Édouard Schuré : son oeuvre et sa pensée / Alphonse Roux et Robert Veyssié. étude précédée de la Confession [...]
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Roux, Alphonse (1874-19..). Auteur du texte. Édouard Schuré : son oeuvre et sa pensée / Alphonse Roux et Robert Veyssié. étude précédée de la Confession philosophique / d'Éd. Schuré.... 1914. 1/ Les contenus accessibles sur le site Gallica sont pour la plupart des reproductions numériques d'oeuvres tombées dans le domaine public provenant des collections de la BnF. Leur réutilisation s'inscrit dans le cadre de la loi n°78-753 du 17 juillet 1978 : - La réutilisation non commerciale de ces contenus ou dans le cadre d’une publication académique ou scientifique est libre et gratuite dans le respect de la législation en vigueur et notamment du maintien de la mention de source des contenus telle que précisée ci-après : « Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France » ou « Source gallica.bnf.fr / BnF ». - La réutilisation commerciale de ces contenus est payante et fait l'objet d'une licence. Est entendue par réutilisation commerciale la revente de contenus sous forme de produits élaborés ou de fourniture de service ou toute autre réutilisation des contenus générant directement des revenus : publication vendue (à l’exception des ouvrages académiques ou scientifiques), une exposition, une production audiovisuelle, un service ou un produit payant, un support à vocation promotionnelle etc. CLIQUER ICI POUR ACCÉDER AUX TARIFS ET À LA LICENCE 2/ Les contenus de Gallica sont la propriété de la BnF au sens de l'article L.2112-1 du code général de la propriété des personnes publiques. 3/ Quelques contenus sont soumis à un régime de réutilisation particulier. Il s'agit : - des reproductions de documents protégés par un droit d'auteur appartenant à un tiers. Ces documents ne peuvent être réutilisés, sauf dans le cadre de la copie privée, sans l'autorisation préalable du titulaire des droits. - des reproductions de documents conservés dans les bibliothèques ou autres institutions partenaires. Ceux-ci sont signalés par la mention Source gallica.BnF.fr / Bibliothèque municipale de ... (ou autre partenaire). L'utilisateur est invité à s'informer auprès de ces bibliothèques de leurs conditions de réutilisation. 4/ Gallica constitue une base de données, dont la BnF est le producteur, protégée au sens des articles L341-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. 5/ Les présentes conditions d'utilisation des contenus de Gallica sont régies par la loi française. En cas de réutilisation prévue dans un autre pays, il appartient à chaque utilisateur de vérifier la conformité de son projet avec le droit de ce pays. 6/ L'utilisateur s'engage à respecter les présentes conditions d'utilisation ainsi que la législation en vigueur, notamment en matière de propriété intellectuelle. En cas de non respect de ces dispositions, il est notamment passible d'une amende prévue par la loi du 17 juillet 1978. 7/ Pour obtenir un document de Gallica en haute définition, contacter utilisation.commerciale@bnf.fr.
ÉDOUARD SCHURË SON ŒUVRE ET SA PENSÉE
Copyright by Perrin et C"
1913.
OUVRAGES DE M. ALPHONSE ROUX ScMeicher. La Vie artistique de l'IIumanité (épuisé). Librairie Histoire de l'Art (4" édition). Librairie Delalain. Le Château d'Anet. Librairie Laurens.
OUVRAGES DE ROBERT VEYSSIÈ ROMANS
illustrée par A. Thillier Deux Pailles au torrent. Couverture (2' édition). (illustration par A. Thillier). Préface d'Alphonse Grain de Foule Roux.
2' mille.
POUR PARAITRE
Au Désert d'un
CcBM?-.
(Histoire contemporaine)
i vol.
POÉSIES
Houles et Sérénités (édition ornée d'une héliogravure; portrait de l'auteur d'après un fusain d'Albert Thillier-Avantpropos de Paul Vérola). 2'miUe.chair et de l'esprit (illustraLes Tressaillements. Poésie de la tions d'IT. Brunelleschi). de ce siccto Les Tressaillements (troisième livre). Poèmes (quatre croquis du poète). ESSAIS DE CRITIQUE
Études sur quelques poètes contemLes QMM~at'nes poétiques.
porains. i910-19H. L'OEuvre et la Pensée d'Edouard Schuré. En collaboration avec Alphonse Roux. THÉÂTRE
d'étude.
première fois Un Crépuscule (poème dialogue). Joué pour la Épuisé
à Paris par le Théatre Bohémienne (trois actes en prose) (musique de scène) de scène). Les Ailes ouvertes (trois actes en prose) (musique
1 1
pl. vol.
INÉDIT
trois actes en La Princesse Bonté. (Légende dramatique en Livret
prose)
scène). Vers Demain. Triptyque en vers (musique de SOUS PRESSE
lyriques).
Chansons pour la Déesse (prose lyrique) Les Vesprées (poèmes
1 1
vol. vol.
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ALPHONSE ROUX ET ROBERT VEYSStË
EDOUARD SCHURE SON OEUVRE ET SA PENSÉE ÉTUDE PRÉCÉDÉE DE
la
« CONFESSION PHILOSOPHIQUE
» d'Éd.
Schuré
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ET ORNÉE D'UN PORTRAIT
i PARI S LIBRAIRIE ACADÉMIQUE
PERRIN ET C'~ LIBRAIRES-EDITEURS 35,
QUAI DES GRANDS-AUGCSTINS, 3S
1914. Droits de reproduction et do traduction réserva pour tous pays.
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y!
INTRODUCTION
CONFESSION PHILOSOPHIQUE A M..Ro&er< Vc~Me et Alphonse Roux.
Mes chers confrères et amis,
Vous me demandez de vous exposer ma philosophie et de formuler les Idées-Mères qui ont i. Lorsque j'écrivis ces pages, il y a deux ans, à la requête de mes jeunes amis, le livre qu'ils projetaient encore commencé. Robert Veyssié, le courageuxn'étaitnM rédacteur en chef de la Renaissance co?!<empo<.MKe, avait eu l'idée première. Je suis heureux et fier de devoiren initiative cette à Tressaillements, qui marquent des plus nobles tentatives, un des pas les plus hardis dansune la nouvelle poésie française. M. Robert s'adjoignitM. Alphonse Roux, dont de critique indépendante et large sur la littérature et l'art contemporains ont été fort remarqués. Chacun des deux
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rament et à son originalité. M. Robert Veyssié choisit le tempépoète; Roux prit le penseur. Ce qui toucha le me plus dans l'élan de ces libres esprits et ce qui m'engagea à leur ouvrir toute ma pensée, ce fut la spontanéitéde leur acte et la concordance de leurs sympathies. Je viens de constater le beau résultat de leur généreux effort en lisant les épreuves du présent volume, et puis m'empêcher de ne
leur exprimer ici ma vive et profonde
inspiré mon œuvre littéraire et poétique. Ce désir Il prouve que vous me touche profondément. attachez comme moi une importance capitale au problème philosophique pour la rénovation que seulement dans l'avenir, de attendez non vous le domaine de l'art et de la poésie, mais encore dans tous les autres. Cette noble préoccupation ne m'étonne pas chez les deux principaux initiateurs de la Renaissance Contemporaine, dirigée et organisée par un poète, penseur vaillant et lucide, sous l'inspiration généreuse de M. Paul Vérola, qui est un esprit éminent et un grand cœur. Vous croyez à l'avenir de la littérafrançaise par ture, de la poésie et de la nation l'union désintéressée d'une élite dans un haut idéal et par le développement du sens humain universel. Par tout mon passé, comme par tout mon présent, je suis des vôtres. Faut-il vous l'avouer cependant? votre question trouble et me jette dans un me cause un grand qu'avec le bel reconnaissance. Certes, je me rends compte voir les lacunes enthousiasmede la jeunesse ils n'ont pas voulu ressortir les faire en et les imperfections de mes œuvres, pour jugé m'ont idées maîtresses et la quintessence poétique. S'ils clarté le pleine montré en trop favorablement, du moins ont-ils compris la contibut que j'ai poursuivi. En les lisant, j'ai mieuxsorte involontaire nuité de mes aspirations et l'unité en quelque moi
entre de mon œuvre. Ils ont établi ainsi un lien nouveau aujourconstituer de et cette élite de la jeunesse, qui s'efforce à la nationale d'hui, sur des bases solides, une conscience m'ont confirmé France. En me donnant cette joie rare, ils des ~m. dans cette haute espérance que, malgré la d~ersitê à _ous un même péraments et des doctrines, nous travaillons ~Septemb~e 1913.) idéal. Je les en remercie du fond du cœur.
singulier embarras. D'abord elle est de celles qui touchent au tréfonds de la conscience et embrassent l'univers. Y répondre en peu de mots serait donc aussi frivole que hasardeux. De plus elle se complique pour moi d'une difficulté particulière. Je ne suis pas en effet un philosophe de profession, mais plutôt un poète altéré de la Beauté éternelle, que les contradictions et la stérilité de la philosophie régnante ont ramené à la source de la sagesse primordiale. La révolte contre les laideurs du monde contemporain et contre le poids mortel dont le matérialisme écrase les intelligences, me força de bonne heure à réfléchir sur les derniers problèmes, et m'a conduit au seuil des grands mystères. J'ai refusé de me courber devant les maîtres du jour, qui, avec leurs promesses pompeuses, semaient autour d'eux le doute, le découragement et la mort. Au risque de m'isoler complètement, j'ai repoussé de toute mon énergie et combattu sans crainte la mentalité, la littérature et les mœurs dont ils nous ont dotés. Pendant mes plus belles années, je n'ai vécu que de mes inspirations profondes et de ma vie intérieure, persuadé que les sages et les poètes d'antan, qui affirmaient la réalité suprême de l'Ame et du Divin, avaient raison contre les sceptiques et les négateurs d'aujourd'hui. J'en fus récompensé, car l'expérience de ma vie entière me donna la certitude de cet au-delà, de cet univers invisible et transcendant, que repousse la
science d'aujourd'hui et sans lequel l'univers visible serait inconcevable. Mon initiation première aux vérités vitales ne fut ni un enseignement abstrait, ni un laborieux échafaudage de la raison spéculative. Ce fut une expérience de la vie intérieure, suivie d'une large synthèse intellectuelle. J'y fus aidé par un certain nombre de personnalités puissantes, qui se trouvèrent providentiellement sur ma route, à l'heure opportune, pour me faire avancer d'étape en étape. Outre le trésor d'expérience qu'elles m'apportaient, elles m'apprirent une chose capitale et inappréciable, je veux dire à me servir de mon intuition. Leur exemple me confirma dans mon sentiment intime. Il vint corroborer cette grande et consolante découverte, à savoir que l'Intuition, la Voyance et l'Inspiration sont les routes uniques centrales. Ce n'est sans jMMf atteindre les vérités doute qu'avec l'aide du raisonnement et de l'observation que nous pouvons coordonner ces IdéesMères et ces Images symboliques de la Vérité transcendante et les appliquer au monde visible, mais leur essence et leur substance viennent de empreintes ce monde divin, qui laisse en nous ses et développe dans nos âmes les facultés nécessaires pour le percevoir. C'est donc de nous-mêmes, des dernières profondeurs de notre être que jaillit la source de la qu'elle sagesse primordiale. Les vérités sublimes l'Éternel nous révèle sont le gage irréfragable de
Ces vérités se prouvent d'abord et du Divin. par l'illumination intérieure qu'elles nous donnent, par une sorte de félicité inconnue, pareille à la délivrance d'un captif, qu'elles répandent dans notre âme. Elles se confirment ensuite par leur application merveilleuse à tous les règnes de la nature comme à l'histoire de l'humanité, à tous les domaines de la vie et de l'art. Grâce à la loi des analogies universelles et différenciées, on y la clef des choses car ces analogies trouve forment les cadres de la création comme les Idées-Mères sont les signatures de Dieu en nous. Lorsque cette révélation se fit en moi, une immense lumière en irradia sur tous les domaines. Les religions et les philosophies, la poésie et les arts, l'histoire et les sciences, tout s'éclairait d'un jour nouveau, tout se coordonnait dans un enchaînement logique. Comme les rayons d'un phare électrique, partis d'un seul point lumineux, éclairent au loin la terre et la mer, le sens de l'évolution divine ressortait du chaos apparent des phénomènes et du fond ténébreux de la nature. Du même coup je compris que cette sagesse primordiale, entrevue par moi dans ses grandes lignes, avait été de tout temps le privilège des grands initiés et de leurs disciples, des vrais sages comme des grands artistes, mais que la mission de chaque époque était d'en élargir le cercle. La lumière, qui vient de l'Éternel, varie
d'intensité et de couleur. Elle a des fulgurations extraordinaires et de longs obscurcissements. Elle s'endort et se réveille, elle s'éteint et se rallume, mais son expression dans la nature et son expansion dans l'humanité constituent le centre et le fond de l'évolution de l'histoire. Après cet aveu, vous comprendrez que pour exposer, sous une forme vivante et tant soit peu persuasive, ce que vous appelez par euphémisme philosophie ?, je devrais recourir à une « ma sorte d'autobiographie. Cela dépasserait de beaucoup le temps dont je dispose et les convenances d'un aperçu sommaire. Vous trouverez d'ailleurs l'essentiel de cette confession dans ma biographie de Marguerite Albana. (Voir mes Femmes inspiratrices.) Richard Wagner m'avait révélé le verbe divin de l'Art par l'application du verbe universel de la musique au drame. Une âme, en qui toutes les divinations rayonnaient du foyer de l'Amour conscient, me révéla le verbe divin dans la vie même. En esquissant le portrait de cette femme, qui exerça la plus grande influence sur mon développement psychique et intellectuel, j'en suis venu à raconter la genèse de mes Grands Initiés, livre qui marque dans ma pensée l'orientation définitive. D'autre part, j'ai exposé les grandes lignes de la Théosophie, telle que je la conçois, dans le chapitre consacré à Pythagore et dans l'Introduction de ce même livre. Enfin, dans un ouvrage auquel je travaille en ce moment, je tente
de reprendre l'idée des Grands Initiés sur un plan
plus vaste. Il porte ce titre L'Évolution divine. Tome I"' Du Sphinx au Christ. Tome II Du Christ à Lucifer~. Dans ce livre, ma conception des Grands Initiés paraîtra considérablement étendue, tant en largeur qu'en profondeur et en hauteur. Je ne sais vraiment si j'aurai la force de mener à son terme ce redoutable projet, qui s'impose à moi comme un dernier effort, je dirais presque comme un dernier sacrifice, car j'avais rêvé de parler tout autrement à l'âme des hommes. Mais que j'échoue ou que je réussisse, prétendre résumer mon œuvre au moment même de son élaboration, me paraîtrait plus que téméraire. Ce serait en compromettre l'achèvement. Le sculpteur en train de fouiller le bloc de marbre, dont il espère faire jaillir sa vision, n'aime pas à montrer sa maquette de terre glaise en s'écriant Voilà ma statue Il préfère dire en touchant son front Elle est mais je ne sais pas si jamais elle entrera dans la pierre. Donnons plutôt un coup d'œil à la philosophie contemporaine et voyons comment elle répond aux besoins supérieurs de notre époque. De là, nous passerons à un aperçu de la sagesse ésotérique.
là.
deux premiers chapitres de ce livre ont pour titre L'évolution planétaire et l'origine de l'homme 2° L'Atlant* tide et les Atlantes. Le troisième, intitulé Le mystère de l'Inde, a paru dans la Revue des Deux-Mondes du 15 janvier et du 1" février 1911. Le tome I" de l'Evolution divine « Du Sphinx an Christ )), a paru en 1912. 1. Les
ï.
–LA
PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE
Il y aurait un livre essentiel a faire
propos de l'influence néfaste que la philosophie à base matérialiste ou agnostique de nos maîtres contemporains a exercée sur la littérature, sur la poésie, sur l'art et même sur la politique. On y verrait que le scepticisme idéaliste de Renan, qui recouvre le pessimisme profond et le néant absolu de sa philosophie nous a conduits, d'une part, au dilettantisme futile, de l'autre, à une critique désenchantée et desséchante. On y verrait aussi que le déterminisme positiviste de Taine, qui ne voit dans le monde et dans l'histoire que les faits matériels et non les idées créatrices, a enfermé l'esprit de plusieurs générations dans une chambre obscure, on elles ont cessé de voir la nature vivante et la
lumière du ciel. On y prouverait que pour ce critique, mécanicien et chirurgien littéraire, le génie, ce libre fils de l'Esprit, ce messager de l'Éternel, n'est qu'un esclave estropié, passant sous les fourches caudines du milieu de la race et du moment. Dépouillé ainsi de son originalité transcendante et de son caractère divin le génie demeure complètement inexplicable. En vérité, on peut dire que si Renan a jeté sur l'âme contemporaine un merveilleux réseau de soie, brodé de ravissantes chimères, voile parfumé qui l'énerve en la charmant, Taine lui a mis une camisole de force. Dans le livre que j'imagine, on verrait ensuite que, pour combattre les désolants effets moraux qu'ont produits involontairement ces puissants écrivains, un certain nombre d'esprits honnêtes et sérieux, disciples de Pascal et de Kant, ont imaginé ce que j'appellerai la~~Vo~~t'e des cloisons étanches, Cette philosophie met, dans un compartiment, la vérité morale et religieuse, prouvée par la conscience, dans l'autre, la science du monde extérieur, prouvée par le témoignage des sens et par la raison. Elle affirme qu'entre ces deux modes de connaissance il n'y a aucune communication possible, mais qu'il faut les cultiver bravement l'un et l'autre, leurs résultats fussentils contraires. Dans cette philosophie à deux chambres, où Dieu et le diable font le- meilleur
ménage du monde parce qu'ils sont soigneusement enfermés dans leurs cellules et defendus l'un contre l'autre par une cloison sans porte, il faut ranger des esprits de la valeur de Brunetière, d'Eugène Melchior de Vogüé, d'Auguste Sabatier et de William Jomes dont le succès récent fut considérable en Sorbonne. Une telle méthode a le mérite de la loyauté, mais on voit du premier coup d'œil ce qu'elle a de contradictoire et de paralysant pour la pensée comme pour l'action. Après quoi il faudrait caractériser l'attitude des savants proprement dits, ces maîtres du jour, et de l'Église, la détentrice officielle mais non pas intégrale de la tradition religieuse, devant les problèmes éternels qui s'imposent impérieusement et obstinément à la conscience humaine. L'attitude des savants, qui règnent presque souverainement sur le public contemporain parce qu'ils le fascinent par leurs découvertes et le servent par leurs applications, est correcte et inattaquable dans la forme. Ils n'affirment ni ne nient l'âme ou Dieu, mais ils s'en désintéressent. Malheureusement ils s'imaginent que leurs découvertes extraordinaires et leurs méthodes, jusqu'à ce jour si fructifères, suffiront à la pénétration de la vérité et au bonheur du monde. Je sais qu'il y a d'honorables, de grandes et d'illus-
tres exceptions, mais, dans la majorité des cas, on s'aperçoit à leur sourire de dédain en quelle médiocre estime ils tiennent les vieilles croyances
et les nouvelles méthodes de connaissance qui s'imposent par la psychologie expérimentale. Quant à l'Église, elle repose sur un trésor de traditions, de rites et de symboles, qui, librement et largement interprétés dans un sens universel, pourraient conduire aux vérités dernières. Car ils remontent et tiennent à la Sagesse primordiale et finale. Mais l'Église primitive, qui fut vraiment catholique, c'est-à-dire universelle tant qu'elle conserva le principe de l'initiation, est devenue une église exclusivement romaine. En se cramponnant à l'esprit de domination et d'immobilité, elle s'est transformée en césarisme spirituel. A la tradition des conciles, qui permettait une évolution du dogme, elle a substitué le dogme de l'infaillibilité papale, qui l'accule dans une impasse. Le pape, qui se charge de penser pour toute la chrétienté, dit à ses fidèles « Vous ne pouvez pas connaître les vérités dernières, et si vous le pouviez, cela serait désastreux. Mais je possède et je détiens la vérité pour vous. Par sollicitude pour vos âmes, je vous défends de la chercher. Vous ne penserez que ce que je vous permets de penser. Croyez ce que je vous ordonne de croire et obéissez. Hors de là, point de salut. » Remarquez
l'Église interdit ainsi le cours du que le chef de sanctuaire, non seulement aux laïques, mais aux prêtres, aux évêques et aux archevêques, lesquels devraient être, divers titres et à divers degrés, des initiés, et représenter la hiérarchie spirituelle de la connaissance. Ce n'est pas ainsi cependant que parlait saint Thomas d'Aquin, < l'Ange de l'École ), lorsqu'il s'écriait « La foi est le courage de l'esprit qui s'élance en avant, sur de trouver la vérité. x Cette pensée du dernier Père de l'Église doit épouvanter actuellement M. Paul Bourget puisque, au grand étonnement d'un certain nombre de ses amis, cet esprit rare et si distingué s'est rangé à la doctrine de l'agnosticisme clérical. Cette résolution extrême a dû lui coûter, et elle ne s'explique guère que par le grand effroi du disciple de Taine et de Renan devant les conséquences inattendues et funestes de leurs doctrines tant vantées et tant prônées par le jeune et heureux débutant. C'est la tranquillité conquise au prix d'une abdication. Conclusion. La science, qui ne croit pas, et l'Église, qui croit, s'accordent pour pier la possibilité de connaître les vérités suprêmes. Ainsi leur double agnosticisme s'unit inconsciemment pour stériliser l'esprit contemporain et entretenir le découragement dans l'âme de la jeunesse. Mais la
aveugle au dogme non compris n'est qu'une autre forme du matérialisme et la science, qui néglige les domaines supérieurs de la nature et les hauts phénomènes psychiques, n'est ni la science complète, ni la vraie science, tourne le dos à la sagesse. A la Science, car elle comme à la Religion d'aujourd'hui, on peut reprocher non seulement de s'ignorer réciproquement, mais encore de manquer de confiance dans leur propre principe. On peut dire à cette Science Vous n'allez pas jusqu'au bout de votre raison! et à Religion cette Vous n'allez pas jusqu'au bout de votre foi1 Un éminent historien contemporain, un très sincère patriote, M. Ernest Lavisse, à qui j'exposais un jour la nécessité qui s'impose de créer dans la jeunesse un mouvement spiritualiste indépendant, par un nouvel ordre d'études libre et synthèse de la science et de la religion, une me répondit par un mot caractéristique Voyez-vous dit-il, me on ne peut vivre que pour le ciel pour la terre. La conclusion tacite étaitou « Vivons pour la terre et laissons le ciel aux rêveurs. » Eh bien, il m'est impossible de me ranger à cette manière de penser, pas plus q~ P~ Pl~ qu'à celle de M. Bourget. Je crois même qu'elles caractérisent, l'une comme l'autre, le mal du doute qui nous ronge et cette désolante philosophie des 101
P'
à fabriquer cloisons étanches qui passe son temps pour des lits de Procuste pour les âmes comme mille fois non, que l'on Non, intelligences. les religion, de ce monde s'occupe de science ou de choisir entre les de s'agit il pas l'autre, ne ou de question de vie ou de d'une s'agit il mais deux, la terre qu'en croyant bien vit sur Or, ne mort. on delà) et on ne se dire à au un (je ciel veux a un croyant à la terre, prépare bien au ciel qu'en idéal. c'est-à-dire en cherchant à y réaliser un surabondamment. Il sutht Les faits l'ont prouvé les ravages du scepticisme, d'observer cela pour l'agnosticisme dans le de et matérialisme du L'incrédule et paradoxal monde contempurain. géniales, intuitions des souvent qui Nietzsche, a représente généralement contraires à sa doctrine, « l'homme qui a tué Dieu» Zarathoustra dans son accroupi dans
comme
l'homme le
plus
hideux
milieu des ténèbres. Malgré ignoble, au un trou fut la plus héroïque action son affirme que il cela, de toutes les actions bienfaisante plus la et singulier bienfait. humaines. Étrange héroïsme et l'Au-delà a tué la foi dans dans foi la de La mort noblesse. L'expulprenant lui sa présente en la vie Divin de la science et de du catégorie la de sion ravalé la philosophie a tué le sens de l'Idéal et plus qu'une an'être révélateur, de sonrôle l'Art, de fantaisie grossière imitation de la réalité ou une
chimérique. L'impressionnisme, qui sévit en peinture et même en musique, n'est qu'un prurit de sensations et une abdication de toute idée créatrice. Ce qu'on a appelé du nom pompeux de symbolisme n'a guère été qu'un jeu de hasard avec des analogies de sons, de parfums et de couleurs. La totale absence de sens philosophique chez un Mallarmé et un Verlaine, se sent chez leurs disciples attardés. En politique, le matérialisme a produit l'adulation de la foule et le mépris de l'élite, la stupidité des niveleurs et la tyrannie des masses, la glorification de l'instinct et de la force brutale, l'absence de l'autorité intellectuelle et morale, la menace de l'anarchie complète et de l'effondrement social. Devant le Collège de France, asile de la science supérieure et désintéressée, se dresse la statue en bronze d'un très noble savant, qui fut en même temps un grand penseur, celle de Claude Bernard. Pendant de longues années il chercha le secret de la vie et finit par l'appeler « un principe évolutif » l'appeler l'âme, ne pouvant car l'âme ne se voit pas, du moins avec les yeux du corps. Comme il fut un des maîtres de la vivisection, l'artiste l'a représenté tenant un scalpel dans sa main posée
sur un lapin éventré. La belle tête pensive du philosophe aux longs cheveux s'incline tristement. Elle semble regretter le coup de bistouri
l'ai donné à la pauvre petite bête, et dire « Je vie. » tuée, mais je n'ai pas trouvé le secret de la Cinq cents pas plus haut, au sommet de la monmarches du tagne Sainte-Geneviève, devant les Panthéon, tombeau de nos grands hommes et temple de nos gloires nationales, la troisième république a placé un autre bronze, le Penseur de Rodin. Nos gouvernants ont-ils deviné le symbole suggestif que représente cette statue placée mais il est frappant. à cet endroit? J'en doute, /'F~ Pensée. Cette œuvre devrait s'appeler Et de fait Rodin l'avait exécutée d'abord en petit l'Enfer de Dante. pour une porte représentant d'un Cet homme qui médite, assis à l'angle rocher, cet athlète aux muscles gonflés et formidables, aux membres tordus et convulsés, ce n'est assurément ni Platon, ni Marc-Aurèle, ni Desde la cité cartes, ni Spinoza. C'est bien un damné de Malébolge et c'est aussi l'image de la pensée contemporaine. Lorsqu'on regarde le penseur tourmenté du génial Rodin après la statue mélancolique de Claude Bernard, on est tenté de dire Ceci a fait cela la science, qui cherche la vie dans la mort, a enfanté l'enfer de la pensée qui se dévore elle-même.
II.
LA SAGESSE ESOTERIQUE
Comment changer cette situation? Par quoi remplacer cette science qui confine dans l'obserse vation du monde extérieur, cette religion qui s'ossifie dans un dogme abstrait, cette philosophie qui heurte à leurs deux murs, qui désespère se ou prend des cailloux pour les fruits dorés de l'arbre de la vie? Oh, ce qui les remplacera, ou plutôt ce qui revivifiera la science, la religion, la philosophie et l'humanité elle-même, ce n'est l'œuvre ni d'un homme, ni d'un jour, ni d'un siècle, ni d'une nation. Cela vient de loin et de profond, de dessous et de dessus, d'en bas et d'en haut, de partout comme l'eau des sources et la pluie qui tombe, et cela monte lentement, sûrement, comme
La parfois les fleuves etle niveau des mors. sagesse primordiale a toujours existé, quoiqu'elle ait raregouverné officiellement. Cette sagesse éter-
ment n'est assunelle, perennis ~<B~M philosophia, dans les vrais rément consciente et puissante que prophètes, génies créateurs initiés, voyants, sages, aussi, infinitéside tout ordre. Mais elle existe dans les male, en nous tous, particulièrement de subsimples, sous forme d'aspiration confuse, Aujourd'hui conscience, de sentiment divinateur. roulera bienle vaste flot arrive de toutes parts et luit la tôt ses vagues jusqu'au pied du phare où lumière ésotérique. la connaisCette sagesse pose en principe que transcendantedu monde intéapprofondie et sance la connaisrieur peut seule fournir les c/~ pour sance du monde extérieur. la Ses sources sont l'Intuition, la Voyance et compréhension des 7~-M<~ dans leur ensemble organique. Sa méthode est l'application de ces idées à tous de la Vie, les domaines de la Science, de l'Art et sévère de l'observation et de la contrôle le sous raison. même Son instrument de travail, qui lui sert en de touche dans pierre de d'orientation et temps la loi des cette œuvre complète et subtile, est analogies universelles et différenciées, qui permet
de ramener les phénomènes les plus variés à leur
unité primordiale. 7M~M~'oM,
~o~'eMee et
Synthèse
résument la
méthode de toute science. Elles coopèrent plus intensément, plus étroitement encore dans la Sagesse ésotérique. C'est parce que les Idées dont je parle ne sont pas des idées abstraites, mais les forces organisatrices de la création, les moules dont se servent les Puissances spirituelles qui la gouvernent, sous l'action de l'Esprit vivant, du Verbe éternel, du Dieu des Dieux c'est pour cela que ces Idées peuvent servir de clefs universelles. Je craindrais de lasser votre patience par la simple énumération de ce que devra contenir un jour une véritable philosophie ésotérique, qui, d'une part, se mettrait au point de la science moderne en s'adjoignant ses admirables découvertes, et qui, de l'autre, interpréterait par l'ésotérisme comparé les profonds, les merveilleux symboles des religions antiques et du christianisme. J'aime mieux tenter de définir trois Idées-Mères de la Sagesse ésotérique et laisser entrevoir les perspectives nouvelles qu'elles entr'ouvrent à l'Art et à la Poésie.
III.
LA TRINITÉ HUMAINE
ET LA
TRINITÉ COSMIQUE
Une des originalités et des supériorités de la tradition ésotérique sur tous les systèmes anciens et modernes (sauf ceux de Pythagore et de son vulgarisateur Platon, qui furent tous deux de véritables initiés) c'est l'unité organique qu'elle établit entre la constitution de l'homme et celle de l'univers, entre la psychologie et la cosmogonie. Dans les philosophies d'autrefois, on échafaudait une psychologie sur l'analyse des facultés humaines séparées artificiellement les unes des autres sensibilité, intelligence, volonté. De même on essayait de construire l'univers avec des idées générales et abstraites. Cela n'empêche que beaucoup de ces philosophies ne soient toujours intéressantes et précieuses. Elles ont élucidé nombre de vérités
partielles et les philosophes intuitifs ont souvent pénétré fort loin dans la vérité transcendante par leurs divinations. Mais le grand défaut de leurs spéculations est que les facultés humaines y demeurent à l'état de mécanismes morts, qu'elles ne communiquent pas entre elles et surtout que ces philosophies ne parviennent pas à franchir le profond abîme qui sépare l'homme de l'univers, le moi du non-moi, le conscient de l'inconscient. La science actuelle s'efforce de faire tout sortir de la biologie, c'est-à-dire du concept de la vie. Ceci est le chemin de la vérité, à condition qu'à la biologie du corps on ajoute la biologie de l'âme et la biologie de l'esprit. La doctrine ésotérique répond à ce postulat par sa conception trinitaire de l'homme et de l'univers, qui contient leur synthèse. Regardons l'homme et l'univers, dans leur substance et leur essence, dans leur manifestation comme dans leur impulsion, et nous verrons que l'un et l'autre est triple. L'homme est à la fois corps (ou matière) <~ne (ou force plastique) et esprit (ou raison consciente, intelligence, moi divin). Cet esprit est l'essence éternelle de son être. L'âme et le corps sont les instruments nécessaires pour son évolution dans le temps (i). (1)
Pour ne pas compliquer cette exposition sommaire, je ne
Pareil à l'homme, l'univers est un édifice à trois étages. Il se compose du monde physique, ou de la matière pondérable, du monde des âmes ou individualités sensibles et pensantes et du monde divin ou des forces cosmiques, puissances spirituelles, qui gouvernent le monde au moyen des Archétypes ou Idées éternelles. L'homme terrestre, dans son état actuel, ne voit que le monde physique avec les yeux de son corps. Les deux autres mondes sont tout aussi réels, tout aussi objectifs pour le véritable voyant. Ils ne le sont pas moins, à la moindre réflexion, pour le simple bon sens. Car, sans eux, l'univers ne pourrait pas exister un seul instant, dans sa variété infinie et dans son unité merveilleuse. Son aspect prouve son unité, ses fonctions prouvent sa nature. On se rapproche de la vérité en comparant le monde à trois sphères concentriques, de densité inégale, qui se soutiennent de leur force et se pénètrent de leur rayonnement. La plus vaste des trois sphères, celle du monde spirituel, pénètre les deux autres de sa lumière. La plus étroite, celle du monde matériel, sert de centre et de noyau à l'ensemble. Celle du milieu, le monde animique, sert d'intermédiaire entre les deux. parle pas ici des subdivisions que la science ésotérique observe dans le corps de l'homme, à savoir le corps physique et le corps éthérique ou vital et le corps as~a~ ou l'aura rayonnante, siège des passions.
Elle tamise et transmet la lumière du monde des esprits au monde des corps et renvoie à la sphère divine les âmes évoluées par ceux-ci. Ainsi la Trinité humaine (esprit, âme et corps) répond à la Trinité cosmique(monde divin, monde humain et monde naturel) qui répond elle-même à la Trinité divine (conscience, vie et forme). Tels sont les instruments de l'usine de la création, les creusets delafonteuniverselle. Par eux, l'univers a moulé l'homme à travers toute l'évolution planétaire, par eux le macrocosmea créé le microcosme à son image et l'a frappé comme une médaille de Et c'est parce que son estampille indélébile. l'homme est un résumé de l'univers, c'est parce qu'il le reproduit, non seulement dans sa conscience mais dans la constitution de son être total et jusque dans la structure de son corps physique, qu'il peut le pénétrer et le comprendre. On n'engendre et on ne comprend que son semblable c'est pourquoi l'univers a engendré l'homme, et c'est pourquoi l'homme explique l'univers. Une psychologie détaillée et une cosmogonie complète pourraient seules démontrer la puissance de cette idée qui saisit et enveloppe les choses comme dans les mailles subtiles d'un filet infiniment élastique. Mais le simple énoncé de ce concept est révélateur et permet d'en deviner les conséquences incalculables. Tout d'abord c'en est
fait une fois pour toutes de la philosophie des cloisons étanches et de la stérile idée kantienne sur l'abîme infranchissable qui sépare le moi et le non moi, le monde de l'âme et le monde des choses tangibles. L'univers devient un verbe qui
parle à l'homme dans une langue vivante, multiple et impressive. La lumière et le son, les formes et les couleurs, les règnes superposés de la nature, tous les êtres, astres, minéraux, plantes, animaux, apparaissent les lettres d'un alphabet, dont l'homme est à la fois le dernier mot et l'interprète. L'agnosticisme matérialiste ou dogmatique avait parqué le corps et l'esprit en des compartiments étroits. L'ésotérisme les affranchit en les réconciliant. Il renverse la thèse absurde et déprimante du matérialisme qui enseigne depuis un demisiècle que l'âme est le produit des forces du corps et l'esprit un assemblage éphémère de sensations (1). Bien au contraire, la sagesse primordiale et finale enseigne que tout, dans l'univers comme en nous, vient de l'Esprit. Elle dit à l'homme « Regarde en toi; sens-toi, pense-toi, sois toi-même jusqu'au bout; et tu trouveras dans ton être les trois mondes, l'univers, tous les Dieux et le Dieu suprême » (i) Je n'invente rien et je n'exagère pas. Renan a dit « L'âme est une résultante des forces du corps », et Taine « La vertu et le vice sont des produits naturels comme le sucre et to
vitriol ».
Ainsi l'âme du monde et l'âme humaine sont du retrouvées même coup, avec Dieu qui resplendit à travers.
Qui ne voit les perspectives lumineuses qui s'ouvrent ici à la pensée comme rêve, à l'art
au comme à la poésie? Jusqu'ici la littérature se mouvait presque exclusivement sur deux plans opposés le plan physique et le plan intellectuel. D'un côté les instincts et les sensations de l'autre les idées morales. Entre les deux, des sentiments obscurs et des luttes aveugles. La connaissance de la triple nature de l'homme et des plans supérieurs de la conscience, qui se découvrent par le développement des facultés latentes de l'âme, une étude plus approfondie des phénomènes de la subconscience, de la voyance, de la divination et de l'extase ouvriront à l'imagination des régions inconnues dont l'art tirera son profit. Il est vrai que ces sujets réclament une connaissance approfondie, une expérience personnelle, et plus que d'autres un tact subtil avec le respect de l'âme comme d'une chose sacrée. Les arrivistes charlatans, qui les exploitent avec des instincts bas et pour des intérêts grossiers, tombent infailliblement dans le grotesque et dans la profanation.
Puisque vous m'avez interrogé sur le côté éso térique de mes œuvres, je dirai incidemment que La Prêtresse d'Isis est, à sa manière, une étude de quelques-uns des plans supérieurs de la conscience dont je viens de parler. Je donne cette tentative comme un simple essai dans un genre n'a pas nouveau. Je dois ajouter que ce roman été écrit dans une intention didactique. Il est né avant tout d'une profonde impression poétique, pendant une proreçue il y a quelques années, menade a Pompéi, à la porte d'Herculanum, devant le tombeau de la prêtresse Mammia, en face du Vésuve fumant. Des études personnelles, faites précédemment sur la clairvoyance avec un sujet non professionnel, m'aidèrent il la développer. Ce n'est qu'après avoir terminé ce récit, écrit avec le feu de l'imagination et sous le coup d'émotions intenses, que je me rendis compte des interprétations esotériques qu'on en pourrait D'autre part, le roman intitulé Le Doufaire. ble, basé sur la communication d'un fait réel, fait intervenir dans une aventure d'amour contemporaine et parisienne le phénomène connu de la psychologie contemporaine sous le nom de dédoublement de la conscience, et dans la tradition occulte sous celui de vision du double astral. L'ami qui avait été obsédé par ce phénomène et qui me le raconta n'y avait rien compris. Son
souvenir ne lui avait laissé qu'une impression de malaise et d'épouvante. Dans le roman que j'en fis, j'ai tenté de démêler sa signification psychique et de découvrir sa raison profonde.
IV.
LA DOCTRIXE DE LA REINCARKAT)UN
L'idée de l'immortalité de l'âme est commune a toutes les religions, sans en excepter celle des sauvages. L'idée de la pluralité des existences et de la loi de la réincarnation est restée jusqu'en nombre. ces derniers temps le privilège d'un petit Au cours de l'histoire elle ne fut consacrée par la religion oflicielle qu'en Inde et en Égypte, nations gouvernées par un sacerdoce plus ou moins initié. On l'enseignait secrètement à Eleusis. Pythagore et Platon l'adoptèrent. L'école alexandrine et les gnostiques chrétiens en firent un de leurs thèmes favoris. L'Église chrétienne primitive la connaissait et l'admettait. L'Église ofiicielle la condamna ou l'écarta à partir du iv" siècle. Aujourd'hui cette idée reparaît avec une énergie
irrésistible et se propage sur tout le globe par le occultiste
mouvement et théosophique. D'où vient cette persistance de l'idée de la ralité des existences et de la réincarnation? pluD'où vitalité étrange, ses renaissances périodiques sa et sa recrudescenee à l'heure présente? La raison en saute aux yeux. Aux âmes à la fois religieuses et réfléchies elle est toujours apparue et apparaît plus que jamais comme la seule hypothèse rationnelle pour expliquer l'antériorité de l'âme et sa survie après la mort. D'autre part, elle s'accorde avec certaines hypothèses de la science actuelle, notamment avec celle de l'évolution des espèces, mise en branle par les théories partiellement vraies de Darwin, théories popularisées innombrables par ses disciples. L'hypothèse de l'évolution des espèces animales ajustement frappé la mentalité contemporaine comme un commencement d'explication sur l'origine de l'espèce humaine en général. Parallèlement la doctrine de la pluralité des exisde tences et la réincarnation frappe l'élite sante comme un prodigieux trait de lumière penjet6 l'origine de l'âme sur individuelle et sur sa fin divine. Selon la sagesse ésotérique, fruit de milliers d'années d'expériences psychiques et d'observations faites par les maîtres, le genre humain s'est
planétaire d'un développé dès l'origine du système spirituelles qui ont puissances des émané serme d'un mouvecréé ce système. Il s'est développé l'homme actuel. aboutit à qui continu ment animales L'homme n'est pas sorti des espèces
d'un tronc celles-ci, au contraire, sont sorties déprimitif, du genre hominal, par rejets et par évolution. chets successifs au cours de l'immense d'un tronc Toutes les espèces sont les rameaux Les vertical dont l'homme forme le sommet. qu'une âme collective, espèces animales n'ont iudividuelle, mais l'homme, ayant reçu une âme divines puissances des don du principe par le de son évolution, âme moment certain à un soumise a la loi humaine liée à ce principe a été ainsi la force devenue qui est réincarnation, de la ascension. impulsive et la cheville ouvrière de son construire une Démontrer ces idées, ce serait modalités psychologie de l'homme avec ses sept l'évolution du syset raconter en même temps à laquelle les facultés grâce planétaire, tème les rayons humaines se sont déployées comme feuilles d'un palmier. d'un éventail et comme les perspectives de J'ai touché au labyrinthe et aux des mystères de à réincarnation propos la dans l'Egypte et de la Grèce, longuement décrits particulièrement au chapitre Initiés, Grands mes Pythagore. Afin de résumer la et Bermès sur sur
valeur de cette idée pour l'esprit humain, sa signification pour le passé et pour l'avenir, qu'il me soit permis de citer le passage suivant d'un récent travail « De même que l'univers est le produit d'une pensée divine qui l'organise et le vivifie sans cesse, de même le le produit de l'âme qui le développe corps est à travers l'évolution planétaire et s'en sert comme d'un instrument de travail et de progrès. Les animales n'ont qu'une âme collective,espèces mais l'homme a une âme individuelle, une conscience, moi, destinée un une personnelle, qui lui garantissent sa durée. Après la mort, l'âme délivrée de chrysalide éphémère, vit d'une autre vie sa plus vaste, dans la splendeur spirituelle. Elle retourne en quelque sorte à sa patrie et contemple le monde du côté de la lumière et des dieux, après avoir travaillé du côté de l'ombre des y homet Mais il en est peu d'assez mes. avancées pour demeurer définitivement dans cet état que toutes les religions appellent le ciel. Au bout d'un long de espace temps, proportionné à son effort terrestre, l'âme sent le besoin d'une épreuve pour faire un pas de plus. nouvelle De là nouvelle incarnation dont les conditions une sont déterminées par les qualités acquises dans une vie précédente. Telle la loi du Karma ou de l'enchaînement causal des vies, conséquence et sanc-
justice du bonheur tion de la liberté, logique et de l'inégalité des condiraison malheur, du et individuelles, destinées des organisation tions, a rythme de l'âme qui veut revenir à sa source conception organique de la C'est l'infini. travers Kosl'immortalité, en harmonie avec les lois du
des Deux(Le MysLère de l'Inde, Revue Mondes, i~ février H'11.) vérité Quant aux nouveaux horizons que cette profonde ouvre à l'imagination, la littérature en a exemples. Cette idée déjà fourni de nombreux
mos..
L'Ange et la n'est qu'efneurée dans mon roman
la ForêtSphinge, inspiré par une légende de La Noce des Esprits. Une s'appelle qui Noire endormi dans une chevalier représentant un fresque ruine et rêvant qu'il assiste à sa propre noce avec jadis, m'avait préoccupé du temps châtelaine une Beaucoup plus tard, enfance. dès hanté mon et jour saisissant par elle s'illumina pour moi d'un complus à l'inl'idée de la réincarnation et je me terpréter dans un sens ésotérique. expressions diverses Vous trouverez aussi des conception dans mes mais concordantes de cette exemple Les Vies antépoèmes lyriques. Voir par cycle de rieures, Les Yeux des nouveau-nés et le volume intitulé LA ViE le dans d'Eleusis Muse La particulièrement La Trilogie plus Voir MYSTIQUE. Druidesse Destin, Le Tourment du ressouvenir, du
moderne, Les trozs Ames, Immortalité à deux, Extase astrale, La Danseuse sacrée et L'Eveilleur,
dans L'AME DES TEMPS NOUVEAUX. Dans son délicieux drame de Sakountala, le poète indou Kalidasa a exprimé, d'une manière aussi simple qu'exquise, le sentiment vague mais profond que l'âme humaine de a ses existences passées
Souvent un bel objet, un son plaintif ou tendre Fait rêver Et, troublé dans sa paix, le cceur cherche à comprendre Sans trouver. Mais nous avons aimé dans une Le mystère
autre existence
Et pleuré charmant de la ressouvenance Est sacré.
A titre de curiosité, j'ajouterai que j'ai eu quatre fois, à propos de deux femmes et de deux hommes, l'impression immédiate de les avoir
déjà rencontrés dans une autre vie, tant fut violente et en quelque sorte magique l'attraction que êtres ces exercèrent sur moi au premier contact.
Leur apparition subite et singulière me fit l'eSet d'une surprise, mais d'une surprise attendue. Leur premier regard me toucha comme une lu-
mière à la fois étrange et familière, depuis longtemps perdue et enfin retrouvée. Je concède que
telles impressions n'ont qu'une valeur subjective et sont naturellement traitées de pures fantaisies par ceux qui ne les ont pas éprouvées. Mais on peut affirmer que lorsqu'elles ont ce caractère d'intuitions foudroyantes, accompagnées d'une émotion profonde, elles présagent infailliblement que les personnes dont nous recevons influeuce capiune telle secousse exerceront une tale sur notre vie. Ces sensations puissantes et d'un effet transcendant viennent d'une religion supérieure à la vie quotidienne et prouvent à elles seules une vie antérieure dont nous avons mystérieusement conscience. En réalité, ce que Kalidasa appelle « le mystère charmant de la ressouvenance » laisse plonger le regard dans le gouffre infini de la Psyché humaine. Et ce gouffre me fait songer involontairement aux troubles et aux orages qui sont sans doute la condition indispensable des œuvres poétiques, de la volonté. comme il y faut aussi la maîtrise Si j'ai réussi à cristalliser quelques-uns de mes rêves les plus chers, il sont tous sortis d'un profond abîme et d'un bouillonnement continu comme celui de la mer. de
V.
L'INSPIRATION
DANS L'HISTOIRE
Dans tout l'ancien cycle de l'humanité, j'entends celui qui précéda le christianisme, l'inspiration fréquente et pour ainsi dire continue était considérée comme l'un des éléments essentiels de la vie sociale. Tant en Asie qu'en Afrique et en Europe,
selon la croyance universelle, l'inspiration était la forme principale de l'action des dieux de Dieu ou sur l'humanité. D'elle venait la fondation des sanctuaires, les cultes religieux, le pouvoir des rois et l'ceuvre des héros, en un mot les impulsions premières de ce que nous nomla mons civilisation. Les sages et les philosophes avaient des opinions diverses sur la nature et la valeur de cette inspiration, mais on n'en discutait ni l'existence, ni la source. II y avait des
incrédules, mais c'était l'exception, et nous parlons avec étonnement de ces âges Où trois cent mille dieux
n'avaient pas an athée.
de De plus, les prêtres se disputaient rarement sanctuaire à sanctuaire et s'entendaient même entre peuples ennemis. Il ne nous est parvenu théologiques, entre aucun écho de querelles Dabylonc, Ninive, Suse, Thèhes, Tyr, Delphes, Eleusis, Samothrace, etc. On admettait facile-
ordre, et ment de nouvelles divinités de second plus les prêtres étaient instruits, mieux ils savaient près identiques que les douze grands dieux, à peu les nations, chez toutes différents, des noms sous répondaient à des forces cosmiques, à une hiérarchie spirituelle, et qu'ils étaient tous dominés Qu'un tel unique. insondable et Dieu le par superstitions état des esprits ait donné lieu ridicules et à des abus monstrueux, comme on en incontrouve dans toutes les religions, cela est testable. Il n'en est pas moins vrai que cette mentalité, si éloignée de la nôtre, établissait un l'élite, rapport plus normal entre le peuple et philosophie, et comme entre la religion et la qu'elle donnait l'ensemble de ces antiques civilisations une harmonie grandiose qui ne s'e.t plus retrouvée. Tout change avec l'apparition du christianisme.
des
Le Christ et ses apôtres firent faire une telle volte-face à l'humanité, et si ardente fut la lutte de la religion nouvelle contre le paganisme dégé-
néré, qu'on prit l'habitude de concentrer toute la révélation et toute la religion sur le Christ, en taxant tout ce qui avait précédé de superstition grossière ou de suggestion diabolique. Tous les Pères de l'Eglise n'eurent pas la même étroitesse et l'initiation subsista dans quelques communautés chrétiennes des premiers siècles, mais à partir de saint Augustin la foi aveugle remplaça la gnose ou la connaissance par l'Esprit. Dès lors la soumission absolue à l'Eglise fut considérée comme l'unique moyen de salut. Aujourd'hui, les vieux dogmes étant battus en brèche par la science et par l'esprit moderne, on a cru pouvoir arrêter court l'évolution fatale en remplaçant l'autorité des conciles par celle de l'infaillibilité papale. Pour un catholique orthodoxe, il n'y a plus maintenant de révélation possible que par le pape. L'initiation, l'inspiration et la révélation, destinées par Jésus-Christ à toutes les âmes, sont devenues la propriété exclusive du pontife, qui les refuse à tout le monde. En face et contre cette orthodoxie farouche se dresse le concept plus large en apparence, mais non moins étroit au fond de la science et de la philosophie matérialistes, qui admettent dans
l'histoire un progrès lent et continu, mais sont incapables d'en montrer la cause première et l'action persistante. Car, sans preuve, et par idée préconçue, elles ont éliminé de l'histoire tout fait d'inspiration ou de révélation. Ce principe une fois admis, les contraint, en dépit des palliatifs et des réticences à ramener tous les effets intellectuels, moraux et spirituels, à des causes physiques. Voilà pourquoi, malgré leurs efforts, elles ne savent expliquer et n'expliqueront jamais ces choses tombées du ciel et qui sont les leviers du genre humain le sentiment religieux, la conscience morale et le génie. Nous aboutissons ici à la même impasse que plus haut. Dans le domaine de l'histoire, comme dans celui de la cosmogonie et de la psychologie, l'agnosticisme clérical et l'agnosticisme scientifique ne cessent de bâtir et de surbâtir leurs énormes citadelles, aux murs sans fenêtres et aux créneaux menaçants, devant l'homme qui demande à entrer dans le sanctuaire de la Vérité. L'ésotérisme, qui connaît les sources de la Sagesse éternelle, sources, qui coulent toujours et partout pour ceux qui les cherchent d'un cœur pur et d'un courage intrépide, regarde l'histoire d'un tout autre œil. Depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, l'expérience historique le confirme dans sa conception ternaire du Kos-
mos. Tout ce qui arrive dans le monde visible, existe d'abord et se prépare dans l'Invisible. Idées, âmes, courants fluidiques et spirituels, descendent du monde divin et passent par le monde animique et passionnel avant de se matérialiser et de s'incarner dans le monde physique. L'inspiration est continue, mais avec des degrés et sur des modes infinis. L'homme peut la mériter et la conquérir par son effort. Les grandes révélations sont périodiques et se suivent par intervalles, avec des obscurations temporaires. L'évolution entière est gouvernée par des lois générales et mise en œuvre, tant par la liberté humaine que par les êtres divins qui président à la vie terrestre et planétaire. Dans les Grands Initiés, j'ai essayé de montrer quels rayons de lumière, quelle vie
multiple et profonde ce concept projette sur l'histoire en me plaçant au foyer inspirateur de quelques grands prophètes de l'humanité. Voici encore, pour compléter ces aperçus rapides, un extrait d'une conférence sur Jeanne d'Arc, qui accentue l'importance de l'idée de l'inspiration pour l'idée même du héros. « L'Inspiration est la mère de l'Héroïsme et sa condition ~e qua non. Seulement, sous l'empire de dogmes étroits et d'une tradition mutilée, on se fait généralement de l'inspiration une idée bornée et puérile. Selon l'Eglise, l'inspiration est le
monopole du christianisme et c'est elle seule qui en tient la clef. Dans ce concept, l'inspiration devient une intervention accidentelle de Dieu dans les affaires de ce monde, une suspension des lois de la nature et de l'histoire. Ce concept sépare la nature et l'humanité de Dieu et ne laisse l'homme communiquer avec Dieu qu'à travers l'Eglise. Les sages d'aucun temps n'ont accepté ce dogme qui rapetisse à la fois l'homme, la nature et la divinité. L'intuition le repousse et la raison le réprouve. Mais il est un concept plus large de l'inspiration comme d'une loi universelle. En y regardant de près, on y verra un phénomène commun à toutes les époques, à tous les peuples, à toutes les religions, souvent faussé par la superstition, intermittent en apparence, mais partout présent, un phénomène varié et nuancé, dosé et gradué selon les temps, les lieux et les individus. Nous sommes tous des inspirés, d'une certaine manière et dans une certaine mesure, seulement nous n'en savons rien. Chez l'homme de génie comme chez le héros, chez le voyant et le saint, l'inspiration est si forte qu'elle devient consciente. Grâce à son éclat éblouissant, nous apercevons le mince rayon de cette même lumière que nous portons tous en nous. Voilà pourquoi les foules saluent le héros comme un messager du Dieu inconnu et comme leur joie suprême. Quelle prouve meilleure du
Dieu dans l'Homme, de l'Eternel dans l'Ephémère ? Grâce au héros, l'Enthousiasme (le Dieu en nous) n'est pas un vain mot. Il flamboie comme
un appel à l'effort suprême par la suprême vérité. Comment distinguer Et si l'on me demandait le vrai héros du faux et le prophète du charlatan ?9 je répondrais par la parole du Christ « C'est par leurs fruits que vous les jugerez. » (<( Jeanne d'Arc et l'inspirationdans l'Histoire », Revue Bleue du 30 novembre 1909.) Il va sans dire que le jour où ces idées triompheront dans l'élite pensante et se répandront par elle dans la masse, il en résultera un concept nouveau de l'art et plus spécialement du drame. Les puissances spirituelles, les Dieux qui étaient présents dans la tragédie grecque à l'âme des spectateurs, ces Dieux que le poète invoquait et faisait parler par la voix des chœurs et qu'à certains moments on voyait apparaître sous forme humaine rentreront dans le théâtre futur sous des formes nouvelles et planeront sur lui. Le drame helléno-chrétien que j'ai intitulé Les en fants de ZMc~e~ est un essai de ce genre. Il se déroule au tv" siècle de notre ère, sous le règne de Constantin, au moment où le paganisme expirant lutte encore contre le christianisme vainqueur. Toutefois il ne s'agit pas de la restauration du culte païen comme dans le cas de l'empereur
Julien l'Apostat, mais plutôt de la découverte d'un Dieu nouveau. L'amour foudroyant du héros luciférien Phosphoros et de la vierge chrétienne Cléonice, cet amour qui est une fusion d'âme et un amour dans l'action, leur lutte pour la délivrance de la cité de Dionysia et la mort tragique du couple maudit au temple du Dieu inconnu, constituent le centre de l'action et l'intérèt essentiel. Mais, par les évocations magiques du second et du cinquième acte, on entrevoit, derrière le drame humain et passionnel, le drame formidable des puissances cosmiques qui le domine et qui s'y reflète. x =)<
Je ne me flatte nullement d'avoir montré dans ce court exposé toute l'importance des vérités qui se rattachent à la tradition ésotérique. En vous désignant trois de ces lumineux mystères et en vous montrant la force des rayons qu'ils projettent en tous sens, j'espère du moins avoir prouvé deux choses 1° d'abord l'insuffisance de la science matérialiste et de l'enseignement religieux sous sa forme actuelle pour vivifier et renouveler la mentalité contemporaine 2" la nécessité d'un retour a l'Intuition, a la Voyance et à l'Inspiration comme aux sources premières de la Connaissance, de la Sagesse et de la Vie'. 1. Disons ici que les deux phUosophes actuels
les plus remar-
A l'heure actuelle, un puissant courant ésotérique fait le tour du globe. Des années se passe-
ront encore avant qu'il ait transformé la menta-
lité de l'élite pensante et orienté l'opinion publique vers un nouvel idéal, conditions indispensables d'une rénovation sociale. Mais, dans l'impuissance momentanée de la Science et de la Religion à gouinspirer les à et âmes, pourquoi l'Art ne verner prendrait-il pas les devants? Pourquoi la poésie, dont le plus beau rôle fut toujours de deviner l'avenir à travers le passé et le présent, pourquoi la poésie ne se ferait-elle pas l'annonciatrice et la révélatrice des vérités profondes? Le poète redeviendrait alors ce qu'il a été jadis par l'initiation ou par son génie, le vates, le prophète. Mais cela n'est plus possible sans une sérieuse discipline philosophique, jointe à un recueillement profond et à l'intense concentration intérieure. Nos savants et nos philosophes sont trop enclins à croire que la conquête de la vérité est une pure affaire d'intelligence. Les poètes, de leur côté, auraient tort de croire que la poésie est une œuvre d'imagination et de fantaisie pure. Les hautes vérites ne peuvent se percevoir que par l'étreinte simulquables, M. Boutroux et M. Bergson, ont reconnu et proclamé cette antique vérité, que le matérialisme avait cru pouvoir mettre au rancart Aussi le remarquable ouvrage de M. Bergson sur l'Evolution créatrice est-il en train de provoquer une véritable révolution dans l'esprit de la jeunesse.
tanée de l'intelligence, du sentiment et de la volonté. Il en est de même, a plus forte raison, pour le Beau, qui est la splendeur éclatante du Vrai. Ah! vous avez cru comprendre les grands symboles ? dirais-je volontiers à toute l'école symboliste, qui aujourd'hui se meurt de fatigue et d'inanition. Vous avez organisé un jeu de cricket avec les lyres, les sceptres, les trépieds et les baguettes magiques qui ont servi aux maîtres du passé à évoquer les héros et les dieux mais il vous a manqué le verbe et la foi qui font de ces objets des instruments évocateurs. Savez-vous seulement ce qu'est un vrai symbole? Vous êtes-vous douté de la symbolique universelle ? Avez-vous médité sur cette parole d'un des plus grands poètes modernes « Tout ce qui passe n'est qu'un symbole ? Savezvous que les créations des plus grands hommes ne sont que les traductions d'une symbolique divine ? Oui, toute création procède par synthèse, et, si « comprendre est l'envers de créer )) comme l'a dit admirablement Villiers de l'Isle-Adam, il n'y faut pas moins d'énergie cristallisatrice. Nous sommes desséchés par un excès d'analyse, une sorte de machinisme universel nous étouffe, le scepticisme professé avec une fatuité tranquille nous tue. Dans tous les domaines, nous avons soif de synthèse, de foi et de vie. La poésie s'est tour tour stérilisée par l'abstraction, le sentimenta-
lisme pur ou l'apologie de l'instinct et de la matière brute. Son idéal serait la sensation puissante, pénétrée par le sentiment et dominée par l'idée. Le poète futur, s'il veut remplir sa mission, c'est-à-dire s'inspirer du Divin et le transmettre à la foule, devra donc joindre la connaissance la à foi et la haute discipline intellectuelle l'enthouà siasme. Les grands poètes du passé ont créé leurs plus belles œuvres à travers les grands mythes des religions, qui sont sortis de la vision astrale et furent de vivantes traductions de la Vérité
transcendante. Pourquoi le poète futur, tout en s'inspirant de ce trésor inépuisable, ne remonterait-il pas lui-même à travers le monde astral
jusqu'au monde divin, pour contempler directement les Archétypes et rapporter aux hommes sa vision des Dieux ?2
Voir l'Eternel à travers l'Ephémère, c'est comprendre le refondre, c'est créer. Hors de là, point de grand art.
J'ai passé ma vie à jeter autour de moi des idées et des œuvres, sans m'inquiéter de leur sort. J'ai semé sans attendre la moisson, ne demandant qu'à respirer l'air du ciel, à voir le lever du soleil après le coucher des étoiles. J'ai toujours cru d'ailleurs que l'une ou l'autre de mes graines tomberait sur
la bonne terre. Si cette très véridique et très
humble confession pouvait servir à éclairer d'un vieilles que le monde jour plus vif des vérités aussi divine, je ne et indestructibles comme la pensée regretterai pas de l'avoir faite. Mai 1911.
EDOUARD SCHURÉ.
PRÉFACE
Pour beaucoup d'hommes, l'importance et la valeur fécondité de leurs oeuvres ne sont nullement en rapport avec la notoriété dont ils jouissent et le succès superficiel qu'ils rencontrent. La part du temps ce succès est trop accueillantpluet, du reste, cette notoriété, purement passagère, s'évanouit
vite. Mais il est des écrivains comme des artistes-dont la pensée l'art valent ou mieux que l'accueil parcimonieux qui leur est fait, dont et 1 œuvre a jeté dans le monde des germes que les hommes, pressés, frivoles ou mal préparés, ne savent qu'en petit nombre percevoir et cueillir dans la floraison immense des idées, des mots, des formes. Edouard Schuré compte parmi ces grands esprits dont seule une élite, chez nous et à l'étranger, a suivi de très près le développement intellectuel et philosophique. Chez les philosophes indépendants, il rencontre de nombreux admira-
disciples déjà des écrivains, des même Il tours. a rarement dont l'orientation pourtant ne suit que probableTrès la sienne, ont subi son influence. consacré il a ses ment, la grande cause à laquelle ardeurs de son âme forces, son temps et les belles C'est la cause
noble et vigoureuse, triomphera. de la divine Psyché. problème Edouard Schuré s'est mis en face du même et de fondamental qui est celui de l'hommeallons-nous? venons-nous? Ou son essence. D'où triple question qui Que sommes-nous? Cette l'avenir est celle et présent le passé, le embrasse (le nous. qui, plus ou moins, se pose chacun répondre par la philosophie, c est-a~ cherché a qui circulent dire par l'étude des principes cachés rituelle des religions. A l'aide l'apparence sous 'intermédiaire d'une science vaste et sûre et par lorsque celle-ci raison de l'intuition, suppléant convidion devenait impuissante, il est arrivé à la même le inébranlable que l'Ame est l'essence L est « l'homme et Je grand principe de tout. le dit 1 épigraphe la clef de l'Univers», comme première page de significative qu'il a mise a la fondamental, Les Grands Initiés. ouvrage son para Présentée de la sorte, l'ouvre de Schuré En réalité ce caractère être purement religieuse.signification la plus proest celui qui en donne la est plus fonde. Toutefois la portée de cette rouvre sa pensée sous diverse, car l'auteur a exprimé études religieuses, différentes formes littéraires essais critiques, romans, poésie, historiques, pages chacun de nous drame, et de la solution que Edouard Schuré auquel apporte au grand problème
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a consacré ses études et ses réflexions, dépend l'orientation de la littérature et de l'art aussi bien que celle de la vie intérieure, par conséquent l'orientation de l'évolution sociale. Dans l'admirable réseau de la vie humaine, toutes les mailles se commandent et se soutiennent plus ou moins. C'est pour ces raisons importance de l'œuvre
et insuffisante diffusion, surtout chez nous, Français, de la doctrine, que nous avons entrepris d'écrire ce livre sur Edouard Schuré. Il ne nous appartient pas de dire ce que nous avons fait, mais il importe que nous expliquions ce que nous voulu faire. Cet ouvrage est né de notre avons admiration commune pour M. Edouard Schuré et son œuvre. Nous croyons profondément à l'excellence d'une renaissance de l'âme humaine, et aux inépuisables bienfaits que l'humanité peut retirer d'une connaissance plus lumineuse de cette âme. Celle-ci, en effet, au siècle dernier, celui où nous avons pris racine et qui nous a formés, s'est atrophiée. Ce fut parfois sous l'influence d'un rationalisme sec, orgueilleux et étroit, parfois sous l'action d'un naturalisme obtus, grossier et déprimant, parfois encore par la faute d'un dogmatisme religieux superficiel, rapetissé et éminemment formel. Or, il est dit dans la seconde ~p~'e aux Co~'M~MM~; « L'esprit vivifie, et la lettre tue. » Il aurait d'autres y causes à invoquer, le scepticisme égoïste et facile, l'indifférence atone, le désir des jouissances prochaines, la science mal comprise et la raison dévoyée chacun, à part soi, en trouverait de nombreuses; encore mais celles-ci sont les principales. Cependant, si l'âme subit des malaises, elle
s'accomplissait, il ne meurt pas. Un travail caché continue aujourd'hui. Des résultats se sont déjà manifestés. Nous avons voulu collaborer pour notre part à ce grand travail de rénovation, en nous faisant mieux connaître, en vulgarisant d'Edouard la pensée n'avons pas peur du mot Schuré. Celle-ci a déjà rencontré des contradicteurs. C'était chose inévitable. Nous ne pouvons prétendre convaincre ceux que l'œuvre elle-même n'a pas convaincus. Nous trouvons légitime que des convictions dinérentes, après loyale enquête, n'abdiquent pas devant cette pensée. Il n'y a pas de dogme schuréen, surtout de dogme un et indivisible, c'est notre conviction. D'ailleurs, l'auteur des Grands Initiés l'a nettement déclaré dans une lettre-dédicace qu'il adressait un jour a M. Henry Bérenger et qui se trouve en tête de son roman Si L'Ange et la Sphinge. Il y est dit en effet «
si nous regardons « nos routes sont diverses, «
l'Infini à travers d'autres déchirures du grand
voile, je sens que rien ne peut nous séparer et but. Qu'est-il « que nous marchons vers un même « besoin de la vaine unité des doctrines quand « les notes harmoniques vibrent sans cesse et se <( répondent du fond des cœurs ? Qu'est-il besoin « de formules factices lorsqu'on s'est reconnu a « la même source de vie, dans un principe comnotes harmo« mun d'action? » Ce sont ces « souhaitable et « niques » que nous trouverions d'entendre résonner que nous croyons possible chez chacun de nous. Tous les apôtres d'une idée, tous les pèlerins d'une foi, tous les acteurs d'une épopée ne suivent pas les mêmes sentiers. Ils se
«
contentent d'orienter leurs pas et leurs efforts vers un même but. Le but ici, c'est
le triomphe de l'âme. Savants, prêtres, philosophes, poètes, artistes
pa~s
peuvent y collaborer. Par eux et ~vres, la foule à son tour apportera sa contribution et à son tour aussi trouvera sa récompense. Puisse ce livre inviter à mieux connaître plus clairvoyants initiateurs de la pensée un des française et humaine I
A.R.
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R. V
Les deux auteurs ayant cherché ensemble à pénétrer dans l'ceuvre la pensée d'Edouard Schuré se sont trouvés, et comme l'indique la Préface, partager une même opinion 1 origine de leur collaboration à son sujet. C'est et c'est ce qui espèrent-ils mettra de l'unité dans Par ailleurs, en effet, dans ce livre dont Robert Veyssié avait eu la première Alphonse Roux la première pensée, ils ont écrit, partie I- Le Théosophe II. Le Penseur et l'Esthéticien; 111. Le Littérateur; Robert Veyssié, la deuxième pa tie I. Le dramaturge; II. Le poète. De plus, Edouard Schuré l'occasion de cette étude la a bien voulu écrire à Confession philosophique » qui se trouve en tête de cet ouvrage.
leu~u~e
PREMIÈRE PARTIE
LE THËOSOPHE LE PENSEUR ET L'ESTHÉTICIEN LE LITTÉRATEUR PAR
ALPHONSE ROUX
CHAPITRE PREMIER LE THÉOSOPHE
L'unité morale et intellectuelle de 1 œuvre d'Edouard Schuré est admirable. Il est l'homme non point d'une idée qu'il aurait successivement
étudiée sous ses aspects divers et présentée sous faces différentes, ses mais d'un cycle d'idées et d'intuitions rayonnant autour d'un centre mun. Seulement les rayons différents quicomont dirigé sa pensée s'élevaient et progressaient sans cesse. C'est pourquoi, très conscient de ce mouvement ascensionnel, il a pu écrire avec justesse « Je n'ai pas cessé d'aimer j'aimais alors', mais je comprends mieuxce que pourquoi. » Il a su aussi trouver pour se caractériser soi-même cette belle image « Dans le circuit vaste décrit par ma pensée depuis l'Histoire du Lied, j'ai suivi, me semble-t-il, une spirale ascendante, qui me 1.
Trente-cinq ans p)ua tôt.
mais ramène aujourd'hui à mon point de départ, De !à, suivant encore sur un plan supérieur'.il » embrasse du regard « sa propre expression, qu'il voit, je n'autout le chemin parcouru. » Ce qu'il a bien rais pu aussi nettement le dégager voulu le faire lui-même dans cette sorte de conIl y fession philosophique qui précède nos pages. d'impréaurait inconvénic~ de redite ou danger Cependant il cision essayer un nouvel exposé. départ de cette importe de bien établir au point dedoctrm.. étude le caractère essentiel de sa
dans La clef de pensée schuréonne se trouve livre l'introduction des Grands Initiés. C'est à ce pénétrer qu'il faut toujours en revenir pour bien il renferme sa moelle. « Si doctrine, car cette en parmi nos quelque chose de moi devait survivre fait que passer, frères, dans ce monde où tout ne témoignage d'une je voudrais que ce fût ce livre, flambeau foi conquise et partagée. Comme un narcisse d'Eleusis, orné de noir cyprès et de qui m'a Celle étoilé, je la voue à l'âme ailée de proconduit jusqu'au fond des Mystères alin qu'il de qu'il annonce l'Aurore la sacré et feu le page grande lumière
2
»
de l'édition de 1902, p. 4. Il est 1. Ilistoire du Lied. Préface notamment fait allusion ici aux débuts Uttérai~ de l'auteur, Lied (1868) qui fut a la première édition de cette de début. son oeuvre Les Grands Initiés, Dédicace à la mémoire de 2.
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Albana Mt9'ta<t/.
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Or, voici le début de cette introduction « Le plus grand mal de notre temps est que la Science et la Religion y apparaissant comme deux forces ennemies et irréductibles. Mal'intellectuel d'autant plus pernicieux qu'il vient de haut et s'infiltre sourdement, mais sûrement dans tous les esprits, comme un poison subtil qu'on respire dans l'air. Or tout mal de l'intelligence devient à la longue un mal de l'âme, et par suite mal un social. » Cet antagonisme de la Science et de la Religion hante l'esprit d'Edouard Schuré. Il y insiste longuement, il l'étudié sans jamais fatise guer, il l'exprime en formules à la fois très travaillées et, dirait-on, toutes spontanées tant elles sont naturelles en leur force et leur netteté. « La Religion répond aux besoins du cœur, de là sa magie éternelle, la Science à ceux de l'esprit, de là sa force invincible. Mais depuis longtemps, ces puissances ne savent plus s'entendre. La Religion sans preuve et la Science sans espoir sont debout, l'une en face de l'autre, et se défient sans pouvoir vaincre' Plus loin se )). nous lisons encore « Tant que les théologiens se feront de Dieu une idée enfantine et que les hommes de science l'ignoreront ou le nieront purement et simplement, l'unité morale, sociale et religieuse de notre planète ne sera qu'un pieux désir ou un postulat de la/Religion et de la Science impuissantes à la réaliser. 2 » Et enfin dans un autre ouvrage, Femmes inspiratrices et Poètes annonciateurs, Edouard Schuré reprenant cette idée, mais la concrétisant ').
Les Grands 7M<!< Introduction,?, Grands Initiés, Moïse, p. 160. vm-ix.
2. Les
forces sociales et morales qui sont l'Université et l'église, écrivait' « Le mal qui m'oppressait, le poison qui arrêtait l'essor me rongeait le cœur, le poids qui c'était le mal de ma pensée et de mon vouloir même de mon siècle, le doute, le doute paralysant et destructeur, le doute sur le but de la vie, en somme sous les espèces des deux
l'avesur l'au-delà, sur la destinée humaine, sur Dieu. nir de l'humanité, le doute sur l'Ame et sur Réfléchissant à tout cela, nous en vînmes, mon amie et moi, à cette conclusion que, parmi tant de maux qui affaiblissent l'humanité actuelle, il
fallait compter l'absence d'une foi vivante et d'une base philosophique pour l'éducation de la jeupossinesse. Il n'y a pas de grand idéal humain ble sans une foi transcendante jointe à un concept rationnel de l'univers. Toute l'histoire de la aujourd'hui, nous race aryenne le prouve. Or, desvoyons l'Eglise gouverner avec un dogme séché en rites et en prescriptions, fausse religion qui n'est qu'un moyen d'opprimer les intellila foi gences, religion qui ne donne nullement créatrice et qui n'est d'ailleurs pour les mondains qu'un moyen de parvenir en faisant commodément combattre son salut. L'Université croit pouvoir l'église avec la doctrine de Darwin et une morale d'où les concepts vitaux de l'Ame et de Dieu, s'ils ne sont pas officiellement supprimés, n'existent plus qu'à l'état abstrait. Elle enseigne des dans la Préi. La même idée est reprise et précisée encore Jeunesse face des S~c;!<~cs d'O~e~, dont la d.iifficc,
libre, est particulièrement significative. 2. Madame MargheritaAibana Mignaty.
la
monceaux de faits, mais, depuis qu'elle s'est fait de l'univers un concept matérialiste, elle n'éduque plus les âmes, elle n'élève plus les intelligences » La double attaque est vive et tient un compte chétif des exceptions de détail. Edouard Schuré sait qu'il est des universitaires capables et désireux d'éduquer les dmes, et que Pasteur, qui fut un grand savant, ne laissa pas cependant de demeurer un sincère croyant, soumis au dogme de l'Eglise. Mais il est allé au fond même de la question et il a constaté que le tuf serré, le support fondamental de l'édifice était essentiellement chez les uns la Foi en dehors de la Science, chez les autres la Science sans la Foi. Il semble bien qu'il ait eu, pour le moins de la part d'un des deux adversaires, un aveu à peine déguisé. C'est la réponse de M. Lavisse, rapportée plus haut dans la Confession pAt7<M(~oAî~Me~ « On ne peut vivre que pour le Ciel ou pour la Terre. » Quant au second des deux adversaires, il n'avoue pas. Et pourtant les querelles actuelles du modernisme indiquent bien que pour lui la Science n'est qu'une ouvrière dont il se réserve de contrôler et de diriger le travail. Douloureux antagonisme qui fait souffrir plus d'une âme et en trouble beaucoup, car, ainsi que l'a fort bien vu Edouard Schuré, « qui que nous soyons, àquelque école philosophique, esthétique et sociale que nous appartenions, nous portons en nous ces deux mondes ennemis, en apparence irréconciliables, t. Femmes inspiratrices et poètes annonciateurs, Margherita
Albana Mignaty, p. 2j 5-216. 2. Con fession philosophique, p. xvn.
qui naissent de deux besoins indestructibles de l'homme le besoin scientifique et Je besoin religieux 1 .» D'instinct et par volonté consciente aussi, il est attiré par ceux qui ont souffert de ce conflit de l'âme. H nous découvre celui-ci notamment en l'âme d'Ada Negri, la poétesse italienne contemporaine. Car ce n'est pas seulement « une voix du peuple », suivant son expression, qu'il a entendue en elle, c'est le cri blessé de la femme en qui « la vérité de l'âme ? combat avec « l'orgueil de la raison. » Elle aussi, nous dit-il, qui retentit sous « avait entendu cette voix les nefs profondes des cathédrales, la voix de l'église qui dit à l'Ame éperdue Moi seule je possède la vérité, moi seule j'ai la clef du salut. Cesse de penser et obéis. » Mais elle n'était pas de celles qui, pour vivre heureuses et tranquilles, peuvent abdiquer le divin privilège de l'homme
la conscience et la liberté. Elle entendait aussi la voix de la. science matérialiste qui dit aux incrédules et aux révoltés « Dieu et l'âme sont de vaines chimères. Résigne-toi et console-toi de ce qu'il n'y ait pas de tyran là-haut. Car l'homme, ce fils du néant, sera Dieu un jour sur la terre. » Quelque chose disait à la poétesse qu'une telle doctrine non seulement ne satisfait pas l'âme, mais n'explique en rien l'univers » Tel est bien le mal dont souffre notre époque. La plupart de ceux qui pensent portent en leur esprit deux principes opposés et ennemis qui se combattent plus ou moins douloureusement. En fait, un 1.
Les Grands
Initiés, Introduction, p. ix.
2. Précurseurs et Mt'c<iM, Ada Negri, p. 202-203.
grand nombre d'entre nous réduit au silence la voix del'unde ces deux principes adversaires. H est des croyants qui, sentant leur foi encore assez forte pour imposer sa loi, mais incertains et même déjà inquiets sur la durée de cette domination, ordonnent à leur raison de se taire. Qui ne connaît de ces âmes qui refusent le combat entre la Science et la Religion parce qu'elles ne sont pas sûres du triomphe de celle-ci et préfèrent croire à sa toute-puissance sans l'exposer à en fournir des preuves? Les affres de Pascal dépassent la mesure de ce à quoi ose s'exposer le commun des hommes. Quant aux autres, nombreux, plus nombreux sans doute, ils se réfugient dans un scepticisme contradictoire et surtout formé d'opportunisme. i~tre sceptique en effet, c'est examiner et se rendre compte. Combien avons-nous de ces sceptiques? On n'examine pas, on se contente de ne pas accepter. On ferme les yeux et l'on dit qu'on ne voit pas. On ne veut pas s'exposer aux angoisses du philosophe Jouffroy qui mourut de son doute. Croyants, rationalistes, vrais sceptiques, tous doivent reconnaître la justesse de ce tableau moral. Il ne leur est pas malaisé non plus de découvrir la victime insigne de cet état d'hostilité, c'est Psyché, c'est l'Ame. Le xix° siècle surtout à son déclin lui fut cruel. La raison, en haut, l'instinct en bas, lui livrèrent combat et tentèrent de la supplanter. Renan a écrit « L'âme est une résultante des forces du corps. » Taine à son tour a repris à peu près la même idée sous une forme plus imagée et je dirais volontiers plus sensa-
tionnelle, car du moins sa formule est restée plus fidèlement encore dans nos mémoires, lorsqu'il a dit, « La vertu et le vice sont des produits naturels comme le sucre et le vitriol ». Quant à la forme basse du naturalisme, du reste mal compris, on sait a quelles erreurs il a conduit Zola en quelques-unes de ses pages et quelles œuvres honteuses il tâche de recouvrir chez certains écrivains de bas étage et chez certains artistes de mauvais aloi. « Et la pauvre Psyché ayant perdu ses ailes gémit et soupire étrangemeut au fond de ceux-là môme qui l'insultent et la nient. )) Cette âme, Edouard Schuré veut la libérer. Il la libérera, ditil, parce que seul l'antagonisme de la Religion et de la Science rive ses chaînes et la meurtrit. Mais il ne faut pas s'y tromper, il ne s'agit pas ici d'une de ces réconciliations de pure apparence comme celles dont les hommes se contentent souvent dans les manifestations diverses de leur activité pratique. L'auteur s'explique a ce sujet. Après avoir étudié les grands Voyants du passé, aidé par cette Margherita Albana Mignaty qui fut, suivant son expression, son « Guide )), il a lui-même reçu l'éclair qui féconda les germes dont son âme était pleine « Oui, dit-il, tel fut, a travers les grands Voyants du passé, notre rève d'avenir pour l'humanité. Il ne s'agissait plus d'une réconciliation de la Science et de la Religion actuelles, également stériles au point de vue de la vie complète, mais plutôt d'une telle métamorphosequ'elle ne serait pas seulement une transfiguration de l'une et de l'autre, mais encore une résurrection de l'Art sacré sous des formes nouvelles et plus
Il
amples' propose donc le grand remède au mal moral dont souffre l'humanité. Il y aurait, pour un homme livré à ses seules
forces, une singulière présomption à proposer la guérison des maux de Psyché, la libération de la divine prisonnière. Edouard Schuré n'a ni l'outrecuidance, ni, au contraire, la candeur de se donner lui-même comme le Guérisseur désiré. Il laisse sa propre personne dans l'ombre et, au lieu de crier des vérités sorties de lui-même, il met au point les enseignements cachés des religions successives que les grands Initiés apportèrent à l'humanité. C'est cette tradition occulte qui constitue l'ésotérisme. La part bien personnelle de Schuré et cela il le reconnaît sans c'est fausse modestie, sans orgueil non plus d'avoir été un Voyant, à sa manière même un Initié, d'avoir pu, grâce à une illuminationintérieure, percer la surface des choses pour pénétrer jusqu'à la moelle des idées L'ésotérisme, suivant une très juste dénnition~, est « la vie commune et intime de toutes les grandes religions et de toute grande philosophie. » Sainte-Beuve, dont le nom ne peut venir qu'accidentellement en pareille étude, mais dont l'opinion est, par le fait même, précieuse à enregistrer, a écrit de la théosophie qu'elle était « l'esprit intelligent des religions. » Comme le dit i. Femmes inspiratrices et Poètes annonciateurs, p.
226.
2. L'étude consacrée à madame Margherita Albana Mignaty
dans Femmes inspiratrices et Poètes annonciateurs nous fait M~ister à cette influence et !t cette genèse. 3. Ludwig Scheemann, Bayreuther Btœtter, 1897.
Edouard Scburé lui-même « Toute, les grandes religions ont une histoire extérieure et une histoire intérieure, l'une apparente, l'autre cachée. Par l'histoire extérieure, j'entends les dogmes et les mythes enseignés publiquement dans les temples et les écoles reconnus, dans le c ulte et les superstitions populaires. Par l'histoire intérieure, j'entends la science profonde, la doctrine secrète, l'action occulte des grands initiés, prophètes ou reformateurs qui ont créé, soutenu, propagé ces mêmes religions. La première, l'histoire officielle, celle qui se lit partout, se passe au grand jour elle n'en est pas moins obscure, embrouillée, contradictoire. La seconde, que j'appelle la tradition ésotérique ou la doctrine des Mystères, est très difficile à démêler. Car elle'se passe dans le fond des temples, dans les confréries secrètes, et ses drames les plus saisissants se déroulent tout entiers dans l'âme des grands prophètes, qui n'ont confié à aucun parchemin ni à aucun disciple leurs crises suprêmes, leurs extases divines. Il faut la deviner. Mais une fois qu'on la voit, elle apparaît lumineuse, organique, toujours en harmonie avec elle-même. On pourrait aussi l'appeler l'histoire de la religion éternelle et universelle. En elle se montre le dessous des choses, l'endroit de la conscience humaine, dont l'histoire n'offre que l'envers laborieux. Là, nous saisissons le point générateur de la Religion et de la Philosophie qui se rejoignent à l'autre bout de l'ellipse par la science intégrale. Ce point correspond aux vérités transcendantes. Nous y rouvons la cause, l'origine et la fin du prodigieux
travail des siècles, la Providence en ses agents
tcrrestres
)).
Si l'on compare les divers ésoté-
rismes des grandes religions, l'on arrive au dire de l'auteur son livre des G~Me~/K~t'e~nous prédispose à le croire à cette conclusion « l'antiquité, la continuité et l'unité essentielle de la doctrine ésotérique ». Nous sommes donc en présence de « la science des sciences. )) Que nous apprend-elle? L'auteur a bien voulu résumer pour nous, dans sa Confession Philosophique l'essentiel de la sagesse ésotérique. Sans reprendre ici ce qu'on y a vu en tête de cette étude, il faut toutefois rappeler qu'elle pose en principe que « la connaissance approfondie et transcendante du monde intérieur peut seule fournir les clefs pour la reconnaissance du monde extérieur. Ses sources sont l'Intuition, la Voyance et la compréhension des Idées-Mères dans leur ensemble organique. « Sa méthode est l'application de ces idées à tous les domaines de la Science, de l'Art et de la Vie, sous le contrôle sévère de l'observation et de
-et
la raison. « Son instrument de travail, qui lui sert en
même temps d'orientation et de pierre de touche dans cette œuvre complexe et subtile, est la loi des analogies universelles et différenciées, qui permet de ramener les phénomènes les plus variés à leur unité primordiale. » Ses principes essentiels sont exprimés dans l'Introduction des Grands Initiés, ce livre auquel il faut toujours en revenir. 1. Les
Grands Initiés, Introduction,p.
XIII-XIV.
«
L'esprit est la seule réalité. La matière n'est
que son expression inférieure, changeante, éphémère, son dynamisme dans l'espace et le temps. La création est éternelle et continue comme la Vie. Le microcosme-homme est par sa constitution ternaire (esprit, âme et corps) l'image et le miroir du macrocosme-univers (monde divin, humain et naturel), qui est lui-même l'organe du Dieu ineffable, de t'Esprit absolu, lequel est par sa nature Père, Mère et Fils (essence, subsVoila pourquoi L'homme, image tance et vie). de Dieu, peut devenir son verbe vivant. La gnose ou la mystique rationnelle de tous les temps est l'art de trouver Dieu en soi, en développant les profondeurs occultes, les facultés latentes de la conscience. L'âme humaine, l'individualité est immortelle par essence. Son développement a lieu sur un plan tour à tour descendant et ascendant, par des existences alternativement spiriLa réincarnation est la tuelles et corporelles. loi de son évolution. Parvenue à sa perfection, elle y échappe et retourne à l'Esprit pur, à Dieu, dans la plénitude de sa conscience. De même que l'âme s'élève au-dessus de la loi du combat pour la vie lorsqu'elle prend conscience de son humanité, de même elle s'élève au-dessus de la loi de réincarnation lorsqu'elle prend conscience de sa divinité~.
»
Quelle est la valeur de ce système? Évidemment cette question se pose a nous. La réponse est assez embarrassante. Un philosophe rationa<.
Les Grands
Initiés, Introduction, p. tx-xxi.
liste ne comprendra pas la part faite à l'occultisme, un savant matérialiste restera incrédule devant la réincarnation puisque celle-ci non seulement suppose l'âme, mais fait tout converger vers sa purification et son absorption en Dieu; un théologien catholique rejettera l'essence même de cette doctrine pour laquelle toutes les grandes religions sont une part de la vraie religion, et où l'on donne à Jésus le premier rang M~e~a~ c'est-à-dire entre interprètes différents d'un même Dieu. L'ésotérisme schuréen, comme toute religion, fait sa part à l'indémontrable, seulement, il conduit le plus près possible de la preuve par l'apport qu'il demande aux sciences, à l'histoire, à la raison et qu'il en reçoit. Edouard Schuré a bien vu où était la difficulté. Il écrit en effet « Loin de moi la vaine pensée d'avoir donné de cette science des sciences une démonstration complète. H n'y faudrait pas moins que l'édifice des sciences connues et inconnues, reconstituées dans leur cadre hiérarchique et réorganisées dans l'esprit de l'ésotérisme 1. L'auteur a réussi admirablementà nous montrer de Rama à Jésus en passant par Krishna, Hermès, Moïse, Orphée, Pythagore, Platon, les grandes idées ésotériques telles qu'une théosophie savante et éclairée les révèle suivant leur voie cachée, s'enrichissant, s'épanouissant et se précisant. Dans la série des grands initiés qui depuis les siècles les plus lointains marquent les étapes prin1. Les
Grands Initiés, Introduction, p. xxvnr.
cipales de l'histoire secrète des religions « Rama ne fait voir que les abords du temple. Krishna et Hermès en donnent la clef. Moïse, Orphée et Pythagore en montrent l'intérieur. Jésus-Christ en représente le sanctuaire'. » Cette présentation en raccourci du livre qui va suivre éveille déjà en nous une curiosité singniièrement aiguë et noble. En vérité, nous assistons, au cours de ses cinq cent cinquante pages, au déroulement d'une magnifique épopée, celle de nos idées religieuses, de nos rites séculaires, de notre âme. Du chaos des races aux couleurs différentes et de l'incohérence des instincts sont progressivement sortis l'ordre et la clarté, par la canalisation en deux grands courants, le sémitique et l'aryen, qui jusqu'à présent se sont opposés et dans la fusion
desquels Edouard Schuré voit pourtant le salut de l'humanité. Le courant sémitique nous conduit, vers l'Egypte, le courant aryen vers l'Inde où s'organisa la première civilisation par l'intermédiaire de la race blanche victorieuse. Rama fut le grand organisateur de ces Aryas dont nous, Européens, nous descendons presque tous. Les Védas nous font connaître sous la forme sinon rigoureuse et historique, du moins poétique et symbolique, son œuvre et sa doctrine. Nous y saisissons déjà le « Dieu unique qui pénètre et domine le grand tout », les deux principes essentiels, ~Mt ou l'Esprit pur, Soma ou la Nature, l'affirmation par laquelle l'acte cosmogonique est un sacrifice perpétuel, enfin l'immortalité de l'âme. Le grand 1. Le~
Grands Initiés, Introduction, p. xxix.
fleuve. de l'ésotérisme a commencé sa longue
course, pourtant nous ne sommes encore qu'à sa ~"o&~ source. Mais les Aryas vainqueurs ne peuvent conserver la pureté de leur race, car dans l'Inde successivement conquise ils se heurtent à tous les mélanges. Aussi « la civilisation hindoue nous apparaît ainsi comme une formidable montagne portant à sa base une race mélanienne, les sangs mêlés sur ses flancs et les purs Aryens à son sommet. » Qui triomphera? Krishna fournit la réponse. Vers 3.000 avant notre ère (selon la chronologie l'an des brahmanes) la Vierge Devaki pied du mont au Mérou, dans une fraîche vallée «semée de pâturages et dominée par de vastes forêts de cèdres, où glissait le souffle pur de l'Himavat », mit au monde son fils Krishna. Or, Devaki avait conçu divin en dehors du commerce des hommes.l'enfant donc la notion du fils de Dieu, né d'une Voilà Vierge Mère, la notion d'un Messie révélée à l'humanité. Mais nous sommes au début de l'âge de KaliYoug où « la soif de l'or et du envahit le monde. » En ces temps troubléspouvoir et déjà déchus, Krishna souffre, est persécuté et finalement donne sa vie pour accomplir sa mission divine. L'idée messianique se précise de plus n'est pas la seule qui se dégage de laen plus. Ce vie et de l'enseignement de cet Initié, mais un résumé comme celui-ci ne peut qu'évoquer l'essentiel de cette belle épopée je reprends le mot à dessein qui nous conduit aux sources mêm.s de la doctrine ésotérique « dans les jungles du Gange et les solitudes de l'Himalaya. »
pénétrons
Avec Hermès, l'égyptiaque, nous de la science dans l'Egypte, la grande dépositaire sacrée des temps primitifs, le pays du culte lence de l'initiation, par le m.mstere qui ne devait d'Isis et d'Osiris, mais de l'initiation la révéjamais se divulguer, et qui consistait en n'arrilation des mystères sacrés, à laquelle on graduées, vait qu'après des épreuves savamment
pa_
s'épuraient successioù le corps, l'esprit et l'âme vement. Hnitiation égyptienne conduisait au En somme, Moïse monothéisme. Ce fut ce monothéisme que de sa connut et divulgua. La est l'importance était fini. mission. D'ailleurs le rôle de l'Egypteelle voyait Envahie par les étrangers, déchue, remplacer la deux peuples nouveaux se lever pour d'Israël et dans l'histoire de la civilisation, celui lui prendre celui de la Grèce. Le premier devait du trésor religieux et, possesseur son héritage Ce fut Moïse sacré, préparer le christianisme. Il fit de ce l'homme marqué pour cette tâche. de l'initiation « summum Désorthéisme, le dogme unique de la religion. « beau se mais ~humanité aura beau faire, elle aura soubrerévolter, se débattre contre elle-même encette idée de autour elle convulsifs, tournera sauts soleil qui centrale comme la nébuleuse autour du et le l'organise » Mais Moïse impose par la terreur a besoin de cette mystère sa loi et ses rites. Il résister au polyénergie et de ces voiles pour ne peut conthéisme envahissant. Toutefois il Il n'entre pas duire son oeuvre à sa fin dernière. Son œuvre symbolique Terre Promise. dans la
de Législateur attend celle du Rédempteur, de
Jésus.
Le second peuple que l'Egyp. en décadence voyait se lever par-delà les flots de la Méditerranée était le peuple grec. Chez celui-ci, qui nous paraît en général n'avoir reçu d'autre mission que de répandre sa grande lumière claire et joyeuse sur la beauté humaine, l'ésotérisme devait aussi marquer sa trace profonde et suivre un cours ininterrompu. Orphée fut son premier initiateur. Certes tout est obscur sujet de au ce poètemusicien qui fut aussi un prêtre. Il semble pourtant bien qu'à lui doive remonter la première révélation des mystères de Dionysos, l'intermédiaire des traditions de la Thrace oùpar il était né. n fondit la religion en apparence polythéiste et fond au concentrée en Zeus avec celle de Dionysos. C'est-à-dire que partant lui aussi de l'initiation égyptienne, dont Moïse avait pris l'élément d'énergie, il s'éprend la dualité ésotérique de t bterneI-Féminin, de en la Nature, et il la glorifie au nom de Dieu. Evohé, le cri orphique et dionysiaque par excellence, est un appel à la vie sans cesse renouvelée, à la grande Nature sacrée. Seulement, fut dans l'ombre des Mystères et le secret dés Confréries que se perpétua la parole orphique. Il ne faut en chercher l'écho dans les chants des fêtes,pas le long des portiques de marbre ou la traduction plastique dans les frontons triangulaires des temples. Un jour vint pourtant où cette doctrine renonça au secret hermétique. Elle se glissa hors des mystères, sans cependant se répandre encore
parmi le vulgaire. Ce fut elle qui constitua l'élément caché et vivifiant des grands systèmes philosophiques et de grandes inspirations poétiques. Les deux hommes qui servirent le plus à cette réalisation sont Pythagore et Platon. Si le but de des cette étude était de pénétrer dans les arcanes religions, il faudrait longuement s'arrêter sur Pythagore qui, le premier, initié et homme d'action, réalisa la synthèse à la fois interne et vivante de la doctrine ésotérique et tenta la grande initiation laïque. Aussi est-ce dans l'institut pythagoricien, vrai microcosme formé d'après les préceptes du maître que nous devrions entrer. Et cet institut était « à la fois un collège d'éducation, une académie des sciences et une petite cité modèle sous la direction d'un grand initié. C'est par la théorie réunis, et la pratique, par les sciences et les arts qu'on y parvenait lentement à cette science des sciences, à cette harmonie magique de l'âme et de l'intellect avec l'univers, que les pythagoriciens considéraient comme l'arcane de la philosophie et de la religion ». Ce passage, dans lequel M. Edouard Schuré présente en un vigoureux raccourci le tableau de l'effort accompli dans la confrérie pythagoricienne, suffit, ici où nous voulons simplement indiquer le contenu des Grands Initiés, à faire entrevoir ce que doit être la richesse de ce chapitre, dans lequel, après avoir suivi la vie de l'initié comme dans les autres chapitres de cet ouvrage, nous accompagnons le novice dans degrés de perfecses éprouves et dans ses trois tionnement la Préparation, où la jeunesse est entraînée à la vie meilleure, la Purification, ou la
théogonie, dans laquelle la science des Nombres sacrés est étudiée, enfin, la Perfection ou la cosmogonie, dans laquelle la science de l'âme est révélée. Pour la même raison il suffira d'indiquer rapidement ce que fut le rôle, non point essentiel, au fond, mais si heureux pratiquement, de Platon. Il a créé l'Idéal, c'est-à-dire un refuge et une consolation. Tout le monje ne peut pas suivre les différents degrés de l'initiation et parvenir au chœur du temple, la philosophie platonicienne fut et, dans ses lointains reflets, demeure comme « la salle d'attente de la grande initiation ». Mais, comme le dit Edouard Schuré, l'heure du monde se faisait solennelle. En « » somme, les grands initiés grecs Orphée, Pythagore, Platon avaient échoué « devant l'égoïsme des politiciens, devant la mesquinité des sophistes les et passions de la foule. » D'autre part, la mission incomplète de Moïse appelait une conclusion. Rome était incapable de rien faire pour ni contre la religion. Rome conquérante est couchée comme un vam« pire sur le cadavre des sociétés antiques » et c'est Pourtant tout. le peuple d'Israël attend le Promis, celui que les prophètes ont annoncé. Tous les peuples même, mais plus vaguement, escomptent la naissance d'un enfant divin. Jésus naît. M. Édouard Schuré consacre cent pages à Jésus Ces cent pages sont un chef-d'œuvre de coordination et de clarté, de science et d'émotion. En toute sincérité je n'ose les affaiblir- et que pourrais-je faire d'autre les analysant. D'ailleurs en
ont elleselles se refusent a l'anal, -e, car elles essentiel, et mèmes éliminé tout ce qui n'est pas do commenle sujet qu'elles traitent appelle trop entreprendre taires pour qu'on se risqr a en qu'on sentirait si vite trop pauvres et trop rares. c'est que Ce qu'il importe cependant de dire Edouard Schuré, rejetant le Jésus de Strauss, de Renan et de Théodore Keim, essaye à son tour permet le d'une nouvelle explication, celle que lasynthèsede point de vue ésotérique, c'est-à-dire la Scienceet de la Religion. La Religion chrétienne officielle n'admettrapas ce portrait, la Science non Edouard plus. Mais nous savons déjà que pour M. Schuré ce sont la deux sœurs ennemies et aveuglées qui, se combattant et se méprenant, errent Jésus l'une et l'autre tous les jours d'avantage. le n'est présenté ici que comme un grand Initié, car plus grand, et vraisemblablement le dernier, splendide c'est lui qui apporta la dernière pierre au édifice de la religion ésotérique. La lecture de ce chapitre est passionnante. Le drame d'oit est sorti le monde moderne est suivi pas à pas, et, quelle que soit la conviction laquelle on reste attaché, on ne peut qu'admirer la grandeur de l'horizon qui se déroule devant soi « Jésus, universalité, embrasse les par sa largeur et son deux côtés de la vie. Dans la prière dominicale qui résume son enseignement, il dit « Que ton ciel. )) Or le sur la terre comme au vienne règne « l'accomplisserègne du Divin sur la terre signifie toute la ment de la loi morale et sociale dansBeau, du richesse, dans toute la splendeur du Bien, et du Vrai. Aussi la magie de sa doctrine, sa
puissance de développement en quelque sorte illimitée résident-elles dans l'unité de sa morale et de sa métaphysique, dans sa foi ardente en la vie éternelle, et dans son besoin de la commencer dès ici-bas par l'action, par la charité active. Le Christ dit à l'âme accablée de tous les poids de la terre Relève-toi, car ta patrie est au ciel; mais pour y croire et pour y parvenir, prouve-le dès ici-bas par ton œuvre et par ton amour 11 » Quelques années plus tard, M. Edouard Schuré reprenait sous une autre forme une partie de ce que contenait ce premier ouvrage. Dans les Sanctuaires d'Orient il cherchait à évoquer les lieux mêmes où vécurent ceux dont la parole inspirée a continué à façonner notre vie spirituelle d'aujourd'hui. L'auteur nous conduit tour à tour en Egypte, en Grèce, en Terre Sainte. Les idées sont les mêmes que celles qu'on a entrevues dans les Grands Initiés. On voit plus nettement dans les Sanctuaires d'Orient la portée sociale de l'effort schuréen. L'auteur nous l'indique luimême en quelques mots « La Trinité de Thèbes, d'Eleusis et de Jérusalem n'est-elle pas la Trinité éternelle de la Science, de l'Art, de la Religion, fondus et transfigurés dans la vie intégrale~? ? » Un élément pittoresque, non point factice, mais nécessaire à l'évocation des lieux, vient s'ajouter. La lecture, dès lors, en paraît plus agréable; elle n'est pas plus attrayante au sens véritable du mot. Ce que nous trouvons en ce livre, c'est encore une fois le regret de l'antagonisme entre l'Eglise et la 1. Les Grands Initiés, p. 544. 2. Sanctuaires <fOyM!?t(, p. 432.
Science, de l'oubli dans lequel est tombé l'ésotérisme, et surtout c'est l'optimisme si caractéristique de l'œuvre et de la pensée d'Edouard Schuré. Car il ne désespère pas de l'avenir. Il fait appel à lui. D'autre part, il implore en une prière passionnée ceux qui pourraient réaliser cette union d'Occident, qui reflétez les « Ames d'Orient et deux pôles de la vérité, quand donc vous déciderez-vous à regarder l'une dans l'autre? J'entends celle de l'Occident dire a sa sœur « Laisse-nous, la foi est morte, tu n'es plus que poussière; à moi l'avenir! Et celle de l'Orient répond « Va toujours; ta science est maudite, elle mène au suicide; moi j'ai la paix dans l'Éternel. » Et moi, je leur dirai «Pourquoi vous méconnaître ainsi? Cherchez et osez regarder plus avant dans l'adversaire et en vous-mêmes? Croyants, vous n'avez pas encore assez de foi; rationalistes, vous n'avez pas encore été jusqu'au bout de votre raison' » 1 Vraiment peut-on ne pas admirer cet appel sincère et vibrant à la communion universelle en une vérité reconnue de tous? Peut-on surtout ne pas s'incliner devant la conviction de ce penseur qui, tout en s'affirmant avec tant de foi et de fierté, écrit pourtant « Aujourd'hui plus que jamais il veut. » Avant tout chaque « l'Esprit souffle où race, chaque peuple, chaque homme doit chercher en lui-même son Orient et son Occident, la terre d'où il vient et le ciel où il va. » Ce noble libéralisme fait honneur à celui qui le professe, et d'ailleurs il rappelle la parole que l'Eglise a admise 1.
Sanctuaires d'Orient, p. 429-430.
Paix aux hommes de bonne vu« ionté. » Je crois que s'il est un homme qui mérite la réalisation de ce vœu, c'est précisément celui qui écrit la phrase où il semble exprimer le même souhait. Mais il ne suffit pas de refaire avec Edouard Schuré ce vertigineux et émouvant voyage au cœur même et au cerveau des grandes races aryennes et sémitiques, dans l'Inde, en Egypte, en Asie Mineure, en Grèce, il ne suffit pas de l'accompagner aux grands sanctuaires d'Orient pour pénétrer les arcanes de sa foi et en subir l'éclatante fascination, il faut être soi-même un initié ou simplement un voyant qui, éclairé de la lumière théosophique, voit, sent et croit. Il faut ici, comme en toute religion et c'est pourquoi, bien que très savante et toute disposée à faire appel à la science, la doctrine schuréenne ne peut il faut, dis-je, une sorte de révélase prouver tion. Cette révélation viendra de l'intuition, c'està-dire de cette lumière intérieure qui prend sa source, semble-t-il, en soi-même, et n'a besoin d'aucun secours extérieur pour découvrir la voie aux élus de cette foi. On ne croit pas, quel que soit le domaine et l'objet de la foi, parce qu'on veut croire, parce qu'on sait qu'il faut croire. L'acte de foi est, au fond, un acte d'amour; il vient des profondeurs de notre être et sort du trésor intime parfois à peu près ignoré de celui-là même qui le possède. Le cri fameux de Pauline, dans Polyeucte, est l'acte de foi par excellence. Je uo~, je sais, je crois, je suis désabusée. en ses prières
«
Qu'est-ce donc qui a ouvert les yeux, éclairé Famé de la jeune femme? Polyeucte ne lui a rien expliqué, elle n'a pas étudié les livres saints, en vingt-quatre heures (les vingt-quatre heures de la tragédie classique) une évolution naturelle de s'est ce genre n'a pu se produire. Mais ce qui produit, c'est un miracle, un miracle d'amour. Le cœur de Pauline est très troublé dès le premier acte. Il s'ouvre peu à peu à Polyeucte et lorsque celui-ci subit en une extaxe radieuse le martyre auquel il a aspiré, un déchirement se fait dans l'âme de Pauline: elle aime éperdument Polyeucte. Seulement la seule expression de cet amour qui soit naturelle et possible, c'est précisément l'expression de foi religieuse. Comme Polyeucte, en qui désormais elle s'absorbe, elle voit, elle sait, elle croit. Un raisonnement par analogie peut s'appliquer à la révélation schuréenne. Si celle-ci vient des profondeurs de l'être et en vient à la condition de s'y trouver déjà1 elle peut n'arriver à la conscience que sous l'influence d'une autre âme. Edouard Schuré luimême a dû de se connaître à un phénomène de qui ce genre. C'est Margherita Albana Mignaty fut son initiatrice. « Je lui dois, a-t-il écrit, une résurrection de ma propre âme sous le rayon brûlant de la sienne. Je lui dois la certitude d'une lumière transcendante et la substance de ma foi. S'il m'était permis d'employer ici la langue des Mystères antiques, je dirais qu'elle fut mon Guide pendant sa vie et qu'elle devint mon génie après sa mort'. 1.
»
fermes inspiratrices et Poètes annonciateurs, p.
133.
Quelle que soit l'oeuvre que réédite désormais M. Edouard Schuré, elle ne saurait, sous peine de détruire le monument entier de sa vie, entrer en contradiction avec les Grands Initiés, centre rayonnant de tout son édifice. Elle ne peut même les modifier, elle se bornera sans doute à les éclairer, à en révéler des aspects nouveaux, à présenter l'idée fondamentale qui les anime sous un jour différent. Il y a quelques mois paraissait le premier volume d'une étude en deux parties, dont le titre général est l'Évolution divine et dont ce premier volume s'intitule Du ~~tMa? au Christ. Edouard Schuré n'a jamais rien écrit de plus hardi, car s'il part toujours des données de la science et do la connaissance, il les dépasse par l'interprétation qu'il en donne et les conséquences que, grâce à l'intuition et la voyance, il en fait découler. La lecture de cet ouvrage donne une sorte de vertige. Et pourtant il n'est qu'une reprise de ce que les Grands Initiés nous avaient enseigné, reprise si peu semblable à une répétition qu'il nous semble être en un pays inconnu où des horizons insoupçonnés s'ouvrent à nos yeux. C'est que dans l'Evolution divine le point d'où le théosophe regarde la divinité, la nature, et l'homme, a changé. « Dans les Grands Initiés, dit-il, je cherchais à percevoir le monde divin à travers la conscience des Grands prophètes de l'humanité, comme on regarde les étoiles du haut d'un phare. Maintenant, je faisais l'inverse. J'aspirais à voir la terre du point de vue des astres ou, pour mieux dire, à contempler l'évolution
humaine à travers l'action des puissances cosmiques'. )) C'était « refaire le chemin des Grands Initiés par un plus vaste circuit et en remontant bien plus haut. » Le fond même des Grands Initiés est la démonstration de ce fait que derrière l'amas des erreurs, des impostures et des obscurités que, soit volontairement, soit involontairement, l'humanité a accumulées pour se cacher à soi-même la vérité centrale par laquelle le monde s'explique, il y a précisément cette vérité primordiale et essentielle, transparaissant non dans le déroulement historisque et superficiel des choses, mais dans le rythme caché des événements, transparaissant aussi à travers l'âme, la vie et l'enseignement de quelques grands représentants de l'humanité, les « Grands Initiés. » Nous avons vu comment Edouard Schuré a réalisé cette partie de sa tâche. Celle-ci accomplie, il sentait bien que l'œuvre n'était pas terminée. D'autant que, après comme avant, son esprit connaissait encore des inquiétudes. Il sentait, comme il nous le dit lui-même, que « la science contemporaine est au bord de l'Invisible sans même s'en douter, et il constatait d'autre part un renouveau d'activité dans le mouvement occultiste de nos jours. Enfin il s'apercevait mieux qu'autrefois du grand rôle du Christ et de sa religion. Si les Grands Initiés avaient déjà laissé entrevoir la richesse de l'ésotérisme helléno-chrétien, ce n'était qu'une vision encore incertaine et timide. La connaissance qu'il fit, en avril 1906, du théosophe 1. L'Eeo~MttOt! divine
Du Sphinx du Christ, p. x[V.
Rudolf Steiner devait projeter en l'âme d'Edouard Schuré le faisceau de lumière d'où l'Evolution divine est sortie. Ce jour-là, en effet, l'auteur des Grands Initiés « vit » la réalité de l'ésotérisme hellène-chrétien, et s'il renonça à en écrire l'histoire, c'est parce qu'il trouva meilleur d'~n fondir l'essence. L'Evolution divine, dès approce moment, germait et grandissait en son esprit. En ce nouvel ouvrage le Christ, qui était déja dans Les Grands Initiés « le plus grand des fils de Dieu », devient plus que jamais l' « axe de l'humanité. » « L'avènement du Christ, dit-il ailleurs, est le point central, le foyer incandescent de l'histoire » (p. 343). Tout gravite autour de lui. Pour le prouver, Edouard Schuré remonte delà les milliers de siècles, à ces temps où lepar monde se faisait, et nous rend les témoins des trois transformations par lesquelles est passée notre Terre avant de devenir ce qu'elle est aujourd'hui. C'est d'abord la période Saturnienne, alors qu'elle n'était qu'une partie indistincte de la nébuleuse primitive d'où s'est dégagé peu à peu tout notre système. Son deuxième stade a été la période So. laire, encore vide d'humanité. Enfin l'humanité, dans la période atlantéenne, paraissait. Des physiciens et des astronomes, Laplace en particulier, nous ont dit à peu près de même. Seulement les savants ne s'occupent que des lois physiques. Comment expliquer pourtant ces transformations, si elles ne sont l'œuvre d'un agent transformant? Ici intervient l'ésotérisme, c'est-à-dire l'histoire intime de la divinité agissant sur la création. Ce sont les Puissances spirituelles qui animent le
monde. En une sorte de parallélisme hardi, l'auteur de /M~'OM Divine explique « spirituellecosmiques ment la succession des événements qu'étudie à son tour par la physique le monde des savants. Il conclut que l'évolution des choses vient du développement successif du principe primordial et divin, au lieu de se borner à constater des lois matéen ces transformations l'oeuvre rielles. Enfin l'homme est sur la terre. Quel chemin va-t-il suivre? Remontora-t-il à Dieu son principe? S'éloignera-t-il de plus en plus de la vraie vie en descendant dans la matière ? Nous le suivons dans L'Evolution divine depuis la période atlant,éenne, si difficilement imaginée au travers de quelques rares textes et de quelques traditions obscurcies. Avec elle une face du monde disparaît après sa décadence et sa destruction. C'est la race blanche, souche des Sémites et des Aryens, à qui incombera désormais la tache de conduire l'humanité. Si la race atlantéenne avait communié directement avec les forces cosmiques, la race blanche devait « réaliser le divin par son propre effort. » Seulement, celle-ci avait besoin d'être guidée par ceux qui savaient et qui voyaient, car la collectivité avait perdu la communion avec les forces divines. La première étape de cette conquête fut la religion et la civilisation brahmaniques. Depuis, et pendant cette longue période d'années, l'homme a progressé tous les jours en intellidans la gence et en raison. Mais il s'est enfoncé matière, il s'est éloigné de la voyance primitive, il s'est séparé de ces forces cosmiques avec lesquelles il avait été en union directe. La Grèce
représente le dernier degré de cette descente de
l'Esprit dans la Matière. A son apogée, cette élue réalisera l'harmonie et l'équilibre. Maisrace la décadence la guettait. Rome, et surtout l'Empire
romain, allait accentuer la chute de l'homme. Cette chute pourtant n'était pas irrémédiable, car le Christ, nécessaire, allait surgir « Une formidable volte-face, une remontée vers les somde l'âme était nécessaire à l'humanité mets l'accomplissement de ses destinées. Mais pour pour cela il fallait une religion nouvelle, plus puissante que toutes celles qui avaient précédé, capable de soulever les masses alourdies et de
remuer l'être humain jusqu'aux ultimes profondeurs. Les révélations antérieures de la race blanche avaient eu lieu toutes le plan astral sur et sur le plan éthérique, d'où elles agissaient puissamment sur l'homme et sur la civilisation. Le christianisme, venant de plus loin et de plus haut, à travers toutes les sphères, devait se manifester jusque sur le plan physique pour le transfigurer le en spiritualisantet rendre à l'homme individuel comme à l'humanité collective, la conscience immédiate de leur céleste origine et de leur but divin. Il n'y avait donc pas seulement des raisons
morales et sociales, il y avait des raisons cosmologiques à l'apparition du Christ dans notre monde. » A la fin des temps anciens donc l'histoire de Jésus, qui se réaliseracommence matériellement dans le Christ sous sa double forme cosmique et historique. Ce n'est pas celle que l'Eglise enseigne, ce n'est pas celle non plus à laquelle les savants matérialistes se rallieraient. C'est celle qui est
l'aboutissement logique de tout cet ouvrage où humaine nous suivons l'évolution planétaire et Christ sur un double plan physique et divin.leLeroi des cosmique y est considéré comme génies solaires qui, longtemps caché loin des hommes, s'approche enfin de ceux-ci, de plus en plus, jusqu'au jour où il s'incarne en la personne du Christ historique. Il est bien le Verbe, « la Parole divine qui anime notre monde planétaire )), et qui, un jour, vient se réaliser au monde pour donner par cette réalisation matérielle et historique, l'essor à l'humanité. Désormais, la marche de l'humanité est une ascension qui se poursuit obscurément dans notre actuelle civilisation celto-germanique, héritage toutefois des leçons du passé aryen.
Comment se fait cette évolution du Christ, comment l'explique l'auteur? Pour Edouard Schuré, il Jésus. y a deux êtres en Jésus-Christ, le Christ et Celui-ci est la forme humaine en laquelle le Verbe Solaire, le Christ se réalise. Il a fallu que cet Homme fût pour que ce Dieu prît un contact réel l'oriavec l'Humanité. A l'influence divine qui, à gine de la terre, s'exerçait sur celle-ci s'opposa un jour la puissance cosmique, que, dans la tradition judéo-chrétienne, on personnifie en Lucifer. Dès le débuL de la période aryenne, l'influence de celle-ci est combattue et de « période a période, de peuple à peuple, de religion à religion )) le triomphe de la vérité et du bien progresse. Le Christ, c'est-à-dire le vrai principe divin se rapproche de plus en plus de nous, sous une forme de plus en plus épurée. C'est Indra, c'est Osiris,
c est Apollon, c'est Ahoura-Mazda, c'est le Sei-
gneur,
se révélant à Moïse, c'est enfin et sans aucun principe étranger Jésus. Au jour où celui-
trente ans, commence sa Mission, l'Evangile
ci, âge de
le
mot de selon saint Jean se réalise « La Parole a été faite chair, la lumière a marché parmi nous, pleine de grâce et de vérité. » Le Christ est donc dieu, mais le Christ est un dieu réalisé par des étapes successives et dont les différentes réalisations se mêlent parallèlement aux transformations planétaires. C'est cette seconde adjonction qui éloigne la religion de Schuré de celle de l'Église, on peut même dire des Eglises. II y a toujours, et ici plus qu'en ses autres vrages, une part d"indémontrable dans outhéories de M. Edouard Schuré. Il le sait bienles et il sait qu'il ne peut pas en être autrement. Il bâtit sur les données de la raison et de la science, mais il bâtit à l'aide de l'intuition et de la voyance. Aux événements historiques, il cherche l'explication intime et profonde, celle qui demande comme instrument, non un syllogisme, mais une interprétation. L'attitude qu'on doit témoigner à son égard, la seule à laquelle il se reconnaisse un droit absolu, c'est celle de l'impartialité et du respect. Même ceux qui ne peuvent n osent le suivre doivent éviter de le nier. Ils ou ne parlent pas la même langue peut-être, disent-ils la même chose; seulement au fond, eux, ils voient l'apparence, ils sont soumis au mot, lui, il pénètre le sens caché, il scrute le mystère qu'enveloppe le voile verbal. Qu'on ne jure pas par sa parole, c'est le droit de chacun. Qu'on recule
épouvanté devant les horizons vertigineux que affirmations dévoilent, c est hypothèses ses ou ses peut vraiment se mais droit, ne on un encore fait en sa compa~ détourner de lui que si on aaccompli et si l'on a le voyage sublime qu'il a voyage été déçu. Je crois pour ma part que ce réserve a ses fait, quand on no se range pas sans seulement senti la côtés, on a tout de même non divine, mais grandeur de l'auteur de perfectionné; on a amélioré et s'est on encore grand myspénétré quelque peu l'abîme infini du la rapports avec de l'humanité et ses de fère même Divinité, et, pour rester plus près de l'objet 1 existence et de de ce livre, on s'est convaincu de la valeur de t'ésotérisme heUeno-cbretion. schuTelle est bien l'essence de la théorie triomphe aboutit parl'ésotéi-Ismc, au qui, réenne, d~a~CelLci est en effet l'Alpha et l'Oméga rencontrerons de sa doctrine et de sa foi. Nous la la suite de cette étude. dans chaque pas à encore SchrœdcrC'est elle qui fera entrer Wilhelmine c'est elle Devrient, dans Précurseurs et d'Edouard qui détournera un instant l'attention Moreau, Schuré vers la peinture avec Gustave1 amènera dans le même ouvrage; elle encore qui dans Femmes Insà étudier madame Ackermann nous monpiratrices et Poètes Annonciateurs, pourpositivisme le trer, par l'œuvre de cette femme, qui se réduit au suicide, i cause du désespoir elle enfin dégage fatalement de cette doctrine; qui anime toute l'Histoire du de jeunesse de l'auteur, années les dès comme, plus tard, elle avait inspiré l'Histoire du Lied et,
l'E~~
~o~,
D~ ~c~,
le guider dans Les grandes légendes France. Nous avons vu qu'en l'âme il
elle devait de
reconnaît la clef de l'Univers. Voila l'explication occulte du monde. Il a aussi pour écrit l'épopée humaine raconte l'histoire de « Toute l'âme 1. » Voilà pour le commentaire du développement historique de l'humanité. Ce n'est donc seulement en cette première partie de notre pas il est plus spécialement question du étude, on philosophe, que nous rencontrons constamment ce principe animateur. Pour comprendre ce qu'a été la pensée, au sens plus général de ce mot, et bien saisir ce qu'est l'esthétique d'Edouard Schuré, nous verrons que c'est à elle encore qu'à chaque instant nous reviendrons. 1..P~c~eto's et /JMo/<M Gustave Moreau, p.
34~
CHAPITRE II
L'ESTHÉTICIEN LE PENSEUR ET
schuréenne est L'essence même de la pensée livres dont j'ai exprimée dans l'ensemble des principales dans la idées les dégager essayé de partie de cette étude. C'est en ceux-ci et première particulièrement dans Les .~T~ plus reprendre, d'un point de vue noude veau, vient L'Évolution que la source divine, que
d'Edouard Schuré
profonde d'où toute l'œuvre s'enorcer de mieux d'autant fallait Il découle. devait se cours son que source cette pénétrer en diversement. répandre plus abondamment et plus l'actiIl est en effet peu de domaines réservés àsoit pas ne se vité morale de l'homme vers lequel serait Mais aussi, il senti attiré Edouard Schuré. bien insuffisant de n'étudier que la théosophie de connaître. La théole de tâcher ce penseur pour fermée à beaucoup. sophie semble une science dédaignée. Ce qui n'est elle est assez fait, En prétend pas moins certain, c'est qu'elle ne pas
tout absorber. Edouard Schuré
donc
a consacré une grande partie de ses efforts à des études qui semblent plus accessibles à intelligences peu habituées à se mouvoir dansnos le domaine de l'audelà, ou parmi les problèmes où l'histoire a besoin s'expliquer de la compréhension du pour tère, tout au moins de la pénétration intimemysmythes, des légendes et du monde illusoire des des apparences. C'est pourquoi ce théosophe a fait œuvre de penseur et d'esthéticien.
Le premier livre d'Edouard Schuré fut
une œuvre d'histoire littéraire entreprise l'influence de sous M. Albert Grùn, professeur de littérature allemande à Strasbourg vers la fin de l'empire. C'est l'Histoire du Lied. A en croire l'auteur, il n'y aurait dans cet ouvrage qu'un essai. Le terme, « » juste si l'on entend là qu'il s'agit d'une par esquisse relativement rapide en son exposé de l'histoire de la Chanson populaire en Allemagne, est impropre s'il fait seulement comprendre qu'on doit trouver en ce livre tentative hésitante. Nous avons bien affaire à une l'œuvre d'un érudit qui connaît ses sources, est remonté jusqu'aux origines, a étudié ses textes. Seulement érudit n'est pas un collectionneur de fiches. Ilcetsait que ces dernières doivent servir à construire l'éditice mais en bonnes et modestes pierres qu'elles sont, il faut qu'elles sachent disparaître au besoin. Dans une préface qu'il postérieurement a eo 1902 ajoutée à une réédition de cette Histoire du Lied, Edouard Schuré écrivait, citant Gaston fans « II faut que le collectionneur des vieux
des vieux chants populaires possède en lui lame incomrécits dont il recueille les formes souvent il plètes et desséchées. Comme celui-ci encore, chardressait en face des simples érudits le génie même du qui repose savants meurs et passé et l'âme des vieux conteurs anonymes disparus. méthode i C'est donc doublement armé d'une éminents solide d'investigation due à des maîtres reconnaître l'âme personnel pour don tout d'un et l'éveiller de ses séculaires somsous les mots et meils qu'Edouard Schuré se lançait à vingt-quatre lied allemand où il devait du vieux recherche à la ans point trouver, comme il le disait à Albert Grûn, non « la beauté fardée qui n'est qu'un mensonge », vérité'. » mais « la beauté naïve qui est une sainte s'était C'est que, en ce lied rien de factice ne moins glissé. Il n'y avait pas eu un poète, plus ou de personnel ses isolé et interprète plus ou moins le chant de son propres sentiments pour chanter On n'avait pas eu cœur ou de son imagination. d'instinct, affaire à unepoésie officielle. Le peuple, savoir même est le plus souvent poète, et sans donc le qu'il l'est. Edouard Schuré nous montre réveil poétique du peuple allemand sous l'influence siècle. des guerres victorieuses des Suisses au xv~ jaillissant du Dès lors, le lied populaire était né, chansentiment de la liberté Les auteurs de la des sont donc pas son populaire allemandeni nemême des chanteurs poètes de profession, c est ambulants. Son auteur, c'est tout le monde;
ces
en
l.~fo~dMLM, Dédicace
de
~première édition.
le pauvre chevalier coureur d'aventures, non moins la
pauvre fille délaissée; c'est la paysanne éprise du lansquenet comme la bourgeoise amoureuse de l'étudiant, c'est le rêveur mystique qui chante l'amour sans bornes de la Vierge, aussi bien que le protestant enthousiaste tout qui entonne son cantique de combat. Ils chantent malgré eux et presque sans le vouloir; ce qui les y force c'est le trop-plein du cœur, et voilà ce qui prête à leurs chants charme intarissable. Car le fond inexprimé de un l'âme s'agite tout entier sous ces simples paroles. La chanson une fois jaillie sous le coup de la douleur du plaisir, de ou l'amour ou de la haine, vole de bouche en bouche subissant quelques en changements sans doute, mais en conservant toujours le jet primitif. » Voilà donc le lied allemand créé au xv" siècle, Il s'épanouit aussitôt pendant ce siècle et celui qui le suit. Son domaine devient immense, s'empare de toute la vie. Successivement, car il pour reprendre les titres mêmes des différents chapitres que lui consacre M. Edouard Schuré, nous voyons LesBalladesmerveilleuses et l'Idylle dans les BoisLes Aventuriers l'Épopée et la Tragédie de l'amour- La Mais sous les attaques des pasteurs luthériens et par le contre-coup de la guerre de Trente Ans, cette poésie populaire entre en complète décadence jusqu'au jour où, vers la fin du xvin' siècle, Herder retrouvant la chanson populaire, que depuis cent cinquante ans la poésie savante ainsi dire étoullee, un a pour que
F~eM~.
'1.
~M./ott-c~MjLte~p. 73-7.t
génie de brillant renouveau se prépare grâce au lyrisme Gœthe qui va faciliter l'éclosion du romantique. indispensable à cette Mais il est un élement vieux lied poésie simple et profonde, et dont le la allemand s'est enrichi dès le début, c'est supertémusique. Celle-ci n'est pas un ornement d opétatoire. Il n'en est pas ici comme dans trop une œuvre musicale ras où l'on nous présente dramatique juxtaposée à l'œuvre poétique et qu'elle est censée exprimer, et par conséquent extérieure pour ne pas dire étrangère à ce drame. inspiLes vieux lieds ont trouvé dans la même qui ration populaire d'où ils sortaient la musique lixent, leur convenait. « Les mélodies populaires qu'il y a de dans leurs simples modulations, ce peuple. Les du plus intime dans le sentiment paroles rendent ce qu'il y a d'universel dans une mais la émotion et l'éternisent par la pensée, naissance musique en exprime pour ainsi dire la la vibraet mystérieuse, le mouvement instantanéentendu les tion intérieure. Ceux qui n'ont pas peuple n'en chansons populaires chargées par le l'originalité. Quand ont point connu la force etdescend dimanche Rhin un du bords on les sur quand soir les hauteurs boisées du les cloles montagnes, les collines, les vignobles, déroulent chers et les villages, semés de vergers, le fleuve tapis et que à vos pieds leur ondoyant du majestueux paraît s'endormir sous la pourpre couchant, parfois on entend deux voix de femmes simple harchanter dans un vallon perdu et une dans monie pleine de douceur et de tristesse s'élève
S~~e~e,
l'air pur du soir. La première voix soutient la mélodie, la seconde la suit avec de naïves inflexions dans les notes graves et vibrantes de l'alto. Ce sont de bonnes amies, deux compagnes de jeu, comme dit le peuple, et ce qu'elles chantent, c'est toujours quelque vieux chant d'amour et de regret. Alors ces refrains si connus, ces plaintes éternelles, ces espérances toujours renaissantes s'animent d'une beauté extraordinaire, on les sent couler de l'éternelle source de vie et il semble qu'on les entende pour la première fois 1. » En somme c'est t'âme véritable d'un peuple qui s'exhale en ces lignes. Si déjà en 1868 Edouard Schuré avait senti de l'attrait pour ces vieux chants populaires, c'était parce que leur âme avait attiré la sienne. Comme on l'a vu plus haut, le jeune homme érudit n'était pas un collectionneur desséché. Dans sa Préface de 1902 on voit qu'il a pris plus nettement conscience de cet attrait. A ce moment sa pensée a déjà parcouru une partie considérable de son cycle, il voit plus clair en lui; aussi doit-on arrêter son attention sur ce qu'il dit lorsqu'il déclare par soa essence même comme par son action, la poésie populaire nous révèle sa force secrète et sa haute portée. En quoi consiste donc son ferment d'idéal? Avant tout dans un sens direct de l'âme et de ses mouvements intimes. » Ce sens n'est autre chose que l'intuition psychique. Nous avons, en France, un chant qui possède bien les caractères propres à cette sorte de poésie spontanée et
«.
1.
7/sfot~ du Lied, p. 77-78.
intuitive qu'on trouve dans les véritables lieds. C'est la Marseillaise. Ce chaut a jailli du coeur d'un jeune enthousiaste, il a été adopté d'instinct par une foule plébéienne; la musique qui portait ses paroles s'adaptait si bien au sentiment essentiel qui s'y exprimait qu'aujourd'hui le rythme luimême de notre chant national a presque supplanté les mots. « L'harmonie mystérieuse entre le fond et la forme » s'est réalisée au point que la forme a corrigé le fond, en a éliminé ce qu'il possède de trop précis, de trop localisé dans le temps et les passions pour en exprimer simplement le grand souule confiant, enthousiaste et iuvénile. Malheureusement bien rares sont chez nous les vraies chansons populaires. Le dernier chapitre de l'Histoire du Lied se terminait sur des constatations attristées démontrant notre pauvreté et, plus encore, notre ingratitude et notre indifférence à l'égard des débris de notre petit héritage. Ce chapitre était très juste en i8C8. Dans la réédition de 1903, Edouard Schuré le corrige en soulignant les efforts que depuis quelques années certains chercheurs, érudits, poètes, patriotes de la petite patrie ont réalisés. Cette correction, a son tour, est équitable. Toutefois il ne faut pas se leurrer d'excessifs espoirs. Sans doute, nous nous sommes tournés vers l'âme de notre passé et nous avons demandé aux échos abandonnés de nos vallées provinciales les vieux refrains de jadis. Nous les recueillons tous les jours. Mais nous n'avons plus guère, sauf autour du grand Mistral, Les que des échos et nous ne savons plus créer.
chansons nouvelles qu'on chante dans nos villages, sur nos guérets et dans les chemins creux de nos campagnes no sont guère que des importations de la ville voisine, et, par elle, du Paris des cafés-concerts ou des carrefours. Or, l'on sait que, loin d'être l'âme instinctive du peuple qui s'y exprime librement, c'est la virtuosité spéciale d'officines connues et de fournisseurs attitrés qui s'y offre. Sans doute « pas un pays de France ne manquerait à l'appel » dans cette sorte de revue des nouvelles recrues de la chanson populaire, les noms que cite Edouard Schuré le prouvent, mais quelque brillantes que soient ces unités, encore nous n'avons pas une armée. « Renaissance du génie provincial, étude de la poésie primitive chez toutes les nations, alliance de la musique et de la poésie, voilà les signes par lesquels vaincra le poète lyrique, voilà les réformes grâce auxquelles la poésie pourra renaître en France et devenir populaire sans rien abdiquer de sa haute mission' ». Nous voyons quelle position prend Ed. Schuré dans ce problème d'art, mais nous voyons aussi que dès 1868, l'art n'était pas pour lui un vain divertissement, car au contraire il y voyait une des expressions de l'Ame, de l'Eternelle Psyché. Nous pressentons déjà ce que Edouard Schuré demande à l'art et ce qu'il cherche dans les œuvres d'art. Ce n'est pas l'agrément de la forme, auditive ou visuelle, ce n'est pas l'habileté 1
M~o~e du I/ic~,
p. 413.
technique, le lied primitif n'offrait souvent que de la fraîcheur d'inspiration et de la sincérité d'expression. Ce n'est pas davantage le métier qui caractérise l'auteur. C'est encore moins l'explication d'une théorie ou la conlirmation d'une doctrine. En l'âme de ce jeune homme d'autres besoins sont déjà nés. L'oeuvre d'art qui n'est pas un agrément, qui n'est pas un luxe, est une parole profonde prononcée par l'âme humaine et traduisant par des moyens différents de ceux qu'emploie la littérature, et souvent supérieurs, certains sentiments primordiaux et essentiels, certains appels venus du fond de notre humanité. Il n'est donc pas surprenant que Edouard Schuré ait été attiré par Wagner, et le fait seul de cet attrait jette une lumière particulièrement vive sur la conception artistique d'Edouard Schuré. Ces deux hommes, en effet, le musicien et le philosophe, ne se comprenaient pas complètement. Un abîme les séparait; le Teuton Wagner et l'Alsacien Schuré, avant d'avoir la guerre de 1870 entre eux, étaient déjà en opposition du fait de leurs deux races. Edouard Schuré était tout à fait conscient de cette antinomie. II écrit en 1900, dans le Guide Musical « Jamais je n'aurais pu devenir pour Wagner un de ces disciples qui ne voient rien au delà, ni en dehors de lui, et qui jurent in verba magistri. A cette opposition fondée dans ma nature vient se joindre un antagonisme provenant de ma nationalité. Ce n'est pas en vain que le grand musicien saxon est sorti de la race des Witikind, des Luther et des Lessing. Comme
poète et comme musicien, Wagner fut le plus universel des artistes; comme homme et co.mme penseur, ce fut un Teuton obstiné. Quant à moi, Alsacien de naissance et Françai&.de cœur, j'eus dès ma première jeunesse une vive admiration et
une foi ardente dans l'intuition profonde et dans la grande sympathie du génie celtique, qui, par delà toutes les bornes nationales, pressent ainsi et embrasse l'humanité~ ». Il est important de noter cette déclaration lorsque l'on veut bien se souvenir que la révélation à la France de l'oeuvre de Wagner est essentiellement due à Edouard Schuré. C'est en effet Charles Lamoureux qui eut le premier, à Paris, l'énergie patiente et le courage de faire représenter Zo~eM~'H. Or Lamoureux dut à Edouard Schuré d'avoir pu et su pénétrer dans le tréfonds de l'œuvre wagnérienne. « Je vous dois, lui dit-il, d'avoir compris la pensée maîtresse Edouard Schuré a bien voulu me confier, un jour où nous causions de Wagner et de son « teutonisme », un souvenir personnel qu'il s'était jusqu'à présent, par modestie et par scrupule, refusé à divulguer. C'était après les premières défaites de 1870. Wagner était à Lucerne et Edouard Schuré à Barr en Alsace. Le musicien qui appréciait l'écrivain enviait celuici à la France, et, déjà pangermaniste,souhaitait l'attirer vers les pays d'outre-Rhin. Aussi, prenant prétexte de ces premiers revers qui, du reste, s'ils nous meurtrissaient n'avaient encore pu entamer nos espérances, il écrivait à Schuré « Maintenant votre place n'est plus à Paris; venez avec nous en Allemagne. » Et l'Alsacien se contenta de répondre « Ne discutons les pas questions de sentiment; plus que jamais, je suis Français )) Invitation et réponse jugent les deux hommes et, un peu, caractérisent les deux races. Aucun fait ne peut mieux commenter les pages de Richard tVa~ney qui précèdent (p. xix-xx) C'est pour ce motif, aussi bien que pour recueillir précieux ce souvenir, que je l'ai mentionné. 1. M.
et le côté poétique dans l'œuvre de Richard Qu'est-ce donc qui avait séduit Wagner' Schuré au point de lui faire affronter la lutte, lui qui n'est pas un combattit, au point de lui faire dire, et dire haut et ferme a ses contemporains, qu'ils se trompaient, lui qui est un modeste? La raison en est assez facile a saisir pour qui veut et la compréhension bien admettre que l'étude d'un musicien ne relève pas des seuls musicographes. Ceci admis, il n'y a plus qu'à ouvrir les Souvenirs sur Richard tV.oryHcy. Nous y lisons en effet « En quoi consiste donc la nouveauté de de ses son œuvre [de Wagner]? Le caractère créations est l'idéalisme transcendant de la pensée, joint au plus haut degré de force et de vie dans l'expression. Il y a des poètes qui ont plus de profondeur et de richesse dans les conceptions, des musiciens qui le surpassent par l'élévation et la pureté du sentiment. Ce qui distingue Wagner, c'est la plénitude des facultés plastiques, poétiques et musicales concentrées sur un même but. Voilà ce qui fait de lui un dramaturge unique, quelque chose comme un génie omnipotent du théâtre. C'est, jusqu'à présent, le plus puissant réalisateur d'idéal sur la scène, celui qui, dans les sujets les plus grands, les plus hardis, a su trouver le verbe vivant de l'action visible et de la voix persuasive2. » Et plus loin les Souvenirs deviennent plus explicites encore L'esprit, y est-il dit, dans lequel ce théâtre a été « I. Cité par Schuré dans la préface de la 3' édition de Richard IVa~e~, son <BMt)fe et son idée. 2. Richard Wagner, .SoMoetM~s sur Richard Wagner, p. xvt.
conçu lui a donné deux propriétés particulières. La première est d'opérer une sélection parmi les artistes et le public, en attirant une élite d'interprètes et de spectateurs. La seconde est d'élever ses représentations au-dessus du niveau d'un simple divertissement, en leur donnant le caractère de fêtes périodiques. Dans ces conditions, le théâtre échappe au joug de l'industrie et cesse d être l'esclave d'un public de hasard. II devient 1 initiation à un art supérieur, au nom d'un grand idéal humain, et tend à prendre dans la société le rôle d'une force éducatrice et consciente de sa mission. En considérant l'influence s'est que acquise le théâtre de Richard Wagner', d'autres nations se sentiront peut-être appelées à développer leur propre théâtre dans la fois idéal et national, conforme leurun sens agénie ? L'idée essentielle qu'il fautaretenirpropre ici, c'est donc celle de la beauté et de la noblesse de l'art, beauté et noblesse qui n'existent que parce que celui-ci, loin d'être un superliciel agrément, se révèle comme une « initiation », une « force éducatrice au service d'un « idéal » non point conçu in» ~~e~o dans les vagues nébulosités d'une doctrine, mais issu en réalité de la tradition ethnique, des éléments nationaux. Qu'importe à présent (et surtout qu'importe ici, où il n'est pas question d'histoire de la sique ou de critique technique) le degré de musympathie que nous éprouvons pour l'orchestration J. Les Souvenirs datant de 1900, la musique wagnérienne était sortie de la période de lutte defensive pour entrer dans celle des réaJisations d'inûuence
wagnérienne, par exemple, pour la conduite muphrases, sicale des symphonies, pour le rythme des des parties le retour des motifs, le mouvement Edouard Schuré n'entre pas dans ces détails professionnels, indispensables à connaître pour pénéen la forêt immense trer sans risque d'errements nécessaires de la musique de Wagner, mais point d'inspiration et pour faire découvrir la source Car il faire sentir la nouveauté de l'expression. aujourd'hui, n'y a pas a s'y tromper, et du reste, reconnaître enfin, Wagner n'a le bien veut on écrit des opéras qui ne ressempas simplement blent pas à ceux des autres musiciens, comme de ceux de Mozart en a écrit qui différaient Gluck, ou Rossini de ceux de Meyerbeer, Wagner essentielle, une nouveauté a apporté une différence Quel est le de nature pour spécifier son œuvre. musical né de la caractère nouveau de ce théâtre beefusion du mythe populaire et de la musique thovienne sur le théâtre? Ce caractère nouveau, profonde de la trame le voici « L'unité plus de poétique et de la trame musicale. A l'inverse plupart de nos opéras, ici la la dans arrive qui ce Si la première détermine absolument la seconde, lui commumusique donne au drame son esprit,commande à nique de sa puissance, le drame Au moyen des musicales. formes les toutes motifs dominants de l'orchestre et de leurs comjusqu'aux binaisons variées, la musique atteint intentions les plus secrètes, voire même aux mobiles inconscients des personnages, surprenant sa naissance mystéet révélant le sentiment àl'instrument et l'interrieuse. Elle devient par là
prête de la psychologie intime du drame. Quoi d'étonnant si la trame harmonique et mélodique, ainsi tissue, peut embrasser et reproduire l'unité de 1 œuvre poétique? Toute d'art, en effet est, comme toute œuvre de œuvre la nature, un organisme à part et complet, un microcosme. La musique peut en quelque sorte nous âme, la monade vivante' » Cette en donner conception du drame musical n'a rien de traditionnelle dont nous commun avec la façon comprenons et aimons l'Opéra. Schuré devait être attiré dehors des raisons superficielles vers elle. En et des circonstances adventices qui lui permirent de voir de près le musicien et d'être plus directement initié à sa vie intime et à la composition de ses œuv~ par tous ses besoins de conscience ainsi que par ce je ne sais quoi de subconscient qui est au fond de nous tous et constitue en quelque sorte la matière propre et en perpétuel de notre personnalité, il était sollicitémouvement Percher la réalisation de ses instincts et de ses désirs d'art cette en œuvre. Car maintenant, densée que soit en cette étude et quelque conla réenne, nous savons ce que l'auteurpensée schude Richard Wagner, son et son idée lébré dans le drame musical deavait aimé et céBayreuth. Pour lui, Wagner est à la fois un symbole et un modèle. C'est aussi un initiateur. N~ompan point avec le passé, celui-ci a toutefois plus fait pour l'avenir du drame musical, et peuEe I~t, en général, que tous ses devanciers. H
T~
i. Richard Wagner, p. 288-289.
J'ai saisi dans leur ensemble des phéne considèrent, en génomènes que les artistesn'ai donc rien inventé, je néral, qu'isolément. Je qui eM.te n'ai fait que trouver un enchaînementcomprendre Pour dans la nature des choses. paro de
disait
cette e complètement toute la richesse lu il faudrait tout au moins avoir aérienne, ~chapitres successifs de la biographie psychomusicale qui se déroule dans Richard idée. Edouard Schure son son asfe successivement en revue les drames musipenétron. de Wagner. A sa suite, nous celtiques légendes dans le domaine des vieilles s éveiller lame ou scandinaves et nous voyons nouvelle créée par le du passé dans la forme fois psycho on us'icien-poète. Cette revue a la qu'il serait mteesthétique, historique et ~,ue, d'attention s'il s agisplus suivre de avec ressant par sait ici d'une étude sur Wagner, se termine musique et un admirable chapitre Le l'avenir de l'art, que l'on qualifiera aujourd'hui, tard de prophétique, mais que, dès sorte de saisissement. lire une sans peut on ne la musique, C'est non seulement un hymne a n'est l'enthousiasme que 1 exdont hymne un études sur lesquelles pression ardente des solides mais encore une construit, est livre le tout du rôle futur des arts grandiose vision de sorte « Seuls les Hellènes suren dans l'humanité des éducateurs et faire de l'art le plus puissant de leur e.isembellir par lui toutes les partiesjusqu la frise domestique tence, depuis le foyerpénétrée par la beauté, leur ~artiJnon. Ainsi
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vie entière révélait perpétuellement son caché et s'ornait d'un ravissant symbolisme.sens La tache la plus élevée des temps futurs serait de
refaire à la pleine lumière de l'esprit, nos traditions propres et nos idées, ce avecfirent d'instinct et comme en se jouant lesque heureux enfants de la nature. Quelque jour peut-être se formera-t-il dans l'humanité des groupes qui, las d'abstractions et de pédantisme, de vulgarité et de laideur, se décideront à suivre traces lumineuses et à considérer le beau ces comme un principe essentiel au développement de l'individu, à la dignité et à l'harmonie de la société. L'art sous toutes ses formes ne sera pas pour eux une distraction éphémère, mais la plus puissante des activités et une sorte de religion. » En attendant, les Hellènes des beaux temps de la Grèce nous diront, et, encore une fois, on ne peut se lasser de citer l'auteur lui-même « La nature fut notre institutrice, mais pour la comprendre il faut l'aimer, pour l'ennoblir, il faut la vénérer. Elle
vous apprendra à vous débarrasser du faux, de
l'inutile et de l'insignifiant. L'histoire n'est qu'un kaléidoscope où se heurtent par secousses toutes les formes possibles, la réalité qu'une aveugle stupide qui mêle des dés sur une table. De ces
puissances soyez non les esclaves, mais les maîtres. Elles ne sont pour l'esprit qu'une matière brute dont il se construit un temple. Ce qui se passe et se révèle perpétuellement au fond de vous-même, voilà la source du beau et du vrai'. » i. Richard Wagner, p. 302-304.
Et voila bien toute une esthétique, singulièredeux ment riche et profonde, car elle réunit ces caractères dont les esthétiques excluent trop sou-
pratique vent l'un au profit de l'autre l'utilité dans les effets et l'idéalisme dans l'inspiration. Quoique la musique soit, de tous les arts, celui s'essaye que le plus grand nombre pratique, ou du moins à pratiquer, c'est encore en cette matière artistique que les théories d'art ont le moins pénétré dans le grand public. Ce n'est donc pas étude sur Wagner qu'il y a a l'occasion de cette lieu d'examiner tout ce que contient l'esthétique d'Edouard Schuré, d'autant qu'il nous offrira l'occasion de reprendre ce sujet. Il est pourtant nécessaire de montrer ce que, au point de vue particulier de la musique, les idées schuréennes offrent de justes observations. Laissons donc de côté, pour le moment, sa conviction que l'art en général est une grande chose, et arrêtons-nous a la musique seule, qui d'abord participe aux effets produits par les autres arts, ou attendus d'eux, mais qui, en plus, dévoile un caractère tout particulier, c'est « ce sentiment profond, sûr et irréfragable de l'âme qui nous révèle au-dessus de notre raison mème une harmonie divine du monde, qui nous touche par les accords mystérieux de la musique et nous enlève aux sphères éternelles sur les ailes de la mélodie. » Hien n'est plus juste, surtout si l'on prend le mot de nu''hdie dans son sens primitif et profond, qui ne s'opposait nullement à celui de symphonie. La musique est bien en effet l'art qui nous arrache le plus facilement à noua-mémjs. Le pas
redoublé des musiques militaires, si humble pourtant dans l'échelle musicale, arrache le passant et aussi le soldat à sa vulgarité, à sa prudence ou à son indifférence afin de lui souffler sagèrement une âme plus vibrante et capablepasde s'élever vers des sentiments de patrie, de devoir, d'héroïsme. C'est en chantant les volontaires que de 92 marchèrent vers la frontière L'ouvrière dans sa mansarde échappe àmenacée. la paude vreté sa vie et a la charge des jours par la chanson ailée et pourtant bien modeste. La grande et multiple voix des orgues est le plus puissant des aides de l'égHse catholique. Enfin, descendons dans nos souvenirs. Combien de statues ou de tableaux nous ont-ils vraiment fait éprouver les émotions que nous devons à la sique ? Un tableau de Raphaël, de Rembrandt,mude Vélasquez, une statue de Donatello, de MichelAnge, de Rude nous ont-ils arrachés à nousmêmes, élevés, épurés comme une symphonie de Beethoven, ou comme les belles scènes de la Tétralogie des A~&e/MKyeM ? C'est que la musique le plus est immatériel des arts. Les physiciens diraient peut-être que la peinture et la sculpture, arts de l'œil, et la musique, art de l'oreille, sont identiques quant à leur fond, puisqu'elles se réduisent toutes au mouvement et à la vibration. Mais peu importe le point de départ. Dans les arts plastiques la sensation est limitée $t déterminée par la forme et la couleur, lesquelles, du reste, sont, et, toute vivante que soit l'œuvre, restent, en quelque manière, figées. Dans la musique, au contraire, le son provoque une impres-
lors, malgré sion forcément fugitive et qui, dès prend une valeur plus imprésensible, réalité sa qui s~h.cise, provoque ça nous des reactions coHaboraune vent en dehors d'elle et demande tion plus active de notre imagination et de notre sensibilité. D'où vient que dans le domaine littéplus les raire les deux hommes qui ravissent le le poète âmes, qui élèvent le plus les cœurs sont à leur l'autre ont et l'orateur? C'est que l'un et dictee service, à côté de leur intelligence qui leur qui fournit le les idées et les mots, ce don spécial Dépla-
rythme, c'est-à-dire un élément musical. n'aura vers. Hien çons quelques mots dans un perdu comme effet. changé comme sens, tout sera Imprécations de Qa'on fasse l'expérience avec les Corneille,
1'
de Camille, par exemple, dans Vigny, ou ia Tristesse ou le Moïse d'Alfred de d'Olympio de Victor Hugo, avec mille autres probante parce encore, la démonstration sera qu'elle sera saisie sur le fait même. La musique d'union entre la est donc bien comme un trait partie nettement exprimée de nos sens et de notre intelligence, et ce domaine inconnu, ou règne l'âme, vers lequel on s'élève par l'intuition, en l'homme qui il semble bien que le secret désir de de l'idée est de s'abîmer. Wagner mit au service musique cette et de la représentation plastiqueC'est pourquoi d'évocation et d'interprétation. Edouard Schuré devait être un de ses admirateurs. n'est En pouvait-il être autrement? La musiqueintelpour notre pas seulement un délassement Elle est ligence fatiguée ou nos nerfs surmenés, il faut quelque chose de plus grand. Car enhn
bien s'entendre sur le sens des mots et ce qu'ils renferment. Musique, peinture, littérature, on
peut comprendre a peu près tout ce que l'on vent par ces termes, parce que, suivant celui qui les prononce, le contenu change. C'est en vérité le sort de bien des mots; mais ceux-là sont particulièrement exposés qui exprimentdeschoses plus subjectives. Le mot chaise ou le mot cheval renfermeront pour tous le même sens. Le mot poésie et le mot beauté contiendront une gamme complète et même contradictoire d'acceptions diverses. La musique est donc pour Edouard Schuré un moyen de traduire la vie mystérieuse des choses. Elle est intimement unie à l'expression de certains états de l'âme et de certaines aspirations, à tel point même qu'elle est le mode d'expression par excellence de aspirations, qu'elle en est la manière d'être ces intérieure sans le secours de laquelle elles sont si elles n'étaient pas. C'est dire à quel comme rang il place la virtuosité, à quel rang je ne dis pas même l'opérette, mais même l'opéra tel que la plupart d'entre nous nous l'aimons. « Des trois arts qu'il emploie, dit-il, pantomime, musique et poésie, n'est vraiment respecté chez lui, aucun n'y aucun prend une allure libre et franche. Car la personne humaine y est sans cesse ravalée dans son mouvement naturel comme dans son expression plastique le drame y est généralement rabaissé rôle d'un texte à broderies musicales, et quantauà la musique qui se dit la reine de céans, lors même qu'elle s'élève parfois à une certaine hauteur, ce n'est que pour retomber dans les con-
ventions banales et dans les trivialités du ballet. N'hésitons pas à le dire, si le droit sens du beau s'est oblitère, si le goût s'est affadi et corrompu, si l'aspiration idéale, si puissante encore au début du siècle* a presque disparu dans notre génération, nous le devons en partie au règne incontesté de ce grand amuseur, de ce roi du jour qui se nomme l'opérai » Même avec moins de sévérité qu'il n'en est montré ici, l'on acceptera volontiers que l'opéra n'est pas, en général, un grand genre musical. Les vrais musiciens lui préfèrent souvent la musique d'orchestre, sans support scénique. A celle-ci Edouard Schuré reconnaîtrait toute sa valeur émotive et expressive, s'il avait à s'ocque cette cuper d'elle. Mais il ajouterait toutefois musique, peut-être presque infinie en profondeur, est trop limitée en sa compréhension. « Danse, Musique et poésie forment la ronde de l'art vivant », dit-il en une formule qu'il considère d'autant mieux comme vraiment caractéristique de sa pensée qu'il la met a nouveau en suscription de son T/M~t're du Drame musical, après s'en être servi de même dans son Richard WayMe?-. S'il en est ainsi, nous concevons aisément que l'auteur de ces deux ouvrages aille chercher plus loin que la symphonie purement instrumentale la forme d'art dont il a besoin pour interpréter d'exactitude et de avec le maximum de bonheur, beauté, la plénitude et la complexité de l'Ame humaine, Cette forme, c'est le Drame musical i. Ceci était écrit en
2. Le Drame musical,
i8'75.
procède la première edtt!on,p.xi-x)i.
qui la lui offre. Celui-ci, qui du reste nous vient de la Grèce, s'il a son aboutissement en Wagner, fils direct, quoique lointain, des Hellènes de jadis, renferme la synthèse que nous cherchons
et s'appelle la tragédie grecque. « Nous la voyons naître alors de la rencontre des trois arts spontanés, des trois grandes Muses primitives Danse\ Poésie et Musique, et s'organiser naturellement pour leur concours harmonieux. Elle nous révèle sans cesse ce que nous avons trop oublié que les Arts particuliers ne'sont que les fragments d'un grand tout, qu'on pourrait appeler l'art humain universel, et que plus ils tendent à manifester l'homme complet, plus ils aspirent à se rejoindre en lui. Ainsi elle resplendit et resplendira toujours au fond des âges comme un témoignage irrécusable de la grande unité de l'art, image vivante de l'indestructible unité de l'Homme~.
»
II y a là une très; belle et très féconde théorie
d'art. Cependant, avant d'aller plus loin, débarrassons-nous d'une fausse interprétation qu'on pourrait en présenter et ne voyons pas en cet exposé une légitimation de la confusion des arts. Nous savons en effet que certains peintres, par exemple, ont fait de la peinture littéraire et qu'ils ont eu tort, car peinture et littérature ont chacune
leur domaine, surtout leurs moyens et leurs limites d'expression. L'une parle aux yeux, l'autre l'auteur l'indique lui-même, il faut entendre par le mot de danse ce que les Grecs appelaient l'orchestique, c'est-à-dire l'expression par le rythme du corps, les attitudes et les gestes, des sentiments et des impressions. 2. HM<otfe du Drame musical p. 3-4. 1. Comme
l'une parle à l'âme par les yeux et l'antre lui parle par l'esprit. Inversement, l'une exprime l'âme par h'.s formes et les couleurs, l'autre par les mots: la musique l'exprime par les sons. )hmc,cl)acuuc des grande. expressions plastiques ou estitétiqnes, car on aurait pu ajouter aussi bien la possède sculpture, l'architecture, l'orchestique ses moyens d'expression et ses effets, mais cela ne doit pas nécessairement, les empêcher de puiser au fonds commun. Le peintre, par exemple, peut exprimer la volupté, comme le sculpteur ou encore la danseuse. Les architectes de nos cathédrales gothiques ont souvent aussi nettement traduit l'élan des âmes vers Dieu que le musicien qui faisait résonner leurs voûtes du chant des orgues. Mais loin de se confondre, c'cst-a-dire de se détruire ou de se cacher plus ou moins les uns les autres, les différents arts peuvent se compléter. Précisément parce que chacun d'eux possède ses limites, nous avons besoin, pour rendre vivante la synthèse de notre âme, du concours des différents arts. La musique manque de précision, la littérature s'emprisonne trop dans les moules des mots, la peinture le plus souvent s'arrête aux yeux, la sculpture est relativement pauvre de moyens, l'architecture fait la part plus large à la mathématique et à l'intelligence pratique qu'à l'émotion, enfin l'orchestique n'est autre chose que la peinture et la sculpture, et dans une certaine mesure l'architecture, en action. La forme d'art la plus complète, celle qui serait le plus à l'esprit. Il vaudrait encore mieux dire
près de réaliser le tout serait donc celle qui pourrait rénnir ces différents moyens d'expression; ce sera donc le Drame musical puisqu'il est a 1m seul Danse, Poésie, Musique. On comprend, s'il en est. ainsi, combien Edouard Schuré a dû étudier avec joie et s'efforcer de retrouver avec exactitude l'origine d'abord, puis la série des transformations de ce genre depuis le lyrisme de Pindare jusqu'à l'œuvre de Wagner. C'est cette recherche qui forme l'objet de l'Histoire du Drame musical. Il serait singulièrement tentant de suivre l'auteur dans sa promenade passionnée qui nous ferait partir de la Grèce où la fusion des arts a déjà pu se réaliser d'abord dans le grand lyrisme thébain, ensuite, et suprêmement, peut-on dire, chez les tragiques, pour aboutir par une double voie, après la dissociation de l'histoire de la poésie et de l'histoire de la musique, au génie synthétique de nos jours, Wagner, qui réalise à nouveau, après les efforts antérieurs mais infructueux de Gluck, la synthèse d'autrefois, c'est-à-dire l'art complet, l'art nouveau, l'art fécond. Mais il nous suffit de marquer les différentes étapes de cette étude conduite avec une science qu'égale seule l'ardeur de l'exposé'. Avec la tragédie grecque d'ori1. Quoiqu'il ne s'agisse pas ici de musicographie, il semble bon pourtant de montrer au moins par un exemple combien les théories musicales d'Edouard Schuré ne sont pas uniquement doctrine de philosophe, mais aussi œuvre de penseur qui connaît la technique. Il écrit en effet à la page 182 du Drame musical « Ce fut l'œuvre des derniers siècles de mettre l'unité dans le monde des sons en ajoutant à l'harmonie horizontale des sons successifs l'harmonie verticale des sons si-
gine inspirée et d'expression lyrico-plastique, l'art vivant connaît son apogée, mais aussi quand elle meurt, il expire. Le règne de la littérature commence. « La ronde joyeuse et féconde de Ja Danse, de la Poésie et de la Musique » se dissout. De la Triade synthétique, rapidement il ne reste plus que deux éléments la Danse devient en effet la pauvre combinaison de mouvements superficiels que nous connaissons. Elle ne mérite plus qu'on s'occupe d'elle. Quant à la poésie, après s'être changée en simple exercice d'école chez les Romains, vivant de plus en plus en marge de la musique, au cours de son voyage, elle devient visionnaire et se réfugie dans le vaste ciel, cette « patrie idéale de l'homme au
moyen-âge », comme nous le prouve si pertinemmultanés. L'accord parfait qui constitue la tonalité, etl'accordde septième qui conduit d'une tonalité dans une autre par force attractive, ont créé l'organisme harmonique. La musique des Anciens réduite à la simple mélodie, se mouvait à la surface de la mer des sons; elle flottait toujours entre deux vagues, Le musisans s'inquiéter de ce qui est au-delà et au-dessous.laquelle il la cien moderne a deviné la profondeur de mer sur navigue; et f.on regard s'étend sur )a vaste étendue. Le mouvement ne lui vient pas seulement du vent qui en agite la surface dans le sens horizontal, mais encore des colonnes de vagues qui la soulèvent verticalement et qui, agissant de nouveau les unes sur les autres, impriment a toute la masse liquide leurs puissantes oscillations. Par la force dominatrice de la modulation, le musicien moderne règne en maître sur la mer de l'harmonie. Nouveau Prospero, il en soulève les tempêtes à son gré et la mesure en tous sens sur les ailes du vent. Dans cette nouvelle musique, les tonalités ne sont plus des lignes parallèles sans aucun point de contact; elles forment un réseau unique où chacune se relie à toutes les autres, Sans doute, cet exposé est poétique plutôt que technique, mais on sent ici des connaissances précises et spéciales du mécanisme musical.
ment la Divine Comédie. Puis avec la Renaissance elle redescend sur la terre et prend possession de la réalité humaine. Shakespeare nous le confirme, en se dressant comme une antithèse vivante de Dante. Mais la Renaissance ne fut guère, au point de vue auquel nous nous plaçons, qu'une vaste et délicieuse espérance. En somme, des besoins nouveaux, et par suite des tentatives nouvelles, voilà ce qui sort d'elle. Un malaise profond et essentiel se crée. Les temps modernes le manifestent. C'est alors que viennent Byron, Shelley, Gœthe. Le mal du siècle est né, c'est-à-dire l'inéquation entre l'idéal désiré et la réalité offerte. Edouard Schuré devait être attiré par ces trois hommes, dont le premier marque si bien la révolte de l'homme moderne contre la réalité décevante qui s'oppose à ses besoins d'inconnu, tandis que le second symbolise plutôt « la pensée régénératrice de l'avenir et que le dernier, formant une sorte de synthèse des aspirations divergentes des deux autres, s'efforce de concilier en un tout harmonieux le sentiment de la personnalité individuelle et une conception philosophique d'ensemble. Ce sont les deux Faust qui marqueront à la fois le point culminant de la pensée de Gœtbe et de la poésie moderne. Après ceci, il ne peut y avoir place que pour la musique, suprême expression de l'âme humaine. La parabole décrite par la poésie depuis sa dissociation d'avec la musique se clôt ici, car elle revient à son point de départ. « Dans cette région sublime où Faust est accueilli par l'âme transfiguréede Marguerite, où les splen-
(leurs mêmes du monde visible s'évanouissent et symboles passagers, la ne semblent plus que des où l'Eternel ~m'KM flotte au-dessus des dernières cimes sur la figure rayonnante de la Mater Gloriosa, et attire les âmes en haut par la force la aussi règne le souffle tout-puisde l'amour, sant de la musique' ». Nous voici donc revenus, suivant la belle expression de l'auteur, « aux plages enchantées de ce mystérieux océan de l'Harmonie ». La poésie aspire à une expression différente des sentiments qu'elle est chargée
de rendre. Elle sent la barrière infranchissable
dressée devant elle. C'est que, arts plastiques et poésie ne peuvent guère que nous montrer les apparences et le dehors; la musique, qui ne représente rien exactement, éveille et provoque précisément ce qui n'est pas représcntable. L'auto)idu D~a~e musical a écrit à ce sujet une belle profonde « Qu'éproupage d'esthétique, juste et vons-nous en face d'une statue ou d'un tableau, et qu'éprouvons-nous au son d'une belle mélodie La statue et le ou d'une harmonie saisissante? tableau nous rappellent des formes connues, des objets particuliers; a travers ces formes nous pénétrons jusqu'à leur âme, nous y devinons la vie, le sentiment et la pensée mais nous ne le faisons que par l'intermédiaire de l'imagination et l'effort de l'intelligence. Que l'accent musical de la voix humaine ou des instruments agit autrement, et combien diverse la sensation qu'ils provoquent Us ne nous présentent aucun objet réel, 1. iiisioire du
Drarne
inusical, p. 148.
ne réveillent aucune image précise. Néanmoins ils nous frappent directement, nous pénètrent jusqu'au fond et nous persuadent comme la vie elle-même. Qui n'a senti cela en écoutant certains chants populaires ? Telle mélodie rapportée de l'Inde par un voyageur nous fait voir comme les bords du Gange en songe avec leur ciel
enflammé et nous remplit de cette ardeur qui, après l'élan, aspire à l'éternel sommeil, comme la bayadère dans sa danse languide et passionnée. Telle mélodie suédoise, aux notes longues et tristes, déroule par enchantement à nos yeux les forêts sombres où se perd la voix humaine elle nous pénètre de ce désir infini qui est l'appel de l'ami à l'amie, par-dessus les abîmes, et qui est aussi l'éternelle nostalgie du Nord après le Midi. Ainsi, en quelques sons, l'âme de deux peuples s'épanouit. Ces mélodies, même sans paroles, nous disent d'une manière plus incisive et plus profonde ce que nous disent cent tableaux et mille descriptions. Que conclure de là, sinon que la musique est l'expression la plus directe, la plus forte et la plus irréfragable de l'âme, humaine, tandis que les autres arts qui nous donnent des représentations du monde réel, n'en sont que des expressions médiates et limitées ayant besoin de traverser le milieu de l'intelligence et de l'imagination avant de nous convaincre. II y a dans la nature un dehors et un dedans, un dessus et dessous. La musique nous donne le dessous et un le dedans, et ce fond est l'énergie vivace qui se manifeste comme instinct dans les règnes inférieurs, comme sentiment actif et volonté con-
sciente chez l'homme' )). En présence d'une telle doctrine, combien l'étude non point technique, mais philosophique, ou, si ce mot paraît faire la part trop large à des théories, c'est-à-dire a des constructions de l'esprit, combien l'étude essentielle de la musique doit être passionnante et doit être nécessaire Aussi la seconde partie de l'Histoire du Drame musical est consacrée à cette étude de l'expression musicale. Tout d'abord, nous voyons pourquoi et comment la musique est l'art par excellence de la religion chrétienne. Et encore une fois, il n'y a qu'a laisser la parole à l'auteur. Il est des pages qu'on dénature en les résumant et qu'on profanerait sans loyauté en les démarquant. 11 s'agit de la musique de Palestrina « Ce que la peinture laisse entrevoir à notre imagination, ce que le philosophe chrétien nous explique péniblement, douleur dans une ce ravissement a travers la région de félicité supra-terrestre, la musique nous en inonde avec plénitude et le réalise en nousmêmes. imagine maintenant un de ces chants « Qu'on tels qu'on les entendit pour la première fois dans la semaine sainte en 15GO dans l'église du Vatican, à Rome. La foule est assemblée entre les piliers grisâtres sous l'immense voûte. Quelques cierges brillent faiblement au fond de la colossale basilique plongée dans l'obscurité. Le corps pale du crucihé ilotte seul dans la pénombre, au fond de l'église. Pendant que les fidèles s'approchent un 1. IIistoire du Drame mMs)cn/, pp. 155-1S6.
à un pour recevoir l'hostie, tombe d'en haut un chant extatique paroles
sur ces
Que t'ai-je fait,
« « ô mon peuple? Réponds-moi ». On ne dirait pas des accents humains,
mais des cantiques d'anges bienheureux. Car on oublie les paroles sous le ravissement de ces harmonies surnaturelles. Les voix glisscnt les unes sur les autres en modulations étranges et suaves qui nous pénètrent de frémissements séraphiques. Chacune chemin, et cependant leur accord poursuit son et leur succession forment un tissu d'une merveilleuse beauté. Ici la mer de l'harmonie n'est pas soulevée par les vagues puissantes du rythme. Elle s'étend à perte de vue comme une nappe liquide dont le bleu profond s'irise de toutes les couleurs de l'arcen-ciel par une série de dégradations insensibles. Nous flottons sur cette illimitée éntre toutes les tonalités possibles. mer « Toutes les souffrances terrestres, tous les martyres de l'âme se dissolvent ici dans l'adoration sans bornes de Dieu fait homme, soufrant et aimant. La douleur s'est du Christ ha~ée en délice comme chez saint François et sainte Thérèse. Parvenu à ce degré de puissance, le sentiment intérieur qui résulte de l'impression musicale, finit par se traduire en vision. Que voit le quand, croyant sous les effluves de ces harmonies transcendantes, il lève les yeux masse humaine vers la voûte où la lumière rante du jour lutte avec le crépuscule? monSur nuages bleuâtres flottent des cercles lumineuxdes de .eraphins agenouillés dont les têtes levées ont l'expression ardente de la contemplation
et
de
dans la gloire l'extase. Leurs yeux sont noyés faces. A mesure divine, qui vient irradier sur leurs les ondes mélodieuses qui les s'épandent que forment enveloppent, Us s'enlacent avec effusion et les enlevés uns la rose mystique. Ainsi portés, ils tournent, ils glissent, ils les autres, par La voûte montent dans un transport d'adoration. toujours juss'ouvre sur leurs têtes ils montent la vision qu'à ce que l'azur profond engloutisse de splendide, sans que l'œil ait perçu le moment ni l'oreille le dernier son de la disparition, sa des mélodie qui semble expirer dans le silence espaces. prod.nt sous l'inphénomène double se Un « Couvre le iluence de cette musique et uoas en de l'individu 1 absorption sens caché. C'est d'abord le chant qui dans la communauté pendant que descend des galeries supérieures passe et repasse moment-la toutes ces dans bien ce si elle, que sur seule. C'est ensuite qu'une forment non âmes do l'absorption de la communauté dans la pensée que le chant se prolonge, son Dieu. Car à mesure s'identitie avec la vision humaine grande âme cette a son merveilleuse qui flotte la-haut, laquelle ciel dissoudre dans le s'absorber et se tour va Voilà bien l'essence de la musique religieuse, est d'où sort la musique moderne, car son origine Schure étudie dans le sentiment infini. Edouard Beethorapidement son évolution de Palestrina a la muse des sons, en sa course ven. Nous suivonsséparation de la muse des mots, solitaire, après sa
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la voyons, affaiblie par cette séparation, tendre, inconsciemment, vers la Poésie, et nous
son ancienne compagne, y tendre de force que tant avec la neuvième symphonie avec c~M~. de Beethoven, le chef-d œuvre sans doute et, à coup sur, le point culminant de la production musicale de cet homme de génie, prépare et réalise presque cette réunion souhaitée. On devine, et même depuis longtemps deviné on a sur quel point se devait faire la rencontre, c'est dans l'opéra. Seulement, ce genre est factice d'origine et mal compris en sa réalisation. Glück pourtant avait trouvé, dans Orphée notamment et dans son Iphigénie en son ou devait porter l'essentiel de son effort. « Je cherchais, dit-il, à réduire la musique fonction, celle de seconder la poésieà sa véritable pour fortifier l'expression des sentiments l'intérêt et tions, sans interrompre l'action la des situarefroidir par des ornements superflus ». MaisetGlück n'osa pas aller jusqu'au bout de théorie il conserva les sa vieux cadres. La tragédie musicale, c'est-à-dire la rencontre complète et la fusion intime de la Poésie et de la Musique, devait attendre Wagner. Nous avons vu plus haut qu'Edouard Schuré ce dit de ce grand artiste mais quelle qu'ait été l'explication de son admiration pour lui, rien ne pouvait mieux la faire comprendre et la faire partager que l'étude de la marche, successivement divergente et convergente, accomplie par la Poésie et la Musique, et notée dans l'Histoire du Drame musical. Wagner y apparaît non seulement comme point d'aboutissement, un mais surtout comme un point de départ; si son exemple et son œuvre ne
y~~
il doit
inexplicable stérilité, d'une frappés sont pas celui où cycle, le cycle de l'art parfait, il est écrit en Poésie, comme Musique et « Danse, forment la ronde de l'art vivant
~r~n
exe~ue ~ouardSchuré.dontl'idéalart~quees~ee, orgueilleux dénigreles étroitesses ou les ignore ments. Il sait reconnaître de belles ceuvres dans il accorde il la poésie qui n'est que poésie, etdétail qu'il ne de beautés des traditionnel l'opéra cherche ni à dissimuler, ni à atténuer. Mais il est mieux encore, certain que l'œuvre qu'il rêve, attend, est d'essence supérieure a connaissons. Aussi celle des œuvres que nous point de vue bien Sciure ne se place-t-il pas au occupée des critique d'art. Celle-ci est trop ni Ni technicien, ni érndit, virLuose L'art, pour lui, est croyant. c'est un dilettante, ni du vrai par le beau, c'est une manifestation une toi me-, Si multiples l'âme ses de en expression sa présence, celle-ci ne vivifiait pas assemblage de mots, de qu'un serait l'oeuvre ne habilement maniés par des ouvriers de lignes sons, contribuerait à notre parfois passés maitres; elle seul divertissement. divertissement, mais a notre été attiré par elle. n'aurait pas Schuré Delors,
~uv~u'il
tpar~.
dont
soit
G. Moreau, se Le choix du seul peintre, égard caractérisa très cet est Schuré Ed. a occupé ~GustaveMur.auadéconccrtéacrit.qu..h;rL
l'a pas compris général ne En on de son temps. mcomprehension, il Il y eut de sa ~e en cette de la faute de ceu. qui ne le comprisurtout eut y classé parmi les httel'ont Beaucoup rent pas.
rateurs
», ce qui est la suprême disqualificationen arL M. Edouard Schuré le met au nombre des i'récursours' « créateur solitaire », « penseur mé-
connu de son temps. » Pourquoi fut-il méconnu? Parce que, pour reprendre l'expression de" son commentateur, « l'Ame et la Beauté furent les sœurs divines, l'une voilée, l'autre radieuse, qui entraînèrent ce nouvel Argonaute vers des terres lointaines, par-delà les hautes de la passion et de la vie. » Edouard Schurémers devait être attiré vers lui. Toute une esthétique est enfermée dans la conclusion que le philosophe met à son étude sur le peintre. « Un tel créateur est l'honneur de
son siècle, l'orgueil de sa patrie le reconnaître en adoptant son œuvre est un 'devoir national. Il s'agit de montrer à la jeunesse qu'au-dessus de l'art qui plaît et divertit, il en est un qui élève et qui libère, qui console et qui fortifie, un art éducateur et initiateur de l'esprit. Les Anciens aimaient à placer des Victoires leurs édifices publics et sur leurs colonnes.surIls entendaient par là les Victoires de la patrie. Nous autres modernes, nous les voulons aussi la nôtre, mais nous savons qu'elles n'ont depour prix et ne sont durables que si nous y joignons les Victoires de
l'Ame et de l'Humanité ce sont là celles qu'a célébrées notre peintre'. » Une objection viendra sans doute à plus d'un et dans cette objection l'on dira que ces lignes 1.
C'est en effet dans Précurseurs
et qu'il l'étudie. 2. Ceci est une allusion à l'acceptation du musée G. Moreau par l'Etat. 3. Précurseurs et Révoltés, p. 375.
Révoltés
idéaliste, non sont d'un philosophe, d'un penseur r-nd'un critique d'art. Et d'abord pourquoi un phidart.naurait-it pas une doctrine, une t.me lnop)demen~-?E.t.-cecelaquilerendra.tparcamaraderie, létroit.-sse th~ras turque la simplement le goût prode vue ou d'esprit, ou interprétanoncé pour telle « manière » ou telle Téniers, tion. Si Louis XIV n'a rien compris aux philosophie, c'est parce que ce n'est point par la beauté ordonnée aristocratique pour goût son insensible au dessin et majestueuse le rendaitfamiliers. Tout peintre pittoresque et aux sujets photopossède un idéal, sous peine d'être un parfois, graphe. Les plus réalistes furent même d'ailleurs à leurs théories, les eL contrairement sujet pins déclamatours. Et s'ils déclamaient aucelui-ci de leur art, c'est parce qu'ils croient quetranscrit, modèle est autre chose, et plus, que le leur originalité c'est la nature interprétée par la nature révélant une moins c'est tout au propre, l'intermédiaire de partie de son secret, mais par l'artiste. Courbet et ici l'on attendait son nom, à cette -Courbet lui-même ne peut se soustrairetraduire de loi profonde de l'art: « Etre a même époque, seles mœurs, les idées, l'aspect de montaire de l'art lon mon appréciation, en un mot termes vivant, tel est mon but. C'est en ces IS~.Voila qu'il termine son fameux manifeste de réalisme du donc le chef et surtout le coryphée modèle. qui, en sa peinture, s'ajoute a son si, à ce L'exemple devient plus caractéristique lignes, du qui précède, on ajoute ces quelques de son tamême, écrites a la même date au sujet
bleau à fracas l'Atelier « Tu voudrais savoir le sujet de mon tableau, c'est si long expliquer à que je veux te le laisser deviner quand tu le verras c'est l'histoire de mon atctier, qui s'y ce passe moralement et physiquement. C'est passablement mystérieux, devinera qui pourra'. » Par une contradiction assez étrange, beaucoup de critiques, et à leur suite beaucoup d'amateurs sont portés à demander à peu près exclusivement à une œuvre d'art d'être vraie et bien exprimée, à la regarder, dirait-on dès lors, avec des yeux matérialistes. L'académisme depuis bientôt près d'un siècle est en défaveur qu'on le trouve faux. Mais pourquoi doncparce est-il faux? Est-ce des des raisons techniques? Oui, pour en quelque mesure, surtout au point de vue de la couleur et de la lumière. Mais c'est surtout au point de vue de l'âme. II est certain que lorsque Greuze dut composer pour sa réception à l'Académie de Peinture et de Sculpture son Septime Sévère chant à son fils Caracalla J'~<W voulu lereprotuer, il devait faire, toute question de qualité de talent a part, une œuvre froide, factice, mauvaise, parce qu'il ignorait tout des sentiments d'un Septime Sévère, d'un Caracalla et en général d'un Romain de la fin du 11~ siècle après Jésus-Chris). Pourquoi donc l'école néo-grecque du milieu du xixe siècle a-t-elle avorté, malgré quelques jo« lies toiles? Parce quelle a peint des faits divers du xix° siècle joués par des acteurs en costumes grecs. Ni Hamon, ni Gérôme, ni les autres n'a-
tMq~iS~. d'autographes d'artistes conservés
thèque Doucet.
à la Biblio-
vaient l'âme alexandrine d'André de Ghemci, dontl'œuvrc venait d'ètre révélée, ni l'âme hctses lène de Leconte de Lisle, qui commençait établir belles évocations. Et encore pourrait-on des reserves au sujet de ces poètes'. Mais, vers d'un la même époque, il suffisait des dessins de la Raffet pour faire vibrer l'âme héroïque France, et des lithographies d'un Daumier pour interpréter les mécontentements d'une foule réduite au silence. Ce n'est pas le lieu d'insister plus longuement sur cette question; mais un dernier exemple complètera en le résumant tout ce elle tant qui précède. Si la Joconde a attiré vers d'admirateurs, est-ce uniquement à cause de la perfection de son dessin, de la grâce de son mochadelé, de l'harmonie de son clair-obscur, dela leur discrète de ses tons patinés ? et n'est-ce pas surtout à cause du mystère attrayant et toujours secret caché derrière ses yeux et son sourire, c'est-à-dire à cause de son âme'? ~ous en reveCe n'est point a nons donc toujours a ce mot. grandement Puvis de Chavanncs au contraire nous émeut repré~'eqm notamment par par ses fresques du Panthéon, concède sur Paris endormi. Je sente Sainte G~~M<. vrais do volontiers que le peintre ignorait les sentiments et par le sainte Geneviève, mais par l'effort de sa pensée créé les sentiments que il moyen de sa sensibilité propre, a visage grave, dans la sainte devait éprouver et porter sur son elle contemplait tout son corps hiératique, lorsque, la nuit, scut qui, en Paris endormi. !)y y a donc ici une âme. C'est cela ce moment, nous importe. f<prit e.Hp= écrit Vinci, M. G. Séailles 2. Dans son Bh<de sur Léonard de l'image d'un très justement: « Pour i-art, le corps n; est que de créer des sentiment. Le vrai réalisme, c'est la puissance émotion, l'expriêtres réels, des corps vivants qui, nés d'une ment et la propagent. )) (p. 483.) 1.
~Mt
dire que la critique d'art doive être uniquement de la psychologie, encore moins de la métaphysique, ou bien un pur phénomène d'intuition. Son rôle ne lui permet pas de se désintéresser de la plastique, de l'effet sensible, de l'expression extérieure, mais ce rôle l'oblige à dire et à sentir autre chose. Et c'es~ pourquoi elle dit, par exemple, que la Sainte Geneviève veillant sur Paris endormi, au Panthéon, est un grand et beau monument de notre peinture décorative. Que dans l'art de Gustave Moreau on sente parfois l'effort, qu'on y respire trop peu le grand souffle vivifiant de la pleine nature; qu'une âmo inquiète s'y trahisse en des recherches parfois trop appliquées, des surcharges d'intention et une complexité de trouvailles qui ne laissent pas toujours assez de place à la claire netteté, soit. Le choix de ce peintre, qu'un hasard désigna a l'attention de M.Schuré, n'en est que plus caractéristique. Si ce dernier eut été par profession critique d'art, il ne serait pas arrêté à G. Moreau, il eut pu écrire un beau livre sur la vie de l'âme dans l'art. Mais il certain que si un peintre parmi d'autres devait retenir l'auteur des Grands Initiés, c'était celui qui a interprété avec tant de profondeur et d'originalité les grands mythes du passé, celui pour qui Hercule n'était pas seulement une belle « académie )), Orphée un harmonieux éphèbe, Léda une femme voluptueuse, ou Prométhée un superbe prétexte à « étude d'expression » c'était celui pour qui les « sujets » n'étaient que les formes plastiques en qui s'enfermait le monde psychique. Et c'est pour ce
motif que, suivant l'heureuse expression de M. Paul Flat, chez lui « l'art d'imitation devient un art d'expression' ». Si nous sommes loin de l'ai'L copie, nou ne sommes pas moins foin de [':))'). pour l'art. <cst pourquoi M. Edouard S~.buré a aimé G. Moreau et a su le comprendre.
L'unité de l'œuvre schuréenno se dégage donc de plus en plus. Chant, musique, peinture, l'art doit exprimer un au-delà, un au-dedans. Les écri-
vains que M. Edouard Schuré aime, et mieux encore ceux qu'il a jugés dignes, illustres ou inconnus, d'être étudiés, sont ceux qui apportent une contribution à l'étude de l'âme, non pas les psychologues qui, malgré leur nom, n'étudient que des caractères, des sentiments ou même des instincts, mais les lyriques qui, par sympathie ou intuition, regardent vers le monde mystérieux. Il ne suffit pas toutefois de regarder vers ce monde mystérieux et intérieur, riche de tout un passé lointain, il faut tirer de cette contemplation un principe d'action. La toi qui n'agit point, est-ce une foi sincère ? M. Schuré dirait presque cela, du moins, il écrirait est-ce une foi suffisante? et il répondrait: non. C'est pourquoi il a composé ses Précurseurs et Révoltés. On y rencontre, outre Gustave Moreau, Shelley et Nietzsche, Ibsen et Gobineau. Ces écrivains ont, les uns exercé une influence profonde sur le monde contemporain, les autres quand même ils ne l'ont pas « cherche l'avenir » Paul Ftat, Le ~Mxee Gustave Mo~eoM: l'Artiste, son œuvre, son influence. 1.
prévu en vendables « voyants ». Certes l'âme étrange et par certains aspects déconcertante de Shelley devait attirer M. Edouard Schuré. Comme il ne se soucie nullement de l'intérêt superficiel de l'histoire anecdotiquc, il a su se dégager de l'impression trouble que la vie du poète anglais lui avait laissée et il a cherché surtout ce que son œuvre proclamait. Or, cette œuvre, dit-il « je crois qu'elle serait capable de nous conforter dans un temps qui semble avoir perdu l'intérêt et la tradition de l'idéal. « La théorie esthétique dominante de nosjours~1 consiste à dire que l'art est le reflet d'une société et l'artiste, le fruit d'un milieu donné. Conformément à cette théorie matérialiste, l'artiste ou le poète d'aujourd'hui se croit obligé d'être le photographe ou l'écho des misères, des sottises et des caricatures du présent. tl n'est pas de niaiserie, pas de turpitude qu'on ne s'ingénie à imiter et à encadrer dévotement. L'œuvre de Shelley nous fournit un enseignement absolument contraire aux théories réalistes et à la pratique relâchée du jour. Parmi les poètes modernes, il démontre de la manière la plus éclatante que le vrai créateur~ sait se soustraire à l'obsession de son entourage, déHer les circonstances et se créer un monde à lui par une loi supérieure à la tyrannie de son siècle2. » L'oeuvre de Shelley, dans sa diversité, aboutit à ce drame puissant et impossible à classer dans aucun genre qu'est le Prométhée délivré. C'est 1. 2.
Ecrit en i877. Précurseurs et Révoltés. p.
65.
un poème immense et, si l'on veut, débordant. On peut s'y perdre, mais ce n'est point comme dans le désert, ou il n'y a rien, c'est comme dans la mer gardienne d'énergies, de forces et de vies multiples. Il ne peut s'agir de reprendre ici l'analyse du vieux mythe où Eschyle avait déjà laissé la trace de son génie robuste, mais où Shelley mit la marque de son angoissante pitié. Il nous suffit de savoir que si Jupiter, en ce duel gigantesque, est le représentant de la force brutale et mauvaise, Prométhée apparaît comme le symbole de l'homme idéal, tel qu'il pourrait et devrait se réaliser. Une magnifique apostrophe de Démogorgon au Titan précise encore cette signification. Prométhëe est définitivement vainqueur. Délivré par Hercule, après la chute de Jupiter, il assiste a la renaissance du monde; enveloppe le « l'immense symphonie de l'univers Titan » et Démogorgon, qui personnifie la conscience profonde du vrai et du divin, dit à Prométhée <: C'est le jour où dans le profond abîme Souffrir des s'écroule le despotisme du ciel. maux que la crainte croit infinis; pardonner des injustices plus noires que la mort; déiier le pouvoir qui semble tout-puissant; aimer et supporter, espérer jusqu'à ce que l'espérance crée de son propre naufrage la chose contemplée; ne jamais changer, ni faillir, ni se repentir, voilà ta gloire, Titan. Etre bon, grand et joyeux, beau et libre; cela seul est la vie, la joie, l'empire et la victoire.~ » Pour avoir écrit ce poème d'espé1.r)'FCM~«~e<Rf!'o!<es,p.<20.
rance et de clarté, Shelley devait trouver sa place
dans les Précurseurs et Révoltés. C'est pour la raison opposée que Nietzsche a trouvé la sienne en ce même livre. Il serait poignant de refaire avec Edouard Scliuré le voyage tragique à travers l'âme du penseur allemand dont on parle tant en notre nouveau siècle, et qu'on a
voulu monter sur un piédestal d'admiration, dont il se fût lui-même bien étonné s'il avait connu
tous ceux qui s'attachent à cette besogne. Mais ce qui nous importe ici, c'est l'attitude de l'auteur de Précurseurs et Révoltés, puisque c'est lui que nous voulons connaître. Or Zarathoustra, c'est, en somme, le génie infernal, c'est le démon de l'orgueil humain niant Dieu, broyant les êtres faibles, finalement regrettant de n'avoir pu aussi briser les êtres supérieurs, et attendant tout, sinon de lui, du moins de celui-là qui doit, un jour, sortir de lui, le surhomme « S'il y avait un Dieu, dit-il, comment supporterais-je de n'en pas être un? Donc il n'y en a pas. Et autre part « Maudits soient tous les diables lâches qui sont en vous, qui geignentetjoignent les mains et voudraientadorer. La prière est une ignominie. » Et ailleurs encore « Oui, je suis Zarathoustra, l'homme sans Dieu. et de moi naîtra le surhomme. » Aussi, voici la conclusion de M. Edouard Schuré sur Nietzsche « Ecrivain de premier ordre, moraliste pénétrant, penseur profond, satyrique génial, poète puissant à ses heures, ses dons merveilleux semblaient l'appeler a être un réformateur bienfaisant de la pensée pour sa génération. Tout a été englouti dans la pléthore du 'moi et dans la folie
furieuse de l'athéisme. Voi!a pourtant celui qu une fraction de la jeunesse se propose pour modèle et que des esprits légers citent journellement,comme prophète de l'avenir! S'ils ne reculent pas devant ses conclusions, qu'ils apprennent du moins où peuvent mener certaines pratiques intellectuelles. L'histoire des idées morales de notre temps accordera sans doute a Nietzsche la grandeur tragique d'un homme qui le courage d'aller jusqu'au bout de son idée, et qui a donné, par son suicide spirituel, la plus éclatante démonstration de son erreur. Quant à Zarathoustra, il mérite de rester dans la littérature comme un monument unique, puisqu'il nous révèle l'Orne de l'athée jusqu'au fond. On ne peut que plaindre ceux qui y chercheront une philosophie. C'est un magnifique sépulcre sculpté en marbre, mais un sépulcre qui le néan~. » recouvre En passant vite sur le bref article consacré a Ibsen, qui n'a pas compris que « Dieu estamour)) » car il est trop exclusivement un intellectuel, et, en somme, n'a pas pu pénétrer jusqu'au monde intime de l'âme en passant aussi rapidement sur le pages consacrées a Maeterlinck, qui a écrit pourtant Le ?~e~e du rêve mais qui n'a pas su faire la synthèse de l'Ame et de la Volonté, oubliant trop celle-ci et se laissant glisser dans nn « art subtil et profond, mais languissant et diffus », j'arrive Ada Kegri. Celle-ci est encore une inconnue pour la plupart de ceux qui lisent. Longtemps d'ailleurs elle resta petite maîtresse d'école dans
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<. f)'cCM)'M:<y's et /tft.'o«cs, p. 182.
un pauvre bourg de la Lombardie. Et pourtant la voici qui occupe une place d'honneur à côté des grands noms que nous avons vus tout quelques pages plus loin nous trouvons lacomme belle et noble tragédienne qui fut Wilhelmine SchrœderDevrient. C'est que Ada Negri, poétesse de l'âme, a éprouvé en elle-même et célébré en sa poésie une lutte profonde et terrible, <: la guerre entre la vérité de l'âme et l'orgueil de la raison, entre la prière et la révolte, entre la Providence et le Destin, entre les Messies et les Titans, entre Dieu et
Lucifer. » Mais dans cette lutte, l'âme a pris conscience d'elle-même, elle s'est ramassée soi, et épurée par la douleur, conliante dans en le travail créateur « d'où naissent la force et la joie », elle reste la maîtresse et elle finit par une apostrophe pleine d'enthousiasme, de foi et de certitude victorieuse qu'elle lance au spectre de la Fatalité. « Tu t'acharnes? A quoi bon? La jeunesse et la vie sont à moi Dans la bataille fatale, tu ne me verras pas, non, tu ne me verras pas faiblir. Sur les ruines éparses et sur les angoisses brillent mes vingt ans Je veux le travail qui divinise et qui, d'un noble commandement, gouverne toute chose. Je le veux songe et l'harmonie, la Jeunesse éternelle de l'art, le rire de l'azur et les baumes des Heurs, astres, baisers et splendeurs. Ces strophes sont d'un magnifique »envol. Elles chantent l'hymne d'espoir et de beauté, mais elles chantent l'hymne de la joie créatrice et non de la
satisfaction stérile parce qu'elle est égoïste. Le travail qui divise est exalté par la poétesse. Combien nous sommes loin de l'art pour 1 art, aussi loin que de l'art factice des superficielles et timides imitations aussi loin que de l'art servile destiné à notre simple distraction, à plus forte raisensibilité. Edouard son à la satisfaction de notre l'expansion de cette Schuré devait être attiré par âme communiant par l'Amour et l'Harmonie avec le monde universel. S'il est vrai, ce que je crois, que t esthétique existe et qu'elle n'est pas de l'érudition artisditique, ni de l'anecdote impressionniste, ni du lettantisme ainnc, mais qu'elle se présente comme manifestation plus une manifestation spéciale, la particulièrement sensible de notre humanité proEdouard fonde, il faut voir un esthéticien en Schuré. Qu'au début de sa vie de penseur il écrive l'Histoire du Lied, ou que quarante ans plus tard inspiratrices et l'oètes <7/~o/<il publie il écrive CM:<eM~, que durant ces quarante ans
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l'avons vu, C'est dans ce dernier ouvrage, comme nous l'histoire d'une et qu'il nous retrace « le portrait d'une âme Marghenta A bana intelligence », 1-âmc et .'int.nigc.nce deinitiatrice dans la Vie Mgnaty. cette femme d'clite qui fut son du livre, son Inssupérieure, et pour reprendre le titre même de pieuse et enthoupiratrice. La connaissance de cette sorte Biase~~aphie est nécessaire pour savoir ce qu'est Edouarc 1.
voyons passer h Schuré. ~is dans te ULenLe voh.me nous de MaUntde ~esendon~ silliollette mystérieuse d attirante d. Ame projonde oui fut pour Wagner « )a Muse sac~e de son œuvre Cosima L~t, qui veille sur sa mémoire et sur fut madame Acker de Tue « Pythonisse du néant » queLouis de Cardonnc e du mystique chrctien que fut m~n qu.t Atcxandre Saint-Yv.s, ce t.uos..phe. si peu connu, sau d. retrouvent en ce livre, et qncs initiés. Les mem.s idces se
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(pour ne parler ni de son théâtre ni de ses vers) sur Richard Wagner, dont a été longuement question plus haut qu'il réunisse en un volume Les grandes Légendes de France, qui ne recueil factice de légendes, mais « à la découverte de l'âme celtique, un voyage », ou qu'il nous fasse Pénétrer, en ses Précurseurs et Révoltés, au
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quelques-unsdes écrivains des artistes les plus ou représentatifs du siècle dernier, dans cette série d'études d'âmes et d'expressions artistiques des données psychiques, bien un esthéticien qui se découvre à nous et s'impose à notre esprit. Cette épithète peut
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est mêmes écrit « tendances s'accusent A ,) ~rn.erc page, en effet, il est écrit « L'art a le devoir de talever se nom de sa mission, au l'être et la poésie poésie de protester au nom idéal. Ni l'autre ne renonceront jamais à la divineson ni sans se renier eux-mêmes. dëjà un peu plus haut, exprimait cette idée nous avons déjà maintes fois ..eusc'es~~ que qui ici se double d'une constatation pleine de joyeuse espérance s'étonner si une réaction idéaliste « Faut-il donc
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et spiritualiste se prépare dans purement contre le desséchement cation purement matérielle de l'humanité. mortel d'une édude dix ans ont passé depuis » 01', un peu plus que cette phrase était écrite, et, malgré des progrès trop lents, il bien que ce mouvement pressenti par Edouard Schurésemble ait et commence à porter quelques fruits. continué, se soit accru 1. Une phrase de la Préface précise bien ce « Parmi les entende légendes de France, je voudrais,caractère = dit l'auteur, qu'on entende celles qui, dépassant l'intérêt local, quelque rapport avec le dëv~oppe~ ont °~ et prennent une valeur symbolique dansnational de son histoire, parce qu'elles représentent un élément tive. Le choix des Légendes essentiel de colleccontenues en ce caractéristique. Ce recueil est caracteristique. Ce sont L~ est Les Légendes de l'Alsace, La Grande-Chartreuse sont de Saint-Bruno, Saint-Michel et son histoire, Le Mont Les Légendes de ia la Bretagne et le génie celtique.
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d'Edouvrd Schuré. Il prendre lorsqu'il s'agit semble cependant que si l'on entend l'esthétique haut, elle doit paraître plus dit été qui a -m sens conduit bien a lui naturelle. a écrit en effet dans la qualificatif. Il appliquer ce Inspiratrices et préface de Femmes sujet de l'Enquête sur Parmi u téraire jadis interviewés, deux soixante-quatre 1 ittél'ateUl"t, atlirmèrent seulement esthétique est et sera que le problème le problème metaphy~quee et se résout pour religieux. En effet, tel il se pose et et se résoudra le pro~époque, tel se po.era moral et le probleme épique, le problème seulement aui. nombre blème .oci.1. Un petit majorité ne conscience de ce rapport, l'immense s'en manifestera pas s'en doutera même pas. Il neinéluctable logique des moins avec l'immanente et choses. » la reprise d'une Cette pensée n'est d'ailleurs que M~ idée déjà exprimée en 187. vrai et tant nous et son idée, tant il que le constamment amenés à constater moral d'Edouard développement intellectuel et en diversité. Il sa harmonieuse en complexité et sa écrit en effet "e~ut l'ensemble de notre culture esthécivilisation (celle de cette devant sociale tique et des héroïque, au temps des lyriques et évanouie premiers tragiques) depuis longtemps Certes beauté fut la fleur de la véracité?
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malaise qui nous ronge, changer la face de notre existence? Nos arts portent les caractères de notre marasme, frivolité, tâtonnements incertains à travers tous les sujets et tous les styles. Les arts plastiques, la peinture contemporaine particulièrement offrent l'image frappante de cet éparpillement.nous La sculpture et l'architecture manquent de sujets inspirateurs et presque de raison C'est que pour prospérer, ces arts ont besoin de recevoir leur inspiration d'une religion vivante, d'une noble philosophie, d'une grande poésie, d'une' belle civilisation, et que toutes ces choses se tiennent. En un mot, les arts constituent semble solidaire. Ils ne sont vraiment un enféconds que lorsqu'ils agissent d'accord et se soutiennent réciproquement'.
d'être
»
L'ensemble de ce texte caractéristique montre bien comment le qui penseur a cherché dans la théosophie le support sur lequel il établit l'axe de cette pensée, loin de se complaire l'exercice et la jouissance solitaire de celle-ci, en l'extériorise et en fait un principe d'action en faveur du bon le beau. par C'est pourquoi Edouard Schuré devait être un esthéticien, pourquoi son esthétique devait venir de ses idées plutôt de ses impressions sensibles, et pourquoi onque était à peu près fatalement conduit à étudier parallèlement pitre le Penseur et l'Esthéticien.en un même cha1.
Richard Wagner, son ceuvre et son idée, p. 30Mos.
CHAPITRE III
LE LITTÉRATEUR
par des Tout homme qui exprime sa penséelittéraire. do vue mots peut être examiné du point quelque Quel que soit le genre qu'il cultive et qu'il grande ou quelque petite que soit la part certaine réserve à la littérature, il est en une Ainsi en va-t-il pour littérateur. un mesure partie de son M Edouard Schuré, d'autant qu'une plus particula forme œuvre s'est réalisée sous lièrement littéraire du roman. Les romans d'Edouard Schuré ne sont pas nombreux; ce n'est pas l'essentiel de son œuvre; toutefois il y a lieu de les regarder de près, non point seulement parce qu'ils sont un aspect noumais aussi parce qu'ils apportalent, de son veau devrait être tent avec eux une originalité qui de féconde. Il y a trente ans, lorsque venait semblait paraître Melidona, la littérature française naturalisme vouée au réalisme méticuleux ou aq outrancier. Lorsque, il y a cinq ans, fut publiée
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La nous n'étions pas encore complètement désabusés de ces deux manières, toutefois on sentait déjà que quelque chose de noupréparait. Entre ces deux dates, les deux veau se autres romans de M. Edouard Schuré paraissaient L'Ange et la Sphinge en Double en ISU~. Ces quatre livres sont à peu près passés inaperçus du grand public. La réclame des éditeurs a eu la sagesse et la pudeur de ne pas les faire annoncer en première page des grands quotidiens
comme
« l'événement
littéraire
de la saison » le snobisme des du monde n'a pu les atteindre, car il beaugens s'évertuer, il ne peut a hisser se à certains sommets; enfin le grand public n'était pas préparé par ses lectures préalables à y découvrir la beauté qui parfois s'y révèle ou simplement l'intérêt qui, en général, s'y rencontre. Deux de ces romans n'ont pourtant pas échappé à l'attention de l'élite, c'est L'Ange et la Sphinge et La d'Isis. Ils furent accueillis avec respect et admiration. Quelquesuns même y discernèrent une part de ce qu'ils apportaient de nouveau, c'est-à-dire le « romanpoème » dont Gabriel Sarrazin avait déjà fourni de remarquables exemples dans les Mémoires d'un Centaure, dans la Montée, et dans le Roi de la Mer. » M. Henry Bérenger écrivait très justedans la ment Revue des Revues du 13 mars 1897 « Je ne crois pas que depuis Chateaubriand Hugo un écrivain français ait déployé plus et de force dans la fiction légendaire, plus de dans la peinture des sensations profondes poésie de la vie, plus d'imagination dans le style, en renouve«
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lant tous ces dons par une profondeur dans le
symbole, qui est de ce temps-ci seulement, et que les romantiques n'ont jamais possédée. L'Ange et la Sphinge, c'est l'aboutissement logique de toute d'artiste, et je une vie ardente de penseur et disant que ce l'aurai suffisamment caractérisé en n'est pas seulement une belle œuvre, mais une idéaliste, œuvre d'avant-garde, le type du roman du roman-poème, tel qu'il sera peut-être populaire demain, et, hélas! banal après-demain, de de la littérature européenne. » La prophétie jusquà M. Henry Bérenger ne s'est pas réalisée La présent, et je ne crois pas qu'elle se réalise. forme et l'inspirationromanesques de M. Edouard Schuré ne peuvent guère et ne doivent pas davantage devenir « populaires. » Il y a même une sorte de contradiction entre ce genre de roman et une presque a œuvre « populaire », car il s'adresse des initiés, et son auteur, nourri d'ésotérisme, ne traditionretrouve les vieux mythes, les symboles nels, en un mot le chemin caché de l'âme profonde, qu'à force de science, de réflexion et d'intuition. La vulgarisation de ce genre de roman serait son adultération. Non omnibus licet adire Corinthum. Des quatre romans d'Edouard Schuré, Mélidona auquel est le premier en date. Ce n'est pas celuidu reste son auteur tient le plus et il ne porte propre. Far pas autant que les autres sa marque tradiUonnc), contre, il se rapproche du roman sans cependant se confondre avec lui. Il s'agit d'une aventure d'amour, qui se déroule dans le cadre voluptueux de Naples et de Capri,
mais dont le récit est interrompu par un tableau plein de vie et de relief d'une insurrection crétoise. Mélidona, l'héroïne, finit par se jeter dans le cra-
tère fumant du Vésuve parce qu'elle n'obtient pas le don total et définitif de son amant sir Henry Gordon. « Oui, lui dit-elle, corps et âme, vie et rêve, passé et avenir, j'ai tout donné, et aujourd'hui, je demande tout. C'est ma foi en toi que je te redemande avec mon génie de lumière que je t'ai livré. Si tu me quitttes, ils vont descendre dans cet abîme. Regarde ce golfe, cette mer, notre royaume; qu'il est beau, qu'il est plein de soleil et de sourire. Et puis regarde ce gouffre sans merci. C'est la vie avec l'amour et sans l'amour. Sais-tu bien que je t'aime avec la force de cent vies qui palpitent dans mon sein, que dis-je 1 avec l'Ame de Mélidona! » Voilà le mot caractéristique et qui se trouve déjà dans ce premier roman. Dans ce duel d'amour, il y a bien autre chose qu'un attrait ou des répulsions physiques, que des analyses de sentiments, que des notations de sensations, il y a, au vrai sens du mot, de la psychologie, entendons une étude d'âmes. Les deux amants s'aiment avec leurs sens, parce qu'ils sont un homme et une femme, mais ils sont attirés par leurs âmes, et finalement désunis par elles. Car l'amour, chez Edouard Schuré, n'est ni une fantaisie, ni une simple nécessité physiologique, c'est un attrait profond, puis un don, puis une absorption. II y a lutte entre le pays, les attaches ataviques, les liens du sang, les souvenirs de'l'un et de l'autre.
Pour réaliser l'unité (lui couple, il faut qu'il y ait s'anéantisse un vainqueur et aussi un vaincu, qui
qu'elle a de en lui. A prendre cette idée en ce superficiel, elle serait inexacte et attristante, car nous ne voudrions pas abdiquer notre personnalité, même dans l'amour le plus grand. Mais a y regarder de plus près, nous y voyons proclamer cette tendance a l'unité profonde, qui est sans doute la loi des homme: et qui, sauvegardant toutefois les apparences, dsjit être le principe fon-
damental de l'amour. L'Ange et la Sphinge se présenLe a nous avec un caractère plus net et nous montre bien quelle est l'essence même des romans d'Edouard Schuré. L'aventure qui y est contée l'a été bien souvent, ceci est indispensable a sous d'autres formes et pourra l'être bien fréquemment noter encore. Elle se déroule en effet chez nous tous avec plus ou moins d'épisodes dramatiques, mais a peu près fatalement. Suivant notre tempérament, nos goûts ou notre éducation, nous la raconterons avec brutalité, délicatesse, mélancolie ou scepticisme. 11 s'agit en effet de la lutte entre rame et la bête, si j'ose dire, en chacun de nous, pendant notre jeunesse ardente, curieuse et imprudente. Le thème est éternel, ses variations sont infinies. D'ordinaire, c'est a ces dernières que va l'intérêt et ce sont elles qu'on décrit. M. Edouard Schuré est allé au fond. Il a atteint l'âme, qui est à la fois l'enjeu et le champ de bataille de ce combat, et au lieu du roman psychologique au sens courant de ce terme, ou descriptif, il a réalisé le roman-poème, celui que
M. Henry Bérenger définissait ainsi
« Le romanpoème, forme nouvelle du genre romanesque, est d'abord le roman do la vie intérieure. Il subordonne la peinture des décors et des milieux a celle des personnes, il ne décrit la nature et la société que pour mieux connaître l'âme. Mais il n'est pas seulement le roman de la vie intérieure, il est encore et surtout le roman de la vie supérieure'. » Dès lors, ce genre de roman est
soumis à certaines nécessités d'exposition auxquelles nous allons voir que l'Ange et la Sphinge se conforme. L'anecdote qui sert de trame nous transporte en Allemagne, au xvi" siècle. Elle nous raconte la biographie psychologique de Konrad de Falseneck, ses années d'enfance dans le vieux château paternel, son initiation à la vie brillante et corrompue des grands seigneurs, surtout son aventure d'amour avec l'étrange Gertrude de Hohenstein. Mais au long du récit nous suivons l'enfant auprès d'une sorte de « Voyant », l'astrologue de Nuremberg, le vieux Rupertus, qui répand déjà un quasi mystère sur cette jeune vie et, plus tard, nous assistons à une scène de magie noire, qui achève de donner a l'œuvre tère troublant. Il ne faut pas voir enson caracdeux épisodes artifice du narrateur, essai de ces couleur locale; il y a un sens caché en Konrad, le dernier de sa race, porte en luieux. tout l'héritage moral de celle-ci. De plus, il se considère comme le fiancé mystique de Berthe, que trahit jadis 1.
La Revue
Encyclopédique du
15
mai
d897.
Konrad de Staufen, dont l'enfant est le descendant, et il se voue a elle, qui devient son Ange, c'est-a-dirole principe initiateur du bien, jusqu'au jour où ayant connu Gertrude, la Sphinge, l'être pervers en qui se résument les sensualités basses et les attraits avilissants de la femme, il trahit à son tour l'abandonnée de jadis. Cependant il se ressaisit et tue Gertrude au moment ou celle-ci se croit a tout jamais victorieuse. Mais ce n'est pas encore la délivrance pour lui, il ne sufut l'âme souillée de rejeter son péché, pas, en effet, a il lui faut petit a petit se laver et se purifier. Konrad est devenu, malgré ses expiations, « l'errant, le solitaire, l'exilé. » de ta haine implacable, o poursuivi m'as Tu « Sphinge Ton image obsédante m'a fait connaître désirs imprécis, une torture nouvelle, celle des attisés par les remords cuisants. Et la mort t'avait rendue invulnérable: Je ne pouvais plus ténèbres te poignarder quand tu planais sur lesm'as brûlé de ma couche. Oui, tu m'as possédé, tu jusqu'au fond des sanctuaires. » cela n'est rien encore Le véritable « Et tout châtiment, c'est que j'appelais Berthe! Je n'entendais plus la voix de l'ange dans la flamme des beaux couchants; aucun rêve lumineux ne hantait plus mon sommeil matinal. Malgré ma pénitence j'étais l'abandonné, le maudiL. )) C'est que « tuer n'est pas vaincre, c'csL changer l'adversaire visible en ennemi invisible et toujours présent. )) Apres la victoire, l'expiation. Et Konrad se fait moine, et peu à peu, la Sphinge pâlit en son souvenir, et le souvenir dela Fiancée
mystique revient. « La Sphinge expire. Est-ce l'ange qui vient? » Cette phrase termine le roman. A elle seule, elle servirait à le caractériser, puisqu'elle en montre le symbole. Or, le roman-poème d'Edouard Schuré a pour caractère de transposer l'étude de sentiments en étude d'âme et d'exprimer par des images poétiques ce que d'autres traduiraient par des termes de psychophysique. L'oeuvre y gagne en profondeur et généralité sans y perdre en justesse. C'est, en en somme, dans la forme, quelque chose d'analogue à ce que faisait Alfred de Vigny, qui excella presque toujours à trouver l' « idée-poétique f, c'est-à-dire à transporter, par exemple, son désespoir d'isolé propre en son Moïse et à faire vivre ce désespoir au lieu de le disséquer par l'analyse et par la psychologie. C'est encore cette même manière que nous trouvons dans Le Double, qui est presque un sujet banal. S'il ne l'est pas tout à fait, c'est qu'en somme un phénomène occulte de dédoublement de la personnalité fut le point de départ de ce roman, se trouve décrit en pages et lui donne une physionomie spéciale.sesM. Edouard Schuré, qui sait à combien de mensonges a donné lieu l'occultisme, est pourtant un croyant de cette doctrine. Il est arrivé par l'étude de l'ésotérisme à une conviction générale à laquelle des savants aujourd'hui se rangent la suite de a leurs travaux et de leurs observations. La pauvre vie perceptible pour nos sens ou notre intelligence est bien chétive à côté des mondes encore
inconnus dans lesquels nous baignons. Parfois nous une déchirure se fait dans le grand voile qui enveloppe et nous avons un aperçu rapide, incomplet, incertain de ces au-deta. Mais quelle incertaine, que soit cette rapidité incomplète et ces au-delà existent. En Paul Marrias, comme en nous tous, deux hommes coexistent, l'un bon, l'autre mauvais. Après que le premier nous paraît devoir être le maître, le second prend le dessus, mais finalement il est vaincu. Deux femmes seront les deux excitatrices de ces deux personnalités, la douce Marion et l'implacable Ténébra, madame Alfort. Le peintre Paul Marrias voit parfois, en rêve, son double, mais ce n'est pas la vision purement idéale et parfaitement ressemblante pourtant dont » nous a parlé Alfred de Musset, car ce « double A un ne lui ressemble pas comme MH frère. « cheval demi-mètre de son lit, un individu, assis à sur une chaise, les bras croisés sur le dossier, formait une ombre noire et le regardait. Il se reconnut lui-même. Ces traits étaient identiquement les siens, mais avec une expression de dureté et d'amertume qu'il ne se connaissait pas. ~Déplus, la vision de ce double est d'ordinaire le présage d'une mésaventure, l'avant-coureur d'une mauvaise nouvelle. Or, lorsque le roman commence, Marrias a reçu une des nuits précédentes la visite de son redoutable Sosie. En fait, dès la fin de la première partie, dans l'idylle chaste et inaperçue du peintre et de sa petite modèle Marion, la liancée amoureuse de Rosenbrouck, un artiste méconnu, un génie candide et illusionné, pénètre
pour la première fois la femme redoutable qui va transformer en enfer la vie de l'artiste et réveiller en lui tous les mauvais désirs et les bas instincts qui y croupissent. En somme, c'est une lutte qui va s'engager entre l'artiste et la femme du monde. La seconde partie nous fait assister à la lutte tragique et même poignante de ces deux êtres dont chacun voudrait dompter l'autre, où la force des sens attire vers les voluptés intenses, mais précipite vers la décadence morale à peu près fatale. Le talent de M. Edouard Schuré sait se montrer non seulement puissant, mais d'une ardeur brûlante et passionnée, sans que jamais il s'oublie jusqu'à la brutalité. En cette partie, où il est question du littérateur qu'on trouverait si aisément en M. Edouard Schuré, il peut être permis de lui laisser longuement la parole, pour qu'il nous montre ce qu'est sa force d'évocation et combien ce penseur, en qui les problèmes éternels s'agitent et se déroulent, sait regarder et lire en nos gestes d'hommes, sait traduire nos passions et peindre nos agitations « Jetons les masques et brisons les barrières, dit Marrias dans une entrevue qu'il a avec madame Alfort. Parlons-nous comme deux êtres libres qui n'ont peur de rien et de personne. La vérité sur vous et sur moi? Je m'en vais vous la dire. Oui, il est vrai, j'ai menti. Avant de vous faire ce conte, j'étais sur le point de vous aimer, et Dieu sait quel refus, quelles déceptions ou quels humiliants compromis vous me réserviez! Mais, Dieu merci, je n'y pense plus depuis que j'ai vu le fond de votre vie. Oui, vous êtes la
force et la séduction. D'un même regard vous la franchise savez attirer et repousser. Vous êtes mais vous êtes en paroles et l'audace en action; aussi le mensonge vivant. Vous mentez par vos gestes, par vos regards, par votre personne, par toute votre vie. C'est par ce mensonge que vous dominez, que vous imposez vos volontés à tout ce qui vous approche. Oui! 1 votre empire est incontesté et je ne vous dispute pas votre sceptre, seulement je ne suis pas de votre royaume et l'on d'un Torero 1 ne me verra pas, effigie dolente
dompte, entre votre Sigisbée qui roucoule à merveille et votre mari qui l'applaudit si bien ». Ténébra répond.
Sa voix trépidait de fureur contenue. Elle parut chanceler au bord de la table. Il s'avança et voulut la soutenir. Elle le repoussa on se redressant. Ses lèvres pales tremblèrent et balbutièrent Laissez-moi! Vous n'avez plus le droit de de me dire, me toucher après ce que vous venez encore moins de me soutenir. » Étouffant et suffoToutefois elle veut répliquer. quée, elle rejette son manteau et la voilà, « les «
bras nus, entièrement décolletée )), telle qu'il l'avait vue au soir fatidique de leur première rencontre. Rien ne manquait, pas même la « rose jaune piquée, au bord du corsage, sur la blancheur éblouissante de la poitrine. Mais excitée ainsi, elle était plus belle encore. Ses seins haletaient oraC'est le surnom qu'on lui a donné à cause d'un de ses tableaux, le Torero, où l'on a voulu voir un symbole de sa propre personne.
1
geux. Ses narines palpitaient de colère. Marrias
frissonna. » EtTénébrase mit à parler « Une femme comme moi arrange sa vie comme elle veut ou comme elle
peut. Elle n'a de comptes à rendre à personne quand elle n'offense personne. La-dessus, je laisserai croire, inventer et dire tout qu'il vous ce plaira comme un simple valet. Mais. qui vous dit que dans ma hauteur et ma fierté, je n'aivous pas cherché, moi aussi le et sans trouver jamais l'Amour celui dont vous parliez si bien l'autre jour, le grand, le terrible, celui dont on dit qu'il plus fort est que la mort?. Qui vous dit que je n'espérais pas être domptée, écrasée peut-être, pour avoir le bonheur de m'oublier, ne fût-ce qu'une seule fois? On appelle quelquefois avec des blasphèmes ce qu'on ne peut appeler des prières. Mais il n'est pas venu. et, jeavec le sais bien. il ne viendra jamais pour moi » Malgré les coupures que j'introduis, on perçoit déjà le mouvement de la scène. Nous arrivons ici à un tournant. D'autant que « à ces derniers mots, sa voix était tombée. Elle continua, mélancolique et caressante. » La séduction va com« Elle parlait les paupières baissées, mencer comme à la remembrance d'un songe. Marrias sentit un vertige glisser sous son front. Un instant il eut l'impression de la panthère qui tourne autour
du dompteur; mais l'avertissement de sa conscience s'évanouit devant une autre image remontée des profondeurs obscures de son être. Il eut la vision d'un volcan couvert de neige, dont le cratère allait enfin s'ouvrir. Ses yeux plon-
geaient dans le gouffre avec un mélange de terparler, reur et de joie. « Et. Ténébra continua à rôle de jouant en comédienne émouvante son fascinatrice. Nous prévoyons l'issue, car la courbe s'accentue de plus en plus. Marrias est a la merci du moindre incident. Une agrafe qui s'ouvre et dénude l'épaule éblouissante achève sa défaite. Ils s'étreignent. « Sous la longue aspiration de cette bouche qui semblait vouloir boire son âme, sous versait une autre, son souffle brûlant qui lui en inconnue et terrible, sous ces premiers baisers du désir décharné qui ne sont encore que la prod'avance messe des voluptés dernières, mais qui il eut les épuisent et les surpassent en ivresse, la sensation de plonger lentement et toujours plus avant dans un abîme sans fond, ou des lueurs rouges sUfonnaient les ténèbres. » Le torero est vaincu. Mais il se ressaisira. Nous assisterons à la défaite de la « Afea~e » vaincue a son tour par la grâce candide et vivifiante de la petite Marie, la rivale involontaire de la femme et la rédemptrice de l'homme. La dernière partie s'intitule « Psyché s'éveille, » le titre est exact. Les mauvaises passions ont fui. Marrias crée du bonheur en triomphant de sa sensualité qui l'attirerait vers Marie et en la rapprochant de Rosenbrouck qu'un malentendu avait éloigné. Il a retrouvé la paix intérieure. « Ayant affirmé l'Amour par un acte de bonté pure et d'abnégation absolue, il croyait vraiment à l'Amour. L'idée s'était faite chair et quelque chose de Dieu avait passé dans sa conscience. » Le peintre a une vision. Il voit « se lever, avec des formes
augustes, les formes idéales d'êtres humains, messagers d'un monde nouveau. Un ciel de lumière se creusait dans la tempête. Et par cette vision, rapide comme un éclair, mais grosse d'avenir, lui-même entrait dans ce monde. Il con-
salvatrix. » J'ai assez longuement insisté sur ce et en particulier, sur une de ses scènesroman, les plus
importantes parce qu'il est fort instructif. On serait aisément porté à dénier à M. couard Schuré le don du roman. Un penseur comme lui, un théosophe, un apôtre de J'ésotérisme parat devoir être gêné dans ce genre si peu habitué à attirer l'attention et l'effort d'esprits comme le Sien. En fait, ses romans ne ressemblent à ceux de nul autre. L'Ange comme on l'a vu, La s'en rendra compte, sont plutôt des comme on évocations d'âmes que des analyses de caractères ou de sentiments, des descriptions pittoresques, des récits d'aventures.
M~
Z~M est un effort destiné à
nous faire comprendre la pensée profonde, cachée au sein des mystères d'Osiris etd'Isis, ces mystères dont l'auteur nous a dit qu'ils sont trop haut pour être jamais compris du vulgaire. » Le prêtre égyptien, inspiré, Memnonès découvert Alcyonée la Vierge voyante,a qui doit lajeune lui servir d'intermédiaire, entre sa vue purement humaine des grandes vérités et la réalité de ceUes-c~r elle a des visions qui lui révèlent delà. Il part avec elle pour Pompéi,enla partie l'auville gréco-
réformer le romaine et voluptueuse, où il doit Alcyonée la Proculte d'Isis. Là, nous voyons génie mystique phantide se débattant entre son appartenir, et le bel doit elle seul auquel Anterôs, d'elle, mais et humain Ombricius qui s'éprend malgré la jalousie de la sensuellement, tout IIédomaMetel a, ~ueMe, voluptueuse et puissante dans les laquelle, du reste, finit par l'entraîner meurt, mais voluptés qu'elle lui réserve. Alcyonée et le vieux prêtre son âme va s'unir à son Génie, même où Pompéi moment rÉcvpte au regagne qui, du Vésuve, 79. L'affabul'engloutit au jour sinistre de l'an reconstitution une lation de ce sujet nous procure derniers jours de son de la vie pompéienne aux existence, Il y a de la puissance et du pittoresque mais bien d'autres les ont essayés tableaux; en ces grâce, soit avec science, soit soit avec réalisés, et aussi avec vigueur. Tous sont restés cependant à la surface. Le roman de M. Édouard Schuré est seulement d'âme, mais de mystère. étude non une isiaque avec ses C'est l'évocation de l'ésotérisme l'au-delà, sur l'aile des dans incursions hardies le concours de la et prédestinées avec âmes s'appuie donc de sujet roman Le ce « voyante. sur les Grands Initiés et sur les Sanctuaires celle-ci. C'est là à prépare lecture Leur d'Orient. d'Edouard Schuré leur romans aux Double ce qui donne distinctif. Mais ici comme dans Le caractère retrouve le vêtequoique différemment on de s'exprimer de ment littéraire, s'il est permis la sorte. On a pu s'en rendre compte pour le prela scène entre mier de ces deux ouvrages, par
~P~t~&an.bebr~
Marrias et Ténébra, qui a été, plus haut, longuemême des sens et tout leur être vivent, ils ont parfois vibre de volupté. Ces romans ne sont donc pas uniquedes ment romans d'âme, seulement ils sont des romans où les fatalités du corps, des sens et des nerfs ne sont pas les seules manifestations étudiées, et surtout où celles-ci ne sont pas considerees comme des « fins en soi ainsi que diraitt un philosophe. Ce sont des moyens d'expression.
En somme, dans le roman, M. couard Schuré nous a apporté une note toute nouvelle un horizon encore inconnu. Sa grande et ouvert nouveauté et sa grande hardiesse a été de donner au motde psychologie son vrai d'étude sens de l'âme. Or, l'âme, nous savons déjà Dans La Prêtresse d'Isis il combien il y tient. écrit, une forme différente une idée quireprenant sous lui est chère « Une âme vaut plus qu'un Empire » C'est donc l'éternelle Psyché, cette Psyché destinée à relier l'homme à Dieu, qui est la véritable hërome romans d'Edouard Schuré. Nous n'en devons des pas être surpris, car nous sommes amenés tout simplement en ce nouveau chapitre au point où nous avait conduits l'étude de sa pensée et de son esthétique. soit bien difficile de dissocier le fond de la forme, on ne peut pourtant pas ne pas jeter d œil un coup à part le style d'un écrivain lorsque l'on veut établirsur les quelques traits caractéristiques qui signalent la physionomie littéraire de cet écrivain. Quoiqu'il
n'est pas un styliste. Il a ni l'auGoncourt, de frères les Ni faire. mieux à pas même La Bruyère M. Édouard Schuré
~d'~ lui
Camées, forme suffiraient comme modèle. Mais la style, ne du d'Edouard Schuré, fuyant les artifices bon aloi, et de atteint toujours une clarté simple qu'il étuplus méritoire que les matières saisir ou bien prodie sont souvent délicates à regarder au habitués a peu yeux nos Les nombreuses châchoses. des même centre étude permettent à cha-
S~
fo~pour
tions que présente cette pour son compte cette opinion cun de reprendre la contrôler. Le secret de cette de moins du ou possède admiraqualité est qùe Édouard Schuré porté en blement ce dont il parle, il a longtemps comlui la pensée qu'il exprime; il sait dès lorsrendre car il a su se ment il doit la présenter, possédait réussi a et qu'elle a de tout ce comptE lui assigner ses limites. de précision, Cette double qualité de clarté et suffirait pourtant pas précieuse pour le lecteur, ne plaisir esthétique qu'une de genre ce provoquer qui sont sensibles belle forme fait naître chez ceux doute l'art d'écrire chez Sans littéraire. he~uté la à l'admirable essentiellement en consiste Voltaire Voltaire ne possession de ces deux qualités. Mais parmi lessupérieures s'est jamais élevé aux idées Ajouquelles plane la pensée d'Edouard Schuré. clarté précision et à cette tons de l'esprit a cette à peu près suféléments trois les et nous aurons adéquate la pensée fisants pour exprimer de façon qu'on renvoltairienne. La grandeur d'évocation Edouard Schuré nécescontre à chaque page chez
site, sous peine de défaillances, d'autres qualités. II sait trouver l'image sobre et puissante. Telle est, parmi bien d'autres, celle laquelle il nous dépeint saint Jean-Baptiste par après sa rencontre Jésus avec « A partir de ce jour, il cher d'une voix plus profonde plusse mit à prêémue sur ce thème mélancolique II faut et qu'il croisse et que je diminue. Il commençait à ressentir la lassitude et la tristesse des vieux lions, qui sont fatigués de rugir, et se couchent en attendre la mort 1. » Il sait aussi peindre dans la note discrète et pénétrante les scènes de demi-teinte celle où il nous représente Jésus la comme ferme de Lazare à Béthanie, entre Marthe, à Marie et Magdeleine Frappées de la solennité de sa voix, les femmes n'osaient l'interroger. Quelle que fût l'inaltérable sérénité de Jésus, elles comprenaient que son âme était comme enveloppée du linceul d'une indicible tristesse qui la séparait des de la terre. Elles pressentaient la destinée joies du prophète, elles sentaient résolution inébranlable. Pourquoi ces sombressa nuages qui s'élevaient du côté de Jérusalem? Pourquoi ce vent brûlant de fièvre et de mort, qui passait sur leur comme sur les collines flétries de la Judée,cœur aux teintes violettes et cadavéreuses? Un mystérieuse étoile, une larme brilla dans soir les yeux de Jésus. Les trois femmes frissonnèrent larmes silencieuses coulèrent aussi dans et leurs la paix de Béthanie 2. »
Qu'on ne s'y trompe pas, il ne s'agit pas ici 1. Les 2. Les
Grands Initiés, p. 480. Grands Initiés, p. 500.
d'un luxe superfétatoire de paroles harmonieuses dont elles seet colorées sur un tissu de pensées Fond raient en quelque sorte l'appât séducteur. qu'on et forme se marient et il ne semble pas Edouard puisse les dissocier; même lorsque Schuré paraît brosser un tableau purement décoratif, il se souvient qu'il n'est pas un décorateur
mais un évocateur. On en peut juger par cette page blanches et les couvents épars de « Les cases de JaSa brillent parsemés entre les hauts massifs verdure et la vieille Palestine sourit comme une forêts jeune païenne. D rrière moi, d'épaisses d'orangers retournent à la brise de mer leurs feuilles luisantes et nouvelles. L'odeur amère des sol humide et cactus se mêle aux exhalaisons du Un immense dans l'air. aux baumes qui flottent retombantes, frémit sur sycomore, aux feuilles végétale tordue par ma tête comme une écharpe drogman syrien, en le vent. Je cause avec un multiriche ceinture de soie jaune, une couffieh grands colore sur la tête; garçon robuste aux un jeune prince. yeux langoureux, beau comme moi, il C'est un Maronite. Pour se recommander à Franajoute ilèrement < Je suis catholique et chose. çais ce qui, pour un Syrien, est la mêmesablonDerrière la haie de cactus, sur la route femme sur une neuse et bossuée, une jeuneaussi. Sa passe robe de toilee mule. C'est une Syrienne la bleue bordée de jaune s'ouvre en pointe sur quelpoitrine. Elle porte des anneaux d'argent et Une cheveux touffus. ques sequins d'or dans sesprofil d'une sensualité tête fière, au nez busqué,
rêveuse, se dégage d'un col large. Les yeux noirs des olives jettent comme une flamme tranquille. Tout, dans cette femme, jusqu'à la superbe nonchalance de son allure et de sa pose, annonce une nature forte, mais chaste encore et comme dormante. Le drogman lui adresse quelques mots en arabe. « Elle répond (c'est bien), et prenant une orange dans sa huche, une de ces opulentes oranges de Jaffa, d'un jaune foncé, oblongues et savoureuses, qui luisent en plein jour dans les feuillages sombres comme des lanternes vénitiennes, elle la tend au jeune homme par-dessus la haie de cactus. Puis, elle remet en marche, avec un sourire d'ivoire sa monture le beau pour Syrien et un regard plein de mépris vulgaire costume de touriste européen'.pour mon :& A dessein, je n'ai pjisé dans La Prdtresse pas d'Isis ou dans L'Ange et la Sphinge, qui pourtant se prêtaient à l'étude de l'art d'écrire chez Edouard Schuré. Il m'a paru plus probant de chercher en ses livres de théosophie ou ses pages d'évocation religieuse et ethnique. Certes, je sens fort bien quelle remarque vient à l'esprit devant les évocations historiques d'Edouard Schuré. Elles n'excitent pas les nerfs. De là à les trouver froides, pour ceux qui demandent à la peinture écrite comme à la peinture peinte des vibrations, il n'y a qu'un pas. Il ne faudrait pas le franchir. M. Pierre Loti, par exemple, ne doit pas exprimer ses sensations comme M. Edouard Schuré le a
?~
1.
Sanctuaires d'Orient, p.
312-313.
le droit d'évoquer ses visions. Le but, comme diffépoint de départ de l'un et de l'autre, sont Terre allait en rents. De môme que Chateaubrianddevait dès lors Sainte chercher des images et pittoresque, de même nous en rapporter un livre chercher des M. Loti est allé un peu partout pour impressions multiples, affinées et complexes. Son la style doit se soumettre à cette complexité à fois élégante et savoureuse, chatoyante et très originale. S'il fallait apparenter Edouard Schuré rappeler en quelà un grand écrivain on devrait Il possède la sérénité, que façon Alfred de Vigny. dénier il ignore ou même dans la passion, de ce néglige le procédé des petites touches, chères aux peintres néo-impressionnistes et, par transposipartion, à certains littérateurs, et si heureuses les multifois il choisit ses images et, loin de plier pour donner de la couleur ou du mouvement parfois de faire paà son récit, ce qui a le défaut pilloter celui-ci, il s'en sert comme d'une sorte de à résumé dont l'expression serait demandée, non l'abstraction métaphysique ou au raccourci de la formule sèchement logique, mais à la clarté de la il forme plastique. Toutefois, et malgré son génie, manifeste à faire impuissance Vigny chez une ya idées revivre le passé. Il excelle à exprimer des poétiques et à trouver le symbole qui manifestera mort du chacune d'elles, comme, par exemple, La loup, ou encore, La maison du berger. Seulement, il est manifeste que la noble et douloureuse agonie du fauve, que l'évocation du calme souhaité et comme insaisissable qu'on trouve en la demeure errante des pâtres solitaires sont des
symboles d'un état d'âme du poète. Discret, à rencontre de ce que furent ses contemporains, Vigny se projette en autrui, mais ce n'est là qu'une belle fiction, il reste toujours en lui-même. C'est pourquoi lorsqu'il tente la véritable évoca-
tion, telle que, par exemple, le Bain dune dame romaine, il demeure froid. M. Edouard Schuré, s'il encourait cette critique, la provoquerait dans les mêmes conditions quand il est amené à la description des choses extérieures et, pourrait-on dire, des choses sinon indifférentes, du moins superficielles. Est-ce parce qu'il ne peut sortir de lui-même? Non, car il ne présente en aucune manière cette hypertrophie du moi, qui, dissimulée ou étalée, fut caractéristique des romantiques. C'est parce que dans ce cas, il n'est plus soutenu par le dessous des choses, leur principe vivant. Aussi, il sera capable de rendre plus présenteetrëellelasilhouette du vieux juif nécromancien, maître Rupertus, dans L'Ange et la S~!Kye que le retour triomphal du consul Ombricius dans La Prêtresse d'Isis. Alcyonée elle-même, la prophantide, nous paraît plus vivante qu'Hédonia Métella, pourtant plus « femme )) au sens courant et, si l'on veut, plus vulgaire du mot. C'est qu'il a décrit cette dernière avec sa science d'érudit et son talent de narrateur, il a évoqué et vivifié celle-là avec son âme même, son âme heureuse d'en trouver une autre et de nous la révéler. C'est pourquoi, dans cette analyse de l'art d'écrire chez Edouard Schuré, je serais tenté de prononcer deux autres noms, non point qu'ils doivent indiquer une influence, mais parce qu'ils
nous serviront à mieux comprendre la manière de cet écrivain. C'est d'abord le nom de Michelet qui, romantique il est vrai par son imagination et sa sensibilité, sut pourtant à tel point sortir de lui-même qu'il s'absorba en ceux qu'il évoquait, et, dans une moindre mesure, Heredia, qui connut si bien l'art de tirer des effets littéraires de l'emploi précis, sobre et judicieux des mots techniques et des vocables aux sonorités étrangères. Qu'on lise les pages qui suivent et l'on saisira ce dernier caractère dans la forme schuréenne. La citation est longue, mais se borner à de courts fragments condamne parfois à ne pas démontrer ce dont on tient à faire la preuve. Moïse est au mont Sinaï; il ne revient pas et son peuple s'inquiète, s'irrite, se muLine. Enfin, il se révolte. de femmes qui chu« Et voici venir un groupe chotent et murmurent entre elles. Ce sont les filles de Moab, à la peau noire, corps souples, aux formes opulentes, concubines ou servantes de quelques chefs Edomites associés à Israël. Elles se souviennent qu'elles ont été prêtresses d'Astaroth et qu'elles ont célébré les orgies de la déesse dans les bois sacrés du pays natal. Elles sentent que l'heure de reprendre leur empire est venue. Elles viennent parées d'or et d'étoffes voyantes, le sourire à la bouche, comme une troupe de beaux serpents qui sortent de terre et font chatoyer au soleil leurs formes onduleuses, aux reflets métalliques. Elles se mêlent aux rebelles, les regardent de leurs yeux luisants, les enlacent de leurs bras où sonnent des anneaux de
cuivre, et les enjôlant de leurs langues dorées « Qu'est-ce après tout que ce prêtre d'Egypte et son Dieu? Il sera mort au Sinaï. Les Refaïm l'auront tué dans un gouffre. Ce n'est pas lui qui mènera les tribus en Kanaan. Mais que les enfants d'Israël invoquent les dieux de Moab. Belphégor et Astaroth Ce sont des dieux qu'on peut voir, ceux-là, et qui font des miracles Ils les mèneront au pays de Kanaan ? Les mutins écoutent les femmes moabites, ils s'excitent les uns les autres et ce cri part de la multitude « Aaron, fais-nous des dieux qui marchent devant nous; car pour ce qui est de Moïse qui nous a fait monter du pays d'Egypte, nous ne savons ce qui lui est arrivé. Aaroa essaye en vain de calmer la foule. Les filles de Moab appellent des prêtres phéniciens venus avec une caravane. Ceux-ci apportent une statue en bois d'Astaroth et l'élèvent sur un autel de pierre. Les rebelles forcent Aaron sous menace de mort à fondre le veau d'or, une des formes de Belphégor. On sacrifie des taureaux et des boucs aux dieux étrangers, on se met à boire et à manger et les danses luxurieuses, guidées par les filles de Moab, commencent autour des idoles, au son des nébels, des kinnors et des tambourins agités par les femmes. « Les soixante-dix Anciens élus par Moïse pour la garde de l'arche ont vainement essayé d'arrêter ce désordre par leurs objurgations. Maintenant ils s'assoient par terre, la tête couverte d'un sac de cendre. Serrés autour du tabernacle de l'arche, ils entendent avec consternation les cris sauvages,
les chants voluptueux, les invocations aux dieux maudits, démons de luxure et de cruauté. Ils voient avec horreur ce peuple en rut de joie et de révolte contre son Dieu. Que va devenir l'Arche, le Livre et Israël, si Moïse ne revient pas? <( Cependant, Moïse revient. De son long re-
cueillement, de sa solitude sur le mont d'Aelohim, il rapporte la Loi sur des tablettes de pierre. Entré dans le camp, il voit les danses, la bacchanale de son peuple devant les idoles d'Astaroth et de Belphégor. A l'aspect du prêtre d'Osiris, du prophète d'Aelohim, les danses s'arrêtent, les prêtres étrangers s'enfuient, les rebelles hésitent. La colère bouillonne en Moïse comme un feu dévorant. Il brise les tables de pierre et l'on sent qu'il briserait ainsi tout ce peuple et que Dieu le possède.. rebelles ont des re« Israël tremble, mais les gards de haine dissimulés sous la peur. Un mot, un geste d'hésitation de la parL du chef-prophète, et l'hydre de l'anarchie idolâtre va dresser contre lui ses mille têtes et balayer sous une grêle de pierres l'arche sainte, le prophète et son Idée. Mais Moïse est là et derrière lui les puissances invisibles qui le protègent. Il comprend qu'il faut avant tout redresser l'âme des soixante-dix élus à sa propre hauteur et par eux tout le peuple. II invoque AelohIm-Ièvè, l'Esprit mâle, le FeuPrincipe, du fond de lui-même et du fond du ciel. A moi les soixante-dix! s'écrie Moïse. Qu'ils prennent l'arche et montent avec moi à la montagne de Dieu. Quant à ce peuple, qu'il «
attende et qu'il tremble. Je vais lui rapporter le jugement d'Aelohim. « Les lévites enlèvent de dessous la tente l'arche d'or enveloppée de ses voiles, et le cortège des soixante-dix disparaît avec le prophète dans les dénies du Sinaï. On ne sait qui tremble le plus, ou les lévites de ce qu'ils vont voir, ou le peuple du châtiment que Moïse laisse suspendu sur sa tête comme une épée invisible. si l'on pouvait échapper aux mains ter« Ah ribles de ce prêtre d'Osiris, de ce prophète de malheur, disent les rebelles. Et hâtivement la moitié du camp plie les tentes, selle les chameaux et se prépare à fuir. Mais voilà qu'un crépuscule étrange, un voile de poussière s'étend sur le ciel; une bise aigre souffle de la mer Rouge, le désert prend une couleur fauve et blafarde, et derrière le Sinaï s'amoncellent de grosses nuées. Enfin le ciel devient noir. Des coups de vent amènent des flots de sable et des éclairs font crever en torrents de pluie les tourbillons de nuages qui enveloppent le Sinaï. Bientôt la foudre reluit et sa voix répercutée par toutes les gorges du massif éclate sur le camp en détonations successives avec un fracas épouvantable. Le peuple ne doute pas que ce ne soit la colère d'Aelohim évoqué par Moïse. Les filles de Moab ont disparu. On renverse les idoles, les chefs se prosternent, les enfants et les femmes se cachent sous le ventre des chameaux. Cela dure toute une nuit, tout un jour. La foudre est tombée sur les tentes, elle a tué des hommes et des bêtes et le tonnerre gronde toujours. « Vers le soir, la tempête s'apaise, les nuages
fument toujours sur le Sinaï et le ciel reste noir.
àl'entréeducamp,que reparaissent les soixante-dix, Moïse à leur tête. Et dans la vague lueur du crépuscule, le visage du prophète et celui de ses élus rayonne d'ude lumière surnaturelle, comme s'ils rapportaient sur leur face le reflet d'une vision éclatante et sublime. Sur l'arche d'or, sur les chérubs aux ailes de feu oscille une lueur électrique, comme une colonne phosphorescente. Devant ce spectacle extraordiMais voici,
naire, les Anciens et le peuple, hommes et femmes, se prosternent à distance. Que ceux qui sont pour l'Eternel viennent « à moi, dit Moïse.
Les trois quarts des chefs d'Israël se rangent autour de Moïse les rebelles restent cachés sous leurs tentes. Alors le prophète s'avance et ordonne à ses fidèles de passer au fil de l'épée les instigateurs de la révolte et les prêtresses d'Astaroth afin qu'Israël tremble à jamais devant Aelohim, qu'il se souvienne de la loi du Sinaï, et de son premier commandement « Je suis l'Eternel ton Dieu qui t'ai tiré du pays d'Egypte, de la maison de servitude. Tu n'auras point d'autre Dieu devant ma face. Tu ne te feras point d'images taillées ni aucune ressemblance de choses qui sont là-haut dans les cieux, ni dans les eaux, ni sous la terre'. ? » Nous avons là de maîtresses pages. Elles com«
plètent l'idée que nous avions commencé à nous faire de l'art d'écrire dans les œuvres d'Edouard 1.
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Grands Initiés, p. 304-208.
Schuré. Nous y trouvons la puissance d'évocation et la flamme de vie; nous avons aussi une nette impression de probité et de solidité. Combien ce qu'on a appelé « l'écriture artiste paraît chose chétive ou tout au moins frêle,» nous présence de cette belle forme, sans ornements,enil est vrai, effets de coquetterie, sans recherches de sésans duction, mais riche, pleine, naturelle! Et s'il faut maintenant rappeler les pages précédentes, à nous souvenir de la douce vision de Jésus dans la ferme de Béthanie, de la charmante, discrète et savoureuse évocation de la petite Syrienne derrière la haie de cactus, du dialogue passionné entre le Torero et la Méduse, nous constatons cette qualité précieuse qui est la variété, c'est-àdire la justesse de ton, car elle est l'adaptation de l'expression à la chose exprimée. Ce don n'est pas accordé en partage à tous les écrivains. Il en est du reste de très brillants qui en sont dépourvus et qui sont très brillants peut-être parce qu'ils en sont privés. Ce qu'ils mettent alors dans leur style, c'est eux-mêmes et eux seuls. Ils sont des virtuoses. M. Edouard Schuré n'est un virtuose. Mais je crois qu'on peut, à la finpas de ce chapitre, assurer qu'il est un véritable écrivain. L'explication de ce jugement n'est peut-être pas malaisée si l'on veut bien se souvenir de ce qui caractérise M. Edouard Schuré. La littérature n'est pas pour lui un but, elle est un moyen. Son but, c'est l'étude et surtout la glorification de l'âme. Sa pensée est hantée par les grands problèmes, mais ce n'est pas un intellectualiste. « Le cerveau ne s'est pas hypertrophié chez lui. Il»
croit à l'inspiration, à la divination, à l'intuition. Seulement, c'est aussi un savant, un érudit et en même temps un passionné, un passionné au cœur haut. Une pareille richesse morale, intellectuelle qualités de et sentimentale devait le conduire aux forme purement litteraire que nous avons constatées. Sans doute, par une iniquité lamentable,il il eut pu être privé du don d'expression. Mais dans eut suffi que ce don lui eut été départi même la mesure moyenne ou chaque homme instruit sous la est autorisé à le demander pour que, poussée d'une nature si riche et sous l'inspiration d'une âme si haute, il fût arrivé au degré où un parmi penseur peut aussi prendre un noble rang les littérateurs.
DEUXIÈME PARTIE
LE DRAMATURGE
LE POÈTE
PAR
ROBERT VEYSSIÉ
CHAPITRE PREMIER LE DRAMATURGE ÉTUDES INTERPRÉTATIVES DU THÉATRE ANTIQUE
CONCEPTIONS ET PRÉVISIONS
TROIS DRAMES
Les hautes spéculations n'ont pas retenu Edouard Schuré dans le domaine de l'expression abstraite; il a frémi du désir ardent d'exprimer sa vision intérieure sous une forme vivante et il a recherché là réalisation dramatique des conflits complexes et divers qui émeuvent et agitent l'âme humaine. Le conflit de l'ombre et de la lumière, qui s'empare des âmes au cours de leur passage terrestre, l'a particulièrement retenu. Et ce penseur vibrant a façonné des personnages, bâti des scénarios, conduit des dialogues. Il semble qu'il ait apporté à ses inventions une joie presque naïve, un enthousiasme inlassablement jeune. Sa pensée s'est complue en elles; comme en des fêtes de vie ordonnées par son art
et offertes à son rêve. Il le confesse avec cette
sincérité qui s'ouvre devant vous, ainsi qu'une main cordiale et franche « Parler aux hommes par le verbe dramatique a été la plus grande ambition de toute ma vie. ? » L'œuvre dramatique de l'auteur des Grands Initiés a, comme toutes ses œuvres, un caractère nettement ésotérique. Elle est de la lignée des clairvoyances transcendantes qui ont inspiré et richement nourri la pensée du théosophe et ses créations. La conception du théâtre idéal d'Edouard Schuré est comparable à une lumière d'Orient, somptueuse et sereine, répandue sur une vie mystérieuse. Cette lumière pénètre, en nos heures ténébreuses, jusqu'au fond des âmes où elle dispense le bienfait des sources divines.
Sa curiosité dramatique, où apparaît encore le profond souci de découvrir ces lueurs d'éternité
qui forment l'âme humaine, s'est tournée religieusement vers le théâtre antique. Il en écrit souvent, d'une plume passionnée, des commentaires éloquents, dans les Grands Initiés, l'Histoire du Drame Musical et les Sanctuaires d'Orient. C'est lui qui a tenté audacieusement la reconstitution poétique du Drame Sacré d'Eleusis: « Cet arcane des mystères de la Grèce, contre-partie religieuse et clef secrète de la tragédie. )) Et nous verrons aussi quel souci il a pris d'écrire les conceptions d,u théâtre telles qu'elles
lui sont chères, et avec quelle ardeur d'apôtre il s'est complu à prévoir que notre théâtre con-
temporain s'élèvera, quelque jour prochain, vers l'idéal par le drame initiateur, par l'expression pathétique de « la lutte de la pensée et de l'âme, du conflit de la science et de la foi. » I.
ÉTUDES INTERPRÉTATIVES DU THÉATRE ANTIQUE
Si nous recueillons les pages qu'il a écrites, dans ses principales œuvres, sur le théâtre antique, nous avons sous les yeux une riche série d'études interprétatives, depuis celles des légendes hindoues, jusqu'à celles de la tragédie d'Athènes. A vrai dire, Edouard Schuré fait encore ici bien plus œuvre de poète d'historien; il voit, que il invente poétiquement plutôt qu'il n'ordonne avec précision des documents soumis à une rigoureuse critique. Et c'est, justement, ces imaginations, ces créations, d'ailleurs vraisemblables,
qui nous ont autorisés à qualifier d'études interprétatives les belles et vivantes pages que nous avons recueillies et classées, pour illustrer cette présentation d'ensemble d'une œuvre importante et influente. Ainsi nous curons au lecteur une anthologie précieuse. La légende de Krichna. Les danses sacrées de l'Inde. C'est dans le livre le plus retentissant du théosophe, les Grands Initiés, que nous trouvons les pages où l'âme du narrateur, épousant 1 âme du symbole, évoque, en la féerie des
rituelle et religieuse temps légendaires, l'origine de l'art dramatique. Krichna: Voici d'abord la subtile légende de Dévaki fut .Quand Krichna eut quinze ans, sa mère elle disrappelée par le chef des anachorètes. Un jour,
la voyant
Krichna. ne parut sans dire adieu à son fils. lui dit: plus, alla trouver le patriarche Nanda et Où est ma mère? Nanda répondit en courbant la tête: mère est partieo Mon enfant, ne m'interroge pas. Ta retournée au pays d'où elle est Elle long voyage. pour un reviendra. est venue, et je ne sais pas quand elle mais il tomba dans une Krichna ne répond rien, enfants s'ocrent de rêverie si profonde, que tous les superstitieuse. Krichna lui, comme saisis d'une crainte et, perdu abandonna ses compagnons, quitta leurs jeux le mont Mérou. Il dans ses pensées, s'en alla seul surmatin, il parvint sur Un erra ainsi plusieurs semaines. la vue s'étendaitsur la chaîne d'où boisée, cime haute une près de lui un de l'Himavat. Tout à coup, il aperçut debout grand vieillard en robe blanche d'anachorète, la lumière matinale. Il pasous les cèdres géants, dans front raissait âgé de cent ans. Sa barbe de neige etdeson vie et le plein chauve brillaient de majesté. L'enfant centenaire se regardèrent longtemps. Les yeux du vieilsur Krichna~ Mais lard se reposaient avec complaisance muet d'adKrishna fut si émerveillé de le voir, qu'il resta il lui semmiration. Quoiqu'il le vit pour la première fois, blait connu. Qui cherches-tu? dit enfin le vieillard. Ma mère.
Elle n'est plus ici. Où la retrouverai-je?9 Chez celui qui ne change jamais. Mais comment le trouver, Lui?2 Cherche. Et toi, te reverrai-je? ,< r, du Oui; quand la fille du Serpent poussera le fils
Taureau au crime, alors tu me reverras dans une aurore de pourpre. Alors tu égorgeras le Taureau et tu écraseras la tête du Serpent. Fils de Mahadéva, sache que toi et
moi nous ne faisons qu'un en Luit Cherche-le,
cherche,
cherche toujours1 Et le vieillard étendit les mains en signe de bénédiction. Puis il se retourna et fit quelques pas sous les hauts cèdres, dans la direction de l'Himavat. Soudain, il sembla à Krishna que sa forme majestueuse devenait transparente, puis elle tremblota et disparut, sous le scintillement des branches aux fines aiguilles, dans une vibration lumineuse~. Quand Krichna redescendit du mont Mérou, il parut comme transformé. Une énergie nouvelle irradiait de son être. Il rassembla ses compagnons et leur dit <r Allons lutter contre les taureaux et les serpents; allons défendre les bons et terrasser les méchants. L'arc en main et l'épée au flanc, Krichna et ses compagnons, les fils des pâtres transformés en guerriers, se mirent à battre les forêts en luttant contre les bêtes fauves. Au fond des bois, on entendit des hurlements d'hyènes, de chacals et de tigres, et les cris de triomphe des jeunes gens devant les animaux abattus, Krichna tua et dompta des lions; il fit la guerre à des rois et délivra des peuplades opprimées. Mais la tristesse demeurait au fond de son cœur. Ce cœur n'avait qu'un désir profond, mystérieux, inavoué retrouver sa mère et revoir l'étrange, le sublime vieillard. Il se souvenait de ses paroles <Ne m'at-il pas promis que je le reverrais, quand j'écraserais la tête du serpent? Ne m'a-t-il pas dit que je retrouverais ma mère auprès de Celui qui ne change jamais? f Mais il avait eu beau lutter, vaincre, tuer; il n'avait revu ni le vieillard sublime ni sa mère radieuse. Un jour, il entendit parler de Kalayéni, le roi des serpents, et il demanda à lutter avec la plus terrible de ses bêtes, en présence du magicien noir. On disait que cet animal, dressé par 1. C'est une croyance constante, en Inde, que les grands ascètes peuvent se manifester à distance, sous une apparence visible, pendant que leur corps reste plongé dans un sommeil cataleptique.
Kalayéni, avait déjà dévoré des centaines d'hommes, et
que son regard glaçait d'épouvante les plus courageux. Du fond du temple ténébreux de Kali, Krichna vit sortir,
à l'appel de Kalayéni, un long reptile d'un bleu verdâtre. Le serpent dressa lentement son corps épais, enfla sa crête rouge, et ses yeux perçants s'allumèrent dans sa
tête monstrueuse casquée d'écailles luisantes. <: Ce serpent, dit Kalayéni, sait bien des choses; c'est un démon puissant. I) ne les dira qu'à celui qui le tuera, mais il tue ceux qui succombent. Il t'a vu; il te regarde, tu es en son pouvoir. H ne te reste qu'à l'adorer ou à périr dans une lutte insensée. ces paroles, Krichna fut indigné; car il sentait que son cœur était comme la pointe de la foudre.
A
Il regarda le serpent et se jeta sur luien l'empoignantaudessous de la tête. L'homme et le serpent roulèrent sur
les marches du temple. Mais avant que le reptile l'eût enlacé de ses anneaux, Krichna lui trancha la tête de son glaive, et, se dégageant du corps qui se tordait encore, le jeune vainqueur éleva d'un air de triomphe la tête du serpent dans sa main gauche. Cependant, cette tête vivait encore; elle regardait toujours Krishna, et lui dit: < Pourquoi m'as-tu tué, fils de Mahadéva? Crois-tu trouver la
vérité en tuant les vivants? Insensé, tu ne la trouveras qu'en agonisant toi-même. La mort est dans la vie, la vie est dans la mort. Crains la fille du serpent et le sang réEn parlant ainsi, pandu. Prends garde prends garde le serpent mourut. Krichna laissa tomber sa tête et s'en alla plein d'horreur. Mais Kalayéni dit: <t Je ne peux rien sur cet homme; Kali seule pourrait le dompter par un
1
charme. » Après un mois d'ablutions et de prières au bord du Gange, après s'être purifié dans la lumière du soleil et dans la pensée de Mahadéva, Krichna s'en revint à son pays natal, chez les pasteurs du mont Mérou. La lune d'automne montrait sur les bois de cèdres son globe resplendissant, et, de nuit, l'air s'embaumait de la senteur des lis sauvages, dans lesquels les abeilles font leurs murmures le long du jour. Assis sous un grand cèdre, au bord d'une pelouse, Krichna, lassé des vains combats de la terre, rêvait aux combats célestes et à l'in-
fini du ciel. Plus il pensait à sa mère radieuse et au vieillard sublime, plus ses exploits enfantins lui paraissaient méprisables, et plus les choses célestes devenaient vivantes en lui. Un charme consolant, un divin ressouvenir l'inondait tout entier. Alors, un hymne de reconnaissance à Mahadéva monta de son cœur et déborda de ses lèvres sur une mélodie suave et divine. Attirées par ce chant merveilleux, les Gopis, les filles et les femmes des bergers, sortirent de leurs demeures. Les premières, ayantaperçu des vieillards de leur famille sur leur route, rentrèrent aussitôt, après avoir fait semblant de cueillir une fleur. Quelques-unes s'approchèrent davantage en appelant: Krichna Krichna! puis elles s'enfuirent toutes honteuses. S'enhardissant peu à peu, les femmes entourèrent Krishna par groupes, comme des gazelles timides et curieuses, charmées par ses mélodies. Mais lui, perdu dans le songe des dieux, ne les voyait Excitées de plus en plus par son chant, les Gopis pas. commencèrent s'impatienter de par n'être point remarquées. Nichdali, la fille de Nanda, était tombée, les yeux fermés, dans une sorte d'extase. Mais Sarasvati, sa sœur, plus hardie, se glissa près du fils de Dévaki et se pressa à son côté; puis, d'une voix caressante: Oh! Krichna, dit-elle, ne vois-tu pas que nous t'écoutons et que nous ne pouvons plus dormir dans nos demeures ? Tes mélodies nous ont enchantées, ô héros adorable 1 et nous voilà enchaînées à ta voix, et nous ne pouvons plus nous passer de toi. Oh chante encore, dit une jeune fille enseigne-nous à moduler nos voix! Apprends-nous la danse, dit une femme. Et Krichna, sortant de son rêve, jeta sur les Gopis des regards bienveillants. Il leur adressa de douces paroles et, leur prenant la main, les fit asseoir sur le à l'ombre des grands cèdres, sous la lumière de gazon, la lune brillante. Alors, il leur raconta ce qu'il avait vu en luimême l'histoire des dieux et des héros, les guerres d'Indra et les exploits du divin Rama.-Femmes etjeunes filles écoutaient, ravies. Ces récits duraient jusqu'à l'aube. Quand l'aurore rose montait derrière le mont Mérou et
sous les cèdres, que les kokilas commençaientà gazouiller les filles et les femmes des Gopas regagnaient furtivement leurs demeures. Mais, le lendemain, dès que la lune magique montrait sa faucille, elles revenaient plus avides. Krichna, voyant qu'elles s'exaltaient à ses récits, leur enseigna à chanter de leurs voix et à figurer )de leurs gestes les actions sublimes des héros et des dieux. Il donna aux unes des vinas aux cordes frémissantes comme des âmes, des aux autres des cymbales sonores comme les cœurs guerriers, aux autres des tambours qui imitent le tonnerre. Et, choisissant les plus belles, il les animait de se mouses pensées. Ainsi, les bras étendus, marchant etreprésensacrées vant en un rêve divin, les danseuses taient la majesté de Varouna, la colère d'Indra tuant le dragon, ou le désespoir de Maya délaissée. Ainsi les combats et la gloire éternelle des dieux que Krichna avait contemplés en lui-même, revivaient dans ces femmes heureuses et transfigurées. Un matin, les Gopis s'étaient dispersées. Les timbres de leurs instruments variés, de leurs voix chantantes et
rieuses, s'étaient perdus au loin. Krichna, resté seul sous le grand cèdre, vit venir à lui les deux fille de Nanda: Sarasvati et Nichdali. Elles s'assirent à ses côtés. Sarasvati, jetant ses bras autour du cou de Krichna et faisant résonner ses bracelets, lui dit: t En nous enseignant les
chants et les danses sacrées, tu as fait de nous les plus heureuses des femmes mais nous serons les plus malheureuses quand tu nous auras quittées. Que deviendronsKrichna) 1 nous quand nous ne te verrons plus? Oh! femmes épouse-nous, ma sœur et moi, nous serons tes fidèles, et nos yeux n'auront pas la douleur de te perdre. » Pendant que Sarasvati parlait ainsi, Nichdali ferma les paupières comme si elle tombait en extase. Nichdali, pourquoi fermes-tu les yeux? demanda Krichna. Elle est jalouse, répondit Sarasviti en riant; elle ne veut pas voir mes bras autour de ton cou. Non, répondit Nichdali en rougissant; je ferme les fond yeux pour contemplerton image qui s'est gravée au
de moi-même. Krichna, tu peux partir; je ne te perdrai
jamais!
Krichna était devenu pensif. H délia en souriant les bras de Sarasvati passionnément attachés à son cou. Puis il regarda tour à tour les deux femmes et enlaça ses deux bras autour d'elles. Il posa d'abord sa bouche sur les lèvres de Sarasvati, puis sur les yeux de Nichdali. Dans ces deux longs baisers, le jeune Krichna parut sonder et savourer toutes les voluptés de la terre. Tout à coup,
il frémit et dit: Tu es belle, ô Sarasvati! toi dont les lèvres ont le parfum de l'ambre et de toutes les fleurs; tu es adorable, ô Nichdali, toi dont les paupières voilent les yeux profonds et qui sais regarder au dedans de toi-même. Je vous aime toutes les deux. Mais comment vous épouserais-je, puisque mon cœur devrait se partager entre vous? Ah! il n'aimera jamais 1 dit Sarasvati avec dépit. Je n'aimerai que d'amour éternel.
Et que faut-il pour que tu aimes ainsi! dit Nichdali
avec tendresse. Krichna s'était levé ses yeux flamboyaient. Pour aimer d'amour éternel ? dit-il. Il faut que la lumière du jour s'éteigne, que la foudre tombe dans mon cœur et que mon âme s'enfuie hors de moi-même jusqu'au fond du ciel 1 Pendant qu'il parlait, il parut aux jeunes filles qu'il grandissait d'une coudée. Tout à coup, elles eurent peur de lui et rentrèrent chez elles en pleurant. Krichna prit seul le chemin du mont Mérou. La nuit suivante, les Gopis se réunirent pour leurs jeux, mais vainement elles attendirent leur maître. Il avait disparu ne leur laissant qu'une essence, un parfum de son être: les chants et I')s danses sacrées~.
Le drame Sacré d'Eleusis.
La tragédie
d'Athènes. C'est en ouvrant encore les Grands /M~'e~~ que nous allons assister à la captivante 1. Cf. Les Grands Initiés(LibrairieacadémiquePerrinetC''), de la page 67 à 74. 2. Cf. Les Grands Initiés, p. 421 (Edition Perrin).
évolution des Mystères d'Eleusis, qu'Edouard Schuré nous conte, avec une imagination abondante et dans un style pittoresque. LES MYSTÈRES D'ÉLEUSIS
Les mystères d'Éleusis furent dans l'antiquité grecque et latine l'objet d'une vénération spéciale. Les auteurs mêmes qui tournèrent en ridicule les fables mythologiques n'osèrent toucher au culte des « grandes déesses. » Leur règne, moins bruyant que celui des Olympiens, se montra plus sûr et plus efficace. En un temps immémo-
rial, une colonie grecque venue d'Égypte avait apporté dans la tranquille baie d'Éleusis le culte de la grande Isis sous le nom de Dèmètèr ou de la mère universelle. Depuis ce temps Éleusis était resté un centre d'initiation. Dèmètèr et sa fille Perséphone présidaient aux petits et aux grands mystères, de là leur prestige. Si le pleuple révérait en Cérès la terre mère et la déesse de l'agriculture, les initiés y voyaient la lumière céleste mère des âmes, et l'Intelligence divine, mère des dieux cosmogoniques. Son culte était desservi par des prêtres appartenant a la plus ancienne famille sacerdotale de
l'Attiquc. Ils se disaient fils de la Lune, c'est-à-dire nés pour être médiateurs entre la Terre et le Ciel, issus de la sphère où se trouve le pont jeté entre les deux régions, par lequel les âmes descendent et remontent. Dès l'origine, leur fonction avait été < de chanter, dans cet abîme de misères, les délices du céleste séjour et d'enseigner les moyens d'en retrouver la route. » De là leur nom d'Eumolpides ou « chantres des mélodies bienfaisantes t, douces régénératrices des hommes. Les prêtres d'Éleusis enseignèrent toujours la grande doctrine ésotérique qui leur venait d'Egypte. Mais dans le cours des âges ils la revêtirent de tout le charme d'une mythologie plastique et ravissante. Par un art subtil et profond, ces enchanteurs surent se servir des passions terrestres pour exprimer des idées célestes. Ils mirent à profit l'attrait des sens,
la
des cérémonies, les séductions de i-art pour induire l'âme à une vie meilleure des vérités divines. Nulle part et l'esprit à l'intelligence les mystères n'apparaissent sous une forme aussi vivante et colorée. Le mythe de Cérès et de fille Pcoserpine forment Proserpine forment le le cœur du culte d-Ëteusis~ sa toute l'initiation éleusinienne tour de ce cercle lumineux. tourne et se développe auOr, dans son sens intime, mythe est la représentation symbolique ce de l'âme, de descente dans la matière, sa de ses souffrances dans les téet de son retour à la vie divine. En d'autres de la chute et de la rédemption termes, c'est le drame sous sa forme hellénique. pompe
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On peut donc affirmer d'autre nien cultivé et initié du temps de part que pour l'AthéPlaton, les mystères d'Éleusis offraient le complément Partie lumineuse des représentationsexplicatif, la contrepartie tragiques tragiquesd'Athènes. houleux Là, dans le théâtre de
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et grondant, les incantations quaient l'homme terrestre terribles de Melpomène évosuivi par la Némésis de ses aveuglé par ses passions, pourcrimes, accablé par un Destin implacable et souvent incompréhensible. Là retentissaient les luttes prométhéennes, les imprécations des Erynnies là rugissaient les d'Oreste. Là d'Oreste. Là régnaient fureurs ~~urs la sombre Terreuretet les !a la Pitié lamentable. A Éleusis, dans l'enceinte de Cérès, tout s'éclaircissait. Le cercle des choses s'étendait initiés devenus voyants. L'histoire de pour les Psyché-Perséphone était pour chaque âme une révélation surprenante. La s'expliquait comme vie expiation ou une En deçà et au delà de comme une épreuve. son présent terrestre, l'homme découvrait les d'un passé, d'un zones dcétoilées ? vin. Après les la mort, les avenir di~enir divin. Apres ies afircs affres dp )i m. espérances, les libérations, les joies élyséennes, du temple grand ouvert, les et, à travers les portiques lumière submergeante d'un chants des bienheureux, Ja la merveilleux au-delà.
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v.r:i!t' t
1.
Voir l'hymne homérique à Dèmètèr.
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complétant, expliquant le drame l'âme de divin le drame terrestre de l'homme. mois de février, à Ilébraient au au inois aspirants qui avaient d'Athènes. Les voisin bourg Agrae, de leur subi un examen préalable et fourni des preuves honorabilité, et de leur naissance, de leur éducation l'enceinte fermée par le prêtreà étaient reçus sacré, assimilé héraut hiérocéryx ou nommé d'Éleusis et portant le caducée. pétase du lui coiffé comme Hermès, l'interprète des Mystères. Il médiateur, le guide, C'était le un petit temple à colonnes les arrivants vers conduisait Vierge Perséphone. à dédié ioniennes, fond déesse se cachait au la de sanctuaire Le gracieux bois sacré, entre d'un milieu tranquille, au vallon d'ifs et de peupliers blancs. Alors les prêd'un des groupes
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hiérophantides, sortaient du de Proserpine, les nus, couronnées de
tresses bras temple en péplos immaculés, ligne en haut de l'escanarcisses. Elles se rangeaient en le mode dosur mélopée grave entonnaient une lier et de grands gestes
seuil de Prodes Mystères, vous voici au surprendre. aspirants 0 u voir va vous serpine. Tout ce que vous allez tissu
vie présente n'est qu'un votre apprendrez que Vous confus. Le sommeil qui vous et mensongers rêves de ténèbres emporte vos rêves et vos de d'une zone entoure s'évas'étend une zone de lunouissent à la vue. Mais par delà, propice etvous mière éternelle. Que Perséphone vous soit ténèbres et à enseigne elle-même à franchir le fleuve des n pénétrer jusqu'à Dèmètèr céleste. qui conduisait le prophétesse Puis, la prophantide ou voix solennelle, d'un regard cette malédiction d'une à malheur ceux qui seraient venus pour
~Ss
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Car la déesse poursuivra ces profaner toute leur vie, et dans le royaume pendant pervers coeurs sa proie! '» ablutions, en Plusieurs jours se passaient ensuite en instructions. jeûnes, en prières et en
soir du dernier jour, les néophytes se réunissaient dans la partie la plus secrète du bois sacré pour y assister à l'enlèvement dePerséphone. La scène se jouait en plein air par les prêtresses du temple. L'usage remontait fort loin, et le fond de cette représentation, l'idée dominante resta toujours la même, quoique la forme variât beaucoup dans le cours des âges. Du temps de Platon, grâce au développement récent de la tragédie, l'ancienne sévérité hiératique avait fait place à un goût plus humain, plus raiËné et à une tendance passionnelle. Guidés par i hiérophante, les poètes anonymes d'Éleusis avaient fait Le
de cette scène un petit drame
1.
Pendant cette scène, la nuit était tombée, des torches funèbres s'allumaient entre les noirs cyprès, aux abords du petit temple, et les spectateurs s'éloignaient en silence, poursuivis par les chants éplorés des biérophantides, appelant: Perséphone! 1 Perséphone Les petits tères étaientterminés. Les néophytes étaient devenus mysc'est-à-dire voilés. Ils allaient retourner à leurs mystes, tions habituelles, mais le grand voile des mystèresoccupas'était étendu sur leurs yeux. Entre eux et le monde extérieur, un nuage s'était interposé. En même temps, un œi) intérieur s'était ouvert dans leur esprit, par lequel ils apercevaient vaguement un monde plein de formes attirantes, qui se mouvaient dans des gouffres tour à tour splendides
et ténébreux.
Les grands mystères qui
faisaient suite aux petits mystères, et qui s'appelaient aussi les Orgies sacrées, ne se célébraient que tous les cinq ans, au mois de septembre, à hieusis. Ces fêtes, toutes symboliques, duraient neuf jours; le huitième on distribuait aux mystes les insignes de l'initiation le thyrse et une corbeille appelée ciste, entourée de branches de lierre. Celle-ci renfermait des objets térieux dont l'intelligence devait donner le secret mysde la vie. Mais la corbeille était soigneusement scellée. Il n'é1. Lire le drame dans les Grands Initiés, 425. Edouard Schuré en a écrit une adaptation plutôt qu'unep. traduction.
tait permis de l'ouvrir qu'à la fin de l'initiation et devant l'hiérophante. Puis on se livrait à une joie exultante, on agitait des flambeaux, on se les passait l'un à l'autre, on poussait des cris d'allégresse. Ce jour-là, un cortège portait d'Acouronné de thènes à Éleusis la statue de Dionysos, Éleusis annonmyrtes, qu'on nommait lacchos. Sa venue à dil'esprit représentait çait la grande renaissance. Car il vin qui pénètre toute chose, le régénérateur des âmes, le médiateur entre la terre et le ciel. Cette fois-ci, on entrait dans le temple par la porte mystique, pour y passer la nuit sainte, ou nuit de l'initiation. On pénétrait d'abord sous un vaste portique compris dans l'enceinte extérieure. Là, le héraut, avec des menaces terribles et le cri: Eskalo Be6e'M.' hors d'ici les
profanes 1 écartait les intrus qui parvenaient quelquefois à se glisser dans l'enceinte avec les mystes. A ceux-ci il faisaitjurer, sous peine de mort, de ne rien révéler de ce qu'ils verraient. Il ajoutait: t Vous voici au seuil souterrain de Perséphône. Pour comprendre la vie future et votre condition présente, il faut avoir traversé l'empire de la mort; c'est l'épreuve des initiés. Il faut savoir braver les ténèbres, pour jouir de la lumière. » Ensuite, on revètait la peau de faon, image de la lacération et du déchirement de l'âme plongée dans la vie corporelle. Puis on éteignait les flambeaux et les lampes, et on entrait dans
le labyrinthe souterrain. Les mystes tâtonnaient d'abord dans les ténèbres. Bientôt on entendait des bruits, des gémissements et des voix redoutables. Des éclairs accompagnés de tonnerre sillonnaient )es ténèbres. A leur lueur, on apercevait des vi-
sions effrayantes: tantôt un monstre, chimère ou dragon; tantôt un homme lacéré sous les pieds d'un sphinx; tantôt soudaines une Iar\e humaine. Ces apparitions étaient si qu'on n'avait pas le temps de distinguer l'artifice qui les produisait, et l'obscurité complète qui leur succédait en redoublait l'horreur. Plutarque rapproche la terreur que donnaient ces visions de l'état d'un homme à son lit de
mort.
La scène la plus étrange, et qui touchait à la magie véritable, se passait dans une crypte où vêtu d'une robe asiatique calamistrée,un prêtre phrygien, à raies verticales, rouges et noires, était debout devant un brasier de cuivre, qui éclairait vaguement la salle de lueur intermittente. sa D'un geste qui ne souffrait de réplique, il forçait les pas arrivants à s'asseoir à l'entrée jetait et dans le brasier de grosses poignées de parfums narcotiques. La salle s'emplissait aussitôt d'épais tourbillons de fumée, et bientôt distinguait
on y un pêle-mêle de formes changeantes, animales et humaines. Quelquefois, c'étaient de longs serpents qui s'étiraient en sirènes et s'enchevêtraient dans un enroulement interminable; quelquefois, des bustes de nymphes voluptueusement cambrés, aux bras étendus, se changeaient en chauves-souris; des têtes charmantes d'adolescents, en muHes de chiens. tous ces monstres, tour à tour jolis et hideux, fluides,Etaériens, décevants, irréels, aussi vite évanouis qu'apparus, tournoyaient, chatoyaient, donnaient le vertige, enveloppaient les mystes fascinés comme pour leur barrer la route. Quelquefois, le prêtre de Cybèle étendait courte baguette des vapeurs, et i'efHuve de savolonté semblait au milieu sa imprimer à la ronde multiforme un mouvement tourbillonnant et une vitalité inquiétante. Passez 1 disait le Phrygien. Les mystes se levaient et entraient dans le la plupart se sentaient frôlés étrangement, cercle. Alors, rapidement touchés par des mains invisibles d'autres violemment jetés par terre. Quelques-uns reculaient ou d'effroi et s'en retournaient par où ils étaient venus. Les plus seuls passaient en s'y prenant à plusieurs fois;courageux car une ferme résolution coupait court au sortilège 1. La science contemporaine ne verrait, dans ces faits, que de simples hallucinations ou suggestions. La science de l'ésotérisme antique attribuait à ce genre de phénomènes, qu'on produiM.t fréquemment dans les Mystères, une va)eur;/)a subjective et objective. Elle croyait à l'existence d'esprits fois élémentaires, sans âme individualisée et sans raison, semi-conscients, qui remplissent l'atmosphère terrestre et sont, quelque sorte, les âmes des éléments. La magie, qui est la en volonté mise en acte dans le maniement des forces occultes, les rend
Alors, on atteignait une grande salle circulaire, éclairée Au centre. d'un jour funèbre par de rares lampadaires. bron/e, dont le feuilune colonne unique, un arbre en le plafond. Dans ce lage métallique s'étend sur tout des feuillaTe s'incrustent .des chimères, des gorgones, images harpies, des hiboux, des sphinges et des stryges, démons les parlantes de tous les maux terrestres, de tuusreproduits en qui s'acharnent sur l'homme. Ces monstres, métaux reluisants, s'enroulent au branchage, et, donhaut, semblent guetter leur proie. Sous l'arbre siège, sur Pluton-Aïdonée, au manteau de un trône magnifique,nébride; sa main tient le trident; pourpre, Sous lui, la cote du roi des Enfers, qui ne son front est soucieux. A la grande, la svelte Persésourit jamais, son épouse: phone. Les mystes la reconnaissent sous les traits de l'hiéropliantide qui avait déjà représente la déesse dans belle les petits mystères. Elle est toujours belle, plui, peut-être dans sa mélancolie, mais combien d'argent et sous le diadème sa robe de deuil aux larmes d'or! Ce n'est plus la Vierge de la grotte; maintenant, elle sait la vie d'en-bas et elle souffre. Elle règne sur des les puissances inférieures, elle est souveraine parmi morts, mais étrangère dans son empire. Un pale sourire éclaire son visage assombri par t'ombre de l'Enter. A)!
sous
visibles quelquefois. C'est d'eux qu.; parle Uerachte, lorsqu'il de démens. » l'iaton dit- a La nature, en tous lieux, est pleine étCtncntanx. béP.u accise: les appelle: démons des cléments; attirés par Ion ce médecin théosophe du XM' siècle, ils sont etectriscnt s'y et sont l'atmosphère magnétique de l'homme, capables, alors, de revêtir tout! s !us furmcs imMiuabtes. l'lus l'homme'est livré à ses passions, plus il duvieiit leur proie, mage seul les dompte et s'en sert. Mais sans s'en douter. Lesphère d'illusions décevantes et de folies ils constituent une qu'il doit mattnscr et franchir a son entrée dans )e monde occulte. C'est eux que Bulwer appelle le :ya~ei-! Ju seuil, dane son curieux roman de ZttKO): par Virgile dans la des1 C'est l'arbre des songes mouionnë )'É)!e, cente d'Knec aux Enfr.rs, au VI' livre le d'Eleusis,qui 'tproavec des duit les scènes principales des mystères amplifications poétiques.
dans ce sourire, il y a la science du Bien du Mai le charme inexprimable de la douleur vécue etet muette. La soulïrance enseigne la pitié. Elle accueille avec un regard de compassion les mystes qui s'agenouillent déposent à ses pieds des couronnes de narcisse. Alors et reluit dans ses yeux une flamme mourant espérance perdue, lointain ressouvenir du ciel Tout a coup, au bout d'une galerie montante, brillent des torches, et, comme un coup de trompette, une voix est revenu Dèmètèr attend sa fille. Evohë! échos sonores du souterrain répètent ce cri. Perséphone se dresse sur son trône comme réveillée en sursaut d'un long sommeil et traversée d'une pensée fulgurante: «La lumière! Ma chost Elle veut s'élancer; mais Aïdonée lamère taeretient du geste, par un pan de sa robe; et elle retombe sur son trône, comme morte. Alors, les
~"T'
Les
lampadaires subitement, et une voix s'écrie: Mourir, c'est s'éteignent renaître 1 JI < Mais les mystes so pressent par la galerie des héros et des demi-dieux, vers l'ouverture du souterrain, attendent le Hermès et le porte-flambeau. On leur où les ôte la peau de faon, on les asperge d'eau lustrale, on les revêt de lin trais et on les amené dans le temple splendidement inuimnë, où les reçoit l'hiérophante, le grand-prêtre d'Eleusis, vieillard majestueux, vêtu de pourpre. Et maintenant, laissons parler Porphyre. Voici comment il raconte l'initiation suprême d'Eleusis « Couronnés de myrte, nous entrons, avec les autres inities dans le vestibule du temple,-aveugles encore mais l'hiérophante, .qui est à l'intérieur, bientôt nous va ouvrir les yeux. Mais d'abord car il ne faut rien faire avec précipitation d'abord lavons-nous dans l'eau sacrée. Car c'est avec des mains pures et un cœur pur nous sommes priés d'entrer dans l'enceinte sacrée. que Conduits devant l'hiérophante, il nous lit, dans un livre de pierre, des choses que nous ne devons pas divulguer, de mort. Disons seulement qu'elles s'accordentsous peine le lieu et la circonstance. Vous en ririez peut-être,avec si vous les entendiez hors du Temple; mais, ici. n'en vous avez nulle envie en écoutant les paroles du vieillard, car il est tou-
révèles~ Et jours vieux, et en regardant les symboles quand Dèmètèr confirme, par vous êtes très loin de rire signaux, par de vives scintilsa langue particulière et ses lations de lumière, des nuages empilés sur des nuages, prêtre sacré; tout ce que nous avons vu et entendu de sonmerveille remalors, finalement, la lumière d'une sereine d Elysée; plit le temple; nous voyons les purs champs alors, bienheureux; ce nous entendons le chœur des extérieure ou par n'est pas seulement par une apparence fait et mais en en réaune interprétation philosophique, (B~ou~o;) et lité, que l'hiérophante devient le créateur que son le révélateur de toutes choses le Soleil n'estl'autel, et de près porte-flambeau, la Lune son officiant été Hermès son hérault mystique. Mais le dernier mot a prononcé
:K<MM'Om P<M~.
Le rite est consommé et nous sommes Voyants
(~o~.)
pour toujours.
» le grand hiérophante? Quelles étaientt donc Que disait révélation suprême ?1 ces paroles sacrées, cette qu'ils Les initiés apprenaient que la divine Perséphone, avaient vue au milieu des terreurs et des supplices des la enfers, était l'image de l'âme humaine enchaînée àchimatière dans cette vie, ou livrée dans l'autre à des mères et à des tourments plus grands encore, si elle a exvécu esclave de ses passions. Sa vie terrestre est uneMais piation ou une épreuve d'existences précédentes. l'âme peut se purifier par la discipline, elle peut se souvenir et pressentir par l'effort combiné de l'intuition, de
étaient la Les objets en or, renfermés dans le ciste, le génération), fécondité, de la pomme de pin (symbole de launiverselle de l'âme, chute dans serpent en spirale (évolution (rappelant la sphère la matière et rédemption par l'esprit), t'œuf l'homme). on perfection divine, but de n'ont pas de sens en grec. Cela prouve 2. Ces mots mystérieux anciens et vicmicn). de l'Orient. en tout cas, qu'ils sont très de ~-itiord leur donne une origine sanscrite, ~or~ viendrait. du 1.
désir; 0~ 0~. K~s/~ signifiant: l'objet du plus profond échange, cycle. La bé-
P~
tour,, âme de Brahma, et Pax de d'KIeusis signifiait donc: l'hiérophante de nédiction suprême universelle! Que tes désirs soient accomplis; retourne a l'âme
la raison et de la volonté, et participer d'avance vastes vérités dont elle doit prendre possession pleineaux et entière dans l'immense au-detà. Alors seulement Perséphone redeviendra la pure, la lumineuse, la Vierge ineffable, dispensatrice de l'amour et de la joie. Quant à sa mère Cérès, elle était, dans les mystères, le symbole de l'Intelligencedivine et du principe intellectuel de l'homme, que l'âme doit rejoindre pour atteindre sa perfection. S'il faut en croire Platon, Jamblique, Proclus, et tous les philosophes alexandrins, l'élite des initiés avait dans l'intérieur du temple des visions d'un caractère extatique et merveilleux. J'ai cité le témoignage de Porphyre. Voici celui de Procius: <[ Dans toutes les initiations et mystères, les dieux (ce mot signifie ici tous les ordres d'esprits) montrent beaucoup de formes d'eux-mêmes et apparaissent sous une grande variété de figures quelquefois c'est une lumière sans forme, quelquefois cette lumière revêt la forme humaine; quelquefois une forme diHérente'. Voici le passage d'Apulée: « Je m'approchais des confins<n de la mort et ayant atteint le seuil de Proserpine, j'en revins ayant été porté à travers tous les éléments (esprits élémentaux de la terre, de l'eau, de l'air et du feu). Dans les profondeurs de minuit, je vis le soleil reluisant d'une lumière splendide, en même temps que les dieux infernaux et les dieux supérieurs et, m'approchant de ces divinités, je leur payai le tribut d'une pieuse adoration. Si vagues que soient ces témoignages, ils semblent » se rapporter à des phénomènes occultes. Selon la doctrine des mystères, les visions extatiques du temple seraient produites à travers le plus pur des éléments: se la lumière spirituelle assimilée à l'tsis céleste. Les oracles de Zoroastre l'appellent: la Nature qui parle par elle-même, c'est-à-dire un élément par lequel le Mage donne une expression visible et instantanée à la pensée, et qui également de corps et de vêtement aux âmes, qui sontsert les plus belles pensées de Dieu. C'est pourquoi l'hiérophante, s'il avait le pouvoir de produire ce phénomène, de mettre les initiés en rapport avec les âmes des héros et des dieux 1.
Proclus, Commentaire de la Itépublique de Platon.
(anges et archanges) était nssimi~ a ce moment ou Créateur, au D~'niur~e;)cPorte-nambeau, nu Sfdei).
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]e eccur des initi.s.Lavie semblait vaincue, l'âme délivrée, le cyderedoutahlL des existences
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accompli. Tous se retrouvaient avec une joie limpide, univerune certitude inetfahie dans te pur 'ther de l'aime selle. d'Eleusis avec son [~ous venons de revivre ie dram.conducteur qui sens intime et cacl. J'ai indique le ïïi traverse ce ]ahvriuth. j'ai montre la grande unité qui domine sa riche~e et sa cn.!)jdexit6. Par une harmonie savante et souveraine, un )icn étroit unissait les cérémonies variées au drame divin, qui formait le centre idéal, le foyer lumineux de ces fêtes religieuses. Alun les inities ~identifiaient peu a peu avec l'action. ne simples spectateurs ils devenaient acteurs et reconnaiss.'uent. a la Un, que le drame de Persephone se passait en euxmêmes. Et quelle surprise. quelle joie dans cette découverte S'ils soufïraient, s'ils tuttaient avec elle dans ta vie présente, ils avaient comme e)'e rcspoir de retrouver la félicite divine, la iumiere de la grande Intelligence. Les paroles de l'hiérophante, les scènes et tes révélations du temple ]eur en donnaient t'avant-~out. Il va sans dire que chacun comprenait ces choses selon intettectuelle. Car, son depr~ de culture et sa capit~, temps, comme le dit Platon, et cela est vrai pour tous lesbaguette il y a beaucoup de ~ens qui portent le thyrse et la Eleuet peu d'inspirés. Après l'époque d'Alexandre, les sinies furent atteintes dans une certaine mesure par la décadence payenne, mais leur fond sublime subsista et les sauva de la déchéance qui frappa les autres temples. Par la profondeur de leur doctrine sacrée, par la splendeur de lenr mise en scène, les Mystères se maintinrent pendant trois siècles en face du christianisme grandissant. Hs ralliaient alors cette dite. qui, sans nier que Jésus
Mt une manifestation d'ordre héroïque et divin, voulait pas oublier, comme le faisait déjà l'Élise ne d'alors,
et la doctrine sacrée. Il fallut un édit de Thëodose ordonnant de raser le temple d'Éteusis Li viciHc science
mettre un-à ce culte auguste, où la magie de l'art pour grec s'était plu à incorporer les plushautes doctrines d'Orphée, de Pythagore et de Platon. Aujourd'hui l'asile de l'antique Dèmètèr a disparu sans trace dans la baie silencieuse d'Eleusis, et le papillon, l'insecte de Psyché qui traverse le golfe d'azur aux jours de printemps, rappelle seul qu'ici jadis la grande Exilée, l'Ame humaine, évoqua les Dieux et reconnut son éternelle patrie.
Et maintenant, il ne nous paraît point superflu de prendre en main l'Z~o! du drame musical pour y lire les pages colorées sur l'origine de la tragédie grecque et ses géniales manifestations. En effet, l'Ame d'Edouard Schuré bu longuea ment a ces sources jaillies parmi les premiers et ardents transports artistiques de l'esprit humain. Il convient d'ajouter que son talent dramatique est profondément impressionné par les légendes et les rites, dont la poésie sobre et expressive, la naïveté passionnée et émouvante devaient attirer et ravir les préférences de sa nature. Trouvons donc ici la genèse de ses goûts et de sa manière dramatiques. H convient même de citer tout au long les opinions éloquentes du dramaturge du T~f~e sur Eschyle, Sophocle et Euripide, car elles nous font pénétrer dans sa vision pathétique du théâtre où le panthéisme s'allie à une vaste symphonie psychologique
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L'ORIGINE DE LA TRAGÉDIE GRECQUE L'esprit grec était dévoré de la soif du vrai comme du beau. Parvenu à son apogée, il ne put s'empêcher de contempler cet homme, qu'il avait fait si fier et si noble dans sa cité et ses fêtes, sous l'empire de l'implacable loi universelle. H voit que plus cette individualité est grande, et plus âprement elle subit le sort douloureux qui est l'apanage de toute existence. Quel qu'il soit, lutter, souffrir, tomber, voilà son destin. Presque toujours, s'il s'agite, il erre s'il triomphe, ce n'est que pour un jour; à la longue, infailliblement, la flûte, le crime, le malheur ou la mort s'attachent à ses pas; et dans son cri de douleur, dans sa noble plainte, le Grec entendait le rythme même de l'âme du monde. La tragédie était née virtuellement du moment qu'on faisait entrer l'homme d'Apollon dans la région des mystères éleusiniens et dionysiaques. Dans cette tragédie il contemplait à la fois la grandeur de l'homme et la force souveraine de la nature qui l'enfante pour l'absorber de nouveau. La noblesse humaine le consolait des terreurs inéluctables de la nature, et la puissance créatrice de la nature éternelle,
symbolisée dans les dieux, le consolait de la fragilité humaine. Aussi le sublime naquit de la rencontre du beau et du terrible et de cette a liance, où les douleurs infinies de l'être éphémère s'apaisaient dans la joie de l'éternel, résultait la plus intense sensation de vie. Représentons-nous maintenant en quelques traits la genèse de cette tragédie. Elle ne pouvait naître dans le cercle d'Apollon elle devait pousser sous la magie de Dionysos, le régénérateur. Tout le monde sait que la tragédie sortit du chœur dithyrambique mais nous n'avons guère l'idée, nous autres modernes, de l'exaltation transcendante qui l'enfanta. Comme toute forme de l'art vrai, ce drame grec est, à son origine, bien autre chose qu'une habile combinaison, un divertissement ingénieux c'est un phénomène psychique involontaire. Qu'on se figure le
dithyrambe primitif tel qu'il se célébrait aux environs du Parnasse, d'où il se propagea dans toute la Grèce. Dans un des vallons de la montagne se réunissaient les servants du dieu, les hommes déguisés en faunes, les femmes en bacchantes. Ce n'était point, comme l'imaginait le littérateur Horace, une simple troupe d'avinés, mais un cortège d'enthousiastes inspirés. Sous l'orgiasme envahissant, ils ont oublié leur qualité de citoyens et jusqu'à leurs noms. Et ce n'est pas l'ivresse vulgaire, mais l'ivresse sacrée de la grande nature qui les traverse. Couronnés de lierre et de pampres, ils se sentent transformés, ils sont réellement ce qu'ils représentent. Ils croient au dieu qu'ils chantent, ils invoquent sa présence. Dionysos caché dans les entrailles de la terre, lié par les Titans, accablé de douleur, attend sa délivrance. Pendant que la ronde tourne autour de l'autel, que le vent court dans les cheveux des Ménades, que les cymbales d'airain retentissent les flûtes phrygiennes et que mugit cette musique avec giastique qui dompte les panthères et enroule les orserpents fascinés autour des seins nus des bacchantes, l'exaltation monte au comble ils appellent le dieu, ils demandent à le voir. Enfin le désir devient vision, l'enthousiasme hallucination. Le sein de la montagne semble s'ouvrir devant le chœur foudroyé de terreur et de ravissement, le dieu couronné apparaît, les yeux rayonnant de cette tristesse et de ce désir infinis dont les belles statues de Bacchus ont toutes conservé un reflet. Alors les initiés s'écrient comme dans les Bacchantes d'Euripide c 0 la plus belle des lumières, qui nous resplendit à la fête jubilante d'Evios, comme ta vue me réjouit dans la solitude du désert » Tel est le phénomène dramatique dans son énergie primitive. L'apparition du dieu ou du héros naît de la force du désir, de la puissance visionnaire de l'enthousiasme. C'est l'hallucination poétique au plus haut degré agissant dans une masse humaine magnétiquementexcitée c'est l'enfantement même de l'idéal. Le Grec ne se contentait pas, comme l'homme moderne, de rêverson idéal, il avait besoin de le voir, de le représenter, de le devenir. Thespis ne fit que répondre au besoin universel et réaliser le
désir de la foule sur son théâtre forain, en détachant du chœur dithyrambique un personnage qui représentait le (]ieu et rncont.lit ses aventures. t)es ce mf'm~'n)., l.i tr-~L'e(tie existe, et)e n'a plus qu'a .iedëveloj.pcr. Mais ccHe origine n'd-t-eltc pas que!que cl~osc d'infiniment signincatif'~ Tout d'a))ord te chœur affirme la tendance éminemment idéaliste du théâtre grec. Ce chœur primitif de satyres est un chœur d'inspirés, détache de l'humanité vulgaire de tous les jours et faisant corps avec l'immortelle nature. Ce qui sortira de son sein, ce ne seront pas les copies mesquines de la réalité, mais lcs types éternels des héros et des dieux. -Un autre caractère de ce chœur, c'est qu'il est essentiellement musical. Eschyle décrit ainsi la musique du dithyrambe a L'un tenant dans ses mains des bombyces, ouvrage du tour, exécute par le mouvement des doigts un'air dont l'accent anime excite la fureur; l'autre fait résonner d.~s cymbales d'airain. Un chant de joie retentit comme la voix des taureaux, on entend mugir des sons effrayants qui partent d'une cause invincible; et le bruit du tanil)f)ur.scmh!.ible à un souterrain tonnerre, route en répandant le trouble et la terCette musique dithyr.itnhiquc différait également reur.grande mélopée épique et de la musique proprement de la lyrique par son caractère passionne et par l'accompagnement instrumental. Quoique les Grecs ne connussent point l'harmonie polyphone, ce dithyrambe contenait comme dans un chaos le germe de l'orchestre et de i'harmonie moderne, qui devait l rendre un si grand essor dans la symphonie. Le sentiment musical est le sentiment idéaliste par excellence, car il tient aux racines de notre être, ou se confondent le physique et le moral. La vraie musique est toujours une voix prophétique, qui, partant du centre de moeile des os. C'est la nature, nous remue jusqu'à pourquoi le dithyrambe ptonge dans l'atmosphèrede divinatio.: orgiastique, prononçai, des oracles. Le sentiment musical, qui ramène les choses à leur essence éternelle, a présidé par le chœur à la naissance et au développement de la tragédie grecque il la domine, il en règle tes mouvements, c'est lui qui a pcnëtre les conceptions
grandioses de la mythologie de son fluide vivifiant. Le chœur était le dépositaire du respect religieux que le Grec éprouvf)it en f!)co de la destinée. Ses hymnes solennels frappaient ses oreilles comme la voix de l'humanité devant les luttes de ses plus nobles enfants. Les personnages s'en détachèrent de plus en plus conscients et indépendants à mesure que la tragédie se développa de Thespis à Eschyle, d'Eschyle à Sophocle. Il faut croire qu'au commencement le héros tragique chantait comme le chceur; plus tard son débit devint un intermédiaire entre le récitatif et la déclamation dramatique. Ainsi le lien musical subsistait entre eux, le drame se maintenait dans la sphère idéale, et l'ensemble conservait son cadre grandiose et religieux. Mais sur quel fonds s'exerça cette nouvelle puissance? 2 Si poignants que fussent les événements publics du temps des guerres médiques, si distingués qu'aient été les contemporains de Périclés, le théâtre grec n'aurait pas laissé des figures impérissables s'il s'était contenté de mettre en scène les hommes d'alors. Les Grecs eurent l'avantage de trouver dans leur mythologie le fonds poétique le plus inépuisable que jamais nation ait possédé. Cette mythologie, œuvre des siècles, l'éclosion de divine naïveté, était encore vivante dans l'imagination populaire et revêtait les formes les plus variées selon les lieux et les traditions. Matière flexible entre les mains du génie, qui pouvait s'en servir à son gré pour dramatiser les plus hautes idées religieuses et morales. Chaque divinité représentait un grand côté de la nature, une région de l'âme; autour d'elle se groupait, comme un ensemble de phénomènes autour d'une force naturelle, un cycle de héros avec leurs aventures. Cette mythologie était restée a l'état de perpétuelle fusion. Le peuple ne cessait d'y fondre les événements nationaux, le philosophe ses pensées, le poète ses intuitions. Les grands tragiques recréèrent sur le théâtre d'Athènes toutes ces traditions vivaces, approfondissantle mythe, élargissant le symbole. Ils en donnèrent le dernier mot; car par eux seulement ils parvinrent à la vie éclatante. De son thyrse enchanteur le dieu de l'enthousiasme fait renaitre encore une
fois la race des immortels et de leurs enfants entre les colonnes de son temple. Par là s'accomplit )a sentence orphique « Les dieux sont nés du sourire de Dionysos, et les hommes de ses larmes. Jamais nation n'eut pareil temple. Car ces rcpréscrtations n'étaient pas une
entreprise commerciale, un mh.érable plaisir payé, mais de véritables fêtes religieuses où un peuple se conviait
lui-même au spectacle de la vie en grand et où les premiers citoyens montaient en scène, dirigeaient les évolutions majestueuses des choeurs. Que manquait-il au
bonheur de l'Hellène qui s'asseyait sur les gradins de cet amphithéâtre ? Le souffte de sa tragédie lui apportait la liberté souveraine de l'esprit, il y secouait toutes les misères sociales pour respirer un lir d'immortalité avec ses
héros bien-aimés. La Grèce, vivante, divine, était là tout entière, et avec elle la belle humanité, la seule qui méSans le concours des trois rite de ne pas mourir. Muses Danse, Musique et Poésie, cette merveille n'eût pas été possible. Dans Eschyle la tragédie apperait en sa grandeur titanesque et revêtue de toute sa majesté religieuse. Celui que les Grecs appelaient le père de la tragédie fut un initié des mystères d'Eleusis. Jeune encore, il puisa dans ce culte le grave enthousiasme qui traverse son œuvre. II y prit aussi le sentiment profond du néant de l'homme en face des dieux, de son impuissance, de sa vie vouée à la souffrance. Sa conscience du sérieux formidable de l'existence se traduit par des maximes comme celles-ci « 0 néant des choses humaines pour mettre le bonheur en Quel oracle annonça fuite, la vue d'une ombre suffit. jamais un bonheur aux mortels? Toujours l'art antique Jupiter a des devins porte la terreur dans les âmes. porté cette loi la science au prix de la douleur. » Le poète a représenté dans l'Or~M les plus grands maux qui peuvent s'attacher à l'homme et le fouetter du crime au désespoir. La malédiction qui pèse sur la race de Tantale est au fond la fatalité qui s'accroche au plus envié des biens, au pouvoir, lequel entraîne tous les crimes. Plus l'homme s'est élevé haut, plus foudroyante sera sa chute.
Dans Agamemnon, les Choéphores, les Euménides, Eschyle lâche les monstres de l'abîme sur la race de Tantale. Adultère, meurtre, parricide se succèdent, ronde sinistre. Excitées par tant de crimes, les Furies elles-mêmes rompent les portes de l'enfer, montent sur la scène et entonnent l'hymne lugubre qui enchaîne les âmes, l'hymne sans lyre dont le poison consume les mortels, comme pour envelopper tout le genre humain dans irrémissible malédiction. Cependant devant les dieuxune de la lumière, les noires filles de la nuit sont domptées et deviennent les Euménides, les Bienveillantes. Vaste trilogie, où les crimes des Atrides défilent sous nos yeux pendant que dans les chœurs gémit et roule l'interminable mélopée des souffrances humaines. A sa plainte nous voyons s'engloutir, comme en un mirage, flottes, citadelles, armées. Sur le premier plan de ce sombre tableau se dresse la prophétesse Cassandre comme le génie même de la tragédie. La vierge aimée d'Apollon, mais livrée au roi vainqueur, possède la clairvoyance de l'esprit divin. Elle pressent, elle voit les destins; mais personne ne l'écoute. Ame qui plane au-dessus de l'humanité, elle est cependant foulée aux pieds par le malheur, asservie, vendue, égorgée dans le palais de son maître. Les autres vont au supplice comme les troupeaux à l'abattoir, sans s'en douter. Elle seule sait ce qui l'attend et se livre à ses bourreaux courageuse, fière, lucide, appelant la vengeance d'Oreste, qui sera l'expiation de la race maudite, et dont la rédemption brillera comme un rayon d'espérance aux yeux de l'humanité plongée dans la nuit du malheur. Apollon et Minerve, la justice et la sagesse, s'unissent à la fin pour offrir à l'homme coupable, mais bon, un asile protecteur. L'Orestie montre à quel degré le poète d'Eleusis avait senti le fond tragique de la vie. Mais sous ce poids écrasant, le cœur viril d'Eschyle rebondit avec l'énergie d'un Titan. Il luttera contre la destinée comme il a lutté à Marathon contre les Perses. De cette révolte héroïque naquit Prométhée. L'homme est devenu créateur à son our, il dompte les forces, prévoit l'avenir, s'impose au destin par comble de gloire, il crée des âmes à son
image par l'éclair de son intelligence et le rayonnement de sa sympathie. N'a-t-il pas le droit de se sentir dieu luimême et de braver les immortels? Prométhée a ravi du tr6ne de Jupiter le feu resplendissant, ce maitre qui enseignera aux mortels tous les arts. » Ain-i D'.omme ravi a la nature l'étincelle cicatrice qui transfonu.' te monde. Elle court dans ses veines, fait battre son cœur, embrase son cerveau; a son tour il pétrit l'argile humaine et lui cric Lève-toi et marche Mais toute grandeur se et les dieux se paye, tout progrès est volé aux dieux, inaccessible aux vengent. 11 en pâtira, rivé sur un rocher qu'il hommes a confins du monde. Tout l'abandonne, les prend qu'il .1 secourus l'oublient; dans le vaste univers,des Océanides témoin de ses souffrances, les douces voix viennent seules le consoler. Grande, âpre, éternelle image du génie. « Et quel fut son crime? II aima trop les hommes. Qu'importe! Prometheea rejeté la sagesse et la peur des foules. 11 est fort de sa clairvoyance,grand de son immense pitié; c'est au fond de sa poitrine qu'il trouve le courugf de braver la foudre étincelante de Jupiter. Plutôt que de céder au tyran de l'univers, il se laissera précipiter dans le Tartare avec son secret. Ce feu ravi du ciel contre la volonté des dieux, l'homme élevant c'est le premier, ses semblables sur ses épaules d'Atlas, Dans le Proc'est le dernier mot de la race arienne. me~e tM;L' que nous avons perdu, Eschyle montrât! probablement l'alliance de Prométhee, le génie créateur, des dieux avec Hercule, la force héroïque, et le inaitre obligé de pactiser avec cette double puissance aux voix des Titans délivres et régénère: D'une main rude et puissante Eschyle avait construit la tragédie Sophocle l'achève, mlis déjà il en change l'esprit. Chez l'auteur de <'0<'('~M l'élément musical prédomine encore. Les chœurs, qui se déroutent avec une majesté pindarique, dominent )a. voix du héros et lui fout sentir tout le poids du destin. Dans leur voix émouvante, le spectateur devait entendre gronder parfois la voix de l'abime insonde d'où l'homme s'élève, fugitive apparition, ombre éphémère, songe d'un songe. Chez Sophocle, le héros se détache plus nettement du chœur. L'homme est
devenu plus conscient, plus réfléchi, il explique le sentiment intime qui est le mobile de ses actions avec une merveilleuse dialectique. Mais de distance distance reviennent ces chœurs, dont l'essor lyrique en transporte, au-dessus de l'action, dans le conseil desnous dieux, (lui la dominent. Ces chœurs ressemblent mélo dieuses d'un superbe océan sur lequcl aux vagues majestueuvogue sement le vaisseau de la tragédie sophoeléenne, et qui l'emporte sur la haute mer de l'idéal loin des écueils du réalisme où le drame d'Euripide ira chavirer. Supprimer les chœurs dans la tragédie de Sophocle, et vous supprimerez du même coup l'élément religieux et musical. Chez Sophocle l'équilibre est parfait entre l'homme et l'esprit, entre la musique et la poésie, entre la divinité et l'homme' S'il faut en croire le marbre splendide du Latéran, cette harmonie avait laissé son empreinte les traits et sur jusque dans l'attitude du poète. regardez face nien si simplement et si fièrement drapéendans cetAthé son manteau, et vous direz Cet homme perce du regard l'âme humaine et en supporte le spectacle. Il a vu et vaincu; s'il domino le monde, c'est par la force de la beauté Dans la trilogie d'ÛE~e, Sophocle présentait à ses concitoyens un pendant de l'Orestie, mais de portée bien plus grande. On ne vit jamais l'homme heureux et puissant enveloppé d'un aussi fatal réseau de catastrophes dans aMtpe t.ot, on ne le vit jamais souffrir plus que noblement que dans OEdipe à C'o~e. Mais la lutte du père la destinée atteint son comble dans sa fille, dans avec Antigone. Le nouveau, l'inouï, c'est que cette Antigone n'a plus recours aux dieux, qu'elle brise la pointe de la destinée dans son propre cœur, s'élève au de rang sainte par son martyre voulu. Chez OEdipe la nature instinctive avait rompu sans le savoir les barrières sacrées de la famille et les lois de la société, puis il avait expié volontairement sa transgression involontaire. Chez Antigone la révolte est réfléchie la beauté de l'âme hellénique s'épanouit en amour universel et s'insurge contre la tyrannie de l'État C'est Créon qui personnifie cet Ltat rigide, égoïste, rétrograde. I) refuse la sépulture à Polynice qu'il parce a combattu contre sa patrie, et décrète la mort contre qui-
conque lui rendra tes derniers honneurs; il le fait pour sauvegarder sa puissance. La cité accepte ce décret, mais l'àme libre et généreuse d'Antigone s'élève contre lui de frisson, avec indignation. Ce qui saisit sa sœur Ismène embrase d'amour et gonfle de courage son sein de vierge. Seule, elle bravera le tyran. Mais d'où lui vient cette force surnaturelle contre l'État tout-puissant? « Dans cet État il n'y avait qu'un cœur solitaire et affligé dans lequel l'humanité s'était réfugiée. C'était 13 cœur d'une douce vierge, du fond duquel la fleur d'amour s'élevait avec une beauté toute-puissante. Antigone ne comprenait rien à la poli`? tique elle aimait. Cherchait-elle à défendre Polynice? Avait-elle trouvé des circonstar.ces atténuantes, des points de droit pour justifier son action? Non, elle l'aimait. L'aimait-elle parce qu'il était ~on frère? Étéocle n'était-il n'étaient-ils pas pas son frère aussi ? OEdipe et Jocaste événements pouvait-elle ses parents Après ces terribles Pouvait-elle songer sans terreur aux liens (le sa famille? trouver la force d'aimer dans ces liens de la nature si horriblement déchirés? Non, elle aimait Polynice parce qu'il était malheureux et que la force suprême de l'amour pouvait seule l'affranchir de sa malédiction. Qu'était-ce donc que cet amour qui n'était ni de l'amour sexuel, ni de l'amour filial, ni l'amour d'une mère, ni celui d'une sœur? C'était la fleur exquise de tous ces amours réunis. La société les avait reniés, l'État les avait foulés indestructibles s'éleva au pied, mais de leurs germes humaine » la fleur flagrante du pur arr.our Sophocle à cette haute affirLe drame grec atteint dans mation de l'humanité qui dépasse de beaucoup l'esprit des religions antiques. Le génie individuel perce l'horidonc cette zon national et dévoile l'avenir. D'où vient voix douce et presque divine qui s'élève dans la ville de Thèbes devant les statues impassibles des dieux, qui surprend les vieillards de la cité, et que le divin Tireras qui s'érrn': lui-même ne saurait comprendre, suis pas née pour haïr, tuais pour aimer! » C'est « Je ne la voix d'une vierge héroïque qui se laisse a~er a la mort
voix
i. Wagner, Oper und D~Mef. p.
1T2.
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noble des affections humaines c'est la sympathie et cette loi est supérieure aux autres. Antigone n'obéitque pas à un sentiment tinctif, elle a pleine conscience de insson amour, c'est l'amour à sa plus haute puissance, et c'est qu'eiïe yy trouve la force de~aneSr qu'elle de s'anéantir. Oreste pour cela Prométhée a lutté pour les a souffert, hommes, Antigone aime et meurt pour eux. Ainsi le drame crée le grec héros après le dieu, l'homme après la femme aimante après l'homme. La grande Muse visionnaire, la aimante gique, semble dire au peuple grec par la bouche d'Antigone Pourquoi craindre le poids écrasant du Destin, pourquoi trembter à la voix des
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cette voix profonde qui monte de vos propres coeurs et qui vous annonce la délivrance par l'amour. Vos dieux peuvent s'en aller, votre cité tomber en ruines, cette voix parlera toujours l Ce que je pressens mais et je vous révèle du seuil de ce que to~~au c'est plus les dieux, c'est l'humanité,mon que c'est l'Homme »
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Euripide a souvent passé pour l'égal de ses deux rivaux beaucoup de ses contemporains le jugèrent tel. Quant aux modernes, ils ont puisé chez lui à pleines mains et le préfèrent généralement à l'inspiré d'Eleusis et au poète de n'a touché qu'à la surface des choses en reconnaissant grandeur, à Sophocle la et il Euripide le pathétique. Les Grecs eux-mêmesmajesté n'ont loin en disant que le premier avait peint les hommes tels devraient être, le second tels qu'ils qu'ils troisième tels qu'ils sont. Considérépourraient être, et le ment du théâtre grec et dans l'histoiredans le développeverselle, Euripide représente déjà la de la poésie uniprompte décadence de l'art. Ses deux prédécesseurs, de famille noble, d'éducation hors
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ligne, sortirent des arcanes de la race et de la religion grecque. Celui-ci, d'origine avec les sophistes, les rhéteur et les douteuse, grandit démagogues, qui dès ce temps minaient la civilisation hellénique. Le heur d'Euripide, la contradiction malinhérente à son c'est qu'il est rongé génie, par le démon de la critique. Ce dé~0
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de et de conséquence pour les héros,savant Ce plus ces types larges infiniment variés, ne sont mais portant moins le de l'éternel. Hécube, Hélène, néanAchille, ont de beaux éclairs, ils sont déchus de leur grandeur première. Euripide mais oseille sans cesse entre la grande tragédie et ce que nous appellerions le drame bourgeois.
critique.
Même
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d'étre le révélateur des vérités religieuses du drame, il est tombé au l'action, s'élevant tout de plus morale utilitaire. Chose remarquable, chezauEuripide la diminution du sens
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sical. Sans doute nous mune possédons pas la notation phocaractère général; mais l'esprit et la son structure même de ceux d'Euripide prouvent qu'ils ont perdu le même de dieux qui circule si richement dans les strophes d'Eschyle et de Sophoc,le. Notons ce phénomène important! le religieux, le sens du Vrai idéal et le sentiment de la sens sique sont des facultés qui muont entre elles de profondes Unités; le grand art ne saurait s'en passer. Les plus hautes vérités sont des mystères; e~ri~ r' l'intelligence tes les formute. la mule, Ja poésie les tes exprime, mais pour les faire pénétrer jusqu'aufond de l'âme, elle appelle àsoi la mélodie. Une fois cependant, une seule, Euripide s'est élevé audessus de lui-même; c'est dans une de ses dernières pièces, dans l'étonnante tragédie des Bacchantes. C'est l'histoire de Penthée, qui subit n'avoir pas cru à la divinité de une mort cruelle pour Bacchus. Le dieu est à Thèbes avec son cortège venu ~Is et tous ses charmes. Mais roi incrédule roi ne croit incrédule ne le croit pas aux enchantements siaques. Tandis que les femmes thébaines sont dionyprendre part aux mystères de Dionysos allées dans la Penthée maudit son culte et, montagne, saisissant le qu'il prend pour unJa~f imposteur, dans son patais. Bacchus se laisse faire le jette garrotté ~ns palais. en souriant, mais tout à coup il' rompt ses liens, incendie tombe en ruine, et s'élance au milieu de la scène, avec
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qui rompt toutes les barrières et sa puissance terrible, Sa vengeance n'a fait que comtransporte les foules. qu'Euripide nous un art consommé mencer C'est avec roi Penthée, domontre comment Bacchus ensorcelle lecuriosité, le frappe mine le sceptique lui-même, exc te sa fête, où il est déchiré de folie et finit par l'entraîner à la tandis que Dionysos se dévoile furie, Ménades les en par fidèles, réjouit à la cité comme le fils de Jupiter quivénérer àses l'égal des frappe ses ennemis, et qu'il faut la fougue poétique, la Olympiens. Cette tragédie, qui, :.ar les profondeur de l'idée et l'unité du sentiment, égale de chefs-d'œuvre du théâtre grec, r.ssemb à une sorte d'Eschyle et de Soretour tardif aux grandes tradil.ions vieillesse qu'il Dhocle Euripide aurait-il sent: dans sa repris le dessus avait fait fausse route? Le poète aurait-il doutes, de son manque et gourmandé le critique de ses signal à la de foi? Se serait-il repenti d'avoir donné le On dissolution de la tragédie et de la poésie grecques~ «Il celles-ci: le croirait à entendre des paroles comme du divin, n'en coûte pas beaucoup de croire à la force en penser, il quel qu'il soit d'ailleurs. » Quoi qu'il faille déclin remonest beau de voir la tragédie grecque à son dont Dionysos de ter à sa source, à ce culte mystérieuxproclamer encore elle est sortie, et, avant de disparaître, réunis, les arts splendides de tous une fois, aux accordsl'enthousiasme souverain, qui peut la résurrection de la terre, bien rester enchaîné pendant des siècles sousprison aux mais qui, d'âge en âge, brise 'es portes de sa thyrse brandissant 3t, son yeux des hommes stupéfaits, luxuriante, végétation magique, fait jaillir du sol i:.ne répand sa lumière rosée sur toute la nature et s'entoure et d'une ceinture ondoyante d'êtres divinement beaux libres. d'Euripide c'en était fait de Dernier éclair du génie Cent forces la tragédie; elle devait mourir avec lui. Périclès: la ennemies rongeaient la Grèce du temps de émet cet avis dans son livre déjà cite. et )a comparaison des Bacchantes avec les autres tragédies d'Euripide donne beaucoup de vraisemblance à son opinion. 1. Nietzche
corruption, la guerre civile, l'esprit sophistique démaet gogique. Bientôt la Macédoine allait lui ravir son indépendance et préparer une proie à la politique romaine. Sous l'empire des Césars l'Hellène devint le Gnr~, et cette dernière figure rabougrie, malsaine et mesquine, nous a caché pour des siècles la première, ce type indélébile de l'homme complet. Enfin, le grand mouvement scientifique qui s'achève dans l'époque alexandrine décompose et tue la mythologie. Aristophane eut la conscience de cette dissolution intérieure et de la civilisation H regrettait les mœurs sévères, le bon vieux grecque. temps des guerres médiques, Eschyle et la fière tragédie. Mais il était trop attique, trop de son temps, pour ne pas subir l'influence de son siècle. La décomposition de l'esprit grec qu'il déplore, s'accomplit dans son propre théâtre. En lui le génie hellénique, dépossédé de son pur idéal, se tourne avec ses merveilleuses facultés contre la réalité envahissante et la persifle dans une satire éblouissante et gigantesque, au milieu de laquelle il brûle à la hâte feu d'artifice, comme un ce qui reste de Mais après cet étonnant carnaval moitié burlesque,poésie. moitié sublime, la réalité prend définitivement possession de la scène elle s'y pavane dans la comédie ancienne et nouvelle. Les entremetteurs, les fils de famille et les esclaves sentimentales bavardent de leurs petits malheurs sur la scène où avait retenti la voix de Promëthée et d'Antigone. La tragédie est morte et enterrée. Avec elle le règne de l'art vivant est fini pour de longs siècles, et celui de la littérature commence. La ronde joyeuse féconde
et de la Danse, de la Poésie et de la Musique se dissout. Chacune s'en va de son côté les trois sœurs, qui s'étaient unies et oubliées l'une dans l'autre d'un ardent amour, et qui avaient trouvé dans cet oubli même le bonheur parfait du plus bel épanouissement, s'en vont à des destinées nouvelles. Nous verrons qu'elles risquent parfois de périr dans leur isolement égoïste. Ah 1 pour se retrouver, que d'aventures, que de déboires, que de vains essais, quel long voyage! Mais qu'il palpitant est d intérêt! car c'est l'évolution même de l'esprit C'est cette histoire que nous essayons d'esquisser.humain.
Une légende courait le monde .;rec et romain du temps
de Tibère. On racontait qu'un navire passant près d'une île abandonnée de la mer Egée, te pilote entendit une grande voix s'élever du rivage et résonner dans le ~tence des mers, une voix qui disait: Le grand Pan est mort! et du fond des bois lui répondirent de tristes clameurs et de longs gémissements. C'était bien là la voix de la Grèce mourante, de celle qui n'existait déjà plus qu'en souvenir L'histoire pourra marcher: le christianisme, les barbares, la science, la philosophie, pourront changer la face du monde et la forme de l'esprit, le vaisseau de l'humanité pourra se lancer de l'un à l'autre pôle, toujours elle garde une vague image, un regret inavoue de t'tle flottante où dorment les dieux oubliés avec la Jeuradieuse. nesse perdue, la Beauté l'Idéal vivant et la Vie dans l'imPeut-ctre ne le sait-elle pas elle-même !Ie mense océan où elle navigue, c'est toujours cette qu'elle cherche
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SES COXCEPTIOXS
Dans cette pénétration originale et, comme quelques-uns t'ont fait observer, parfois si audacieuse de l'âme et du verbe dramatiques des
époques légendaires et de l'antiquité, Edouard Schuré a, ainsi que nous l'avons noté, discerné plus clairement et fortifié ses conceptions personnelles du théâtre. Aussi affirment-elles le goût d'une poésie fabuleuse et (l'une action qui se déroule, dans le mystère à demi-révélé, entre l'ombre et la lumière. Il s'en suit que la critique de telles conceptions esprit ou on ne peut être abordée danb Je même est accoutumé d'entreprendre celle de la comédie de caractère ou de mœurs.
J'avais appelé d'abord mon théâtre, le Thédtre du Rêve, parce que le verbe du drame fut le rêve de mon effort vital », écrit, dans sa dédicace, le poète théosophe du Thédtre de à qui nous allons demander de nous confier les idées génératrices de son œuvre dramatique. Ces idées, il ne les a point conçues ni écrites avec la froide rigueur d'un théoricien et dans la sécheresse d'un dogme. Elles chantent en sa elles jaillissent en invocations elles se pensée déroulent en incantations. L'âme humaine, la divine Psyché, la déesse somptueuse et multiple, à qui le penseur des Grands Initiés a voué un culte indéfectible, est encore celle que le dramaturge du Thédtre de /?Ke évoque, dès le prélude de son rêve dramatique. «
/e,
«
.Pourtant, jamais l'âme humaine ne
fut plus vivante.
Partout elle vibre, elle tressaille, elle s'agite, dans les rêves de la jeunesse et dans son désir d'action, dans le cri de révolte de l'individualiste qui veut être lui-même tout entier, dans la méditation du penseur solitaire, qui, saisi de pitié, se penche sur la souffrance humaine, dans la houle des multitudes qui se gonfle aux premières lueurs de vérité comme l'Océan au surgir du soleil. En vain essayerez-vous de comprimer l'âme humaine ou de l'engloutir aux gouSres pareille au fleave disparu, elle rejaillira du sol par cent sources et par mille jets d'eau.
La divine Psyché est, dans notre société, la chère Absente toujours aimée, la belle Exilée toujours présente. Cette grande Morte est la grande Immortelle. Dès à présent on peut entrevoir que l'Ame sera la vraie Muse du xx° siècle. »
Telle est la conceptio~n primordiale où les autres prendront naissance, comme divers cotin-,
d'eau dans une même source.
Le théâtre, selon Edouard Schuré, doit être un grand bienfaiteur, un éducateur et un transfigurateur de la vie! Il lui assigne un rôle sublime théâtre, ce miroir de la yi~ est un mouleur formidable de l'âme des foules et men;.e de t'âme de l'élite. Car il agit sur l'être humain tout entier sens, âme, esprit et il agit par un exemple, par une action éloquente, aussi réelle et plus intense que la vie. Son influence est capitale dans le bien comme dans le mal. S'il n'est pas une école de beauté, de vérité et de renaissance, il devient fatalement une école de laideur, de mensonge et de mort. Qu'il «
Le
soit l'esclave du luxe, de la frivolité et de la spéculation industrielle, comme dans notre scciëtë aveulie; etle théâtre ne sera guère autre chose que le reflet chatoyant et trompeur des vices, des ignorances et des lâchetés d'une époque. Mais placez a son centre l'âme consciente avec tous ses pouvoirs, faites rayonner à son foyer incandeset le théâtre cent la divine Psyché, déployez ses ailes sera le miroir de la vie meilleure, l'éducateur du peuple, l'initiateur qui conduit l'homme a travers la forêt. Ce théâtre fut celui de certaines époques privilégiées. II existera de nouveau plus fortement, plus consciemment, le jour où une élite en comprer.dra la puissance et saura le mettre en œuvre avec l'armatLre solide des principes et des volontés. »
Edouard Schuré se détourne des expressions faciles du drame moderne et recherche l'art idéaliste et profondqui élève et exalte. Il déclare, non Un théâtre, conçu dans cet sans courage « esprit, ne serait plus ni une spéculation financière, ni un simple divertissement. Il deviendrait de l'âme par une fonction sociale et une initiation la fète de la Vie et de la Beauté. » idées 11 n'a pas hésité, d'ailleurs, à préciser ses et, selon sa coutume, à tourner vers l'avenir sa
préoccupation divinatrice; il n'a pas redouté de prévoir quelles seraient les tendances du théâtre de demain; il a même affirmé qu'elles ne sauraient être différentes de ce qu'il prévoit qu'elles seraient nettement idéalistes, que l'expression dramatique s'élèverait jusqu'à la poésie, jusqu'aux plus sublimes conflits de l'âme, jusqu'à ses divins triomphes et que cette expression, d'abord et seulement, admise et comprise par l'élite, serait, bientôt, appelée et voulue par la foule éprouvant impérieusement le besoin de rajeunir et de vivifier son âme. Et cet audacieux qui, avec une audace lucide, a inscrit au frontispice de son œuvre dramatique ce titre austère Thédtre de l'dme, parce que « l'âme profonde est l'ouvrière cachée de toute vie féconde et le miroir de tout idéal », comme il l'écrit quelque part, cet audacieux ne se fait pourtant pas illusion sur la résistance acharnée qu'opposera au retour à l'âme la puissance de l'avilissement que nous subissons. III.
SES PREVISIONS
Et cependant, écartant les hésitations actuelles regardant résolument au-delà du présent avec
cette clairvoyance qui lui est dévolue, il écrit ces lignes où il prophétise l'avenir du théâtre
Sera-t-il aristocratique ou démocratique, idéaliste ou réaliste, individuel ou social? Sera-t-il une dissection savante de nos maladies morales ou une représentation «
libre de l'homme éternel'? Sera-t-il une chirurgie de psy-
chologue ou une extase de poète? toutes ces questions on peut répondre par cent hypott.èses les unes plus ingénieuses que les autres, mais qui ne seront que des hypothèses. Un seul homme, en ce siècle, a réussi i démontrer au présent ce que pourra être le théâtre de l'avenir; c'est Richard Wagner. Et it l'a fait non pas seulement en théorie, mais d'abord en acte, avec son génie souverain de poète symphoniste. Nous avons beau faire, lorsque nous parlons du théâtre futur, chacun l'imagine à sa manière, et tous ces désirs sont très différents. Aucun d'eux certes n'embrasse tout l'avenir, mais il n'en est pas moins vrai que cet avenir doit naitre de l'ensemble de nos aspirations diverses et de l'élaboration profonde des forces qui nous agitent. Je crois pour ma part que le théâtre de l'avenir sera très varié et très multiple, mai!: qu'il aura trois /b;'nie.! principales, qui seront enMtMe <yo~ ~egrM de la t'te, de la conscience et de la 6ea :;<< II y aura premièrement le !KM<f Populaire, champêtre et provincial, qui, descendant vers le peuple, réveillera son âme dormante par ses meilleurs instincts et ses plus poétiques traditions. C'est le théâtre voulu par Miehelet, celui que M. Maurice Pottecher, par une très noble initiative, essaye de créer aujourd'hui dans les Vosges, que MM. Le Brax et Le Goflic tentent de rcstaurer en Bretagne, en rejouant en langue celtique les vieux Mystères bretons. Cité, que j'appellerais M y aura ensuite le T/tc'fi~'c de volontiers un T/i<A;<e f~C<~M&a<. U étudiera la réalité contemporaine avec le regard pénétrant d'une observation aiguë et d'une sympathie profonde. De ce théâtre Ibsen, Tolstoï, Hauptmann, François de Curel nous ont dcjâ fourni de frappants exemples. Il y aura enfin ce théâtre de J'rtite que l'on pourrait appch;r le T/tc'i<e f'M Mrc, par son organe essentiel, et que j'appelle le '~(;'<'<<'c ~c ~Mtt. par son centre, inspirateur. Il évoquera une humanité supérieure dans le miroir de l'histoire, de la légende et du symbole. C.cttc humanité, pour être idéale, n'en sera pas moins palpitante de vie et
de vérité. Shakespeare a dit ce mot profond « Nous sommes faits de l'étoffé de nos rêves. » Mais on peut retourner sa pensée et dire « Nos rêves sont faits du sang de notre vie ils sont la respiration et l'aspiration de nos âmes. » Ce théâtre du Rêve, ce théâtre qui racontera le Grand-OEuvre de l'Ame dans la légende de l'Humanité, j'ose dire qu'il sera hautement et profondémentreligieux. Car il tentera de relier l'Immain au divin, de montrer dans l'homme terrestre un reflet et une sanction de ce monde transcendant, de cet Au-delà auquel nous croyons tous à titres divers, ne serait-ce qu'au nom des sentiments infinis et des idées éternelles. Ai-je besoin de rappeler que ce théâtre essentiellement idéaliste a été 'celui de toutes les grandes époques créatrices ? Mais chaque époque doit le réenfanter selon ses besoins. Aussi notre temps trouble, sans idéal social, sans foi commune, sans élite constituée, n'en montrc-t-il encore que des tentatives isolées, mais qui contiennent des semences fécondes. »
La réalisation scénique de ces hautes et vastes conceptions où l'élite et le peuple, le penseur
et l'homme d'action pourront trouver respectivement un intérêt et un enseignement élevés la réalisation pratique de ces vivantes idées ne laisse pas indiiîérent ce zélateur du théâtre idéaliste et il envisage ce que devrait être une association dramatique ayant la volonté de présenter et d'imposer aux spectateurs étonnés, pour faire leur conquête progressive, un art régénéré. « Quant au théâtre de l'élite, écrit-il, que je conçois comme l'œuvre commune d'une association de penseurs, de poètes, d'artistes et d'amis de l'art, il répond à un concept plus vaste. Car il devrait embrasser tout le monde humain, celui des réalités, des rêves et des idées, dans l'harmonie d'une pensée sociale et régénératrice.
actuelles, il faut le reconnaitre, s'enferment pour la plupart dans un réalisme étroit et tendancieux, qui exclue la hauteur des idées et la grandeur des caractères autant que cette mélodie du verbe et cette beauté du geste, qui sont comme le sceau de la suprême noblesse apposé par l'art sur la personne humaine. Je n'en ai pas moins la certitude que l'avenir appartient au théâtre idéaliste dans le sens le plus large du mot et que les courants profonds de l'humanité nous y mènent invinciblement. » «
Les tentatives
Ainsi, la vision aiguë et créatrice d'Edouard Schuré a fait revivre le passé et scruté l'avenir.
Et il nous apparaît singulièrement suggestif, ce large et mouvant panorama de l'âme pathétique de l'humanité, vu et décrit par un penseur enthousiaste, par un psychologue qui peint à fresques et par un poète lumineux I IV.
TROIS DRAMES
Édouard Schuré, avec sa belle conscience, fut, dans ses drames publiés, le scrupuleux observateur de son catéchisme dramatique. Deux grandes idées les dominent; ce sont les la recherche idées-mères de l'œuvre entière émouvante et la révélation i.nspirée de l'Unité où prend naissance la vie universelle et l'évolution de l'esprit, à travers, ses étapes dans la matière jusqu'à son expression supérieure. Cinq drames d'Edouard Schuré ont paru en librairie~, en trois séries. La première série, parue 1. A
la librairie académique Pcrrin et C".
en 1900, comprenait Les ~M/<m~ ZMc~y, drame antique en cinq actes, et la 6~-M?- gardienne, drame moderne en quatre actes; la deuxième série, parue en 1902, était composée par un drame moderne en quatre actes La Roussalkal, qui porte en exergue Le génie Ma~ de l'amour et l'art du désespoir, et d'une légende dramatique en cinq actes et sept tableaux; L'Ange et la Sphinge (légende de la Forêt noire). Cette légende est un poème d'opéra écrit sur le roman qui porte le même titre, et à ce propos Edouard Schuré déclare <( .Ce fut un musicien, H. Dietrich, élève distingué de Saint-Saëns et organiste à Dijon, qui me le proposa. J'hésitai longtemps, sachant que les drames tirés des romans sont en général des œuvres hybrides. Je le fis sans aucun parti-pris prosodique, en vers librement modulés sur le rythme mouvementé des passions toujours changeantes. » Notons que des cinq drames d'Edouard Schuré, L'Ange et la Sphinge est le seul qui soit écrit en vers, et tenons pour équitable la critique lucide qu'il en fait lui-même.
Enfin, la troisième série du TM~e de f~g, publiée en 1905, nous apportait Léonard de drame en cinq actes, précédé du ~ue Eleusinien à Taormina.
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Il nous semble que l'analyse et le commentaire des trois drames essentiels du Thédtre de /'<~e Les ~M/<xM~ de Z~ex/e~ La &BM?garRoussalka a été représentée par M. Lugné-Poë, au théâtre de l'OEuvre, 1. La
en mars 1905.
dienne, L~OMN~ de Ft'MC: mettront clairement en valeur le talent et les mérites élevés du drama-
turge.
Dans chacun de ces drames, un effort a été tenté pour développer une action pathétique, où mais en se mire une grande époque de l'histoire, même temps, pour faire jaillir cette action des plus intimes profondeurs de l'âme et en quelque sorte des arcanes de la ~u~coH.sct'eHce. Les passions humaines qui bouleversent la vie ne sont s'y pas absentes de ces pièces tragiques. Elles montrent, au contraire, en pleine effervescence et à leur plus haut point d'ébullition. Seulement, elles n'apparaissent pas comme les causes uniques des gestes humains et des événements qui se déroulent sous les yeux du spectateur. Car, derrière elles, reluisent et chatoient ces sentiments profonds, éternels, inéluctables, qui sont les générateurs ultimes de nos destinées. Or, ces sentiments sont en rapport vivant et constant avec les forces invisibles et les puissances souveraines, maîtresses de l'Univers, sensibles à nos cœurs comme à nos intelligences, que les peuples et les
sages ont nommées, de tous temps les Dieux. qu'en plongeait aux dernières pro« Ce n'est fondeurs de son être, écrit Edouard Schuré, que l'homme peut toucher le Divin et remonter de la a la sphère des puissances éternelles. C'est alors seulement qu'il devient libre et peut choisir, en pleine conscience, entre le Hien et le Mal, c'est-àdire entre l'action féconde qui harmonise la vie en la récréant et l'action dissolvante qui la détruit en y jetant la discorde. »
Comment dans ces trois drames s'établit le rapport entre l'homme et la sphère divine ? Il est continu, mais plus ou moins conscient. Il se resserre et se relâche, se dynamise et se nuance a l'infini, selon les individus et les époques. 1.
Les En
fants de Luciler.
Ce drame est dominé par deux puissances,
Lucifer et le Christ. Visiblement et merveilleusement manifestées, elles apparaissent toutes les deux au II" acte, où Phosphoros, le libre fils de la cité de Dionysia, évoqueles maîtres invisibles de sa destinée h l'aide du mage Mérakiidos, dans les montagnes du Taurus, au temple du Dieu inconnu, devant le sphinx blanc et le sphinx noir, aux ailes gigantesques et dressées qui veillent au bord de l'Abîme. Lucifer incite Phosphores a la révolte, mais la voix qui sort de l'Étoile et qui vient de la sphère du Christ, lui annonce qu'il n'accomplira sa destinée que si une vierge reDieu à son nonce pour lui. Cette vierge sera Cléonice, la chrétienne, qui, avec son âme et son lui apportera amour, un pur rayon du Christ. Nous reproduisons ici la scène du III" acte où l'âme de Cléonice bondit vers Phosphoros persécuté, dans un élan qui décide de leur destinée commune et aménera, à travers leurs épreuves et leur mort tragique, la fusion de ces deux âmes,
symbole et foyer d'un culte nouveau.
Nous sommes en A~te MmeM~e, <:M tV s:~c<e de notre ère, sous le règne de Constantin. La t;îH? de Dionysia est en grand émoi. Le préteur Harpalus siège e.t juge suprême, devant <e Prytanée, entre le temple de Bacchus et la Basilique chrétienne. Car les cultes pat/c?M sont encore tolérés, ?!M~?-e conversion de l'Empereur au c/t)-M<M~<Me. (Trois licteurs ctm~cMt par le fond rhn.<p/ioro<, ~c ?~;c, droitc du ~rul'épée au côté. Ils se M[K~cn< avec lui, it consul.) DAMtS
Le
voici. Comme il
est paie ANDROCLm
Il est impassible. PHRYGIL'S
II
est atterré. cmoXtCE, appMt/ee ~Mp~M)' du
po)'c/
Je me sens défaillir. (Un murmure d'émotion parcourt la salle.) LEtIHRAI.T
Silence, sur la place. Le proconsul va parler! assis sur MK siège deprc/eM)'. Thcokiès, fils d'Agathon, tu ~.ais un des enfants privilégiés de cette ville, tu étais riche et libre, comblé des dons de l'esprit et de la fortune. Tu aurais pu devenir le premier citoyen de l'illustre Dionysia, que dis-je? un des grands de l'Empire, si tu avais voulu te soumettre aux deux pouvoirs institués par Dieu et qui gouvernent la terre: à César et à l'église. Ton père fut un noble magistrat, ta mère une femme pieusE. Mais ton âme perverse semble avoir été conçue dans l'antre d'une montagne sauvage, par une bacchante phrygienne et le démon de la tempête. Dès ton jeune âge, l'orgueil couvait dans ton UARPALUS,
cœur indomptable. Jamais tu n'as voulu courber ton front devant la croix du Christ, le maitre du ciel, ni devant les
augustes statues de César, le maitre du la cour de Byzance et refusé de rendremonde. Tu as fui hommage à l'empereur. Si tu fréquentais les temples payens, ce n'etait que pour y chercher des armes contre nous. Aucun dieu ne trouvait grâce devant toi. Misérable insensé, tu. voulais être dieu et César toi-même Tes qu'une longue conspiration. Pendant voyages n'ont été sept ans, tu as par couru le monde dans un dessein mystérLx et nul ne sait pourquoi. En Chaldée, en Égypte, tu t'es livré aux rites sataniques de la magie. Tu erré de la as tumultueuse Alexandrie à la vénérable Athènes, et tu es entré comme un ennemi dans Rome, la ville éternelle l'éternel pouvoir. Partout, dans les cirques fondée pour de~nle~ sous les portiques des philosophes, au foyer des mécontents, tu fomentais le doute, la lutte et la révolte. L'~1 de César, qui voit tout, te suivait; clémence t'éparsa gnait encore. Mais, après ton retour dans ta ville natale, quel est ton premier acte? Un crime monstrueux. On t'a vu, la nuit, avec un vase rempli d'un liquide infernal arrosé de ton propre sang, tracer des caractères sous la statue de César. Le lendemain, la ville entière saisie d'horreur et d-eiïroi, lisait les vers sacrilèges, signés: Harmodius! C'est pourquoi, moi, Harpalus, proconsul de César et ton juge, je t'accuse du crime Maintenant défends-toi et ne compte plus de lèse-majesté. que sur la pitié de César; songe que ta vie est dans mes mains. Regarde autour de toi! Vois ce tribunal hérissé de piques et cette ville consternée sur laquelle tu voudrais attirer la colère céleste. La Crosse et la Hache l'Église et la Cité t'accusent; César se lèvent contre toi; t'interroge. Réponds, "eponds, toi qui te nommes Phosphoros. PHOSPIIOROS
Je ne veux pas plaider pour moi 1 Comment je à défendre ma vie, lorsqu'elle dépend d'undescendrais mot tombé de tes lèvres, ou d'un geste de ta main ? D'avance je l'ai livrée à tes licteurs. Mais jusqu'à dernier mon je veux plaider pour ma patrie; je veux chanter souMe un chant funèbre en l'honneur de Dionysia! Toujours libre jusqu'à
il
=: E~=i~
=SË'
herc.ques, Dionysia fut l'alliée les temps depuis jour, ce Peuple-Rüi, mais non la sujette de du peuple qui se dit le
il.
librement qui
t-esrefusee ~'t Jules G~s~r, s'est et Alexandre pour \~ron ces mon~tres pecta son refus. Ni Tibère, ni ni Trajan, ni :\larc-Aurèle, faisceaux consulaires L~s voulu. l'ont ne ces sages les aigles des légions portes; devant inclinés nos se sont ton emvoulu réduire cette ville en esclaqui chrétien a pereur protéger son église. Plus (l'arde prétexte vage, sous de phalange sacrée. Dioplus phratries, de plus chonte, ~randeurs, de ses trésors'1 nysia a-t-elle rien disputé de ses déchue qui fut jadis Non; elle a tout donné, la pauvretout livré à César; ses guerrière et phythonisse, Elle a ses temples. Mais murailles, ses terres, ses maisons et autel, un lieu saint, un il lui restait un marbre immaculé, de femmes et de toujours paré de fleurs, de chevelures pouvait dire aux autres trophées d'adolescents. Dionysia à le vous, les richesses etlégions; cités de l'univers: à vous et le bruit des montagnes des l'or Moi, j'ai « vous, dernier-né a je veille à l'autel du gardé l'Espérance; car jaloux de « Ah 1 l'insatiüble César était dieux 1 » des « à jamais, il a l'Espérance. Pour l'empêcher de renaltre
.i~r,r. s-s~ ~h=si'r~~ ~=.?:
po~
A
de Dionysia, mère des Iléros et des
""s~.
l'aime
ne voulait pas Ce
cri,
qui l'ai poussé. Eh bien 1 c'est moi, le dernier de ses fi's, mon sang. Je renie 1 mourir avec ce nom .ous les autres, je les
préfère
itAUt' I.L'S
Tu en as dit assez pour
~ritcr ta coud.mnaticn
et
sont tes complices P trop pour ma patience. Mais .u pnuoi'n'jHL's
Re~rde cette Plût à Dieu que j'en eusse des fronts de conjurés Beet ces faces livides. Sont.ce ville muette
jouis-toi, Harpalus, et triomphe à ton aise. te braver. J'aurais des complices, si j'avaisJe suis seul à des frères d.ame.maisjen'enaipast IIAKPALUa
Tu en
tence.
as
et je veux savoir YO!X, dans
Écoute donc ma sen-
le Peuple.
Grâce t Grâce pour Phosphoros. LE HÉRAUT
Silence Écoutez le jugement UARPALUS
Par tes outrages à César tout-puissant tu mérité la mort. Je te dépouille donc de ton titreas cent fois de citoyen romain et te condamne à périr la hache des licteurs, par sur l'Acropole, aux pieds de César insulté, après avoir
été battu de verges devant tes concitoyens. (Murmures d'indignationdans la foule.) à moins qu'il ne se trouve un ami pour partager ton sort. En ce cas, César car c'est lui qui le veut ainsi la peine de mort en commue exil à vie chez les Scythes. Allons, Oreste, plaide ta cause, et si
voyons
tu as un Pylade.
DAMIS,
à Androclès et à Phrygius.
Je ne veux pas l'abandonner
I.
Harpalus, je suivrai Phosphores.
Si vous
ne tuez pas
PHRYGtUS
Malheureux Ne vois-tu pas que c'est consul pour découvrir les conjurés?2 un piège du proANDROCLÈS
Alors, frappons
) c'est le
moment
)
PHRYGIUS
Non-, les légionnaires nous
peuple ne
surfilent et le
Attendons. nous suivra pas.
LE HÉRAUT
qui veulUe suivre TheoE.t-U quelqu'un dans la cité klès en exil? Qu'il se montre!
~X~po~
fLM~oMCO~mMecM~po~~ Androclès,
p~J~< par ie
bras Damis et
à s'élancer.)
HA.RPAJ.US
prends à témoin que Citoyens de Dicnysia, je vous trouvé un seul ami Théoklès, l'ennemi de César, n'a pas Harmodms pour le suivre en exil. Allons, courage, Main.enant, licteurs, liez-le et invoque ton Génie. frappez. H~t mat~ de Phosphoros derrière son
~rST~~o~ P' (Les licteurs
dos, p-e'mMsemeHt court sur la foule.) pe~. Un
s'élance sur le trtr.~o~CE jetant sa cape et son tM~M. licteurs et s'écrie.
bunal, arrache les verges aux
proconsul et (Se tournant vers le
~i~'est personne p.rmi seul libre Arrêtez misérables
le
vous pour défendre le Cléonice de Dionysia, homme de la cité, moi, exil ou à mourir avec lui! suivre le e:. à suis prête je
~~t D-~po~ (Elle prend
ses la tête de Phosphoros dansliens. ses
Tout
le
baise monde
est interdit.)
un instant
.UOSPIIOROS
redresse et
Cléonice 1
Cléonice 1 quel baptême de feu est tombé
ma
c!'cfo~teMteH<-
sur mon front glacé par la mort? pour me ressusciter
H
fallait tes lèvres
(Grande agitation dans la foule, d'où montent des cris
grandissants.)
LA
Un miracle
MME
un miracle LE VIEILLARD ET LE JEUNE HOMME
Le Héros annoncé1 UNE PARTIE DE LA FOULE
La Vierge du désert ) UNE AUTRE PARTIE DU PEUPLE
Phosphoros Cléonice 1 Cléonice 1 Phosphoros TOUS
Un miracle! un miracle! Courons les délivrer!
tirant son épée. moi, ses frères 1
PHOSPHOROS,
Harmodius est vivant HARPALUS,
A
se levant, aux licteurs et aux légionnaires.
Frappez les coupables! DAMIS, ANDROCLÈS, PHRYGtUS
se jettent, le glaive nu, sur
Harpalus, au cri:
Mort au proconsul)..
(Harpalus tombe frappé à mort sur sa c~aMeeM~M~e.) PHOSpHORos,
qui est resté immobile, le glaive levé au ciel devant Harpalus.
L'âme de Dionysia se venge. Salue son Génie qui plane sur la cité.
"J'
!tAR)'AH;
p!,(isp))oro-ledernif'r!)~=di.'ux'(f~)
ff.M~));)f.n"<<
lcs (~M~M et les )'e~ou~e. Le cotps de IIarpalus cst cm~o)' de la chaise curule. C~oHtce ~e ~)<e dans les bras de Phosphoros. Ils restent enlacés au haut du prétoire. Un yo~ coup
dfC)/m6<e~'e<eH<t(, à gauche, derrière
la scène. LMamaK~
restent tMmoM<M, perdus l'un dans i'au~t;.) nAMis se
pfectptte sur le ~t'aK< de la scène,
Écoutez la voix de la cymbale 1 Les portes de la ville sont délivrées (Fanfare <&'ot~.) ANnROCLÈs, m~mc~u.
Écoutez la fanfare de joie sienne qui reprend l'Acropole
1
C'est
la phalange diony-
i'))KYGtUS,Mt''Mej'f:<.
Écoutez son écho qui se pro.onge 1 Demain, Dyrapolis s'affranchira du joug de Rome et de Byzance. C'est moi qui t'affirme, le fils de roi PUOSPHORO- se
dégageant des ~ra.! de Cléonice.
Sois libre de nouveau, ma Dionysia Que la fanfare de ta joie, que le flambeau de ton espérance bondissent de montagne en montagne, de cité en cité, par toute l'Ionie, par-delà la Grèce et la Propontide, pour dire au monde entier: « Les vieux jougs son brisés; il est un dieu qui trône au cœur de l'homme; un 2 joie immortelle jaillit de la terre) » (Le peuple forme un grand cercle autour de l'Agora. Les <)!4' conjurés se tiennent s!< m?<iCM.)
TOUS
Gloire à Ctéonicct Gloire à Phosphoros, archonte de
Dionysia!
Le 111'' acte se U'rmino par te mariage do Phos-
phores et de Cléonice, aux sons d'une fête dionysiaque, sous l'égide du nouveau Dieu Lucifer. Le IV" acte, qui se passe dans les jardins de l'Archonte, expose le retour hostile des puissances du jour, César et l'Eglise, contre le règne du couple luciférien. L'intérêt psychique du drame consiste dans la résistance intérieure que le héros et l'héroïne opposent à leur défaite. En vain, les ennemis de Phosphoros et de Cléonice cherchent à les désunir parce qu'ils sentent que cette union est leur force. Leur amour et leur foi deviennent de plus en plus intenses à mesure que le monde leur livre de plus furieux assauts. Anathème au couple maudit s'écrie l'évëque, suivi du peuple ameuté. (Aux diacres.) Jetez les torches 1 (Les diacres jettent les torches par terre et les foulent aux pieds.) Que vos vies soient foulées comme ces torches Que vos âmes s'éteignent comme ces flammes (1~ foule terrifiée se retire avec ~'ëe~Me et le moine. Le couple reste seul dans le crépuscule devant l'autel domestique.) «
Quel silence lugubre s'est fait tout à coup. La nuit tombe. et, comme un cercle immense, la solitude grandit autour de nous. Regarde ces torches éteintes sur le sol et qui fument encore. Sont-ce vrai-
ruospHORos.
ment nos âmes? Est-ce que tout est fini?
regarde les torches et frissonne, puis, d'Mne resolution subite, elle saisit la main de Phosphoros. Non 1 Tout D'un seul amour le monde recommence. peut renaitre, si c'est le grand amour. GLÉoNtcE
~c?!~ ~n.! ses 6?-a e< la M)-)-e contre Prouvons-lui donc qu'un homme et qu'une femme qui s'aiment à ta clarté d'une pensée immortelle peuvent brapftospnoROs
ver
l'univers!
nLÉoNicE.
Soyons le temple de la cité vivante!
Au V" acte, les époux bannis de Dionysia, arrachés l'un de l'autre par la tempête de la guerre civile, se retrouvent au temple du Dieu inconnu, chez leur maître, le mage Hérakiidos. La montagne étant cernée par les légions de l'Empereur conduites par l'Évoque, Phosphores et Cléonice, ayant évoqué leurs Dieux et consulté leur voix intérieure, se résolvent au sacrifice de leur vie. De leur exemple sortira un germe de force et de beauté pour l'avenir. Après avoir bu la coupe de la délivrance, ils tombent enlacés, au pied de l'autel, entre les deux sphinx. Ils meurent en holocauste de leur foi. Au moment où l'Évêque pénètre dans le temple du Dieu inconnu avec les légionnaires pour s'emparer du cadavre des hérétiques et les traîner aux gémonies à ce moment de lutte suprême, devant ce choc final des deux
puissances ennemies, l'Église impérialiste et la sagesse des Mages, dont les deux représentants l'étoile blanche de se rencontrent face à face Lucifer, ayant au cœur la. croix de feu, le signe du Christ apparaît au-dessus de l'Abîme, entre les deux sphinx. Alors Héraklidos dit à l'Évèque interdit devant ce phénomène (et ses paroles contiennent la pensée mère de ['œuvre et sa conclusion philosophique) C'est le signe des temps nouveaux. Ainsi se fondent et flamboient dans l'infini ces deux âmes transfigurées. «
Par son sacrifice, l'héroïque Amour a reconquis la divine, l'Ange rebelle a retrouvé l'Étoile perdue. sagesse Et maintenant, Évêque, au nom du Tout-Puissant <:
qui se manifeste, ramasse ta crosse et dire à ton peuple va ce que tuas vu au temple de la Vérité. Les vrais Héros y viendront allumer leur torche. Car une flamme inextinguible est sortie des enfants de Lucifer »
II.
La
Ce drame nous
tSûgMy
Gardienne.
transporte en France, treize
siècles plus tard, au début de la Révolution. Les grandes puissances cosmiques, les Dieux ne se manifestent plus dans l'humanité de la même façon qu'à l'époque du paganisme expirant et du christianisme naissant, en lutte avec lui. Ils sont plus voilés, mais ils sont toujours là. Ils agissent les passions des foules ils parlent par la voix sur des âmes d'élite. Les puissances ahrimanesques (destructives) grondent dans les masses, qui se
soulèvent sauvagement contre le joug séculaire do l'oppression féodale. Lucifer, l'excitateur, est vidans vant tous les esprits qui cherchent la liberté. Malgré le dogme, devenu trop étroit, le Christ agit à travers la religion et se reflète dans toutes les âmes éprises d'amour, de sacrifice et d'au-delà divin. Le sol de l'antique société tremble de formidables secousses. Un monde va s'écrouler; un nouveau monde cherche à naître. Le drame de la ~<BM?- Gardienne se passe entre deux âmes rares et solitaires qui flottent sur cet océan déchaîné, comme deux barques ballottées
Maurice de Kernoêt, le dans la tempête. gentilhomme breton, qui s'est battu en Amérique homme do traditinn avec Hochambcau, est un société nouvetle pataristocratique, qui r~ve une la liberté. En Lucile, sa d'mi-sœur, nature profonde et renfermée, tendre mais énergique, repad'esprit raît l'antique voyante celtique, saturée chrétien et spiritualisée par lui. Maurice est le fils de la première femme du être la fille comte de Kernoët et Lucile passe pour l'est pas, sa de la seconde, mais en réalité elle ne le chemère ayant eu une passion coupable pour valier de Trévern, dont elle est le fruit. Lucile et Maurice ne sont donc frère et sœur qu'en appaselon les convenrence, aux yeux du monde et le sang et la loi tions humaines, mais non par naturelle. Au I" acte, ce secret, ignoré de tous de deux, est révélé à Lucile par une abbesse, amieplus la famille. Elle le garde pour elle d'autant qu'elle a déjà senti naître dans son cœur un attrait dangereux pour ce frère à qui l'unit une profonde intimité, depuis sa plus tendre enfance. Elle décide son frère à épouser la comtesse Fuléprise de lui, et gence de Frémeuse qui est très main M. de a donner sa se décide elle-même à Saint-Riveul, un gentilhomme libertin et perdu de dettes. Elle préfère ce sacrifice au cloître, afin de de conserver son inMaurice et quitter pas ne fluence salutaire de « sœur gardienne. » Ces quatre personnages se retrouvent au II' acte, a Paris, dans le boudoir de la Duchesse amie de la Reine, le jour de la prise de la Bastille, entre quelques gentilshommes et plusieurs
dames de la cour. Les chevau-légers de la blesse française, chevaleresque mais aveugle,nopréparent au combat par des propos galants se avec baronnes et
marquises. On danse sur un volcan. Lucile, après une crise visionnaire, où elle a vu passer la Mort dans une glace, tombe évanouie sur un divan et reste seule avec Maurice. Par un hasard, celui-ci découvrira le grand secret qui bouleversera son cœur de fond en comble. Ainsi l'énigme de ces deux âmes va se révéler à elles, le sous coup de leur destinée tragique.
SCÈNE VIM MAURICE, LUCILE. On entend dehors le bruit des fusils tombant sur le pavé et la voix des patrouilles crosses de nocturncs qui échangent les mots d'ordre « o Pa~e !) e< Liberté « ». Des torches, qui passent dans la rue, jettent des lueurs d'incendie SM?'
les murs du boudoir.
MAURICE
s'assied, pensif et accablé, près de Lucile, qui dort
d'un profond sommeil.
Qu'est-ce encore? Des patrouilles qui passent. Elles échangent le mot de ralliement Patrie et Liberté Et moi? Suis-je libre? Ai-je encore« Patrie? s'est effondré autour de moi, il neune reste Tout me que Luette). 0 fleur suave, quel Dieu t'a fait bord germer de mon goun're? La tempête aurait-elle brisé la au diarose phane dont aucune abeille n'a fouillé le d'or? (Il se penche sur elle.) Mais que vois-je, un objet cœur caché dans son sein ? (Il retire du sein de Lucile un portrait en miniature et une lettre.) Le portrait de sa mère et son testament t (Il dévore la lettre d'un coup c<'Œ!7.) Que dit-it? Le secret douloureux de sa naissance. sa mère coupable. avec le
chevalier de Trévern Voità le secret qu'elle me cachait! Lucile, née d'une autre mère, n est pas la fille de mon père? Elle n'est donc pas ma sœurt Un autre sang coule dans nos veines. Quelle surprise, quel effroi et quelle joie étrange 1 Mais sous le secret de sa naissance, il y a le mystère de son cœur. Si je la rsveiUais. (Il la regarde.) Voilà que je n'ose pas. Elle m; paraît toute changée~ Un beau rêve glisse dans son profond sommeil. Réveillons-la comme jadis, quand nous dormions enfants dans les hautes bruyères. (Il pose à plusieurs reprises ses lèvres se redresse sur les paupières de Lucile, qui ouvre les yeur, lentement et jette autour d'elle de; regards étonnés.) Sais-tu où nous sommes? LUCILE,
A
encore dans son rêve, passe la main sur ses yeux.
la fontaine de Morgane. MAURICE
Non, à Paris. LUCILESCCOKe~<e~.
J'ai vécu des siècles dans un instant. j'ai traversé les espaces dans mon sommeil. Nous sommes dans un autre
monde.
MAUmC'S
Chasse tes visions, reprends tes sens, rassemble tes souvenirs. Un monde s'écroule autour de nous.La Bas-
tille est tombée! LUCILE, se
repretM)~ tout à fait.
Je le sais; mais qu'importe ce monde qui croule? H de barrières, nous rend plus libres. Plus de fers, plus plus de masques. Et maintenant, nous entrons en possession de notre univers, de celui dont nous rêvions depuis si longtemps. Je le vois qui se dcroule devant moi, comme,
du haut d'une montagne, une terre onduleuse sous un ciel sans limite.
MAURICE
Chère Lucile, je t'en prie, descends de ton ciel et reviens sur la terre. Ces vastes horizons, je voudrais t'y suivre, mais je ne les vois pas. Et qui nous guidera dans ces parages inconnus ?
LUCILE
Nos âmes unies et souveraines.(~t'ec un enjouement m~-
térieux.) Tout à l'heure, je rêvais que nous fendions l'océan sur ton beau navire hérissé de sabords et de canons. Les vagues se dressaient comme des montagnes. Mais devant mon désir tout s'apaisa. et dans l'aurore ardente. des terres vierges surgirent des flots. MAURICE
m'effrayes. Je consens à te suivre dans ton rêve, mais avant cela. je veux savoir le secret de ton âme que tu me caches. Tu me ravis et tu
LUCILE, effrayée.
Lequel ? MAURICE
Celui dont tu m'as dit avant ton mariage C'est un mystère terrible et sublime qui doit s'accomplir dans nos
vies.»
LUCILE se
lève, épouvantée.
Non, jamais plutôt la mort Sache que le mot de l'énigme prononcé par nous pourrait nous séparer pour
toujours
MAURICE
Eh bien, je ne veux plus vivre dans cette angoisse! LUCILE
Maurice, je t'en supplie
MAURICE
Lucilet sur mon âme, il faut que je sache tout) Nous sommes parvenus à la minute décisive de nos vies, a la minute qui peut enfanter une éternité de douleur ou de
joie.
laisse retomber ~Mr la chaise longue, le visage dans ses mains.) Eh bien, ce que tu ne veux pas me dire, je le pressens. Pour la première fois, je devine, je comprends. notre vie. Tout s'éclaire, l'enfance, la jeunesse, le présent, l'aveni)' tout resplendit d'un jour nouveau qui m'éblouit comme la foudrel. (Un silence. Il semble fouiller péniblement dans sa mémoire.) Oh ce souvenir révélateur Te rappelles-tu le lys rouge de l'étang? (A ce t?to<, Lueile relève la !e<e et suit d'MK (Bt~a~etrc! le récit de AfaM~ce.) Au fond du ])arc, où les ormes épais tamisent la lumière, il y avait jadis un étang, et, sur l'étang, une Là. sous l'ombre d'un grand cèdre poussait un glaïeul solitaire, un beau lys rouge. Le calice pourpré de la fleur hautaine éclairait comme un flambeau à trois flammes ce sombre lieu de délices. Que de fois nous fimes le tour de l'île dans une petite nacelle, en regardant la fleur étrange. Tu me disais <; Comme il brûle, le lys rouge 1 Mais n'y touche pas, il me semble qu'il y aurait du sang après tes mains.z~ (Lt<ct<e se
île.
LUOLE
Maurice
1 Maurice pourquoi me rappeler ces
choses?1
MAURICE
J'admirais la fleur comme toi, et comme toi je la désirais. Malgré toi, un jour, je sautai hors la barque et je cueillis le lys rouge. Tu poussas un cri. oh! ce cri, je l'entends encore. LUCILE
porte la /MM à
MM CŒM/
Et moi je sens encore ici la cassure de la tige. MAURICE
Je t'apportai le glaïeul tiamboyc.nt, d'un air de triomphe.
Tu le pressas sur ton cœur et me dis d'un air farouche « Tu as tué notre rêve. » En vain je voulus te consoler,
tu t'enfuis hors du parc dans la lande sauvage. Le lendemain, je te surpris dans ta chambre, la tête renversée sur ton bras reployé en arrière, comme le Génie de la Douleur éternelle. Le glaïeul déjà fané se mourait au fond d'un vase. Je tombai en sanglotant à tes pieds, mais tu fus impassible. Jamais je n'ai pu comprendre ce qui s'est passé alors. Si tu le sais, Lucile, dis-le moi. regarde devant elle, comme hallucinée. Il me semblait qu'en cueillant le lys rouge tu avais brisé la fleur de mon âme. LuciLE se lève et
MAURICE
Cette fleur n'est-elle pas à moi? LUCiLË,a:t!<;ce?t</tOMs)<Mme.
Oh 1 oui, tout
entière MAURICE
Eh bien, tes rêves d'alors sont devenus la substance de notre vie. Le beau glaïeul a refleuri. Le lys rouge jette ses trois flammes dans le cœur de Lucile. LUCILE, SM~b~Mec.
Tais-toi MAURICE
Écoute.
personne ne doit le savoir. je puis bien le murmurer à ton oreille. le grand secret de nos coeurs à jamais incompris des autres. Devant les hommes tu es ma sœur. mais tu ne l'es pas par le sang. Devant la Nature souveraine, tu es ma femme. devant Dieu toutpuissant, tu es l'unique Aimée Si
LUCILE
Arrête 1
Tu
vas blasphémer!
MAURICE
Les cris de l'âme sont-ils donc des blasphèmes ? L'homme est-il si loin de Dieu ? Des ange se sont-ils pas incarnés sur la terre pour aimer comme nous? Eh bien, oui, notre amour contient tous les amours; sœur, femme, amante, tu es tout pour moi, tu es ce que tu as toujours été, ce que tu seras à jamais, tu es ma Lucile 1
ne
(Il prend sa tête entre ses Mat' et l'embrasse sur les cheveux, sur les <empM, et puis sur les lèvres.) LUCILE,
Ah
le
immobile, se laisse faire comme en extase.
crime. le gouffre 1.
MAURICE,
1';
gouffre!
lui M-'H~a~t le médaillon et la lettre.
Non, ce n'est pas un crime, car tu n'es pas ma sœur!
cri de joie. Ah tu sais donc mon secret! Alors c'est Dieu qui me l'arrache LUCILE, avec
M?..
MAURICE
Tu m'aimes donc d'amour, toi aussi?`t LUCILE
Je vis de cet amour depuis que je respire, et mainteEmmène-moi où tu nant j'en mourrai avec déii:e! 1
voudras!
MAURICE
Qu'avons-nous besoin du vieux monde? Allons vers le nouveau. L'avenir est aux âmes héroïques et tendres qui s'unissent d'un pacte indissoluble. Un amour comme le notre peut conquérir un univers et en créer un autre. Nous avons plongé dans le gouffre, nous en sortons trempés d'audace. nous sommes le couple qu'emporte la tempête, mais en qui frissonnent et chantent les races futures. Allons par delà l'Atlantiquel
=~
LUCILE
Oui,
partons.
La terre est trop petite pour notre en maudissant. nous Un navire! un navire Sur l'Océan 1 sur l'Océan 1. (RMMMM~ et
cris dans <a
)'Me.)
MAUntCE
temps de fuir. Je vais faire atteler une voiture de me rejoindre coin au de la ruelle, près du club des Bretons. Uiliac te conduira; il vient avec nous. H est
poste. Tu viendras
~f&E K:=~.=~r~ LUCILE
Mais il faut me cacher sous un déguisement pour sortir d'ici. Lequel?
~r:s~~
ne me reconnaîtra sous ce domino. On me prendra pour dans sa main.) Masque de la Folie, peu sans frein. Sous lui, je ne suis plus Lucile, je suis l'Amante de Maurice dans un Nouveau-Monde (Elle met le masque, accompagne l'faurice jusqu'au fondde la scène et se jette à son co2t même moment, Fulgence entre par la porte de gauche
=~i'
Xo~
et les observe.)
MAURICE
d~n~ieU~pe~ dirons adieu à l'Europe 1
ivresse
1.
Bientôt nous
(Il sort.)
Suit une scène violente entre Lucile Fulgence. Celle-ci, qui ne sait rien du secretet de la famille Kernoët, n'a pas deviné la passion sourde et terrible qui couve dans le cœur de Lucile et de Maurice. Elle ne sait pas que, frère etsceur~lon 12
l'irrésistible atfi
la loi sociale, la loi de nat.re et à l'amour. Elle nité de leurs âmes les enLraine vient d'une s'imagine que la froideur de Maurice Lucile sous intrigue avec la Duchesse, et, voyant de celle-ci, la prend le masque et le costume cruels pour la Duchesse et l'accable des plus Lucile, cramreproches. Pour ne pas se trahir, de
la cheminée dans une attituded'inle torrent défense, laisse tomber sur sa tête déclare qu'ellee vectives, sans répondre. Fulgence le maudit avec Maurice pour toujours et quitter va celle qui le lui arrache. son c~ur Quand elle est partie. Lucile sent crochet », flèche à double déchiré, « comme d'une ((Sachez qu'on ne Fulgence de mot par ce fLme 1 » fonde pas le bonheur'ui la mort d'une les bras de dans jettera pas Lucile Non, ne se fugitif ne pourrait prospérer couple Maurice. Le suivrait de t autre, qui les malédiction la sous tourmente e s'écrie Lucile Furie. comme une n'est-elle enveloppe, de la passion, qui déjà nous P~n~esteuel-ame?.8ije deviens sa femme, gardienne 1 » Sur ce, les plus serai sœui sa je ne patriotes en haildes Bastille, la de vainqueurs de piques, envahissent fusils et de armés lons, femme masquée l'élégant boudoir, et, priant la somment pour la Duchesse, l'amie de la Reine, la tribunal de les suivre. Ils veulent la traîner auLucile Mais se du peuple, l'Hôtel de Ville. reconnaissent leur forcenés les et démasque Une femme clament-ils. es-tu? « Qui erreur. comme vous qui veut mourir pour son amour, Subitement radouseriez morts pour la patrie 1 »
ponnée
La
cis par ce mot d'amante héroïque, les insurgés laissent passer l'inconnue qui n'a pas peur de leurs piques. Et Lucile sort avec ce cri « Au cloître 1 Au cloître » Le 111° acte de la &BMy Gardienne nous ramène dans l'atmosphère primitive et enchantée de la Bretagne, où de vieilles superstitions et des phénomènes troublants ont revêtu de poétiques légendes les plus profonds mystères de l'âme. C'est à la fontaine de la fée Morgane, où le premier baiser, innocent encore, de l'adolescent Maurice, le baiser sur les paupières de Lucite endormie, a rendu celle-ci <( voyante» en lui révélant le secret de la vie; où Lucile, en ouvrant sous l'azur ses yeux aussi profonds que ,lui, a révélé à Maurice le mystère de l'immortel Amour c'est là que se dénouera la destinée de la sœur gardienne. Elle ne peut se décider ni à entrer au cloître, parce que là il lui faudrait tuer jusqu'à la pensée de son amour, ni à fuir avec Maurice, qui l'a rejoint malgré elle et dont le navire tout
prêt l'attend dans la crique, parce que ce serait marcher sur le cœur de Fulgence. Elle mourra donc, près de la source hantée, qui donne la mort lorsqu'on y passe la nuit. Mais cette mort sera féconde (IV" acte). Elle rendra Maurice à Fulgence, à leur devoir, à la patrie et l'âme de la sœur gardienne continuera à planer sur eux. Ainsi se vérifie, en cette histoire, une parole de Lucile qui est la cristallisation de son expérience vitale « Chaque dme est une peM~e <~ Dieu qui a pour flambeau son
6!OM/ »
III.
L<foMa~ de Vinci.
Changement de décor. Nous sommes dans l'Italie du xvi° siècle, en pleine Renaissance. La lutte entre le paganisme et le christianisme, qui domine l'histoire, depuis plus d'un millénaire, éclate ici dans le domaine de l'art. Mais avec lui et à travers lui, elle remue tout l'être humain, elle agit sur le tréfonds des âmes. Ici, les deux génies, l'hellénique et le chrétien, sont mêlés et confondus dans chacun des deux protagonistes, dans l'homme comme dans la femme, mais diversement dynamisés. Léonard, génie universel, est partagé entre l'Art et la Science, mais, malgré son génie sublime et son intuition merveilleuse, il préfère la Science, voulant tout expliquer par la seule raison. Il lui sacrifiera l'Amour, par orgueil, et par suite perdra son génie. Monna Lisa porte aussi en elle-même les deux mondes, le païen et le chrétien, l'ivresse de la vie et de la beauté avec le culte exalté de l'amour, le sens du mystère, l'aspiration infinie. En elle surgit la Femme, toute la Femme, prête à éclore, déjà consciente, l'Eternel Féminin en armes, avec sa fascination, ses ruses et ses charmes, son enthousiasme et sa magie: sa redoutable duplicité. Douée de tous les pouvoirs d'attraction et de séduction qui sommeillent dans la Femme, cette quintessence de la Nature, elle se sent capable «
de tout le Bien
avec l'Amour
de tout le
Mal
sans lui
»
Mais elle penchera vers l'Amour
par la hauteur de son intelligence, pourvu qu'elle rencontre l'homme capable de faire vibrer toutes ses cordes, un homme assez grand pour qu'elle puisse l'aimer de toutes ses puissances, conscientes et occultes. Cet homme, c'est Léonard. Seule, cette cime de neige, qui recouvre un volcan et d'où s'échappent des jets de flamme avec une sombre fumée, pouvait fixer et subjuguer une âme comme la sienne. Et lui, quoique attiré elle comme par aucune autre femme, fasciné vers l'énigme ensorcelante, par le mystère des par tères, il sera sur le point de l'aimer mais mysil ne l'aimera pas. Il se refusera l'Amour l'orgueil par de sa science hautaine qui ne peut le pénétrer, par sa crainte de l'inconnu, du gouffre de la passion. Et justement, par ce manque de courage, par cette crainte du grand Amour, où l'homme abdique et se perd momentanément pour renaître plus grand, Léonard perdra son génie. Car le génie n'est que la fleur suprême et la conscience de l'Amour. Tel est le fond du drame psychique qui joue se entre ces deux êtres. Passant par-dessus les incidents du premier et du second acte, qui amène le rapprochement graduel du peintre et de son modèle inimitable, l'enchevêtrementfatal de leur désir et de leur volonté, jusqu'au défi suprême qui met en jeu leur existence, nous arrivons à la scène capitale, où les deux adversaires déploient toute leur force. De ce choc impétueux, de ce duel des deux sexes, il ne peut résulter qu'une fusion totale ou une rupture violente.
SCÈNE. VI LÉONARD, MONNA USA. Elle entre par le fond, s'approche de Léonard et pose ~gerow~t la main sur son cpa«<e. LÉONAKD h'MMJMc, se M))f. f<
la
M~ar~
S~fMCe.
Je croyais que vous ne viendriez plus. Ha.\1
Ai-je tardé jamais une minute au rendez-vous? t.ÉONARt'
Jamais. Je pars ce
Et vous pitrtfz toujours demain'1
L~
soir.
LÈo~A): e~'a;/f. Ce
soir? LHA
Il le faut. Mon mari. Ginccndo, t'exi~R LF.O~AKU.
OCCf!
ima~e,je Alors, un dernier coup de pinceau à votre partie, je n'osera) plus vous en supplie. Quand vous serez y toucher.
USA, <r<m~M<~<; CM
ap~~tCt',
~'u'te roLE
~OMC(.
Comme vous voudrez, mo~ ami. eAd(Fa~aMMo, qui est e)~'e cfWMM par haM~, dt~o~ scène. Lisa prM~ ~c.a!< 7M~~< de la et les deux iemen< sa pMe.)
~{
LÉONARD,
assis, peignant.
Lisa, il faut vous le dire aujourd'hui je n'ai jamais connu d'heures pareilles a celles où mon pinceau a mystérieusement évoqué votre visage. Depuis des mois, vous êtes ma pensée intime. Les grands soucis de ma vie ardente et compliquée ne sont qu'apparences et fantômes devant cette réalité profonde, inéluctable, éternelle. (Un silence.) Et ne trouvez-vous pas que ce portrait est notre enfant, une création commune, où tous nos songes, toutes nos pensées, se retrouvent dans un mystère inexplicable ?2 LISA
Oui, un enfant bizarre qui se moque de ses père et
mère et qu'ils ne comprennent plus qui nargue ses parents éphémères. LÉONARD,
un enfant immortel
brusquement.
Lisa, tournez vers moi vos yeux. que j'y plonge mon regard une fois encore. après y avoir tant plongé 1. Il manque quelque chose à ces prunelles. Je n'ai pas rendu l'éclair lumineux qui sort de ces étangs noirs. (Il se lève à demi) et ces cils ne sont pas assez fins. et cette gaze qui couvre le front n'est pas assez légère. et les fossettes aux coins de cette bouche ne sont pas assez profondes. (Il se lève comme fasciné par son (BMwe.) Mais maintenant, voyez, cette poitrine se soulève sous son voile sombre. (Il recule comme e~rat/e.) Il me semble que j'entends battre le cœur, sous cette gorge mystérieuse et parfumée. (Il s'approche de Lisa avec une terreur me~e d'adoration.) Et pourtant ce cœur puissant n'est pas sous la toile. il est là vivant et impénétrable )1 sourit sans quitter son attitude passive. Avez-vous deviné l'énigme au moins? USA
jette sa palette et ~M pinceaux sur la table dans un mouvement de désespoir. Non, elle ne le sera jamais Quand je suis seul en
LËONAKU
face du portrait, il me semble que je la tiens, mais dès que vous êtes là, tout se brouille. Un nouveau problème s'ouvre dans un de vos regards, dans ur~ sourire, dans une parole tombée de votre bouche. Finissons ce travail et ce supplice auquel je vous soumets. Je ne veux plus même effleurer cette image. Elle vit déjà trop, et l'achever est
impossible silence. Léonard replace les chaises dans un coin avec le tableau, qu'il yecoMp~; d'tfM voile.) (Lisa se lève
en
LÉOXAR')
Profitons de notre dernière soirée. (Il la prend par la MatH el la conduit vers un ~a~tc de marbre placé près de la msMOM. Ils s'asseoient ~'MH p''e.! de l'autre.) LÉONAR!) D
Que de fois, unique amie, nous fûmes assis à cette place, prêtant l'oreille aux bruits mourants de la ville endormie ou contemplant la splendeur somptueuse des soirs. Que de fois nous avons vu la nuit pâle chasser devant elle le jour aveuglant et déployer l'écharpe de la voie lactée comme une aurore de l'infini 1 Il y eut des minutes, Lisa, il y eut des heures où les derniers voiles étaient tombés devant nos regards confondus. Dans ces rares moments, nous avions résolu le grand problème. L'être n'avait plus de mystère pour nous; nous vivions, nous respirions à son centre. four notre chaste et merveilleux amour, le temps n'était plus, et déjà commençait
l'éternité.
LISA
C'est vrai, Léonard, tu m'as ouvert un superbe royaume. Ta science, ton art, ton génie. LÉONAUD
Et tu m'as donné le tien
ton rêve immense, ton désir
sans bornes, ton sûr pressentiment.
Et, de ces deux royaumes confondus, nous avons fait monde, dont les un nouveau portes s'ouvrent sur le ciel. LÉONARD
finir. s'effondrer en seul jour?. Tout cela, demain, n'existera plus?. Ceun monde infini doit crouler dans le néant? L'éternité de lumière sombrer dans le torrent des jours ténébreux, qui dévore toute Et tout cela doit
chose ?
LISA
Depuis un mois, je la sens venir, cette heure, avec le pas lourd de l'implacable destin et j'attends que son glas funèbre ait sonné la mort de notre amour. (On entend l'angélus sonner au clocher d'une église lointaine. Tous deux l'écoutent en frissonnant.) LÉONARD
Est-ce vrai? Est-ce possible que nous soyons séparés? USA
Oui, et pour toujours. à moins, Léonard, que tu n'aies
un suprême courage.
Lequel?
LÉONARD
LISA
Écoute. Cette félicité, cette force, ce pouvoir que nous entrevîmes par heures, par minutes, nous pourrions les posséder à jamais. et, de ce passé qui s'effondre, construire un avenir sans bornes. Bravons tout et unissons nos destinées. LÉONARD
Quoi! Tu abandonnerais pour moi ta famille, ton héritage, tout ?
USA
Que n'ai-je déjà quitté en penitée pour toi?. Mon Ame t'appartient si complètement qu'en te livrant mon corps et ma vie je ne donnerais plus rien. LÉONARD
Lisa, ne me tente pas! USA M
rapproche e< met la
?Ms~t
sur son bras.
Sache donc où j'en suis. (D'M~e 'Mou; étouffée et sourde.) Mon mari veut mon retour à tout prix. Depuis que je suis à Florence, chez ma parente, d.3s espions rôdent autour de ma demeure et suivent tous ir.es pas. Demain, ce seront peut-être des assassins, si je désobéis à Giocondo. Peutêtre verrai-je venir le monstre lui-même, réclamant ses droits. le marchand de taureaux, le Minotauret. (Elle ~'s)'t'e<e un instant, sM~~Mee, puis reprend d'une voix éclatante, le visage MOHc!<He~o!Ctranslucide.) LISA
Eh bien, ces obstacles, ces menaces, ces fureurs, je les foulerais aux pieds, le jour ou Léonard me dirait à la face du monde t Je t'aime et je suis à toi » Ce jour-
1.
là, nos ennemis n'existeraient plus. Reptiles honteux, ils rentreraient sous terre devant la splendeur de notre
amour LÉONARD
Mais ta vie à Florence ne
serait plus
Bure ?'7
USA
Nous irions ailleurs. Que ce oit à Milan, à Naples ou à Rome, ne trouverons-nous pas partout notre patrièl LÉONARD
Le gouffre 1. Tu veux
m'entraîner au gouffre
Non,a!avraicvie)
ISA
LEONARD
Ecoute, Lisa. Un jour, dans les Alpes, j'ai pénétré dans le vordâtre labyrinthe d'une caverne profonde. Je marchais en tâtonnant au milieu des ténèbres épaisses, me heurtant aux stalactites. On entendait, au fond, le fracas épouvantable d'une chute d'eau. J'éprouvais un double sentiment de désir et de peur. Le désir me poussait en avant, le désir de savoir quel était ce gouffre et ce qu'il y avait au delà. Mais une peur égale me retenait, la peur de tomber dans l'abîme. Une sueur froide coulait de tous mes membres. Eh bien, en ce moment la caverne, c'est
toi
Et qu'as-tu fait?
LISA LÉONARD
A
la fin, j'ai reculé. LISA
Tu as manqué de foi. Si tu avais trouvé, par-dessus le gouffre, où l'eau furieuse se précipite, la trouée éblouissante au haut de la montagne, le bleu du ciel, la lumière du jour 1 Malheureux
LÉONARD
Tu crois ?`j LISA
J'en suis certaine. Ecoute, bien-aimé. Les marins de Sicile racontentque, parfois, dans la tempête, ils aperçoivent une île vêtue de soleil et d'azur. Les vents et les flots mugissent à distance mais elle nage, calme et radieuse, dans son cercle enchanté. Des temples surgissent de ses ombrages, des flambeaux brûlent sur ses degrés et des couples enlacés y montent. Mais, pour y parvenir, il
faut traverser le gouffre de la tempête. C'est à cette ilc que je te convie! LÉONARD D
Tu veux l'oubli de tout dans le vertige du bonheur?'f (Il ôte sa toque et passe sa matM sur so)t Oh 1 non, Léonard.
/'<'oK<.)
LISA
(Elle pose une main sur ~'ep~tde de Léonard et, de l'autre, entortille doucement sa gaze ?Mtr<' aux cheveux )'oMj; du maMye.) LISA
Je veux la vie ardente dans l'amour créateur.
mon magicienne? `? nommée ta beau magicien, ne m'as-tu pas Chacun de nous est fort à lui scu] dans sa sphère unis, une nous serions invincibles. Ne soyons qu'une force, ?A)) seule pensée. Qui donc résisterait à sa double magie si tu veux, l'univers est à nous Tes disciples seront les miens, nous moulerons des âmes avec nos âmes confondues et centuplées. Nous créerons, non plus seulement dans le marbre et le bronze, mais dans la chair vivante avec le soleil du sourire et l'ëctair du regard. Alors nous entrerons dans cet amour, dont la flamme dévore toutes les flammes et emplit l'infini! Oh
(La ville de Florence apparait p~s dM(HM<cmeH< dans le fluide doré du soleil couchant. De ;ya~ds nuages accumulés sur l'horizon s'f!t/!ammeH<depoM)'pr? cramoisie.) LÉONARD, se
dégageant, fait un pas en arrière et s'c'cne, les bras e<eMd'~s.
Ivresse et beauté suprême Arrête, Lisa, je t'en supplie Car, si ces bras se referment sur toi, ils ne se rouvriront plus
t.
USA, les mains jointes, s'acf<nc<; doucement vers
Oh mon
Léonard. enfin
<Mt.
FARFANIKIO, paraissant
au fond. Un envoyé du Grand Conseil est là qui demande le maître en toute hâte. (Tous deux tressaillent. Léonard frappe du pied. Lisa fronce le sourcil.) LÉONARD,se reprenant.
Qu'il vienne! LU SEIGNEUR
FLORENTIN. Il
s'arrête
haut de l'escalier, sous
NM
l'arcade centrale de la loggia.
Léonard, on t'attend au Grand-Conseil pour savoir si tu veux tenter l'essai du vol. La Seigneurie ne peut délibérer jusqu'à demain. Songe qu'il y va de ta science, de ta gloire et de ton crédit auprès de la République. LÉONARD
Pardon, messire. je viens avec vous. Une minute encore. j'ai un mot à dire à cette noble dame. LE SEIGNEUR
C'est bien, j'attends. Mais fais vite. (Il se retire dans le jardin, suivi de
.F<M'<MtMo.)
LISA
Léonard, je t'en supplie, ne tente pas cet essai sacrilège, et partons ensemble! LÉONARD
Impossible.
La patrie, le devoir, la science ordon-
nent. J'obéis. LISA
Ton orgueil te perdra.
LÉONAHD
Ce sont mes ailes qui
m'.ippetknt. N'essaie pas de me
les couper.
LISA A
Alil je voulais
t'en donner d'autres et de plus grandes! LÉONARD
Entre les deux, il faut choisir. Et j'ai choisi. (Cy'epMMt~e.)
L)SA,a))ccK.'teMm~'en;M~tM. Adieu donc. Mais sache-le, ent:*e le ciel où je voulais m'élancer avec toi et l'enfer qui me guette, il n'y a rien de commun. Une barrière infranchissable les sépare a jamais. L'un est aussi vaste et aussi clair que l'autre est profond et noir et aucune rcute ne mène de l'un à l'autre. Moi, je vais choisir enhn ) LÉONARD
Que veux-tu dire1 LISA
m'obsède et toujours je l'ai repoussé. Sais-tu maintenant ce que je vais faire? Descendre avec lui dans ce gouffre que tu n'oses braver. et plonger jusqu'au fond, pour me perdre à jamais. et pour t'oublier Il y a longtemps que ton élève Ruggiero
LÉONARD fait
un geste de re'pM~ton ca'My. A
Ah 1 le
paf'.
serpent dans la femme! USA
Eh bien, qu'en dis-tu?'{
e<
porte la main à son
LÉONARD,
Fais ce que tu
calme, avec une profonde tristesse.
veux. tu
es
libre.
(Il s'assied, pose un coude sur la table et met la main devant ses yeux. Lisa l'observe d'un œ!< aigu. Tout à coup il relève la tête et sort de la poche de son habit une lettre cachetée de rouge.) LÉONARD
J'oubliais, Lisa. Prévoyant cet adieu, j'avais préparé pour vous cette lettre. Je sais qu'elle n'acquittera jamais la dette que j'ai contractée envers vous mais voyez, le cachet est en rouge, comme si elle était scellée du sang de mon cœur.
LIS A.
C'est étrange, Léonard, comme nous nous ressemblons jusque dans l'adieu suprême. Moi aussi j'avais préparé une lettre pour vous, dans le pressentiment fatal que ce serait notre dernier revoir. (Elle sort de son sein une lettre cachetée de noir.) LÉONARD
Le cachet est en
noir. LISA
Comme mon cœur de veuve. LÉONARD
Mais puisque vous allez revivre, pourquoi cette funèbre ?'1
couleur
LISA
Jurez-moi sur l'âme de votre mère de n'ouvrir cette lettre qu'après ma mort 1 LÉONARD
J'espère mourir avant vous. Mais puisque vous l'exigez,
1.
Cette tetire ne me quittera plus. (Il la met je le jure dans son vêtement, sur sa po!<rMe.) A votre tou'. jurez-moi de n'ouvrir la mienne que le jour où vous Jouterez de
moi.
USA, amère
et hautaine.
Alors, soyez tranquille. Ce cs.chet ne sera pas rompu. (Elle glisse la lettre dans MH eo~a'/e.) Moi, j'ai cru en vous, mais vous, vous avez douté de iaoi. Puissiez-vous ne pas vous en repentir FARFAKIKtO, ap~arSMMt~ ait
fond.
Le seigneur ne veut plus attendre. LÉONAHD se ('CCe.
Adieu, Monna Lisa. ((Il lui baise ~OH~MettteHtla m'KH. E~ )'e<eMM( la tête, il veut effleurer la joue de Lisa.)
l'arrête du regard et lui serre froidement la main. Adieu, messer Léonard. LISA
(Le seigneur
/!o?'eM<Ht
apparaît ait fond. Ils partent en-
MNt&~e.)
Le IV° acte est le plus dramatique de la pièce. Il représente la mort de Monna Lisa, au milieu de circonstances tragiques qui font jaillir, en une seule gerbe, toute sa vie intérieure. Nous n'en
relevons que l'essentiel. Après avoir été dame de compagnie de Lucrezia Crivelli à la cour de Ludovic le More, puis réfugiée chez une parente à Florence, enfin repoussée par le maître auquel elle voulait donner sa vie tout entière, ta Joconde est revenue chez son mari
Giocondo, qui habite un vieux castel dans les Ce maremmes. riche marchand de bétail été a surnommé dans le pays le Minotaure, de son caractère sauvage et de ses mœurs brutales. Le père de Monna Lisa l'a vendue à cet homme. Elle s est enfuie du foyer conjugal après la nuit de noces, mais de loin Giocondo première n'a cessé de poursuivre et de m~acer sa femme dans l'espoir de reprendre sa proie. Et voici que Lisa a résolu subitement de rentrer dans l'antre du Minotaure. Elle s'y est décidée l'influence de Sidonia, la fille de l'Alchimistesous devenue riste et sa confidente. Versée dans la sa caméscience des philtres, celle-ci a préparé un poison mortel que Monna Lisa fera boire a son mari après s'être livrée à lui. Ainsi elle héritera de la grande fortune que Giocondo lui lègue Monna Lisa frémit d'horreur alFpar testament. pensée de ce stratagème dégradant, mais elle éprouve une sorte dejoie amère à profaner ce à tuer cette âme que son maître adoré si corps, cruellement méa prisés. Elle veut que le crime de l'amante contre elle-même atteigne le dédain du maître. Ce sera sa vengeance. Elle n'a pu connaître « tout le Bien elle connaîtra tout le Mal avec 1 Amour sans lui.. Et qui sait si, redevenue riche et puissante par son crime secret, elle ne ramènera pas à ses pieds le maître orgueilleux, pour l'accabler de son mépris? Tout est prêt pour le crime. Dans la chambre à coucher du vieux castel, dont le balcon la sombre maremme, où les chevaux donne sur bondissent avec les taureaux, Monna Lisasauvages se tient 13
du lit a colonnes Sidonia près complice sa avec s'accomplir l'affreux torses et à baldaquin. Là, doit sacrifice do la femme exquise et raftmée au plus exécrable des monstres de luxure. Cet holocauste qui est le prélude nécessaire de l'empoisonnement doit suivre. Sidonia a versé le lourd vin de Sicile savamment intoxiqué dans une coupe de cristal sur une et l'apporte à sa maîtresse qui la pose crédence. Jusqu'à cette heure, elle a réussi à tenir loin d'elle le monstre qui l'assiège. Mais l'heure du rendez-vous terrible approche. Giocondo va venir, et seule la Madonette qui veille dans sa niche, à la lueur d'un lumignon, sera témoin de la suivie scène qui va se dérouler ici horrible orgie d'un crime. Ne faudra-t-il pas qu'elle se change amado'. ;r le monstre et en Loen Messaline pour custe pour le tuer? Sidonia lui conseille de se revêtir de sa volonté comme d'une armure d'écaillés, pour devenir aussi froide qu'un serpent. Mais pourquoi Monna Lisa plonge-t-elle un regard mélancolique par-dessus le balcon pour dans montrer à Sidonia un cygne resplendissant la douve profonde du château? Il dort, immobile, plumes de nichée la tête noir, ses sous l'étang sur neige, aux rayons de la hine. Le cygne est l'oiAutrefois il hantait ses seau chéri de la Joconde. rêves ardents comme un divin messager. Depuis qu'elle a connu Léonard, elle voit dans le cygne onduleux, immaculé, le symbole du génie du maître. Et, comme elle est un peu magicienne, suggestion ses vicomme elle sait imposer par sions aux autres, elle a persuadé à Giocondo, dans
un moment d'épouvante, que l'oiseau merveilleux veillait sur elle et qu'il faudrait tuer le gardien magique pour pénétrer dans l'alcôve de la femme. A quoi servent maintenant ces chimères?
Monna Lisa est restée seule. L'heure fatidique
sonne au clocher du donjon. En mêmetemDs retentit un coup d'arquebuse suivi d'un rire diabolique. Lisa regarde par la fenêtre et voit le cygne aux ailes fracassées se débattre aux pieds de la tour. Giocondo l'a tué, moitié par superstition, moitié par bravade, pour que la dernière barrière était prouver à sa femme tombée entre lui et proie. sa
un coup de foudre, la mort du cygne découvre à Monna Lisa qui se passe à cette ce heure dans le fond de son être et ce qui fait frêmir au loin les ondes de l'Invisible. Une brusque révolution se produit dans son âme, qui fait monla surface l'arcane de vie. Elle se ressaisit tout entière, en s'écriantsa Comme
~=' S°. ter «
Le cygne de Léonard
1.
le sang de son cœur Est-ce Est-ce que j'ai cessé de t'aimer?
Mon cygne aimé, ta mort m'enseigne mon devoir. Arrière il faut choisir entre le crime et la mort. Je choisis la mort doucé et glorieuse. dans sa main.) Non, il n'est pas mort ton génie,
Léonard. Elles sourient et m'appellent dans leur suave éther, nos heures divines; ton grand amour, je vais éternelles vont commencer. Me devenue l'Immortelle, l'Epouse partout présente,voici la Victorieuse qu'on peut éviter. A travers les flammes du ne couchant tueux. le cygne nuptial. avec sompdernier son chant. t'apporte le premier baiser. le sourire de
en~Iec~q~~ "~r"~
~co~e.
s'étend sur le Elle vide la coupe d'un trait et Giocondo, flambeau. brûle duquel un lit près plus qu'un qui entre à ce moment, ne trouve l'ombre de la corps inerte sur lequel plane déjà Mort. pourrait s'appeler l'expiation et la V acte LG 1maître rédemption de Léonard. Il nous montre leprofond, d'un remords accablé de malheurs, ronge abandonné de ses protecteurs et de presque tous l'atelier délabré de Milan, où le dans élèves, ses faîte de l'opulence et ~acte nous l'a fait voir leaufolâtre et tendre Farde la gloire. Son page, Disciple, fanikio, ainsi que Lieto son plus intime le sculCarRuggiero lui sont seuls restés fidèles. de son maître, l'a trahi et rival le devenu pteur, acharné vainement a s'être après fou, devenu est L'Alchimiste Ba obtenir l'amour de Monna Lisa. au milieu de thazar est mort de froid et de faim, pendant le sac de Milan. Sa fillee cornues, ses Sidonia, persécutée par 1. Saint-Office sous préréfugier dans se sorcellerie, est venue de texte la nouvelle l'atelier de Léonard. Elle lui apporte fut témoin. elle de la mort de Monna Lisa dont maître. MainteC'est un coup de foudre pour lequ'il a perdu dans ce nant seulement, il entrevoit forts qui luttent de cette femme. Mais il est des ces grandes douleurs le jusqu'au bout et qui font résurrections. Mûri par creuset des grandes suprême sagesse du l'épreuve et parvenu à la la morte renoncement, il s'exalte a l'exemp de donnant portrait. En ~imée, immortalisée par son filleule Jéromine à Liéto, qui sera mariage sa en disciple ce qu'il n'aa réalise son il pour Corrège, le v
l'Amour créateur par pu accomplir lui-même la fusion parfaite de deux âmes.
Résumons les idées générales qui dominent ces trois œuvres et ont guidé l'auteur, à son insu peut-
être.
Les deux puissances cosmiques opposées, qui construisentl'univers dans leurs luttes, le font et
le défont pour le refaire à nouveau, le transmuent dans l'alchimie des mondes, sous l'éternel chatoiement de leurs métamorphoses Lucifer et le Christ, la Science et l'Amour, le Désir et le Sacrifice, le Daïrnôn révolté et le rayon direct de Dieu planent sur ces trois drames, s'y équilibrent et s'y combinent diversement. Ainsi les Dieux y sont présents. Ils apparaissent extériorisés et visibles dans les _E'M/6~ de Luci fer. Ils se meuvent, invisibles, au dessus de la SœMy Gardienne. On perçoit le sourd grondementdes forces ahrimanesques et lucifériennes dans le bruit qui monte, comme un tonnerre souterrain, des masses populaires. On entend aussi des voix surhumaines dans les hymnes religieux qui bouleversent l'âme de Lucile et dans le murmure insinuant des génies de la lande qui l'attirent dans leur royaume. Dans Léonard de Vinci, les Dieux dissimulés parlent plus qu'à travers les tempêtes du cœur ne et dans ses combats avec l'orgueilleuse raison; mais ils sont toujours présents. Dans son prochain drame, La Druidesse, l'au-
teur du Thédtre de l'Ame a l'intention de mettre
perd sa en scène la prophétesse gauloise, qui
voyance par l'amour passionnel qu'elle voue à son héros. Il essayera d'évoquer, dans toute sa profondeur, le génie celtique en lutte avec le génie romain, sur la Gaule druidique expirante, mais annonciatrice d'un monde nouveau. Tel est le cycle pathétique créé par Edouard Schuré, avec une persistante et remarquable vidiragueur de pensée. Théâtre de philosophe, riche t-on. Sans doute. Mais œr.vre dramatique en émotions profondes et en visions émouvantes.
CHAPITRE It
LE POÈTE
L'oeuvre poétique d'Edouard Schuré n'a pas l'importance de son œuvre théosophique et drama-
tique. Elle apparaît, souvent, comme un délassement du penseur dans les jardins fleuris de la sensibilité. Il ne semble point que la critique ni les fidèles lecteurs du théosophe aient l'habitude d'accorder à ses livres de poèmes une attention particulière. Il y a là quelque injustice. Sans doute, Edouard Schuré demeure-t-il par excellence un poète en prose. Mais pour accomplir, dans une lumière plus complète, le tour de son âme et mieux comprendre son talent, il importe de ne pas négliger, au moins, l'étude de La vie mystique et de L'Ame des temps nouveaux. Parfois, l'intimité du penseur s'y révèle et s'y abandonne avec une sincérité plus immédiate, plus émouvante et comme plus naïve.
On a dit, en termes excessifs, que Schuré n'apparaissait que sous « un aspect étriqué », dans ses poèmes rimés on a avancé cette critique en invoquant cette idée singulièrement fausse les imaginations de cette richesse et de cette ampleur répugnent a se resserrer dans le moule étroit du vers. Allons donc Le vers assoupli, multiple, enrichit et amplifie la richesse et l'ampleur des grandes pensées. Ce n'est pas dire qu'elles ne
peuvent s'en passer Bossuet, Chateaubriand, J-J. Rousseau, Michelet et 1 enthousiaste écrivain que nous étudions nous apporteraientdes preuves illustres que la prose a des ailes, de larges et fortes ailes, qui emportent la pensée jusqu'au sublime. II est indiscutable que le prosateur des Grandes Légendes de France ctde tant de lumineuses pages des Grands Initiés et de tant de chaudes évocations des Sanctuaires d'Orient est un lyrique. Le poète qui a rimé les Chants de la Montagne, La Vie mystique et L'Ame des temps nouveaux est un lyrique aussi et même il prend rang parmi les mieux doués des poètes lyriques. Il est un des versificateurs inspirés qui appartiennent à cette haute tradition poétique où Lamartine et de Vigny furent des initiateurs et des maîtres inégalables.
Sans doute, la recherche artistique des rythmes ou peu séduit; mais il nouveaux ne l'a pas y a en ce visionnaire un dilettante qui a conduit le penseur vers la musique des rimes. Et le poète en p~ose s'est récréé à écrire en vers. La poésie rimée d'Edouard Schuré a un carac-
tère général qui n'est pas sans originalité elle est à la fois, peut-on dire, sentimentale et ésotérique, moderne et païenne. Dans cette œuvre poétique, une vision panthéiste des phénomènes de la vie, du moindre au plus gigantesque, se combine avec une singulière puissance d'abstraction et l'anime. La poésie, certes, est en toute chose elle est aussi dans l'idée pure l'entité. Pour le privilégié qui possède le don d'imagineret celui d'élargir le domaine de la vie, l'entité elle-même devient vivante et
s'humanise.
Voilà les thèmes poétiques qu'illustrent abondamment les deux principaux livres de poèmes d'Edouard Schuré, où il ne faut pas chercher les grâces faciles et les mirages de la rime pour la rime. Ce n'est point charmant; c'est large, solide, majestueux quelquefois, enthousiaste toujours. Une telle bonté du cœur, de telles aspirations de la pensée soutiennent l'allure classique de la forme, si bien que l'expression même est communicative de la riche vision intérieure.
La genèse de la formation poétique d'Edouard Schuré appartient à trois sources essentielles sa vie intime et intuitive la recherche et la découverte de l'âme supérieure et religieuse des peuples, de l'âme visionnaire des êtres d'élite; enfin et peut-être surtout l'influence passionnelle et révélatrice du cœur et de l'esprit lumineux d'une femme, dont on doit dire qu'elle fut la femme
inspiratrice du grand découvreur d'Ames qui écrivit, en une vision magnifique, Les Grands Initiés. Nous l'avons déjà opportunément Indiqué, Marguerite Albana Mignaty fut celle qui révéla a l'écrivain le sens profond de sa pensée. Mais le poète et l'artiste furent plus vivement émus encore par la présence créatrice de cette amie exceptionnelle. Certes, les thèmes de ses livres de poèmes sont divers. En ses premiers recueils Les Chants de la Montagne et ZaZeyeK~ec~e l'Alsace, le poète avait compris et chanté avec un patriotique enthousiasme les âmes des pays robustes et pittoresques où ses regards d'enfant et d'adolescent donnèrent à son âme le3 premiers transports lyriques. Son âme a été pénétrée et exaltée par le ventetles parfums de la forêt, suHes versants vigoureux des montagnes. Et il chante
F.XFOtÈT
Ils règnent fiers et grands dan' la montagne austère, Les vieux sapins géants qui croissent en forêt t Marche et pénètre au cœur de leur noir sanctuaire Et l'arbre sombre et fort te din ton secret. Là, sous le dais d'un ciel splerdido et pacifique, Se prolongent sans fin leurs verts arceaux ombreux, Le soleil joue en paix dans le~r couronne antique Et frappe en Dechesd'or leurs tuts ))L'uics, vigoureux. recueil a été pnDië en t8%, à la librairie Sandoz et Fischbacher. 1. Ce
Salut, rois invaincus des hauteurs virginales! Oui, la jeunesse en vous circule par torrents, Vous aimez vous sentir frissonner aux grands hâles, Quand sous vos rameaux verts fermente le printemps, Non, vous ne croissez pas dans les ravins vulgaires, Dans les riches vallons, sur les gazons soyeux; Dans le désert sauvage, où pleurent les bruyères, Vos faites vont humer l'azur fonc6 des cieux. Vous couronnez ces monts de votre mâle souche, Et point de pics si hauts, de rocs assez ingrats, Où debout sur l'abîme et sous un ciel farouche A tous les quatre vents vous n'ouvriez vos bras. Et lorsque l'un de vous, seul, roidi sur sa roche, Tombe aux coups de l'orage, il tombe le front haut, Il tombe comme un preux sans peur et sans reproche, Et des gerbes de fleurs lui font un gai tombeau.
Comme un roi dans sa pourpre il dort couché dans l'herbe, Il dort calme et puissant de son dernier sommeil Il a dans sa forêt poussé libre et superbe, Il a vécu cent ans d'air vierge et de soleil.
Mais s'il fut d'abord un poète pittoresque et, quelquefois même, idyllique et pastoral fond du bois, Rossignolette Dans les branches a soupiré, Sa vive et longue chansonnette Dans la forêt morte a vibré.
Au
Sa vive et longue chansonnette
Sans réponse encore a jailli, Pourtant Pervenche et Violette Sous le bois mort ont tressailli..
s'il fut descriptif, et même élégiaque, Edouard Scburé mit en œuvre toutes ses qualités mûries,
toutes les richesses picturales de son observation et de son talent, plus tard, dans un beau livre en prose, débordant d'émotions et de charmes Les Grandes Légendes de 7'Va~cc, dont nous avons noté déjà la couleur et la séduction. Le recueil de poèmes où la conscience poétique d'Edouard Schuré témoignB qu'elle a trouvé son atmosphère vivifiante et la source de son renouvellement fut publié, en 1874, sous un titre qui est l'expression concrète et heureuse des manifestations et des aspirations du poète La Vie Mystique. Il est si vrai que le poète demeure un théosophe sollicité par l'ésotérisme le plus fécond et le plus émouvant, qu'il écrivait lui-même cette confession, au seuil de ce livre J'avais d'abord songé à donner le titre de Confession ~t<j'Me à ces poèmes qui sont t'expression fragmentaire d'une vie intérieure, en ce qu'elle a de plus profond et de plus intense, et d'une com.cicnce retrouvée en son centre. Je lui ai préféré celui de Vi's m~<t~MC, parce qu'il en spécifie mieux le caractèredominant. Nous avons tous en nous une vie cachée, une conscience secrète, une seconde vue et comme une âme supérieure, parfois inconnue de nos meilleurs amis et souvent méconnue de nous-mêmes, mais qui, en vérité, surveille et dirige nos destinées. Elle souffre, elle vit, elle lutte pour son propre compte, et, si elle parvient à se dégager, c'est presque toujours indépendamment de notre vie extérieure et a l'encontre de l'écrasante réalité. Si nous l'écoutons, alors, lentement, mais sûrement, elle nous conduit à la lumière, à travers l'initiation douloureuse. Si nous la trahissons, elle ne nous abandonne qu'en pleurant. C'est cette âme, dont j'ai entendu la voix toujours grandissante, depuis les mystérieux appels de la jeunesse jus-
qu'aux solennels commandements de l'âge mur, qui parle et s'affirme dans ces pages lyriques. La vie mystique qu'elles respirent n'est point celle d'un ascète poursuivant l'Au-delà en dehors et au-dessus de la vie terrestre, mais d'un homme cherchant la Vérité à travers la vie du cœur et de l'esprit. A chaque pas il rencontre la souffrance, l'incertitude, le mystère, jusqu'à ce qu'il saisisse un rayon de cette Vérité qu'on nomme le surnaturel et qui n'est que l'arcane de l'Ame, sa vie intérieure et immortelle luisant au plus profond de l'homme, et qui est aussi quelquefois la vie divine faisant irruption dans l'atmosphère magnétique de la terre. L'aspiration à la vie spirituelle à travers la vie passionnelle, voilà ce que racontent ces fragments, effulgurations involontairesdu cœur ou lueurs subites jaillissant du grand Inconnu. Ils s'arrêtent au moment où cette âme, ayant traversé ses plus grandes épreuves, s'efforce de s'arracher à la vie personnelle pour s'associer à celle de l'Humanité sous l'égide du Divin, reconnu dans son ordre hiérarchique et dans sa puissance organique. Les poèmes qui terminent ce volume, à savoir La
Légende bouddhiste, L'ËpfeMfe de Pharaon et Empédocle, ouvrent une échappée sur ce monde entrevu. Comme les fragments lyriques, ils sont nés au hasard des voyages et des émotions de la vie. Un lien secret, une pensée géné-
rale les unit cependant. Car ils font vibrer tous les trois ces cordes mystérieuses de la Lyre qui joignent le Visible à l'Invisible tous trois, en leurs modes divers, ont pour objet la conquête graduelle de la personnalité divine dans la personnalité humaine; tous trois enfin essayent de pénétrer, sous le voile de la légende ou du symbole, dans les vérités transcendantes, dont l'univers offre à nos yeux la réfraction prismatique,mais dont la pure lumière ne se trouve qu'au foyer de l'Ame et dans le temple de l'Esprit.
Sans doute, ces trois poèmes
La Légende bouddhiste, L'Epreuve du Pharaon et Empédocle 1, que désigne lui-même l'auteur, sont-ils 1.
Voir La VieMystique (Perrin et C'° éditeurs), pp. 145,163 et201.
intéressants en ce qu'ils traduisent symboliquement l'émotion faite d'anxiété et d'exaltation qui anime le poète en face des alliances mystérieuses du Visible et de l'Invisible; mais nous aimons à retenir plutôt quelques ccnfidences d'une âme qui, quoique préoccupée par les phénomènes transcendants de la vie, a gardé toute sa tendresse et toute l'ardeur première de ses impressions. Nous rencontrons, en effet, dans La Vie Mystique, des pages où le poète chante, sous le titre La Muse d'Eleusis, les souvenirs d'un radieux voyage en Italie, de ce voyage qui fut pour lui comme un lever d'aurore sur le chemin de sa pensée. Et nous retiendrons de telles pages avec une émotion particulière ÉVOCA'nON
C'est la chambre secrète ut le doux sanctuaire Tendu de pourpre sombre où vit son souvenir, Fermé comme mon cœur à tout regard vulgaire, Temple adoré, d'où rien ne saurait la bannir. Sur la stèle de marbre une lampe mystique, Que porte gravement le sphinx emblématique, Eclaire l'oratoire et brûle nuit et jour Près d'un trépied d'airain où flambe une torchère. Ainsi brûlent en moi la Flamme et la Lumière, Le feu de la Douleur, la lampe de l'Amour. Brûlez sur ce trépied, brandies, entrelacées De l'aulne et du laurier entouras de cyprès; Parfums aimés par Elle, allumez mes pensées Sur les charbons ardents des remords, des regrets, Afin que vers son âme, amoureuse prêtresse, S'élève en tourbillons l'encens de ma tendresse.
J'ai posé sur l'autel un flot de cheveux noirs Avec ce frais bouquet de rose et d'asphodèle. L'air exhale un parfum qui flottait autour d'elle Quand ses yeux s'attristaient dans la beauté des soirs,
Et de ses fins cheveux ma lèvre inassouvie Sent monter peu à peu la moiteur de la vie.
Voici l'heure suave, oh l'heure tant aimée, Où le brun crépuscule éteint l'azur des flots; La rougeur du couchant sur ta vague charmée Danse encore et répond au chant des matelots. Comme une épouse lasse en son ardeur première, La mer, à ce dernier baiser de la lumière, S'enveloppe d'un voile et pousse un long soupir. C'est l'heure de l'amour et l'heure du mystère, Où la cithare en deuil se remet à frémir, Où des limbes du cœur
remonte un souvenir; C'est l'heure où nos deux mains laissaient tomber le livre Dont la lettre évoquait les mystères passés, Pour écouter celui dont le regard s'enivre Quand se lève le vol des désirs insensés; C'est l'heure où s'allumaient des splendeurs non pareilles Dans nos yeux dilatés par leurs ravissements, Où nos âmes plongeant dans leurs propres merveilles L'une à l'autre s'ouvraient comme deux firmaments. (Evocation.)
Oht longs soirs prolongés, après le crépuscule, où l'âme se recule A la grande fea~tre Dans son passé lointain, ou plonge en s'effrayant Dans l'avenir obscur comme un vague océan. Muets, nous regardions cette plaine sans bornes, Où dormaient des troupeaux pâles, aux fines cornes, Et l'Erèbe confus, le noir horizon creux De la fauve campagne et du ciel ténébreux. Elle songeait dans l'ombre et ses grands yeux solaires Ne jetaient plus sur moi que des lueurs stellaires.
Pourquoi donc entre nous toujours grandissait-il, Le voile imperceptible, ondoyint et subtil ? Pareilles à l'essaim des âmes angoissées, Se glissaient entre nous de lugubres pensées, Mais de mon cœur montait le frisson augural D'un souvenir sacré, profond, immémorial. Et je tremblais devant l'auguste Messagère. Car c'était de nouveau la divine Etrangère, La chaste Propbantide au péplos violet, Cette apparition qui jadis s'en allait A l'ombre des cyprès, grave e~ silencieuse, La muse d'Eleusis, vierge
my-tcrieuse!
(Le Voile d'Isis.)
Tel apparaît, élevé et mystique, le sentimentalisme de la poésie d'Edouard Schuré. Mais les divers aspects de sa physionomie poétique sont plus définitivement affirmés dans son dernier livre de poèmes, le plus important et le plus complet, le plus achevé aussi, qu'il a intitulé Z/i~ïe des Temps KOMDM'M.x Ce recueil, dont l'unité fait un livre qui appartient, par la conception, à l'unité générale d~ l'œuvre ce livre de poèmes lyriques est subdivisé en cinq chapitres où nous reconnaîtrons lo-i cinq thèmes principaux et constitutifs du tempérament et de l'œuvre, aujourd'hui réalisés, d'Edouard Schuré. Le premier chapitre Cris de Désir, contient une dénonciation vigoureuse des tares de l'âme contemporaine et de larges espoirs en son ressaisissement. 1. L'Ame des Tentps noM'MMr (1909).
Perrin.
Librairie académique
Et voici la vision du passé alliée à celle de i avenir dans un esprit et un cœur ardemment français! Le poète rêve de gloires nouvelles Et de beautés retrouvées pour sa patrie triomphatrice des avilissements. II écrit, alors, Le Navire, A la France, Les deux Aigles, L'Aigle dans le Vent, poèmes souvent cités et déclamés, et aussi ces vers simples où, clairement, se résument les deux idées volontaires de toute le passé, voir dans l'avenir son œuvre voir dans IDÉAUSME
Que le présent est vide et combien peu je l'aime Ses brillantes couleurs pour moi sont sans attrait Car pour l'ardent songeur le paradis lui-même S'il l'avait devant lui bientôt flétrirait. se L'avenir, l'inconnu, quel foyer de lumière, Quelle aurore éternelle à notre œi! ébloui 1
Le présent c'est le jour, superbe, épanoui, Mais ses flèches de feu détruisent le mystère. Le passé se revêt comme soleil un couchant De flocons orangés, de fleurs violacées, De nuages éclos sous le ciel éclatant
Qui sur leurs ailes d'or balancent nos pensées. Splendeurs du souvenir, qui ne vous connaît pas? Et voilà les seuls dieux qui dirigent Nous sommes ces grands fous qu'unnos pas. vain espoir enivre, Nous gaspillons la vie en songes superflus; Nous ne savons chanter, aimer, souffrir et vivre Que pour ce qui va naître et qui pour ce n'est ptus
~rc,
Le chapitre deuxième de L'Ame des Temps nou-
a pour titre Roses (Intermède), le comme si poète se plaisait à trouver sur sa route sentimentale
une oasis
habitée par les soui4
que nous l'avons venirs de son cœur. Mais, ainsi préoccupations de la déjà observé, la vie et les la pensée accompagnent et pénétrent toujours de cet tendresse ou la frénésie, en toute œuvre écrivain hanté par les mystères de 1 âme. de la sensiCependant, un aspect peu connus'y abandonne, bilité d'Edouard Schuré s'y révèle, naïfs et ardents, tels poèmes, des lisons et nous que celui-ci BLANCUMS KUSM KUUGES ET ROSES
sursaut, Parfois quand tu bondis de ta couche, en arrière, Rejetant, au réveil, tes boucles en comme un roseau, Dans mes bras te sentant plier souple et fière. Je couvre de baisers ta nuque bruns cheveux, Ils tombent au hasard parmi tes à tes yeux Ils courent follement de ta boucheplus me dire, Et tes seins palpitants ne peuvent trouble et leur délire. Sous l'ouragan de feu, leur de désir, Flammes, charbons ardents, ô baisers s assouvir Plongeant dans l'muni sans jamais
t.
d'ambroisie Et tu me dis, buvant ces torrents cramoisies. c Je sens pleuvoir sur moi des roses embaume, Mais quand le soir te verse un nuage fermé dormir. Ton œil
»
Sur ta gouzla tu vas silence, Laisse filtrer souvent une larme en adolescence. Au souvenir lointain de ton posent sur tes cils, Mes lèvres doucement se percent les pistils. Comme l'abeille aux fleurs où invisible caresse, Et, comme un flot d'amour, s'épanche ma tendresse. Dans ton âme d'enfant purs et doux, 0 suaves baisers, 6 sanglots quand vous pleurez en nous. Le ciel frémit dans l'air
Et je sens bien alors qu'à travers ta paupière Tu bois comme un nectar mon âme tout entière Et tu me dis, pâmée et pâle de bonheur Je sens tomber des roses blanches dans
mon cœur.
»
Une épigraphe significative est inscrite sur le frontispice du troisième chapitre, que le poète a
dédié A la Muse (Evocations); cette épigraphe est signée d'un nom que nous avons évoqué et cité maintes fois, avec dévotion, au cours de ces pages. Il nous semble que la pensée exprimée ici domine et illumine les plus hautes recherches psychiques et tout l'ésotérisme d'Edouard Schuré La Vérité n'apparaît à l'homme que deux fois, dans l'amour et dans la mort (Marguerite Albana). C'est pourquoi il convient de lire, curiosité, plusieurs poèmes de ce chapitreavec qui illustrent la psychologie du penseur et renseignent véridiquement, en des chants souvent lamartiniens, sur les sources profondes de son œuvre. LES
AILES PERDUES
Quand tes bras m'enchaînaient près du lac ténébreux, Sous la nuit fulgurante aux torches éternelles, Quand mon cœur palpitait au dard de tes prunelles, Quand je vivais captif dans l'orbe de tes Je m'écriais parfois « Des ailes 1 oh desyeux, ailes «
« « « «
Des ailes,
pour franchir ces bois et ces sommets. Loin du lac endormeur aux berges parfumées Par-dessus les forêts et leurs sombres armées, Hors du puits noir des monts, oh n'irons-nous jamais?1 Des ailes 1 pour voler. Des ailes, mon Aimée »
Oui, des ailes, enfant, vagabondes, « Je saurai t'en donner, des ai.es réponde,
Et tu me répondais
«
« Pour qu'à mon fier amour ton libre essor ailes pour planer au Soleil triomphant, <[ Des «Des ailes pour franchir les cimes et les mondes
nourris-toi de mes yeux, ondes languissantes, Bois mon souffle et savoure 3n nuit, mes étreintes puissantes. Dans l'amoureuseregard et mes bras et mes feux Mon souffle, mon grandissantes! » «Font pousser, mon aiglon, tes ailes
Mais maintenant, enfant,
De quel regard vainqueur Et tes bras me pressaient. purpurine; Tes yeux noirs me lançaient l.t flèchepoitrine. gonflait ma De ton souffle brûlant se
enchanteur Puis, lassés, nous tombions d'un sommeil ravine. Sous les pins embaumés qui gardent la
miracle d'amour. avions des ailes t En rêve. nous planions. et nous hirondelles, Lésers comme la plume au flanc des séjour, Laissant la torche rouge au ténébreuxéternelles. Nous montions aux clartés des voûtes
0 merveilleux sommeil,
ô
monts enchevêtrés, nos pieds, le lac noir, les des cimes La terreur des glaciers, le silence abîmes, Auguste et solennel et, du fond des éthérés, Sous l'incantation des astres sublimes. Les âmes s'élançant vers les routes A
enlacés doucement Suspendus l'un a l'autre vol fier ou languide, Nous fissions, nous rasions, d'un splendide, Les plaines, les forets, le firmament Bercés, dans un voluptueux balancement, l'Atlantide. Des cavernes de l'Inde aux p.cs de
Jusqu'à ce qu'un vent chaud, fouetté de frais embruns, Nous laissât retomber, en chutes successives,
Loin des vents alizés, aux vastes perspectives, Sur notre lac dormant, dans le nid des parfums, Où la torche d'amour Hamboyait sur la rive.
Lors, assouvi d'espace et non de ton amour, Ruisselant de sueur, chancelant de vertige, Sous les grands pins massifs, où le désir voltige, Près du flambeau mouvant qui brûlait jusqu'au jour,
Mes regards dans tes yeux découvraient des prodiges.
J'y voyais tout un monde, un nouveau firmament, Des crépuscules bruns et de pourpres aurores, D'autres astres avec leurs faunes et leurs flores. Mais toi tu murmurais mystérieusement Comme le vent qui glisse aux aiguilles sonores « «
« « «
Des ailes, mon aiglon, oui, je t'en donnerai, Des ailes pour voler, des ailes vagabondes, Des ailes par-dessus les plaines et les ondes, Des ailes par-dessus la mer et la forêt, Des ailes pour franchir les cimes et les mondes)
.Et voici, je suis seul, dans cet âpre vallon
Des
Alpes.
Mon Aimée, au
x»
lointain cimetière Dort du sommeil profond du marbre et de la pierre. _.Son sépulcre est sur moi. Plus d'aigle, plus d'aiglon Dans ce gouffre sauvage, où stagne la lumière. Sur mon front, la montagne et son flanc déchiré Plus bas, les éboulis des moraines voraces Que vomit le chaos des neiges et des glaces Dans l'abîme, sous moi, le chant désespéré Du torrent qui gémit et clame vers l'espace.
Un cortège insolent apparaît, sous le bois,
d'histrions aurire.,uvenile, Qui blesse ma douleur de sa~test/'rile. De femmes,
Spectres de mes pèches, est-ce tous qu.'j.'votEt vous, masques portes dans ce n)ondef~ti)e?
Plein de honte, je songe à t:t ncble fierté, Amante, Muse ardente, 6 femm.; surhumaine. Nul masque n'a jamais terni ton front de reine Et ton œil ne dardait qu'Amour et Vérité, Quand il fixait sur moi sa flamme souveraine.
Là-bas, rosit la cime aux flammes du couchant, Baiser de la lumière aux neiges éternelles. C'est la cime qu'en vain ont tenté mes échelles Comme un sang d'agonie a rou~i son penchant. 0 Muse, où sont, où sont mes ailes? Et je m'écrie «
»
I.
Et sa voix comme un souffle t–Ah) souviens-toi de mo) ~oufîres ténébreux en vain tu vagabondes. « Aux flans le cœur profond qu'est la force profonde. « C'est t'ai donné l'Amour sans borne avec la Foi « Je Des ailes pour franchir les cimes et les mondes! » «
l'.iMOHTAUTFAt'HUX
Lnrcp.a.rd~rncoupda.ite! Derrière nous des mondes
Ktde\!jmtnousrEtermtft T!<;
~t/ïtï~xe.
l'éternel Amour, si le Soleil des âmes L'un pour l'autre jadis a. voulu nous couver, errâmes Si
De cycle en cycle, hélas) que de temps nous
En nous cherchant sans nous trouver
Peut-être me vit-on, muet et sombre esclave, Aux jou) des Pharaons, d'un désir plein d'effroi
Lever mes tristes yeux sur ta forme suave Qui marchait sous le dais des rois. Ou
bien, Gaulois bouillant de force et de jeunesse,
Aux plages d'ionio en nu temple cg.irc,
Frémissais-je devant l'orgueilleuse prêtresse, Courbé sous ton geste sacre. Qui sait? Peut-être aussi, séductrice languide, Me versas-tu l'amour et la mort d'un regard, Dévorée à ton tour par la flamme perfide, Le jour où tu m'aimas trop tard. Mais, au dédale obscur de
tant de renaissances,
D'un même éclair enfin nous nous sommes élus Maintenant nous avons mélangé nos essences, Que rien ne nous sépare plus
D'un seul coup remontant à la source des choses,
Par l'amour souverain d'où jaillit tout essor, Nous avons vu le sens de nos métamorphoses Et le but d'un si vaste effort.
tombant du ciel sur nos âmes jumelles, Fit de nous un seul être en son torrent vainqueur. Nos âmes ont senti croître et frémir leurs ailes Au contact brûlant de nos cœurs. Le feu,
Soleils d'éternité, grands jours que nous vécûmes, Vos rayons embrassaient le passé, l'avenir, Océan convulsé d'innombrables écumes. Le zénith rejoint le nadir. Si tu me précédas dans l'invisible empire, Où d'un plus pur éclat scintille ton flambeau, Sa lueur, qui m'appelle, est le ciel où j'aspire
Bien
loin. par delà le tombeau.
Oh! contempler à deux les subHmes mystères Que nous cache ce monde au voile tortuetM, Dans les chœurs infinis monter de sphère en sphères. D'un vol calme ou tempétueux.
Vivre en l'Ame du Monde. ensemble s'y repaitre, Nous mirer, nous baigner dans les rayons des Dieux, Et plonger éperdus à la source de l'Etre.
Connaître ce coup d'aile à
deux!
Et si, nous unissant à la céleste armée, Nous devions, pour créer, affronter le chaos.
Eres palpitera dans l'éternelle Aimée, Psyché vibrera dans Erôs!
Dans mon cœur refluera ton âme inassouvie Comme un torrent superbe au gouffre tournoyant, Et tu seras le souffle, et tu seras la vie De
mon verbe en flamme ondoyant.
Ainsi Brahma s'unit à la Maïa céleste Sous un voile semé d'étoiles et de Dieux; Tandis que l'univers émane do hur geste, Ils se respirent dans les cieux. Mais
peut-être. lassés des délicss profondes
D'un ciel où l'on ne sait que jouir et rêver, Nous nous dédoublerons, comètes vagabondes, Pour nous perdre et nous retrouver! <.
LR Itf.VE DE
L.\ MUSH
caressait la mer immense et tiède, J'étais assis, tout seul, sous l'épiisse pinède, Près du sable d'argent et du liquide azur. Son ourlet blanc ceignait, conteur mouvant et sûr,
Le matin
En golfes successifs, en courber, gracieuses, La mer eéruléenne aux nappes vaporeuses. Dans la gloire de ce miraculeux matin, Le pavillon du ciel se lustrait de satin. A peine réveilles, les monts lointains et pâles
Dressaient leurs blancs sommets sur leur croupe d'opale.
La résine embaumait le papillon flâneur, Et la brise parfois soupirait de bonheur. Le rythme de la vague, ivre de somnolence,
Eparpillait dans l'air une douce indolence.
C'était un matin vierge au souffle vaste et pur; Des flots d'argent pleuvaient des gouffres de l'azur. Les yeux mi-clos, éblouis de jeune lumière, J'attendais. j'écoutais les voix de l'atmosphère Et celles du dedans. Sur le sable brillant De la plage, où frangeait l'écume en scintillant, De très loin, j'aperçus une vapeur fluide Qui se roula vers moi d'un mouvement rapide, Puis, voilant le ciel bleu de brume et de fraîcheur, Me fit
une prison d'éclatante blancheur.
Et, debout devant moi, mais hors de mon atteinte, Je vis Mélidonis en péplos d'hyacinthe, Un cercle d'or au front. l'Amante de jadis. La Muse de toujours. la Femme d'Eleusis. Ame nouvelle infuse à sa forme ancienne Et flamboyante, sous sa robe élyséenne.
Elle me souriait. Rayon des vastes cieux, Une divine joie illuminait ses yeux.
Son bras d'ambre élevait dans l'air un caducée, Qui semblait chatoyer aux feux de sa pensée. Les vivaces serpents et les ailes d'azur Projetaient leur lueur dans le nuage obscur. Savante, elle y traçait des cercles, des spirales, Où passaient en fuyant des formes fantômales. Je vis se succéder, en groupes ravissants, Des ascètes pensifs, de fiers adolescents, Des femmes aux longs yeux, des rois et des athlètes, Des couples enflammés et de pâles prophètes. Ils passaient décevants. J'eus voulu les saisir, Déchiffrer leur énigme et sonder leur désir; Car ils avaient une âme et ne pouvaient la dire. L'un me montrait son glaive et tel autre sa lyre. Leurs regards me disaient « Ne nous connais-tu pas?'1 Nous vivons de ton souffle~et nous suivons tes pas.
Délivre-nous enfin. dis-nous notre mystère; Car nous errons sans but au monde élémentaire. )) Alors ~L'didonis, au ffcptrc rayonnant: <(- Vois <'es)~'<tcs de l'air.Us ont peur maintenant, Et, comme des amants itonteuT, sous les eliarriiilles Ils se cachent. ce sont nos fils, ce sont nos filles, Enfants de notre rêve, et de nos longs désirs Nos doux embrassements, nos larmes, nos soupirs Ont, dans l'éther astral qui roule autour des mondes, Gerbes de feu, semé ces formes vagabondes.
premiers cris d'amour et r
transports sacrés Leur ont fait ces grands fronts et ces yeux d'inspirés, Et nos sueurs d'angoisse et no', belles tortures, Sur leur tempe ont bouclé leu:'s tendres chevelures. Le jour où je franchis les portas de la Mort, Dans l'immense royaume, où tout rentre, où tout sort, J'ai vu leur pâle essaim, dans un essor superbe, S'élancer, mais en vain, vers le soleil du Verbe. Pauvres êtres qui n'ont ni gu.de ni foyer, Et sur qui nul regard ne vient s'apitoyer 1 t Oh 1 l'étrange Mais moi, l'interrompant t aventure! chères créatures Je les reconnais bien ces Jadis, quand je tombais d'extase à tes genoux, Parfois leur jeune essaim voltigeait près de nous; Et leurs bras enlacés en guirlandes humides, Leurs fronts mystérieux ou leurs regards languides Me poursuivaient la nuit de Icjrs dards lancinants, Les revoici plus beaux 1 Enigmes fascinants. Leur visage marie, ineffable tï.élange, Nos
os
La Bacchante à la Muse et le Démon à l'Ange, Comme en de clairs miroirs, chatoyants, lumineux, Leurs traits nous multiplient; nous revivons en eux
Pourtant, dit-elle, vois leur bouche inassouvie. Toi seul peux leur donner le souffle avec ta vie! «
mon souffle?. Oui, pour eux tu l'auras. Venez donc, chers enfants de la Muse, en mes bras. Si déjà mon désir vous laissa !;on empreinte, Vous trouverez enfin la voix dans mon étreinte » «
Ma vie avec
Je dis et m'élançai vers eux d'un geste fou. M.lis le nu.ige en feu se brouilla tout à coup, Et, connue sous te vent se déchire la brume,
L'ardente vision, en floconneuse écume, Se noya. Je revis ta mer et ses flots hteus, Et la plage déserte et les monts ondulcux, Et debout, près de moi, sous le cèdre immobile, Au soleil ascendant, Mélidonis tranquille. Enfant 1 Fils du Désir, Sévère, elle reprit <t Non, ce n'est pas ainsi que tu pourras saisir Ce peuple aérien en sa nattante orgie. Il y faut la Science, il y faut la Magie Les évocations dans les rites voulus Et les cercles tracés et les temps révolus, Le douloureux effort, les veilles, l'insomnie, Le feu d'enthousiasme et le sang d'agonie. Qui sait? Pour incarner ce peuple en devenir, Sur terre plusieurs fois devras-tu revenir. Et, quittant notre ciel sublime, 6 mon poète, Replonger dans le gouffre où sévit la tempête. C'en est trop 1 m'écriai-je. Ah pourquoi ce labeur Qui dévore la moelle et qui ronge le cœur? Ces ombres du passé, ces larves valent-elles Les rayons de ton âme aux clartés immortelles? Adieu, masques trompeurs, adieu, fantômes vains; Un seul de tes regards, de tes gestes divins Vaut ce peuple effaré qui frémit et qui tremble. Revivons si tu veux, mais revivons ensemble su «
Mais Elle, grave
« Nul n'évite un sort choisi.
tout puissant désir, un destin nous saisit. Comme la graine d'or, dans laterre lancée, Rejaillit en épis, de même la pensée Regerme au monde astral, rose pâle ou lys pur, En pétales de pourpre, en calices d'azur. Ce n'est qu'après avoir fait tomber et descendre Dans le cœur des humains ta flamme avec ta cendre, Ce n'est qu'après avoir fait parler et splendir Les filles et les fils de notre grand désir, A
Que nous pourrons sans crainte épanouir nos ailes,
Et célébrer un jour nos noces éternelles, Sous le soleil du Verbe et t'œil du Hoi des rois!
»
Et je courbai la tête en frissonnant d'effroi. Mais Elle pour chasser l'effrayante Chimère, D'un sourire d'amante et d'un regard de mère, Me dit « Garde ma voix et mon souffle sacré. Courage
1. Car toujours, toujours je t'aiderai!
»
Elle pencha sur moi sa tête auréolée Et je sentis son âme à tous mes sens mêlée. Car, plongeant mon regard dan:; l'orbe de ses yeux, Je buvais à longs traits l'effluve radieux, Et son sein palpitait comme l'ambre liquide Sous les plis violets de sa chaste chlamyde; Une baleine embaumée, un flu:de vainqueur Emanait de sa bouche et glissait à mon cœur Pour l'attirer à moi, je touchai ses épaules. Mais j'entendis un
bruit de plumes qui se frôlent
D'un seul jet, double éclair ver:: le cèdre lancé, Deux ailes, sous ma main, avaient soudain poussé, Et, d'un puissant essor, l'ardente Messagère Disparut dans l'espace Ange, Flamme et Lumière
Je tombai foudroyé sur le sable des mers, Et seuls les chardons bleus bur 3nt mes pleurs amers. Mais dans mon cœur vibrant aux volutes profondes Chantait encor la Muse avec l'Ame des Mondes.
Avec la même frénésie, le poète chantera de lyriques chansons pour célébrer, en des symboles antiques, en des allégories modernes, les grands efforts créateurs qui font tressaillir l'humanité.
Nous retrouvons ici, dans ce quatrième chapitre intitulé Les Lutteurs, l'allégresse qu'apporte Edouard Schuré à nous rendre saisissables, par des images vibrantes, les mystérieux courants qui transportent l'âme humaine jusqu'aux sommets de la création. Il se complaît à nous dire la légende de Dionysos « Les Dieux naquirent du sourire de Dionysos et les hommes de ses larmes »; à faire revivre L'homme des cavernes tourmenté par le génie de l'invention; à rythmer les danses de La Danseuse sacrée venue de la poétique légende hindoue. En des poèmes larges et retentissants d'enthousiasme, tel que Le T~OMc~eMy de statues, voici que nous rencontrons encore l'admiration frénétique qui exalte le poète dont la sensibilité est toujours en éveil et souventaiguë, sous le grave vêtement de la forme. Aimons ce poète convaincu et courageux qui, les yeux purs et le front noble, défend par son et œuvre et sa vie la beauté religieuse de l'art entendons sa parabole
LES MAUDITS
Dans le fleuve houleux des foules bigarrées Que charrient, dans leurs flancs, les modernes Babels, Je vis passer un groupe aux faces égarées, Aux yeux surnaturels.
Ils portaient des haillons ctranges, dalmatiques Poudreuses, manteaux noirs, étoles en morceaux
Et scapulaires blancs, vénérablesreliques, Vieilles clefs en trousseaux.
Ils marchaient, fiers, heureux de leurs armes usées, Et brandissaientau ciel, avec des yeux ardents, Des sceptres en tronçons et des lyres brisées Aux longs frissons stridents. Nous n'avons, disaient-ils, ni temple, ni patrie; Nos frères de combat sont morts aux champs obscurs, Pourtant nous marchons, l'àme embrasée et fleurie «
Des paradis
futurs.
printemps et nos lunes. Car parmi vous jamais nous n'avons habité; Errants, nous dédaignons vos bazars, vos tribunes «
Le temps seul a compté nos
Et vos troubles cités.
Fous annonciateurs d'invisibles pylônes, Précurseurs ténébreux des radiaux midis, Nous sommes les fléaux des vieilles Babylones, Nous sommes les maudits. «
Nous connaissons vos jeux, v~s ruses, vos malices; Vos gambades nous font rire, quand nous souffrons, Et nous avons un fouet pour cingler tous vos vices, Pour démasquer vos fronts. «
Nous ne saluons pas vos bruyants coryphées, Vos maquignons d'esprit, vos vendeurs de plaisir; Nous ne savons cueillir ni roses, ni trophées Aux festins du désir. «
Mais nous suivons de loin, là-bas, notre Chimère, Qui plane à l'horizon, dans un nimbe doré, «
Et nous préférons tous à la gloire éphémère Son beau torse essoré. Elle immerge à l'azur ses ailes cployces Et sa gorge de femme et ses sabots de feu; Les astres font vibrer ses prunelles noyées, Elle est ivre d'un dieu. «
Que notre pied trébuche un jour dans la tourmente. Qu'importe? Nous aurons pour elle su mourir, Et nous savons qu'au vol de cette fière amante Un monde va s'ouvrir » «
Et la foule, à ce cri pour un instant charmée, S'arrêta, regardant le couchant triomphal, Et déjà tous voyaient, dans la nue enflammée Bondir le beau cheval. Mais au coin de la place, une troupe railleuse De bateleurs savants et de bouffons sournois Se concerta, puis vint dans la foule orageuse Se perdre en tapinois.
Et le plus matin dit <; Offrez-leur donc à boire Ces fous sont amusants. J'aime leurs beaux haillons. Qui veut, en les montrant sur des tréteaux de foire, Gagner un million ? )
rires étouffés jaillirent des alcôves; La huée éclata comme un fleuve ëcumant, Des
Et ce fut, dans le camp des singes et des fauves, Un long glapissement. Alors un bon passant
Assez 1 race inféconde, 0 malheureureux rêveurs, lâchez ces vains travaux, Faites comme eux A vous les trésors de Golconde, Des palais, des chevaux, «
L'or et la volupté, l'encens, la joie, un trône, Tout ce qui rend enfin l'homme fier et vainqueur. Or, tuez la démone, étranglez la Gorgone Qui vous ronge le cœur t » «
Mais, sans se détourner, l'inoffensif cortège
Salua la clameur d'un sourire ingénu, Cheminant sous l'attrait d'un divin sortilège Vers le but inconnu.
Si le dernier chapitre de L'Ame des Temps nouveaux ne nous offre pas une période neuve, dans la grande symphonie psychique écrite par l'auteur du Drame musical, elle confirme poétiquement la pensée dominatrice et l'unité de son œuvre philo-
sophique et critique, dramatique et historique. L'antagonisme passionné de l'ombre et de la lumière se perpétrant, acharné, au long des évolutions humaines a ému et pénétré la pensée d'Edouard Schuré avide de connaître. En cette lutte morale intensément épique, il a conçu et prophétisé le relèvement du temple de Psyché. C'est pourquoi il a donné au suprême chapitre de L'Ame des Temps nouveaux ce titre symbolique Luci fer et Psyché (légende des premiers et des derniers temps). Et l'idée devient plus saisissante encore en rapprochant deux des derniers poèmes, d'allure hugolienne, de cette /!M~e où est condensé le grand drame sp:ritualiste
TÉNÈBRE E
Au centre de la
terre, en son brûlant martyr,
L'Archange foudroyé du poids des destinées, Dépossédé du Ciel pour des millions d'années Demeura, torturé d'angoisse <;t de désir. Et, pâle, vacillante au ténébreux royaume, L'image de Psyché, l'ineffable fantôme, Se dressait devant lui. Vers son rêve divin II essayait parfois de bondir. Mais en vain; Et, quand il resongeait aux célestes patries, Les cordes se serraient sur s~s ailes meurtries. Il souH'rait. il pensait. Quelquefois Lucifer Tentait de soulever ses bras chargés de fer,
En sondant du regard l'épaisseur des ténèbres Dont la glace livide écrasait ses vertèbres. Hélas 1 dans son ciel noir, ni lunes, ni soleils Qui mesurent le temps de leurs cercles vermeils, Mais une voûte opaque, un jour crépusculaire, Où de rouges lueurs et des cris de colère Se mêlaient au roulis d'un orage incessant. Des larmes en tombaient et des gouttes de sang. Et Lucifer se dit « Ce sont mes fils, les hommes Qui luttent sous le ciel, infortunés atomes!t Ils vont se déchirant dans leur enfer, là-haut, Pour leur père maudit, rivé dans ce cachot » Et, laissant retomber ses bras chaînes, avec ses Les coudes aux genoux, la tête entre mains, Il méditait longtemps sur les douleursseshumaines Et, dans l'affreuse nuit, versait des pleurs humains. Non, disait-il, Psyché, la céleste Chimère, < Ne saura pas trouver le mot qui me libère. Mais vous, mes fils, à qui j'ai soufflé tout mon feu, Vous qui fouillez le ciel pour monter jusqu'à Dieu, Intrépides lutteurs, fière progéniture, Vous briserez, un jour, ma chaîne et ma torture. Si vous me délivrez, ô mes tristes enfants, Si je revois le Ciel à vos cris triomphants. Je reprendrai Psyché, sur quelque astre superbe, Fût-ce aux flancs du Soleil, ou fût-ce au cceur du Verbe x.
LUMIÈRE
Tortueuse et blafarde,
Une sombre nuée envahit brusquement L'espace et fit pâlir les feux du firmament.
Le monstrueux coteau dressa la croix sordide, Où l'Homme-Dieu, sanglant et la face livide,
Agonisait. Sous lui, furieux et brutal, Hurlait et ricanait tout un peuple infernal sauve-toi, si c'est toi le Messie « Sauve-toi Le ciel opaque et noir était sans éclaircie.
» :x
i5
n
Mais des yeux de Jésus filtrait une clarté De grâce, de douceur, de divine bonté.
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Il dit à ses bourreaux a Je pardonne, car j'aime H Et, pâle de terreur, l'Archange révolté Vit le suprême amour dans la douleur suprême. accompli Mais quand le Christ mourant dit « Tout est La Terre s'ébranla jusqu'à son dernier pli. La tempête rugit, des rochers se fendirent, Le Temple vacilla, des sépulcres vomirent Leurs morts, on entendit l'ouragan déchaîne Jeter aux champs du ciel le nom prédestiné. Puis la Croix fut changée en une Rose immense Bouillonnante d'amour et de munificence, Et, de son cœur de pourpre et d'or éblouissant Jaillit, comme un soleil, le Christ incandescent, Et l'hosanna du Ciel parcourut la Nature, L'Esprit pur ressortant de toute créature. L'Archange dit
Je suis vaincu.
Pour te sauver,
Dit une Voix d'en haut, il te faut soulever D'un effort surhumain tes formidables chaînes.
»
Alors, comme un athlète aux muscles frémissants, Qui se redresse avec la puissance des chênes, II souleva ses fers et leurs anneaux puissants, Où sept globes pendaient plus pesants que la Terre. En déroulant ainsi sa chaîne sous les cieux, Lucifer supportait la douleur planétaire Et des larmes de sang s'échappaient de ses yeux. Psyché! dit-il, pour toi je soulève le monde. Regarde la sueur sanglante qui m'inonde! Non, ce n'est pas assez, dit la Voix de l'Amour. Il a la Volonté, mais il n'a pas l'Amour! » Et lui
sublime, t Sois donc heureuse avec ton Dieul'Abîme.
Psyché! Psyché, pour toi je rentre dans
1.
d'espérance Je t'aime » Alors Psyché, bondissant Il a souffert autant que le Christ. Délivrance « Qu'il soit libre o cria la grande Voix d'en haut, Et la chaîne en morceaux croula dans le chaos.
Mais FArchangc plus beau, tenant l'Ève première, Secoua son flambeau sur le monde qui dort. Ils panèrent tous deux frissonnants de lumière, Lucifer et Psyché dans leur splendeur dernière. Le
Oh
firmament brillait comme une étuve d'or.
vois! disait Psyché, la terre magnifique
Changer de vêtement par notre fusion. Plus de ville d'enfer. mais la forêt féerique. Plus de sinistre fort. mais un temple magique Qui mêle un chœur divin à notre ascension. Montons et descendons des soleils les terres; Elohim est en haut, Elohim est ici.sur D'un même essor frôlons les astres et les sphères Baignons nos ailes dans leurs ondes de lumièreChrist est ressuscité. mais Lucifer aussi )1
Ainsi, la physionomie poétique du philosophe se révèle, par les caractères essentiels que nous avons notés, noble et volontaire, éclairée de la vive lumière de l'âme, malgré les passagères angoisses de la chair qui viennent la tourmenter, douce et vigoureuse et ardente, et tournée toul'aurore. jours vers
ŒUVRES D'ÉDOUARD SCHURÉ
HISTOIRE DU LIED OU LA CHANSON POPULAIRE EN ALLEMAGNE,
1~ édit., 1868. Nouvelle édition, précédée d'une étude sur le réveil de la poésie populaire en France, 1903
(lib. Perrin).
L'ALSACE ET LES PRÉTENTIONS PRUSSIENNES, 1871
chard. Genève) (épuisé).
(lib. Ri-
LE DRAME MUSICAL I. RICHARD WAGNER, SON ŒUVRE ET SON édit., 1873 (lib. Fischbacher), S° édition recomIDÉE,
l"
posée, 188S (lib. Perrin), 3° édit., 1895 (lib. Perrin),
édit., augmentée des SOUVENIRS SUR RICHARD WAGNER (lib. Perrin). 1910. II. HISTOIRE DU DRAME MUSICAL, Ire édit., 1876 (lib. Fischbacher), 2° édit. (lib. Perrin), 188S.
6"
LES CHANTS DE LA MONTAGNE,
cher).
poésies, 1877 (lib. Fischba-
MELIDONA, roman, 1880 (lib. Calmann-Lévy) (épuisé). LA LÉGENDE DE L'ALSACE, poèmes, 1884 (lib. Charpentier). LES GRANDS Initiés, esquisse de l'Histoire secrète des Reli-
1' édit., 1889 (lib. Perrin). LES GRANDES LÉGENDES DE FRANCE, 1' édit., 1891 (lib. Pergions,
rin).
LA VIE MYSTIQUE, poèmes, 1894 (lib. L'ANGE ET LA SPHINGE, roman, 1897 SANCTUAIRES D'ORIENT
Perrin). (lib. Perrin). Egypte, Grèce, Palestine, 1" édit.,
1898 (lib. Perrin). LE DouBLE, roman, 1899 (lib.
Perrin). 1S.
LE THÉÂTRE DE L'ÂME
1''° Série
LES ESFANTS DE LUCIFER actes; LA SŒUR GARDIENNE
(drame antique), en cinq (drame moderne), en quatre actes, 1900 (lib. Perrin). 2'' série LA RoussALKA (représentée, par Lugné Poe, au théâtre de l'OEuvre, en mars 1902) (lib. Perrin). L'ANGE ET LA St'fiixGE (tëger~de
dramatique) (lib. Per-
rin).
PRÉCURSEURS ET RÉVOLTÉS, 1" ëJit., 1904 (lib. Perrin). Le THÉÂTRE DE L'AME, 3'' sériE LÉONARD DE VINCI, précédé du RÊVE ELEUsiKfEN A TAORMtNA, drame en cinq actes, lOOS (lib. Perrin). LA PRÉTRESSE D'IsIS, légende ()e Pompéi, 1~° édit., 1907
(lib. Perrin). FEMMES INSPIRATRICES ET POÈTE:; ANNONCIATEURS,
1909 (tib.
Perrin).
L'A)iE DES TEMPS NOUVEAUX,
L'EvoLuiioN DiviNE
rin).
poèmes, 1909 (lib. Perrin).
DU SPIIINX Au CiiRisT, 1912
(lib. Per-
Essai biographique sur Marguerite Albana, en tête de Le Corrège, sa vie et son <M<fre, par Marguerite Albana. LE MYSTÈRE CHRÉTIEN ET LES Mt'STÈRES ANTIQUES, par Rudolf Steiner, traduit de l'atlemaild et précédé d'une intro-
duction.
G/'fï; JtH~es ont été trad~~ts en italien, par Arnaldo Cervesato (Bari) en anglais par Rothwcll (Wellbv, Londres) en allemand par mademoiselle Marie de Sivers, avec une préface du Dr Rudolf Steiner (Altmann, Leipzig'; en russe par madame Kaminski; en hollandais par Philophotos, Amsterdam, 1911, et en espagnol. Une partie des chapitres qui composent quelques-uns de ces ouvrages ont paru dans différentes revues, notamment dans la Revue des DeMa't~HdM, dans L'A/'t et la Vte.> dans la Revue bleue. H faut ajouter une Étude critique sur Les Tre~Mi~MMeK~, de Robert Veyssié, dans l'AnthoLes
logie des Po~M de la Renaissance Contemporaine (1912) et
une étude sur l'Évolution poctique, dans la Renaissance Co~em~ot'(M!te(19iS), au sujc) du livre de Madame Jean Dornis, La Sensibilité dans la Poésie contemporaine.
A
consulter.
Parmi les articles et les études consacrés à l'oeuvre d'Edouard Schuré il y a particulièrement à citer D' Rudolf Steiner Préface à la traduction allemande
de Les Grands Initiés, 1907. Ludwig Scheeman Les Grands Initiés, Bayreuther BIœt-
ter, 1897.
Henry Bérenger
Le mouvement romanesque en France (Revue des Revues, 1897). Le Roman-poème (Revue encyclopédique (1897). .W. Edouard Schuré (Revue bleue, 1898). Essai sur le Théâtre de l'Ame Schuré, extrait de la Revue ~f< dramatique (1900), brochure, à
t~oM~
la librairie Perrin. Paul Flat Le Théâtre idéaliste (article sur le Théâtre d'Édouard Schuré). Philippe Gille Le Figaro, du 13 septembre 1893. Jean Dornis La Clef de l'Univers (Figaro, 1907). Edouard de Morsier Le nouveau roman d'Edouard Schuré,
La Prêtresse d'Isis (La Revue, 1907). Louis de Romeuf Edouard Schuré, biographie critique (dans la collection des Célébrités d'aujourd'hui), chez
Sansot, 1908). Jean Muller Une épopée de ~'Ame L'Evolution dit. d'Edouard Schuré (La Renaissance Contemporaine, 1913'. Ernest Seillière L'Evolution divine (Le Journal des Débats, 17 avril 1913.) Jean de Bère La Vie intellectuelle de Bruxelles, numéro
de septembre 1912. Arnoldo Cervesato et Franz Pellati Rome, passim.
Nuova
A~o~a
de
En préparation. LA DRUIDESSE, drame
en cinq actes, précédé d'une étude
sur La Renaissance de l'Ame celtique (pour paraître pro-
chainement).
Du CHRIST A LUCIFER (suite de
t'~oMoH divine).
FLEURS DE SOLITUDE, poèmes.
SOUVENIRS D'ADOLESCENCE ET DE JEUNESSE
Allemagne).
(Alsace, France,
TABLE DES MATIÈRES
PRÉFACE. PHILOSOPHIQUE.
INTRODUCTION:COKFESSION
V
LI
PREMIÈRE PARTIE
I.–LeThëosophe. H.–LePenseurett'EstMticien. ni.–LeLittërateur.
CHAPITRE
Poète.
3
36
M
DEUXIÈME PARTIE
Dramaturge. BiBLIOGRAPHtE. CHAPITRE
t.–Le II. Le
113 199 229
i.(iHEV]Nâ&#x20AC;&#x201C;nn'R!jrERIECELAaf7