Emilie Sanchez

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DES VIES ÉTRANGES

&

INQUIÉTANTES

Emilie SANCHEZ Faculté de Bordeaux III - 2012



DES VIES

ÉTRANGES Des vies

&

étranges et inquiétantes INQUIÉTANTES

Emilie SANCHEZ Emilie SANCHEZ

Faculté de Bordeaux - 2012 Faculté de Bordeaux III - 2012


Enfant, je me souviens avoir été fascinée en contemplant mon reflet se déformer dans l’eau, le regarder comme un autre, indistinct de moi-même.



DES VIES ÉTRANGES

&

INQUIÉTANTES

Les corps déformés, morcelés, hybrides, automatisés me captivent. Dans mon travail je suis animée par le désir d’atteindre l’inconnu de notre réalité, je suis fascinée par ce qui me semble étrange et à la fois familier. C’est en première année aux beaux arts de Bordeaux qu’un enseignant m’avait parlé de l’inquiétante étrangeté en désignant mon travail. Cette notion fut pour moi comme un déclic dans mon travail. Je m’aperçus que l’ensemble de ma pratique artistique était animée par cette expression allemande, « Das Unheimliche », l’inquiétante étrangeté, ce qui n’appartient pas à la maison et pourtant y demeure. Cette sensation que décrit Freud dans son livre j’y suis extrêmement réceptive et cela

se traduit dans mes créations . Par mon langage artistique, je tente de transmettre des sentiments inexprimables par des mots. Je pousse mes travaux au delà de la simple représentation, je les conduis dans une sensation. Je tente d’éveiller ou de réveiller des choses, nous conduisant à l’énigme de l’existence. Dans ma pratique j’interrogeais la notion de Figure, c’est-à-dire du désir de la figure d’atteindre des couches inconnues de la réalité. Deleuze nous rapporte que Francis Bacon parlait de la Figure comme étant la forme se rapportant à la sensation, c’est-à-dire aux forces invisibles qui pèsent sur le corps. Ainsi « le corps, c’est la figure, ou plutôt le matériau de la figure ». Tout d’abord dans mon travail le corps est ancré dans une réalité. Ce que je représente sont les personnages qui m’entourent, mes amis, ma famille, mes rêves, mes peurs, mes angoisses.


sensations que l’on reçoit d’elle, l’expérience étrange qu’elle procure : accélération du pouls, frissons, crispation… L’intellect est bouleversé. Les figures que je produis doivent devenir inquiétantes. L’inspiration me vient alors, beaucoup par des photographies représentant des corps qui dansent, en effet ces corps sont souvent comme désarticulés et c’est ce qui m’intéresse. Ainsi l’umheimliche me vient souvent par une posture du corps singulière. Ces contorsions bizarres que peut adopter le corps réveille en moi quelque chose qui me pousse à m’exprimer. C’est tout le potentiel monstrueux de la chair qui ressurgit, toute la folie qui veille en chacun. Ce qui m’intéresse c’est l’incertitude qui se passe dans les images. J’aime dessiner avec peu de trait : des visages caricaturés, crispés dans une émotion, un trop grand sourire qui devient malsain. Les joues de mes personnages sont marquées de trait de crayons de couleurs rouge, cette exagération comme le rouge des joues d’une poupée, devient effrayant. J’ai aussi eu recourt aux Je pense que l’œuvre d’art se joue dans les masques dans certaines de mes vidéos, pour

Je me sers beaucoup de photographies comme finalité ou surtout comme stimulation de ma création. Dans ces photographies il me semble retrouver mon identité mais étrangement à la fois elles me semblent fausses, incomplètes. Ces photographies n’arrivent pas à satisfaire ma volonté de mieux me connaître. Mais elles assouvissent mon désir de possession de souvenir. Ces traces photographiques sont les témoins d’éléments qui m’ont constituée alors bien que défaillante elles sont ma représentation dans la société. Quand je travaille sur ces images je m’approprie, complète, remémore des souvenirs. Pour moi ce travail, marque la notion d’absence. En fait, on tire le portrait de quelqu’un pour ne pas l’oublier, pour le garder en mémoire, pour atténuer sa disparition par une présence simulée. Le portrait comme le corps est un fantôme qui resterait. Cette interrogation sur le corps entre présence et absence m’a conduit en vidéo à jouer avec la transparence des corps, ce sont comme des fantômes qui dansent.


moi c’est comme pour masquer un visage qui serait trop effrayant. Les crises d’épilepsie d’une de mes proches auxquelles j’ai été affrontée, m’évoque aussi cette dimension inquiétante qui parcourt mon travail. Ce corps humain qui devient sombre et monstrueux et révèle un processus mécanique du corps extrêmement troublant. On ressent aussi une grande fascination pour l’enfance dans ma pratique. C’est ce moment où l’on a l’impression d’avoir un pouvoir magique sur son corps et les choses du monde. La petite fille va jouer avec sa poupée en la voyant bouger, respirer, à l’âge adulte cela devient une angoisse car on refoule l’animisme. L’enfant est un être inachevé qui a une aisance de passer de la réalité à la fiction. Adulte, nous n’avons accès à cela que par le fantasme et le songe. Ce sont les contes de fées qui leur montrent que le monde est aussi fait de choses effrayantes. L’enfant projette aux jouets ses peurs. Cette peur qu’il associe aux jouets devient intensément plaisante. C’est l’enterrement de la terreur, un monstre qui captive. Ce sont toutes ces sensations entre rejet et attraction qui me captivent et marquent

mon travail. L’œuvre d’art pour moi a souvent à voir avec l’absence, c‘est à dire la mort. Et je pense qu’il faut garder dans l’art, une part de mystère, ne pas tout montrer, cela nous pousse à inventer, à recréer et faire rejaillir de nous même nos propres histoires enfouies.


Des instants de vie







« Dans quelle situation fabriquons-nous des images fictives ? Quand notre imagerie fantasmatique se met-elle en branle ? La nuit dans nos rêves quand nous faisons l’amour. Quand nous sommes assaillis de visions angoissantes. Avant un match. Face à un public. Quand nous réfléchissons à notre identité. Quand nous avons une pensée pour nos chers disparus. Quand nous essayons de réaliser une œuvre d’art. Quand nous évoquons un souvenir personnel. Quand nous cherchons à évacuer un traumatisme… Ce là sont des moments d’une intensité suffisante pour nous faire désirer une image traduisant cette émotion. C’est ce que nous tentons de reconstruire; nous essayons de visualiser pour avoir une prise sur la situation. Ces moments ont beau nous perturber, sans eux nous nous sentirions impuissants. Et ça c’est ingérable, comme un saut dans le vide.» Ronald Ophuis, Amsterdam 2009.


« Autoportrait de mon enfance », 2012. Couture sur tissus. 1×1 m Mon enfance a été ponctuée de visite médicale, d’opération pour corriger un fort strabisme. J’ai voulu tisser cette évolution de mon visage, de mon regard. Mon regard sur le monde c’est tramer à ces instants de ma vie.




Des corps entre présence et absence

«Le vêtements sont apparus dans mon travail comme une chose évidente, j’ai établi une relation entre vêtement, photographie et corps mort. Mon travail porte toujours sur la relation entre le nombre et l’individu : chacun est unique, et en même temps le nombre est gigantesque. Les vêtements sont une façon pour moi de représenter beaucoup, beaucoup de gens.» La vie impossible de Christian Boltanski,1969, p.176-177




« Mon corps entre lymphatique et nerveux », 2012. Vidéo.3. 46 Quoi de mieux pour me représenter que ma robe rouge. Un vêtement fantôme de moi-même qui danse ma présence.



Des corps comme désarticulés






«Le corps est comparable à une phrase qui vous inviterait à la désarticuler, pour que se recompose, à travers une série d’anagrammes sans fin, ses contenus véritables.» Hans Bellmer, Petite Anatomie de l’Image p.45


« Danse onirique », Février 2010. Vidéo. 1. 26

« Danse fantomatique », Avril 2010. Vidéo. 4. 59

« A corps parlant », Décembre 2010. Vidéo. 1. 05

Trois vidéos qui montre ma fascination pour ce corps et sa trace qui se déforme et se recompose perpétuellement dans la danse.



Des situations ĂŠtranges















Des enfants qui nous captivent







« 63 Portraits », Regard éclairé sur la multitude, Octobre 2010. Une édition A5.

Souvenir, Du mot semblable, je suis passée au mot unique. Un passage douloureux où j’ai pris conscience des mots différence et solitude.

(Angl. transitional, Winnicott). Objet transitionnel : objet partiel (au sens psychanalytique) qui assure le passage d’un objet à l’autre dans l’évolution de l’enfant (ex.: l’ours en peluche). «Comme l’enfant redoutant de perdre sa mère joue à manipuler sans relâche une ficelle; mais le fil du téléphone n’est pas un bon objet transitionnel.» R. Barthes, Fragments d’un discours amoureux, p. 132. Extrait du Grand Robert de la langue française



Des contes de fĂŠes







« Au départ, l’atelier est un espace vide. En tant qu’artiste, c’est vous qui décidez quel genre de vie va envahir votre espace vide. Inévitablement, il va se remplir de lui-même de tout ce qui fascine l’homme, de ses obsessions, de ses angoisses, de ses amours, etc. Ces ingrédients vont agir et stimuler votre imaginaire. Les œuvres d’art sont des témoins des pensées de l’atelier. C’est au spectateur de décider quelles en seront les conséquences. » Ronald Ophuis, Amsterdam 2009


Quelques projets, plus professionnel


« De l’enfance à la séduction », 2011. Installation au Rocher de Palmer à Cenon. Vidéo. 7. 29 Une femme ou un enfant. Une envie et une peur de devenir femme. Le plaisir et le dégout de séduire. Autant de questions que je me posse dans cette vidéo.


Réalisation d’une affiche pour le Prince Miiaou, exposée au Rendez-vous des Terres Neuves à Bégles dans le cadre du cour d’Anne Perrine Couët.


- Lettres dessinées Un travail en collaboration avec les étudiants de l’Atelier d’écriture mené par Jean-Michel Devésa dans le cadre du PPE de Licence 3. Une exposition à la librairie Mollat de Bordeaux. Réalisée dans le cadre du cour d’Anne Perrine Couët.


Réalisation d’un magazine dans le cadre du cour d’Anne Perrine Couët.


Réalisation d’une illustration pour Yacine Synapse. À paraître cet été.


Réalisation d’illustrations de deux nouvelles pour N’Zine de chez Nana’Z Productions À paraître cet été.



Bibliographie: BARTHES, Roland, La chambre claire; note sur la photographie. Paris : Gallimard, 1980,192 p. BETTELHEEM, Bruno, Psychanalyse des contes de fées. Paris : Éditions Robert Laffont,1976, 403 p. BOLTANSKI, Christian, Christian Boltanski, Phaidon, 1997 DELEUZE, Gilles, Francis Bacon : Logique de la sensation. Paris : Éditions du Seuil, 2002, 175 p. Didi-Huberman, L’Image survivante. Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg, Paris, Les Editions de Minuit, 2002 FREUD, Sigmund, L’inquiétante étrangeté et autres essais. Paris : Gallimard, 1988, 342 p. GERVEREAU, Laurent, La disparition des images. Paris : Somogy éditions d’art, 2003, 48 , PLynn GUMPERT, Christian Boltanski. Paris : Flammarion, 1992, 189 p. HARENT , Sophie & GUEDRON, Martial ( dir.), Beautés monstres : Curiosités, prodiges et phénomènes, Paris, Somogy Editions d’art, et Nancy, Musée des Beaux-Arts, 2009 KRISTERA, Julia , Pouvoirs de l’horreur, paris, seuil, 1980 E. T. HOFFMANN. Contes fantastiques II. Paris : Garnier-Flammarion, 1980, 382 p. LE BOT, Marc, Images, magies. Édition Présence, 1990 LYNCH, David, Eraserhead. Noir et blanc. Etats-Unis, 1976, 89 minutes. MASSON, Céline, La fabrique de la poupée chez Hans Bellmer : le faire œuvre perversif, une étude clinique de l’objet, l’harmattan, 2000, l’œuvre et la psyché. O. SCOTT, Anthony, CREWDSON, Gregory ( trad. Hortense lyon), Sanctuaire: Gregory Crewdson, Paris, Editions textual, 2010, 95 p RUSTIN. Entretiens avec Daniel Mandagot. La quête de la figuration. Paris : Uzès : À la croisée, 1999, 127 p. WILDE, Oscar, Le portrait de Dorian Gray. Union européenne : Maxi-Livres, 2001, 224 p. WILSON, Angus, Le Monde de Charles Dickens. Paris : Gallimard, 1972, 277 p.



A l’intérieur du cd : Vidéos : « Mon corps entre lymphatique et nerveux », 2012. Vidéo. 3. 46 « Danse onirique », Février 2010. Vidéo. 1. 26 « Danse fantomatique », Avril 2010. Vidéo. 4. 59 « A corps parlant », Décembre 2010. Vidéo. 1. 05 « De l’enfance à la séduction », 2011. Installation au Rocher de Palmer à Cenon. Vidéo. 7. 29 « Reflet », janvier 2010. Vidéo. 1.26 « Douce Danse Dessinée », un ensemble de 5 vidéos. Bibliothèque d’images Fichiers de l’édition Pour en voir plus sur mon travail : http://e-san.tumblr.com/




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