mardi 5 fĂŠvrier 2013 LE FIGARO
14 ĂŠtudesPOLITIQUES Figaro-Cevipof
DESSIN DOBRITZ
Le parti de Jean-Louis Borloo parie sur le retour d’un duopole à droite et au centre.
PASCAL PERRINEAU
DIRECTEUR DU CENTRE DE RECHERCHES POLITIQUES DE SCIENCES PO (CEVIPOF)
LA CRÉATION de l’Union des dÊmocrates et indÊpendants (UDI) a fermÊ la parenthèse de l’union des droites et du centre instaurÊe par l’UMP en 2002, formation qui, comme le rappelle Pascal Perrineau,  a tentÊ d’imposer l’idÊe d’un parti unique de la droite et de ses diverses sensibilitÊs . Le directeur du Cevipof analyse l’accueil rÊservÊ par les sympathisants et les Êlecteurs à ce retour d’une droite binaire française alors qu’en GrandeBretagne, un grand parti conservateur rassemble les forces de droite, qu’en Espagne la droite fÊdère dans le Parti populaire tandis qu’elle agrège dans la CDU-CSU en Allemagne.  Les formations centristes ont un problème de notoriÊtÊ, c’est l’un des principaux fronts sur lequel l’UDI aura à batailler dans les mois qui viennent , affirme Pascal Perrineau. Contrairement aux attentes du parti de Jean-Louis Borloo, la crise de l’UMP n’a pas apportÊ le flot de ralliements escomptÊs. Le pouvoir d’attraction de l’UDI s’exerce rarement au-delà du cercle des orphelins de centrisme indÊpendant de François Bayrou et de celui des centristes hÊbergÊs par l’UMP. BoudÊe par les femmes et les jeunes, l’UDI sÊduit  les clientèles socio-dÊmographiques proches de la droite . La question des alliances est le dÊfi à relever pour exister et prospÊrer. Sympathisants et Êlecteurs plaident clairement pour une  alliance avec l’UMP pour gagner les Êlections locales à venir . Et rejettent toute alliance avec la gauche et le Front national ainsi qu’une ouverture au centre faite par le pouvoir en place. ■JOSSELINE ABONNEAU
ÉTUDE L’Union des dÊmocrates et indÊpendants (UDI) a maintenant trois mois. Elle marque le retour de la droite française à un système binaire d’organisation. Celui-ci a d’ailleurs ÊtÊ la règle du milieu des annÊes 1970 au dÊbut des annÊes 2000. En effet, l’Union pour la dÊmocratie française (UDF), fondÊe en 1978 par le fidèle de ValÊry Giscard d’Estaing Michel Poniatowski, sur une idÊe des leaders centristes qu’Êtaient Jean Lecanuet et Jean-Jacques ServanSchreiber, a perdurÊ jusqu’à la naissance de l’UMP en 2002, qui a tentÊ d’imposer l’idÊe d’un parti unique de la droite et de ses diverses sensibilitÊs. Tout en n’ignorant pas la pÊrennitÊ des diffÊrences qui distinguent les familles de la droite et du centre, l’UMP ne dÊsespÊrait pas de parvenir à la fusion organisationnelle de tempÊraments pourtant distincts. Cette tentative de faire vivre un système moniste d’organisation de la droite française n’a, au fond, ÊtÊ qu’une parenthèse dans l’histoire longue des droites et du centre. Le retour à un dispositif qui rappelle le duopole UDF-RPR des deux dernières dÊcennies du XXe siècle semble avoir ÊtÊ plutôt bien accueilli, avec, cependant, une certaine hÊsitation et parfois une rÊelle indiffÊrence. Dans le baromètre Figaro Magazine-Sofres de dÊcembre 2012, oÚ un Êchantillon reprÊsentatif de Français a ÊtÊ consultÊ sur l’image des partis, 41 % des personnes interrogÊes dÊclarent ne pas avoir d’opinion sur l’UDI. C’est, de très loin, le parti qui suscite le plus d’ignorance, juste devant le Nouveau Centre (38 % de sans opinion), autre formation centriste aujourd’hui intÊgrÊe à l’UDI. Les formations centristes ont un problème
de notoriÊtÊ. C’est certainement un des principaux fronts sur lequel l’UDI aura à batailler dans les mois qui viennent. L’image positive, mesurÊe pour la première fois par la Sofres en dÊcembre 2012, reste pour l’instant modeste : 18 % des personnes interrogÊes dÊclarent avoir une bonne opinion de l’UDI (contre 43 % pour le PS, 37 % pour Europe Écologie-Les Verts, 27 % pour l’UMP et 24 % pour le Modem). Mais, dans l’espace de la droite et du centre, tous les partis stagnent ou rÊgressent
nouveau patron de l’UDI fait partie du quintette des leaders de droite qui ont à la fois une grande visibilitÊ et un soutien significatif en termes d’opinion : François Fillon (38 % de cote d’avenir), Alain JuppÊ (36 %), Nicolas Sarkozy (34 %), Christine Lagarde (33 %), JeanLouis Borloo (31 %). Ce dernier est le seul – avec Nicolas Sarkozy - à ne pas avoir connu de dÊcote depuis l’alternance de mai-juin 2012. Ainsi, avec le choix de Jean-Louis Borloo, l’UDI apporte une rÊponse au problème de lea-
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Jean-Louis Borloo est, dans cette famille du centre droit, le premier leader, depuis de longues annÊes, à avoir une rÊelle existence en termes d’opinion. Il domine François Bayrou dont l’Êtoile de popularitÊ est dÊclinante (...) et son ancien challenger, HervÊ Morin 
depuis un an (- 12 points pour le Modem, - 2 pour l’UMP, 0 pour le Nouveau Centre). Dans ce contexte gÊnÊral, l’UDI rÊcupère une partie des orphelins du  centrisme indÊpendant  du Modem et quelques soldats perdus du centrisme qui ne se trouvaient plus à l’aise au sein de l’UMP. Toutefois, à la suite du spectacle de division fratricide qu’a offert l’UMP pendant de longues semaines, le mouvement de rÊcupÊration n’est pas très important.
dership Êvanescent qui avait ÊtÊ la faiblesse constante de l’ancienne UDF. Certes, le prÊsident de l’UDI devra s’imposer à des troupes diverses et souvent rÊtives, de par leur culture politique, à la fÊrule d’un chef trop Êvident. Mais Jean-Louis Borloo est, dans cette famille du centre droit, le premier leader, depuis de longues annÊes, à avoir une rÊelle existence en termes d’opinion. Il domine maintenant un François Bayrou dont l’Êtoile de popularitÊ est dÊclinante et il relègue son ancien challenger, HervÊ Morin, dans les trÊfonds des classements de popularitÊ. On constate cependant que le prÊsident de l’UDI et son parti ont des faiblesses dans certains milieux qui ne sont pourtant pas particulièrement allergiques à la rÊfÊrence centriste : les femmes, les jeunes. Dans le baromètre Figaro Magazine de fÊvrier 2013, seuls
RÊponse au problème de leadership La situation est meilleure en termes de leadership dans la mesure oÚ JeanLouis Borloo, prÊsident de l’UDI, fait partie des quelques leaders de droite et du centre auxquels les Français prêtent un avenir. Dans le dernier baromètre Figaro Magazine-Sofres de fÊvrier, le
ture de la majoritÊ actuelle ne pourrait se faire qu’au centre. Cette  tentation centriste , même si elle existe chez certains responsables socialistes, se heurte à un double obstacle. D’abord, les  tables de la loi  d’un parti socialiste qui s’est reconstruit dans les annÊes 1970 autour d’une stratÊgie d’union de la gauche oÚ  l’ennemi  commence aux confins du centre gauche. Cet ostracisme rend difficile et pÊrilleux le ralliement du Modem et de François Bayrou à une majoritÊ de gauche, même si StÊphane Le Foll, ministre de l’Agriculture et proche de François Hollande, n’excluait pas, dans un entretien à France Info, le 12 novembre 2012, la perspective d’une telle Êvolution :  La question ne se pose pas encore , disait-il. Ensuite, l’UDI, nouveau
Forces et faiblesses de l’UDI % DE BONNES OPINIONS ZONES DE FORCES
A
ZONES DE FAIBLESSES
36 29
24 %
Femmes
13 %
65 ans et plus
24 %
18-24 ans
13 %
Cadres, prof. intellectuelles sup.
26 %
Ouvriers
13 %
DiplĂ´mĂŠs enseignement sup.
26 %
Sans diplĂ´mes
12 %
Proches MoDem
42 %
Proches partis de gauche
15 %
Proches UMP
26 %
Proches EELV
14 %
Électeurs Sarkozy 2012
VolontÊ d’alliance À cet Êgard, les Êlecteurs proches de l’UDI et ceux proches de l’UMP ont la même volontÊ d’alliance pour gagner les Êlections locales à venir. Leurs regards convergent ; ils rejettent toute alliance avec la gauche ou un accord local avec le Front national. Même si, pour les sympathisants de l’UMP, le tropisme frontiste n’est pas absent. Ce qui rassemble à droite et au centre est l’alliance UDI-UMP. Ce qui divise, en revanche, a trait à la position à adopter par rapport au FN. L’UDI et
40 %
Électeurs Hollande 2012
16 %
27 %
Électeurs Le Pen 2012
9%
Source : Baromètre Figaro Magazine TNS Sofres / Sopra Group rÊalisÊ du 23 au 26 novembre 2012 auprès d’un Êchantillon national de 1 000 personnes reprÊsentatif de l’ensemble de la population âgÊe de 18 ans et plus
36
% DE BONNES OPINIONS
27 UMP
35
24 MoDem 33
28 16
16
13 Mars 2012
Juin 2012
On retrouve la mĂŞme faiblesse dans l’image de l’UDI telle qu’elle a ĂŠtĂŠ apprĂŠciĂŠe dans un sondage rĂŠalisĂŠ Ă la fin de novembre 2012. Le nouveau parti de centre droit s’est solidement affirmĂŠ dans l’espace centriste (42 % de bonnes opinions chez les sympathisants du Modem, 40 % chez les anciens ĂŠlecteurs de Bayrou), mais aussi, bien sĂťr Ă un moindre degrĂŠ, chez les anciens ĂŠlecteurs de Nicolas Sarkozy (27 %) et dans des clientèles socio-dĂŠmographiques proches de la droite (personnes âgĂŠes, cadres et professions intellectuelles supĂŠrieures, diplĂ´mĂŠs de l’enseignement supĂŠrieur). En revanche, la faiblesse de l’UDI est patente dans les milieux populaires (13 % chez les ouvriers), mais aussi parmi les ĂŠlecteurs de ce ÂŤ centrisme de substitution Âť que peut ĂŞtre l’Êcologie politique (14 %) et qui ne sont pas insensibles Ă l’action que Jean-Louis Borloo avait pu mener lorsqu’il a ĂŠtĂŠ, de 2007 Ă 2010, ministre de l’Écologie, de l’Énergie et du DĂŠveloppement durable. L’enracinement populaire et la captation d’une clientèle d’Êlecteurs de centre gauche dÊçus par le nouveau pouvoir sont, indĂŠpendamment de la saine et vive ĂŠmulation entre l’UMP et l’UDI pour fidĂŠliser les soutiens traditionnels de la droite classique, les principaux dĂŠfis que cet hĂŠritier lointain de la dĂŠfunte UDF aura Ă relever dans les mois qui viennent avant les premiers affrontements ĂŠlectoraux de l’annĂŠe 2014 oĂš le baptĂŞme du feu ĂŠlectoral dĂŠcidera du destin de l’UDI. â–
QUESTION : SOUHAITEZ-VOUS QU’AUX ÉLECTIONS LOCALES...
... L’UMP ET L’UDI DE J.-L. BORLOO PASSENT DES ACCORDS ÉLECTORAUX
OUI
NON
... de droite
60 %
40 %
... UDI
79 %
21 %
... UMP
75 %
25 %
... FN
23 %
77 %
Sympathisants...
... L’UMP ET LE FN PASSENT DES ACCORDS ÉLECTORAUX
OUI
NON
... de droite
50 %
50 %
... UDI
13 %
87 %
... UMP
44 %
56 %
... FN
73 %
27 %
Sympathisants...
Les formations centristes dans l’opinion
Hommes
Électeurs Bayrou 2012
l’UMP partagent le mĂŞme credo unitaire que celui qu’ont portĂŠ pendant des dĂŠcennies l’UDF et le RPR. Cependant, la dialectique de l’union et de la diffĂŠrence qui prĂŠside aux relations entre deux associĂŠs-rivaux est fragile. Cette dialectique de l’union et de la diffĂŠrence doit ĂŞtre maniĂŠe avec subtilitĂŠ : il lui faut prĂŠserver, d’une part, la première position ĂŠlectorale de la droite par rapport au Front national partout oĂš celui-ci est une force significative et, d’autre part, permettre le rassemblement unitaire des voix de droite et du centre au seP. P. cond tour. â–
parti centriste, s’affirme de  centre droit  ; les sympathisants de l’UDI privilÊgient une alliance Êlectorale avec l’UMP, ils rejettent des alliances tournÊes ou bien vers la gauche socialiste ou bien vers le Front national.
Faiblesse dans les milieux populaires
Le souhait d’accords Êlectoraux
LA RELATIVE fragmentation politique qui est caractÊristique des droites et du centre aujourd’hui pose la question des alliances qui seront dÊcisives pour l’avenir. Mais cette question dÊpasse le seul univers de la droite. La gauche, en dÊpit de la position hÊgÊmonique du Parti socialiste, est traversÊe de profonds clivages internes. Ces clivages sont sensibles dans la mauvaise humeur rÊcurrente du Front de gauche vis-à -vis des choix politiques et Êconomiques du nouveau pouvoir et dans les critiques rÊgulières de l’alliÊ-rival Êcologiste par rapport au gouvernement et à la majoritÊ parlementaire socialiste. À terme se pose donc la question de l’Êventuelle recomposition des alliances pour un pouvoir socialiste affaibli et à la recherche d’un second souffle. Dans ce cadre, l’ouver-
15 % des 18-24 ans et 27 % des femmes souhaitent que Jean-Louis Borloo ÂŤ joue un rĂ´le important au cours des mois et des annĂŠes Ă venir Âť.
Septembre 2012
18 UDI 13 Nouveau Centre DĂŠcembre 2012
Juin 2012
Les leaders du centre et de droite dans l’opinion % DE CEUX QUI SOUHAITENT LUI VOIR JOUER UN RÔLE IMPORTANT DANS LE MOIS ET LES ANNÉES À VENIR
-10 38
-1
= 31 34 31
32 28
-5 43 41 38
-1 37 34 36
Sept. 2012
+3
-8
31 33 34
41 37 33
14 14 13 François Bayrou
HervĂŠ Morin
Jean-Louis Borloo
François Fillon
Alain JuppĂŠ
Nicolas Sarkozy
FĂŠv. 2013
Évolution juin 2012-fÊvrier 2013
Christine Lagarde
-5 24 25
19
Jean-F. CopĂŠ