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Emilie Sanchez Ecole des beaux arts de Bordeaux Option art, 2011



«Ce que cache mon langage, mon corps le dit. Mon corps est un enfant entêté, mon langage est un adulte très civilisé...» Roland Barthes, Extrait de Fragments d’un discours amoureux.


Durant ma première année aux beaux arts de Bordeaux, j’ai expérimenté plusieurs médiums. Certains m’ont particulièrement captivés comme la peinture, la sculpture et la photographie. Je dessine et je peins des corps à mi chemin entre l’enfant et l’adulte. Les personnages sont seuls, les yeux fermés, une fumée mortelle danse autour d’eux.

A cette période mes photographies sont des mises en scènes très stéréotypées, des clichés de femme-enfant en souffrance où se joue une dualité ironique. Les dessins que je produis m’inspire ces scènes photographiques. Mon travail est trés illustratif et encore actuellement.


Je déguise aussi ma sœur dans une robe et des talons de ma mère et lui demande de prendre des poses de danseuse. Son corps s’exprime différement en fonction du lieu, dans l’angle de l’escalier son corps se repli sur lui même, dans le jardin elle saute pour envahir le plus d’espace.

En cours de peinture je peins sur un fond rouge, un personnage réalisant un pont de gymnastique. Quelque chose se passe, je suis fascinée par ce corps en mouvement, déformé qui a surgi de la toile.

«Le corps est comparable à une phrase qui vous inviterait à la désarticuler, pour que se recompose, à travers une série d’anagrammes sans fin, ses contenus véritables.» Hans Bellmer, Petite Anatomie de l’Image p.45


En début de deuxième année, je peins et dessine des instants de danse. Ce sont des danseurs arrachés des catalogues, des extraits de vidéos où mes amis dansent. J’aime les tensions et les unions des corps qui se créent dans la danse. Je m’essaye à de plus grands formats, changeant mon geste, m’interrogeant sur ce qui change quand je peins plus grand que nature ? Que deviennent ces corps ? Je me demande aussi quand est ce que la toile est finie, dois-je revenir quelques mois après sur un travail, le transformer? Enfant, j’ai longtemps rêvé de devenir danseuse, mon corps raide et empoté me l’a toujours refusé. J’ai alors souvent fantasmé devant des corps élégants remplis de grâce. En les peignant je me sens devenir une partie de ces corps. Les travaux que je réalise me conduisent à m’intéresser aux chorégraphes comme Pina Bausch, Merce Cunningham, Jean Claude Gallota et Carolyn Carlson et au système de notation chorégraphique Benesh.


Il s’en est suivi une très longue période de remise en question de mon travail et de moi-même: quel est mon but quand je peins, pourquoi peindre un sujet en particulier, comment le peindre, à quoi celà sert-il ? A cette même période je rencontre des art-thérapeutes, je me passionne pour ce métier, je croise la vie de personnes handicapées lors d’un stage Bafa en accueil de publics handicapés. Suite à cela, je lis des articles, des blogs sur les maladies mentales, regarde des reportages sur les hôpitaux psychiatriques. Je réalise alors des vidéos et des photos, où je me contorsionne dans un tissu, je m’enferme à l’intérieur. A partir de ces images je réalise des dessins à l’encre. Les travaux de Rébecca Horn sont une réference essentielle dans mon travail. Je prends des amis et moi-même en photo, à l’aide d’un fil, je déforme leur visage inspiré de Hicham Benohoud , je fais aussi des photomontages dans des lieux qui me sont intimes. Créant des corps amputés artificiellement.


«Pour moi, il est essentiel de comprendre que tout le monde est seul. Pas au sens de la solitude mais plutôt en ce sens que personne ne peut entièrement comprendre quelqu’un d’autre.» Rineke Dijcktra Je me photographie sur une plaque de verre, créant à mon corps une carapace tantôt froide ou sensuelle.

«Notre rapport au corps a beaucoup changé en trente ans. A l’âge numérique, le corps n’est plus le centre de la conscience. Cela a des répercussions sur notre identité. Aujourd’hui, l’individu est plus fragmenté - la voix peut résonner en un endroit, et le regard en fixer un autre. Ils ont été marchandisés. Ainsi le brevetage de la voix d’un acteur ou d’un réceptionniste qui doit répondre au téléphone. Je m’intéresse à l’une des principales questions soulevées par Marx : « le capitalisme produit et donne forme à des substances informes. Actuellement, un procéssus similaire s’opère avec l’individu. Différents éléments et systèmes de mise en forme sont appliqués de manière à fragmenter la personne. Jusqu’où cet écartèlement peut-il s’opérer ? Le corps est plus pensé en terme de propriété que d’altérité.» Mika Rottenberg


«On cherche à fractionner les individus, les communautés, mais, dans le même temps, on fait en sorte que nous nous ressemblions tous sous le prétexte d’une globalisation soi-disant inéluctable, or, j’ai toujours pensé que plus on se ressemblerait, plus on se détesterait. Ces deux mouvements contradictoires fondent la perversité de notre époque. Mes tableaux parlent de cette déstructuration des corps et des esprits.» Stéphane Pencréac’h

J’écris deux textes, un à partir des blogs lus sur internet sur des êtres névrosés et un autre qui est une nouvelle absurde sur un serial killer.(cf, annexe) Je collectionne les images de cris tirés de films personnels ou cinématographiques, puis je redessine ces scènes. Mon travail devient en quelque sorte le journal intime de mes névroses.


Durant l’été avant ma troisième année, j’ai effectué un stage dans le «collectif d’artiste de la morue noire» à Bègles. Inspirée par certaines œuvres land art des artistes, j’ai l’envie de récupérer des débris de verre, que je colle sur des toiles puis les bombe de noir. Mais aussi à l’aide de bandes platrées, je moule des parties de mon corps puis découpe ces morceaux artificiels de peau que je place sur une toile. Plus tard, je peindrai au pochoir sur ces toiles les corps dansants qui me hantent.

Je découpe des corps de danseurs dans les magazines, je les redessine découpés sur la toile dans un fond peint en noir. C’est à ce moment là qu’apparaît une nouvelle interrogation dans mon travail : dans ces toiles le fond noir était-il utile, à quoi sert le fond ? Je fais alors disparaitre le fond, dessine des corps sur papier, découpe les contours et les place a même le mur dans un hors cadre. Que devient l’image ainsi posée ?


« Dans quelle situation fabriquonsnous des images fictives ? Quand notre imagerie fantasmatique se met-elle en branle ? La nuit dans nos rêves quand nous faisons l’amour. Quand nous sommes assaillis de visions angoissantes. Avant un match. Face à un public. Quand nous réfléchissons à notre identité. Quand nous avons une pensée pour nos chers disparus. Quand nous essayons de réaliser une œuvre d’art. Quand nous évoquons un souvenir personnel. Quand nous cherchons à évacuer un traumatisme… Ce là sont des moments d’une intensité suffisante pour nous faire désirer une image traduisant cette émotion. C’est ce que nous tentons de reconstruire; nous essayons de visualiser pour avoir une prise sur la situation. Ces moments ont beau nous perturber, sans eux nous nous sentirions impuissants. Et ça c’est ingérable, comme un saut dans le vide.» Ronald Ophuis, Amsterdam 2009.


«Je n’ai jamais peint autre chose que des figures. Je suis fasciné par le narcissisme humain et les obsessions liées au corps. Et j’aime le caractère astucieux de la peinture. On peut avoir le mouvement au beau milieu de la tranquillité, mais il y est complètement fixé. Et cette illusion est toujours excitante.» Cecily Brown

Plus tard je vois le film de Maurice Pialat, «A nos amours», ce film m’obsède par cette danse de vie désobéissante. Je choisis trois scènes que je peins. Je veux les tisser ensemble, qu’elles ne deviennent qu’une seule et même scène, je me pose la question de les unir en une seule image à l’aide de Photoshop, un simple logiciel peut-il rendre la force de la peinture? Puis-je peindre avec autant de puissance que ce logiciel? Quand pourrais-je accepter que le logiciel n’a été qu’un outil?

«Un dessin? Je ne peux savoir d’où il vient, et ne peux le contrôler. C’est cela qui est excitant, et qui procure du plaisir. Il a cette simultanéité rare entre intention, action, résultat et où tout le reste se fige, c’est un moment de silence explosif. C’est un moment où, en solo, dans l’intimité d’un espace qui vous est personnel, vous partez à la découverte d’un territoire inconnu.» Trisha Brown


En contemplant des vidéos de chorégraphes, je tombe sur celle de Trisha Brown, Floor of the foret, parallèlement j’admire la série The hours of the night de Nancy Spero. Je prends alors des images de scènes de danse dans les catalogues Je les froisse Je les scanne J’obscurcis les images Je crée une trame, les formes de l’image sont troubles, étranges J’établis sur une feuille de papier une trame Je dessine ces scènes. Bien plus tard je ressentirai la nécessité de les unir dans un immense tramage.


Je réalise des vidéos où les corps masqués de mes amis se désarticulent, se multiplient, s’isolent et dansent. Je me pose la question de la présentation de ces vidéos, à quelle taille ? Et par quels moyens les diffuser ? Quel son choisir ? Faut-il créer une intimité avec le spectateur ? Qu’elle sera la durée de la vidéo ? «Un questionnement sur moi-même, «je est un autre». Nous sommes tous constitués de personnalités multiples, avec des côtés qu’on aime et d’autres qu’on déteste. Les contes et la psychanalyse ont mis cette multiplicité en perspective et je l’ai traduite de manière trés littérale en affublant mes personnages de masques.» Stephane Pencréac’h Pour moi, la peinture est comme une danse, je peins en écoutant de la musique, mon geste sur le papier est une sorte de danse. Quand je peins je suis comme dans un état de transe, comme la danse rituelle, la peinture m’amène dans un autre état de conscience. «La peinture n’est pas un médium. Elle n’est pas une catégorie de l’art. La peinture EST le disque dur de l’art, dont tout sort. Que vous fassiez du cinéma, de la sculpture, de la photo, de l’installation… votre papa, c’est la peinture.» Stéphane Pencréac’h


La nécessité de créer m’est vitale alors qu’importe l’image, pourvu qu’elle m’inspire. Mon travail est intimément lié aux événements de ma vie, à mes obsessions, à ma psyché. « Au départ, l’atelier est un espace vide. En tant qu’artiste, c’est vous qui décidez quel genre de vie va envahir votre espace vide. Inévitablement, il va se remplir de lui-même de tout ce qui fascine l’homme, de ses obsessions, de ses angoisses, de ses amours, etc. Ces ingrédients vont agir et stimuler votre imaginaire. Les œuvres d’art sont des témoins des pensées de l’atelier. C’est au spectateur de décider quelles en seront les conséquences. » Ronald Ophuis, Amsterdam 2009 Souvent mon discours a «blessé» mes œuvres, dans le sens où la verité du langage plastique se déteriore par notre subjectivité lors de son passage à l’expression orale. Alors que faut il dire ou ne pas dire ? Dois-je mentir ? Qu’elle est la limite de mon discours ? Ce que je peux dire de mon travail n’est que ce que je peux en dire ici et maintenant. Chaque interprétation d’oeuvre est unique par le fait de notre singularité.


Mes influences

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1.Trisha Brown, «Floor of the Forest», 1970 2. Hicham Benohoud 3. Nancy Spero, «The Hours of the Night II», 2001. Collage de l’écriture manuscrite et imprimée sur papier, 11 panneaux d’environ 9 x 22 pieds. Photo de David Reynolds, Galerie Lelong, à New York. 4. Marina Abramovic, «Magnetic dance», 2002 5. Jenny Saville et Glen Luchford, «Closed contact» 6. Rineke Dijcktra et Douglas Gordon, «Transe» 7. Loïe Fuller dans «La danse blanche»

11 8. Rebecca Horn «Der eintanzer», 1978, Durée du film: 47 min 9. Maya Deren «a study in choregraphy for cimema», 1947 (chorécinéma) 10. Pina Baush «Vollmond» 11. Bruce Mc Lean «pose work for plinths», 1971 Ainsi que Henri de Toulouse Lautrec, Edgar Degas, Francis Bacon, Hans Bellmer, Raphael Montanez Ortiz, ...



Entre

Tu te sens bien là! C’est chez toi! C’est toi qui a tout fait! On t’a à peine aidé! T’es heureuse là ! Autour de toi, ton fauteuil se ride, ta tapisserie se ternit, les rideaux s’abîment, sur la table sont posés tes anxiolytiques. T’es bien là, toi! Tu entasses ta vie, ça se remplit dans ton cocon qui croupit. Bien isolé, t’es en sécurité, dans ta camisole, c’est douillet, tu l’as chérie ta boite à torture Tu ne les entends pas. Tu as envie de sortir de t’affronter. Tu les regardes par ton oeil de boeuf, tu suffoques. Ton poing se serre, tu frappes ce corps qui t’enferme, tu voudrais qu’on t’entende mais tu ne fais pas plus de bruit que ce salpêtre qui dégueule maintenant doucement le long du mur. Tu veux affronter l’extérieur, tu frappes, les carreaux explosent, ton reflet s’éclate au sol, ta peau se brise, les pigments rougeâtres explosent. Tu jubiles, tu oublies, tu oublies, y a plus que la douleur de ta peau. Pourtant de nouveau, tu les entends dehors, ton ossature se fige, tes muscles te brûlent, ton corps est immobile. Tu es anormal toi avec tes angoisses. T’as envie de gueuler, d’hurler, La porte s’ouvre....


Untitled

Chaque matin à l’aurore, je m’y rend pour y cueillir ce qui me tient debout. Laissant derrière moi deux longues traînées nettes et droites dans la terre fraîche. Je m’avance vers l’autel de mon adoration. Je fais claquer les clefs dans la serrure et mon corps immerge ce lieu unique. Dans cette cabane au fond du jardin, je renais chaque matin. Mon corps si brûlant d’avoir retrouvé son sacre réchauffe l’air glacial. La pièce est exiguë et sombre. Le long des cloisons courent d’immenses vitrines, protégées par le verre. Sur un drap vermeil se dresse une collection de pieds de chair, de pieds embaumés. Ces sculptures ont un ton saumon clair, elles sont remplies de nerfs en saillie comme les cordes d’un manche à violon. Les doigts fins sont terminés par des ongles purs et transparents comme des agates. Le pouce légèrement séparé contrarie ces plans linéaires leur donnant une attitude d’envol, de liberté. Les plantes sont rayées de quelques hachures invisibles. Leurs courbes sont parfaites. Ils dansent tous, devant moi avec le génie de Merce Cunningham, Jean Claude Gallota et Carolyn Carlson. Ils s’enivrent pour moi, pour ce que je leur offre. Après m’être chargé de leur beauté, je redeviens leur sculpteur et leur serviteur. Je vérifie chaque détail, tel un thanatopracteur, j’illumine le cuir de ces chairs. D’un coup de scalpel sur les parties charnues, je sculpte. Je modèle ces corps. Je nettoie leur forteresse de verre. Tous les jeudis tel le messie, je lave ces pieds. Je dépose mes vêtements, prend un linge, m’en ceignit. Puis je met de l’eau dans un bassin et je commence à laver les pieds et à les essuyer avec le linge dont je suis ceint. Je suis leur sauveur, je les ai libéré de ces objets de torture superfétatoire. Attache, lacets, fermeture, boucle, noeuds, brides ont disparus. Ils sont nus. J’ai retiré ces oeuvres aux êtres qui ne les méritaient pas. A ces hommes qui les déformaient dans ces souliers étroits, à talons, ou qui les enfermaient dans ces bandes chinoises. Maintenant ces hommes vivent sans, ou ne vivent plus. Ils ne méritaient rien d’autre. Maintenant ils m’appartiennent. Et le sang qui coule dans mes mains n’est rien que le sang d’une offrande pour l’art. Après avoir magnifié leur corps et leur sanctuaire, je leur conte les traversés en solitaire d’Emeric Fisset, de Jean Louis Etienne de Bernard Olivier. A la lecture de ces histoires, je les sens, je les vois voyager, traverser les continents. Dans mon corps les endorphines se libèrent et avec eux je voyage comme autrefois. Je jubile; des frissons parcourent mon corps morcelé. J’halète intensément; ma chair frisonne, elle entre en transe avec ces corps, je transpire abondamment. Ensemble nous atteignions l’antichambre du septième ciel. Nous sommes ensemble. Ils me parlent, je sens leur vie, leur histoire, leur odeur, leur passé, leur rencontre avec la terre, avec la vie. Je les sens s’attirer et s’éloigner les uns les autres comme autrefois, réunis a tout jamais. Je les ai réunis et je continuerai. Mon équilibre est là. Je regarde maintenant mon corps, un cul de jatte dans un siège mécanique.




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