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Cameroun

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«Onm’a volé la victoire»

Martin Fayulu

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Le 10 janvier 2019, àKinshasa, le candidat attend des heures durant, convaincu que la Ceni va annoncer son élection. Mais rien ne se passe comme prévu.

C’ estle10janvier 2019, vers 3heures du matin, que le président de la Commission électorale nationale indépendante[Ceni] a annoncé lesrésultatsdelaprésidentielle.Mais tout avait débutéplus tôt, le mercredi9 janvier àl’aube, par des heures et desheures d’attente.

Sans rien changer àmes habitudes, j’avais commencé par fairedusport.Ilfut un tempsoùje marchais le long du fleuve, àdeux pas de l’hôtelFadenHouse, transformé en QG de lacoalition Lamuka. Comme la situation était tendue, on m’avait conseillé de rester à l’intérieur de la parcelle.Je faisais destours le long du mur d’enceinte, durant une heure, chaquejour.

L’élection avait eu lieu le 30 décembre2018.J’étais un peu fatigué :pendant la campagne,j’avais perdu7ou8kgetj’avais le visage très marqué.Mais je n’étais pas stressé. La ville bruissait pourtant de rumeurs. On craignait desmanipulations. J’avais malgrétoutbon espoir. Des résultatsofficieux annonçaient notrevictoire. Le 1er janvier,unprêtre qui avait leschiffresdelaCenco [conférence épiscopale] nous avait proposé une réunion avec Vital Kamerhe pour ressouder Lamuka. À l’heuredite, Vital n’estpas venu. Le 3janvier,j’avais eu une réunion avec Corneille Nangaa, le président de la Ceni, Félix Tshisekedi et l’ex-président malien Dioncounda Traoré, chef de la mission électorale de l’UA.Traoréavait dit àNangaa qu’il savait qui avait gagné et que,siles résultatsannoncésn’étaient pas les bons, il parlerait –ilnel’a finalement pas fait, et je n’ai jamaiscompris pourquoi l’UA s’était défilée.

Chez Denis Sassou Nguesso

Le 4janvier,Leïla Zerrougui, la patronne de la mission de l’ONU,m’a proposé d’organiser une rencontre avec le président sortant, Joseph Kabila. Le 6, j’ai traversélefleuve pour aller àBrazzaville car on m’a fait savoir que Denis SassouNguesso voulait me voir ainsi que mes concurrentsEmmanuel Ramazani ShadaryetFélix Tshisekedi. La rencontres’est très bien déroulée. L’après-midi même,l’ambassadeur de France m’ainvitéà sa résidence. C’estquelque chose qui ne s’explique pas mais qui se ressent :onme traitait avec une déférence particulière, comme lefutur président.

Puis lesrumeursont repris. On disait que le pouvoir trafiquait les résultats. La rencontreavecKabila n’ajamais eu lieu, sans que l’on m’en donne la raison. Le 9dans l’après-midi, la situation s’estencore tendue.J’étais àFaden House, dans mon bureau, avec ÈveBazaïba, du MLC (de Jean-PierreBemba), Pierre Lumbi, le secrétairegénéral d’Ensemble pour la République (de Moïse Katumbi) et Jean-Claude Mwalimu, mon directeur de cabinet. La télévision en bruit de fond, on grignotait, on discutait, c’était long.

Vers 1heuredumatin, Corneille Nangaa estapparu àlatélévision. J’étais installé àmon bureau, le discoursdevictoireque j’avais préparéà côté de moi. Mais là, surprise! Au lieu d’annoncer les résultatsdela présidentielle,Nangaa acommencé par donner ceux des élections provinciales. Je me suis dit que ça sentait le roussi. Enfin, vers 3heures,ilaannoncé la victoirede Félix Tshisekedi. C’était la douche froide.Ilyaeuunsilence de mort dans le bureau. Èvel’a rompu la première, disant qu’il fallait continuer le combat.

J’ai improviséundiscoursde défaite, puis je suis allé retrouverma femme dans mon appartement de Faden House. Àl’aube, je suis allé à mon égliseprier Dieu.

Propos recueillis par Anna Sylvestre-Treiner

C’estquelque chose qui ne s’explique pas mais qui se ressent : on me traitait avec une déférence particulière.

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