( Diane Bégard )
APOLOGIE DU BANC PUBLIC pour une
Essai sur le rôle des bancs publics dans l’espace public
Mémoire de Recherche en Géographie Sociale Sous la direction de Yves Bonny ( 2004-2005) Version revue et corrigée (2009)
Remerciements (de la version 2005) à Monsieur Yves Bonny, qui m’a fait confiance et m’a soutenue dans ce travail, et à Madame Djemila Zeinedi-Henry, ainsi qu’aux chercheurs du RESO, à toutes les autres personnes qui m’ont aidé, ou montré leur soutien: ma famille, les« Epilators », mes amis, et tous mes proches; merci aussi à tous les auteurs que j’ai lus, et qui m’ont permis d’avancer, aux urbanophiles, aux poètes et aux défenseurs des bancs publics, tout particulièrement à Renaud et à Brassens, aux étudiants de Master 1 DSS, et à toutes les personnes que j’ai photographiées, ici reproduites sans leur autorisation, je remercie enfin tous ceux que j’oublie et qui se reconnaîtront.
Remerciements
Préambule Paris, mars 2009 Cette version légèrement corrigée de l’Apologie du banc public résulte d’un travail de recherche universitaire de quatrième année en Géographie Sociale à l’université de Rennes 2 réalisé entre 2004 et 2005, et d’un constant intérêt pour la question depuis. Ce travail ayant été validé et félicité par un jury d’enseignantschercheurs, et bien qu’il puisse paraître en quelques points un peu « daté », il m’est paru plus juste de conserver le plus possible le propos de l’époque, tout en faisant évoluer sa forme. En quittant l’université, un Master 2 recherche (ex-DEA) de géographie sociale en poche, mon intérêt pour les questions ayant trait à l’urbain, aux villes, à leur forme, à leur histoire, aux sociétés urbaines, aux espaces publics et tout particulièrement à leurs usages et leurs appropriations ne s’est pas tari. Les bancs publics sont devenus alors pour moi comme une passion évidente. Quelques articles publiés par-ci par-là, diverses collaborations, et de nombreuses sollicitations quant à mes références sur la question ont été possibles grâce à la grande visibilité qu’a obtenu mon site-blog « Apologie des bancs publics »1, entamé en décembre 2006. Au fond, c’est peut-être parce que « c’est sans fin que l’amour citadin s’allonge sur du bois vert. (...) Tant qu’il y aura des bancs reste un pays de sentiments »2 que je poursuis cette aventure. Bonne lecture, Diane Bégard diane.begard@gmail.com Préambule
[1] http://bancspublics.canalbog.com [2] Mano Solo, 2005, « Botzaris », album Animals
A m’asseoir sur un banc, cinq minutes avec toi, regarder les gens tant qu’y en a ; Te parler du bon temps, qui est mort ou qui reviendra, en serrant dans ma mains tes petits doigts ; Puis donner à manger à des pigeons idiots, leur donner des coups de pieds pour de faux ; Et entendre ton rire qui lézarde les murs, qui sait surtout guérir mes blessures ».
A m’asseoir sur un banc, cinq minutes avec toi, regarder le soleil qui s’en va ; Te parler du bon temps qui est mort et je m’en fous, te dire que les méchants c’est pas nous ; Que si moi je suis barge ce n’est que de tes yeux, car ils ont l’avantage d’être deux ; Et entendre ton rire s’envoler aussi haut, que s’envolent les cris des oiseaux ». Renaud, Le mistral gagnant, 1995
Table des matières
En guise d’introduction
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CHAPITRE 1 - des espaces publics en péril ?
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I - Le mythe de la démocratie Grecque ou l’articulation de la sphère publique et de l’espace public sensible
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II - L’encadrement normatif de l’espace public se plie-t-il à d’autres logiques ?
17
III - L’ «urbanisme durable» pour un espace public négocié ?
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CHAPITRE 2 - Le paradoxe du banc
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I - Observation des pratiques visibles
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II - Les réponses sensibles à l’échelle du mobilier urbain : ce que les bancs nous apprennent
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Post scritum : les bancs publics dans le centre de Rennes
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Conclusion générale
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Annexes, sources et références bibliographiques
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Table des matières
En guise d’introduction... En 2003, alors étudiante en maîtrise d’aménagement du territoire à l’université de Rennes, je cherchais à définir une problématique pour mon travail de recherche de fin d’année. Depuis longtemps, je voulais l’axer sur la question du piéton dans la ville. Ce vaste sujet, aux nombreux enjeux et aux milliers de références bibliographiques m’a très vite dépassée. Je compris qu’il fallait « resserrer » le sujet. Alors que je me donnais un an de plus pour finir ce travail, les réformes universitaires ont fait de mon « redoublement » une spécialisation : j’intégrais, en octobre 2004, la première année du master de recherche DSS-RESO, i.e Dynamiques Sociales et Spatiales. C’est à cette date que la ville de Rennes a pris la décision de ‘’déposer’’ les 12 bancs publics d’une de ses places principales (la place Sainte-Anne). Cet événement m’a personnellement touchée ; il soulevait, selon moi, de graves questions d’ordre social, spatial, urbain… L’enlèvement de ces bancs constitua finalement le déclencheur du travail universitaire que je devais débuter. Le banc public - objet de l’espace public - devint objet de mon étude. Naturellement, la première question qui m’est venue fut celle-ci: « Pourquoi enlever les bancs ? » Suivie presque immédiatement de la seconde: « Pourquoi les avait-on installés? » De là, la problématique de mon travail était définie. Il me fallait de comprendre alors les enjeux intrinsèques à la notion d’espace public, pour les mettre en perspectives avec tout ce qui concernait le fait de s’asseoir en ville. Ceci me permit d’établir le schéma de la page suivante, qui exige quelques explications. De gauche à droite, comme sur une axe des abscisses, se déclinent, selon l’échelle de perception, les valeurs sociales plus générales, qui interfèrent sur (et avec) les usages des espaces publics. Ensuite, nous trouvons diverses attitudes d’utilisation des bancs, pour enfin lire les grandes tendances en matière d’aménagements 1
des bancs. Deux types de flèches encadrent la figure : celles qui « montent » accompagnent les éléments qui conduisent à une ville avare de bancs, tandis que celles qui « descendent » représentent la ville généreuse en bancs. Au centre, deux doubles flèches doivent représenter tout le paradoxe du schéma. Nous aurions pu dresser une foule de relations entre chaque « case », parce que chacune dépend d’une autre. Certaines tendent à une attitude, tandis que d’autres les contredisent. Cette tension s’exprime pourtant sur un même espace. En fait, nous savons que ne pouvons cloisonner chacun de ces éléments. Simplement, nous avons dressé les éléments qui nous paraissaient importants à évoquer dans notre développement. Le plan que nous allons suivre va faire écho à ce schéma. Dans un premier temps, nous allons approcher la notion de l’espace public, et sa définition qui n’est jamais définitive; la langue française lui accorde d’ailleurs une grande valeur. C’est un concept à « plusieurs tiroirs », qui confond à la fois les questions de philosophie politique et celles de géographie sociale, pour une application spatiale. Aujourd’hui, cette compréhension s’estompe, parce qu’en réalité, l’espace public s’éloignent de sa théorisation idéale. D’autres facteurs interviennent, à nous de comprendre en quoi ils mettent en péril les espaces publics. Lorsque nous aurons dressé un portrait général des espaces publics, et intégré ses multidimensions, nous aborderons dans le deuxième chapitre la question plus précise de l’aménagement. Revenons au schéma. Une lecture inversée (de droite à gauche) invoque quelques liens ascendants, entre la forme et la pratique des bancs, pour remonter jusqu’à la conception, et la programmation des espaces publics. Nous chercherons dans quelles mesures l’aménagement joue un rôle sur la pratique du public sur son espace, et en quoi l’exemple du banc exprime un paradoxe. Nous conclurons notre étude de quelques exemples pris dans le centre-ville de Rennes afin d’illustrer rapidement nos propos. En guise d’introduction...
Schéma 1 : Eléments de problématique
En guise d’introduction...
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CHAPITRE 1
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chapitre 1
Des espaces publics en péril ? ILe mythe de la démocratie Grecque ou l’articulation de la sphère publique et de l’espace public sensible A/ La référence à l’agora hellénique B/ L’espace public est le lieu de l’expression de la vie civile et civique C/ Des menaces qui pèsent sur l’espace public traditionnel
II L’encadrement normatif de l’espace public se plie-t-il à d’autres logiques? A/ Faut-il relativiser la catégorie juridique qui distingue le privé du public? B/ Espace public et domaine public C/ L’importance du caractère non bâti D/ L’espace public au coeur d’un système plus complexe
III L’urbanisme durable, pour un espace public négocié A/ Espaces publics et visibilité sociale B/ Cadre de vie et idéologie C/ La « ville durable » est elle le nouveau mythe? Des espaces publics en péril ?
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chapitre 1
Afin d’en saisir tout leurs sens, comparons, comme l’a recommandé Michel Lussault dans ses articles « Espace public » du Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, la linguistique française, à l’anglaise et à l’allemande. Alors qu’en français, la polysémie de la conjonction « espace public » renvoie à des significations physiques comme abstraites, les anglophones différencient public space de Public sphere, tout comme les germanophones, avec Öffentlicher Raum et Öffentlichkeit (Öffentlich: public, de Öffen: ouvert), les premiers signifiant un espace public sensible, tandis que les seconds renvoient plus précisément à la sphère du débat public, que nous appelons sans distinction, mais de manière métaphorique, espace public. Distinction que l’on peut aussi retrouver dans le langage romain, avec l’urbs et la civitas, l’un étant le territoire physique, la matérialité, l’autre la communauté des citoyens, sa dimension politique.
Aujourd’hui, les études qui concernent nos sociétés contemporaines craignent la disparition de la ville telle que nous la connaissons. L’espace public en serait la première victime. Mais nous pouvons nous demander si cette mise en péril ne concerne pas seulement la vision classique de l’espace public, ou si elle est autrement réelle. La réponse peut se trouver en dressant une sorte d’état des lieux de la notion et des gestions de l’espace public. Pour ce faire, nous allons commencer par décortiquer ce qui en fait son mythe (I), sa légitimité (II), en s’attachant à apporter des éléments de discussion. Les contradictions que nous aurons dégagées permettront de confronter certaines conceptions opposées, contradictoires, que synthétiserait peut-être la nouvelle idée de « l’urbanisme durable » (III).
A ce sujet, Lussault propose que les francophones changent leur terminologie, et « systématise[nt] l’emploi de sphère publique pour désigner la sphère délibérative et le domaine de l’opinion publique pour réserver celui d’espace public pour analyser les caractéristiques spatiales d’objets de sociétés spécifiques ». La confusion n’est pas neutre, de nombreux caractères communs allient l’un et l’autre, comme nous allons le voir. Ainsi Isaac Joseph voit ce double sens « comme une chance, et non plus seulement comme une ambiguïté » , la conversation et la rue. L’espace public n’est-il pas d’ailleurs un des supports possibles de la sphère public? [1] Lussault Michel ; «Espaces publics» ; in Lévy Jacques & Lussault Michel (dir.); 2003 ; p340 [2] Joseph Isaac (et alii.) ; 1995 ; p16 Des espaces publics en péril ?
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ILe mythe de la démocratie grecque ou l’articulation de la sphère publique et de l’espace public sensible « La notion d’espace public est d’ordre social. Elle se réfère à un espace social, défini par ses usages et sa dimension symbolique, pas du tout par sa forme »
Le terme espace public (au singulier), au sens de sphère publique, renvoie à un idéal dont la société se réclame, comme lieu des débats possibles entre ses membres. Ainsi, la sphère publique correspond au « dispositif démocratique par excellence » , le lieu de l’expression de la démocratie. Celle-ci a donné le jour en France au siècle des Lumières à une nouvelle forme de l’espace public, non pas forme physique, mais forme-finalité à travers la sécularisation de son espace public notamment . Pour les sciences sociales, la notion d’espace public s’est construite autour d’un idéal fondé sur le mythe de l’agora grecque (A), où se confondent dans une certaine idée, sphère et espace publics. Ainsi, le principe de complète accessibilité renforce cette notion, parce que l’espace public est la scène de la vie civique et civile (B). Pourtant, certaines réalités tangibles bousculent ces valeurs et cet idéal, empêchant leur complète réalisation (C).
[1] Thiberge Claude ; 2003 ; p 10 [2] Joseph Isaac ; 1995 ; op. cit. ; p 12 [3] A ce sujet, voir par exemple : Lévy Albert ; 1997 ; pp 89-90 7
chapitre 1
A/ la référence à l’agora hellénique Partant de cet idéal républicain et démocratique, l’espace public, dans ses deux acceptions, est souvent mis en parallèle avec l’agora grecque, comme un « idéal-type métaphorique » . L’agora peut se comprendre comme l’exacte superposition de la sphère publique sur un espace public. A l’époque de l’Athènes antique, archaïque - autour du VIème siècle avant JC - , l’agora correspondait à un « espace de la polis, espace politique » où se réunissait une assemblée de citoyens délibérante. C’était un lieu très important, « toute la cité, souligne Thiberge, est alors l’expression d’une véritable organisation mentale, à la fois politique, sociale, religieuse et culturelle, dont l’agora est la source ». Encore comprise comme l’ « espace du peuple citoyen, où il est invité chaque jour à se promener librement et à s’exprimer sur tout ce qui concerne la vie de la cité » , l’agora incarne la définition même du caractère public d’un espace, et reste un symbole fort pour les représentations de l’espace public, jusqu’à en devenir « le point-origine », ou « la matrice » .
Même si l’agora représente ce mythe de la démocratie, en ce sens où c’était « l’espace véritablement conquis, véritablement pacifié » , notons qu’à cette époque, elle n’était accessible qu’à ceux que la société définissait comme citoyens, principalement les jeunes hommes de plus de vingt ans. Cet espace était alors interdit aux femmes, aux esclaves et aux étrangers.
A propos de l’agora et du théâtre des cités grecques antiques, Bailly remarque que « l’importance de ces lieux (...) c’est leur caractère d’anomalie, d’événement, dans l’espace de la cité ». Cet ‘‘événement’’ est un ‘‘é-videment’’ dans le tissu urbain. Ces lieux ont pu exister en « s’imposant comme ces vides et ces marques même, sur le sol de la ville, d’une fin assignée au simple remplissage » .
[1] Lussault Michel ; 2003 ; op. cit. ; p 333 [2] Thiberge Claude ; 2003 ; op. cit. ; p 228 [ ] Lussault Michel ; 2003 ; op. cit. ; p 333 [ ] Bailly JC ; « Théâtre et Agora » ; in Joseph Isaac ; 1995 ; op. cit. ; p 51 Des espaces publics en péril ?
[ ] Bailly Jean-Claude ; ibid ; p 58 8
B/ L’espace public est le lieu de l’expression de la vie civile et de la vie civique « Un espace occupé par les corps. [L’] espace de la co-présence est matière et non seulement abstraction conversationnelle » . Le principe d’accessibilité des espaces publics s’inscrit dans un objectif civique et un projet politique où l’expérience grecque sert encore d’exemple. Lussault le réaffirme dans sa deuxième définition de l’espace public: « espace accessible à tous. De taille limitée par rapport à l’espace de référence, l’espace public a la capacité de résumer la diversité des populations et des fonctions d’une société urbaine dans son ensemble » .
a. L’accessibilité physique La première définition de l’accessibilité est souvent entendue comme « l’ensemble des déplacements possibles dans une situation donnée » . Cette accessibilité met en avant le principe de mobilité (circulation), spatiale et même sociale, cher à nos sociétés, qui implique tout autant celle des individus que celle des biens et des informations. Mais ici, l’accessibilité de l’espace public serait plutôt vue comme un espace qu’il est possible pour tous de fréquenter, de pratiquer. Rappelons à ce titre la terminologie allemande : Öffentlichkeit, public et ouvert.
1) Trois formes d’accessibilité Afin de comprendre cette notion dans son intégralité, nous avons séparé et détaillé trois formes d’accessibilité.
De cette idée transparaît une acception philosophique mise en avant par Kant (1724-1804) , « le droit cosmopolite doit se restreindre aux conditions de l’hospitalité universelle », et de continuer: « l’hospitalité (Wirthbarkeit) signifie (...) le droit qu’a l’étranger, à l’arrivée dans le territoire d’autrui, de ne pas y être traité en ennemi. (...) Il faut donc qu’ils se supportent les uns à côté des autres, personne n’ayant originairement le droit de se trouver à un endroit de la terre plutôt qu’à un autre ». Pour lui, l’hospitalité ne signifie pas exactement vivre ensemble, mais participe de la cohabitation. Joseph, qui le cite, insiste sur le fait que Kant accepte de façon universelle le droit de visite et refuse le droit d’accueil. Ce sont les principes de « l’accessibilité universelle »[Joseph] de circulation
[ ] Joseph I. ; 1995 ; op. cit.; p32 [ ] Lussault M. ; 2003 ; op. cit. ; p333 9
[ ] Lévy J. ; « Accessibilité » ; in Lussault M. et Lévy J. (dir.) ; 2003 ; op. cit. ; p 35 [ ] Kant E., cité par Joseph Isaac ; op. cit ; p 21 chapitre 1
et de communication.
plus ou moins accessibles, plus ou moins cumulatives »14.
L’accessibilité des espaces publics est portée par les valeurs de la société, elle peut être restreinte selon certains critères, comme nous l’avions évoqué à propos de l’agora. Il faut être citoyen, ou accepté par ses règles, pour n’en connaître aucune entrave.
Pour favoriser cette forme d’accessibilité, l’espace doit être doué d’une lisibilité forte comme un mode d’emploi cohérent - signes, invitations ou interdits - pour une « clarté apparente du paysage urbain »15.
b. L’accessibilité cognitive
L’Homme Urbain utilise tous ses sens pour s’orienter et appréhender le territoire. L’intelligibilité et la sémiologie des espaces publics peuvent permettre, ou restreindre, l’accessibilité cognitive des individus.
Cognition. (du latin cognitum, cognoscere : « connaître »10): capacité de connaître. La cognition est une notion plus largement étudiée par une certaine communauté scientifique (psychologues, neurobiochimistes etc.) que par les géographes ou les urbanistes. Mondana la définit comme « l’ensemble des processus de production de connaissance, qui permet à un opérateur (...) de construire sa relation au monde, de l’interpréter et d’agir sur lui »11. L’accessibilité cognitive correspondrait alors à la faculté mentale d’avoir accès aux espaces (sensibles), et ne doit pas être négligée. « S’assurer que chacun de nous a les moyens d’avoir accès [à la ville], non en terme d’accessibilité par le biais d’une voiture ou des transports en commun, mais en terme cognitifs »12, en ayant la capacité d’en établir une « représentation opératoire »13. Les conséquences de son absence (ou de sa perte) sont à déplorer : « ce processus [de désaffiliation] est observable sur le plan des pratiques, des comportements mais tout autant dans un registre cognitif des représentations de la ville comme un lieu de ressources [10] le Petit Robert ; 1990 [11] Mondana L. ; « Cognition » ; in Lussault M. et Lévy J. (dir.) ; op. cit. ; p 170 [12] Gorra-Gobin Cynthia ; 2001 ; p 25 [13] Le Breton Eric ; 2002 ; p 16 Des espaces publics en péril ?
c. L’accessibilité indirecte L’accessibilité n’est pas toujours exactement physique, elle n’engage pas toujours le corps en lui-même. On peut avoir accès à l’espace public par d’autres media (dans le sens de modalités), « les caractéristiques de l’environnement construit n’ont pas une efficacité identique d’un sens à l’autre, elles délimitent et configurent l’espace public de façon différente selon la modalité sensorielle que l’on considère »16. Ainsi l’accès visuel ou sonore, à travers une fenêtre, pour reprendre l’exemple de ces auteurs, ne pose-t-il pas des limites différentes que celles pré-établies? Avec eux, nous pouvons donc parler d’une forme « d’accessibilité indirecte ».
[14] Le Breton Eric ; ibid. p 22 [15] Lynch Kevin ; cité par Choay Françoise ; 1974/1979 ; p 386 [16] Chelkoff Grégoire et Thibaud Jean-Paul ; 1992 ; p 10 10
2) Différents degrés de mise en relation des individus D’autre part, pour analyser la façon dont les deux acceptions accordées à l’espace public - sphère du débat et lieu sensible s’articulent, on peut évaluer les expériences sociales qui ont les moyens de se dérouler sur les espaces publics urbains. Lorsque les inter-relations et les échanges entre deux étrangers se déploient sur les espaces sensibles, ils consolident alors la signification de l’espace public abstrait (par leur conversation réalisable ou réalisée). En encourageant l’accessibilité des espaces, on favorise la présence et la variété des acteurs, et dans cette proximité, la possibilité à l’inter-connaissance, parce que l’espace public « doit permettre la mise en relation des biens, des hommes, des idées »17. Il serait, dans le meilleur des cas, donc par essence, un espace de socialité, puis de sociabilité. Celle-ci se mesure à plusieurs niveaux, selon l’ordre social. Sur les espaces urbains, les relations s’organisent selon des rituels (des codes) de l’espacement, et l’expérience sociale s’y traduit par une « sociabilité froide de liens faibles »18 plutôt que par une réelle convivialité (pourtant réclamée et revendiquée à travers le mythe de la vie de quartier comme ‘‘village urbain’’ par exemple…). Deux degrés de mise en relation des individus sur l’espace public se distinguent :
[17] Corajoud Michel ; 1998 ; in Les carnets du Paysage, p 10 [18] Joseph Isaac ; 1995 ; op. cit. ; p 12 11
a. Dans une acception civile, l’espace public permet les rencontres. C’est un espace de coexistence, parce que les individus fréquentent simultanément, dans leurs expériences ordinaires, le même espace. « La présence d’un nombre maximum d’individus sur un espace de taille minimale, est une condition fondamentale à l’interaction »19, qui est tantôt importante, souvent faible. Un des comportements possibles est l’évitement de l’autre, on parlera alors d’un « espace social régi par la distance »20. Largement étudiées par la discipline de la micro-sociologie (Goffman), les relations inter-individuelles sont conditionnées par des normes sociales, qui régissent l’extimité (l’exposition de soi au regard des autres) dans une « métaphore dramaturgique » (l’individu devient spectateur et acteur). En ce sens, l’altérité et la réciprocité nécessitent l’accomplissement de soi et de l’autre : « l’homme cherche l’homme »21. La co-présence civile est facteur de contacts et de rencontres, « c’est la somme des contacts fortuits et publics, généralement spontanés, qui crée chez les habitants [d’un quartier] le sentiment de la personnalité collective et finit par instaurer ce climat de respect et de confiance »22. Outre leur capacité de mise en relation des membres qui les fréquentent, les espaces publics favorisent l’apprentissage de la civilité, la société civile apprend à ses membres à coexister avec des individus différents, par la présence simultanée de l’autochtone et de l’étranger, autrement dit de l’ego et de l’alter. Dans certains cas les bases matérielles de l’accessibilité se restreignent. Facteurs de tensions, ces limitations se retrouvent dans des lieux favorisant « l’entre-soi », voire le communautarisme quand il est [19] [20] [21] [22]
Moriconi-Ebrard François ; 1997 ; in Urbanisme, p 55 Joseph I. ; 1995 ; op. cit. ; p 12 Jacobs Jane ; citée par F. Choay ; 1974/1979 ; op. cit. ; p 369 Jacobs Jane, ibid. chapitre 1
anti-démocratique (les communautés fermées, plus communément appelées gated-communities, en sont un autre exemple). b. Le second niveau se construit autour des rapports entre les citoyens. Les représentations publiques, reprenant encore le modèle de l’agora grecque, qualifient les espaces publics comme des lieux de partage collectifs, espaces d’actions, d’expressions communes, de citadinité et de citoyenneté: de l’individu au groupe. C’est le sens habermassien d’espace public comme sphère publique, qui possède un enjeu politique. Lieu qui favorise la communication et la publicité des idées (dans les Forum Sociaux Locaux et Mondiaux, les fêtes et les parades, ou dans un sens utopien…), ou lieu de manifestations des tensions (violences, marches politiques et revendicatives…), l’espace public devient l’espace des rassemblements et des solidarités, de l’événement possible, parce qu’il autorise la lutte, les luttes, politiques et collectives. Sur cet espace public, le peuple peut marquer son mécontentement, son opposition au pouvoir ou à sa gestion, il peut y réclamer l’instauration d’un nouvel ordre. Les démocraties autorisent, tout en le cadrant, l’exercice des libertés. Dans les autocraties ou les régimes politiques totalitaires, le droit de se réunir et de s’exprimer publiquement (de rendre publique une opinion) est l’un des premiers droits confisqués.
Des espaces publics en péril ?
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C/ Des menaces qui pèsent sur l’espace public traditionnel Grâce à l’accessibilité des espaces publics ainsi que par la potentialité des rencontres et des débats (public space), c’est l’image de la diversité sociale qui peut se déployer dans les espaces collectifs urbains. Les ingrédients de l’urbanité sont réunis. Après avoir longtemps signifié « le gouvernement d’une ville », l’urbanité correspondait, de façon prosaïque, pour ne pas dire tautologique, au « caractère proprement urbain d’un espace »23. Pour Claval, dans le précieux dictionnaire de Merlin et Choay, l’urbanité est « de façon générale, toute forme analogue de politesse dans la manière de se comporter avec autrui. L’urbanité est une qualité des individus ou des sociétés, elle ne peut être rapportée à des agents physiques ». Jacques Lévy décrit l’urbanité comme le couplage « densité + diverité »24 d’un lieu.
En quelques sortes, le caractère humain de l’urbanité s’est substitué à la première définition d’ordre institutionnelle. Mais l’expression du débat public, aussi complexe soit-il, semble s’éloigner des espaces concrets publics, tout comme l’idée du « vivre ensemble », clé de voûte de la vie urbaine, qui s’effacerait dans un système politique et social marqué par l’abandon des espaces publics urbains et les enjeux sécuritaires.
Parfois galvaudée, parce qu’« on s’en sert néanmoins par abus, comme synonyme d’ambiance raffinée »25, le substantif ‘‘urbanité’’ désigne pour certains « la politesse où entre beaucoup d’affabilité et d’usage au monde »26. Pour Joseph encore, un peu plus loin, l’urbanité serait « le paradigme de la ville »27. Catherine Grout déborde même de la notion pour écrire : « je comprends le sens du mot urbanité dans une double articulation. d’une part, l’urbanité existe dans une réunion de personnes, avant que l’on parle de construit ou d’habitation, et d’autre part, elle existe parce que pour ces personnes il y a un monde commun, avant même l’institution de la société »28.
[23] Lussault M. ; « Urbanité » ; in Lussault M. et Lévy J. (dir.) ; 2003 ; op. cit. ; p 966 [24] Lévy J. ; 1997 ; « La mesure de l’urbanité » ; in Urbanisme n° 296, p 59 [25] Claval Paul ; « Urbanité », in Merlin P et Choay F (dir.), 1996 [26] Joseph I. ; 1984 ; p 24 [27] Joseph I. : ibid. ; p 25 [28] Grout Catherine, 1998 ; p 19 13
chapitre 1
1) Nouvelles sociabilités urbaines
2) Espaces sécuritaires
Tout d’abord, avec les temps de loisirs qui augmentent et se transforment, on observe à l’échelle de la ville un déplacement des lieux de détente et de rencontre, des espaces publics (rue, mails, parcs… pensons aux photos de Doisneau), vers certains espaces privés, soit domestiques (avec le taux d’équipement exponentiel des ménages en téléviseurs ou ordinateurs), soit à accès restreint (lieux semi-privés).
L’espace public incarné par le mythe de l’agora semble se dissiper dans les demandes sécuritaires des groupes sociaux majoritaires. Le discours médiatique sur l’insécurité relaie une pensée qui anime la société depuis très longtemps, dans une évolution exponentielle. La recherche de la sécurité collective s’exécute, selon Ascher, comme le « moyen qu’un groupe social met en œuvre pour assurer à la fois sa sécurité vis à vis de l’extérieur (…) et sa sécurité intérieure, par un système de règles et de moyen d’imposer leur respect »31.
De nouvelles formes de sociabilités apparaissent alors, selon François Ascher, sur « des nouveaux lieux urbains », tels les fast-foods, les aéroports, les centres commerciaux, les musées, les parcs de loisirs, les cinémas multiplexes… Ceux-ci « doivent être fonctionnels, ouverts, sous le contrôle des pouvoirs publics, conçus de telle manière que les individus et les gens puissent tout à la fois y développer leurs pratiques urbaines et y pratiquer une nouvelle civilité ». Même si Acher ne nous alarme pas, il met en avant l’importance de la régulation du phénomène par les autorités publiques. A travers ces nouveaux espaces ‘‘publics’’, il y a peut être un ‘‘épuisement’’ d’une forme ancienne de l’urbanité, mais cela « ne signifie pas pour autant la fin de toute urbanité »29. Ainsi, une reconquête publique de la ville s’impose. Cependant, Ghorra-Gobin dénonce ces espaces (principalement les centres commerciaux) qui rendraient les individus non plus citoyens, mais « purs consommateurs (...) fascinés par ce temple de l’hypermodernité »30. La vie sociale ne s’exerce plus sur l’espace public (Öffentlicher Raum), en s’orientant vers des activités consommatoires, la ‘‘sphère publique’’ ne se superpose donc plus à l’espace concret.
[29] Ascher François ; 1998 ; p175 [30] Ghorra-gobin C. ; 2001 ; op cit. ; p12-13 Des espaces publics en péril ?
Les espaces publics traduisent ces enjeux ; la peur de l’autre, la crainte de l’étranger se concrétise au niveau spatial. Outre quelques leviers répressifs normalisés qui s’exécutent (que nous aborderons ensuite), les tensions liées aux facteurs sécuritaires modifient les représentations que les individus se font des lieux extérieurs, qu’ils fréquenteront moins, et auxquelles répondent en terme d’aménagement les décideurs, dans des mesures variables : « le rôle d’un aménagement d’espace public n’est pas d’éliminer les conflits mais de les rendre vivables. (…) Il vaut mieux éviter des recoins dans un endroit déjà fréquenté par les dealers (…). Mais il ne faut pas perdre de vue qu’un espace public est celui de tout le monde et que dans toutes villes il y aura des dealers, des marginaux. Il est donc normal qu’ils soient là, eux aussi. En revanche, leur présence ne doit pas gêner les autres usagers ni les empêcher de venir.(…) Il faut créer des espaces qui s’autogérent »32. Variables, parce que d’autres actions spatialisées contrarieront de cette conception. Nos sociétés sont-elles engrenées dans un processus d’individualisation de leurs membres, de repli sur soi, voire [31] Ascher François ; 2000 , p29 [32] Charbonneau Jean-Pierre ; cité par Toussaint et Zimmermann ; 2001 ; p77 14
d’atomisation? Les rapports sociaux se modifient, leurs lieux d’expression se déplacent. L’importance accordée à la valeur des espaces publics semble s’amenuiser. Même si l’exemple outreAtlantique s’est construit sur une histoire incomparable et un rapport à l’espace public différent, cela n’empêche, pour finir, de citer le portrait pessimiste que Mike Davis dresse de Los Angeles, où « les croisades sécuritaires et les logiques du tout-privé ont fini par détruire l’espace public comme espace accessible et ont abouti à une conception « sadique » de la rue »33.
[33] Davis Mikes ; 1990; cité par Joseph .I. ; 1995, op. cit. ; p11 15
chapitre 1
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II L’encadrement normatif de l’espace public se plie-t-il a d’autres logiques ? « Le peuple doit combattre pour la loi comme pour les murs de la Ville » (Héraclite) Les sociétés civiles de nos démocraties, représentées par un système politique légitime, normalisent cette allégorie de l’espace public en déterminant des règles juridiques. Comme la loi est l’exercice même du pouvoir, elle doit permettre les meilleures potentialités pour les espaces publics. « La nature de cet espace est normative. Ses règles et ses lois renforcent les termes du contrat social qui le structure, tout en assurant leurs propres conditions de validité et de viabilité » . La législation apporte à la compréhension des espaces publics la représentation de l’expression des désirs et des valeurs de la société. Cependant, même si des sociologues ont leurs définitions de l’espace public, les codes juridiques concernent plus spécifiquement le domaine public. Il faut bien voir comment les deux expressions ne recouvrent pas la même réalité. Pour comprendre la définition d’espace public, nous avons étudié des articles traitant de la question juridique (l’article de Véronique Hémery, avocat, ou celui d’Yves Tanguy, juriste), et d’autres, plus sociologiques. Les premiers montrent toute la complexité qui existe à distinguer domaine public et espace public, tandis que les autres utilisent le terme d’espace public dans un sens plus large, mais signifient toujours en quel sens l’espace public est la mise en scène du pouvoir, citoyen et édilitaire.
[ ] Le philosophe Héraclite a vécu en Grèce au VIIème siècle avant JC. [ ] Berdoulay V., da Costa Gomes P. et Lolive J. (dir.) ; 2004 ; µ 14 17
chapitre 1
A/ Faut-il relativiser la catégorisation juridique qui distingue le privé du public ? « Le territoire français est le patrimoine commun de la Nation. Chaque collectivité publique en est le gestionnaire et le garant dans le cadre de ses compétences ». Dans la République Française, la citoyenneté est fondée sur le principe de la Nation. A la lecture de cet article L.110 du code de l’urbanisme, nous pouvons rester perplexe : si l’espace est public, est-il à tous ou à personne ? Est-ce une propriété ou une impropriété collective ? « Cet espace n’est pas « collectif » et n’est pas propriété. Il n’est même pas « à tous », il est à personne, entre tous et comme tel il doit être incarné » , parce que le terme ‘‘public’’ signifie aussi seulement ce qui concerne le peuple dans son ensemble. Mais qu’apporte l’épithète ‘‘public’’ dans la compréhension de l’ espace public ? Partant de la première définition de Michel Lussault, « l’espace public est (…) caractérisé par son statut public », on comprend que l’espace public n’appartient donc pas « à une personne morale de droit privé ». Pourtant, au regard des usages, nous pourrions par exemple considérer certains espaces privés qui ont des accès restreints (horaires, critères, droits d’entrée...) tels les cafés, les gares et les hôpitaux de fait comme des espaces publics parce qu’ils sont non domestiques et accueillent du public. Néanmoins, comme nous l’avons vu, l’entière accessibilité est une condition sine qua none aux espaces publics. En fait, deux niveaux d’analyses se confrontent : premièrement, la sectorisation juridique, qui détermine la différence selon les régimes de propriété d’un lieu (privé, public, voire privé du domaine de l’Etat), et dans un second temps, l’analyse qui se tourne vers les pratiques sociales, pour voir s’il s’y déroule une publicisation, [ ] Bailly JC.; 1995; op. cit. , p53 Des espaces publics en péril ?
ou une privatisation des espaces. Avec la définition que donnent Montal et Noisette : « on peut considérer l’espace public comme la partie du domaine public non bâtie, affectée à des usages publics. L’espace public est donc formé par une propriété et une affectation d’usage » , la propriété, ici, publique, est encore la condition de l’espace public. Cette dualité entre le privé et le public, d’ordre juridico-politique, est très importante en droit. Le premier étant soumis au régime de droit privé et aux contentieux judiciaires, tandis que le second est soumis au droit administratif et public. Au delà de cette norme juridique qui soutient la différence entre le privé et le public pour encadrer la notion de l’espace public, certains éléments peuvent d’ores et déjà apporter quelques réserves. En effet, aujourd’hui les espaces publics semblent soumis à une logique dépassant le cadre juridique. La frontière entre le public et le privé peut se déplacer et peut conduire à ce que certains appellent la privatisation des villes. Par exemple, certains espaces urbains deviennent arbitrairement circonscrits, filtrés, et surveillés en permanence. Au delà du déplacement des pratiques sociales vers des (nouveaux) espaces privatifs, l’espace public urbain lui-même se privatise. Une explication est avancée par Paul Claval, qui en appelle à l’effet de l’insécurité, qui fait que « la privatisation de la ville est accélérée et dramatisée par l’incapacité qu’éprouvent la plupart des systèmes politiques à gérer efficacement les espaces qui sont placés sous leur responsabilité » . Ainsi, les notions de privé et public sont sensibles à quelques aléas qui régissent nos sociétés. A terme, l’espace dont nous parlons restera-t-il toujours exactement public ? [ ] Montal P. et Noisette P. ; « Espace public » ; in Merlin P. et Choay F. (dir.); 1996 ; op. cit. [ ] Claval P. ; « Clisthène, Habermas, Rawls et la privatisation de la ville » ; in Ghorra-Gobin, 2001, op. cit. ; p30 18
B/ Espace public et domaine public Le domaine public est en quelque sorte un raccourci juridique du concept d’espace public, qui n’a pas réellement de définition juridique. La domanialité publique se caractérise, selon Tanguy, par « une propriété publique, un usage public et des aménagements spéciaux propres à garantir cette adaptation » . Trois principes sont constitutifs du domaine public : - il est inaliénable, i.e il ne peut être vendu à une personne privée (depuis “l’arrêt de Moulins” de 1566); - il est imprescriptible, c’est à dire que « la possession, même prolongée, d’un bien dépendant du domaine public ne confère en aucun droit à son possesseur » ; - il est généralement interdit d’y constituer des servitudes.
considérés comme faisant partie ipso facto du domaine public » . Le principe de l’affectation définit aussi la domanialité publique. Mais ce critère n’est pas régit par les codes juridiques. Seules la jurisprudence et la doctrine le cadrent, comme les arrêts du Conseil d’Etat d’Alyscamps de 1959, ou celui de Berthier en 1960, qui concernent l’aménagement spécial, non sans provoquer d’ailleurs nombres discussions .
Nous comprenons aussi que le domaine public, autrement dit les biens appartenant à l’Etat (ou aux collectivités), est légèrement défini par le code du domaine public de l’Etat, et a donc fait l’objet de nombreuses jurisprudences. Il faut aussi savoir que les autoroutes, le sol et le sous-sol de la mer territoriale, le domaine fluvial, aérien, ferroviaire, les égouts, certains tableaux et œuvres… font partie des biens du domaine public. D’autre fois, on parle aussi du domaine privé de l’Etat ou des collectivités, comme par exemples les musées et certains squares et jardins. Le domaine public n’induit pas systématiquement une accessibilité libre et gratuite. Ainsi, un bien constitue du domaine public s’il appartient à une collectivité publique et s’il est affecté à certaines destinations, ce qui est encore assez flou. « Traditionnellement, les biens mis à la disposition du public étaient [ ] Tanguy Y. ; 1992 ; « Domaine public, usages privés », ARU n°57-58 [ ] Boyer A., Deboaisne D., Rojat-Lefebvre E ; 1990 ; p208 19
[ ] Hénéry V., «L’espace public saisit par le droit », in Toussaint JY et Zimmermann M, op. cit. ; p51 [ ] Voir à ce sujet la biblio de Tanguy Y. ; 1992, op. cit. chapitre 1
C/ l’importance du caractère non bâti « Le terme vide signifie généralement non un lieu où il ‘y a pas d’objet, mais seulement un lieu où il n’y a pas l’objet que nous pensons »
Dans cette notion d’espace public difficilement mesurable, et en nous arrêtant sur l’espace matériel, un élément qui se démarque est son caractère édifié, ou non. La définition de Montal et Noisette souligne que l’espace public est compris comme un espace non bâti, donc ouvert, extérieur - par opposition à clos -, appartenant aux autorités publiques, et destiné à accueillir du public. Cette distinction a son importance, parce qu’elle exclut systématiquement des lieux tels les gares, les centres commerciaux, les cafés, etc… au statut finalement semiprivé et aux accès normés, voire restreints.
Parce que les espaces publics sont hétérogènes, différenciés qu’ont en commun la rue, la place, la voie rapide, le rond-point ou le jardin public ?- et parce que les définitions varient d’un auteur à l’autre, la compréhension de l’espace public que nous retiendrons pour notre étude est celle des espaces publics pluriels, urbains, extérieurs et non-bâtis, où la pratique sociale des individus, particulièrement des piétons, est autorisée. Par là, nous n’entendons pas réduire la conception, mais au contraire accentuer les liens étroits qui, entre sphère et espace publics, déterminent l’urbanité.
Les espaces publics non bâtis sont les ‘‘espaces en creux’’ de Claude Thiberge, qu’il définit dans son ouvrage comme un « espace physique à trois dimensions au sein duquel nous nous déplaçons », ce ne sont pas des espaces vides, et Thiberge de compléter: « dans la production contemporaine de la ville (...) l’espace creux n’est qu’un espace résiduel entre ces objets que sont les bâtiments, le négatif de la ville construite, au mieux l’entre-deux des architectures », mais il l’annonce comme une critique (« ceci est dans la réalité contraire à l’intuition expérimentale que nous avons quand nous nous déplaçons à pied » ). En effet, qu’ils soient lieux dépourvus de construction, ils ne sont pas vides pour autant. Certains parlent d’espaces des intervalles, des interstices, et les fonctionnalistes et les hygiénistes n’attribuaient à ces espaces presque que le seul rôle sanitaire d’aérer les villes, et de permettre la circulation.
[ ] Descartes ; cité par Guibert Daniel ; op. cit. p51 [ ] Thiberge C. ; 2003 ; op. cit. p8 Des espaces publics en péril ?
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D/ l’espace public au coeur d’un débat plus complexe « Avec ou sans idéologie, l’urbanisme devient valeur d’échange »10. De ces caractéristiques normatives (législatives), érigées par les pouvoirs légitimes, on constate d’autres forces en présence, qui participent à un déplacement du sens donné aux espaces publics. Nous avons déjà abordé le fait que les villes, et par conséquent les espaces publics, s’imbriquaient dans un processus de privatisation. On constate par ailleurs dans ce même raisonnement que les espaces publics s’inscrivent de plus en plus au sein d’une logique marchande, où prédominent des valeurs économiques et de rentabilité. Comment cela se traduit-il sur les espaces publics ? Nos villes occidentales, inscrites dans quelques idéologies productivistes et capitalistes, se sont développées selon les modèles permettant l’enrichissement de certains, au détriment des valeurs égalitaires et démocratiques. L’espace public, dans sa forme et dans sa conception, en est largement tributaire. Alors que l’on s’accorde à penser que la démocratie ne peut exister que par la rue, force est de constater que l’inscription de l’idéal démocratique sur les espaces publics n’est pas toujours effective. Les aménagements ne se construisent ni ne se pensent systématiquement dans la réalisation du désir collectif. La traduction des valeurs dans l’espace correspond souvent à une concrétisation des rapports de domination et d’inégalités entre la société civile et les différentes formes de pouvoir, politique et surtout économique.
[10] Lefebvre H. ; 1968 ; Le droit à la ville 21
1) Logique des flux et automobilité Depuis l’origine de l’ère industrielle et du capitalisme, les villes se sont ‘‘optimisées’’ par l’apport des techniciens et ingénieurs du génie urbain, les fameux « Ponts et Chaussées » et par les tenants de l’économie marchande. Répondant à la puissance des valeurs de mobilité et d’échange, la logique des flux, les villes ont dû par exemple s’adapter à la voiture comme mode de déplacement privilégié, démocratisé. Statuant sur les corridors de circulation, le président Pompidou déclara « la ville doit s’adapter à l’automobile », et le rapport Buchanan, en 1963, résuma en une phrase la conception du tout-automobile : « la fluidité de la circulation automobile comme principe universel de réorganisation urbaine »11. Des scénarios urbains prospectifs, empreints ici d’utopie ou là de catastrophisme, mettent l’accent sur la prédominance de l’inscription de la mobilité sur nos espaces. Selon Pierre Merlin 12, l’espace est consommé par les infrastructures de transports à 70% à Los Angeles, entre 18 et 23% à Tokyo, Londres ou Paris. Depuis plus de cinquante ans, c’est l’augmentation chronique de l’utilisation de la voiture, autrement appelée automobilité, qui prime. Le territoire urbain se traduit par un emboîtement spatial de vitesses de déplacements des individus: son étude a été appelée par Paul Virilio la dromologie. Nos sociétés, depuis les révolutions industrielles, sont en constante recherche de gain de temps, donc d’argent, par la vitesse; « la vitesse est le rapport que l’espace entretient au temps »13. Les comportements circulatoires sont pris en compte dans des études économiques, en terme d’étude de marché, pour l’implantation d’hyperstructures, de supermarchés… [11] Ce rapport est une étude réalisée par Colin Buchanan, sur la circulation commanditée par le ministère des transports britanniques en 1961 [12] Merlin Pierre ; 1992 ; Les transports urbains [13] Ollivro Jean. ; 2000 ; p8 chapitre 1
« Les transports, rappelle Merlin, apparaissent comme une activité économique différente des autres : on y échange de l’espace contre du temps... et de l’argent »14. La compréhension des espaces urbains se complexifie, « la mobilité a changé d’échelle et bouleversé nos schémas habituels de compréhension de la ville »15. Les villes au mode routier majoritaire laissent de moins en moins de place à la vie urbaine et sociale, et sont supplantées par les réalités marchandes. La démocratie de l’automobile met en péril les espaces publics : « si certains modes de communication, comme les transports publics, créent de l’espace public, d’autres, comme l’automobile, détruisent l’espace public. (…) L’automobile affaiblit les relations entre les individus et l’espace public »16. La partition des espaces en zones, selon des affectations, largement promues par Le Corbusier et les architectes des CIAM 17, est aujourd’hui de plus en plus discutée. L’hypermobilité provoquerait une perte de reconnaissance des individus à l’intérieur d’un (seul) espace, jusqu’à faire disparaître le lien social (local). Ces espaces, qui offraient « les ressources symboliques et factuelles du territoire »18, ne deviennent que des lieux de transit. La mutation des espaces publics s’est consacrée aux déplacements, et disons de façon raccourcie19 que les villes compactes se sont ainsi transformées en villes diffuses, dans un élan entamé depuis plus d’un siècle, et qu’ont fleuri tous les équipements périphériques, pôles d’échanges et supermarchés, où le privé et le public se confondent de plus en plus. En somme, la [14] Merlin P. ; 1992 ; op. cit. [15] Ascher F. ; 1993 ; p8 [16] Lévy J. ; 2000 ; « Les nouveaux espaces de la mobilité » ; in Bonet et Desjeux (dir.), [17] CIAM : Congrès Internationaux d’Architecture Moderne [18] Tarrius A.; 1993; « Territoires circulatoires et espaces urbains », ARU, n°59-60, p55 [19] Nous ne pouvons pas développer ici tous les autres paramètres en jeu, comme la pression du foncier, la demande sociale de « retour à la nature », … Des espaces publics en péril ?
mobilité transfigure les relations inter-personnelles en moments fugitifs.
2) Mercantilisme touristique, marketing urbain Les commanditaires de l’urbain se sont parallèlement pliés aux règles du mercantilisme touristique occidental. Décriée comme la nouvelle forme de réussite urbaine, la piétonisation des centres semble répondre à deux attentes : d’une part, la recherche d’un renouvellement de la demande de convivialité et de sécurité (physique, des piétons), et d’autre part, l’intérêt croissant pour le tourisme, dont le poids économique participe de plus en plus à la richesse des villes. Force est de reconnaître l’atout des zones piétonnes, mais n’en n’oublions pas leurs limites. Sous couvert de rendre à la ville ses valeurs urbaines (perdues ?), avec la piétonisation des centres poussée par les logiques touristico-financières, les villes misent parfois à outrance sur la patrimonialisation, au risque de la muséification. « [les quartiers anciens] se sont transformés en zones piétonnes réservées exclusivement aux touristes, à la clientèle des commerces de luxes ou encore à des manifestations ludiques »20. Les espaces publics s’encombrent par exemple de terrasses de café (qui ne sont pas, selon nos critères, de l’espace public stricto sensu). Cependant, le processus de refus des véhicules motorisés dans quelques zones relève de nombreux autres enjeux ; il serait réducteur de ne le traduire qu’en terme de logique économique, rentable, parce que la mise en piétonisation répond à des pressions [20] Ghorra-Gobin Cynthia ; «Réinvestir les dimensions symboliques des espaces publics » ; in Ghorra-Gobin (dir.) ; 2001 ; op. cit. ; p12 22
contradictoires hautement plus complexes.
3) Nouveau modèle économique Assujetties aux dirigeants économiques (entrepreneurs…) et à une société civile devenant ‘‘société de consommation de masse’’, Les puissances publiques perdent le contrôle des villes et de leur sens. Le XXème siècle a connu aussi le début de l’urbanisme des promoteurs (bien sûr, privés), concevant et construisant des villes en vue de profits, des bénéfices économiques. Pour résumer, « nous avons devant nous, écrivait Lefebvre en 1968, un double processus ou si l’on veut un processus à deux aspects : industrialisation et urbanisation, croissance et développement, production économique et vie sociale. Les deux « aspects » de ce processus, inséparables, ont une unité, et cependant le processus est conflictuel »21. Même si la situation d’industrialisation dont il parle s’est modifiée (vers une tertiarisation de l’économie), la contradiction persiste.
4) La fin d’une époque ? Finalement, deux mythes disparaissent, l’un historique, du quartier, l’autre, plus récent, concerne la rationalité économique des villes denses. L’étalement urbain diminue la densité, et donc l’urbanité (qui est, d’une certaine manière, le rapport entre la densité et la diversité). D’une certaine manière, ce constat confirme l’idée de la disparition de la ville (Choay, Lefebvre, Paquot…), ou du moins d’une interaction entre disparition des villes et transformation de ses espaces publics. « La ville pédestre appartient dorénavant au passé, et c’est le passé qu’on visite lorsqu’on marche sur [21] Lefebvre H., 1968 ; op. cit. ; p 17 23
les trottoirs de la ville compacte »22. Marc Augé en 1992, parlait déjà de non-lieux, par trois symboles de la modernité, que sont le nouveau rapport au temps, à l’espace et l’individualisation des comportements. Certains parlent de re-faire, ou de sauver la ville. Si la détérioration des espaces publics est effective, ce n’est peutêtre que dans son acception contemporaine, teintée de nostalgie hellénique…
5) Et demain ? En somme, alors que les normes et les choix stratégiques de l’action politique s’incarnent dans les dispositifs techniques qui construisent le sens et la matière de l’espace public, on a de plus en plus l’impression de s’éloigner de sa conception classique. Toutes les interventions qui modifient cet espace remettent en question son statut. Le « pacte social » qui fonde sa citoyenneté, soit l’ordre spatial de la démocratie, se fragilise, soumis à des enjeux extérieurs dominants. Quelque part, les décisions du peuple sont confisquées au nom d’autres réalités. Aujourd’hui, un large courant de pensée s’en inquiète. Au même titre que la protection de l’environnement passera par une meilleure gestion des ressources dont nous disposons, la protection de la démocratie, de ses espaces publics, implique une nouvelle voie au développement des villes, que certains appellent déjà l’ « urbanisme durable ».
[22] Paquot T. ; 2004 ; « L’art de marcher dans la ville », p 213 chapitre 1
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III L’urbanisme durable : pour un espace public négocié « L’urbanisme idéal est la projection dans l’espace de la hiérarchie sociale sans conflit » Les espaces publics expriment ainsi une multitude de courants antinomiques. L’action politique implique des décisions qui se répercuteront spatialement. Quelques-uns diront que les décideurs en charge de ces dossiers se plient à certaines contraintes éloignées des populations, d’autres le contraire. C’est bien là tout le débat politique ! Entre les contradictions qui animent la gestion des espaces publics, entre valeurs idéales et réalités décalées, certains aspirent à une nouvelle voie pour que les espaces publics se réajustent à leurs premières définitions. La publicité du débat des citoyens, la rencontre des citadins ne pourront s’affirmer que sur des lieux qui le permettront. D’une part, on peut observer dans la programmation et la fabrication de certains aménagements une réflexion qui redonne à l’espace social toute sa place, et d’autres part, les discours et la pensée sur la ville s’appliquent aussi à donner du sens à l’évolution des demandes sociales, pour peut-être ouvrir la voie à un urbanisme durable.
[ ] Vaneieghem R. ; Commentaires contre l’urbanisme. 25
chapitre 1
A/ Espace public et visibilité sociale On entend ici par visibilité sociale toutes les informations qu’une personne lambda peut relever en observant les pratiques des acteurs sociaux qui se déroulent sur l’espace public, ou en un mot la dimension spatiale de la société. Cette personne lambda construira son interprétation suivant une référence.
1) L’enseignement des architectes Modernes
Nous avançons ici trois pistes de réflexion caractéristiques. La première développe celle des architectes Modernes, que nous confronterons ensuite en nous attardant sur le sens du vocabulaire, puis nous tenterons d’appuyer ces propos par quelques observations réelles.
Au milieu du XXème siècle, l’équipe des CIAM a déterminé les quatre besoins fondamentaux des êtres humains. Pour Le Corbusier (l’architecte des Cités Radieuses et co-auteur de la Chartre d’Athènes de 1933) les quatre besoins-types se déclinaient ainsi: « habiter, circuler, travailler, cultiver le corps et l’esprit ». Ont alors été installés des « objets » fonctionnels, rationnels et productivistes: « le fonctionnalisme réduisant la société urbaine à l’accomplissement de quelques fonctions prévues et prescrites sur le terrain par l’architecture » .
L’espace public ne peut se penser sans intégrer les individus qui y vivent, et qui, par leurs activités même, le construisent continuellement.
Aujourd’hui, l’urbanisme « fordo - keynesio - corbusien » est largement dénoncé ; les urbanistes et les aménageurs se tournent de plus en plus vers une prise en compte « intégrée » des usages et des usagers de manière moins formelle (moins rigide), pour des espaces publics cohérents et « durables ». L’homme ordinaire ne fonctionne pas tant de façon codée (prévisible), il n’est pas qu’usager de l’espace public. Ses besoins ne se réduisent pas en quatre déclinaisons.
[ ] Lefebvre H. ; 1968 ; op. cit. ; p 50 [ ] Acher F. ; 2000; op. cit. ; p 33 Des espaces publics en péril ?
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2) Réflexions sur les usages et le vocabulaire ... La pluralité d’une population est indéniablement signe de richesse culturelle. Tenter de la cerner pour lui donner, en terme d’aménagement, les réponses adéquates, comme dans un rapport de marché (offre et demande), ce serait baigner dans une illusion formaliste et fonctionnaliste. Longtemps, la sémantique de l’usage et de l’usager est apparue comme l’ultime solution lexicale. Les urbanistes étudiaient les usages, donc les habitudes, les routines, qui généraient des pratiques. Placés au rang de simples utilisateurs, les citoyens - citadins devenaient juste des consommateurs d’espace public (voire des usufruitiers), la ville était comprise comme un bien de consommation. Le mot ‘‘usage’’ est absent des deux dictionnaires de référence en aménagement et en urbanisme, à savoir celui de Lévy - Lussault et celui de Merlin - Choay. En d’autre lieu, l’usage est défini ainsi, « se dit d’abord du fait de se servir quelque chose, de l’emploi qu’on fait de cette chose. Il signifie souvent en premier lieu le rapport au monde qui est le plus évident, le plus immédiat, concret, spontané, son caractère utilitaire » . Ainsi comprise, l’observation des usages oublierait-elle l’exceptionnel, l’oscillatoire, l’interdit, le déviant? Le vocabulaire, aussi riche soit-il (utilisations, comportements, pratiques, actions, consommations, conduites culturelles, voire habitus) réduit en quelques expressions les réalités de la vie collective d’une société. Parce qu’en définissant les usages systématiques, on perdrait de vue l’originalité et l’inventivité des [ ] VOGEL R. ; 1999 ; « Henri Lefebvre et l’usage, retour aux sources »; p61 27
sociétés… imprévisibles. « On ne peut pas penser usage sans faire référence à une forme pré-existante, à un modèle, à un stéréotype » . Mais créer un néologisme pour traduire la polydimension des acteurs métropolitains n’est pas à la portée de tous. Quelquesuns ont avancé les locutions suivantes, tel Henri Lefebvre pour l’Homo Urbanicus , Thierry Paquot pour l’Homo Urbanus , Henri Raymond pour l’Homo Qualunque (homme ordinaire), et d’autres pour l’acronyme HUC: l’Habitant-Usager-Citoyen . Nous ne voulions pas soulever ici seulement une question de vocabulaire, mais celle du sens et de la valeur donnés aux agents urbains, qui, de l’usage à l’activité, vivent et forgent l’âme de la cité. Les Habitants-Usagers-Citoyens doivent être entendus comme des acteurs différenciés. Un jour ayant des revendications individuelles, une autre fois participant pleinement à l’identité collective, chacun est multiple, complexe et aléatoire. Pourtant, forts de ces remarques qui nous sont apparues importantes pour notre étude, nous continuerons, par confort, à utiliser les termes usages, pratiques et activités, dans la compréhension que nous savons maintenant, c’est à dire dans une dimension ni systématique, ni évidente.
[ ] [ ] [ ] [ ]
Vogel R. , ibid. ; p63 Lefebvre H. ; 1968 ; op. cit. ; p49 Paquot T; 1997 ; « Quelle civilisation urbaine? » ; pp42-47 Bassand M. et Joye D. ; 1999 ; « L’usager, un acteur complexe »; p55-60 chapitre 1
3) Observation de quelques pratiques « non prévues »
ou la réprobation (ou un des niveaux intermédiaires !).
Comment illustrer alors cette diversité sociale ? Des appropriations non classiques de l’espaces publics peuvent s’entendre sous ce que certains appellent: la création d’un lieu. « Créer un lieu, c’est (...) observer et accepter l’ordinaire comme principale source poétique » .
Alors qu’il semblerait que le laisser-faire recule, quelques événements persistent.
La création d’un lieu Nous comprenons la créativité sociale qui détourne, contourne les invitations tacites qui lui sont faites par les formes connues de notre urbanisme. Il se crée un lieu, dans l’acception de J.N Entrikin, « là ou quelque chose se trouve ou/et se passe » . En disant ‘‘non classique’’, nous induisons qu’il faut comprendre ce qui est ‘‘normal’’ et ce qui ne l’est pas? Mais quels en sont les critères ? Est-ce à travers le prisme des valeurs sociales exprimées par les codes, les normes - voire, les lois - ? Parce qu’il est difficile de comprendre l’expression complexe des urbains sur leurs espaces, parce qu’il existe un nombre incommensurable de formes d’appropriation des espaces publics, la ville exprime toute sa poétique. Par exemple, même si elles ressemblent à ce qui s’appellerait communément des fêtes, ou des réjouissances collectives, certaines sont souvent encadrées, normées, et sont soumises à quelconques contrôles, directs ou indirects. Les autorités acceptent (voire financent) ces exceptions, et certains lieux urbains publics, dans leur conception, permettent d’intégrer ces événements. D’autres fois, l’espace est la scène pour quelques pratiques insoumises, et donc incontrôlables. En détenant certains leviers autoritaires et en tant que représentant de l’ordre, les pouvoirs politiques ont à choisir entre le non interventionnisme [ ]Von Meiss Pierre .; De la forme au lieu ; [ ] Entrikin JN ; « Lieu » ; in Lussault M. et Lévy J. ; 2003 ; op. cit. ; p 233 Des espaces publics en péril ?
Les flashmobs Ainsi les flashmobs, ou foules-éclair, sont des rassemblements planifiés d’individus, pour des actions souvent - et ce sont eux qui les qualifient de la sorte - , vides de sens, à part celui de casser temporairement l’ordre des choses. Certains les qualifient d’ « art de masse éphémère, éloge de l’absurde, folie passagère »10. Une foule qui, simultanément, sort son parapluie en plein soleil, pendant quelques minutes, ou qui chante « Chauffeur, si t’es champion, appuie sur le champignon » entre deux arrêts de tramway démontre la fugacité des flashmobs, extraordinaires et bon enfant. Ils se déroulent autant sur l’espace public qu’en d’autres lieux accessibles au public. Le premier flashmob s’est déroulé à New York, en 2003. Moins tolérés (institutionnellement) là-bas qu’en France, où les lois restent muettes… parce que les flashmobs s’apparentent aux ‘‘manifestations’’, ou plutôt aux ‘‘réunions publiques’’, autorisées depuis les lois de 1881 et 1907 ; mais ne pouvant se définir ni vraiment comme manifestations (aucune volonté collective compréhensible ne semble s’exprimer), ni comme attroupements susceptibles de troubler l’ordre public, la loi française ne paraît pas contenir à ce jour de quoi cadrer les flashmobs. En somme, la visibilité sociale ne peut être résumée en quelques paragraphes. L’espace public est la scène de toutes sortes de pratiques, plus ou moins encadrées. [10] Amél ; 2005 ; « Flashmob », in La bête, agenda-pocket de Loire Atlantique, février 2005, n°23; p 26. Pour approfondir, voir les sites indiqués en référence à la fin de cette étude. 28
B/ Cadres de vie et idéologies Au sein de la contradiction dont nous avons fait part et qui anime l’espace public, qui d’un côté est l’espace traditionnel de la rencontre entre les citadins, et d’autre part reflète des réalités plus difficilement maîtrisables, des nouvelles réflexions sur la ville ont vu le jour. Nous allons nous arrêter maintenant sur deux « modèles » qui ont (parfois) servi de référence pour façonner les espaces publics, les cadres de vie. Nous avons choisi, pour enrichir notre propos, deux formations d’idées qui s’opposent, au sein d’un corpus bien plus large.
1) L’organisation spatiale induit-elle des comportements sociaux ? Une interrelation s’établirait entre l’ordre social et l’ordre spatial. Certains pensent que la réalisation d’espaces conformes aux usages (et aux valeurs) dominants orienterait positivement les comportements. Cette idée, parfois appelée spatialisme (en l’extrapolant de son premier sens), soutient que le contexte physique influence les pratiques (sociales et politiques). Les aménageurs voudraient éduquer les usages aux bonnes utilisations des espaces, ce qui repose sur une vision manichéenne (subjective) dirigée par la culture dominante. « Cette évidence dissimule de fait les rapports de domination qui s’instituent au travers de l’imposition des comportements licites dans les espaces »11. En recherchant l’ordre social par l’ordre spatial, « le spatialisme postule un rapport causal direct entre formes spatiales et pratiques sociales, ce qui permet de transmuer des problèmes propres à un certain type de société en problèmes dus à un certain type d’espace, comme si le “cadre de vie” produisait et, donc, expliquait en grande partie les manières (bonnes ou mauvaises) de vivre »12. Pourtant, les activités sociales contribuent aussi à modifier les lieux. Alors, ces préconisations (impératives) n’intègrent pas (vraiment) la manière d’être des actants sociaux, mais désirent les contrôler, non pas de façon autoritaire, mais plutôt indirectement13.
[11] Barthez JC ; 2001 ; « Divisions sociales et divisions spatiales », Toussaint JY et Zimmermann M.; 2001; pp101-114, p102 [12] Garnier JP, Urbaniser pour dépolitiser. La rhétorique du spatialisme [13] Cette idée plus largement sera illustrée, par des cas concrets, dans le chapitre 2. 29
chapitre 1
2) La théorie de lnternationale Situationiste pour un Urbanisme Unitaire Les effets du milieu géographique sur les comportements ont été étudiés (puis critiqués et déjoués) par les situationnistes. Bien avant les originaux flashmobs, des penseurs développaient l’idée de la ville comme espace à investir selon certains principes. Ce courant devient « idéologique » et se développe au milieu du XXème siècle (précisément, de 1957, lors d’une conférence en Italie, jusqu’à leur auto-dissolution en 1972). Cette pensée complexe, encourageant l’idée d’un ‘‘Urbanisme Unitaire’’, est baptisée l’Internationale Situationniste (l’I.S). Construite autour des personnalités de Debord, de Jorn, de Constant et d’autres contestataires, elle refuse l’appellation ‘‘situationnisme’’, qui la rangerait au niveau de doctrine. Même si l’I.S réfute le monde de l’art, inscrit dans la société spectaculaire marchande, elle s’inspire d’un art proche du dadaïsme et du surréalisme. Disons que les Situationnistes désirent une société urbaine désaliénée, qui favoriserait la construction de situations nouvelles dans la vie quotidienne, basée sur le jeu. Et l’urbanisme en est un des outils principaux. « L’urbanisme et l’environnement quotidien sont des cadres primordiaux à travailler pour bouleverser la «pauvreté» de la vie aliénée »14. La dérive situationniste L’I.S., qui regroupe à sa création l’Internationale lettriste (quelques intellectuels parisiens, dont Guy Debord), le MIBI (Mouvement International pour un Bauhaus Imaginiste) ainsi que le comité de psychogéographie de Londres, se veut esthétique et subversive. L’urbanisme qu’ils encouragent, ou ‘‘Urbanisme Unitaire‘‘, a donc un de ses points d’accroche dans ce qu’ils appelèrent la dérive, c’est à dire la ballade spontanée dans la ville où l’itinéraire se [14] Genty T. ; 1998,; p 26 Des espaces publics en péril ?
décide au hasard des plaisirs, qu’inspirent notamment les rues et l’architecture. La dérive situationniste, « mode de comportement expérimental lié aux conditions de la société urbaine »15, est un acte de prise de possession de la ville en la détournant de ses fonctions et usages imposés par l’urbanisme. En 1956, Debord développe cette idée dans son ouvrage Théorie de la dérive. Cette praxis révolutionnaire se conceptualise par la psychogéographie, ou « étude des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur le comportement affectif des individus »16. Critiques du fonctionnalisme L’importance de ces idées pour notre étude demeure dans la réflexion critique – si ce n’est radicale - que les Situationnistes ont eu à l’égard du fonctionnalisme. Par leurs actions en faveur d’un urbanisme nouveau, et en développant les principes révolutionnaires de détournements, de dérives, ils s’élevaient contre les valeurs spirituelles et matérielles distribuées par la société de consommation. Dans une rêverie subjective d’appropriation du monde, ils ont encouragé les inscriptions spatiales de moments, en déroulant sur l’espace public des situations originales et variées manifestant le ‘‘besoin’’ d’aménagements non rigides, qui permettent de laisser possible l’invention et la découverte.
[15] Internationale Situationniste #6, Paris, Août 1961 ; p 13, [16] Genty T., 1998, ibid. 30
Ces deux approches divergentes concernent les codes d’appropriation des espaces publics. Ces ‘‘codes’’ s’intègrent dans un système plus complexe démontrant encore les interactions qui persistent entre espaces, concepteurs et acteurs sociaux. Avec ces idées qui sont quelque-part extrêmes, et au sein d’une diversité d’enjeu et de tensions dans leur gestion, les espaces publics doivent être appréhendés de manière à concilier les différents partenaires de la ville. Les regards se tournent aujourd’hui sur le développement durable de la ville, qui, s’il n’est parfois qu’un « discours - pommade », il peut être aussi le fil conducteur pour une négociation pacifiée de la ville.
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chapitre 1
C / la « ville durable » est-elle le nouveau mythe ? (Note : appréhender la notion ‘’d’urbanisme durable’’ engagerait une autre étude, ce qui ne nous empêche pas d’avancer ici quelques éléments.)
Parce que les espaces publics sont une des ressources les plus rares dans les parties les plus convoitées des territoires où se concentre la civilisation, leur élaboration ne doit pas être négligée. Par ailleurs, la qualité des espaces publics, en particulier quand ils sont favorables aux piétons, est un levier contre la pollution des villes et les dégradations environnementales liées aux voitures. La préoccupation de la santé se situe au sens de l’OMS 17, encourageant « un état de complet bien‑être physique, mental et social, [la santé] ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Une organisation prudente des espaces publics, ou de ses éléments, concourra à ne pas compromettre le bien‑être des générations à venir. En ce sens, un des dispositifs se traduira par une réflexion aboutie sur les espaces publics afin notamment d’y permettre le déroulement des activités humaines, présentes et futures.
1) Intuitions urbanistiques Les étapes qui construisent tout projet d’aménagement traduisent la connaissance des définitions actuelles des sociétés et la réunion des éléments d’anticipation disponibles. Avec intuition, les espaces publics correspondront aux pratiques sociales connues et prévues. Par ailleurs, les usages observables à un certain moment sur un espace, même s’ils sont intrinsèquement voués à se modifier, ne sont que difficilement prévisibles quand le lieu est lui même modifié, par une intervention urbanistique. Les opérations d’aménagement sont donc chargées de prendre en compte les usages (et donc les individus susceptibles de fréquenter l’espace donné), mais aussi de comprendre que ceux-ci évolueront, que l’opération ait lieu ou non. Osons un exemple, qui, même s’il ne concerne pas directement l’aménagement, illustre cette idée. Dans l’univers des chaînes de télévision, tout bon directeur de programme se base sur l’audimat et les enquêtes d’opinion. Or celles-ci ont révélé que les personnes interrogées réclamaient plus de documentaires, ce qui n’était pas visible directement au regard des statistiques de l’audimat (ces émissions étaient peu regardées). Pour satisfaire la demande, des créneaux horaires ont été libérés. Au bout de quelques temps, les résultats ont montré que les documentaires restaient boudés. Bien que cet exemple soit éloigné du sujet, et qu’il relève d’autres enjeux, il démontre comment il est difficile de satisfaire une demande. En effet, d’une part, en ne se fiant qu’aux usages intelligibles (l’audimat a priori), les programmes n’auraient pas changé dans ce sens. En écoutant l’opinion publique, les documentaires ont été impulsés, mais la pratique télévisuelle des intéressés ne correspondra pas à ce qu’eux-mêmes avaient réclamés. La qualité des nouveaux
[17] OMS : Organisation Mondiale de la Santé. Cette définition n’a pas été modifiée depuis 1946. Des espaces publics en péril ?
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programmes peut l’expliquer, mais pas seulement. Les projets d’aménagement traduisent en quelques sortes les mêmes difficultés. Parce qu’isolées, les données sensibles (observables), sont subjectives, et créent de fausses évidences. De plus, les responsables de la planification urbaine doivent expliquer aux citoyens impliqués que leurs attentes (individuelles ou collectives) ne correspondent pas forcement au bien-être de la société, dans une perspective immédiate ou lointaine. A Rennes, avec l’arrivée de la première ligne de métro, la place Sainte‑Anne a été réaménagée, l’espace qui était utilisé en parking est devenu une place libre, à vocation piétonne. D’une observation préliminaire des usages, tournés sur l’automobile, à l’organisation de l’espace pour une appropriation qui se veut adoucie, les décideurs ont dû anticiper ce qu’ils ne connaissaient pas exactement.
2) Développement de la phase de concertation Un des outils de l’urbanisme durable se situe autour de la phase pré-opérationnel, par le développement de la concertation. Le rôle d’une concertation préalable à une opération d’urbanisme est de donner du sens à la pratiques des usagers et de la reconnaissance aux compétences des citoyens. En les impliquant dans le projet, en favorisant le dialogue et la concertation, les usagers deviennent acteurs à part entière. Comme nous l’avons vu, l’exercice du pouvoir politique contient une forte dimension spatiale et les aménagements urbains renvoient idéalement aux valeurs des habitants, instaurées collectivement. La démocratie participative, telle que nous avons pu la voir (re)naître à Porto Alegre (Brésil) considère par exemple l’aménagement des villes comme un levier majeur de la réalisation d’une décision commune. Cette vie démocratique, représentative, 33
locale, appuyée par la logique de décentralisation (lois de 1982 qui ont transféré certaines compétences centrales à l’échelle locale) implique une responsabilité repartagée avec les habitants. Ceux-ci peuvent se regrouper en associations, en comités de quartiers, qui deviendront les nouveaux partenaires-relais. Bien sûr, cette démonstration démocratique est en balbutiement, son d’apprentissage ne se fait pas sans difficultés. L’élaboration du travail nécessite par exemple une recherche sur la communicabilité (adaptation du langage entre divers partis). La mobilisation des acteurs n’est pas toujours acquise. Certains élus ou médiateurs doivent trouver les moyens de solliciter des acteurs individuels (indifférents et/ou incompris). La concertation consiste encore en un défi, la représentativité équitable reste encore un objectif non atteint.
3) Espaces publics flexibles Beaucoup penchent aujourd’hui pour l’idée que, au regards des changements rapides des sociétés, les espaces publics nécessitent d’être assez flexibles, dans ce sens ils autorisent la correspondance dans le temps des diverses formes d’usages. Parce que, comme l’écrivait F. Choay en 1965, « personne ne sait quelle sera la ville de demain », les espaces indéterminés, incertains, qui autorisent les détournements (ou les contournements) autant que les évolutions des pratiques sociétales pourraient plus facilement être des espaces durables.
chapitre 1
Conclusion chapitre 1 La terminologie française d’espace public contient finalement une richesse non mesurable. L’espace public correspond à un lieu, palpable ou non, qui (et que) supporte une société. Au sein de celleci, des modes de vie, des idées, des intérêts se mettent en relation, jusqu’à se confronter. Et l’espace public semble être la meilleure arène qui soit… jusqu’à preuve du contraire ! Pour l’instant, cette idée est imprégnée de l’exemplarité grecque, mais se dissipe dans une réalité plus complexe. Le mythe perd aussi de sa portée quand certains écrivent ce que beaucoup pensent : « les gestionnaires, chercheurs et concepteurs, programmateurs et techniciens, nous immergent-ils en vain dans la tiède profusion sémantique de l’espace public pour communiquer la ville en progrès d’une urbanité mythique extensive… Paradoxalement venue de l’agora, du forum, vision de la société qui croyait contenir ses masses en les rassemblant (Elias Canetti), alors que le pouvoir, depuis, les manipule en les dispersant: tels sont les deux pôles du tout lieu collectif de la démocratie en plein air que tente de fondre l’ «espace public» »18. La proximité entre le fait social et le politique participe à la réalisation des espaces qualifiés de public. En intégrant le niveau symbolique (au sens d’idéologique) que porte la notion, nous avons posé les bases d’une recherche exploratoire sur une des dimensions visibles des espaces publics. En d’autres termes, cette première partie va servir de socle pour comprendre une forme d’inscription spatiale de phénomènes sociaux, à travers l’habillage des espaces publics, au point de considérer l’objet urbain qu’est le banc public comme l’un des reflets intelligibles des dispositions politiques et sociales actuelles.
[18] Guibert D. ; 1997 ; « L’entropie des urbanités », in Urbanisme n° 296 ; p 50 Des espaces publics en péril ?
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CHAPITRE 2
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chapitre 2
Le paradoxe du banc public IL’observation de quelques pratiques visibles A/ Les milles vertus du banc B/ Un espace public modulable C/ Le banc approprié : un espace privatisé ?
II Les réponses sensibles à l’échelle du mobilier urbain : ce que les bancs nous apprennent A/ Inconfort, individualisation et disparition des bancs B/ Ré-installer des bancs pour re-créer des liens sociaux
Le paradoxe du banc public
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« L’espace, la ville sont le jouet du politicien, puis de l’urbaniste et de l’architecte, mais en aucun cas de l’usager. On dispose des bancs et le public doit se charger de les essayer. Le citoyen n’est qu’un utilisateur d’espace prévu à son insu » Pour mieux saisir les tendances observables dans nos sociétés contemporaines en matière de gestion de nos espaces publics, arrêtons nous un instant sur un objet qui participe pleinement à la vie urbaine. Aussi familier soit-il, on l’oublie, jusqu’à peut-être ne plus remarquer qu’il apparaît, évolue, se transforme, ou disparaît. Il reste néanmoins tributaire du bon-vouloir de quelques décideurs, qui reprennent, dans l’idéal, les idéologies sociétales, complexes et contradictoires. Les bancs des espaces publics entretiennent donc avec la ville une relation qui nous semble privilégiée, ils sont un des supports de l’urbanité et de la civilité, de la matérialité des relations sociales, de la sphère publique sur l’espace public. Les bancs dissuadent ou accueillent, de façon paradoxale, reflètent à leur échelle « d’objet » une réalité sociale plus globale. Mais les citoyens ne sont-ils vraiment que les utilisateurs « d’espace prévu à [leur] insu » ?
[ ] Schnebelin B., cité par Boulanger A., 2001-2002 Les arts de la rue, demain. Enjeux et perspectives d’un nouvel art de ville, p36 37
Bancs des villes ou bancs des champs ? Les bancs qui font l’objet de cette recherche seront ceux qui sont installés sur l’espace public tel que nous l’avons établi infra. Ainsi, nous n’évoquerons pas les bancs d’écoles, ni les bancs des accusés, ni même les bancs d’essais, et encore moins les bancs de touche, ni les bancs qui agrémentent les allées des zones commerciales, ni enfin ceux des parcs et des squares. Seuls les bancs des espaces publics des villes seront observés. Etymologiquement, l’origine du terme est germanique. « BANC : n.m.(empr. du germ.; anc. haut allem. banch). Antoine Furetière, dans son « Essai d’un dictionnaire universel » paru en 1690, définit le banc comme un « Siège de bois où plusieurs personnes peuvent s’asseoir de rang ». Vient de l’italien banco, ou du latin bancus, d’où est venu banquette. Certains le dérivent de l’allemand panck, ou de abacus ; d’autres du saxon benc. Actuellement, on s’accorde sur l’antériorité de bank, d’origine germanique, avant bancus du latin populaire » . On pourrait presque dire que les bancs publics apparaissent avec la ville. A l’époque classique, on les appelaient exèdres. Au Moyenâge, ils étaient intégrés aux bâtiments. Ils agrémentaient ensuite les parcs et les jardins, les longs des canaux, ainsi que les promenades publiques. Plus tard, le Baron Haussmann et son architecte Davioud ponctuèrent les rues parisiennes de divers mobiliers (kiosques, candélabres, bancs, vespasiennes…), fabriqués industriellement, au design encore caractéristique. « G.Davioud créer les bancs droits pour les rue et avenues et les bancs gondolés adaptés pour les parcs parisiens » . Les bancs étaient disposés dans l’alignement [ ] Séminaire Robert Auzelle ; vocabulaire illustré. Banc public. www.arturbain. fr Page consultée en avril 2005 [ ] Séminaire Robert Auzelle ; ibid. chapitre 2
des arbres, en bordure de trottoirs. Aujourd’hui, l’entreprise Decaux, née en 1964, avec la création des abribus support de publicité, détient plus de 80% du marché du le mobilier urbain. En effet, les bancs publics appartiennent à ce qui est communément appelé « mobilier urbain ». Même si ce terme est parfois attribué à Jean-Claude Decaux lui même, il semblerait qu’il soit réellement apparu vers les années 60, ayant pour définition: « ensemble des objets ou dispositifs publics ou privés installés dans l’espace public et liés à une fonction ou à un service offerts à la collectivité » . Cependant, le « mobilier urbain » a toujours existé. Alors que certains critiquent le terme utilisé pour des objets immobiles, Pierre Merlin et Françoise Choay notent dans leur dictionnaire que « l’expression [est] utilisée par analogie pour désigner les objets légers et déplaçables, mais non mobiles qui, dans les agglomérations, complètent l’ensemble des immeubles et de la voirie pour la commodité et le confort extérieur des habitants ». D’autres préféreront le terme moins restrictif de « composants urbains » . Mais les bancs sont publics parce qu’ils sont destinés à un usage public et appartiennent aux villes. Pour comprendre le rôle que jouent les bancs dans l’espace public, nous dégagerons donc, tout d’abord, le rapport que la société entretient avec les bancs publics, la façon dont elle se les approprie, dans quelles mesures et pourquoi (I). Nous nous interrogerons ensuite sur le paradoxe qui s’exprime à travers la gestion de ces objets, de quelle manière ils exposent les tensions qui incarnent la société (II).
[ ] Mobilier urbain, Le moniteur, p20 [ ] de Sablet, 1988, p161 Le paradoxe du banc public
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IL’observation de quelques pratiques visibles
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chapitre 2
A/ Les milles vertus du banc Arpenter les rues et les places des villes, c’est déjà entreprendre cette première étape de notre recherche : l’observation des pratiques liées à la présence et à l’absence du banc. Les réponses paraissent évidentes : on s’assoit pour se reposer, pour attendre quelqu’un, etc. Alors qu’il en est quelque chose de beaucoup plus complexe, dirigé par des motivations personnelles. S’asseoir parce que l’on en a envie. Des auteurs (rares) se sont posés avant moi cette première question. Citons la sociologue Michèle Jolé, qui, en 2002 , dresse un premier inventaire des pratiques, complétant une étude sérieuse du CERTU, et accompagné par l’ouvrage du photographe Ernest Boursier-Mouguenot . Ainsi, de prime abord, l’individu, seul ou en groupe, s’assoit... pour faire une pause, pour le plaisir, pour faire quelque chose (lire, manger...). Pour le CERTU, s’arrêter fait partie, de certains besoins élémentaires. On peut lire:
pour « jouir » de la ville : comme « les authentiques rêveurs de métropoles » de Pierre Sansot ou de Catherine Groult: « des bancs sont installés le long de la place, exactement à sa bordure. De là, je peux regarder ceux qui sont sur la place ou, tout bonnement, prendre le soleil » ; … il y a des bancs pour s’aimer, « les gens qui voient de travers / pensent que les bancs verts / qu’on voit sur les trottoirs / sont fait pour les impotents ou les ventripotents, / mais c’est une absurdité car à la vérité ils sont là c’est notoire, / pour accueillir quelques temps les amours débutants » . Et ceux pour rêver... ce qui, comme la poétique de la ville, révèle la poétique du banc, parce que « le banc public, malgré sa massivité, allège nos existences » . Puis toutes les autres « pratiques » restent inclassables, voire insoupçonnées…
« S’arrêter : - S’asseoir : l’envie, le besoin de s’asseoir sont certainement parmi les plus naturels qui soient - Stationner momentanément, pour mieux regarder quelque chose, ou quelqu’un; - S’arrêter pour un certain temps, dans un but précis : se reposer, se détendre, se délasser, faire la sieste, dormir; - Se rafraîchir, boire (...); - Prendre le soleil... ou s’en protéger; - S’abriter (...); Manger, pique-niquer; - Lire, écrire, dessiner, peindre; - Converser, bavarder, causer, parler, s’entretenir, deviser, discuter... » . Toutes ces actions paraissent évidentes, parce que le banc est un point d’accueil qui invite. A nous de rajouter... que l’on s’assoit [1] Jolé M. ; 2002 ; «Les assis», in la revue Urbanisme n°325 et Jolé M.; 2003 ; « Quand la ville invite à s’asseoir. Le banc public et la tentation de la dépose », in Annales de la recherche urbaine n°94 [ ] Boursier-Mouguenot E. ; 2002 ; L’amour du banc [ ] CERTU ; 2002 ; Jeu et détente. Prise en compte dans l’aménagement de l’espace public ; p22 Le paradoxe du banc public
[ ] Grout C. ; 1998; Le lieu du défi, op. cit; p18 [ ] Brassens G., Les amoureux des bancs publics. [ ] Sansot P. ; 1971/1997 Poétique de la ville, p24 40
Outre l’inventaire, bien sûr non exhaustif, de quelques pratiques habituelles liées aux bancs publics, il faut prendre en compte d’autres déclinaisons variables. Ainsi on dépassera la méthode fonctionnaliste qui repérait (ou dictait) des usages pour strictement y répondre. En avançant dans le thème de l’imprévisible, du surprenant, on découvre une autre parole de la société. Observer la façon de s’asseoir sur les bancs, ou comment s’arrêter quand il n’y a pas de bancs, etc... en sont quelques aspects.
Quel serait l’intérêt de dresser une liste des pratiques, sinon de dire qu’elle restera toujours incomplète, parce que le banc est sujet à de nombreuses utilisations non conventionnelles, voire parfois intolérées. Il participe de ce fait à la diversité urbaine, à la création de la ville multiple. Il supporte les valeurs accordées aux espaces publics, s’il ne les symbolise pas. Les décideurs ont parfois la prétention de diriger les activités de leurs administrés à travers quelques aménagements. Pourtant, même si l’espace public tel qu’il est perçu aujourd’hui s’éloigne du mythe qui le fonde, les membres de la société exhibent autrement leur autonomie et leur inventivité, en effet, « dans un espace qui n’a pas encore été rigidifié à l’extrême, nous dit Sansot, les humbles trouvent (...) le moyen de remodeler un pan de leur territoire » .
[7] Sansot P., ibid. , p31 41
chapitre 2
B/ Un espace public modulable Tout d’abord, le siège peut créer des postures. De plus en plus facilement, parce que toléré par les normes sociales, on peut s’asseoir sur le dossier (comme un appui de fenêtre), s’agenouiller sur l’assise, s’y mettre debout pour haranguer un groupe ou voir une manifestation, étaler sa marchandise… Dans ce cadre, l’originalité est acceptée dans un certain consensus. Par contre, il devient difficile, disons impossible, de s’y allonger. « Les accoudoirs servent de point d’appui pour se relever et dissuadent les vagabonds de s’y installer pour dormir » . Les rassemblements de certains groupes « socialement en marge ». sont refusés par une grande partie de la population, et donnent aux concepteurs et programmateurs les limites entre l’accepté et l’inaccepté. Les bancs doivent alors répondre à de nombreuses contraintes, leur design doit être « anti-feu, anti-vandalisme, antitag, anti-clochards, etc… » .
Quand les bancs sont absents… le mobilier urbain détourné. La halte dans la ville a été vue jusqu’ici que presque uniquement dans sa position « assise sur un banc ». Or, elle doit être entrevue dans sa multitude. On s’arrête, debout, on s’appuie, on s’assoit par terre, etc... Il est assez courant de voir les personnes s’autoriser une halte sur des objets urbains non prévus à cet effet, mais se sentant souvent invitées, autorisées ou tolérées. Ainsi un potelet, une fontaine, une armoire électrique, une borne d’incendie deviennent provisoirement des sièges. Parfois marquant l’absence significative de banc, parfois dans une démarche ‘‘engagée’’, ou enfin simplement pour être mieux (au soleil, en surplomb, etc). Ces attitudes, spontanées, assouplissent d’une certaine manière l’espace public. Mais il serait hasardeux de parler ici de transgression, même si les codes de conduites sociaux se sont, selon l’expression de Pierre Sansot, ‘‘rigidifiés’’.
Pourtant, un artiste japonais, Tadashi Kawamata, travaillant sur la ville (Manhattan, 1992), a observé et conçu des petits abris mis en place pour des S.D.F. Certains prennent appui sur des bancs. « Il y a un terre plein central et de nombreux bancs publics qui s’étendent tout au long de la rue. Il y a toujours des gens plus ou moins désœuvrés qui stationnent par là. Ils mettent leurs cartons sur des bancs pour y dormir. (...) Nous réalisons un (...) abri sur le banc d’à-côté, (...) l’abri est chaud et confortable. Toutefois la largeur du banc ne me permet pas de bouger, de me tourner sur le côté »10. [ ] OCDE ; 2000; Améliorer les transports pour les personnes à mobilité réduite, guide des bonnes pratiques, p42 [ ] Jolé M. ; 2003 ; op. cit. p108 [10] Kawamata T., 1996; “Fieldworks” in Manhattan, in Cahier et espace urbain n°5, p34 Le paradoxe du banc public
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S’asseoir par terre, ou sur des marches exprime encore un autre usage de la ville. Cela apporte nouvelle vision de la ville, « lorsqu’on s’affranchit un peu du sol, on se met à jouer sur la pente, on s’étage. Cela commence par les escaliers, surtout ceux des bâtiments publics. On s’y place plus ou moins haut, on se pose ou on domine, on s’établit en suivant une géographie spontanée qui tire partie des degrés offerts »11. Mais tout le monde ne s’y autorise pas, parce que pour beaucoup, s’asseoir par terre est un acte qu’il considère comme humiliant. De même que techniquement, ce n’est pas toujours possible. Les flaques d’eau, les salissures, ou simplement l’aspect « hors-norme » de ces postures limitent leur expansion. Souvent, les marches appartiennent au domaine privé, et il arrive alors que quelques ‘‘propriétaires’’ mettent en place des repoussoirs, grilles ou pics, procédés qui ressemblent à ceux utilisés contre les pigeons!
[11] Blanc J.N. ; 2004; La fabrique du lieu. Installations urbaines, p165 43
S’appuyer. Position semi-debout semi-assise, l’appui se décline sous diverses formes. Le lieu choisi correspond parfois à la limite physique entre les espaces privés et publics, « on s’adosse à un mur, on s’assoit dans un coin; on s’accoude; on se place sur des limites en sachant qu’il s’agit de limites; on reste sur le seuil; on s’enfonce; on demeure. On bricole en quelques sortes avec les données pour aménager un endroit vivable: on fabrique un lieu »12. D’autre fois, tout objet qu’offre l’espace devient support. « Il suffit d’observer comment se placent spontanément les hommes dans un espace où ils cherchent un appui. Le plus simple est de se greffer sur un point fixe: une pierre, un arbre, un bac de fleurs, le pied d’un poteau »13. Se tenir ainsi c’est se ressourcer, en se mettant à l’écart, c’est s’affranchir de la vulnérabilité de l’assise, l’accroche au lieu est plus éphémère. « Se caler le long du mur, et l’utiliser comme dossier, voilà donc une figure qu’on retrouve presque partout. Une façade, un muret, une grille, une rambarde, tout est bon, l’essentiel est de se caler »14. Cette pratique semblerait avoir été la source d’inspiration pour la création d’une nouvelle ligne de bancs: les bancs ischiatiques15. C’est le dernier design à la mode en matière de banc : une barre horizontale à 70 centimètres environ du sol, qui crée une nouvelle position : l’assis-debout, ou assis semi-debout. Le siège ischiatique est défendu par certains car il permet de « s’appuyer ou s’asseoir à moitié pendant un bref instant. Il exige un minimum d’entretien, prend très peu de place et convient à certaines personnes souffrant d’arthrite, de raideur des articulations ou de problèmes de dos, qui éprouvent des difficultés à se relever d’un siège bas »16. D’autres y voient l’adaptation [12] Blanc J.N ; ibid ; p150 [13] Blanc J.N ; ibid ; p138 [14] Blanc J.N ; ibid ; p 163 [15] Terme d’anatomie, signifiant sa relation avec le bassin, et l’os iliaque, le coccyx. [16] OCDE ; 2000; op. cit., p41 chapitre 2
C/ Le banc approprié, un espace privilégié aux nouvelles pratiques urbaines, plus jeunes et plus tendances, d’autres, encore, les comprendront comme une nouvelle forme de refus de la sédentarité sur les espaces publics. Le plus souvent, ils répondent à des besoins de temps d’arrêt brefs. On en retrouve beaucoup dans les files d’attentes (guichets à la gare…) mais aussi dans le métro.
Apporter sa chaise. En écho à la pratique des ‘‘anciens’’ qui donna naissance en quelque sorte à la mise en place des bancs publics immobilisés, on retrouve encore cet usage de façon occasionnelle. Les artistes, musiciens ou acteurs de rue ne s’en privent pas. Par ailleurs, il est possible de voir des ‘‘salons’’ se mettre en place autour d’un banc, avec des individus ayant apportés leur pliants par exemple. « Alors il s’arrêta et lui désigna un recoin improvisé abritant une table et deux chaises entre des cageots empilés. Une grande pancarte placée en travers coiffait le tout et créait une zone d’ombre d’aspect rafraîchissant. A la moindre idée d’entrée et de s’asseoir, ce lieu devenait carrément irrésistible »17. Avant la multiplication des bancs dans la ville, on pouvait louer des chaises aux ‘‘chaisières’’. [17] Bowles Paul, la boucle du Niger, cité par Blanc J.N, op. cit., p64 Le paradoxe du banc public
Que ce soit sur un banc ou autrement, le fait de s’attarder ostensiblement sur un espace peut s’interpréter comme une manière de se l’approprier, d’en faire sien, momentanément, il se crée un ‘‘chez-soi’’. Cette appropriation est éphémère, de même que le banc n’appartient à personne, et ne peut être volé. L’appropriation n’est pas privatisation, mais est régie par des codes. On assiste peutêtre simplement à une forme de publicisation de l’espace privé. « Le locataire d’un banc public estime, dans certaines conditions, en être le copropriétaire. Il existe parfois un droit de préemption. Ce banc là semble disposé à vous accueillir. Vous vous approchez de lui. Il vous est signifié que ‘la place est déjà prise’»18. Alors, le banc se partage, non sans quelques règles. La façon de s’installer sur le banc met en scène une orientation significative quant aux attentes d’interaction. La cohabitation est subie ou désirée. Que l’échange ait lieu ou non, il reste possible. La présence des bancs sur l’espace public répond à un grand nombre de demandes ordinaires des passants. De plus, nous avons démontré en quelques paragraphes, en quoi les objets urbains se dérobaient aux pratiques qui leur étaient destinées. Que se soit par besoin ou par plaisir, chaque passant à sa manière de s’arrêter et de s’asseoir.
[18] Sansot, 1971, op. cit. p30 44
II Les réponses sensibles à l’échelle du mobilier urbain : ce que les bancs nous apprennent Sans vouloir tomber dans les écueils du formalisme, l’étude de l’évolution des bancs, dans leur forme, leur matière, leur localisation, nous paraît un bon indicateur des tendances politiques et sociales des villes. L’ergonomie des bancs, quand il désigne « des normes de rapports du corps au mobilier urbain », se détermine aujourd’hui selon des impératifs moraux et politisés. L’urbanisme planificateur, stratégique, réfléchit de plus en plus à une sorte d’ergonomie sélective. Avec des principes qui conduisent à l’individualisation ou la dépose des bancs et ceux qui réclament des lieux accueillants, la politique du banc public symbolise ces contradictions. Reprenons le schéma de l’introduction, dans une lecture inversée (de la droite vers la gauche), pour analyser les logiques qui interviennent pour individualiser, enlever, ou installer les bancs des espaces publics.
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chapitre 2
A/ Inconfort, individualisation et disparition des bancs « Les bancs et les sièges s’individualisent, leur largeur est réduite et leur assise inclinée, leur surface devient glissante. Peu importe que ces nouveaux bancs ne soient plus confortables pour les personnes petites, âgées » . Le premier constat que tout le monde va pouvoir faire est que le terme bancs publics devient un abus de langage, parce que ceux-ci se transforment jours après jours en sièges. Les bancs permettaient à plusieurs de s’asseoir en rang. Maintenant, soit les bancs sont cloisonnés (par les accoudoirs), soit ils évoluent en objets ne permettant plus qu’à une seule personne de s’asseoir. Parallèlement, ces mêmes « objets de confort » se convertissent en objets incommodes. L’exemple des sièges ischiatiques en est une illustration. L’inconfort et la partition des bancs relèvent de l’aboutissement d’une réflexion globale sur le rôle même que joue ce mobilier urbain, au sein d’une société en mutation. 1) Les bancs deviennent inconfortables... Tout d’abord, les bancs la mutation des bancs vers une forme inconfortable permet de contrôler la durée du séjour de son/ses utilisateurs. L’assise provisoire reste complètement acceptée, elle fait partie de la dynamique de la mobilité, et emprunte l’idée aux lieux de fast-food, où il ne faut pas rester trop longtemps. Ensuite, l’inconfort, en n’encourageant pas à la station prolongée, démontre la tendance à la « dévalorisation » de la passivité au profit de l’activité. De plus, dans une dimension sociale que l’on qualifiera de productiviste, l’enjeu de mobilité est, comme nous l’avons vu, indissociable aux gains de temps, d’argent. Pourtant, pour les utilisateurs des transports en commun particulièrement, les moments de mobilité nécessitent des moments d’attente. [ ] Paté G.; Hiver 1995-1996 ; op. cit. Le paradoxe du banc public
Certains s’assoient. « L’attente, séquence fréquente dans l’emploi du temps d’un citadin, peut se faire assis » . Les abribus répondent à cette arrêt, plus ou moins long, qui est toutefois considéré comme provisoire. Comprise comme un passage, cette attente ne correspond pas à « l’installation » sur les espaces collectifs, qui devient suspecte. Celle-ci est une activité en soi, c’est s’inscrire dans un lieu pour le lieu. Alors que la première va de soi pour le jugement collectif, la seconde attitude franchit difficilement la barrière du ‘‘politiquement correct ’’, parce que certains perçoivent ces moments prolongés comme une inactivité ostentatoire, ‘‘de ceux qui ne font rien quand d’autres travaillent’’, celle des ‘‘nonpassants’’. Les politiques urbaines, qui mettent toutes les stratégies en place pour éviter les stations de certains, veulent « assurer la sécurité mentale des passants qui consomment et qui votent, en éloignant de leur vue les ‘‘différents’’ » . Elles misent alors sur des sièges inconfortables, comme ont lancé l’idée les agences de transports inter-urbains. 2) ... ils s’individualisent ... Autant que l’inconfort des bancs, leur individualisation semble répondre aux mêmes exigences. Même si elle participe au processus de la société qui tend vers une atomisation de ses membres, l’explication la plus claire est celle de se donner les moyens de dissuader les individus (seuls ou en groupe) de s’attarder sur l’espace public et surtout de s’allonger dans un endroit soumis aux regards et convoité par d’autres personnes. Le premier moyen mis en place par les autorités locales, suivant l’exemple des gestionnaires des transports publics (RATP…), a été d’individualiser [ ] Jolé M. ;2002 ; op. cit. [ ] Bégard D. ; 2005 ; « Feus les bancs avant qu’ils ne brûlent », in Particule n°20, p36 46
les bancs. Baptisés siège Motte, et apparus sur les quais du métro Parisien, « ces coques individuelles orange (..) interdisaient de se coucher et seront parfois disposées dos à dos, comme s’il fallait surtout empêcher les gens de se parler... » . Les décideurs et les concepteurs ont inventé les « bancs égoïstes » , parce que le mobilier urbain peut devenir un « dispositif moral, destinés à contrecarrer les débordements des corps » , une manière péremptoire d’organiser la vie des gens. Pour éviter l’attente qui n’en est plus une, pour rendre impossible l’allongement et contre les utilisations transversales : l’accoudoir, et donc le design, sont devenus deux des outils les plus précieux .
[ ] Prolongeau H. ; 2004 ; Plus dure sera la ville, www.urback.org [ ] Jolé M. , 2003 ; op. cit. , p108 [ ] Jolé M. ibid. 47
Une explication peut s’élaborer autour du rapport qu’entretient l’opinion publique vis à vis de la présence des personnes socialement « en marge », communément appelées SDF. En deux mots, on peut dire qu’il s’agit d’un refus de visibilité, voire une hostilité marquée envers eux-mêmes ou ce qu’ils représentent. Le contrôle s’opère une fois par les bancs, un des lieux adopté par ces pauvres des villes, une autre fois (ou simultanément) par une politique répressive, qui depuis une quinzaine d’années, développe les arrêtés antimendicité, anti-bivouac… Ceci confirme une certaine idée de la logique sécuritaire actuelle. En effet, la demande sociale s’oriente vers une ville plus policée, contrôlée, et se traduit sur le terrain au niveau des bancs. Face à ce constat, quelques chercheurs s’indignent : « sur quoi se base-t-on, s’interroge Djeimila ZeneidiHenry, pour appréhender les contrevenants dans la rue ? Ce sont les postures, l’allure, les stigmates physiques des personnes à la rue qui servent de critères pour écarter ceux qui ne correspondent pas à l’hexis corporelle en vigueur. Les SDF sont interdits de cité, ils n’ont désormais plus le droit d’afficher leur pauvreté » . Et la direction prise par les autorités se confirme avec deux exemples, pris à Paris et à Rennes.
A Paris, les pouvoirs publics de la mairie du 1er arrondissement ont mis en place des mesures préventives contre les ‘‘marginaux’’, en partant d’un premier constat stigmatisant: « les personnes sans domicile fixe sont très présentes dans l’arrondissement (…). Nombre d’entre elles sont sédentarisées et parfois accompagnées de chiens dangereux. Il arrive que ces marginaux se regroupent en bandes agressives mais leurs comportements relèvent davantage d’actes d’incivilités que de réels actes de délinquance ». Ils proposent dans cette fiche-action de « développer la prise en [ ] Zeneidi Djemila ; 2002 ; Le corps des pauvres, in le Passant Ordinaire, n°42 chapitre 2
charge des personnes sans domicile fixe », outre les quelques réponses institutionnelles (structures d’accueil…), l’intervention sur le mobilier urbain est clairement explicite. La septième mesure (sur dix), parle d’elle-même : « Aménagement de mobilier urbain adapté permettant la réimplantation de bancs, tout en évitant le phénomène de stagnation de personnes en difficulté dites ‘‘Sans Domicile Fixe’’ » .
A Rennes, la pression policière à l’encontre des exclus est largement visible à quiconque se promène dans les quartiers du centre. Le quotidien Ouest-France a relayé, en mai 2005, la parole de JeanYves Gérard, adjoint (PS) à la sécurité à la ville de Rennes : « Il faut bien sûr être ému de la situation de ces jeunes mais ils dépassent souvent les bornes. (..) J’ai demandé à la police municipale de verbaliser les SDF au jardin de la République. Il n’est pas question de laisser ce type de dérive s’installer », et l’illustration de l’article [ ] Mairie de Paris, 1er arrondissement, Fiche-action n°7, Développer la prise en charge des personnes sans domicile fixe , http://www.mairie1.paris.fr/mairie1/ jsp/Portail.jsp?id_article=3032&id_rubrique=365 Le paradoxe du banc public
est commentée : « Jardin de la République, les policiers municipaux verbalisent les marginaux qui veulent s’installer sur les bancs pour consommer de l’alcool » .
3) ... et disparaissent En ‘‘dernier’’ recours, les autorités urbaines décident d’enlever certains bancs des espaces publics. La première motivation est celle, bien sûr, de continuer la croisade sécuritaire d’exclusion des indésirables, comme nous l’illustrerons plus bas avec l’exemple de la place Sainte-Anne à Rennes. Les espaces publics subissent la mise sous disciplinarité de la ville, et les décideurs, qui s’excusent parfois de répondre à l’intérêt général, finissent par nuire au bien de tous, la ville devient handicapante. Les personnes âgées surtout endurent ces transformations, qui accentuent leur dépendance. « Un trottoir trop haut, une voie dangereuse à traverser ou l’absence de bancs publics peuvent conduire les personnes en perte d’autonomie physique à limiter leur déplacement, voire à éviter de sortir »10. Ces bancs, lieu pour respirer ou reprendre des forces, sont le permis de sortir des gens âgés. Que les bancs disparaissent (ou n’apparaissent pas), l’espace est « de moins en moins fait pour les corps », pour reprendre le titre de l’article de Charbonneau en 2002.
[ ] Ouest France Rennes ; 17/05/2005 ; « Le bilan de la ville par JY Gérard ; « il ne faut pas tolérer les dérives »», [10] Dechan P. ; 2000 ; « Les territoires urbains du troisième âge », in Urbanisme n°311, p66 48
Ainsi, les bancs évoluent en fonction des valeurs dominantes. En 1971, Pierre Sansot se félicitaient que « grâce à la bienveillance de nos édiles, les bancs se multiplient à nouveau »11, aujourd’hui, nous pourrions dire l’inverse. Dans ce contexte, créer un mobilier convivival serait-il un acte de résistance, qui contredirait les stratégies actuelles ?
[11] Sansot P. ; 1971 ; op. cit. ; p32 49
chapitre 2
B/ Ré-installer des bancs pour re-créer les liens sociaux En même temps que les villes répercutent sur leurs espaces publics la fragmentation sociale, des voix s’élèvent (et ce sont parfois les mêmes), pour lutter contre la perte du sens qui définissait les espaces publics. Les gouvernements des villes, lors des nouveaux aménagements, peuvent prendre en compte ces demandes, et donner leur accord pour la mise en place de bancs. Ce geste peut être une contribution à l’amélioration d’une image politique (les aménagements sont la mise en scène la plus visible du pouvoir), ou à des retombées économiques (pour des aménagements en zone touristiques notamment). De plus, en permettant une appropriation par certains groupes, on peut escompter en éloigner d’autres. Mais n’oublions pas que les aménageurs ne se plient pas toujours à ces logiques, les bancs sont souvent installés sans toutes ces ‘arrières-pensées’ ! C’est vrai que certains designers répondent aux commandes publiques, et « participent à des opérations somme toute policières »12, pendant que d’autres poursuivent d’autres desseins. Ainsi, de façon apparemment contradictoire, quelques opérations visent à favoriser le retour du public dans quelques lieux (parfois même délaissés). Des expérimentations originales voient le jour, pour tenter de renouer les liens sociaux, restituer les espaces publics à ses habitants. L’espace public a vocation, par essence, d’être modulable en fonction des aspirations particulières des citoyens. Une question reste difficile à cerner : par quelles logiques ces innovations peuvent-elles s’instaurer comme politiques urbaines ?
[12] Delahaye Louis-David et Ruby Christian, Des objets pacificateurs, in Design et espace civique, W710-237, p81 Le paradoxe du banc public
Face aux nouvelles appropriations non formalisées, aux nouvelles formes de sociabilité, une réponse a vu le jour: ce sont les « petites formes urbaines » : comprises comme une action de proximité, des petits lieux simples, à l’échelle du quartier, de l’individu, peuvent supporter la civilité, voire l’urbanité. Quelques designers, concepteurs et/ou architectes, se sont lancés dans cette nouvelle prospective urbaine. Nous en avons choisi d’en retranscrire ici trois exemples. 1) Xuret system Le premier exemple devance les images classiques que nous avons des bancs. Les créateurs de cette banquette, baptisée Xuret System, désirent dépasser les préoccupations ergonomiques pour « mettre le corps en relation active avec le monde » 13. Cette œuvre, déjà installée à Barcelone, ressemble à un tronc d’arbre tortueux, où bosses et creux déterminent en quelques sortes les invitations.
[13] Architectes Abalos & Herreros, Xurret system lève le siège, in Architecture d’aujourd’hui, p102, photo : www.archinect.com 50
Ce banc est conçu pour ne « prédéterminer aucun comportement »et « il laisse libre la manière de s’asseoir et de regarder ». Pour réduire le nombre d’objet présent sur l’espace public, le tronçon intérieur est remplit d’un système luminaire. 2) Les cubes oranges A Saint-Etienne, un réaménagement a eu lieu sur un lieu exigu (le trottoir de la rue Lebon). Le choix ( audacieux ?) de la municipalité a été de disperser plusieurs cubes d’un orange ‘‘criard’’ et glacé. Permettant aux passants de s’asseoir, ils ont la particularité d’être assez translucides pour s’illuminer, eux aussi, la nuit venue 14. 3) L’Hole-de-la L’Hole-de-la a été montré dans le cadre de la quinzaine internationale du design de jardin, en juin 2003. « C’est une grande surface d’assise, (...), elle offre de multiples manière de s’asseoir, de se rencontrer, de bavarder, de s’allonger, de s’amuser.(...) »15 Bien qu’il ait été présenté pour les jardins, ses concepteurs précisent qu’il a été tout autant été conçu pour les jardins que pour les espaces collectifs urbains. Ces nouvelles idées de conceptions montrent que l’offre est largement abondante, pour les voir dans nos cités, ne suffirait[14] Ehret G.; 2004 ; Lyon et Saint-Etienne ouvrent la voie aux piétons; in Architecture d’Aujourd’hui n° 355, p67 [15] Barrier J. et Dohren E. de Entre-soi. : www.chaumonts-jardins.com 51
il pas aux municipalités d’être peut-être moins frileuses (?)! Remarquons que dans les lignes de « mobilier sur catalogue », des créateurs de renoms signent quelques objets, Philippe Starck en chef de rang. Mais ce choix ne doit pas se faire au coup par coup, le banc, même en tant qu’œuvre, doit être penser avec l’ensemble dans lequel il s’inscrit. La cohérence avec l’environnement immédiat est primordiale pour déterminer le choix esthétique et pratique du banc. Il faut éviter qu’une oeuvre soit ‘‘parachutée’’ dans un ensemble. Par exemple, la ville de Rennes a choisi d’établir une ligne de mobilier, dont le coloris sera compris dans une palette pré-définie, à savoir ‘‘gris-forêt’’, déclinable jusqu’au ‘‘vert-granit’’ et ‘‘vert-olive’’ , afin de « donner une vraie cohérence au mobilier urbain rennais [et de] forger une image claire de la ville »16. D’autre part, il reste, au delà de la question financière, de faire accepter par la population les créations des designers. On remarque ainsi que la nouvelle pensée urbanistique est souvent à l’initiative d’artistes-plasticiens, qui tentent de donner le ton, et les idées, aux programmateurs. Deux expériences menée à Lyon et à Desvres témoignent d’inventivité, et font écho, à leur manière, des nouvelles pratiques urbaines. A Lyon, la plasticienne Isabelle Demain a mis en scène en 1995 un happening, pour figurer les demandes sociales en matière d’aménagement du mobilier, et ainsi proposer une représentativité des attendus aux autorités locales. Dans un quartier, ont été installés quinze bancs non fixés au sol. « Pendant une dizaine de jours, la mobilité des bancs a été largement exploitée par les usagers. Les mises en situation initiales ont au fil des heures été défaites au profit d’autres propositions. Parfois protestataires mais souvent pleines de pertinence quant à la capacité de l’usager à gérer son [16] Le Rennais, avril 1998, « ces objets qui meublent la ville », p17 chapitre 2
propre espace, pour peu qu’on lui donne le choix et les outil pour le faire »17. A notre avis, cette création est pleine de bon sens, si les aménageurs la prennent au sérieux. A Desvres, dans le Pas-de-Calais, l’artistes François Andes a mis en place une autre forme expressive de représentations sociales. Cet artiste propose dans son projet l’installation durable sur l’espace urbain de bancs à vocation particulière, celle de relier à travers le monde des personnes s’asseyant sur ce type de banc, baptisé « borne-banc », par une connexion Internet, des micros et des hauts-parleurs. « [Ils] permettront une mise en contact avec d’autres personnes, en région, en France et à terme, dans le monde entier. Ces bornes seront reliées entre elles par un système électroacoustique et par Internet. (...) Le banc ne sera plus seulement mobilier urbain, il deviendra tout à coup un espace de communication et le point de départ vers un ailleurs aléatoire »18. Ainsi, cet artiste sublime le concept de la rencontre facilitée par les bancs publics, et en parallèle annule l’espace physique pour transporter l’usager dans l’espace public virtuel. Ces initiatives, impulsées par des plasticiens, encourage l’art dans la rue. Déjà existaient ce que l’on appelle les arts de la rue, qui développaient aussi une forme d’appropriation des espaces publics. Par exemple, une compagnie de théâtre de rue, appelée simplement Banc Public, fait son spectacle de jonglerie sur un banc public 19. Lorsque les arts de rue « jonglent » délibérément avec le rôle des espaces publics, leur intervention donnent sens aux contenus significatifs et symboliques de l’espace, en perte de lien sociaux. La
rue est leur scène, comme la ville est la scène de l’individu au sein d’un spectacle sociétal. Que le banc public en soit le support, l’outil ou l’accessoire, il participe pleinement à cette créativité urbaine publique et collective, et permet la mise en commun toutes les expressions.
[17] Demain I., s’asseoir en ville, projet de recherche mené en collaboration avec la Communauté Urbaine de Lyon, post-diplôme design 1995, Ecole Nationale des Beaux-Arts de Lyon et Galerie Roger Tator, citée par CERTU ; 2002 ; p29 [18] Andes F., 2001-2002 ; Geocommode, in dossier ressources. Desvres, p4 [19] Compagnie Banc public, Crée en 2000, implantation à Rennes, www.bancpublic.com cf article OF du 12/08/2002. Le paradoxe du banc public
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Conclusion du chapitre 2 A travers l’exemple de la gestion des bancs urbains, s’exprime une nouvelle forme de contrôle des populations dans leur rapport à la ville. De façon indirecte, les autorités régulent les pratiques, dont (et surtout) certaines jugées ‘‘négatives’’, jusqu’à réussir à les faire parfois disparaître (de la sphère visible). Ni la division ni la disparition des bancs n’empêcheront les individus de se regrouper, ni ne soignera la misère sociale, elles l’éloigneront des centres policés, pour mieux l’oublier. En effet, des êtres tenteront toujours de déjouer, de contourner les pressions dont ils font l’objet. Ainsi, des bancs sont dé-posés de quelques places, et ce sont d’autres objets, à proximité, qui seront les nouveaux supports. Le paradoxe du banc, auquel les politiques doivent répondre à travers la commande des services municipaux, implique de faire un choix, « lequel doit arbitrer entre des logiques contraires, établir un équilibre entre des manières différentes d’utiliser la ville »20. Cette décision a un triple impact : il touche à l’urbain, au politique et au social. Lorsque l’option s’oriente vers une conception d’un espace public enclin à ses ‘‘fonctions’’ civilisatrices, le banc devient le support potentiel de leurs accomplissements.
[20] Charbonneau JP ; 2002; Un urbanisme respectueux des corps, in Urbanisme n°325, p41 53
chapitre 2
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Les bancs publics dans le centre de Rennes Maintenant dégagées les principales motivations qui conduisent les politiques urbaines dans la dispersion des bancs publics dans la ville, nous allons aborder rapidement l’exemple concret du centre-ville de Rennes. Etant données nos contraintes extérieures, en terme de longueur de ce travail, nous ne pouvons rédiger une vraie partie, mais allons malheureusement nous limiter à quelques bribes d’éléments d’analyse. Nous avons construit cette étude sur 3 étapes. Tout d’abord, une observation globale, qui nous a conduit à dresser une carte afin de localiser les lieux qui étaient pourvus de bancs publics, et les autres. Puis, une analyse plus fine pour dégager quelques hypothèses, afin d’interpréter ces résultats dans une perspective plus large.
Les bancs publics dans le centre de Rennes
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Etape n°1 : analyse générale L’espace public du centre nord de la ville de Rennes est un espace animé, où convergent de nombreux flux circulatoires. Comme nous l’avons vu, et d’une façon générale, les espaces publics doivent être aussi appréhendés en faveur des piétons comme lieu d’arrêt, de repos, de rencontre, etc... L’étude du cas de l’offre en bancs publics à Rennes peut nous orienter sur la pertinence (ou non) des choix d’aménagement, et sur la nécessité de réfléchir sur ces espaces publics dans leur ensemble. Les bancs se situent en général sur les zones du centre-ville, ‘‘historique’’, qui est une zone à fortes fréquentation piétonnière, enclin à accueillir des bancs. L’étude portera donc sur cette partie physique, délimitée au nord par les places Sainte-Anne et Hoche, à l’ouest par la place Saint-Sauveur et la rue Rallier du Baty, à l’est par la Rue Hoche, et au sud par la rue du Pré-Botté. Pour commencer, voici une carte qui localise les endroits les plus polarisants, où ont été distingués ceux sur lesquels on pouvait trouver, ou non, des bancs publics. Au regard de cette carte schématique, nous remarquons une partition de l’espace en deux zones, une caractérisée par l’absence de banc : ce sont les places au décor médiéval ( Saint-Michel, SainteAnne, etc...), soient le petit centre nord, et l’autre qui rassemble tous les bancs du centre-ville : ce sont les places de la République, de la Mairie, du Parlement, et leur alentour. Toutefois, la place Hoche constitue une sorte d’ ‘‘exception’’.
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Etape n°2 : hypothèses Le quartier Sainte-Anne/ Saint-Michel a une forte emprise touristique et correspond à une importante zone de transit, renforcée depuis l’arrivée du métro. La place des Lices accueille aussi le fameux marché hebdomadaire rennais. Dès les beaux jours, de nombreuses terrasses occupent ces lieux, et depuis quelques mois, leur surface à été augmenté. La réussite de cette activité commerciale montre comment le site est apprécié. On consomme un verre pour ce plaisir, ou parce que c’est devenu le seul passeport bien-vu pour s’attarder au soleil de la place. Cette attractivité se répercute alors certains soirs quand les étudiants (principalement) se retrouvent dans les bars et dans les rues de ce quartier. Pour terminer, ces lieux sont aussi convoités par nombreuses personnes stigmatisées, qui profitent de l’animation pour exercer la manche, et/ou quelques autres pratiques plus illicites. Lorsque la place Sainte-Anne a été ré-aménagée, elle comptait une dizaine de bancs. Puis, au sein de tensions plus générales qui opposèrent certains riverains aux pratiques festives et à l’appropriation des espaces par quelques marginaux, les autorités locales ont fait dé-posés les bancs environ deux ans plus tard, c’est à dire en Octobre 2004, « dans le cadre de nombreuses mesures préventives prises pour assurer la sécurité publique sur cette place » . Le reste du grand centre-ville : les quatre pôles constitués par les places Hoche, de la Mairie, du Parlement et de la République ne sont-il pas soumis aux mêmes tensions ? Ces lieux correspondent soit à un lieu historiquement et/ou symboliquement majeur, de part les édifices qui les ornent, soit, comme pour la place de la République, comme un pôle d’échange principal, fraîchement réaménagé. [ ] Voir à ce propos le courrier de la ville de Rennes en annexe. 59
La place de la République représente dans la ville un « pôle intermodal ». Lieu convergences des flux des transports en commun, avec une station de métro et au moins 18 correspondances de bus, jusqu’à 50 000 piétons par jour fréquentent cette place, et 15 600 personnes entrent ou sortent de cette station de métro (constituant ainsi la station la plus importante du parcours) . Son nouvel aménagement prend parfois le nom de parc urbain, grâce à ses bibliothèques végétales et fort de ses 123 chênes. «Ce jardin original est conçu pour les flâneries et les discussions » . De nombreux bancs parsèment l’espace central de la zone. Tous en béton, mais de deux styles, ils marquent à notre avis deux invitations différentes à l’assise : 20 bancs « individuels » et sans dossier, entre chaque « bibliothèque », où se forment des espaces de salon, confinés, en recul, à l’abris des regards, pour une ambiance sereine, au milieu du tumulte urbain ; et 4 longs bancs à dossiers très inclinés, encadrant les carrés de verdure, et autrement appelés « muret-bancs », il est difficile de s’y tenir droit, à moins de ne pas s’y appuyer. Ces bancs, étonnamment long (11,5 mètres), permettent facilement leur partition entre différents groupes ou usagers. Ils sont par ailleurs pourvus de barres transversales en métal, tous les 70 cm environ, pour empêcher de s’y allonger. Installés récemment, le mobilier de cette place montre déjà quelques signes de fatigue, de dégradation (lattes de béton cassées, inscriptions et tags …). D’autre part, il faut constater l’importance du détournement du mobilier : l’appui ou l’assise sur les bacs des arbres, ou sur l’étroite ‘banquette’ de l’accès au métro par exemple. [ ] Ouest France du 22/ 09 / 03 [ ] Marc CARREL, Responsable service Aménagement de l’espace public, cité par OF le 05/06/2003 Post Scriptum
La place de la Mairie, et la place du parlement sont encadrées par des monuments majeurs, symboles de l’histoire de la ville, de ses différents pouvoirs, et de sa richesse culturelle. La première où siègent la municipalité et l’opéra, est strictement piétonne, et compte quinze bancs, et offre aussi à quiconque la possibilité de s’asseoir sur les marches qui bordent l’opéra. Sur la seconde s’impose le Parlement de Bretagne. Dans son contrebas, quatorze bancs de granit sont installés autour d’une large zone vide, ensablée et protégée de la circulation automobile. Le mélange minéral (sable et granit) est enjolivé par des parterres de gazon et de fleurs. Ici, la forte présence des bâtiments favorise l’attrait important de touristes, d’usagers des services qui y sont installés, et de flâneurs venus apprécier la convivialité des lieux.
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Etape n°3 : interprétations La zone ‘septentrionale‘, soit le quartier le plus « avare » en banc, mais néanmoins zone privilégiée, centrale et attractive, doit compter dans ses « usagers » une population très composite, certains étant moins bien reçus que d’autres. A cette échelle micro-géographique s’expriment toutes les contradictions qui animent l’espace public, sa représentation, ses usages et sa gestion. La zone a été aménagée en plusieurs étapes, où tout d’abord l’effort a été mis - lors de sa piétonisation - sur les critères esthétiques et d’accueil. Même si les places Saint-Michel et Rallier-du-Baty sont par exemple apparues pour les programmateurs, comme suffisamment chargées pour y installer des bancs, la place Sainte-Anne par contre semblait adéquate. Ensuite, l’hétérogénéité des usages selon plusieurs catégories de citadins a entraîné la ville de Rennes dans des conflits, qui se sont répercutées spatialement. L’action qui a été faite d’enlever les bancs résultait-elle d’une réflexion plus lointaine, ayant trait à la recherche d’éloigner certaines populations des zones convoitées, ou participait-elle à un travail de « mise en ordre » de l’espace public, au sein d’événements plus ponctuels qui alimentèrent notamment le débat public sur la place de la fête (comme désordre) dans la ville. Même si la Mairie répond par l’argument de la prévention de la sécurité publique, on voit vraiment ici comment une intervention sur l’espace public concoure à vouloir orienter les comportements et les usages. En terme de résultat, les groupes des personnes en marge se sont d’abord décalés vers les marches de l’Eglise Saint-Aubin, puis vers l’aménagement central de la place, qui sert de puits de lumière à la station du métro, et pourvu de mobilier s’apparentant à des bancs. De ce déplacement, les autorités ont encore réagi, et invité des commerces mobiles (stands), à s’y installer. La place Sainte-Anne 61
est devenue le lieu d’un marché quasi-permanent, l’espace public se réduit de plus en plus face à l’emprise commerciale. Concernant les zones ‘méridionales’, pourvues de bancs, deux pistes interprétatives s’offrent à nous. 1) Tout d’abord, on peut penser que le récent aménagement de la place de la République à Rennes met en évidence la nouvelle pensée urbanistique telle que nous en avons parlé précédemment. Il y a ici une prise en compte de la demande sociale de confort, et de convivialité, autorisée par les petits salons entre les bibliothèques, qui interdit pourtant les attitudes déviantes (s’allonger, stationner trop longtemps…) L’importance de la question de la fluidité et de la mobilité se traduit ici par deux aspects: (a) la requalification d’un espace central, donc stratégique qui met en relation les piétons les bus et le métro, et (b) les éléments qui montrent que l’axe nord/sud de la place, véritable liaison piétonne, au flux souvent très important, est complètement dépourvue de bancs. Comme si rien ne devaient ralentir le flot. 2) Par ailleurs, les autres lieux qui ne souffrent pas de l’absence de bancs peuvent démontrer que, d’une part, les tensions sociales ne se sont pas manifestées ici, et d’autre part, que le décor monumental participe à l’image d’un pouvoir, et les représentations qu’il donne à voir passent par la présence de points d’accueil pour les riverains.
Post Scriptum
En somme, le centre-ville de Rennes se divise de lui-même en deux parties. Sur l’une, qui contient soit une forte dimension symbolique, soit une forte fréquentation (pôle d’échange intermodal), la présence des bancs ne semble pas remise en cause. Sur le second territoire étudié, la pénurie de bancs s’expliquerait plus par la pression qu’ont exercé certains courants dominants. Mais ce ne sont que des supputations, rapidement construites et trop peu développées…
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Conclusion générale « L’espace public » reste une notion floue, mais chargée de valeurs, de significations, etc... Les différentes définitions s’accordent pourtant à le concevoir à partir de la question sociale. Alors que dans une extrapolation idéologique, l’agora grecque incarne le mythe de la ville idéale, aujourd’hui, on cherche à faire de la ville l’œuvre de ses citoyens, afin qu’ils participent à la vie sociale et communautaire, et se construisent une (leur) identité. Les échanges, - de la sphère publique -, privilégient les espaces et sont privilégiés par eux. La ville figure la réalisation effective de la société urbaine dans sa dimension pratico-sensible. Malgré ces remarques fédératrices, le discours sur la détérioration des espaces publics s’intensifie. Visiblement, le partage politique du pouvoir sur l’espace (symbolique) échappe de plus en plus à toute régulation démocratique, et semble discipliné à d’autres logiques dominantes. Pour juguler ces préjudices, l’urbanisme contemporain doit imaginer des projets au fort potentiel urbain, et (ré-)inventer des espaces agréables qui seront habités, fréquentés, et donc vécus. Même si les acteurs sociaux ont des pratiques ordinaires plus ou moins oscillatoires, ils rêvent d’investir librement leur espace quotidien, qui sera un autre jour l’espace de la délibération citoyenne.
au niveau du banc, qui accueille et/ou rejette, mais qui procède d’une décision qui veut répondre à tous ces principes. Pourtant le banc pourrait devenir l’objet pacificateur, parce qu’il favorise les contacts et les échanges, parce qu’il réunit à son échelle la sphère et l’espace public. Cette apologie de la dispersion des bancs publics sur l’espace public est à prendre au sens large, parce que nous savons que l’absence de banc n’empêche pas complètement les hommes et les femmes de vivre la ville à leur manière, de s’arrêter et de s’asseoir s’ils le désirent. Le contrôle (indirect) qui s’effectue à travers la gestion des bancs, même si on en ressent les effets, peut encore être déjouer, parce que, si on peut espérer que rien ne contredira Hegel, « l’air de la ville rend libre »…
Cette appropriation nécessite une organisation spatiale prudente et négociée, voire concertée. A l’échelle du mobilier urbain, le banc public n’est pas un simple équipement, c’est une pièce centrale d’un (ré-)aménagement, qui structure le lieu. La visibilité, le sens et la portée de leur gestion implique eux aussi une définition instaurée collectivement. La complexité de cette démarche exploratoire couplée à des stratégies plus difficilement maîtrisables conditionnent les contradictions visibles sur les espaces publics, qui à la fois, rassemblent et répartissent. Tendances qui s’illustrent 63
Conclusion générale
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Annexe
Sources et références Ouvrages généraux Andes François, 2001-2002 ; « Geocommode », in dossier ressources. Projet Du 23 novembre 2001 au 10 mars 2002 à la Maison de la Faïence / Musée de la Céramique / Résidence d’Artiste Rue Jean Macé - 62240 Desvres, 16p, document PDF, adresse, p4 ASCHER François, 1998 ; La république contre la ville, éd. de l’Aube, France, 201p ASCHER François; 2000 ; Ces évènements nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs. Essai sur la société contemporaine. La Tour d’Aigues, éd. de L’Aube essai, Paris, 300p BERDOULAY Vincent, da Costa Gomes Paulo et LOLIVE Jacques (dir.); 2004 ; L’espace public à l’épreuve. Régressions et émergences, MSHA, Pessac, 224p BLANC Jean-Noël; 2004 ; La fabrique du lieu. Installations urbaines; Publications de l’Université de Saint-Étienne, Saint-Étienne, 239p BONET Michel et DESJEUX Dominique (dir.); 2000 ; Les territoires de la mobilité, PUF, sciences sociales et sociétés, Paris Boulanger Amélie; 2001-2002 ; Les arts de la rue, demain. Enjeux et perspectives d’un nouvel art de ville. DESS développement culturel et direction de projet, ARSEC Université Lyon-Lumière, sous la dir. de P. Chaudoir, 58p Boursier-Mouguenot Ernest; 2002 ; L’Amour du banc, Acte Sud, Italie, 396p BOYER Annie, ROJAT-LEFEBVRE Elisabeth ; 1994 ; Aménager les espaces publics. Le mobilier urbain. Édition du Moniteur, Paris, 327p BOYER A., DEBOAISNE D., ROJAT-LEFEBVRE E.; 1990 ; Le mobilier urbain et sa mise en scène dans l’espace public, Versailles, CAUE des Yvelines CERTU (Centre d’Etude sur les Réseaux, les Transports, l’Urbanisme et la construction. fondé en 1994) ; Groupe Voirie et Espace public; 2002 ; Jeu et détente. Prise en compte dans l’aménagement de l’espace public. Coll. Références, CERTU, Lyon, 231p CHOAY Françoise; 1964/1979 ; L’urbanisme. Utopies et réalités. Une anthologie ; Seuil, Paris, 445p Collectif; 1997; Design et espace civique; Institut pour l’art et la ville, Givors (Rhône) ; 83p Sources et références
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