonobstant, ne serait-ce pas toujours les mêmes profils de « convaincus-convaincants », qui participent à ce type d’action ? Vers une pédagogie du recyclage citoyen Comment atteindre des publics qui, par manque de temps, d’argent, ou de renseignements restent en marge de ces questions ? Certes, il est nécessaire d’améliorer l’accès à l’information sur ce qui est recyclable, récupérable, ou réparable (via la généralisation de guide du tri, ou encore la géolocalisation de point de collecte). Mais cela passe aussi par la valorisation des initiatives citoyennes locales, qui montrent le fait que chacun, à la hauteur de ces moyens, peut contribuer à la réduction des déchets. Devenez ainsi un Trash Heroesen répertoriant les actions que vous connaissez, ou dans lesquelles vous êtes engagées… Sensibiliser les individus sur la nécessité de réduire leurs déchets nécessite de comprendre leur sensibilité et de redonner du sens à ces gestes écocitoyens. Certains seront attentifs aux bénéfices économiques que leur apporte la récupération de palettes pour construire soi-même ses propres meubles au lieu d’aller chez le grand magasin suédois ; d’autres le bénéfice social qu’ils pourront réaliser en transformant du pain sec en gaufres pour le plus grand plaisir de leurs chérubins (recette de Récup & Gamelles à tester de toute urgence) ; d’autres encore lorsqu’ils discuteront avec un voisin de leur dernier coup de cœur littéraire devant la boîte à livres du quartier ! L’économie circulaire pour un futur plus vertueux ? La gestion des déchets, parce qu’elle articule espaces public et privé, enjeux local et global, valeurs individuelle et collective, nécessite une approche transversale et souple pour s’adapter aux mutations urbaines et sociales en cours. Le glissement, ces dernières années, d’un traitement curatif à un traitement préventif des déchets interpelle quant à la place et au rôle des citoyens, que l’on somme d’adopter des comportements vertueux pour rendre les lendemains (collectifs) plus heureux. Réintroduire les déchets dans une économie circulaire ; rompre avec la logique de silos qui a contribué à institutionnaliser des injonctions stériles pour nous pousser à recycler notre verre au profit de la recherche contre le cancer ; créer de nouveaux emplois valorisés et brisant les préjugés pesant sur la figure des cantonniers ; et mener des démarches collaboratives pour expérimenter de nouvelles manières d’appréhender les déchets en impliquant les citoyens dans des actions qui seront porteuses de sens pour eux : voilà les véritables enjeux ! « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » comme nous le disait ce cher Antoine Lavoisier. [1]Dupré M., « Représentations sociales du tri sélectif et des déchets en fonction des pratiques de tri », Les cahiers internationaux de la psychologie sociale, 2013/2, numéro 98


[2] Carrus, G., Passafaro, P. et Bonnes, M., « Emotions, habits and rational choices in ecological behaviors: The case of recycling and use of public transportation », Journal of Environmental Psychology, n°28, 51-62, 2007 [3] Eckes, T. et Six, B., « Fakten und fiktionen in der einstellungs-verhaltens-forschung : Eine meta-analyse », Revue Zeitschchrist Für Sozialpsychologie, n°25, 253-27, 1994 [4] Thogersen, J. et Grunert-Beckmann, S.C. , « Values and Attitude Formation Towards Emerging Attitude Objects: From Recycling to General, Waste Minimizing Behavior », Revue Consumer Research, n°24, 182-189, 1997


Sortir les aînés de l’invisibilité 1/2 Partenaire : Demain la ville Date de publication : 26 octobre 2017 Lien URL : http://www.demainlaville.com/sortir-aines-invisibilite/ « Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie ! N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie. » Voilà ce que pourrait proférer la plupart de nos aînés au regard du sort qui leur est réservé dans nos sociétés… Du 2 au 8 octobre dernier s’est tenue La Semaine Bleue, événement national « pour informer et sensibiliser l’opinion sur la contribution des retraités à la vie économique, sociale et culturelle, sur les préoccupations et difficultés rencontrées par les personnes âgées, sur les réalisations et projets des associations ». Cet événement, bien que de courte durée, a le mérite de soulever annuellement la question du rôle et de la place que jouent les seniors dans nos sociétés, obnubilées par le culte de la jeunesse. Nulle intention en revanche de parler ici de crème anti-rides, mais bel et bien d’observer les multiples réalités socio-économiques qui commandent l’un des aspects dominants de l’aménagement de nos villes : celui de l’Homme valide[1]… Le soir de la vie dans le rétroviseur Consubstantiellement à l’allongement de l’espérance de vie (expliqué par les progrès de la médecine et l’amélioration des conditions de vies), le haut fonctionnaire français Pierre Laroque a l’idée, à l’orée de l’Etat Providence, de mettre en œuvre une distribution des allocations et des pensions par répartition. Le fondateur de la Sécurité sociale impulse de fait la création d’une caisse d’assurance vieillesse. La retraite s’appréhende alors comme un bel automne doré, les bénéficiaires libérés de l’asservissement d’un labeur exténuant… et à rallonge. Dans la société actuelle, où le profit est roi, les retraités ne sont pas « rentables ». Les turbulences générées par l’essor d’une culture de l’instantanéité, et d’un travail de plus en plus échancré par des périodes d’inactivité, donnent la primauté à la valeur travail… Au détriment de la valeur sociale, laissant choir nos aînés sur le bas-côté de l’humanité. De fait, le rôle structurant des personnes âgées dans les communautés humaines (dépositaires de la mémoire collective, notamment) s’étiole, et personne ne s’affole… Pourtant, à en croire le célèbre dicton, « Un vieillard qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûlee. Il serait souhaitable d’éviter l’autodafé, n’est-ce pas ? Portrait de famille : qui sont les seniors ? Loin d’être monolithique, le visage des personnes caractérisant les troisièmes et quatrièmes âges apparaît contrasté sur le territoire français. Les analystes estiment que d’ici 2035, les personnes de plus de 60 ans représenteront 31% de la population française (contre 21% en 2007), et que celles de 75 ans en représenteront 13,6% (8,5% en 2007).


Pour tenter de mieux définir le corps social auquel appartiennent les seniors, il est important de rappeler un paramètre déterminant leur mode de vie : « A l’aube du nouveau millénaire, 30% des plus de 65 ans habitent dans les villes-centres, 25% dans l’espace rural, et 40% en périurbain. Ces données corroborent le fait que « 60% des ménages de plus de 80 ans habitent dans des pavillons, et plus de 70% des ménages âgés de plus de 65 ans sont propriétaires de leur résidence principale. »[2] Cela se traduit par une mobilité résidentielle relativement faible pour les personnes âgées qui souhaitent rester à leur domicile plutôt que d’être placées en maison spécialisée. Cela implique des aménagements nécessaires au sein du logement pour répondre aux besoins inhérents de l’évolution de leur condition physique et psychique. Dans un second billet, nous observerons plus précisément le rôle de l’aménagement urbainet des politiques publiques dans l’intégration des citadins vieillissants au sein des espaces partagés, publics et privés… [1] Michel Kail, « Éditorial. La vieillesse ! Quelle vieillesse ? De l’intérêt du point de vue philosophique », L’Homme et la société 2012/1 (n° 183-184), p. 5-8. DOI 10.3917/lhs.183.0005 [2] Centre d’analyse stratégique, « Vieillissement et espace urbain. Comment la ville peutelle accompagner le vieillissement en bonne santé des aînés ? », Questions sociales n°323, février 2013


De la vieillesse à la sagesse 2/2 Partenaire : Demain la ville Date de publication : 30 octobre 2017 Lien URL : http://www.demainlaville.com/vieillesse-sagesse-politiques-urbaines/ Après un portrait des seniors et un tour d’horizon du sort qui leur est réservé dans nos sociétés (vieillissantes), intéressons-nous plus directement aux espaces urbains, en tant que terres d’accueil de ce corps social si particulier… Longtemps focalisées sur la santé (physique) comme norme, les politiques publiques élargissent depuis un certain temps leur champ d’intervention par l’intégration de notions plus théoriques tel que le bien-être – individuel et quotidien. En filigrane, la prise en compte de ce type de filtres suppose évidemment des formes diverses de l’adaptabilité des espaces publics aux citadins les plus vulnérables. Les villes deviennent (petit à petit) « sexygénaires » De fait, l’accès aux services urbains de proximité doit autant s’appréhender du point de vue architectural que de celui de la mobilité. Si la loi de 2005 relative au handicap a rendu obligatoire l’aménagement de tous les bâtiments recevant du public à certaines règles d’accessibilité, ainsi que le développement de réseaux de transports en commun praticables pour les personnes à mobilité réduite (comprenant l’usage de fauteuils roulants, poussettes, déambulateurs, etc.), son application reste lente. En zones périurbaines ou rurales où l’automobile est reine, les personnes âgées sont souvent obligées de s’en remettre à la solidarité familiale, ou aux bonnes relations de voisinage, si elles refusent de rester enfermées chez elles comme dans un sarcophage… L’impensé de la perte d’autonomie en urbanisme trouve ses soubassements dans les lettres de Simone de Beauvoir, qui (d)énonçait avec clairvoyance ce phénomène dès 1970[1] : « par le sort qu’elle assigne à ses membres inactifs, la société se démasque ; elle les a toujours considérés comme du matériel. Elle avoue que pour elle seul le profit compte et que son “humanisme” est de pure façade ». Et si les personnes âgées étaient les urbanistes de demain ? Le réseau international « Villes et communautés amies des aînés » impulsé par l’OMS en 2007, a permis de réaliser un audit au sein de villes volontaires pour renforcer la mixité intergénérationnelle et les liens de solidarité. Quatre priorités d’action ont ainsi pu émerger. En premier lieu : la nécessité d’une « acuponcture urbaine », en réalisant des micro-adaptations de l’espace public, notamment en matière de voirie (élargissement et réfection des trottoirs, revêtement anti-dérapant, réduction des obstacles, augmentation du temps de décompte aux passages piétons pour les PMR). Ensuite, l’accès aux services urbains par des dispositifs comme le portage de courses à domicile ou la mise en œuvre d’un réseau de transport à la demande. Faisant échos à ces préconisations, Faciligo se présente par exemple comme un réseau social qui facilite la mobilité pour tous, par la


mise en relation de voyageurs à mobilité réduite (PMR) avec des voyageurs soucieux de prêter main forte… Ce service fonctionne dans tous les modes de transports, tant pour des petits déplacements que des longs voyages. L’objectif : permettre à tous de « voyager mieux et moins cher ». De la bienveillance pour bienvieillir, en somme ? En outre, la planification urbaine devrait mieux intégrer les défis du vieillissement par le biais d’expérimentations éprouvées au coeur des espaces habitables. Ces dernières années, on note ainsi un engouement certain (privé et public) pour diverses initiatives d’habitats partagés, fondés sur l’entraide. A ce titre la coopérative d’habitants Chamarel – Les Barges, inaugurée à Vaulx-en-Velin à l’été 2017, invente en quelque sorte la maison de retraite de demain… Dès lors, favoriser les solidarités intergénérationnelles en faisant participer les séniors à des activités de la vie sociale (garde d’enfants, soutien scolaire, cours particuliers comme Les talents d’Alphonse) peut s’avérer un bon remède à l’isolement et à la dégradation des capacités physiques et intellectuelles de ces personnes fragilisées. Une ville plus accueillante pour les personnes âgées l’est donc logiquement pour l’ensemble des citoyens-usagers, réduisant une multitude de situations de vulnérabilité. Les solutions envisagées, loin de renforcer l’insolent et mythique désir humain d’immortalité au moyen d’artifices technologiques, invite à un développement humain et durable des espaces de vi(ll)e. [1] Simone de Beauvoir, La Vieillesse, Paris, Éditions Gallimard, 1970


Colosses aux pieds d’acier : petite histoire des grues dans l’espace urbain Partenaire : Demain la ville Date de publication : 1 mars 2018 Lien URL : http://www.demainlaville.com/colosses-aux-pieds-dacier-petite-histoire-grueslespace-urbain/ Syndrome d’une métropolisation vorace d’espace, de nouvelles figures incon-grues sont apparues dans le paysage urbain, au point de faire partie intégrante de notre environnement quotidien. Quels drôles d’oiseaux architecturaux que ces grues qui nous narguent de haut… Loin d’être monolithiques, le terme générique de « grues » s’institutionnalise à l’aube du XVe siècle. Néanmoins, les Hommes avaient depuis l’Antiquité déjà recours à des techniques mécanisées pour défier les lois de la gravité ! Des grues et des hommes C’est à Aristote que revient la paternité d’une théorie mécanique, la Mékané, capable d’apporter des solutions aux contraintes imposées par la Nature. Vitruve, quant à lui, comprendra l’utilité de la mécanique dans l’architecture au point d’en faire une discipline à part entière permettant de décrire avec précision les principes de montage et d’agencement des ouvrages à travers de nombreux traités. Ces nouvelles techniques rivalisent d’originalité pour déplacer de lourdes charges avec plus d’agilité. Retrouvée principalement dans le travail de la pierre, la grue antique, aussi appelée « roue du carrier », est constituée d’un essieu et d’un grand tambour (ressemblant à s’y méprendre à une roue de hamster) dans lequel plusieurs personnes se déplacent pour actionner l’effet levier. Aqueducs, ponts, et cathédrales sont ainsi édifiés au cours du Moyen-Age. En outre, différentes périodes guerrières vont nécessiter la construction plus rapide de certains bâtis, incitant nombre d’ingénieurs de l’époque à explorer des sources d’énergie nouvelles. L’apparition de forces motrices novatrices (telles que la vapeur ou la fonte, ainsi que les moteurs électriques au cours de la Révolution Industrielle) va avoir un impact considérable sur la morphologie des “appareils de levage” tels qu’on les connaît. Désormais dotées d’un mât métallique, les grues contemporaines[1] de nos chantiers pourfendent le ciel, et non sans zèle ! Le ballet des grues A l’en croire Sébastien Sémeril, le premier adjoint de Rennes, en charge de l’urbanisme, « le dynamisme économique d’une ville peut se mesurer au nombre de ses grues. »[2] D’autres métropoles comme Montpellier semblent appliquer cet adage avec assiduité, au vu du nombre de projets immobiliers qui bourgeonnent à un rythme effréné.


Incarnation du mythe de la tour de Babel, ces girouettes tournant au grès des vents spéculatifs sont tout à la fois source d’admiration et sentiment d’oppression… – Proggie sur Flickr Le leitmotiv de densification est ainsi venu accentuer la concentration de ces structures métalliques au sein des tissus urbains existants. Nouveaux totems que l’on aperçoit de loin, redessinant la skyline de la ville, ce ne sont pas moins d’une quarantaine de grues qui s’affairent pour donner forme à la ville de demain. Une valse a mille temps qui donne le tournis, et le bal n’est pas prêt de s’arrêter à minuit. Ces édifices aux lignes fines par leur hauteur et leur transparence préfigurent l’émergence de nouvelles verticalités, accoutumant notre regard avant même que la dalle de béton ne soit coulée. Brut de décoffrage Figure de proue des chantiers, elles signalent aux citadins une perturbation dans le tissu urbain, une séquence de transformation sociale, économique et environnementale d’un espace. Cachés derrière une palissade, les rouages de cette mutation inachevée restent l’apanage du maître d’œuvre et du maître d’ouvrage, préférant traditionnellement dissimuler le processus de création urbanistique aux profanes. Interdits au public pour des questions de sécurité, générateurs de nuisances, les chantiers sont des lieux disqualifiés tant spatialement que socialement. « Alors que les chantiers se multiplient et que leur durée s’allonge, l’acceptabilité sociale des travaux devient un enjeu des relations des élus municipaux à la population, car les nuisances qui lui sont infligées sont de moins en moins bien supportées. » – Métropolitiques, 2015 A l’aune des préoccupations croissantes pour les questions d’urbanisme dans le débat public, les chantiers deviennent un enjeu éminemment politique. Ainsi, certains acteurs publics, plus enclins à ouvrir une « fenêtre sur chantier » pour qu’ils soient davantage acceptés par les riverains, font alors appel à des acteurs associatifs pour investir ces espaces traditionnellement contournés. A ce titre, la Compagnie des rêves urbains en partenariat avec EuroMéditerrannée, propose depuis 2010 à des classes de primaire et de collège à Marseille, un cycle pédagogique d’ateliers pour suivre un chantier de leur quartier et mieux appréhender le rôle des différents acteurs de la fabrique urbaine. De même, sollicitée par la SPL Part-Dieu, l’association Nomade Land invite les riverains à découvrir au cours de promenades urbaines les différentes phases du projet de « réinvention » de ce quartier d’affaire lyonnais. Abordé la ville sous un autre visage, non plus figée mais en perpétuel mouvement, rythmée par les partitions des chantiers, c’est aussi ce que nous invite à découvrir avec beaucoup d’humilité Fanny Tordon, dans son dernier documentaire « Quelque chose de grand ». En vous souhaitant un bon visionnage, on retourne au-dessus des rues, pour admirer les grues à perte de vue…


[1] Pour connaître les secrets de la construction d’une grue de chantier, également appelé « grue à montage par éléments », cette vidéo a de quoi alimenter vos pauses café au bureau. [2] Voir : “La dynamique des grues” sur Le Point, 2014.


REMIX YOUR CITY : POUR UNE VILLE COLLABORATIVE Partenaire : Urbis le mag Date de publication : 26 juin 2017 Lien

URL : http://www.urbislemag.fr/remix-your-city-pour-une-ville-collaborative-billet-425urbis-le-mag.html Longtemps resté l’apanage d’une élite technocratique, l’aménagement urbain intéresse de plus en plus les citoyens lassés de se sentir écartés de projets qui les concernent pourtant au quotidien. En réaction, de nouvelles démarches collaboratives éclosent. Parmi elles, le City remix s’appuie sur l’expérience des usagers pour transformer des lieux publics tels que les bibliothèques, des musées ou des gares. Rassurez-vous, cet article n’a pas pour ambition de parler du dernier tube de l’été remixé mais bien d’innovation urbaine et sociale en matière de participation. Le terme « remix » renvoie à « une technique musicale consistant à retravailler un titre déjà enregistré afin d’en produire une autre version » (1). Loin d’être anodin, l’emploi de ce mot appartenant au champ lexical de la musique met en exergue l’élan créatif qui permet de transformer l’existant en faisant vibrer la corde sensible de la ville. La démarche City remix se veut ainsi une expérimentation de nouvelles manières de faire la ville en s’appuyant sur l’expérience des usagers d’un lieu pour le transformer, trouver des solutions aux dysfonctionnements potentiels et l’adapter aux pratiques émergentes. Les ingrédients d’un bon remix La recette d’un « remix » nécessite plusieurs ingrédients, à savoir : un lieu ouvert ancré dans son environnement social et urbain ; une pincée de temps ; une multitude de profils citoyens et une bonne dose de créativité. L’échange d’idées et le partage de compétences entre des personnes d’horizons divers sont nécessaires pour développer des solutions qui améliorent le cadre de vi(ll)e. Ce format permet aux participants de s’affranchir des contraintes administratives et techniques pour imaginer des services innovants et tester les prototypes in situ auprès des usagers pour les améliorer. Aucun cahier des charges ou d’objectif n’est défini à l’avance, seul compte l’envie d’innover des participants. Cependant, cette méthode s’applique à des objets urbains circonstanciés (un lieu, une fonction) diagnostiqués en amont et non des concepts trop abstraits qui contraindraient l’opérationnalité. Revisitant la participation citoyenne, cette démarche repose sur l’idée « d’innovation centrée-usager » qui permet aux premiers concernés d’être impliqués dans la conception d’un service en vue de favoriser son acceptation et son appropriation. Le principe du « faire avec » - et non pas « pour » - guide la collaboration tout au long d’un événement catalyseur de nouveaux rapports entre collectivités, entreprises privées et citoyensusagers. Les projets réalisés proposent ainsi de vivre de nouvelles expériences, de réenchanter un espace a priori sans qualités. Quels sont les acteurs qui donnent le « la » ?


La démarche de Remix repose sur un partenariat entre des acteurs publics (collectivités territoriales, établissements publics, etc.) et des acteurs privés, entendu au sens large, à la fois des entreprises partenaires et des citoyens-usagers, appelés « remixeurs ». Les partenaires privés et les institutions publiques sont les organisateurs de l’événement. Ils mettent à disposition un lieu d’expérimentation choisi en fonction de ses problématiques sociales et urbaines ainsi que pour ses capacités à accueillir les participants pour qu’ils puissent travailler sur site pendant quelques jours. Sept profils Pour assurer une mise en œuvre efficace, une répartition des rôles au sein de l’équipe organisatrice est nécessaire. Sept profils (2) sont identifiés : · Les Grands organisateurs, qui assure la logistique, la sécurité, la gestion du planning · Les Propulseurs de projets, qui accompagnent les équipes sur le plan opérationnel · Les Coachs Ressources, qui viennent en appui pour apporter des solutions techniques, aider à l’installation des prototypes (mise à disposition d’outils de bricolages, imprimante 3D, fer à souder) · Les Facilitateurs, qui favorisent le travail collaboratif au sein d’une équipe et assurent l’interface entre l’équipe et les organisateurs · Les Hôtes, qui accueillent et informent les visiteurs et les médias sur le site pendant l’événement · Les Médiateurs, qui gèrent la communication sur les réseaux sociaux et publient des reportages vidéos sur le blog de l’événement · Les Observateurs, qui réalisent une enquête auprès des participants afin de d’évaluer le processus. Qui veut être remixeur ? Les remixeurs, acteurs indispensables de cette démarche, sont des citoyens ayant répondu à un appel à candidatures, relayé par les organisateurs et les communautés créatives du territoire (école de design par exemple) les mois précédents l’événement. Suite à l’envoi des candidatures, pour lesquelles les intéressés ont dû expliquer leur motivation à travailler sur l’urbain, l’équipe organisatrice sélectionne une quarantaine de finalistes au regard de critères de parité, d’intergénérationnalité et d’une représentation équilibrée des catégories socio-professionnelles. Le profil des remixeurs, loin d’être monolithique, traduit la volonté d’avoir des équipes pluridisciplinaires, constituées au regard des compétences et non de l’interconnaissance. Généralement, on retrouve la figure du designer, de l’urbanophile, de l’usager du lieu, du bricoleur, et d’un chercheur ou praticien en sciences humaines. Aucune rémunération n’est versée aux participants de ce type d’événement, seul compte pour eux la gratification sociale d’une expérience collaborative où ils ont pu se confronter à d’autres modes de penser et de faire, apprendre à maitriser des outils telles que les nouvelles technologies, produire de la connaissance et s’investir dans le développement de sa ville. De plus, ces collaborations permettent souvent de renforcer son réseau professionnel et de créer des opportunités entrepreneuriales. Des expérimentations en canon Initiés en 2011 par Erasme, le laboratoire d’innovation ouverte de la Métropole de Lyon et des professionnels passionnés par les musées, la démarche Muséomix s’est déclinée sous d’autres formats et d’autres lieux.


En avril 2015, c’est au tour de la gare Saint-Paul, situé dans le 5e arrondissement de Lyon de devenir un terrain de jeu pour imaginer de nouveaux usages plus ludiques et pratiques. Pour cette première édition, le Grand Lyon, Gares & Connexions, la Région Rhône-Alpes, la Ville de Lyon et le Sytral ont été partenaires pour l’organisation, avec le soutien de l’agence Nova7, experte en innovation ouverte (3). Plus récemment, la Maison des étudiants située dans le 7e arrondissement de Lyon, a aussi fait l’objet d’un remix en octobre 2016 (4). Ce dernier était organisé en partenariat avec la direction logistique, patrimoine et bâtiments de l’université de Lyon, le Crous, et la direction de la prospective et du dialogue public de la Métropole de Lyon. Un remix fort en émotions Cette aventure collective intense en émotions autour d’un projet commun donne lieu à une dynamique fédératrice entre les partenaires prêts à s’investir pleinement durant l’événement. La démarche de remix est ainsi voulue collaborative et pluridisciplinaire, elle permet en ce sens de casser la logique de silos et amener un peu de porosité entre des secteurs traditionnellement cloisonnés. Afin de passer d’une démarche événementielle à une démarche prospective, une évaluation est à prévoir concernant « le nombre de prototypes ayant trouvé une déclinaison opérationnelle » suite à l’événement, « l’effet levier ou impulsion sur la transformation d’un lieu un remix », ou encore « les effets de ce type d’expérience collaborative pour l’ensemble des acteurs impliqués et ainsi repérer l’évolution en termes de culture professionnelle (5) ». Pour conclure, il semble que les difficultés inhérentes à la participation « sur invitation » ont mis en exergue la nécessité de trouver d’autres formats et espaces pour permettre à une diversité de profils de citoyens-habitants-usagers de prendre part à la transformation de la ville. Ainsi, assiste-t-on à l’essor d’une participation « sur contribution » avec l’expérimentation d’ « évènement créatif et collaboratif pour fabriquer des prototypes de services qui transforment l’expérience vécue par les usagers d’un lieu dans la ville (6) ». (1) Définition Larousse (2) « Rôles de l’équipe d’organisation », support de documentation, Agence Nova7. (3) « Décryptage et éléments de bilan », Fabriquer la ville de manière collaborative et ouverte, Millénaire 3, Grand Lyon, novembre 2015. (4) « Remix Maison des Etudiants : retour sur l’événement », Fabriquer la ville de manière collaborative et ouverte, Millénaire 3, Grand Lyon, mars 2017. (5) « Décryptage et éléments de bilan », Fabriquer la ville de manière collaborative et ouverte, Millénaire 3, Grand Lyon, novembre 2015. (6) http://www.cityremix.co/


L'ART S'AFFICHE EN VILLE Partenaire : Urbis le mag Date de publication : 18 décembre 2017 Lien URL : http://www.urbislemag.fr/l-art-s-affiche-en-ville-billet-461-urbis-le-mag.html Une jeune entreprise propose aux internautes de financer le remplacement des affiches publicitaires par des œuvres d'art. La première levée de fonds a permis d'exposer 17 artistes sur plus de 70 panneaux du 18 au 25 octobre 2017 à Bordeaux. Du latin publicitas, « qualité de ce qui est rendu public », le terme publicité émerge au cours du XIXeme siècle sous l’impulsion de plusieurs artistes du courant Art nouveau rendus célèbres par leurs affiches murales dans les rues de Paris. A l’heure de la mondialisation, la publicité est définie conventionnellement comme étant « l’ensemble des moyens utilisés pour faire connaître au public un produit, une entreprise industrielle ou commerciale ». Loin du geste de l’artiste, unique et éphémère, l’œuvre publicitaire réplicable sur de multiples supports est devenue omniprésente dans notre paysage urbain. Arrêts de pubs, échafaudages enlaçant des bâtiments en travaux, colonnes dans nos journaux, aujourd’hui nos rétines sont saturées par cette publicité devenue une fin en soi et un puissant moyen d’influence sur nos désirs. Publicité, cité publique ? Décriée pour les profits gargantuesques qu’elle génère, la publicité est, de façon moins connue, une source de revenus non négligeable pour les collectivités qui prélèvent la taxe locale sur la publicité extérieure (TLPE). En matière de publicité urbaine, le géant JCDecaux est expert. Jouissant pratiquement du monopole du marché français au regard du nombre de panneaux publicitaires, abribus et autres vélos en libre services où figure sa signature, l’entreprise numéro 1 mondiale en support publicitaire extérieur contribue au fonctionnement des services publics en versant une partie de ses recettes aux communes pour la location de l’espace public. Les pouvoirs publics disposent néanmoins de moyens réglementaires pour ne pas se retrouver tributaires des publicitaires. Le règlement local de publicité (RLP) de la Ville de Paris traduit par exemple de manière opérationnelle des orientations stratégiques tentant de concilier intérêt économique et intérêt écologique : la réduction de la surface publicitaire – remplacement des panneaux publicitaires de 8 m² par des panneaux de 2 m² – permet d’amoindrir la pollution visuelle et limite la consommation énergétique. Quand l'art s'expose à tous En parallèle de cette acception techno-centrée et rationnelle, des démarches originales proposent aussi de poétiser l’espace urbain : c’est le défi que s’est lancée la Startup Oboem, en remplaçant la publicité des panneaux d’affichage par des œuvres d’art. Via une plateforme de financement participatif lancée de juin à septembre 2017, les cofondateurs d’Oboem ont permis à 17 artistes d’être affichés sur 70 panneaux pendant une semaine dans les rues de Bordeaux. « Valparaiso est une ville portuaire. La légende raconte que les habitants récupéraient les restes de peintures qui servaient aux bateaux pour colorer les rues. Là-bas, il y a beaucoup


de fresques. Les rues sont très colorées, et quand on est rentrés en France, tout nous semblait bien gris en comparaison. » Imprégnés par leur voyage en Amérique Latine, Mari Toni et Olivier Moss, les deux innovateurs, veulent rendre accessible l’art à tous et saupoudrer « une dose de sensible » capable d’interpeller les citadins pressés. Une initiative collaborative Le tarif de base pour louer plusieurs panneaux publicitaires, à Bordeaux par exemple, revient à 7 000 € pour une semaine. Alors pour déjouer les règles de l’art des marchés, la startup fait appel au soutien de son réseau de « mécènes ». Le principe ? Sur le site oboem.com, des séries d’œuvres sont présentées et peuvent être sélectionnées par les internautes. A eux de financer, par des dons, les œuvres qui feront leur apparition aux coins de sa rue. Pour précision, 50 % des recettes sont destinées à l’achat d’espace publicitaire ; une part revenant bien entendu aux artistes. Bordeaux est devenue une galerie à ciel ouvert depuis le lancement du projet : pas moins de 70 panneaux publicitaires ont été convertis en châssis de 17 œuvres temporaires. Une "art-faire" qui marche et qui fait marcher à en croire le succès du projet. Une deuxième campagne est prévue à l’aube de l’année 2018, et qui pourrait bien donner des idées à d’autres contrées…


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