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En direct P.03

Espagne Ground Zero Buzz P.06

No.38 août 2008 10 €

Les coups de Le Bec Dans la vigne P.12

Corbineau, c’est comme ça Le magazine omnivorre Michel Troisgros, Iguerande.


No.38 août 2008

Rendez-nous la cuisine ! Pour passer l’été, amusez-vous sur la plage à énumérer les lieux où la cuisine est là sans jamais être là. Vous ne suivez pas ? Attendez un peu. Depuis des mois on parle ainsi pêlemêle de ce taux de TVA qui vient, c’est promis, mais ne vient toujours pas mais finira bien par arriver ; du changement de nationalité d’un grand chef dont même les journaux de 20h des différentes chaînes s’emparent soudain pour en faire le symbole (bien involontaire) de fuite de cerveau et de capitaux hors de France ; de la course nationaliste à la labellisation de l’Unesco pour faire classer notre patrimoine culinaire au rang d’unique joyau au monde ; de programmes télévisés frôlant le ridicule où un quidam en invite trois autres pour leur montrer qu’il sait faire comme personne les cocktails apéritifs et les salades fraîcheur Ð le pire, c’est que ça cartonne ; des OGM contre lesquelles il faut bien évidemment se battre Ð sans qu’on possède réellement toutes les cartes du jeu ; de l’Espagne qui se déchire autour de l’utilisation des additifs Ð et Omnivore n’y coupe pas, voir p.3 Mais dans tout ça, sur cette toile de fond qui pourrait nous faire penser que la chose culinaire n’a jamais été, de près ou de loin, aussi médiatisée, où est la cuisine ? Où est le goût, la passion du goût ? Dans quel espace parle-t-on encore de la singularité d’un plat, sur quelle place peut-on encore évoquer le style et l’identité d’un chef ? Bien sûr, la chose culinaire est aussi la vie, elle en épouse

les débats du moment, en illustre même certains thèmes (le coût de la vie, les problèmes de santé publique, les sujets sociétaux comme l’obésité ou l’alcoolisme). Mais on ne doit pas oublier que le plaisir de manger des bonnes choses et d’en discourir est aussi important, primordial que celui de prendre un livre ou d’aller au cinéma voir un film. On peut bien sûr parler des conditions de réalisation de ces différents médias, mais on ne doit pas cesser de débattre sur le fond, au cÐur des choses, de ce qui fait justement l’intérêt de ces objets de plaisir. Alors quoi, le cÐur n’y est plus ? La crise économique qui touche la restauration devrait-elle détourner de ces questionnements, du plaisir de parler d’un plat exceptionnel, de le décortiquer pour mieux l’apprécier ? Peu de chefs rencontrés en ce moment parlent de cuisine. En revanche, coût matière, problèmes de personnel, récession, oui. Mais soyons réalistes, dans un pays où l’augmentation du pétrole fait perdre un demimenu de restaurant (soit 15 euros) à chaque plein d’essence, il est plus que jamais urgent de parler saveurs, textures, sensations gustatives. C’est en montrant en quoi la cuisine reste l’un des derniers remparts contre la barbarie, dernier repli du désir, que nous continuerons d’aller au restaurant.

Le magazine omnivorre Directeur de la rédaction Luc Dubanchet Directeur artistique Dimitri Maj Rédaction et photographie Sylvie Augereau, Sophie Cornibert, Andrea Petrini, Paolo Della Corte

Luc Dubanchet

Name Dropping

sommairre

Celles et ceux dont on parle dans ce numéro, enfin pas tous, parce qu’oMni ça name droppe fort…

En Direct 03 Espagne Ground Zero 04 Entretien Jorg Zipprick 05 Ça c’est palace ! Buzz 06 Les coups de Le Bec Dossier 07 Quatre garçons dans le vent 08 Chareau défriche 09 Tartarin, la reconquête 10 Le cocon Troisgros 11 L’heure des agapes

Dans la vigne 12 Corbineau, c’est comme ça ! 13 Pétrus, millésime insolite A lire 16 A sei voci Plat du mois 18 Avocat, bar mariné Hungry/Angry 20 Escort boys à louer

Adria Ferran Bakhtiar Addi Bartabas Blanc Georges Bonneau Henri Botura Massimo Bouchain Patrick Bras Michel Buren Cedroni Moreno Champérard Marc de Chareau Laurent Choukroun Gilles Corbineau Patrick Cracco Carlo Crippa Enrico Dagueneau Didier E 953 Folle Vache Gauthier Alexandre

03 06 10 03 13 16 10 03 10 16 03 08 08 12 16 16 13 04 04 18

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Grebaut Bertrand Kassovitz Mathieu Lacombe Jean-Paul Lapaire Laurent Loiseau Bernard Lopriore Paolo Marcon Régis Martinez Alija Josean Meldolesi Alessandra Mesplède Jean-François Noto Bob Passard Alain Piège Jean-François Rouquette Jean-François Santamaria Santi Scabin Davide Sciortino Stéphane Tartarin Jean-Luc Troisgros Marie-Pierre Vatan Edmond

Régie publicitaire IM Régie 23 rue Faidherbe, 75011 Paris Bénédicte Zambo 01 40 24 25 37 Anaïs Fraigneau 01 40 24 12 63 Photo de couverture Luc Dubanchet Impression Chevillon Imprimeur 26, bld Kennedy 89101 Sens Directeur de la publication Luc Dubanchet

www.omnivore.fr Dépôt légal : 3e trimestre 2008 Omnivore est édité par SARL Omnivore au capital de 304 euros Siège social : 86 rue du Cherche Midi - 75006 Paris Tél. : 01 78 94 10 64 Gérant : Luc Dubanchet RCS : Paris B 450 370 929 APE 221E N° de TVA FR 9045037092900017 ISSN : 1765-0860 Commission Paritaire : 0606 T 84 919


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Espagne, ground zéro Le pays se déchire depuis des semaines autour de l’utilisation des additifs chimiques en cuisine. Enquête Andrea Petrini

« Qu’est-ce qui se passe en ce moment en Espagne entre Santi Santamaria et Adrià ? » La question que nous pose Michel Bras de retour d’Italie nous a paru aussi saugrenue que si Nathan Zuckerman, l’alter ego de l’écrivain Philip Roth s’était réveillé dans sa montagneuse retraite des Berkshires une semaine après le 11 septembre 2001 en se demandant « c’est quoi ce film catastrophe à N.Y. ? ». De plus, en matière de polémiques, Michel a vécu une expérience similaire. Quand, en 1996, sous l’instigation scélérate de Marc de Champérard, Georges Blanc, Alain Ducasse, Bernard Loiseau et Joël Robuchon s’étaient enlisés dans une stérile opposition frontalière à ce qui, à l’époque, passait – d’Annecy à Laguiole, de Cancale à Roanne et Paris – pour le front des Rénovateurs. Anciens contre Nouveaux, Traditionalistes versus Nihilistes. C’est tout cela qui se produit encore une fois actuellement en Espagne. Mais concentré sur deux seules personnes. Avec une violence déflagrante légitimant toute métaphore, même la plus grandiloquente. Le Ground Zero de la cuisine espagnole, c’est ici et maintenant. Un pays aux abois, une profession s’entredéchirant sous le regard ahuri des observateurs étrangers. On n’est pas des historiens ni des historicistes. Et encore moins des savants ou des chimistes. À d’autres donc la tâche de mesurer les graves accusations que le cuisinier catalan triplement étoilé Santi Santamaria a lancé début mai contre son confrère de Rosas : « Ferran Adrià utilise dans sa cuisine des additifs chimiques qui peuvent être nocifs pour la santé de ses clients. » Gélifiants, émulsionnants, multicellulose, tous ces produits utilisés pour exalter des textures in progress dont la recherche laborantine est si friande seraient-ils vraiment dangereux pour la santé publique ? Une bombe à ciel ouvert. Santamaria a beau prétexter tout le respect qu’il a pour l’illustre voisin rayonnant à quelques dizaines de kilomètres à vol d’oiseau, on connaît depuis des lustres, et la planète entière aussi, la haineuse rivalité qui l’oppose au maître alchimiste de El Bulli. En public ou en aparté, fidèle à sa gouaille rabelaisienne depuis le salon privé de Can Fabes ou en orateur enflammé du podium de

Ferran Adrià lors de la première édition du OFF en 2006.

Madrid Fusion, Santamaria n’a jamais mâché ses mots. Adrià promulgue le Décalogue, bréviaire en dix points cardinaux de la débridée créativité bulliesque ? Santamaria riposte depuis le congrès madrilène faisant par exemple de la tomate (et de deux ou trois choses qu’il faut savoir d’elle : d’où elle vient, qui la cultive, quand elle a été cueillie) le symbole même de sa cuisine authentique. La transparence du produit, l’éthique de sa traçabilité. La cuisine au naturel, catalane dans sa forme la plus dénudée. Et si, à l’occasion de la promo de son dernier livre justement titré « La cocina desnuda », Santi a rappelé à l’intendance qu’un cocinero « ne devrait pas se soucier de faire des sculptures ou des tableaux avec ses plats, la cuisine n’est pas un art », c’est pour prendre ses distances avec les courants les plus progressistes de la nouvelle vague espagnole saisis en flagrant délit de perversion moléculaire. Tirer dans le tas, pour n’en tuer qu’un : Adrià. Quitte à identifier son « J’accuse » avec une forme de délation, invoquant l’intervention des escadrons sanitaires « car certains chefs servent à leurs clients des plats qu’ils ne mangeraient pas eux-mêmes ». Suivez son regard...

Santé publique La réaction de la profession a éclaté, aussi foudroyante qu’un éclair à ciel (jusqu’alors) serein. Du Madrilène Sergi Arola à Quique Dacosta en passant par le vétéran Juan Mari Arzak, la réponse a pris les contours d’une mise

au pilori, excommunication définitive avec le tapis rouge déroulé exprès jusqu’au bûcher. En l’espace de quelques jours, pas moins de 800 signatures ont ainsi validé un document officiel par lequel l’ensemble de la profession récusait les déclarations de Santamaria. Arroseur arrosé, à son tour accusé de vouloir discréditer la cuisine espagnole au sens large (elle se doit d’être d’avant-garde ou n’est pas) qui, grâce au génie Adria, a su conquérir le monde entier. Si de santé publique il s’agit au départ, dans cette polémique unidirectionnelle, c’est aussi la santé économique des caisses de l’Etat qui est en jeu. Les propos de Santamaria auront eu au moins le pouvoir magique de cristalliser pour la photo officielle un portrait de la grande cocina española autrement plus lézardé qu’il n’y paraît. Tous unis, derrière le drapeau du Front Populaire, contre l’exploiteur provocateur. Du lundi au dimanche, pas un seul jour sans que les principaux quotidiens – El Pais, La Vanguardia – ne s’étalent sur deux à trois pages sur l’affaire. Le débat rebondit partout : au plus près des hautes instances de l’Etat ainsi que dans la rue. Les inévitables sondages qui ont ponctué l’autodafé, montrent bien que si l’ensemble de la profession a fait bloc commun contre le provocateur désavoué, il en est autrement pour ce qui concerne la vox populi. Le boycott du récent congrès des Relais & Châteaux à Séville où Santi était avec son président le seul présent (comptez les absents : Arzak, Berasategui, Ruscalleda, Subiana etc.) montre bien la « fracture sociale » qui est celle de l’Espagne d’aujourd’hui. Une élite culinaire dont les acquis culturels, en phase avec la modernité laborantine européenne, semblent se heurter pour la première fois à l’incompréhension du grand public. À Barcelone, comme aussi à 03


en dirrect

« La cuisine moléculaire, c’est de la chimie pure »

Seul contre tous

Jorg Zipprick est journaliste gastronomique depuis une vingtaine d’années. Il collabore régulièrement au magazine allemand Feinschmecker et à Omnivore. Il a signé pour l’hebdomadaire Stern une enquête très documentée sur l’implication de la chimie dans la cuisine contemporaine. Entretien.

Certes, derrière l’attaque personnelle contre Adrià, Santamaria visait aussi (surtout ?) tous les suivistes qui ont pris le train des nouvelles techniques en route. Comme à l’époque des herbes en vadrouille de Veyrat ou des épices folles de Roellinger, c’est moins l’acmé des recherches d’Adrià que sa superficielle vulgarisation qui est en cause. On peut s’amuser de ce jeu de massacre qui est en train de briser définitivement l’image progressiste que l’Espagne avait forgée au long de ces vingt dernières années. Seul contre tous, le cuisinier de Can Fabes endosse sa mission avec une christique exaltation. Slow Food Espagne le condamne violemment (quitte à être désavoué par la maison mère italienne) ? Eurotoques se désengage de ses prises de position ? Santi rétorque alors en demandant officiellement la démission du groupe dirigeant de l’organisation, rappelant qu’un article interdit à tout membre de l’association d’utiliser des produits chimiques et non naturels. Mais, quelques jours plus tard, juste retour des choses, « El Periodico » fait son scoop révélant que, dans une de ses recettes, Santi utilise ce qu’il reproche à son illustre collègue : un additif stabilisant, la glycérine, dite aussi E-422. Et ainsi de suite, chaque jour déversant son lot d’huile sur le feu. Forçant même Ferran à rentrer dans le jeu, histoire de rassurer l’opinion publique, en déclarant que l’horizon de la cuisine traditionnelle – supposée être naturelle – a toujours été partie intégrante de sa recherche expressive. Il y en a qui pensent, comme Josean Martinez Alija du Guggenhein à Bilbao « que Santamaria a tout orchestré, s’offrant une campagne publicitaire pour discréditer l’ensemble de la cuisine espagnole pile au moment où il sort son dernier livre ». D’autres qui attendent – en vain – une prise de position de Gianfranco Vissani et Alain Ducasse, parmi les supporters du cuisinier de Can Fabes. À coup de communiqués de presse, de rebondissements mondiaux, on commence à voir pointer une pernicieuse mise à distance du système Adrià. De « Stern » au « Corriere della Sera », de l’« Herald Tribune » à « Time Magazine », tout le monde y va de son poids. N’empêche, entre Front Populaire (Cuisine populaire versus élitisme d’auteur), le tollé général provoqué par Santamaria ressemble de près à un cheminement mystique. On pourrait presque le lire comme un rituel suicidaire, indiquant le destin d’un calvaire, d’une quête de la sainteté à travers le refus de la modernité. Le truculent Santi Santamaria dans la (im)posture d’un nouvel San Sebastian ? Même s’il ne fait pas le poids, l’image est alléchante. Et pourrait nous rendre l’extatique Catalan un rien plus sympathique. Bien plus que sa cuisine, probablement. ● 04

Dans Stern, vôtre enquête s’intitule « Colique pour 5 personnes ». Titre très violent mais très argumenté. Quelle en est la trame ? Beaucoup de gens ne savent pas ce qui se cache sous la cuisine moléculaire, terme aussi stupide que le « technoémotionnel » récemment inventé. Or il s’agit ni plus ni moins que de chimie alimentaire. Tout le monde se pose la question de savoir si les nano particules sont dangereuses, personne ne se demande si c’est le cas pour ces composants chimiques que, pourtant, on nous fait ingurgiter ! Au fond, on a l’impression d’ingérer du bio, mais ce n’est évidemment pas le cas. Vendre ces produits, comme les Texturas de Ferran Adrià, est légal mais si on ne respecte pas certains dosages, cela peut avoir des conséquences sur le corps et la santé. Or aucun dosage n’est jamais indiqué… Le problème c’est que les fabricants, l’industrie chimique, utilisent des produits au centième de gramme près, ce que ne sait pas faire le cuisinier. Il me semblait impossible de condamner l’industrie quand elle bourre ses aliments tout préparés d’additifs et ne pas crier quand les cuisiniers en utilisent cent ou mille fois plus ! Vous citez plusieurs exemples très précis dans votre article… Oui, comme la spirale d’huile d’olive par exemple. Elle est confectionnée avec 103

Sophie Henkelmann

Paris, Londres ou Milan, la tournure de la question rituelle laisse peu d’espace, tel le traité de Lisbonne, à l’interprétation : « Préférez-vous une cuisine expérimentale ou une cuisine qui exalte la vérité du produit et de la tradition ? ». Le refus de l’innovation se doublerait-il d’un non à l’Europe ?

grammes d’additif pour 45g d’huile d’olive et 25g de glucose. L’additif est le E953, autrement dit l’Isomalte, pour une proportion de 103 grammes donc. Or il est établi dans la littérature médicale que 20g peuvent donner une belle diarrhée. La recette pour 4 te sert une diarrhée pour 5 ! D’où le titre de mon article dans Stern… Mais on peut aussi parler de la Cellulose de méthil qui est commercialisée aux Etats-Unis ou en Grande-Bretaggne sous le nom de Slendex. Elle est considérée comme laxatif pur. La British Health Agency essaie désespérément de la retirer... La cellulose n’est pas digérable par le corps humain, elle gonfle

l’estomac, donne un sentiment de plénitude, bref ça bouche les trous… C’est en gros de la pâte à papier ! Et on retrouve pourtant cette recette dans l’une des Texturas vendues sur le marché. La recette s’appelle « Tendres boulettes aux fèves ». Je vous laisse imaginer votre estomac confronté à ça. Le problème c’est que la cellulose est moins chère que l’agar-agar, le gélifiant désormais célèbre. Elle est beaucoup utilisée pour faire notamment des bases gélatineuse sur lesquelles on vient poser des petits pois par exemple. L’avantage, c’est qu’avec 1 euro de coût matière, vous pouvez ainsi réaliser une vingtaine de plats ! Est-ce pour autant un problème de santé publique majeur ? Certains spécialistes trouvent impensables que ce produit

soient encore en vente. Mais bien sûr, on reste dans un minuscule problème d’univers de luxe pour happy few qui a échappé, pour des raisons compréhensibles, aux contrôles des autorités sanitaires. Car c’est vrai que cela ne paraît pas grand-chose aux côtés de la grippe aviaire et de la vache folle. Mais il reste tout de même un réel problème de pédagogie. Pour éviter l’effet laxatif de la cellulose, on la plonge dans l’eau pendant 24h avant de la couper en gros morceaux. Après tout pourquoi pas, mais le problème c’est que les cuisiniers ne sont pas au courant de ça ! Ils ne savent pas pourquoi plonger la cellulose dans l’eau… Pourquoi, dans ces cas là, utiliser ces produits ? Comment la profession a-telle réagi à vôtre enquête ? C’était l’omerta ! Il a fallu donner à certains chefs toutes les garantis d’anonymat pour qu’ils puissent s’exprimer et donnent au moins un écho. Je me suis aperçu que ces chefs ne savaient simplement pas que la cuisine dite « moléculaire », c’est de la chimie pure. Ils pensaient que les journalistes les informeraient. Evidemment quand on a un service a géré, on ne fait pas forcément attention à ces produits et aux conséquences qu’ils peuvent avoir sur l’organisme. Mais j’en ai aussi un qui a expédié ces produits à la poubelle devant moi. Il venait juste de les recevoir... ●


PACO IN VIVO No.17 EN PARTENARIAT AVEC PACOCLEAN(1) Parce que la technique fait progresser les idées et la cuisine, Paco in vivo vous accompagne tout au long de l’année. Ce mois-ci, Nicolas Picaud chef des Deux Abbesses à Saint Arcons d’Allier.

Paco Philo

Ça c’est Palace ! DR

Le groupe Dorchester a inauguré cette année une formation « Palacité ». Où comment amener 40 jeunes de banlieues aux métiers du luxe. Reportage Sophie Cornibert « J’aime beaucoup ma façon d’être. Ma gestuelle, ma tenue ont radicalement changé ». Assise, jambes croisées dans le bar de l’hôtel Plaza Athénée, on peine à croire que Laeticia n’a pas toujours été cette demoiselle au port altier et à l’allure si distinguée. À 22 ans, elle vient juste d’intégrer la brigade galerie-bar-terrasse du palace parisien. Un poste en CDI qu’elle a obtenu après avoir bénéficié du programme « Palacité ». Un nom accrocheur pour une opération dont le but est de recruter de nouvelles têtes dans l’hôtellerie et la restauration de luxe. Pari peu évident dans un métier qui souffre de manière structurelle de l’absence de main d’œuvre qualifiée. Quand on demande à Ange, affectée au poste des petits-déjeuners, ce que représente pour elle « Palacité », elle répond sans hésiter « un début de carrière ». Il y a 4 mois, cette jeune fille de 21 ans qui se destinait au métier d’auxiliaire de vie, n’aurait certainement pas vu cette aventure sous cet angle. À la première sélection, ils étaient 200 jeunes, apprentis serveur, plombier, menuisier, à se présenter spontanément dans les couloirs du Plaza. Stéphane Sciortino, directeur de la formation au Plaza et au Meurice et instigateur du projet s’est fié à son intuition. « L’idée était quand même de sélectionner des jeunes capables de s’initier au luxe ». Ce n’est pas un hasard si « Palacité » a failli s’appeler le BAL des Palaces, ou Brevet d’Aptitude au Luxe. À l’issue de ce premier contact avec les tapis moelleux et les lustres de cristal, il ne reste plus que quarantecinq candidats. Stéphane Sciortino est bien conscient du décalage qu’il peut y avoir pour « ces jeunes débarquant de leur cité au Plaza Athénée, royaume du luxe et du clinquant », de leur appréhension à pousser la porte d’un palace. « Au début, je me sentais frustrée », explique Laeticia, peu habituée à côtoyer ce milieu. D’où une journée de coaching pour assimiler les codes, la tenue, l’habillement en milieu hautement privilégié…

Découvrir le travail d’équipe L’enjeu était de taille pour le directeur de la formation du Plaza et du Meurice : « j’avais peur d’avoir fait de mauvais choix et d’avoir mis de côté des jeunes qui valaient le coup ». Un investissement, une prise de risque pour un projet d’une grande ampleur, financé par le Conseil Régional d’Ile de France en tant que projet « Passerelle Emploi Entreprise ». Après la troisième rencontre, ils n’étaient plus que

vingt. Vingt stagiaires pour une formation de quatre mois. Des jeunes volontairement sans expérience, qui avaient tout à apprendre. « Après une journée d’intégration où je leur ai moi-même montré le produit « Palace », les différentes chaînes de service et les bureaux de la direction, nos jeunes étaient un peu déstabilisés, explique Stéphane Sciortino. C’était le moment pour eux de commencer la formation. » Laeticia avoue en avoir appris beaucoup sur elle-même et sur les autres : « J’ai pu découvrir le travail d’équipe. J’ai fait mon possible pour réussir. Pour ne pas décevoir les personnes qui ont cru en moi ». Les élèves ont suivi une formation de 560 heures étalée sur quatre mois, 3 stages dans les cuisines du Plaza et du Meurice (appréciation, adaptation et mise en pratique), un programme lourd, en adéquation avec cette ambition « Culture Luxe : s’imprégner de cette éducation ». À l’issue de ce stage, grand oral devant la direction générale, la mission locale d’Epinay, les professeurs et les tuteurs. « J’avais écrit mon discours sur un papier, je tremblais tellement que j’en bégayais, se souvient Laeticia. Quand on m’a annoncé que j’étais prise en CDI, je n’y croyais pas ». Ange, elle, a été émue aux larmes à l’annonce du palmarès tant attendu. Ces deux jeunes filles ont en commun de ne pas vouloir s’arrêter là. « Je me laisse moins d’un an pour évoluer » explique Laeticia, la rage au ventre. Ange est curieuse de voir ce qui se passe du côté de l’Angleterre. Mais toujours avec cette même idée en tête : « Il faut que tout soit impeccable. L’exigence est avec nous, nous voulons le meilleur pour nos clients ». Une réflexion d’une jeune fille bien à sa place, qui ne compte pas rester estampillée « Palacité ». Une fierté aussi pour les professeurs, pour Stéphane Sciortino qui ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. « C’est encore un projet pilote expérimental, qui demande encore plus d’assise. L’année prochaine, nous aimerions créer deux sessions de quatre mois pour ouvrir encore de nouvelles possibilités et cibler une autre zone géographique ». « Palacité » fait des envieux. Des entreprises viennent se renseigner sur la démarche à adopter. « Pourquoi, après tout, Cartier ou Vuitton ne viendraient pas chercher leurs hôtesses d’accueil ou vendeuses dans les banlieues, remarque le directeur de la formation du groupe Dorchester. En tout cas, des dispositifs mis en place par l’Etat existent et cette opération pourrait être institutionnalisée. » ●

Nicolas Picaud n’est pas nouveau dans la bande à Paco. Formé chez François Gagnaire, ce jeune chef de 31 ans a eu accès au robot très tôt : « Je m’en sers quotidiennement depuis quatre ans et demi ». Son chemin de cuisinier, il ne peut plus l’imaginer sans lui. « Grâce au Pacojet, on peut utiliser en toute fraîcheur tous les produits. Si je veux employer une herbe du jardin, je n’ai qu’à enclencher la machine, elle la respectera ». Le respect du produit, c’est ce qui anime Nicolas qui recherche le goût juste. « Le paco aboutit à un concentré de saveurs : on peut se permettre une glace onctueuse, homogène. Elle émulsionne à grande vitesse, sans trop d’ajout de gélatine ». Et puis, avec Monsieur Paco, l’erreur est permise, si Nicolas n’obtient pas la consistance qu’il souhaite, il peut recommencer jusqu’à ce que le résultat lui convienne.

IMPRESSION AÉRIENNE C’est le cas avec sa mousse au chocolat blanc gingembre. « Je cherche à la rendre encore plus légère, plus suave. Je veux que celui qui choisit ce plat ait une impression aérienne en bouche, qu’il sente les petites bulles ». Mais le chef ne se fait pas de souci, il trouvera cette juste texture à force d’essais et son compagnon robotisé sera là pour le soutenir. « La bonne cuisine, c’est du temps et de l’humilité. J’ai besoin de m’ouvrir l’esprit sur différents produits. Je dirais que je dois encore me trouver dans ma cuisine ». Arrivé seulement

Relais & Châteaux Les deux Abesses Le Château 43300 Saint Arcons d’Allier Tel : 04 71 74 03 08 www.lesdeuxabbesses.com

il y a quelques mois à la tête de la cuisine des Deux Abbesses et épaulé seulement par un commis, le chef ne se montre pas pour autant dépassé par les événements. Il a déjà des valeurs sûres, comme son « bar de ligne », réalisé en partie avec son pacojet, imaginé comme s’il sortait d’une écume constituée d’un bouquet de cerfeuil, blanchi et refroidi pour fixer la chlorophylle, avant d’être pacossée pour l’aérer.

LEÇON DE PRODUITS « Le but de ma cuisine est de partir de bons produits et de veiller à une cuisson impeccable qui ne les trahira pas ». Le produit, Nicolas va le chercher à la source, dans le jardin des Deux Abbesses. En ce moment, fraises, framboises, mini-légumes se partagent l’espace. Et si une asperge ou un melon ont décidé de pointer leur nez, comme ça, sans prévenir, vous aurez de grandes chances de les retrouver à la carte : « ma cuisine n’est pas figée, si l’on rencontre une difficulté avec un produit, il faut savoir réagir vite pour le remplacer ». La clientèle des Deux Abbesses vient dans ce Relais & Châteaux, avec une certaine idée de la grande cuisine « aisée et internationale, c’est mon rôle de ne pas la décevoir. J’essaie d’être juste, d’associer certaines saveurs, tout en n’essayant de ne pas submerger le palais de mon client » Nicolas Picaud est toujours en recherche, son paco à bout de bras, son « concentré de désirs », comme il l’appelle. ● (1)

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hasard alors si le mieux-disant professionnel, Jean-Paul Lacombe, ancien mentor de Léon de Lyon, est reparti bredouille. « Dommage qu’il ait fermé son restaurant étoilé avant même de découvrir qu’il n’avait pas été choisi pour Saint-Exupéry. »

Rue Le Bec

Les coups de Le Bec Il ouvre en janvier « Rue Le Bec », giga restaurant décontracté après avoir inauguré « L’espace Le Bec » à l’aéroport Lyon Saint-Exupéry… et avant d’investir l’Opéra Garnier à Paris. Rencontre avec un chef à la dent et l’appétit féroces.

buzz

Texte Andrea Petrini Photo Paolo Della Corte Le Bec ne touche plus terre. Ubiquiste survitaminé, il est sur tous les fronts : à l’aéroport Saint-Exupéry de Lyon. À l’Opéra Garnier de Paris. Et bientôt aux Confluents, futur méga lieu lyonnais sur les berges de Saône qui en fera tiquer plus d’un. Il se défend d’avoir la bougeotte, de ne pas rester en place. « Des journalistes ont dit que j’allais à Paris, d’autres à New York. Même Jean-François Mesplède (Le directeur France du Michelin, NDLR) m’a appelé pour me demander ‘alors, tu pars où ?’. Du coup, dix ans après mon arrivée en ville, où j’ai toujours été traité froidement comme un étranger, pour la première fois, à la veille de mon soi-disant départ, on me revendique enfin en vrai Lyonnais ». Il y est, il y reste. Et si Nico le Breton fait la nique, ce n’est pas à sa ville d’adoption mais à une conception surannée du métier : « Le grand restaurant, ses tralalas, son ballet figé, ça me fait chier. Je mange partout dans le monde, mais désormais les gastros de France, je fais presque tout le temps l’impasse », dit Le Bec qui n’a pas le bec dans sa poche. « Paris, c’est le défi. J’ai été touché que les fistons des frères Blanc viennent me chercher. Je leur ai dit oui avant même qu’on aborde de près le projet. »

Saint-Ex Le Breton de Lyon ouvrira donc pour l’été 2009 dans la capitale, avec le concours d’Addi Bakhtiar, l’éminence grise du Showcase, un lieu à double carte pour y picorer à toute heure et pour y manger plus confortablement une cuisine simple et saine. Un registre raisonnablement tarifé, dont les quelques rares concessions aux classiques du répertoire français seront en nette contradiction avec l’esprit du bâtiment, une 06

vraie création architecturale, point tributaire « de la traditionnelle brasserie parisienne qu’on va moderniser à outrance ». Il fait ses calculs : entre les 200 couverts en terrasse, les 30 de la lounge, les 15 du bar, les 88 assis au restaurant plus les 90 sur la mezzanine, ça va faire du monde au balcon. Mais la multiplication des nombres ne lui fait pas peur. « On va régler le ballet de près. Mais nous n’en sommes pas encore là, pour l’instant on va juste signer le bail. » C’est à l’aéroport de Saint-Exupéry de Lyon qu’on l’attendait en premier. Pour le démarrage fin juin, de l’« Espace Le Bec », un plateau flambant neuf avec vue sur le tarmac, 200 places assises plus un comptoir conséquent. Un restaurant pour voyageurs pressés. Ou, au contraire, avec du temps à tuer. Moyennant une somme quasiment forfaitaire de 25 €, assis à la grande table centrale ou dans ses satellites périphériques, ils pourront faire le tour des différentes formules d’une cuisine voyageuse et conviviale – œuf de poule en cocotte, bouillon de thé de crevettes à la badiane – , très axée sur les légumes : « Ils seront servis croquants dans un gros saladier, libre au client de les mélanger et de les assaisonner. » La soixantaine de happy few au comptoir n’aura que l’embarras du choix : foie gras au gros sel, méga parmesan, verrines, tartines de Poilâne (« comme ça, ça dégage la cuisine ») et une sélection trimestrielle d’une dizaine de vins au verre, tous au même prix, de 3 à 5 €. « Chaque ballon sera servi avec un label amovible indiquant l’identité du vigneron, des infos sur le domaine. Pour que le client parte avec un souvenir précis de ce qu’il a bu. On aura également une gamme de flacons ‘qui claquent’, ainsi qu’un salon privé. Pour ne pas mélanger les institutionnels et les touristes. Les Lyonnais, plus ils sont cachés et plus ils sont contents », sourit Nick la Nique aux convenances qui voit néanmoins dans son sacre à Saint-Ex le signe d’une tendance plus générale. Si depuis trente ans la restauration de l’aéroport n’avait pas changé de gestion, aujourd’hui avec la gare TGV, l’arrivée des compagnies low cost et de la Brasserie de l’OL attenante qui sert, mine de rien, 500 couverts par jour, on veut rajeunir l’image de Saint-Ex. Et toute la ville avec. Pas un

« Beaucoup d’ennemis, beaucoup d’honneur », clamait un célèbre homme politique. Nico en a déjà pas mal. Mais il se fera encore plus d’amis tous réunis autour de son présidentiel slogan « démocratisons la cuisine ». Son nouveau quartier général sera bientôt opérationnel. Près de la Saône, dans un coin des docks fluviaux qu’on appelle le Confluent, cette immense bâtisse de 1.000 mètres carrés, anciennement les Salins du Midi, dont la rénovation a été confiée à l’Angliche MacFarlan, abritera la « Rue Le Bec » – rien que ça. Un bunker élyséen pour le futur Soho lyonnais avec tout ce qu’on peut imaginer : 350 mètres carrés de cuisine, des kiosques à fleurs (« façon jardin du Luxembourg »), un immense chais à vins. Et tout le long des trentetrois mètres de la rue éponyme, des étals de produits, pour y faire son marché – légumes, poissons, de la boulange à n’en plus finir. Ainsi que des brochettes tandoori, des viandes rôties, des soupes de nouilles nipponisantes. Attention au très vintage Tube Citroën vintage avec soupe et sandwiches chauds en hiver, glaces et thés en été, clin d’œil à l’épicier du village. « J’ai décidé de mettre en vente mon gastro de la rue Grôlée après avoir visité Eat Italy à Turin. Un énorme centre commercial de la bouffe, avec des étals à tous les étages et où l’on croise, au milieu d’une multitude de cuisines et des meilleurs produits transalpins qu’on puisse imaginer, indifféremment des ouvriers et des Pdg. Du populaire, du convivial dans un temple gourmand peut-être perfectible mais en tout cas unique, inimaginable en France ». Rue Le Bec, Nicolas fera dans le produit et les cuissons immédiates – « imagine des superbes dorades sorties du four à bois » –, du goût dans la concentration de la simplicité (« tout ce que j’aime manger, le gastro n’a jamais été mon truc »). Concevant néanmoins pour la répartition des rôles et des marchés à l’étage un espace d’une vingtaine de couverts hyper select. « À côté du coin pour les cours de cuisine il y aura une œnothèque avec les plus grandes bouteilles. Au rez-de-chaussée, on fera dans les cuissons dites ancestrales et on y mangera presque pour une bouchée de pain. Le premier étage sera toujours consacré à une cuisine de produits, stylisée et assez proche de mon actuel restaurant, mais bien plus élitiste. » La mise en orbite est fixée pour le 15 janvier 2009 (« juste avant le Sirha »). Juste retour des choses pour confier les commandes de l’espace quasiment privé à son second Karim : « Un garçon formidable, époustouflant, j’ai rarement vu un gars aussi doué. L’année où Régis Marcon présidait le Bocuse d’Or, il a cassé la baraque. C’était lui le mieux noté, lui qui aurait dû remporter le trophée… » Chez Nick Le Bec, franc-manger rime avec franc-parler. ●


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Dossier Luc Dubanchet

Quatre garçons dans le vent

La cuisine et la restauration procèdent par vagues successives. Parfois c’est marée basse, rien à l’horizon. Puis soudain une déferlante s’abat sur le rivage endormi. On en deviendrait presque lyriques ! Mais c’est vrai que cela faisait longtemps qu’on attendait un peu de renouveau dans le PGF, le Paysage Gastronomique Français. Pas grand-chose à se mettre sous la dent depuis l’ouverture du Chateaubriand à Paris et quelques aventures dans l’hexagone. Et soudain, poum !, miracle, des naissances en pagaille à Paris et en Province. Certes pas au rythme effréné de nos voisins britanniques ou new-yorkais mais tout de même de quoi faire parler différemment de cuisine. Voici donc quatre garçons dans le vent, quatre nouvelles adresses des plus réjouissantes. Laurent Chareau, déjà connu de nos services, a eu le culot de s’implanter en plein vignoble sancerrois pour reprendre un rade de village. Deux coups de rouleaux et beaucoup de talent ont suffit à transformer Le Chat à Villechaud en bistrot exemplaire. Jean-Luc Tartarin fait son grand retour au Havre, avec un restaurant bien à lui et bien senti. Michel Troisgros inaugure La Colline du Colombier, un « resort » culinaire malin, là aussi en pleine campagne. Enfin, last but not least, une jeune tête fait son apparition dans ce paysage qui a temps besoin de jeunesse : Bertrand Grebaut s’est très vite fait remarquer à l’Agapè, table chic et prometteuse du 17e arrondissement de Paris. Un Tour d’horizon qui en dit assez long sur les nouvelles tendances de la restauration. 07


Chareau défriche Laurent Chareau, cuisinier lunaire, ancien chef des très parisiens Café des Délices, La Famille et Le Transversal, s’est expatrié à Villechaud, Nièvre, sans rien renier de sa créativité.

Il y a les parasols « Météor » jaune pétant qui flashent sur la place écrasée de soleil. Deux tables et quatre chaises en plastique moulé rouge qui n’attendent que l’heure de l’apéro. Et puis, forcément, un long bar carrelé qui n’a plus le charme d’antan mais permet cependant de reproduire ad vitam l’immuable attitude accoudée du buveur de bière dès sept heures du matin puisque c’est à cette heure là que Le Chat ouvre ses portes. Si ce n’étaient Jacky et cette banderole « changement de propriétaire » barrant la façade d’une arrogante typographie, on pourrait penser au premier coup d’œil que rien n’a vraiment changé au café-épicerie de Villechaud, Nièvre. Mais la banderole est bien là et Jacky aussi, lui qui n’a hésité que quelques minutes – « alors comme ça vous êtes journaliste… » – avant de venir s’asseoir pour regarder le visiteur manger. Et l’abreuver de paroles : « J’ai tout de suite su que c’était un bon ! Faut dire que mes beaux-parents tenaient un restaurant en Hollande ! » De quoi forger effectivement un jugement infaillible à ce sculpteur sur pierre. Mais il faut bien reconnaître que Jacky a raison. Dès l’entrée du jour, dans le menu à 14 euros, on comprend que Villechaud avec Laurent Chareau n’est plus tout à fait Villechaud. Ses Carottes en semoule, dattes, pignons de pin et menthe ont quelque chose de stratosphérique, d’ovniesque dans ce bourg de 1800 habitants raccroché à Cosne-surLoire en plein cœur des vignobles de Sancerre et de Pouilly Fumé. Et ce n’est pas faire injure au village « qui est tout de même aussi vaste que les vingt-et-un arrondissements de Paris » selon Jacky, que de dire qu’on 08

n’en avait jamais entendu parler. Jusqu’à ce que Chareau débarque, lui et sa nonchalance élevée au rang d’art de vivre.

Défricheur Ce matin, alors que la cuisine vient à peine d’être terminée, il reste imperturbable derrière son plan de travail. Une bonne odeur de basilic s’échappe du cul de poule qu’il s’ingénie à faire tourner. Elle viendra renforcer tout à l’heure le couscous servi avec le plat du jour. Décalé, Chareau l’est. Tignasse hirsute et bouclée tendant de plus en plus vers le gris, yeux de Droopy, parole rare, charisme mutique… Il y a deux ans, il s’était échappé de Paris dont il avait pourtant largement contribué au décoinçage culinaire et zygomatique. Arrivé début 2000 dans les bagages de Gilles Choukroun qu’il avait suivi de Chartres, il cassait avec lui la baraque au très regretté Café des Délices. La rue d’Assas se souvient encore du boudin/Saint-Jacques/ cacao imaginé par le jeune chef et interprété avec une précision d’horloger par son fidèle second, Chareau. Plus qu’un second couteau, il était déjà le bras armé d’une cuisine sans œillères, libérée des dogmes et des pratiques. Après le Café des Délices, Laurent Chareau changeait de rive mais pas de politique pour rejoindre l’équipe de La Famille (41 rue des Trois-Frères, Paris 18) où il émoustillait Montmartre avec les « miniatures » imaginées à quatre mains avec Inaki Aizpitarte son ancien commis de cuisine au Café des Délices, devenu depuis icône culinaire au Chateaubriand (129 av. Parmentier, Paris 11). Deux ans avant, en novembre 2005, ils ouvraient ensemble le Transversal, le restaurant du MacVal, le musée

d’Art moderne de Vitry et faisaient grincer des dents la critique en proposant en entrée un pépin de pomme… à 29 euros ! Clin d’œil au « véritable » prix d’une œuvre d’art. À Villechaud, pas si loin de Paris mais finalement oui, si Jacky savait ça, il casserait sans doute aussitôt de rage ses statues de pierre patiemment sculptées. Mais pour l’heure, il fait admirer au localier du Sancerrois, dument convoqué pour écrire un article, le matou qu’il a lui même offert à Chareau pour fêter l’ouverture de son restaurant. Le chat sculpté trône au dessus de la porte. Il observe d’un œil ironique les trois chalands accoudés au comptoir, visiblement en grande tournée. Ceux là ne viendront pas manger chez Chareau. Mais vous pourrez les côtoyer. Et tant pis pour eux qui ne connaîtront pas l’émotion d’un plat du jour hors norme comme cette tendre de tranche de bœuf, cuite saignante et servie avec une escabèche de tomates confites et des sardines légèrement fumées venant, en micro dés, réveiller le palais. Ils ne savoureront pas non plus la salade de légumes crus et cuits à la coriandre et aux oignons nouveaux où le subtil équilibre des pois gourmands, lanières de carottes, courgettes, haricots, fenouil, graine de tournesol grillées et courge tient par la cuisson al dente tout autant que par la grâce d’un assaisonnement dont quelques rares chefs possèdent vraiment la grammaire complète. En s’installant à Villechaud en défricheur, en résistant d’un savoir-faire culinaire qui recule face au surgelé et au tout préparé, Laurent Chareau fait beaucoup plus que de la cuisine : le pari, un peu fou mais qui semble ici maîtrisé, de faire découvrir à la Loire du vin blanc et des fromages de chèvre la subtilité de la jeune cuisine à prix hautement concurrentiels. Un cuisinier-citoyen vient de s’installer à villechaud, Nièvre. ●

Le Chat 42 rue Guérins 58200 Villechaud Tél. : 03 86 28 49 03 Menu : 14-18€ (déj.) – 26€ (dîner) Ouvert dès 7h30 pour le café/ pousse café et le blanc limé.


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Tartarin, la reconquête Après neuf mois de sevrage culinaire forcé, Jean Luc Tartarin, cuisinier lumineux, a ouvert son nouveau restaurant, toujours au Havre, toujours très bon… mais dans un esprit légèrement différent.

Jean Luc et Annabelle se l’étaient promis, ils feraient un bistrot. De loin, l’élégante façade du nouveau Tartarin fait cependant furieusement penser à un de ces « gastros » dont on se méfie de plus en plus pour avoir cisaillé durant trop longtemps l’appétit des clients. De l’intérieur, c’est un restaurant urbain, bien conçu, bien agencé. Du confort avec banquettes et fauteuils de cuir brun mais un espace suffisamment réduit pour ressentir l’effet d’une table vivante, grouillante même ce soir de juillet. Car depuis l’ouverture, Jean-Luc Tartarin fait le plein. Plus de mille couverts en juin, un chiffre d’affaire largement supérieur au business plan… Voilà un départ en fanfare, tout le mal qu’on lui souhaitait après la fermeture pénible et douloureuse de la Villa du Havre. « Une période pas simple, de combat », avoue-t-il pudiquement. C’est le moins qu’on puisse dire. En juillet 2007, le groupe Partouche, propriétaire des lieux et du fond de commerce, signifiait au cuisinier sa décision d’arrêter l’exploitation de la Villa du Havre, maison bourgeoise avec vue sur mer, pour des raisons financières. Une claque pour le chef et sa femme Annabelle qui venaient de vivre six ans d’osmose avec cette villa passée de l’état de ruine au statut de restaurant le plus réputé de la ville. La Villa fermée, Tartarin sur la touche, certains n’auraient pas été tristes de le voir définitivement sombrer. Mais c’était oublier un peu vite que le cuisinier amoureux de la mer était avant tout une vraie tête de lard. « J’aurais pu partir, entrer au service d’un autre groupe, ailleurs. Mais je voulais rester là, au Havre. » Créer son propre restaurant, c’était mieux exorciser la souffrance d’avoir dû éteindre un jour le fourneau, lui qui ne vit que par lui depuis qu’il a choisi ce métier. Car si certains chefs font

de la cuisine fusion, Tartarin est un fusionnel. Tout entier plongé dans sa cuisine. « Avec Nico, mon second, on a travaillé encore plus sur les textures, les goûts. Tiens, prends la raie, par exemple. C’est un produit qu’on a massacré par les cuissons au court-bouillon (le poisson poché dans un consommé frémissant) ou au beurre noir (le poisson arrosé au beurre – souvent brûlé – dans la poêle) et les assaisonnements trop forts comme les câpres. Généralement, c’est dégueulasse mais ça devient fabuleux quand tu la travailles poêlée d’un seul côté, cuite à l’unilatéral à la plancha. J’ai fait des essais, popopo ! »

Homard, coco Ce soir là, ce n’est pas de la raie, mais une lotte nacrée qui arrive sur la table accompagnée d’une émulsion verte, légère. Nouvelle déclinaison de la lotte après celle, sublime, poudrée de sumac qu’on avait mangé un jour à la Villa. La pureté est toujours là, l’évidence comme dans le maquereau poudré d’orange accompagné d’un capuccino de homard : un caillé de brebis rendu mousseux apportant ses notes aigrelettes à un bouillon de homard translucide au goût très net de crustacé.

Plus tard, logiquement, le même homard mais cuit sur carapace à très basse température arrive en grosse rouelle soulignée d’un trait de coco et de quelques dés de mangue. Le craquant de la chair, sa délicatesse mariée magnifiquement avec l’évidence du lait de coco… Tartarin, c’est vrai, avait promis : « ce sera plus simple… » C’est lumineux de limpidité, dans la grande lignée des plats déjà croisés à la Villa comme la lisette de Dieppe, rôtie-laquée d’un jus de betterave anisé et ces quelques dés de pêches blanches snackés. Ici, le pigeon cuit en vessie (mais oui, le chef s’amuse aussi à ressortir les bonnes vieilles techniques) marie sa chair rosée à un abricot mûr à point, juteux et velouté. Mais c’est au dessert que Tartarin vous cueille encore plus par surprise. Un millefeuille. Il arrive au carré et il suffit de tendre l’oreille dans l’assiette du voisin pour entendre le bruit caractéristique d’une très grande pâte feuilletée, croustillante de ses mille plis, légérissime, caramélisée. Elle se brise en milliers de fragments croquants au milieu d’une crème pâtissière purement jouissive. Quant au sablé pistache, ultime avatar sucré d’un menu dégustation prodigieux d’intelligence, il est une leçon de pâtisserie à lui tout seul pour son sablé délicat, grenu, beurré incomparable. Accompagnée d’une simple crème glacée à la vanille, de fraises des bois et de coriandre, il est la preuve tangible que Tartarin, après neuf mois de gestation, revient dans une forme indécente. Amaigri, fatigué… mais heureux. Nous aussi ! ●

Jean Luc Tartarin 73 avenue Foch 76600 Le Havre Tél. : 02 35 45 46 20 www.jeanluc-tartarin.com Menu : 28 € (dej) 40 – 80€ 09


Le cocon Troisgros À Iguerande, Marie-Pierre et Michel Troisgros ont imaginé un lieu unique, en pleine campagne. Le pendant « nature » de leur grande maison de Roanne. La Colline du Colombier a ouvert cette été.

C’est visible, ils sont heureux comme des gosses, s’appliquent à montrer au visiteur chaque recoin de cette nouvelle maison qu’ils ont imaginée durant des années et mis tant de temps à réaliser. Michel et Marie-Pierre Troisgros semblent avoir toujours vécu dans ce coin de campagne, au milieu de nulle part dans le Brionnais, au nord de Roanne, de la Loire, déjà dans le département de Saône et Loire. La Colline du Colombier est une impasse au bout d’un chemin de terre, à plusieurs encablures d’Iguerande dont le maire n’en revient toujours pas d’avoir vu débarquer un jour l’un des chefs les plus connus au monde. C’est en faisant du vélo que le cuisinier est tombé par hasard sur des bâtiments de ferme à peine occupés. Une grange immense, une petite maison, une longère avec un immense colombier... Tout autour, la campagne à peine bousculée par l’agriculture. Petit élevage et exploitations hélas de plus en plus rares. « Mais la maison n’était pas à vendre. Jusqu’à ce que je vois une annonce dans une agence immobilière. Je suis rentré illico, ai appelé Marie-Pierre et nous avons foncé. » La ferme devient leur propriété en 2000. Il a donc fallu plusieurs années pour que le « resort » moderne qu’ils avaient imaginé sorte enfin de terre, juste avant l’été. Un « gîte » dans l’esprit mais avec ce petit truc en plus qui a déjà fait leur marque de fabrique dans la rénovation de la grande maison de Roanne. Une passion immodérée pour l’architecture, l’art, le design, un goût inné qui les a toujours conduit à choisir l’essentiel contre le démonstratif, le dépouillement chic contre l’exubérance toc. La colline du Colombier, dans sa version champêtre, ne coupe pas à cette capacité de saisir le goût de l’époque dans un lieu tout entier. Dans la grange, se tient le « Grand couvert » autrement dit l’auberge, vaste pièce restée dans 10

son jus, ses murs de pisé encore apparents. « Il a fallu apprendre à l’entrepreneur local à ne surtout rien casser, ne surtout rien défaire », rigole Michel. La charpente a été déposée, remise en état avant d’être replacée à l’identique, les ouvertures d’origine ont été respectées, aucune nouvelle fenêtre percée. Seule concession à la modernité : un sol de ciment teinté répond au pisé des murs et un cube de béton brut semble comme posé sur le sol. C’est lui qui abrite la cuisine ouverte sur la salle, une pièce magnifique au piano Maestro induction et surtout une pièce de collection, un ilot central en inox martelé réalisé par Firminox, une entreprise de la région. « Il ressemble à un tableau de bord de Bugati », sourit Cédric, le jeune chef, venu du Central à Roanne, l’annexe de la maison. À la carte du « Grand Couvert », le bœuf de Charolais pour lequel un frigo à maturation a été spécialement aménagé devant la cuisine, au regard de tous, une truite aux amandes avec un formidable goût de beurre noisette, une friture de Noirétable, un flan à la Pomme absolument renversant… et des omelettes. « De qualité !, précise Michel. Les gars en ont fait des milliers à Roanne pour s’entraîner. Le personnel en a mangé pendant des mois ! Mais il ne s’agit pas de faire une cuisine nostalgique, plutôt une cuisine campagnarde en mouvement. » Peu de tant après notre passage, l’Auberge était prise d’assaut par une clientèle avide d’y goûter.

« Très sexuel » Les deux gîtes dans la longère sont de véritables appartements familiaux : deux chambres, une immense cuisine pour une famille de quatre

personnes. Là encore, les murs d’origines ont été simplement passés à la chaux, les parquets sont en chêne, les plans de travail dans la cuisine en bois brut, un jacuzzi trône juste sous le toit du colombier… Les meubles scandinaves et les poêles à bois s’assortissent avec les tapis africains tressés de plastique. Pour aller au bout de leur réflexion, ils ont demandé à l’architecte Patrick Bouchain d’intervenir sur l’espace de la Colline. Ce scénographe, collaborateur de Buren et de Bartabas, ayant représenté la France à la dernière biennale d’architecture de Venise, a imaginé trois « Cadoles », du nom des cabanes de vignerons dans la région. Implantées en contrebas du Colombier, ce sont en fait trois demi cylindres sur pilotis, comme trois roulottes tournées vers la campagne. La lumière pénètre par une immense verrière par laquelle on entre aussi. Une fois à l’intérieur, la Cadole est une alcôve de 60 mètres carrés avec cuisine et salon indépendants du monde extérieur. La chambre, nichée dans une structure d’acier tissée de chanvre est « un cocon, un sein, un truc très sexuel » selon son créateur. Ce sont des lieux à vivre en famille, bien dans l’esprit « resort » ou « ecolodge » apparu depuis quelques années dans les catalogues des voyagistes. Une manière dépouillée de vivre au milieu de la nature, alors que les années 80 et l’hôtellerie de luxe ont surtout produit de grandes machines à strass et paillettes… La Colline du Colombier se dessine comme le prolongement d’un chemin dans l’histoire Troisgros, commencée dans l’apparat bourgeois avec le grand-père, poursuivie dans le luxe distingué de la Nouvelle Cuisine avec les frères Jean et Pierre. Le choix d’une maison retirée de la route n’est sans doute pas anodin dans le parcours de Marie-Pierre et Michel Troisgros. ●

La Colline du Colombier 71340 Iguerande Tél. : 03 85 84 07 24 M : 34€


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L’heure des agapes Bertrand Grebaut, 26 ans, a ouvert en avril dernier Agapè, le restaurant dont Laurent Lapaire est le propriétaire. Ils s’étaient rencontrés chez Passard. Entretien avec un jeune chef plein de maturité.

Attention, je vais balancer, Bertrand ! Un de vos anciens copains de promo m’a raconté que vous n’aviez rien à foutre du dessin que vous étudiiez et ne pensiez qu’à faire la cuisine… Bertrand Grebaut : C’est vrai ! J’ai fait un bac littéraire puis l’école d’Art Penningen pendant deux ans. Mais ça me faisait vraiment chier. Je passais mon temps à faire à manger ou a tenter de savoir quelle table faire à Paris. Les potes me disaient d’arrêter pour me consacrer à ce que j’aimais faire vraiment. C’est comme ça que je me suis retrouvé à l’école Ferrandi, dans la section ES Cuisine, un BTS amélioré. J’avais 20 ans et j’ai commencé à travailler chez Marius et Jeannette avant le Scribe avec Jean François Rouquette puis la Table de Joël Robuchon à son lancement. Enfin, je me suis retrouvé stagiaire chez Alain Passard début 2006. Jusqu’à la fin de l’année 2007, j’ai fait tous les postes en tant que premier chef de partie. Qu’avez-vous retenu de l’expérience à L’Arpège ? Ça a été un traumatisme, dans le bon sens du terme ! Très concrètement, l’équilibre acide-gras, l’assaisonnement, les cuissons, le fait d’aller à l’essentiel, c’est là que j’ai tout appris. C’est comme le sel et le citron, je ne pourrais plus faire sans. La cuisson, c’est dur à expliquer. Sur les cuissons de poireaux, d’oignons, de petits pois, j’ai appris des trucs que j’ai même du mal à décrire encore aujourd’hui. Comme la cuisson a feu doux dans le beurre, à l’étuvé avec l’eau de cuisson, sans rien rajouter du tout. À l’opposé des cuissons snackées, violentes ou des cuissons à l’anglaise… Même si je ne partage pas sa manière de cuire les

poissons comme son turbot cuit entier au dessus du fourneau, sans presque jamais être au contact de la chaleur, j’admire sa manière de cuire la viande, comme cette façon unique de mettre le poulet dans le sautoir juste appuyé sur un os pour une meilleure propagation de la chaleur, sans jamais que rien ne passe au four. Passard travaille le cru aussi, je n’ai plus envie de cuire quoi que ce soit ! Vous en parlez avec ferveur. L’héritage est-il dur à assumer quand on devient son propre chef ? Tout cela est allé tellement vite qu’au fond, j’ai très peu d’expérience, je n’ai rien fait vraiment. Mais le choix de partir de l’Arpège s’est imposé à moi, je voulais faire des choses par moi-même. J’avais la possibilité de travailler à la création chez Ledoyen, mais Laurent (Lapaire, NDLR), le maître d’hôtel d’Alain passard durant dix ans est venu me chercher pour ouvrir Agapè. J’étais alors le chef de Quai Quai dont j’avais fait l’ouverture en janvier dernier à Paris. Voilà, je ne sais si c’est la chance ou la motivation qui fait que j’ai avancé comme ça. Mais au fond, tu as des facilités quand tu te rends compte que tu aimes suffisamment pour ne plus être fainéant… Qu’est ce qui vous touche en cuisine ? Michel Bras en 2003, qui m’a bouleversé avec le gargouillou. J’ai été complètement mystifié par sa cuisson de l’agneau allaiton, son gratin d’oignons doux à la truffe, un truc de fou... Quand tu débutes, tu imagines toujours des plats compliqués, des constructions, tu ne penses pas qu’il est possible de ne faire qu’un oignon, des légumes crus, cuits, des herbes, des traits de sauce qui n’ont rien à voir mais ont tout à jouer…

L’avis d’Omnivore

J’adore également le restaurant Kenji, rue de la Montagne Saint Geneviève, un eurasien mais dont le chef, en fait un vieux japonais qui a fait le tour du monde, fait une cuisine de malade. Le poulet cuit à basse température servi avec un œuf à la coque, un oursin entre deux lamelles de saint jacques… La croquette « vieux Tokyo », une farce de viande cuite, glace de veau, une purée froide liée un peu comme un cold slaw… Voilà ce qui me touche, me fait agir. Votre cuisine est très pure, directe, quelques éléments dans l’assiette, vous vous servez de ces expériences culinaires pour asseoir ce style ? Alain Passard m’a donné une ligne directrice que je pense garder toujours sur les grands fondamentaux de la cuisson et de l’assaisonnement. Pour le reste, ça vient surtout de mes goûts propres, tirés de choses super basiques, détournées comme cette crème d’asperges ce midi avec une émulsion d’orange qui n’est en fait rien de plus qu’une sauce maltaise…. Mais j’ai encore tout à prouver ! J’ai appris à faire du sur-mesure et c’est ce que je veux faire ici. ● 51 rue Jouffroy d’Abbans • 75017 Paris Tél. : 01 42 27 20 18 M : 39 € (dej) – 77 -110 € • C : 45-80 €

Comme les bons vins, Agapè est un restaurant qui ne demande qu’à vieillir. Le côté costume/cravates des premières heures après l’ouverture (avril 2008) qui pouvait faire fuir s’estompe peu à peu grâce à un Laurent Lapaire de plus en plus à l’aise dans son nouveau costume de propriétaire. D’accord, ce n’est pas ambiance karaoké mais la clientèle se fidélise, elle aussi se décoince, sous les coups de boutoirs culinaires de Bertrand Grebaut. Lui, peut aller encore plus loin - il le sait, nous aussi – mais le choix délibéré d’une cuisine anti-démonstrative, très nature, légère est en soi un joli pari dans un quartier bourgeois qui aime fondamentalement les plats du même type. Les Asperges vertes et blanches voilées d’un lard de colonnata, le maquereau (cru !) au radis green meat, coriandre et gingembre, le pigeonneau aux endives rouges braisées à l’orange sanguine sont des parti-pris beaucoup plus affirmés qu’on ne peut l’imaginer. Après trois déjeuners successifs, une montée crescendo dans la sensibilité, Omnivore recommande vivement Agapè ! 11


« Les voisins me disent qu’ils ne connaissent pas des bio riches. Tant mieux ! Ça sert à quoi d’être riche ? Entretenir des cabanes ? J’ai pas besoin d’avoir des maisons partout. On m’invite. »

danss la vigne

Corbirneau, c’est comme ça et c’est tout ! Reportage Sylvie Augereau Candes-Saint-Martin sert souvent d’image pour les vins de Loire en campagne. Un chapelet de vieilles maisons bicolores qui bénit la rencontre de la Vienne et du grand fleuve, ça cause. Les ruelles pavées d’un des plus beaux villages de France s’usent à longueur d’été des bipattes sciés par tant de pierres ciselées. Mais ils ne vont jamais voir au-delà des ardoises. Là-haut, sur le toit des eaux, de rares rangs de vigne émergent de mers céréalières. Une enclave de quelques pieds défie plusieurs hectares de blé. On entend déjà la colère du gars lancé sur sa moissonneuse, contraint soudain à freiner puis manœuvrer pour esquiver ce petit bout qu’il n’a pas pu acheter. Ça sent la résistance… Patrick Corbineau en est animé. Pendant 18 ans, il s’est gardé d’échanger une parole avec son grand-père. Celui-là avait privilégié l’oncle dans le partage des vignes. « Un jour, il s’est posté devant moi, appuyé sur sa canne. Il disait qu’ils allaient tout arracher, qu’il fallait que je reprenne. Mais j’avais un métier, moi ! » Patrick y est allé. Il a lâché la centrale nucléaire où on murmure encore qu’il était le plus grand soudeur du pays. « C’était mon seul salut. J’y ai commencé pré apprenti parce que l’école ne voulait plus de moi, que je me sauvais pour aller aux vignes. » Et il y est retourné. « Mon grand-père avait promis de m’apprendre. Il est mort le jour où il devait me montrer comment on montait les vignes dans le Champigny. Il avait fait le commis là-bas. » Là-bas, c’est tout près d’ici. Patrick Corbineau n’y met guère les pieds. Ça lui laisse la tête au frais. Il n’est jamais allé non plus à Paris. Tant mieux, on risquerait de nous le polluer. Un Corbineau, ça doit rester dans son écrin, bien campé sur des certitudes que la vie est belle et les yeux écarquillés quand on lui dit qu’on peut faire autrement. Pour lui, « c’est comme ça et pis c’est tout ! »

« C’est joli mais ça avance pas ! » Pourtant, il en a bavé. Les journées sont plus longues quand on avance tout seul dans les rangs et qu’on a décidé de ne pas succomber aux désherbants. « Le soir, quand je rentrais, 12

SYLVIE AUGEREAU

Le monde ne fabrique plus de Patrick Corbineau. Dans une tanière de pierre au-dessus de la Loire, le dernier des vignerons du village fait des vins naturellissimes sans se douter que Paris en boit. L’essentiel pour lui, c’est que ses voisins aiment ça.

je cochais les bouteilles vendues. Ça faisait pas l’équilibre. 600 la première année. Aïe ! » Mais il avait conscience de faire bon. Les vignerons d’à côté raillaient l’herbe dans ses vignes : « ce sera jamais mûr ! » Puis ils passaient goûter à la cave pendant les vendanges, bien longtemps après les leurs, et Patrick prenait sa revanche. « Regarde, toi, combien ça pèse de degrés, j’ai pas mes lunettes. C’est 13,2 ou 13,3 ? » L’allumé du cru a du répondant dans les raisins. Et quand on le voit labourer au cheval, on descend de son tracteur bruyant qui balance du désherbant sur deux rangs pour admirer le boulot et même s’y essayer. « C’est joli mais ça avance pas ! » « Pas sûr, mon cheval, il peut aller à 6. Toi tu plafonnes à 4 et demi sur ta machine. » Patrick a aussi un tracteur. Un vieux Massey-Fergusson de 57. Il caresse ses pneus tout neufs. « Belle semelle. Avec ça, j’aurais pu m’acheter des pompes… en crocodile ! » Ça ne lui irait pas du tout. Il est tellement bien dans

ses bottes… « Les voisins me disent qu’ils ne connaissent pas de bios riches. Tant mieux ! ça sert à quoi d’être riche ? Entretenir des cabanes ? J’ai pas besoin d’avoir des maisons partout. On m’invite. » Et c’est lui qui fait voyager. Quand on a besoin d’un peu d’air pur, on vient débusquer Corbibi dans ses grottes. À la tombée du jour, on y entend le cri du cabernet. Les sirènes de la Loire… « Mon père me reproche d’être là plutôt qu’aux vignes. Il croit que je viens me verser des godets. Mais y a du boulot à la cave quand tu travailles comme ça. Lui, il aurait voulu qu’on avance. Et on recule. Mais moi, les calculs, je ne sais pas faire. Si j’ai tant d’hectolitres faut que je mette tant de produit… ça m’échappe. » Corbibi fait du vin avec du raisin et pis c’est tout. Seulement, il croit qu’il est en sucre (et y’en a). Il l’égrappe à la main dans de l’osier tressé, le fait macérer doucement, le presse gentiment. Et hop, c’est entonné, bondé, scellé de cire, surtout pas sulfité et « ça ne bouge pas. T’ouvre quatre ans plus tard, c’est du nectar… Ça donne envie de vivre. » Dans les boyaux de tuffeau, les vieux foudres noircis de moisi attendent leur heure. Celle où on viendra les laisser glisser dans une bouteille, sans pompe, sans heurt… En insistant un peu, il y pique quand même la pipette, te remplit ras ton verre à pied (quand t’es une fille, t’as plus de chance d’en avoir un pas cassé) et cherche dans ton regard si tu l’as compris. Quand tu t’envoles en compliments oeno-poètiques, il confirme. « Oui. Ça, avec des patates… » Et alors il va chercher une bouteille de 89. Une brassée de roses anciennes. Y en a des tonnes. Il vient seulement de se décider à les commercialiser. Parce que c’est pas facile de voir partir les bouteilles, parce qu’elles ont une histoire et parce que c’est très long à étiqueter à la main… Désormais, Patrick a les bras de sa petite sœur. Elle a attrapé la même maladie. Il faut qu’elle en vive aussi. Mais on dirait bien que les sirènes de Corbibi se font entendre outre-Loire et qu’on va avoir besoin d’elle… ●

Touraine et Chinon de 10 à 20 € 4, rue de la Cour Dimière 37 500 Candes Saint-Martin 06 82 62 12 54


LA CAVE PERSO D’ANTOINE PETRUS CAVA BLANC, KRIPTA, BRUT NATURE GRAN RESERVA, AGOSTI TORELLO De fines bulles espagnoles avec beaucoup de vivacité, soulignée par des touches crayeuses et des fruits bien mûrs. Idéal avec des langoustines en tempura / nage corsée. La Serra, Sant Sadurni d’Anoa. Tél. : 93 891 11 73

Pétrus, millésime insolite

SANCERRE, CLOS LA NÉORE, EDMOND VATAN, 2006 Sur le fantastique terroir de Chavignol, en quelque sorte le grand cru de Sancerre, Edmond Vatan, véritable révélateur de terroir connaît mieux que quiconque cette parcelle mythique. Les 2006 sont

Antoine Pétrus, 24 ans, a remporté il y a quelques semaines le concours de meilleur jeune sommelier de France. Il fait figure de précurseur pour une nouvelle génération de sommeliers. Reportage Sophie Cornibert On le rencontre « chez lui », dans les Salons de L’Hôtel Crillon, attenant aux Ambassadeurs, le restaurant de Jean-François Piège. Assis, droit, dans son costume gris souris, Antoine Pétrus parle du long travail, « trois années » qui ont précédé sa victoire. «Je dormais cinq heures par nuit, entouré d’un coach en communication et d’un préparateur sportif. On peut dire que j’ai sacrifié pas mal de sorties entre amis. » Mais, aucun regret perceptible dans sa voix, plutôt une forme de sérénité, « ce sont les personnes qui m’ont entouré pendant tout ce temps qui réalisent pour moi, moi je n’ai toujours pas atterri, et tant mieux, ça me permet de ne pas regarder en arrière, et de continuer mon chemin ». Il raconte son parcours en toute simplicité. « J’ai fait un simple BTS d’hôtellerie restauration et, au lieu de réviser mes cours, je ne pensais qu’au vin. C’est à cette époque -là, que j’ai eu une révélation, j’ai visité trois cents vignerons en trois ans. » Parce que pour Antoine, le vin c’est d’abord une histoire d’hommes, « de toute façon, le vin ne marche pas seul : c’est une symbiose entre le sol, le cépage et l’homme. Sans les vignerons, nous ne sommes rien ». Passeur, entre d’un côté le vigneron, et de l’autre le client, Antoine Pétrus insiste sur la discrétion qu’exige ce métier, l’humilité :« il faut se comporter de la même façon, avec une bouteille à 30 euros qu’avec une bouteille à 10 000 euros. » En véritable prescripteur, il aime conseiller le vin à ses clients en étant « présent sans être pesant ». Cet esthète de la matière liquide a conscience de sa chance d’exercer dans un restaurant d’exception comme les Ambassadeurs. « Jean-François Piège nous offre une grande liberté, il y a un réel échange entre nous, il nous fait goûter ses nouvelles sauces. Elles deviennent une nouvelle base de réflexion, après, on peut apporter notre touche, notre note ».

Le vin fait peur C’est dans ces moments là que parle sa jeune mais déjà sérieuse expérience. Avant d’intégrer les caves du Crillon, il a passé du temps en Espagne, chez Ferran Adrià. « Là-bas, j’ai vu ce qu’était un créateur. Le chef est tout le temps

l’esprit en alerte. La première fois que je l’ai vu, il m’a serré dans ses bras, mais il aurait pu tout aussi bien être ailleurs. Il n’est jamais vraiment là, il cherche. Parfois, il fixe la mer, et pense. Quand on va chez El Bulli, on recherche cette forme d’expérience. Je me souviens d’un lièvre à la royale : peut être que les textures étaient moins évidentes, mais les goûts explosaient en bouche, je n’avais jamais ressenti ça auparavant. » Et dans cette succession de saveurs, de textures, d’odeurs, de chaleurs, le sommelier avait vraiment son mot à dire. « Les Espagnols ont une vision du vin et de la gastronomie incroyable. » En France, il n’a fait qu’appliquer cette formidable leçon de réflexion. « Comment une masse liquide peut-elle contenir autant d’éléments, sucré, amertume, vieillissement ? Et comment le vin parvient-il toujours à garder son entité géographique ? Le vin est une matière vivante, et la notion de millésime est là pour nous rappeler que rien n’est acquis. Que tous les ans, on doit repartir de zéro ». Une vraie maturité pour un jeune homme qui suit sa propre route des vins, guidé par sa passion mais surtout par « la volonté de donner une nouvelle image des sommeliers. Notre but est de rendre le vin accessible. Le vin fait peur, c’est une réalité, il faut que ça cesse ». Sous les marbres de la salle à manger du Crillon qui laisse parfois sans voix, souvenez-vous que le jeune sommelier qui vous aborde rêve d’« un vin blanc, tendu, cristallin, sec, sans forcément beaucoup de grains ». Vous serez forcément plus détendus après ça. ●

Les Ambassadeurs 10 Place de la Concorde 75008 Paris 01 44 71 16 16 www.crillon.com

encore un peu timides mais délivrent une pureté magique. Si vous trouvez des vieux millésimes, un seul mot : « foncez ! » Rue de la Sauloie, 18 300 Chavignol IROULÉGUY, HEXOGURI, DOMAINE ARRETXEA, 2005 L’appellation est encore trop sous estimée mais elle délivre une explosion d’arômes de fruits exotiques. Mangue, ananas, litchi en harmonie avec une persistance fascinante. Parfait mis en carafe, avec un bar confit ou un minestrone de légumes. 64220 Irouléguy. Tél. : 05 59 37 33 67

Petrus en 5 millésimes SEPTEMBRE 1999 Ma première dégustation de vin, au lycée. Une révélation ! OCTOBRE 2000 Premier cours d’œnologie. 21 AVRIL 2003 Stage au Restaurant Paul Bocuse à Lyon. 28 FÉVRIER 2003 Première rencontre avec Didier Dagueneau. 10 SEPTEMBRE 2007 Lauréat du Trophée Ruinart et sortie de son livre «Le Vin décrypté» aux Editions Solar.

CHATEAUNEUF DU PAPE, HENRI BONNEAU, 2000 Henri Bonneau avec son humour canaille, son œil malicieux et surtout ce don inné d’éleveur de grenaches intemporels est surnommé le « pape » de Chateauneuf. Après une gorgée de ces vins, vous comprendrez la magie qui l’entoure. Le Ballon Rouge, 181, allée du Quartier 30 200 Bagnols sur Cèze. Tél. : 04 66 50 83 96 TORO, YONNA, 2004 Direction l’Espagne, ou le cépage local le Tempranillo apporte son toucher de bouche profond aux arômes de fruits noirs juste rôtis et aux nuances épicées de la Grenache. Toro, c’est l’appellation du moment qui fera des merveilles sur un train de côte de bœuf (de Galice évidemment) et quelques tomates confites... Cave de La Colombe, Ruelle Morlot, 21 200 Beaune Tél. : 03 80 24 99 98

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route dess saveurrss

Avons-nous changé ? Quatre anciens de l’école hôtelière de Biarritz sont partis en juin 2007 pour un tour du monde des cuisines. Après plusieurs milliers de kilomètres racontés en dix numéros d’oMni, ils rentrent en France… pour mieux repartir.

Les 4 fab’ Laura Canderatz « 21 ans, BTS hôtellerie restauration option gestion mercatique. La plus gourmande de nous tous. » Benoît Doillet « 21 ans, BTNH, spécialisation dans la pâtisserie en restaurant, MCDR. Il coordonne le projet, l’image et les partenaires techniques. » William Cochet « 21 ans, BTS hôtellerie restauration option art culinaire et art de la table. Passionné, il aime faire plaisir, c’est le moteur du groupe. » Florian Thienpont « 23 ans, BTS hôtellerie restauration option art culinaire et art de la table. Il pense beaucoup, sa potion magique : c’est le bon vin ! » 14

TVG Paris-Biarritz. Similaire à celui d’il y a dix mois. Les mêmes visages. Des traits peut-être légèrement plus durs. Rétine vide. Manque certain de traduction. Juste l’encéphale en ébullition. Bouillonnement sur des évidences qui ont construit ces 60000 kilomètres. Comme ce problème de pénétration dans l’air du temps. Un manque de place prise sur un terrain qui devient de plus en plus miné. Ça s’essouffle loin du cœur de notre pseudo impéralisme de la casserole. Nos comptoirs français sont pris d’assaut par la nouvelle garde européenne. Les balises sont lancées et les « que font-ils en métropole? » commencent à roder autour des synodes toquées à Bangkok, Shanghaï, Jakarta, Singapour… et nous ne savons où encore. Oui, la commutation n’est toujours pas en approche et à voir ce qui se passe en France, ce n’est pas demain que la relève prendra l’avion. Primo, nos chefs restent en France pour se faire une place dans le paysage médiatique. Chose un tant soit peu compréhensible. Mais secundo, la jeunesse n’y est plus du tout ! Passage à vide où l’intérêt mirifique de notre credo n’est plus d’actualité, le voyage ne fait plus recette. Et pourtant, les places sont belles. Car d’autres n’attendrons pas de connaître le pourquoi du comment pour prendre place. Les étudiants savent où ils vont quand le far west se situe au delà de Saïgon River, quand une discrimination positive s’affiche, quand un cours de cuisine prend des connotations humanitaires, quand l’échange se plie à la règle d’un partage sans frontières. La vision des choses est différente. Tout devient relatif. Presque futile l’idée de repartir pour grandir dans une vie sans don de soi. Geste pour l’environnement de vietnamiens en manque de rien en ce qui concerne le réceptif, demandant tout sur tout, assimilant à la force d’une motivation sans relâche alors que les lycées hôteliers français

cravachent. Un retour est compris dans le package RDS, une promesse d’échange à long terme où les écoles de la route et plus encore ne formeront plus qu’une.

Bois, pilon, souvenirs Aussi bien que des goûts maintenant aux oubliettes. RDS, route de souvenance par la même occasion, ou se remémorer pour ceux qui n’ont pas continué à porter le flambeau. Nombre de techniques se sont éclipsées du quotidien. Indigestion. Le bois, présent partout, nous a rappelé au bon souvenir de flaveurs fumées, barbecues et cheminées au pouvoir salivaire fondamental. Le pilon fait toujours s’accoupler le jus, les atomes, la fibre du goût, les matières pour une osmose à la hauteur. Le couteau hache toujours de la meilleure des manières. Passons sur d’autres. Léger rappel d’une génération appliquant des choses sans fioritures à d’imperturbables tissus nature, saveurs de vieux, ancestrales valeurs, que le nouveau a réduit à un état léthargique avancé, a poussé vers le cimetière des vieilles gloires. L’ancien ne mérite pas seulement le respect mais de proroger son existence devant les chamboulements présents et futurs. Des techniques fiables nous tendaient les bras et mai 68 ou que sais-je les a jeté par la fenêtre. Constatation d’un oubli. Comme un écolier omettant d’utiliser la plume au profit de la bille, pourtant l’écriture est si distinguée, pourtant le tison est si délectable.

estivaux de forte affluence, quand, avec candeur ou tout simplement par pitié, le touriste ou plus encore nous, à la recherche de tout, nous faisons gentiment agresser par des « Where are you from? » sympathiques d’approche avant des « very cheap ! » antipathiques guillotinant le charme de leur patrimoine. L’Egyptian Spice Bazaar d’Istanbul, le Floating Market de Bangkok ou encore une bonne partie des marchés centraux de capitales sont des démonstrations par excellence de cette arnaque où le produit n’est qu’un prétexte à la vente de sacs falsifiés. Tout est dit. Le dégoût inonde. Où trouver cet or aromatisé maintenant ? Au fond des sacs peut être... Quai de gare biarrot, usuel et blafard, mais qui, l’espace d’un sifflement, célèbre notre quête spirituelle vers le levant sacré. Toujours le même. Avons-nous changé ? L’avenir nous le dira. Quoi qu’il en soit, des valeurs se sont ancrées. Alors des mercis dans les yeux. Puis à venir trois semaines de Tour de France pour rencontrer les étudiants. Là, un plateau de fromage fera assurément rugir d’un plaisir retrouvé. Il y a la pensée que toutes les personnes qui ont participé à l’échange puissent être réunis un jour, et partager encore. 10h01, quelque part, l’appel à la prière interrompt une bouchée, ailleurs, les braises du tandoor travaillent la matière, loin, des baguettes se croisent et se décroisent, ici, les images se chevauchent derrière un voile opaque. Fascination. ● On the road again : vous retrouverez deux des membres de la Route des Saveurs dès le prochain numéro d’oMni. Direction : l’Amérique !

Le dégoût inonde

La Route des Saveurs est soutenue par Rougié et Omnivore

Et ce tourisme qui détruit tout. Dollars. Ce que nous sommes pour la majorité de ces personnes qui vendraient père et mère, culture et origines, donc leur âme et leurs halles pour remplir leur porte-monnaie. Mais cette population n’aspire qu’à égrainer de l’inanition en ces temps

Rougié. Euralis Gastronomie Avenue du Périgord - F-24200 Sarlat Tél : 05 53 31 72 00 - www.rougie.com

omnivorre


e al ! n i s tiv is u s c es a f l un e t Tou danss

OMNIVORE FOOD FESTIVAL DEAUVILLE 23-24 FÉVRIER 2009


Moreno Cedroni

à lirre

Carlo Cracco

Paolo Lopriore

A sei voci

Enrico Crippa

En donnant la parole à six chefs italiens, Alessandra Meldolesi et Bob Noto signent un ouvrage essentiel pour comprendre la cuisine d’avant-garde. Texte Andrea Petrini Photos Bob Noto

« 6 : Autoritratto della cucina italiana d’avanguardia » par Alessandra Meldolesi et Bob Noto, aux Editions Cucina & Vini 70€. Le livre est dédié à Andoni Luis Aduriz et Johann Willsberger www.cucinaevini.it cucinaevini@cucinaevini.it 16

On l’a dit et redit. On a même attendu l’avis lapidaire d’une incorruptible professionnelle, Andrea Wainer, de la libraire parisienne La Cocotte : « T’avais raison : c’est magnifique ! » On aurait pu en rester là. Et se borner à répéter que « Sei » est – et de loin – le livre de cuisine le plus pertinent que l’actualité culturelle nous ait livré, fin 2007, toutes origines et pays confondus, sur nos tables de chevet. Un ouvrage conçu à quatre mains, mais chacun à sa place, par deux francs-tireurs que voici. À ma gauche : Alessandra Meldolesi, théoricienne bolognaise de la cuisine d’avant-garde transalpine (que l’on nous permette cependant de préférer le terme de « cuisine de poésie » en hommage au cinéma de poésie de Pier Paolo Pasolini). À ma droite : Bob Noto, notorious Turinois et designer touche-à-tout ici en démiurge de l’appareil photo. « Sei », d’après le chiffre six – six, comme les six protagonistes – mais aussi d’après l’indicatif présent du verbe être – « tu sei, tu es » –, draine un grand nombre de thèmes et de lignes de fuite. En tournant d’emblée le dos aux formules

galvaudées. Exit donc la monographie à la gloire narcissique du cuisinier unique. C’est à travers la pratique collective, le foisonnement de méthodes et d’attitudes de quelques-uns des chefs les plus en phase avec leur époque, que les deux auteurs construisent un portrait polyédrique de la création en devenir. Le casting est fichtrement d’envergure : de Massimo Bottura à Davide Scabin, de Moreno Cedroni à Carlo Cracco, d’Enrico Crippa à Paolo Lopriore. Des vétérans de l’Omnivore Food Festival, tous partisans d’une « cuisine-monde » – la nature et la culture, l’ironie et la réflexion, le chaud de la passion et le froid de l’épistémologie – qui constitue aussi un portrait de vingt ans d’évolution italienne. Sous l’égide de Gualtiero Marchesi, patron spirituel de l’essor transalpin, et d’une maxime du compositeur John Cage, maître ès-aléas sonores et anachorète du monde végétal – « Laisse tomber l’art et ses buts : nous ne sommes pas encore sûrs des carottes » (1) – « 6 » prend son essor en déclinant son parcours en dix points thématiques.

Dentirifice de Fish & Chips C’est à l’aune de ces recoupements (Ironie, Covers, Nouvelles Techniques, Contaminations & Syncrétismes, Minimalismes, Food Design, etc.)

que les recettes trouvent, plus que leur simple raison d’être, une vraie résonance collective. Comme chaque chapitre (« L’ironie est un registre fondateur de la cuisine d’avant-garde pour court-circuiter les modes et le déjà-vu ») les recettes du team des cuisiniers sont ponctuées par une mise en perspective conceptuelle qui en explore les genèses hasardeuses et les intuitions paradoxales. D’où vient cette idée saugrenue – mais oui !, c’est du Cedroni tout craché – de présenter des Fish & Chips façon frites diaphanes accompagnées d’une mayo de calamar que le client fait gicler d’un tube de dentifrice ? D’une réflexion sur l’ironie : « Aux origines du rire, on tombe d’habitude sur une chose inattendue. La première approche d’un plat est visuelle, l’effet ironique peut être obtenu en creusant la présentation. » Quelle est l’origine des translucides lentilles de contact de gelée de lait et de barbajada, boisson milanaise au typique goût de café, que Carlo Cracco offre en pré-dessert ? De l’observation rapprochée de Matteo Baronetto, bras droit du grand cuisinier lombard, myope comme une taupe. Et si cet


Davide Scabin

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CARNETS VOL.01 ISINECULINAIRES DE CU LEURES DÉMOS LES MEIL D FESTIVAL 2007 OMNIVORE FOO

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Les meilleures démos culinaires de l’Omnivore Food Festival 2007 10

GRANDS CHEFS AU CŒUR DE LA CRÉATION

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De gauche à droite : Enrico Crippa, Paolo Lopriore, Davide Sabin, Massimo Bottura, Moreno Cedroni et Carlo Cracco.

1 an d’abonnement à oMni : 70 €* seulement. Avec en cadeau, le DVD Carnets de cuisine vol.01 Prénom .......................................................................................................................................

essaim de nanoscopiques poissons en friture façon tempura, l’un des plats-signatures d’Enrico Crippa, était, bien sûr une réécriture du plat qu’il mangeait sur la côte amalfitaine – du menu fretin pas éviscéré, fariné et frit dans la foulée – mais aussi un hommage au pointillisme nippon ? Dixit justement Roland Barthes à propos du Japon, ce pays « où les choses ne sont pas petites uniquement pour être mangées mais sont aussi comestibles pour accomplir leur essence qui est celle de la minutie ». Et ainsi de suite, suivant le travelling méthodologique du livre qui nous mène à travers des territoires inexplorés, là où les nouvelles techniques culinaires (« L’histoire des arts est une séquence de ruptures technologiques ») dialoguent avec la SF, la synesthésie et même avec le réalisme surnaturel de Gabriel Garcia Marquez et Jorge Louis Borges. Drôlissime – ironie oblige –, iconoclaste comme il se doit, analytique et frondeur, « 6 » décloisonne les frontières entre sucré et salé. Que ce soit le work in progress de Massimo Bottura autour du Sud (« Pâtes et cocos/ Nord Est » en gelée de borlotti sucrés, poudre de légumes au Pacojet, choc du cacao et du pain aux épices et radicchio caramélisé au miel de poivre blanc du pâtissier

Nom .................................................................................................................................................. Profession .............................................................................................................................. Société ......................................................................................................................................... sicilien Corrado Assenza), les Croquettes de chocolat, chinotto et caviar de Carlo Cracco ou l’intensité lyrique du Semifreddo au fenouil alpin et sucre fumé de Paolo Lopriore, les recettes de cet ouvrage tissent des dialogues à distance, font résonner des rimes et rappels. Et composent le portrait d’une génération emblématique bien au-delà des confins européens. À ces niveaux de lucidité et de partage culturel, de radicalisme propulsif et d’inflexion introspective, « 6 » marque un véritable tournant, un point de non-retour – aussi fondateur que le premier Bulli Book de Ferran Adrià en 1993. À quand une édition en anglais… et en français ? ● (1)

Il est connu que le compositeur américain, lauréat de son célèbre « 4’ 33 » » d’absolu silence présenté en première mondiale au Maverick Hall de Woodstock (sept ans avant le festival rock du même nom) participa en 1958, dans le rôle du mycologue savant, pendant plusieurs semaines en Italie à l’émission « Quitte ou double » menée chaque jeudi soir par la star du petit écran Mike Buongiorno.

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plat du moiss

Avocat, bar mariné Aux chimpanzés gastronomes, Alexandre Gauthier envoie un cube avocat façon 2001 Odyssée de l’Espace. Texte et photo Luc Dubanchet Un plat beau, c’est rare. Mais qu’est-ce qu’un plat beau ? L’inverse d’un beau plat… Le beau plat est immédiatement détectable par sa volonté de porter beau, il a toujours le clin d’œil de trop - l’herbe qui n’a pas d’histoire avec les éléments qui composent le plat, l’assaisonnement trop voyant qui zippe l’assiette – cette manière un peu grossière des clins d’œil appuyés : « Eh, regardez comme il est beau ce plat, regardez comme on n’a rien oublié des franfreluches et des tralalas, ça vous plaît hein, ça vous plaît ! » Ces plats là ressemblent souvent au stock de Conforama : du simili cuir partout, jouxtant l’imitation de console Louis XVI. On les trouve dans certains palaces, dans 18

les mangeoires internationales ou dans quelques maisons bourgeoises qui se piquent encore d’un véritable savoirfaire à la française. Il faut le savoir, ça existe et l’on n’est pas obligé après tout d’aller y manger. Le plat beau, c’est donc l’opposé. Il vous en tombe comme ça une poignée dans l’année. Il arrive souvent au même endroit, comme la ponctualité d’un vol de cigognes, parce que la très bonne cuisine se fait souvent au même endroit. Rien d’anormal donc à trouver l’un des plus beaux

plat beau (sic !) de l’année chez Alexandre Gauthier. Le garçon nous épate depuis bientôt quatre ans par ses parti-pris affirmés autour de quelques idées fortes : peu d’ingrédients mais concentration de saveurs hors du commun, sens de la proportion (l’œil s’accapare immédiatement l’espace de l’assiette, le circonscrit très vite, le rend familier), dispositif scénique systématiquement excentré… Le cube d’avocat tombe ainsi sous les yeux façon bloc impénétrable dans 2001 L’Odyssée de l’Espace.

Cube mystique On se retrouve comme les chimpanzés de Stanley Kubrick à tourner autour de cette surface lisse et soyeuse. La gangue verte et charnue de l’avocat laisse à peine dépasser

une fine lamelle dont on saura quelques instants plus tard, en croquant, qu’il s’agit de bar. Le chimpanzé se saisit alors de sa fourchette et fouraille les entrailles du cube mystique. C’est une compression d’avocat et de bar, deux chairs intiment mêlées sous presse par le cuisinier. L’avocat est préservé dans sa texture, des morceaux fermes mais fondants s’agglomèrent aux lanières de poisson translucides. Le plat beau est toujours la conséquence d’une logique, d’une sorte de manger « utile » et pragmatique. Dans ce cas précis, la dent, la langue puis le palais entrent logiquement en contact avec une chair d’avocat à bonne température qui se délite délicatement, laisse sur les papilles une première touche d’onctuosité enrobant le poisson qui croque quelques fractions de secondes plus tard sous la dent, libère l’iode et procure une nouvelle décharge de douceur cristalline. Ce serait

AUBERGE DE LA GRENOUILLÈRE La Madelaine-sous-Montreuil 62170 Montreuil Tél. : 03 21 06 07 22 www.lagrenouillere.fr Menus. : 33 (déj.)-55-75-90 € Carte. : 67-87 € Ch. : 75-100 €

déjà formidable si on en restait là. Mais un plat beau va toujours plus loin… Tout à côté du gros cube, de minuscules cubes ont été laissés au bon soin de la fourchette. Elle les embarquent au passage, les associe à l’insu du chimpanzé dans sa bouchée préparée. Et après le suave, sous l’onctuosité de l’avocat et du bar, perce soudainement le piquant et le sel de micro peaux de concombre saumuré sous vide durant une dizaine de minutes avec de la sauce soja. Choc salin, mat et croquant sous la langue et la dent qui redonne l’envie de plonger un peu plus au cœur de l’avocat. Voilà, le chimpanzé gastronome et journaliste tient son plat beau du mois ! ●


Par Andrea Petrini

Nos Escort Boys – mais si la boîte fait des bénéfs, on embauche aussi Elvira Masson, Sophie Cornibert et Chantal Gagnaire – sauront mettre tout leur professionnalisme situationniste au service de votre entreprise. Et il n’est pas exclus que Christian Laval, transfuge du Spoon parisien et désormais maître de cérémonies ducassiennes au Dorchester londonien, ait suggéré à A.D. en personne d’embaucher sur le champ notre précieux collaborateur Joe Warwick. Vous auriez dû voir ce vieux lascar de Joe faire pleurer l’autre soir le sommelier, le prendre par les sentiments, lui racontant, pendant qu’il débouchait un Sauvignon helvétique, la Swiss-attitude des déjeuners dominicaux au domaine viticole des beaux-parents, s’enquérant du Feng Shui de la salle (« As-tu vu en rentrant au Dorchester la déco du Grill ? On dirait du Vivienne Westwood on acid ! »), rivalisant en slang upper class avec

hungrry/angrry

Pas d’art sans pognon

les requins de la City de la table d’à côté. Puis donner son absolution définitive : « Les Anglais ne comprendront jamais Ducasse. Pour lui, le beige c’est Chanel, la couleur du chic ultime. Pour nous autres Britanniques, la tonalité chiasseuse des fringues des vieux ». Là aussi, à ce moment de nos pindariques envolées philosophiques, Christian parti en aval et en amont, il y avait une sacrée Brunette qui aurait mérité une triple augmentation sur le champ, mais hélas !, depuis le QG monégasque, Emmanuelle Perrier (4) – la traîtresse ! – s’est refusée de nous filer ses coordonnées. Pour elle, on aurait un CDI mordicus. Il n’y a pas d’art sans pognon : ça coûte vraiment bonbon de s’offrir nos garçons ? Certes, nos interventions se chiffrent à bien plus qu’une semaine en pension complète au Plaza Athénée. Mais pour peu que les entreprises les plus fortunées (on a RV chez Camdeborde la semaine prochaine) se donnent les moyens en se payant le Boy’s Band au grand complet – disponible en option pour certaines dates avec une guest star d’exception : Sylvie Augereau dans le rôle d’Amy Winehouse – nos Ghostbursters s’engagent par contrat ‘satisfaits ou remboursés’ à résoudre même la hantise des cas les plus désespérés. Vous imaginez Andy, Sebby, Manu, Juli, Joe, Baptiste et Amy réunis en direct planétaire depuis les salons du Meurice ? Le rêve. Mieux que le Live Aid : Take That ! est de retour. ●

Chrronique de la bouffe orrdinairre épissode 8

Symbole d’élégance au milieu de pingouins fringués en sacs de patates : la silhouette élancée de Jean-François Piège à Londres pour la remise des World’s 50 Best Restaurants. Lorsqu’on fit remarquer à l’Ambassadeur des Ambassadeurs notre étonnement quant à sa parure vestimentaire, incarnation de l’Eternel Masculin selon Heidi Slimane, Piège rétorqua, à côté d’Inaki, Franckie et Frédo tous so Chateaubriand et Martin Margiela : « Qu’est-ce qui t’a pris d’écrire tes trucs pareils sur le Meurice dans le dernier Omni ? Tu veux que je me brouille avec Alleno ? » À défaut de perturber la promiscuité d’une cohabitation aussi géoproblématique que la solubilité « pompadourienne » du feu gouvernement Balladur dans les viviers de banlieue (cf. « La Haine » de Kassovitz,1995), nous avouâmes alors à JFP, seul JFK du New Deal des Palaces parisiens, que précisément ce soir-là, au Dali de Yannick mais sans Amanda Lear, ancienne égérie de Salvador (1), nous avions trouvé, le Graal de notre vie. Finis les reportages, le globe trotting insensé, le découpage en quatre des ailes d’une mouche dans l’assiette (2), les serviettes inlassablement laissées tomber – à la Pudlo de Funès – pour chronométrer en combien de secondes les laquais viendraient les ramasser – ou les témoignages à visage caché sur l’insondable ennui de ces très peu baudelairiens paradis artificiels que l’on nomme encore dans le métier « restaurants ». Oui, finis ! Cuisiniers, restaurateurs, financiers : vous avez besoin de notre team. De Petrini et Demorand. De Joe (Warwick) et Manu (Rubin). De Juli (Papacchioli) et Baptiste (Piegay). Soit les magnifiques Escort Boys d’une PME de virtuoses révélant, façon les verres de dégustation justement nommés « Les Impitoyables », qualités et faiblesses, bonne humeur, ambiance et pertinence foodesque d’un restaurant. Allouezvous nos services : il faut toute notre élégance

ROGERCASAS

ESCORT BOYS À LOUER

diserte et exubérante, notre histrionisme picaresque (sur le terrain, Seb fait de tout, mais n’embrasse pas – sauf les sommeliers) ou l’appeal citationniste de Baptiste (3), Wonder Kid que l’on donne volontiers en gagnant d’un remake des « Contes de Canterbury », pour pointer les hics et les couacs, le potentiel de longévité et de rentabilité d’une salle à manger. Vous trouvez par exemple que le service chez les Bourdas à Honfleur est inversement proportionnel à la cuisine – coincé et figé ? Comptez sur les Petrini’s (dans notre famille, même les mineurs gagnent leur pain à la sueur de leur front et de leur ventre) pour le petit grain de poussière susceptible d’enrayer l’engrenage. Comptez sans crainte sur Baptiste pour éblouir à Paris, avec son sourire très Orange Mécanique des beaux quartiers, l’ankylosant formalisme de l’Agapé (voir également p.11), hésitant en vilain coquin entre carte et menu, faisant tourner toutes les têtes (en particulier les garçons en goguette), intercalant l’élégance de son pull très « fin d’octobre à Cambridge » (du cashmere, isn’t it ?) avec une intendance de costards cravatés et de bourgeoises sapées comme des sapins de Noël. Pas besoin d’attendre, six mois plus tard, le tardif verdict de GM Magazine : c’est d’ores et déjà dans le direct live de la soirée, dans le sourire épicé de Piegay que staff et convives trouveront confirmation des sensuelles assonances vanillées du Carpaccio de veau. Et qu’on ne nous fasse plus le coup « on vient juste d’ouvrir, on a un seul livre de cave pour toute la salle, faites donc vite votre choix ». Gare à vous : d’une seule réplique assassine (« Apporteznous alors sa petite sœur », sous-entendu la frangine de l’Hortus rouge 2005) Piegay prend littéralement la circonspection du sommelier/ patron à son propre piège, soulevant – par son estocade à la John Cheever – l’enthousiasme de nos voisins monoparentaux. Payez-vous Piegay, ça vaut le coup : après la Pêche côtière du Guilvinec, l’Agneau aux aubergines fumées et même après le(s) desserts, c’est l’inspecteur idéal, toujours prêt à rentrer dans la fosse aux lions pour apprivoiser les fromages (« de Bernard Anthony, à tester »). Et à braver l’admiration de la salle désormais unanime dans un standing ovation de soir d’élection présidentielle sous la houlette de la Brunette, extra-serveuse omnivorienne aux jambes de gazelle et mythique Marianne du restaurant (pour le rôle, « décolletons » son chemisier) qui semble s’être hélas tardivement rendu compte de notre présence.

(1) Et des Roxy Music dont elle incarna la couv’ du deuxième album, le justement titré « For your pleasure » (2) Et même pire. En 1990, alors que David Cronenberg nous décrivait les Mugwumps, créatures mutantes amphibies, et les effets spéciaux nécessaires pour les incarner dans son futur film « Le festin nu », les feuilles de la salade paysanne que le cinéaste canadien picorait distraitement révélèrent à nos yeux deux vers de terre enlacés dans une empathique étreinte copulatrice au creux de son assiette. (3) Baptiste Piegay est le co-directeur avec Thomas Erber du « Courrier Musical » dont le premier numéro, très très buzzé, sort enfin cet été. (4) Directrice de la communication du groupe Alain Ducasse.

Cuisiniers, restaurateurs, financiers, vous avez besoin de notre team. Soit les magnifiques Escort Boys d’une PME de virtuoses révélant, façon les verres de dégustation justement nommés « Les Impitoyables », qualités et faiblesses, bonne humeur, ambiance et pertinence foodesque d’un restaurant. 19


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